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B.5. Des difficultés en termes d’orientation et d’insertion dans les territoires ruraux isolés montagnards
p. 157-160
Texte intégral
1 « Le territoire [est une] variable d’analyse utile, notoirement sous-développée » (ARRIGHI, 2004)1, des phénomènes sociaux « complexes ». Il est susceptible d’« expliquer » en partie certaines spécificités de la scolarité en milieux ruraux et montagnards. Dans un certain nombre de « territorialités »- correspondant essentiellement à la dimension symbolique des « territoires »2 - qui dans les zones rurales et montagnardes surtout, des « effets de contexte » liés aux territorialités et aux territoires3 influant sur la scolarité ont ainsi pu, dans les années 1990-2000, être mis en évidence par des chercheurs du Centre d’études et de recherches sur l’emploi et les qualifications (CEREQ) et de l’Observatoire de l’école rurale devenu en 2009 Observatoire éducation et territoire.
Constats
2En dehors d’une plus grande « ouverture » (utilisation pédagogique des technologies de l’information et de la communication, insertion de l’école dans son environnement et travail au sein de réseaux, tant affinitaires qu’institutionnels) des écoles et des collèges de la partie montagne du rural isolé4, les élèves de l’école rurale et montagnarde sont globalement légèrement moins en retard qu’ailleurs (tableau 1). Leurs résultats aux tests d’évaluation nationaux de 6ème sont également légèrement meilleurs que sur le plan national. Mais, surtout, et c’est ce qui apparaît comme véritablement nouveau, cette « avance » dure globalement jusqu’en fin de collège (tableau 2), si l’on en juge à l’aune des taux, hors « productivité » des redoublements, d’accès en 3ème : 82 % pour la zone de montagne, 84 % pour le rural total et 80 % pour la France entière (sources : enquêtes OER 2000-2004 et RERS 2005, respectivement).
Tableau 1 : taux d’élèves de 11 ans et plus en CM2 en 1999 (1 an minimum de retard) en fonction de l’appartenance au « rural isolé »5 et à la « zone de montagne »6 (
Proportion d’élèves de 11 ans et plus en CM2 | |
Zone de montagne (ZM) | 16 % |
Rural isolé (RI) | 17 % |
Rural total | 18 % |
France entière | 19 % |
ZEP (pour mémoire) | 32 % |
sources : OER7, 2000, pour les 3 1ères lignes et, pour les 2 dernières, L’État de l’école, n° 11, octobre 2001).
Tableau n° 2 : Evolution comparative des taux d’accès hors redoublement à la classe supérieure de la base OER-OET générale de 1999-2000 en fonction des différents types de ruralité (enquête CM2) à 2003-2004 (enquête « n + 4 »)/ « base » 100 en CM2/

Sources : enquêtes OER 2000 sqq et édition 2005 de Repères et références statistiques, publication annuelle de la DEPP/MEN, p. 101.
3En revanche, et c’est apparemment contradictoire avec le plan national, les taux de demandes d’orientation vers les études longues, d’autant plus faibles que le milieu rural est plus isolé, ne sont pas du tout conformes à ce que l’on attendrait si l’on se fiait aux seuls résultats scolaires qui, en France, déterminent fortement les choix d’orientation8 (tableau 3). Les formations professionnelles courtes, via notamment l’apprentissage, sont ici « plébiscitées ». Il convient, enfin, de remarquer que la « modestie » du niveau d’aspiration des projets d’orientation vient, en milieu rural, moins des élèves que des parents.
Tableau 3 : comparaison entre les intentions non institutionnalisées d’orientation 3ème élèves et parents (sources : OER, 2004, pour les 4 1ères colonnes et, pour la dernière, panel DEP/MEN 6ème de 1995)

Analyses
4Des analyses factorielles de correspondances réalisées sur les bases de données « montagne »« n + 4 » et « n + 5 » de l’OER réalisées en 2004 et 20059 ont permis de repérer deux grands facteurs explicatifs territoriaux qui, derrière les facteurs sociaux mis en évidence par BOURDIEU et PASSERON dans les années 196010 et les effets de contexte institutionnels (effets-maître, classe et établissement) repérés dans les années 1980-199011, jouent un rôle important dans la scolarité rurale. Rappelons, dans la perspective de cette présentation des liens existant entre ruralité-montagne et scolarité-orientation, que l’école de montagne s’inscrit dans le contexte plus général de la ruralité. « L’école rurale de montagne présente [en effet] toutes les caractéristiques de l’école rurale en général : ses avantages et ses inconvénients sont simplement amplifiés par rapport à l’école rurale de plaine » (MERIAUDEAU, 1980)12. C’est le cas, notamment, du « rural isolé » dans lequel la « zone de montagne » pèse plus de 50 % des effectifs du panel OER13. Voici les deux facteurs en question :
- D’une part, un « ancrage » territorial fort, marqué par une mobilité géographique réduite et une identité locale forte qui contraignent le jeu « normal » du processus d’orientation en autolimitant les ambitions des projets des élèves et « tirent vers le bas » la demande de formation des élèves ruraux montagnards ayant réussi à s’affranchir des « pesanteurs » locales (dont témoigne la « pusillanimité » de leurs parents en matière d’orientation).
- D’autre part, une faible capacité à se projeter « loin » de l’horizon temporel immédiat qui rend beaucoup plus difficile la construction de projets d’orientation « ambitieux » qui requièrent de se développer a minima sur le moyen terme.
5Ces deux phénomènes mis en évidence par l’analyse statistique des bases « montagne » OER 2004 et 2005, qui se manifestent conjointement14, se conjuguent aux effets « restrictifs » d’un enclavement géographique souvent important, d’un isolement culturel parfois fort, d’une offre de formation générale et professionnelle longue limitée ou lointaine, d’un nombre restreint d’emplois locaux de niveau « cadre », etc. pour rendre peu aisée l’élaboration de projets d’orientation impliquant des études longues.
6Il n’y a donc pas de séparation nette, dans l’impact du territoire rural-montagnard sur l’orientation, entre le poids des « infrastructures » éducatives, sociales et culturelles, souvent distantes et/ou éloignées, d’une part, et le poids des « mentalités », souvent peu ouvertes sur le « grand large » et l’« avenir lointain », d’autre part. Tout se passe en effet, dans la pratique, comme si les bons résultats scolaires observés avaient impérativement en zone rurale montagnarde « besoin », pour être « capitalisés » à plein en terme de projets d’orientation, que les élèves développent leurs capacités de mobilité géographique et de projection psychologique lointaines, et donc prennent conscience de la nécessité de « sortir », parfois, de l’ancrage temporel et territorial immédiat pour acquérir une qualification correspondant à leurs vœux.
Conclusion
7Ces « effets de territoires », caractéristiques de la scolarité rurale isolée montagnarde, sont également susceptibles d’expliquer une partie du même phénomène paradoxal relatif à l’orientation scolaire touchant le rural dans son ensemble, au-delà du seul rural isolé, phénomène que la prise en compte des seuls résultats scolaires ne prédit absolument pas. Mais il reste bien sûr à l’apprécier de façon « différentielle » selon les divers types de contextes ruraux15… Le territoire marque donc indéniablement de son empreinte les parcours scolaires au collège. Indiscutablement, dans l’espace montagnard et, vraisemblablement, au-delà, dans tout l’espace rural isolé, au moins, il « pèse » : positivement sur la réussite scolaire et négativement16 sur l’orientation.
Bibliographie
Bibliographie « expresse » (pour le détail voir la bibliographie générale en fin d’ouvrage)
CHAMPOLLION, P. (2005), Impact de la scolarisation en « zone de montagne » sur la réussite scolaire et l’orientation des élèves du CM2 jusqu’à la fin du collège, Thèse de doctorat, Université de Provence, Lille : ANRT, 310 p.
CHAMPOLLION, P. (2013). Les inégalités d’éducation et d’orientation d’origine territoriale. Collection Crise et anthropologie de la relation. L’Harmattan.
Notes de bas de page
1 ARRIGHI J.-J. (2004), « Les Jeunes dans l’espace rural : une entrée précoce sur le marché du travail ou une migration probable », Formation-Emploi, n° 87, Paris, page 15.
2 Qui correspondent aux « territorialités activées » dont parle M. VANIER (2007) dans Les Entretiens de la Cité des Territoires : « Territoires, Territorialités, Territorialisation : et après » ?, Grenoble, PUG.
3 D’autres « effets de contexte » territoriaux peuvent influer sur la scolarité : « découpages » administratifs (départements, régions), structures « composites » (« pays »), politiques éducatives locales (d’« établissement », de « circonscription »), politiques publiques nationales ou européennes spécifiques.
4 Sans doute s’agit-il, aux yeux des décideurs politiques, comme des enseignants en poste, de « compenser » par un équipement informatique « de pointe » et des pratiques pédagogiques « novatrices » les difficultés générées par l’enclavement géographique et l’isolement culturel et social.
5 Cf. le découpage de l’« espace à dominante rurale » en trois parts, « rural sous faible influence urbaine » (RSFIU), « pôles ruraux et leurs périphéries » (PR) et « rural isolé » (RI) présenté dans : CHAMPSAUR P. (dir.) (1998), Les Campagnes et leurs villes, Paris : INRA-INSEE.
6 La « zone de montagne », incluse dans l’espace rural, caractérise, grossièrement, la commune montagnarde comme « ayant plus de 80 % de son territoire à une altitude moyenne supérieure à 700 mètres ».
7 L’Observatoire de l’Ecole Rurale (OER) est une équipe de recherche pluridisciplinaire issue de 5 IUFM et de 2 universités français qui tente d’identifier les différents paramètres influant sur la réussite scolaire et l’orientation (<http://www.grenoble.iufm.fr/rural/>). Il a constitué, dans ce but, une base de données, forte de 12.000 questionnaires, reposant sur le suivi longitudinal individuel de 2.500 élèves ruraux interrogés, comme parents et établissements, à 4 reprises entre CM2 (1999) et fin de 2nde (2005), pour les élèves « à l’heure ».
8 Statistiquement parlant, rappelons-le, la demande d’études longues et générales est d’autant plus élevée que le niveau scolaire des élèves concernés est bon, notamment dans les matières générales.
9 Cf. CHAMPOLLION, P. (2006). « Effets de territoire, réussite scolaire et orientation en zone de montagne ». In L’Enseignement scolaire en milieu rural et montagnard, Tome 4, Parcours scolaires et constructions de projets au collège. Besançon : Presses universitaires franc-comtoises.
10 BOURDIEU, P. & PASSERON, C. (1970). La reproduction. Paris : Éditions de Minuit, notamment.
11 Cf. BRESSOUX, P. (1994). « Les Recherches sur les effets-écoles et les effets-maîtres », Revue Française de Pédagogie, n° 108.
12 MERIAUDEAU, R. (1980). « L’Enfant, l’école et la montagne ». In L’Enfant montagnard… son avenir ?, Revue de Géographie Alpine, n° hors série. Grenoble, pp. 69-125
13 Cf. Champollion, P. (2010). « La notion de territoire utilisée par l’Observatoire de l’Ecole Rurale ». In Alpe, Y., Champollion, P. & Poirey, J.-L. (coord.). L’Enseignement scolaire en milieu rural et montagnard, Tome 5, Après le collège. Besançon : Presses Universitaires Franc-Comtoises, pp. 59-65.
14 Cf., par exemple, CHAMPOLLION P. (2008). « La Territorialisation du processus d’orientation en milieux ruraux et montagnards : de l’impact du territoire à l’effet de territoire ». Éducation & formations, n° 77, L’Orientation.
15 C’est ce qui a été notamment vérifié par A. LEGARDEZ et P. CHAMPOLLION par des analyses qualitatives approfondies d’entretiens semi-directifs conduits auprès des élèves de la base OER du plateau ardéchois d’une part et de la haute vallée de l’Ubaye d’autre part : dans le premier cas, l’effet de territoire constaté était beaucoup plus intense qu’en moyenne et dans le second cas beaucoup plus faible (cf. Champollion, P. & Legardez, A. (2010). « Scolarisation en micro-territoires ruraux montagnards : les cas de la haute vallée de l’Ubaye et du plateau ardéchois ». In Alpe, Y, Champollion, P. & Poirey, J.-L. (coord.). L’Enseignement scolaire en milieu rural et montagnard, Tome 5, Après le collège. Besançon : Presses Universitaires Franc-Comtoises, pp. 91-96).
16 En ce qu’il restreint, rappelons-le, l’éventail des choix d’orientation aux formations les plus modestes et proches : il ne faut voir ici aucune « hiérarchie » entre études longues qui, bien souvent, en milieux ruraux et montagnards, « invitent » à quitter définitivement le territoire dont on est issu, faute d’emplois de niveau « élevé », et études courtes susceptibles d’« enfermer » dans leur territoire d’origine les jeunes ruraux !.
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L’enseignement scolaire en milieu rural et montagnard. Tome 6
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