Évolutions des paysages de moyennes montagnes depuis le xixe siècle : étude de la part climatique et anthropique par une approche multiarchives

Laurent Astrade, Françoise Allignol, Nicolas Jacob, Yves Perrette et Philippe Hanus

p. 265-275

Résumés

Une grande part des paysages actuels des moyennes montagnes porte la marque de la crise climatique dite du Petit Âge Glaciaire (XVe-XIXe s.). L’analyse des enregistrements fluviatiles et karstiques, croisée avec les données et archives historiques, a pour objet de retracer les dynamiques de ces milieux et d’étudier le rôle des facteurs climatiques et anthropiques sur l’évolution des paysages, en s’attachant à la question du couplage entre la fin du PAG et la déprise rurale dans le Haut Diois, les Cévennes et le Vercors.

Major present landscapes of middle mountain are showing the effects of the Little Ice Age crisis (XVth -XIXth century). The aim of this project is to reconstruct the dynamics in some environments (Haut Diois, Cévennes, Vercors) of mountain, thanks to a combination of historical and natural archives (historical archives, dendrochronology, lichenometry and speleothem analysis). The main purpose consists in a historical study of the role played by the combination of hydroclimatic fluctuations and land-use on torrential and fluvial activity.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier Jean-Paul Bravard (UMR 5600 laboratoire Environnement, Ville, Sociéte et Université Lyon 2) et Jean-Jacques Delannoy (Laboratoire Edytem et Université de Savoie) pour leurs travaux décisifs sur le Haut Diois oriental et sur le massif du Vercors.


Texte intégral

1Cette contribution correspond à un programme « Jeunes Chercheurs 2005 » de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) d’une durée de trois ans à compter de janvier 2006. C’est pourquoi l’objectif est avant tout de présenter le projet, en s’appuyant sur des résultats et des connaissances acquis par les différents participants, pour lesquels il est apparu pertinent de centrer une collaboration sur un objet éminemment géographique, les moteurs en action dans l’évolution des paysages.

1. Introduction

2Les paysages actuels des moyennes montagnes sont fortement marqués par le couplage, à l’échelle historique, entre les fluctuations du climat et l’emprise des sociétés sur leurs territoires. La crise du Petit Âge Glaciaire (PAG) a laissé de nombreuses traces sur l’environnement comme dans les mémoires humaines, en grande partie parce qu’elle a coïncidé avec les siècles où la pression anthropique sur les milieux montagnards a été la plus forte. Elle a marqué les vallées alpines et de piémont par des phénomènes géomorphologiques de grande ampleur qui se sont traduits par la propagation vers l’aval d’importantes masses sédimentaires déstabilisées au préalable sur les versants (érosion, phénomènes torrentiels, glissements…) (Bravard 2000, Jacob et al. 2005). Elle a permis l’activation de processus érosifs à grande échelle sur la retombée orientale du Massif central (Cévennes, Vivarais) puisque les arènes granitiques cévenoles ont renforcé la sédimentation camarguaise à partir de l’époque moderne (Arnaud-Fassetta 1998, Jacob 2003). Dans les moyennes montagnes calcaires, au contraire, les effets climatiques et anthropiques régionaux ont eu une incidence beaucoup plus localisée et peu durable sur les flux de sédiments détritiques et leur piégeage (Delannoy 1997, Perrette 2000a).

3Ce travail a pour objet la mise en évidence des moteurs anthropiques et climatiques de l’évolution historique des paysages. La question de la part respective des sociétés et du climat dans les évolutions de l’environnement à l’époque historique fut longtemps débattue. L’idée d’une combinaison et d’un renforcement mutuel des processus physiques et des actions anthropiques est désormais admise. C’est pourquoi le projet aborde la question par le biais du paysage, envisagé comme un géosystème, c’est-à-dire la résultante de l’interaction entre la société et le milieu, en s’attachant plus particulièrement à la chronologie du couplage entre la sortie de la crise du PAG et la déprise rurale, dans les moyennes montagnes (Haut Buëch-Diois, Cévennes, Vercors). Cette compréhension chronologique fine du comportement dynamique sera recherchée en particulier pour la période de la fin du PAG, l’hypothèse étant que les phases de rupture climatique (sortie de la crise climatique) et anthropique (déprise rurale, ouvrages de stabilisation des versants, reboisements, etc.) ont des effets plus marquants tant sur les changements hydrogéomorphologiques et leurs manifestations dans les paysages que sur leurs enregistrements par les indicateurs naturels.

1.1. La question de la fin du PAG et de la sortie de la crise climatique (fin XIXe - début XXe s.)

4Dans l’état actuel des connaissances, les données climatiques régionales autour des Alpes ne laissent apparaître aucune tendance très franche pour les températures ni, à un degré moindre, pour les précipitations. Par ailleurs, la température influe probablement peu sur la dynamique des systèmes de moyenne montagne car leur altitude ne permet pas de réactivation sensible des phénomènes périglaciaires. C’est pourquoi on se focalisera davantage sur des enregistreurs de paléo-précipitations. Les chroniques hydrologiques et météorologiques déjà reconstituées laissent envisager que les archives documentaires recèlent un potentiel très riche en matière de connaissance du climat et de la météorologie, permettant de se concentrer sur les précipitations d’été et d’automne (aux effets les mieux enregistrées) et sur les événements hydrologiques majeurs. Certaines séries de ce type ont été constituées (Llasat et al. 2001). Il semble possible de parvenir à une précision satisfaisante pour la période comprise entre le XVIIIe et le XXe s. Des informations climatiques et météorologiques de plusieurs ordres peuvent être ainsi collectées : d’une part, les fluctuations climatiques à une échelle décennale ou pluridécennale (périodes sèches ou plus humides) par le biais des mentions relatives aux crues ou aux orages et par les enregistrements par les cernes de croissance des arbres et les lamines de croissance des concrétions karstiques ; d’autre part, les traits caractéristiques des événements hydroclimatiques majeurs, notamment la saison d’occurrence, la fréquence saisonnière et la durée des épisodes pluvieux par les archives. Des enregistrements pluviométriques sont disponibles de manière plus systématique à partir de la fin du XIXe s.

1.2. Des moyennes montagnes anthropisées : Haut-Buëch et Haut-Diois, Cévennes, Vercors septentrional

5L’étude s’applique sur des hauts bassins versants de moyennes montagnes. Ces milieux présentent l’intérêt d’avoir été plus fortement anthropisés que les étages d’altitude supérieure, et les hauts bassins versants celui d’avoir une plus grande réactivité du milieu, autrement dit une relation plus directe entre les facteurs et les réponses morphologiques, que dans les grandes vallées où il y a atténuation des réponses et où les sous-bassins interfèrent. Trois milieux de moyennes montagnes ont été choisis : la région du Haut-Buëch et du Haut-Diois, les Cévennes vivaraises et le Vercors septentrional (Fig. 1). En effet, d’après des travaux préliminaires, les évolutions n’apparaissent pas synchrones d’une région à l’autre. Les effets du cadre morphostructural (Allée 1981, 1984 ; Jorda 1983), des pratiques anthropiques (Muxart et al. 1986, 1990), des rythmes météorologiques sur le comportement des bassins à la période étudiée doivent être précisés. Le premier site regroupe des hauts bassins du Grand Buëch, du Petit Buëch, et de certains affluents de rive droite de la Drôme à l’amont de Die, dont l’ensemble du bassin versant du Bèz. Cette région, sur substrat sédimentaire, se caractérise par des pentes raides et instables avec des couplages directs entre les versants et les très nombreux talwegs. Les phénomènes érosifs et le stockage alluvial en fond de vallée ont ainsi été considérables au PAG (Bravard 2000). À cela s’ajoute une intense anthropisation au XIXe s. (densité de population record, taux de boisement très faible), puis une forte déprise rurale depuis la deuxième moitié du XIXe s. et des travaux intenses entrepris par le Service de Restauration des Terrains de Montagne (RTM) à partir des années 1860 (aménagement des pentes et des torrents, reboisements). Cette région est une illustration remarquable de la modification radicale des paysages au début du XXe s., sur les versants (revégétalisation) comme dans les lits fluviaux (incision) (Allignol et al. 2007, Thévenet et al. 2003).

Fig. 1. Sites d’études : localisation et secteurs étudiés. -A- Haute Ardèche, -B- Vercors septentrional, -C- Haut-Diois

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6Le site des Cévennes vivaraises, de substrat cristallin ou métamorphique, regroupe principalement les hauts bassins du Chassezac, de la Drobie et du Lignon. Cette région a également connu une intense anthropisation au XIXe s. (population dense, pentes aménagées en terrasses, parcours ovin en altitude), puis une forte déprise rurale depuis la deuxième moitié du XIXe s. Dans ce secteur incomplètement connu du point de vue de la torrentialité historique par rapport au domaine alpin, la faiblesse du stockage alluvial au fond des vallées en gorge et les relations assez directes entre les versants et les lits offrent la possibilité d’étudier les rythmes de fourniture sédimentaire aux cours d’eau ; les premières études sur ces vallées montrent ainsi l’enregistrement dans les fonds alluviaux de phénomènes érosifs pendant le XIXe s. (exhaussement des lits) (Jacob 2003).

7Le site du Vercors septentrional, milieu karstique par excellence, aborde la problématique de l’évolution des paysages par le biais des liens, par la circulation de l’eau, entre la surface et la profondeur. L’activité anthropique dans le Vercors se caractérise par la juxtaposition d’espaces de monoactivités anciennes et diverses (pastoralisme, forêt, charbonnages antérieurs au XVIIe s.) reliés à de nombreuses cavités, et stalagmites, dont le Gouffre Berger, l’Antre de Vénus et Choranche (Perrette et al. 2002).

2. Des archives naturelles et historiques

8Plusieurs méthodes sont utilisées comme moyen de reconstitution chronologique de la modification des flux hydro-sédimentaires (enregistrements fluviatiles et karstiques), des évolutions des paysages et du couplage entre climat et anthropisation. Le croisement entre des archives de nature différente, archives documentaires et indicateurs naturels (dendrochronologie, lichénométrie, concrétions karstiques) doit permettre d’identifier des seuils de passage d’un équilibre dynamique à un autre avec une résolution chronologique assez fine. L’étude des marqueurs naturels permet des restitutions précises de dynamiques géomorphologiques et de fluctuations climatiques sur le pas de temps court. Les cernes de croissance des arbres, les thalles de certaines espèces de lichens ou les lamines de croissance des concrétions karstiques sont en effet des descripteurs naturels à haute résolution. Ils enregistrent, sur le pas de temps annuel, des informations stationnelles concernant la variabilité du climat, notamment celle des précipitations. Ils fournissent aussi des informations sur la dynamique du milieu (des événements hydroclimatiques ou des phénomènes géomorphologiques peuvent être datés indirectement par la détermination de l’âge des végétaux qui les colonisent). Enfin, l’extension spatiale de certaines formes (épandages torrentiels) ou de certains processus (glissements, écroulements) peut être reconstituée grâce à l’étude de la couverture végétale des versants ou des fonds de vallées.

9L’étude des archives historiques documentaires apporte des séries statistiques comme des pièces descriptives qui permettent de connaître l’évolution des pratiques et des sociétés ou d’identifier certains événements naturels. Les séries statistiques (recensements agricoles, démographiques) comme les cartes et cadastres permettent de caractériser le mode d’occupation du sol. Enfin, les documents iconographiques (cartes anciennes, photographies, observations de terrain) sont un moyen d’étude désormais classique de la dynamique des milieux et de son évolution sur une période pluriséculaire. La spatialisation des phénomènes décrits (élaboration de bases de données géographiques dans un Système d’Information Géographique, analyse spatiale) permet maintenant la reconstitution chronologique précise des modes d’occupation du sol et de leur évolution (Chapman et van de Noort 2001, Shoshany 2002, Bender et al. 2005).

10L’approche dendrogéomorphologique consiste à s’appuyer sur la dynamique des versants et sur les réponses fluviales comme descripteurs des changements survenus à l’échelle des bassins versants. La détermination de l’âge de la végétation arborée colonisant les versants et les formes alluviales permet de dater la recolonisation forestière spontanée, la stabilisation des versants et la fixation des paléo-formes torrentielles (terrasses alluviales, cônes de déjection) consécutive à l’incision des lits, et donc de reconstituer avec une bonne précision les étapes de la morphogenèse historique (Alestalo 1971, Heikkinen 1994, Astrade et Bégin 2003).

11La lichénométrie est avant tout une méthode de datation de formes détritiques. Elle consiste à déterminer l’âge des plus grands lichens qui colonisent la surface des dépôts grâce à une courbe de croissance préalablement établie. On considère que cet âge indique l’époque où a pris fin le remaniement d’une formation détritique. Cette technique de datation de la mise au jour de substrats a été principalement utilisée en géomorphologie glaciaire pour évaluer l’évolution longitudinale des glaciers en datant les vallums morainiques successifs. Depuis quelques années, plusieurs auteurs ont démontré que la lichénométrie peut servir autant à dater la mise en place d’unités alluviales qu’à estimer les conditions de leur remaniement (Macklin et al. 1992, Maas et al. 2001, Gob et al. 2003, Jacob et al. 2002). En l’occurrence, l’estimation de l’âge des unités alluviales (cônes de déjection, bancs alluviaux), utilisées aussi comme descripteurs des changements, permet la reconstitution chronologique du rythme des liens entre les versants et les lits.

12Enfin, les concrétions karstiques sont également utilisées comme enregistreurs des changements de l’environnement. Les stalagmites présentent une grande variabilité par l’effet différencié de filtre du karst. La croissance sédimentaire, la matière organique piégée, la structure optique cristalline, etc. sont autant d’indicateurs des variations des températures, des précipitations, de la couverture végétale et des activités humaines en surface (Baker et al. 1998, Perrette 2000b, Bertaux 2002, Paulsen et al. 2003, Kaufmann et Dreybrodt 2004). Cette sensibilité rend les archives stalagmitiques particulièrement pertinentes pour la reconstitution chronologique des évolutions du couvert végétal et de l’utilisation du sol et pour la différenciation de la part de l’homme et du climat dans les évolutions. Les méthodes d’imagerie laser et de comptage des lamines permettent de proposer des chronoréférences fiables pour les périodes récentes qui posent des problèmes techniques de datation.

13Toutes ces informations à la fois spatiales et temporelles sont d’un grand intérêt pour l’étude des dynamiques du milieu sur le laps de temps des derniers siècles. Toutefois, les marqueurs fournissent chacun des enregistrements qui ne se recoupent qu’imparfaitement. Cette démarche multiméthodes permet alors d’aborder une question méthodologique de premier ordre : le croisement d’informations environnementales aux résolutions chronologiques différentes.

3. Résultats préliminaires

3.1. XVIIe-XXe s. : des liens entre les actions anthropiques et la dynamique des milieux karstiques

14Les travaux menés sur le Vercors ont montré l’intérêt des stalagmites pour l’étude de l’impact anthropique sur l’environnement. Notamment, les mesures des qualités (indice spectroscopique de fluorescence) et des quantités de matière organique (intensité de fluorescence) piégées dans des stalagmites issues de trois réseaux du Vercors ont permis de montrer la différence entre les réponses de l’environnement selon les anciennes occupations du territoire. On constate en effet que l’indice de fluorescence (Perrette et al. 2005) lié à l’humification de la matière organique (Zsolnay 2003, Zsolnay et al. 1999) varie très nettement d’un site à l’autre (Fig. 2). Il est tentant de rapprocher cela des anciens modes d’occupations du territoire. En effet, le Vercors a connu dès le XVIIe s. une forte différenciation spatiale des usages des sols. Notamment, le plateau du Sornin (échantillon du gouffre Berger) a été très rapidement utilisé pour de la pâture ; le plateau des Coulmes (échantillon de Chevaline) a été intensément charbonné (activité proto-industrielle) alors que la forêt de Méaudre était jardinée pour du bois de charpente (navale).

15Afin de parvenir à une relation non ambiguë entre occupation des sols et enregistrements des stalagmites, des travaux de calibrations sont en cours dans trois directions : la mise en place d’une banque de signature spectrale permettant de mieux interpréter le signal mesuré dans les stalagmites, l’étude des modalités de transports de la matière organique depuis les sols vers les stalagmites, et celle des modalités de piégeage de cette MO au sein des stalagmites. Enfin, comme pour toute archive naturelle, nous devons également contraindre notre chronologie en couplant différentes méthodes comme par exemple des comptages de lamines et des datations isotopiques. Dans le cas de la figure 2, alors que la chronologie utilisée pour les échantillons du Berger et de Chevaline est bien contrainte (lamines plus plusieurs âges U/Th, TIMS et alpha), ce n’est pas le cas pour l’échantillon de l’Antre de Vénus qui n’est présenté ici qu’en illustration des différents enregistrements associés à la MO.

Fig. 2. Diversité des enregistrements de matière organique pour trois stalagmites du Vercors sur les 400 dernières années

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3.2. XIXe-XXe s. : une véritable métamorphose des paysages à l’échelle des bassins versant

16Dans le Haut Diois, si la forêt couvre l’essentiel du territoire aujourd’hui, il n’en a pas été de même dans un passé récent : le début du XIXe s. a sans doute connu l’apogée de la déforestation dans un contexte humain de très fort peuplement rural, ce qui a donné les conditions d’une intense érosion des versants et d’une torrentialité remarquable. De récents travaux réalisés dans le Haut Diois oriental se sont focalisés sur le comportement des hauts bassins pendant le XIXe s. (Bravard 2000, Thévenet et al. 2003). Ils ont montré que les fluctuations climatiques internes au PAG se sont traduites par des réponses géomorphologiques de pas de temps décennal ou inférieur, avec des périodes de crises sédimentaires (fin XVIIIe et moitié du XIXe s.) et des périodes d’accalmie. Les crises pluviométriques se sont manifestées sous la forme de laves torrentielles, d’aggradation des fonds de vallée, d’élargissement des bandes actives torrentielles. Le dépouillement des archives a permis de définir des séries de crues au XIXe s., bien datées, avec des effets géomorphologiques encore visibles sur le terrain (Bravard 2000).

17Une véritable métamorphose paysagère, reconstituée grâce à l’exploitation des documents d’archive a été démontrée, notamment sur le bassin des Combes (Allignol et Bravard soumis). Ce bassin versant de très petite taille (environ 5 km2) est situé au pied Jocou (2010 m), point culminant du Haut Diois oriental. Il a été choisi comme zone d’étude car les archives humaines ont révélé un épisode pluvieux catastrophique en août 1856, qui a donné naissance à une véritable lave torrentielle et à une déstabilisation des versants qui a perdurée 30 ans après l’évènement. L’absence de cohérence entre la surface du bassin et l’ampleur du phénomène, nous a conduits à retracer l’évolution de l’occupation des sols, avant et après 1856, en compilant les cartes historiques avec l’outil SIG (plan de masse par cultures de 1805, cadastre napoléonien de 1826, plan des pratiques culturales de 1982) afin de le replacer dans un contexte anthropique temporel dynamique. Pour la période plus récente, les missions de photos aériennes de l’IGN de 1970 et de 1991 ont été orthorectifiées, puis ont servi de base à la digitalisation de l’occupation des sols. Le croquis représente l’intégration des connaissances d’archives sur cette période et en ce lieu. Deux tendances majeures se dégagent : la disparition progressive des terres labourées qui sont aujourd’hui inexistantes et le développement des forêts (Fig. 3).

18La conjonction de plusieurs facteurs peut expliquer cette évolution. Tout d’abord, le milieu physique est important avec notamment de fortes pentes (pente moyenne 28,7°), une altitude moyenne élevée (1350 m), un substratum cultivable essentiellement sur marnes noires et des sources éparses, peu productives en été dans ce milieu karstique. Ensuite, la croissance naturelle de la population jusqu’en 1850 conduit les habitants à coloniser les versants de plus en plus haut (1500 m) et de plus en plus raides. L’exploitation des terres sur brûlis et le surpâturage mène à l’épuisement et à l’érosion des sols. Les terres labourées initialement bien représentées (1805) sont morcelées (1826, 1892), puis disparaissent (post 1892). L’exode rural est plus tardif que la diminution de la surface des terres labourées car les habitants se sont « accrochés » à leur exploitation le plus longtemps possible avant de se rendre « à la ville » pour travailler en usine. De plus, la catastrophe des Combes en 1856 et les mesures du RTM pour reboiser, stabiliser les pentes, ré-engazonner ont fortement perturbé le milieu et ses populations.

3.3. Fin XIXe- début XXe : le basculement vers un déstockage sédimentaire et une incision des lits

19Dans le Diois, l’étude des pins, qui ne colonisent les fonds alluviaux qu’à partir du moment où ils sont portés en position de basse terrasse par l’enfoncement du chenal, montre que les formes caillouteuses ne sont plus remaniées, à l’amont, dès la décennie 1870 (Fig. 4). À partir de cette date, le déficit en charge de fond était ainsi assez sensible pour que l’incision ait pu opérer. Cette observation s’accorde avec l’étude de la couverture forestière des versants : la dendrochronologie montre que la reconquête végétale commence à la même époque. Dans le bassin du Chassezac, une évolution similaire a été mise en évidence par datation lichénométrique des bancs caillouteux (Fig. 5). On observe en effet que l’incision commence à l’amont dès la dernière décennie du XIXe s. et qu’elle se propage à l’aval au cours des années suivantes pour atteindre la basse vallée dans les années 1930. Les vitesses de propagation de l’incision calculées sur des tronçons d’une dizaine de kilomètres sur la Borne et sur le Chassezac sont de l’ordre de 180 m/an pour le Haut-Diois et de 330 m/an pour les Cévennes.

Fig. 3. Évolution de l’occupation des sols du bassin versant des Combes de 1805 à 1990

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Fig. 4. Datation dendrochronologique de la stabilisation des terrasses et des versants dans le Haut-Diois

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20L’étude du comportement des versants et des torrents à proximité des têtes de bassins dans le Haut-Diois à la charnière du XIXe et du XXe s. laisse donc penser que le climat a été un facteur déterminant, intervenant avant les reboisements entamés à la fin du XIXe s. : d’une part l’enfoncement des lits fluviaux n’attend pas les interventions en raison d’une dominante climatique, d’autre part la stabilisation n’est pas définitivement acquise en 1950. Ceci permet en fin de compte de replacer les actions du service de Reboisement des Terrains de Montagne (RTM) dans leur contexte hydroclimatique pour mieux évaluer leur efficacité. Dans les Cévennes vivaraises une évolution concordante dans les grandes lignes avec le Diois a été établie (Jacob 2003) : la stabilisation progressive des versants dès les années 1875 a entraîné la fixation des chenaux puis l’incision des planchers caillouteux. Les masses alluviales en transit, bien que ne se renouvelant plus, ont encore alimenté pendant plusieurs décennies les lits vers l’aval. Les effets des grandes crues de la deuxième moitié du XIXe puis de l’accalmie hydrologique de 1875-1890 ont été ici déterminants bien que les pentes aient été particulièrement fragilisées après les années 1850- 1860 par une mise en valeur plus prédatrice dans les hautes vallées car la société traditionnelle avait été profondément déstabilisée par l’exode rural.

4. Perspectives

21Comme nous l’avons évoqué, ce travail vise à croiser et à affiner les connaissances établies par les membres du projet sur les moteurs anthropiques et climatiques de la dynamique des paysages. Ce projet évite dans une grande mesure l’écueil lié à l’acquisition complète de données et de connaissances sur un terrain ou une question qui seraient entièrement neufs. Le travail s’organise en deux temps, une phase d’acquisition de données complémentaires et une phase de mise en commun et de croisement, dont chacune ouvre des questionnements et des objectifs spécifiques. Ainsi, dans un premier temps, on s’attachera à caractériser le changement climatique de la fin du PAG, les modes de mise en valeur et leur évolution, les dynamiques consécutives des paysages et l’évolution de l’état de surface des bassins. On utilisera les marqueurs naturels afin de cerner les phases de l’activité des bassins versants et des lits fluviaux. Dans un deuxième temps sera abordée la question de l’évolution des paysages dans une perspective comparatiste. Le croisement des données acquises sur les périodes clés visera à restituer la succession, au cours du temps, des différents modes de fonctionnement des géosystèmes étudiés et des états paysagers associés. Les premiers travaux ont montré le caractère parfois asynchrone des évolutions d’une région à l’autre. Il s’agira alors d’en chercher les facteurs explicatifs. Ce sera l’occasion de mettre précisément en évidence la part prépondérante de tel ou tel facteur dans la dynamique des milieux (lithologie, détritisme, anthropisation, climat…).

Fig. 5. Datation lichénométrique de la stabilisation des bancs caillouteux dans les Cévennes

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Bibliographie

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