1. Introduction
p. 9-13
Texte intégral
1Ce volume rassemble les textes des communications qui ont été présentées au colloque « La Franche-Comté et les anciens Pays-Bas », organisé à Vesoul et à Tournai en octobre 2006, et centré sur les aspects politiques, diplomatiques, religieux et artistiques. Un second volume devrait réunir les actes d’un autre colloque en préparation sur les aspects militaires, démographiques et économiques.
2L’ensemble constitué par les résultats de recherches exposées ici renouvelle profondément l’historiographie. Lucien Febvre lui-même n’écrivait-il pas : « Ainsi, c’était un lien fort lâche qui unissait la Comté aux Pays-Bas. Ou plutôt, aucun lien n’unissait ces deux pays » (Febvre, 1912, p. 68). Tout indique désormais le contraire, comme l’avait bien perçu, en 1999, Hugo De Schepper (p. 301-331).
3Notre colloque avait pour objectif d’étudier ces liens entre la Franche-Comté et les anciens Pays-Bas, sur une longue durée allant depuis le mariage d’Othon et de Mahaut d’Artois (1285) jusqu’au traité de Nimègue (1678). Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre des travaux du groupe de recherche sur la dynastie des Chifflet. Il prolongeait les quatre journées d’étude déjà organisées, à Besançon et à Saint-Claude (Delobette et Delsalle, 2007).
4 Dans la première moitié du XVIIe siècle, Jean-Jacques Chifflet, dont la réputation d’excellence a déjà fait le tour de l’Europe, est nommé médecin de l’archiduchesse infante Isabelle-Claire-Eugénie ; ses amis de Bruxelles le pressent de la sorte :
Le moment est venu pour toi de transporter ta famille en Belgique [il dit bien en Belgique !] et de jouir d’une dignité aussi insigne ; amène ici ta très douce épouse, tes enfants, tes livres : ainsi seulement tu seras tout nôtre (de Vregille, 2007, p. 113-134)1.
5Dès lors, les Chifflet organisent en un véritable réseau l’ensemble des savants avec lesquels ils correspondent et coopèrent, partout en Europe mais particulièrement dans les anciens Pays-Bas. Ce réseau participe lui-même d’un système plus vaste, qui fait interagir et qui relie de façon très étroite ces territoires discontinus. Ce sont ces relations, d’où naît une certaine solidarité, sinon une culture et une civilisation commune, que ce colloque s’emploie à étudier.
6Pourquoi l’avoir organisé dans deux villes très éloignées l’une de l’autre, à Vesoul et à Tournai ? Pour Vesoul, une des réponses se trouve dans un manuscrit du fonds de l’Académie de Besançon. Il s’agit d’une Histoire de Vesoul écrite par Dom Coudret, en 1768, dans laquelle nous relève ceci :
La ville de Vesoul réunit tous les avantages qui peuvent rendre un séjour agréable, sa situation, la douceur de son climat, des fontaines, le concours de deux rivières, la fertilité de son terroir varié par la production de toutes les choses nécessaires à la vie, et par ce qui peut flatter le coup d’œuil la mettent dans la classe de ces lieux ou l’on peut allier les délices de la campagne avec les agréments de la bonne compagnie (Dom Coudret, 1768).
7L’ami et secrétaire d’Érasme, Gilbert Cousin, écrit de son côté un siècle plus tôt, « qu’il ne faut pas compter [Vesoul] parmi les dernières villes, qu’il s’agisse de la vie publique ou de la vie privée [car] elle a de très fortes murailles et des maisons magnifiques, et son sol produit le vin ». En outre, Vesoul « est pleine d’hommes remarquables par l’exemple de leurs mœurs ou par leurs connaissances littéraires et par l’abondante fécondité de leur esprit » (Cousin, 2000, p. 203-204). Le choix de Vesoul se justifie pour d’autres raisons. La ville est parfaitement située sur la route des Flandres. Elle est aussi la patrie de Simon Renard, ambassadeur de Charles Quint (Tredon, 1881, p. 107-376 ; Febvre, 1912, p. 141 sqq. ; Van Durme, 1983, p. 15 ; Lunitz, 1999, p. 205-217). Son hôtel particulier subsiste, situé au n° 14 de la rue des Boucheries.
8Après une première journée de travail à Vesoul et une autre journée en autocar sur la route des Flandres, nous avons poursuivi nos travaux à Tournai. Là encore, le choix de cette belle ville wallonne peut se justifier, à l’aide de trois personnages.
9Dans son dernier ouvrage, La Maison-Dieu, une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Dominique Iognat-Prat, évoque la figure de Jean Chevrot qui fut évêque de Tournai (1437-1460)2 (Nys, 2004, p. 293-335). C’est lui qui a commandé à Roger Van der Weyden le triptyque des Sept Sacrements, actuellement conservé à Anvers. Or, Jean Chevrot était originaire de Poligny. Quand on pénètre dans la magnifique collégiale Saint-Hippolyte, on y est accueilli par sa statue monumentale. À cet endroit, il avait fondé une chapelle dite de Tournai, alors célèbre pour la dévotion au Saint Sacrement.
10Deuxième exemple, profane celui-ci. Ferry de Guyon était un soldat, originaire de Bletterans ou de L’Étoile, aux confins de la Bresse et de la Franche-Comté, qui se mit au service de Charles Quint puis de Philippe II. Il participa à la bataille de Pavie, au sac de Rome, et, non loin d’ici, aux sièges de Thérouanne et de Saint-Quentin. Passant un jour près de Valenciennes, il eut l’occasion de goûter une sorte de cervoise, boisson inconnue de lui, Comtois n’appréciant que les vins du Jura. La bière ne lui soutira qu’une grimace ! Toutefois, il décida de s’installer en Flandre, devint bailli d’Anchin et de Péquencourt. Là, il déploya une grande énergie à pourchasser et à trucider les Huguenots. Il mit sa compagnie militaire au service du duc d’Albe et de Floris de Montmorency qui n’était autre que le gouverneur et grand bailli de Tournai. En fait, Ferry de Guyon est connu pour une seule et simple raison : il écrivit ses Mémoires qui, un siècle plus tard, en 1664 furent publiés à Tournai (Preneel et Delsalle, 2007, p. 183-191).
11Notre troisième et dernier personnage est, tout naturellement, un membre de la dynastie Chifflet. Le 27 mai 1653, un ouvrier maçon sourd et muet, nommé Adrien Quinquin, découvrit à Tournai, près de l’église Saint-Brice, une sépulture pleine d’orfèvrerie. Le fils de Jean-Jacques Chifflet, qui habitait alors à Tournai, s’empressa d’expédier à son père, Jean-Jacques, déjà célèbre pour son érudition, qui publia les résultats de cette trouvaille, chez Plantin à Anvers. Une inscription gravée sur une bague avait révélé qu’il s’agissait de la tombe de Childéric, le père de Clovis. La publication de Jean-Jacques Chifflet pose un jalon majeur dans l’histoire de la naissance d’une nouvelle discipline : l’archéologie. Voilà donc trois exemples, sacrés et profanes, de ces liens étroits entre Tournai (et donc des anciens Pays-Bas) et la Franche-Comté.
12Nous avons retenu vingt et une communications, qui éclairent de façon très variée les influences et les échanges politiques, diplomatiques, artistiques et religieux, entre les pays « de par-delà » et les pays « de par-deçà »3. Nous avons volontairement laissé de côté, pour le second colloque, les aspects militaires, démographiques et économiques, suffisamment nombreux et variés pour susciter une approche spécifique.
Bibliographie
Bibliographie
Cousin G., 2000, La Franche-Comté au milieu du XVIe siècle, Lons-le-Saunier, Arts et littérature, p. 203-204.
De Schepper H., 2000, « La Franche-Comté, Besançon et les Pays-Bas à la fin du XVIe siècle. Un lien faible ? », in Delsalle P. (éd.), Les enclaves territoriales aux Temps Modernes, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, p. 301-331.
Delobette L. et Delsalle P. (éds), 2007, Autour des Chifflet : aux origines de l’érudition en Franche-Comté, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté.
Dom Coudret, 1768, Histoire de Vesoul, Besançon, Bibliothèque d’étude et de conservation, fonds de l’Académie de Besançon, concours de 1768, f° 64 v°.
Febvre L., 1912, Philippe II et la Franche-Comté, étude d’histoire politique, religieuse et sociale, Paris, Champion.
Froissard J., 1886, « Livre de raison de la famille de Froissard-Broissia de 1532 à 1701 », Mémoires de la Société d’Émulation du Jura, p. 49-51.
Gauthier J., 1889, « Notes iconographiques sur les pèlerinages franccomtois, XVIe-XVIIe siècles », Mémoires de l’Académie de Besançon, p. 170-200.
Guyon F. (de), 1664, Les mémoires non encore veues du Sieur Fery de Guyon, escuyer, bailly general d’Anchin, Pesquancour, etc. contenantes les batailles, sieges de ville, rencontres, escarmouces, où il s’est trouvé, tant en Affrique, qu’en l’Europe, pour l’Empereur Charles IV et Philippe II, Roy d’Espaigne, son fils de glorieuse memoire, Tournai, De l’imprimerie de la Veuve Adrien Quinque à l’enseigne de Saint Pierre et Saint Paul.
Lunitz M., 1999, « La pratique diplomatique au XVIe siècle : les envoyés permanents de Charles Quint en France », in Schnerb B. (éd.), Arras et la diplomatie européenne, XVe-XVIe siècles, Arras, Artois Presses Université, p. 205-217.
Nys L., 2004, « Le retable des Sept Sacrements du musée des Beaux-Arts d’Anvers : Tournai ou Poligny ?... Tournai et Poligny ! », in Maillard-Luypaert et Cauchiesj.-M. (éds), De Pise à Trente : la réforme de l’Église en gestation. Regards croisés entre Escaut et Meuse, Centre de recherches en histoire du droit et des institutions, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, p. 293-335.
Preneel A. et Delsalle P., 2007, Hommes d’armes et gens de guerre, du Moyen Âge au XVIIe siècle. Franche-Comté de Bourgogne et comté de Montbéliard, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté.
Tredon S. R., 1881, « Simon Renard, ses ambassades, ses négociations, sa lutte avec le cardinal de Granvelle », Mémoires de la Société d’Émulation du Doubs, p. 107-376.
Van Durme M., 1983, « Simon Renard, diplomaat en raadsheer », Nationaal biografisch woordenboek, n° 10, Bruxelles, Koninklijke Academiën van België, p. 15.
Vregille B. (de), « Le Vesontio de Jean-Jacques Chifflet (1618) : histoire d’une ’Histoire’ », in Delobette L. et Delsalle P. (éds), Autour des Chifflet : aux origines de l’érudition en Franche-Comté, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, p. 113-134.
Notes de bas de page
1 Le document date de 1623, environ. En général, on parle plutôt des Pays-Bas, comme le montre le livre de raison de Jean Froissard : « Farnèse me commandoit passer ès Païs-bas pour l’estat de Conseillier au conseil privé », ou des Flandres : « mon frère, qui pour lors estoit en chemin de Flandre » (Froissard, 1886, p. 49-51).
2 Deux autres évêques de Tournai sont originaires de Franche-Comté : Jean Theurot, administrateur du prieuré de Vaux-sur-Poligny, en 1455 (Bibliothèque nationale, Ms. fonds latin, 9129, n° 76) et Philippe d’Arbois.
3 Précisons au passage que les images pieuses distribuées à Saint-Claude étaient imprimées en Flandre (Guillaume Antguers, en 1626 ; Gauthier, 1889, p. 170-200).
Auteurs
Maître de conférences en histoire moderne, Habilité à diriger les recherches, à l’Université de Franche-Comté (Besançon).
Maître de conférences en histoire médiévale à l’Université de Franche-Comté (Besançon).
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