1En 2006, de nombreuses manifestations, colloques ou expositions, ont été organisées pour célébrer le bicentenaire de la mort de Claude Nicolas Ledoux (1736-1806). En Franche-Comté où l’architecte a édifié deux de ses œuvres les plus fameuses, la Saline d’Arc-et-Senans (inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO) et le théâtre de Besançon, la célébration, orchestrée par le Conseil général du Doubs, a pris un relief tout particulier. Comment, de son côté, la Maison des Sciences de l’Homme et de l’Environnement C. N. Ledoux ne se serait-elle pas associée, sur le terrain qui est le sien, celui de la recherche interdisciplinaire, à cet hommage rendu à son héros éponyme ? C’est pourquoi, les 25, 26 et 27 octobre 2006, nous avons convié dans les murs mêmes de la Saline royale, une vingtaine de chercheurs appartenant à un large éventail de disciplines – architecture, urbanisme, histoire, histoire de l’art, philosophie et anthropologie – à s’interroger sur la signification de l’œuvre de Ledoux, ses enjeux et ses prolongements.

2Ledoux, on le sait bien, appartient à plusieurs généalogies intellectuelles qui en font un personnage particulièrement intéressant, bien qu’il ne soit pas le seul de son genre dans une époque qui compta beaucoup de personnalités remarquables. À travers lui, ce sont des questions aussi variées que l’histoire de l’architecture, le courant utopique et l’approfondissement du projet régénérateur des Lumières qui sont en jeu. Il a de plus été conduit à œuvrer dans une région, la Franche-Comté, riche en passé industriel (le sel), et qui s’est avérée un véritable carrefour de l’utopie et du socialisme, puisque, dans un faible rayon autour de la Saline, on ne trouve pas moins que Fourier, Proudhon, à Besançon, Victor Considerant à Salins, mais aussi Cabet à Dijon, sans compter le phalanstère de Citeaux !

3Le lecteur trouvera dans ce volume une sélection raisonnée des communications présentées au colloque d’octobre 2006. Elles sont l’œuvre de spécialistes confirmés de Ledoux comme de jeunes chercheurs, à la fois français et étrangers, car il nous a paru indispensable de rendre compte de la dimension internationale de la recherche sur la question. Tous ont eu à cœur de présenter des recherches inédites qui ont souvent la saveur de l’archive. Le lecteur ne manquera pas de relever les divergences d’interprétation entre les intervenants, mais ne sont-elles pas le lot de la recherche vivante ? Pour notre part, nous n’avons pas cru bon de les lisser pour créer une unanimité de façade car nous sommes persuadés qu’elles sont de nature à alimenter la réflexion. Les communications que nous avons réunies abordent les problématiques qui ont nourri les travaux du colloque sous des angles multiples, incitant du même coup le lecteur à circuler entre les objets (l’architecture, l’utopie, la production industrielle, la prison, les jardins, la ville idéale, l’expérimentation sociale…), les périodes (des Lumières à la fin du XX^e siècle) et les espaces (Italie, Espagne, Grande-Bretagne, Turquie, Amérique espagnole, France…).

4Le volume s’articule en trois parties. La première rassemble des études consacrées à Ledoux lui-même, comme écrivain et architecte, la réflexion s’organisant bien sûr à partir du livre rétrospectif et incomplet (sur les cinq volumes annoncés, seul le premier est paru) qu’il a publié en 1804 sous le titre L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation. Il s’agissait d’en retrouver le texte dans toute son étrangeté – ne combine-t-il pas dans un style souvent obscur description architecturale, théorie esthétique, récit utopique et observation sociale ? – par delà les interprétations accumulées depuis deux siècles par la tradition savante, de confronter l’œuvre écrite et l’œuvre bâtie, et de démêler les liens complexes qu’elles entretiennent en analysant quelques unes de ses réalisations majeures, à commencer bien sûr par la Saline d’Arc-et-Senans. La seconde, en étudiant les influences, les concurrences et les héritages, s’efforce de replacer Ledoux dans son contexte sans toutefois le limiter à l’horizon national. Enfin, la troisième élargit le propos en s’intéressant aux architectures des villes idéales – imaginaires ou réalisées – du XVIII^e au XX^e siècles, afin de questionner la notion même de ville idéale, de déchiffrer les échanges entre architecture et utopie, de réfléchir sur les rapports entre théorie, urbanisme concret et pratiques architecturales, et de situer l’œuvre de Ledoux dans une perspective de plus long terme.

5Nous tenons à remercier, pour finir, les institutions et les personnes qui nous ont apporté leur aide ou leur soutien. Le Conseil général du Doubs qui l’a accueilli à la Saline, et la Direction régionale des affaires culturelles de Franche-Comté qui lui a accordé le label « célébration nationale en région », ont rendu le colloque possible en le soutenant financièrement. Nous devons une gratitude toute particulière aux membres du conseil scientifique – Thomas Bouchet (Université de Bourgogne), Claudine Cartier (Inspection générale des Musées), Angelo Colombo (Université de Franche-Comté), Gracia Dorel-Ferré (Centre Malher de l’Université de Paris 1), Frédéric Moret (Université de Marne-la-Vallée), Daniel Rabreau (Université de Paris 1), Thierry Pacquot (Institut d’urbanisme de l’Université de Paris 12), Mercé Renom (Centre d’histoire contemporaine de Catalogne), Michèle Riot-Sarcey (Université de Paris 8), Anthony Vidler (Ecole d’architecture de New York) – qui ont éclairé nos choix, mais n’en sont pas responsables. Enfin, nous tenons à dire toute notre amicale reconnaissance à la petite équipe de la MSHE qui nous a accompagnés dans cette aventure : elle fut, comme toujours, efficace, et le colloque comme le livre lui doivent beaucoup.