URL originale : https://books.openedition.org/pufc/35852

Introduction
p. 73-74
Texte intégral
1La décennie qui a suivi le changement de régime politique dans les pays d’Europe centrale et orientale a mis un terme définitif à une expérience collectiviste qui aura duré plus d’une trentaine d’années. Le passage de l’économie administrée à l’économie de marché et l’abandon de l’appropriation sociale de la terre et des moyens de production, ont ouvert la voie d’une sortie du système collectiviste, qualifiée de décollectivisation*. La rupture avec les fondements idéologiques qui sous-tendaient ce modèle agraire s’est traduite par la mise en œuvre de politiques de privatisation* de la terre et des moyens de production. Le retour au principe de propriété privée a suscité de vifs débats concernant les modalités d’attribution des droits de propriété. Les dispositifs juridiques adoptés ont été fonction du regard porté par ces sociétés sur une question agraire récurrente au cours d’une histoire mouvementée. En laissant ressurgir la mémoire d’une longue suite d’expropriations et de dépossessions dont les populations ont été victimes, les politiques de privatisation* ont réintroduit le passé dans le présent du changement de système. Dans des registres divers, la plupart des politiques de privatisation ont fait référence aux réformes agraires* du xxe siècle et aux évènements qui ont marqué la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis l’imposition du régime communiste en Europe de l’Est. Lors de l’adoption des lois encadrant les privatisations*, une forme de nostalgie réparatrice s’est largement exprimée, visant à restaurer un passé idéalisé, au seul motif qu’il était antérieur à un modèle collectiviste imposé par la force. Confrontés à des passés douloureux, les acteurs politiques et sociaux se sont détournés d’une démarche réflexive portant sur le choix d’un autre modèle agraire, un modèle résolument tourné vers le futur et ouvrant sur un projet de modernisation. Ce retour vers les situations du passé pour fonder les relations de propriété à la terre est directement à la source des problèmes de fragmentation foncière qui ont contraint la transformation structurelle en imposant de recomposer le couple propriété/exploitation sur de nouvelles bases. À partir de ce moment critique, une bifurcation s’est opérée qui a donné naissance à des trajectoires divergentes.
2Au lendemain de cette séquence initiale de privatisation* de la terre et des moyens de production, la transformation des agricultures post-collectivistes était loin d’être achevée et les nouvelles structures stabilisées. Reconnue dans son principe et ses valeurs, la propriété privée demandait à être consolidée par la création des institutions encadrant sa régulation et apportant les garanties de sécurité nécessaires. De tels changements ont requis d’autant plus de temps que l’on devait compter avec une rupture de plusieurs décennies s’agissant tant des principes qui fondent la propriété privée que des mécanismes qui garantissent son fonctionnement. Leur rétablissement appelait la définition du cadre juridique de la régulation, les règles fixant les droits de propriété* et d’usage relatifs au foncier agricole, les conditions d’acquisition, d’exploitation et de transmission des droits sur la terre. L’adoption, par chaque pays, de nouvelles lois pour régir le « faisceau de droits* et d’utilités* »1 sur la terre, les droits d’usage, de disposition et de transfert, a constitué une étape essentielle. Elle a été complétée par la mise en place de systèmes d’administration foncière2 à même de garantir la protection et la sécurité* des droits de propriété. Ces systèmes sont appelés à jouer un rôle essentiel dans l’encadrement des transactions foncières sur des marchés de l’achat-vente et de la location en émergence. Réguler, administrer, contrôler, telles sont les fonctions attendues des nouveaux dispositifs institutionnels. Dans la formulation des règles et des normes, comme dans l’édification des systèmes d’administration foncière et des modes de régulation des marchés fonciers, les États post-communistes étaient, en théorie, libres du choix de leurs sources d’inspiration. Ils pouvaient puiser dans leurs traditions nationales et les réactiver comme recourir à des solutions expérimentées par d’autres États européens. En raison de la préparation de l’adhésion à l’UE, les référentiels forgés par les politiques européennes ne pouvaient manquer d’exercer une série de contraintes normatives sur le processus d’édification des institutions encadrant et régulant les régimes fonciers des pays candidats.
Notes de bas de page
1 Utilité : terme juridique qui résume tous les objectifs qu’on peut réaliser avec et par la propriété d’une terre. Cela recouvre trois catégories, l’usus, le fructus et l’abusus.
2 Il s’agit d’organisations telles que les agences et les offices fonciers, les services du cadastre et du registre foncier, etc.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Terre et propriété à l’est de l’Europe depuis 1990
Ce livre est cité par
- Lompech, Michel. (2021) Who Owns the Mountain? The Trajectory of Collective Ownership in Slovakia. Revue de géographie alpine. DOI: 10.4000/rga.8121
- Lompech, Michel. (2021) À qui appartient la montagne ? Trajectoires de la propriété collective en Slovaquie. Revue de géographie alpine. DOI: 10.4000/rga.8086
Terre et propriété à l’est de l’Europe depuis 1990
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://freemium.openedition.org/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3