Dompter Prométhée
|2. Le machinisme comme réponse à la question sociale : Robert Owen et l’expérience de New Lanark
Texte intégral
- 1 Berg Maxine, 1980, The Machinery Question and the Making of Political Economy (1815- 1848), Cambrid (...)
- 2 Claeys Gregory, 1987, Machinery, Money and the Millennium : from Moral Economy to Socialism 1815-18 (...)
1Dans les années 1825-1840, le socialisme britannique se fédère autour de Robert Owen (1771-1858). Dès la fin du XVIIIe siècle, celui-ci avait engagé une réflexion critique autour de la question du machinisme. À l’instar de nombreux penseurs européens de l’époque, Owen s’interroge sur « les sources du progrès technique, et sur l’impact potentiel de celui-ci sur l’ensemble de l’économie et de la société »1. Il intervient dans ce débat en sa qualité d’industriel, qui fait de lui un témoin privilégié des vicissitudes comme des potentialités de l’expansion technologique2. S’inquiétant du lien observé entre machinisme et paupérisme, il dresse un état des lieux d’autant plus paradoxal que l’industrie moderne produit une abondance jusqu’alors inégalée. À l’instar des autres socialistes, il n’en proclame pas moins le rôle central d’un machinisme humanisé comme moteur du progrès économique et social. À condition de placer la technologie au service de l’homme – à rebours, donc, des pratiques en vogue – l’esprit de spéculation et de concurrence à présent dominant laisserait la place à une économie coopérative où le travail productif serait reconnu à sa juste valeur. Face à la crise que connaît la Grande-Bretagne au lendemain des Guerres napoléoniennes, cette critique du machinisme se radicalise pour aboutir vers 1820 à l’énoncé de l’une des premières doctrines socialistes de l’histoire : Owen prône désormais la refonte totale de la société sur un mode communautariste, seule forme d’organisation sociale apte selon lui à porter son idéal de coopération économique et politique.
2L’historiographie britannique a largement traité du lien entre le socialisme d’Owen et sa théorie du machinisme. Maxine Berg et Gregory Claeys ont ainsi montré la façon dont le changement technologique est perçu à la fois comme le premier agent de destruction du monde contemporain et l’instrument central de sa régénération annoncée. Nous souhaitons apporter un éclairage sur cette perception dialectique des techniques à travers l’expérience de New Lanark. En 1800, Owen prend la suite de son beau-père David Dale à la tête de ce village ouvrier textile, bâti en 1785 au sud-est de Glasgow. Jusqu’en 1825, date à laquelle il se consacre pleinement à ses activités politiques, il fait de la localité le terrain d’expérimentation privilégié de sa doctrine en formation.
3Bien que remarqué, le rôle de New Lanark dans l’élaboration du socialisme d’Owen, et dans son rapport au machinisme en particulier, n’a pas fait l’objet d’une étude systématique, alors même qu’Owen ne cesse de proclamer l’importance décisive de ses vingt-cinq années passées à la tête de l’entreprise. En effet, ses réflexions sur le changement technologique se traduisent par une attention portée à la matérialité de l’industrialisation, sur le fond comme sur la forme : homme de terrain méprisant les spéculateurs, Owen entend produire une pensée non seulement ancrée dans son temps, mais de surcroît validée par les données de l’expérience. En accord avec cette volonté de proposer un ensemble de solutions sociales concrètes, il crée à New Lanark un ensemble de dispositifs destinés à élever la condition ouvrière, et notamment à repenser le rapport de la main-d’œuvre à la machine.
4Il s’agira donc d’évaluer la part et la portée de l’expérience de New Lanark en lien avec l’apport d’Owen à la question du machinisme. Nous examinerons dans un premier temps la genèse de sa pensée dans le contexte de la révolution industrielle naissante, pour nous pencher ensuite sur la dialectique de la réforme et de l’expérimentation en place au sein du village ouvrier. Outre la place des techniques et des dispositifs matériels en son sein, nous nous livrerons à une analyse des réceptions de l’expérience auprès du grand public comme de la main-d’œuvre, afin de déceler les liens et décalages entre théorie et pratique.
I. Owen et la question du machinisme : de la philanthropie au socialisme
- 3 Chaloner William Henry, 1954 (septembre), « Robert Owen, Peter Drinkwater and the Early Factory Sys (...)
- 4 Harrison John Fletcher, 1969, Owen and the Owenites in Britain and America : the Quest for the New (...)
5Fils d’un sellier du pays de Galles, Owen est placé à l’âge de dix ans en apprentissage dans un secteur textile alors en pleine expansion. Au cours des années 1780-1790, il gravit les échelons de la profession. En 1792, il est nommé sous-directeur de l’une des plus importantes filatures de Manchester, avant de s’installer à son compte et de prendre la tête de New Lanark le 1er janvier 18003. Ce parcours de self-made-man, qui fait de lui un témoin direct des bouleversements socioéconomiques de son temps, a joué un rôle fondamental dans son intérêt précoce pour la question du machinisme4.
- 5 Colquhoun Patrick, 1814, A Treatise on the Wealth, Power, and Resources, of the British Empire in E (...)
- 6 Là encore, l’existence et l’étendue d’une potentielle influence intellectuelle sont difficiles à év (...)
- 7 Anonyme, 1805, Proceedings of the Manchester Board of Health, Manchester, R. Russell.
6Les années 1790 correspondent à une phase de maturation de sa doctrine, en amont de la publication de ses premiers textes majeurs entre 1812 et 1820. Dès cette époque, il s’engage dans le débat qui divise les élites nationales sur les effets de l’industrialisation et du changement technologique. Ses écrits ne mentionnent guère d’influences intellectuelles ou de lectures formatives, hormis une admiration pour les travaux du magistrat et philanthrope écossais Patrick Colquhoun, qui dresse en 1814 une analyse statistique des transformations radicales qu’engendre l’industrialisation croissante, la montée du paupérisme en particulier5. Une certitude cependant, Owen est pleinement actif dans les milieux philanthropiques et réformistes de l’époque. Membre de plusieurs sociétés savantes à Manchester et à Glasgow depuis les années 1790, il fréquente nombre d’intellectuels londoniens lors de ses déplacements pour affaires dans la capitale. Son cercle de connaissances inclut ainsi William Godwin, James Mill, le radical Francis Place ainsi que Jeremy Bentham, qui devient par ailleurs l’un des associés de New Lanark en 18146. En 1796, il devient également l’un des premiers bailleurs de fonds de la Manchester Board of Health, association fondée par un groupe de médecins et de philanthropes dans le but d’améliorer les conditions sanitaires et sociales des classes laborieuses, à l’usine comme au sein des quartiers ouvriers7.
- 8 Innes Joanna, 2002, « Origins of the Factory Acts : the Health and Morals of Apprentices Act, 1802 (...)
7Owen fait donc écho à un esprit activiste qui se développe à la fin du XVIIIe siècle face à l’imminence ressentie de ces bouleversements sociaux, et à la nécessité d’y apporter un ensemble de solutions concrètes8. Rendu public avec la parution de A New View of Society entre 1812 et 1816, son apport à la question du machinisme naît d’un constat paradoxal. Appliqué aux nouveaux moyens de production industrielle, le progrès technologique devrait en théorie assurer l’abondance des nations et l’amélioration conjointe de la condition humaine. Une observation minutieuse des réalités sociales fait cependant mentir cet espoir :
- 10 Owen Robert, New View, op. cit., p. 121-122.
- 11 Ibid., p. 98.
- 12 O’Brien Patrick K., 1989, « The Impact of the Revolutionary and Napoleonic Wars on the Long-run Gro (...)
8Loin d’assurer une redistribution équitable des bénéfices au service de l’intérêt général, l’organisation présente du système industriel engendre un esprit d’accumulation et de compétition égoïste dont les classes laborieuses sont les premières victimes, alors même que les États tirent principalement leur richesse du fruit de leur travail10. Selon Owen, cette gestion irrationnelle du changement technique comporte deux dangers principaux. Non contente de produire une condition ouvrière misérable, où l’individu se voit réduit au rang de simple machine à travailler soumise aux impératifs de rentabilité, elle fait également poindre la menace du chaos social. En consacrant le règne de l’individualisme, l’industrialisation croissante accentue les clivages et fossés entre les classes, sources de conflits et de misère humaine selon Owen11. Cette conception critique du machinisme se voit renforcée à partir de 1815, lors de la crise qui frappe la Grande-Bretagne après la fin des Guerres napoléoniennes. Le retour au pays de plusieurs milliers de soldats démobilisés et la baisse de la demande encouragée par l’effort de guerre se traduisent par une vague de chômage sans précédent, et la montée des tensions sociales12. Face à ce constat, Owen souhaite réconcilier le progrès économique à un esprit de communauté et de coopération qui fonde selon lui l’ordre naturel des choses, au risque de voir ce lien organique ancestral se dissoudre dans l’aliénation générale.
- 13 Miliband Ralph, 1954, « The Politics of Robert Owen », Journal of the History of Ideas, vol. XV, p. (...)
- 14 Cobbett William, 1980, Advice to Young Men, Oxford, Oxford University Press ; Claeys Gregory, Machi (...)
- 15 Owen Robert, 1840, The Book of the New Moral World, Glasgow, H. Robinson & Co, vol. VII, p. 1012 ; (...)
9Cette perception des dégâts du machinisme place en partie Owen du côté des Tories, avec qui il partage une aversion pour toute action révolutionnaire, ainsi qu’une perspective paternaliste des modalités de l’action sociale13. Il défend cependant aux côtés des radicaux une conception relativiste de la pauvreté, fruit d’une conjoncture sociale malheureuse et non signe d’une nature morale inférieure. A contrario, il refuse l’idée d’un retour à une société préindustrielle que défendent nombre de conservateurs, pour y voir une manœuvre contraire au progrès des nations. Il s’oppose en outre à certains radicaux qui, à l’instar de William Cobbett, voient dans la machine le principal dispositif d’exploitation de l’homme14. Pour le dirigeant de New Lanark, le changement technique n’est pas dommageable en soi, uniquement dans son usage présent. Plus encore, à condition d’être soumis à un impératif de coopération et de juste rémunération du travail productif, le machinisme constitue le principal élément de réponse à la question sociale. À la fois poison et remède, il serait donc potentiellement en mesure d’élever définitivement la condition ouvrière, pour promettre à terme l’avènement d’une société d’harmonie, libérée du joug des tensions interclasses et du paupérisme15. En effet, la machine présente en elle-même de nombreux avantages, puisqu’elle permet de diminuer la durée et la pénibilité du travail, sans porter pour autant préjudice à la productivité et à la rentabilité des entreprises. Il convient donc de réconcilier la technique et l’homme au service de ce dernier : par devoir moral envers les principaux producteurs de richesse, et en vue d’assurer le bien commun.
- 16 Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. 162.
- 17 Owen Robert, « Letter to the Earl of Liverpool on the Employment of Children in Manufactories, 30 M (...)
- 18 Ward John T., 1971, « Robert Owen as Factory Reformer », in Butt John (dir.), Robert Owen, Prince o (...)
- 19 Harrison John Fletcher, op. cit., p. 12 ; Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. 162.
10Entre 1800 et 1825, ces réflexions donnent lieu à l’énoncé de diverses solutions sociales. Jusqu’aux années 1815, la pensée et l’action d’Owen demeurent circonscrites à la sphère philanthropique, sans pour autant sacrifier à leur charge critique16. Refusant le laisser-faire que prônent les tenants de l’économie politique classique, tels que Malthus ou Torrens, il souhaite faire entrer la question des machines dans le champ des prérogatives de l’État, à une époque où une partie de l’opinion y voit avant tout une affaire privée, du seul ressort des capitaines d’industrie17. En 1815, il rédige un projet de loi sur la réglementation du travail des enfants à l’usine, et propose une réduction des horaires de travail, ainsi qu’un programme d’instruction obligatoire. Devant la pression des milieux industriels, une version minimale du texte est adoptée en 181918. Ce camouflet ajouté au contexte social troublé des années 1815-1820, entraînent une radicalisation progressive de la pensée d’Owen, et la formulation de ses principes socialistes19.
- 20 On en dénombre une centaine environ, dont Lieut. Gen. Craufurd, 1817, Observations, Londres, Stockd (...)
- 21 Charlesworth Lorie, 2010, Welfare’s Forgotten Past. A Socio-Legal History of the Poor Law, New York (...)
- 22 Owen Robert, « Report to the Committee of the Association for the Relief of the Manufacturing and L (...)
- 23 Owen Robert, 1817, Address on Measures for the Immediate Relief of the Poor, Londres, J. Dennett ; (...)
11En Grande-Bretagne, l’après-Waterloo voit éclore une multitude de projets de réforme visant à résoudre la question du chômage de masse et de l’indigence20. Ceux-ci se concentrent le plus souvent sur la refonte d’un système d’assistance publique né à l’époque élisabéthaine (les Poor Laws), que la montée du paupérisme industriel frappe désormais d’obsolescence21. Owen participe pleinement à ce débat, mais se distingue des autres réformateurs qui, tels Thomas Spence, optent le plus souvent pour un idéal de retour à la terre, dans une perspective strictement agrarienne. Désireux comme Spence d’abolir à terme la propriété privée, Owen ne cesse cependant de voir en la machine l’élément-clé d’une réconciliation entre un ordre communautaire ancestral et l’essor du progrès technologique. À partir de 1817, il élabore un projet d’incitation des indigents au travail, au sein d’un réseau de communautés qu’il nomme « villages de la coopération ». Partagées entre activités agricoles et industrielles, ces institutions seraient en mesure de réaliser l’équilibre entre l’ancien et le nouveau monde, tout en assurant le plein développement des facultés humaines. Au terme d’une journée de travail allégée grâce à l’aide des machines, les résidents seraient libres de s’adonner au loisir et à l’éducation22. Loin de promouvoir l’inclusion des indigents dans un marché de l’emploi dérégulé, qui ne ferait qu’entériner l’identification des classes laborieuses à de simples machines à travailler, Owen s’appuie donc sur l’esprit ancestral de communauté pour encourager la sécurité et l’indépendance économique des pauvres. À terme, cette gestion humanisée de la machine devrait dégager d’importants bénéfices, pour le plus grand bien de l’économie nationale23.
- 24 William Cobbett affuble les villages de la coopération du sobriquet de « parallélogrammes pour pauv (...)
- 25 Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. xix.
- 26 Owen Robert, 1820, Report to the County of Lanark, Glasgow, Wardlaw & Cunninghame, p. 217.
- 27 Owen Robert, 1817 (30 juillet et 9 août), « Letters in the Newspapers », reproduit dans Owen Robert (...)
12Les villages de la coopération provoquent l’ire des conservateurs comme des radicaux, qui y voient respectivement un exemple d’utopisme et de despotisme éclairé24. Ces résistances ne font que conforter Owen dans ses positions. Au cours de l’été 1817, il étend la portée de son projet pour y inclure désormais l’ensemble de la société, conscient que ses opposants ne cesseraient jamais de le critiquer à moins de goûter aux joies du communautarisme25. La question du machinisme et de sa domestication ne constitue donc plus un simple élément de réponse à la question sociale, mais le point de départ d’une régénération totale de la société, grâce à la réorganisation des modes de production, de distribution des richesses et de gouvernement, le tout sur un mode coopératif. Usant d’une rhétorique messianique qui ne le quittera plus, Owen prévoit en août 1817 la conversion progressive et naturelle de l’humanité à sa doctrine, avant l’avènement d’un « Nouveau Monde moral », Ces vues se précisent trois ans plus tard au moment de la publication de son Report to the County of Lanark, qui pousse plus avant les implications d’un machinisme humanisé. Sur un plan économique, il prône l’abolition du standard-or pour indexer les salaires non plus sur la loi inégalitaire du marché, mais sur le temps de travail qu’engagent les producteurs, afin d’assurer une juste redistribution des richesses et un meilleur niveau de vie26. En vertu de ce nouveau mode de rémunération, les communautés pourraient atteindre à long terme l’autosuffisance économique, et mettre en commun la propriété et les moyens de production. La théorie du travail attractif joue donc un rôle de trait d’union entre la pensée économique et politique d’Owen : fruit d’un changement technologique mis au service du bien commun, l’idéal d’autosuffisance économique engendre celui de l’autodétermination politique. Une fois reconnue la supériorité économique et morale de son système, Owen prévoit la dissolution progressive des structures étatiques. Le monde serait alors composé d’une fédération de communautés gouvernées sur un mode collégial. En allégeant le temps de travail, la machine conduit donc à l’émancipation politique27.
II. L’exigence expérimentale
- 28 Owen Robert, New View of Society, op. cit., p. 12.
- 29 Cette affirmation programmatique forme le sous-titre de son Traité de la nature humaine. Simon Pier (...)
- 30 Claeys Gregory, 2001, « Utopianism », in McCalman Iain (dir.), An Oxford Companion to the Romantic (...)
- 31 Owen Robert, 1972, « A Catechism of the New View of Society and Three Addresses », [1817], in Owen (...)
- 32 Owen Robert, An Address to the Working Classes [1819], in Owen Robert, New View, op. cit., p. 241.
- 33 Owen Robert, New View of Society, op. cit., p. 11-12.
- 34 « […] whatever you see, or feel, or know to exist around you », Owen Robert, 1824 (2 janvier-2 juil (...)
- 35 Owen Robert, New View, op. cit., p. 11.
- 36 Owen Robert, New View, op. cit., p. 273 ; Owen Robert, 1826 (12 juillet), New Harmony Gazette, cité (...)
13Face aux critiques, Owen ne se contente pas de proclamer l’infaillibilité de sa doctrine ; encore faut-il la prouver28. Cette exigence d’expérimentation est au cœur de ses théories. En vertu de son parcours d’industriel, Owen se conçoit comme un homme de terrain, représentatif d’une prétention croissante à la scientificité dans le champ intellectuel et social29. Présente à l’échelle européenne, cette évolution épistémologique se nourrit dès la fin du XVIIIe siècle de l’inquiétude face à la Révolution française, puis à l’industrialisation : les bouleversements qu’elles induisent engendrent des besoins nouveaux en connaissances et solutions concrètes adaptées. La recension de données factuelles, fruit d’enquêtes de terrain, et leur traitement systématique, deviennent des éléments indispensables dans l’appréhension de la « question sociale »30. Grâce à cet ancrage empirique, Owen estime que ses solutions sociales gagnent en légitimité là où d’autres se perdent en vaines spéculations31. Au-delà de fonctions stratégiques destinées à le faire connaître sur la scène publique, cette exigence d’expérimentation est non seulement sincère, mais de surcroît justifiée par un ensemble de présupposés déterministes qui constituent le pilier de sa pensée32. Dès A New View of Society, il postule que le caractère de l’homme est « formé pour lui et non par lui »33 via un ensemble de facteurs environnementaux qu’il nomme « circonstances », et qu’il entend selon l’usage commun du terme, soit « tout ce que vous voyez, ressentez, ou toute chose que vous savez exister autour de vous »34. Cette doctrine des circonstances, qui constitue pour Owen la loi fondamentale de la nature, est à même de fonder légitimement une méthodologie de la réforme par laquelle la théorie ne peut exister sans sa mise en pratique et vice versa. Il envisage tout changement social véritable comme un processus de rééducation, procédé qui forme le cœur de son protocole expérimental. L’action sur le milieu, ou « circonstances externes », demeure limitée et ponctuelle à moins de l’accompagner d’une action plus profonde, sur les esprits cette fois, soit sur les « circonstances internes »35. À mesure que les théories d’Owen se radicalisent, cette maïeutique en vient à englober l’ensemble des aspects de la vie humaine pour former une véritable « science de la société », appellation qu’il adopte vers 1825 pour désigner sa doctrine. Au sein des communautés, libérée du joug d’un travail aliénant, l’humanité passera d’un déterminisme passif, où l’homme est le jouet de son milieu, à un déterminisme actif, où il se fait observateur distancié des circonstances, libre d’agir sur elles, avec elles ou contre elles36.
- 37 Oliver William H., 1971, « Owen in 1817 : The Millennialist Moment », in Pollard Sidney et Salt Joh (...)
- 38 Voir notamment Owen Robert, An Address to the Inhabitants of New Lanark [1816], in Owen Robert, New (...)
- 39 Owen Robert, « A Catechism », art. cit., p. 188.
14En endossant la posture du savant, Owen ne fait pas montre d’un idéalisme n’ayant d’égal que son hubris, comme l’historiographie l’a trop longtemps avancé37. Loin de prétendre avoir découvert les lois du déterminisme social, il fonde l’originalité de sa démarche dans sa volonté de soumettre ces principes à l’épreuve des faits38. Par conséquent, si « science de la société » il y a, elle ne peut être qu’expérimentale39. À ce titre, Owen possède un atout de taille, ayant les moyens financiers et institutionnels de mettre son propre système en pratique. De 1800 à 1825, son entreprise textile de New Lanark devient le terrain d’une véritable expérience en ingénierie sociale, dont les termes accompagnent autant qu’ils nourrissent le développement de sa doctrine.
III. Les conditions de l’expérience
- 40 « […] the great experiment which was to prove to me, by practice, the truth or error of the princip (...)
- 41 Owen Robert, New View, op. cit., p. 2 (ma traduction).
- 42 Owen Robert, 1973, « Narrative of Thirty Years’Experiment at New Lanark », in Owen Robert, The Revo (...)
15Lorsqu’Owen fait l’acquisition de New Lanark, il n’y perçoit pas une filature parmi d’autres, mais « la grande expérience qui allait [lui] prouver, par la pratique, la vérité ou l’erreur des principes qui avaient façonné [ses] convictions »40. Symbole du nouvel ordre économique et des tensions qui le traversent, l’usine s’impose comme un laboratoire idéal pour la mise en pratique d’une « vision nouvelle de la société »41. Pour autant, sa portée n’en est pas surévaluée : Owen ne perd jamais de vue la nature première du site, qui n’est pas une communauté formée par association volontaire mais un village ouvrier textile, accueillant une population en majorité composée de migrants d’origine rurale, que la nécessité économique fait entrer à l’usine42. Par conséquent, les mesures éclairées qu’Owen entend mettre à l’épreuve ne constituent pas l’image exacte de la société future, mais son brouillon partiel. Par exemple, il n’a jamais été question de tenter à New Lanark la mise en commun de la propriété et des moyens de production que proposeront les « villages de la coopération ». La localité ne réunit pas moins un ensemble de conditions propices d’une expérience en ingénierie sociale. C’est tout d’abord un microcosme, offrant un milieu d’une grande homogénéité géographique et socioprofessionnelle. En vertu de ses dimensions réduites et de son éloignement de la ville, le lieu offre la possibilité de nouer et de préserver des relations personnelles, organiques, entre patrons et ouvriers. Plus généralement, le village semble opérer une heureuse synthèse entre l’ancien et le nouveau monde, transcendant les divisions pour réunir progrès technique et environnement rural traditionnel.
16Du point de vue des modalités d’application de cette politique patronale, la technique est pleinement intégrée à l’expérimentation comme aux discours. Dans un texte tardif où Owen dresse le bilan de ses années à la tête de New Lanark, le village ouvrier prend les traits d’un mécanisme, placé sous la houlette d’un patron-ingénieur bienveillant, dont les réglages savants assurent l’équilibre des forces en présence pour réaliser l’alliance du capital et du travail :
- 43 Ibid. (je souligne).
en vertu d’une juste application des forces mécaniques, les plus grandes richesses seront créées avec plaisir par leurs producteurs, et satisferont de façon plus que suffisante les désirs rationnels de chacun43.
17Cette déclaration fait écho à la préface du troisième essai de A New View of Society :
- 44 Owen Robert, New View, op. cit., préface du troisième essai, p. 4-6.
j’ai conçu la population [de New Lanark], ainsi que les machines […] comme un système qu’il était de mon devoir et de mon intérêt de combiner de sorte que chaque employé, ainsi que chaque ressort, levier et roue, puisse efficacement coopérer [… ]44.
18La métaphore mécaniste ne saurait être prise au pied de la lettre. Loin de consacrer l’objectivation de l’employé comme simple « main », elle postule l’unité de l’homme et de la machine au service du progrès économique et social. Ce discours n’est pas dénué de paternalisme, puisqu’il prône l’harmonisation des intérêts pécuniaires patronaux et de la protection sociale de la main-d’œuvre. Il n’en est pas moins porteur d’une forte charge polémique, car suivi d’un avertissement aux industriels du royaume : à l’encontre des pratiques de son temps, Owen enjoint ses pairs à suivre son exemple, et à traiter leurs ouvriers avec le même soin qu’ils consacrent à l’acquisition et à l’entretien de leurs machines textiles :
- 45 Ibid.
[…] lorsque l’on perçoit que le mécanisme inanimé se voit grandement perfectionné en vertu de mesures adéquates destinées à le maintenir en bon état de marche, il est naturel de conclure que le mécanisme vivant, plus délicat, plus complexe, se voit lui aussi perfectionné une fois qu’on l’entraîne à être fort et actif. […] il serait de même véritablement économique de le garder propre et net, de le traiter avec bonté, […] de s’efforcer par tous les moyens de le rendre plus parfait45.
19Au sein des filatures, l’action patronale se concentre donc sur deux champs : l’amélioration des conditions matérielles de travail (circonstances externes), et de leurs effets psychologiques auprès de la main-d’œuvre (circonstances internes), suivant le protocole expérimental énoncé dans A New View of Society.
- 46 Crouzet François, 1985, The First Industrialists : The Problem of Origins, Cambridge, Cambridge Uni (...)
- 47 List of the Men who went from New Lanark to Cromford, 15th March 1785, New Lanark Trust Archives.
- 48 Owen Robert, Threading My Way, op. cit., p. 71.
20À son arrivée à New Lanark, Owen hérite d’un équipement technique caractéristique de la première génération d’usines textiles. À compter des années 1770 et jusque vers 1830 – époque où la machine à vapeur de Watt bénéficie d’une série d’améliorations techniques – la majorité des filatures britanniques sont équipées de water-frames, machines à filer hydrauliques que l’industriel Richard Arkwright perfectionne au sein de son usine de Cromford (Derbyshire)46. En 1785, il cofonde également New Lanark en association avec David Dale. Ce dernier, en sa double qualité de banquier et de négociant en textile, apporte au projet sa connaissance des réseaux commerciaux locaux et d’importants capitaux de départ. De son côté, Arkwright fournit équipement et savoir-faire technique. En amont de l’inauguration des filatures, un groupe d’artisans se rend un temps à Cromford pour y suivre une formation initiale47. À leur retour, ils bâtissent et entretiennent les machines au sein d’ateliers attenants à l’usine, suivant un mode d’organisation alors répandu sur l’ensemble du textile britannique. Owen perpétue cette tradition d’expertise, d’autant qu’il possède depuis les années 1790 une bonne connaissance du procédé d’Arkwright : lors de son séjour à Manchester, il avait dirigé vers 1791- 1792 un atelier de construction textile spécialisé dans les water-frames et cardeuses hydrauliques. À New Lanark, il est donc à même d’assurer – soit personnellement, soit par l’intermédiaire de ses sous-directeurs – le suivi technique et le contrôle qualité de l’équipement machinique comme du produit fini48.
- 49 Avec une moyenne de 1 500 employés, New Lanark est la plus importante filature de son époque en ter (...)
- 50 Chapman Stanley D., 1981, « The Arkwright Mills : Colquhoun’s Census of 1786 and Archaeological Evi (...)
21Le village ouvrier écossais réunit donc a priori les conditions matérielles de production de l’abondance, dans la mesure où il bénéficie d’une technologie de pointe et d’une importante force de travail49. Avant que le perfectionnement de la machine à vapeur ne le supplante définitivement dans les années 1830, le water-frame possède en effet de nombreux avantages face aux techniques de filage concurrentes, sous réserve de ressources hydrauliques suffisantes50. Plus maniable que la mule – avant l’automatisation de cette dernière dans les années 1830 – le système d’Arkwright assure en outre un rendement près de dix fois supérieur à celui de la jenny. Le fil produit, quoique relativement grossier, est cependant très résistant. En raison de sa solidité supérieure, il peut être utilisé en trame comme en chaîne, ce qui en multiplie les usages possibles.
- 51 Owen Robert, Threading My Way, op. cit., p. 12.
- 52 « A Visit to New Lanark », Leeds Mercury, 6 septembre 1819.
- 53 Voir les témoignages de John Alexander (sous-directeur de New Lanark depuis 1814) et d’anciens empl (...)
- 54 Journal de Robert Owen, 26 novembre 1819, New Lanark Papers, University of Glasgow Archives ; Rober (...)
22Owen doit cependant composer avec un ensemble de résistances initiales au travail industriel, obstacle qui conforte sa volonté de réconcilier l’ouvrier et la machine. Constatées sur l’ensemble du secteur textile de l’époque, ces résistances sont tout d’abord imputables à la nature même du travail en filature, à la fois monotone et pénible, voire dangereux. Un ensemble de sources d’époque montre que New Lanark ne faisait pas exception51. Vers 1824, l’un des visiteurs de l’entreprise fait état du « vacarme assourdissant » qui rythme la journée des ouvriers près de onze heures durant52. Malgré l’absence de statistiques officielles, l’existence d’accidents du travail et de nombreux cas de maladies respiratoires est avérée53. La matière volante accroît en outre le risque d’incendie. Comme environ 20 % des usines textiles de son temps, New Lanark est touché par le feu en novembre 1819, provoquant la destruction totale de l’une des trois filatures du site54.
- 55 Thompson Edward P., 1967 (décembre), « Time, Work-Discipline and Industrial Capitalism », Past and (...)
- 56 Melucci Alberto, 1976 (octobre-décembre), « Action patronale, pouvoir, organisation. Règlements d’u (...)
- 57 Owen Robert, Life, op. cit., p. 57. Plusieurs travaux ont montré que ces pratiques étaient considér (...)
23Une telle dangerosité entraîne d’importantes conséquences psychologiques : compte tenu des origines rurales de la main-d’œuvre, l’entrée en fabrique s’apparente bien souvent à un véritable choc des cultures, avec le passage brutal d’une temporalité rurale, fondée sur les rythmes naturels, au temps mécanique et monétarisé de la révolution industrielle55. La rédaction d’un nouveau règlement intérieur en 1800 révèle en creux l’existence de dysfonctionnements profonds. Outre des cas de fugues et de ruptures de contrat, on observe au sein de l’usine la survivance d’attitudes venues du monde rural et/ou artisanal, désormais jugées incompatibles avec l’activité industrielle dont elles troublent la régularité et la fonctionnalité56. Plusieurs employés observent ainsi la Saint-Lundi ou s’adonnent au vol de bobines et de matière première, qui donne lieu à un commerce parallèle destiné à améliorer l’ordinaire57.
- 58 Rules and Regulations of the New Lanark Inhabitants, 1800, New Lanark Archives. Sur l’âge moyen d’e (...)
- 59 Ibid.
24La difficulté du travail industriel constitue un angle aveugle de la pensée d’Owen. Il semble y voir un fait inévitable, avec lequel on doit nécessairement composer. L’action sur les « conditions » de ce travail constitue pourtant l’un des piliers de l’expérience de New Lanark. Du côté des dispositifs matériels, Owen tente de limiter au maximum les risques sanitaires associés au travail de la filature, afin de rendre le travail le plus attrayant possible. Vers 1815, il suit l’exemple de son collègue et ami William Strutt, dirigeant de l’usine de Belper, et équipe ses filatures de plusieurs souffleuses destinées à évacuer la matière volante. Après l’incendie qui la ravage en 1819, la filature n° 3, à l’origine bâtie en bois et en pierre de taille, se voit dotée d’une nouvelle charpente en acier résistante au feu. Enfin, dès 1800, Owen mène une campagne de réglementation des horaires de travail. Cette année-là, il élève l’âge d’entrée en usine à dix ans, là où la majorité des enfants employés dans le textile commençaient à travailler vers sept ans58. En 1816, avec l’accord d’un nouveau groupe d’associés davantage acquis à ses principes progressistes, il limite la journée de travail à dix heures et demie, pauses-repas comprises, pour placer New Lanark bien en deçà d’une moyenne nationale estimée à quatorze heures59.
- 60 Frey Jean-Pierre, 1986, La ville industrielle et ses urbanités. La distinction ouvriers/employés : (...)
- 61 Journal de Robert Owen, op. cit.
- 62 Owen Robert, Life, op. cit., p. 137.
- 63 Ibid., p. 81.
- 64 Ibid., p. 137-138.
- 65 Bartle George F., 2004, « Lancaster, Joseph (1778-1838) », Oxford Dictionary of National Biography, (...)
- 66 Nardinelli Clark, 1982, « Corporal Punishment and Children’s Wages in Nineteenth Century Britain », (...)
25Concernant l’ajustement de la main-d’œuvre au travail industriel, l’exercice de la discipline ne se limite pas à l’acquisition de nouvelles compétences professionnelles. Il suppose également l’inculcation d’un nouvel être-au-monde d’inspiration patronale grâce auquel l’employé devient ouvrier, réalisant ainsi l’alliance des intérêts de la direction et de la force de travail60. Mais à l’encontre des pratiques de l’époque, et dans la lignée de l’avertissement lancé à ses pairs en exergue de sa New View, Owen favorise les mesures préventives plutôt que punitives. Au lieu de congédier les intempérants, il les soumet à des amendes et interdit les cabarets au sein du village. Des renvois interviennent ponctuellement, mais en cas de récidive prolongée61. Cette exigence d’ordre sans coercition se cristallise autour d’un procédé particulier, le « surveillant silencieux » (silent monitor)62. À l’usine, chaque poste de travail se voit doté d’un cube de bois, dont chaque face, peinte d’une couleur différente, indique les performances de l’ouvrier, du point de vue du rendement comme de sa conduite : noir (médiocre), bleu (passable), jaune (satisfaisant) et blanc (excellent)63. Le comportement de chacun étant exposé à la vue de tous – et consigné quotidiennement par la direction – l’usage de la force physique devenait par conséquent caduc64. Ce procédé a sans doute été emprunté aux écoles mutuelles (Monitorial Schools) de Joseph Lancaster (1778-1838), pédagogue un temps admiré par Owen. Né en Écosse, Joseph Lancaster développe vers 1798 son propre système d’instruction des classes populaires au sein de l’école londonienne de Borough Road. Gratuit et ouvert à tous les enfants pauvres sur une base interconfessionnelle, son enseignement appliquait les méthodes de l’usine au monde de l’éducation, associant cadences d’apprentissage élevées et discipline quasi-militaire. En raison des effectifs élevés, les enseignants déléguaient aux meilleurs élèves (les monitors) un ensemble de tâches pédagogiques simples, tandis que la communication s’effectuait par le biais de pancartes en bois où figuraient diverses consignes ou sanctions65. Le silent monitor ne constituait pas moins un cas unique en son temps de discipline industrielle, en opposition marquée à l’ubiquité des châtiments corporels66.
- 67 Rules and Regulations, op. cit., art. 18-19.
- 68 Owen Robert, Report to the County of Lanark, op. cit., p. 285.
- 69 Owen Robert, New View, op. cit., p. 43.
- 70 Owen Robert, Address to the Inhabitants of New Lanark, op. cit., p. 107.
- 71 Ibid.
26Nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise, la discipline industrielle ne constitue cependant pas le but ultime de l’expérience. Ce qui est visé, au-delà des nécessités pragmatiques de stabilisation et de surveillance de la main-d’œuvre, c’est bien une « éducation à la communauté », qui doit passer par la dissolution des conflits sociaux dans l’espace du village ouvrier, « afin d’unir les habitants […] en une seule famille »67. La volonté de promouvoir un travail attrayant est l’un des éléments-clés de l’organisation interne du village, annonçant le projet des villages de la coopération. En amont des conclusions du Report to the County of Lanark, la promotion d’un machinisme humanisé favorise le déploiement de l’esprit de communauté en facilitant l’ensemble des opérations de la vie humaine68. On remarque en effet une volonté généralisée d’accommoder le temps du travail à son hors-temps, celui de la famille, du loisir et de l’instruction. Puisque la machine doit être au service de l’avancement des facultés humaines, le temps qu’elle libère ne saurait être consacré à des activités irrationnelles, telles que la fréquentation du cabaret, le jeu ou encore les relations amoureuses illégitimes. Face à des occupations vouées à la satisfaction immédiate d’inclinations égoïstes, Owen promeut un ensemble de pratiques qu’il juge à la fois attrayantes d’un point de vue individuel, et participant de l’intérêt collectif. Il encourage ainsi les activités de plein air telles que le jardinage ou la promenade dominicale, au sein de lopins de terre et de sentiers arborés que la direction met à la disposition des ouvriers69. La promotion d’un travail attrayant et de ses à-côtés au sein du village s’affirme au gré de la radicalisation des théories d’Owen. Elle coïncide en effet avec l’inauguration en 1816 de l’Institut de la Formation du Caractère (Institution for the Formation of Character), véritable complexe culturel communautaire comprenant une école-garderie, une chapelle interconfessionnelle, une bibliothèque ainsi qu’une salle de réunion accueillant à l’occasion bals et concerts70. Au-delà du divertissement et de l’instruction, la promotion d’un temps libéré grâce à la machine ne devient rien moins que l’« avant-goût de ce qu’un système social rationnel peut apporter à l’humanité »71.
- 72 Owen Robert, 1824, Outline of the System of Education at New Lanark, Glasgow, University Press, p. (...)
- 73 Owen Robert, The Republican, op. cit., p. 505-506 (ma traduction).
27Les écoles en sont un bon exemple : envers des implications pédagogiques de sa philosophie déterministe, Owen n’y voit rien moins que son grand-œuvre au sein du village. Grâce à une entrée à l’usine bien plus tardive que dans le reste du pays, les enfants de New Lanark bénéficiaient d’un temps de scolarisation unique en son temps au sein des classes populaires, de deux à dix ans. Passé cet âge, ils pouvaient s’ils le souhaitaient assister à des cours du soir, après leur journée de travail en filature. A contrario, l’éducation des enfants pauvres était généralement circonscrite aux écoles du dimanche (Sunday schools), pour un enseignement le plus souvent rudimentaire. Owen, lui, met à la disposition des enfants de New Lanark un programme extensif, jusqu’ici apanage des classes supérieures : aux cours de lecture, d’écriture et de calcul s’ajoutaient, selon le niveau, des leçons d’histoire, de géographie et de sciences naturelles, ainsi que des séances de musique et de danse72. Il s’agissait bien de former des êtres complets, dotés d’un esprit sain dans un corps sain, et aptes à se libérer de la tyrannie de la machine et des circonstances, « afin qu’ils deviennent indépendants, qu’ils acquièrent le caractère d’êtres rationnels, et enfin qu’ils […] soient aptes à prendre part et à apprécier un état de la société bien supérieur à celui dans lequel [nous avons] coutume de vivre »73.
IV. New Lanark comme vitrine de l’expérience : promotion et réceptions
- 74 Owen confirme personnellement cette filiation en 1823, lors de son passage devant une commission pa (...)
28Loin d’être un simple laboratoire, New Lanark s’impose tout autant comme une source d’inspiration et une vitrine. C’est tout d’abord à partir de sa politique patronale qu’Owen élabore ses projets de réforme des années 1815-1816. Les clauses de son projet de loi sur la réglementation du travail des enfants reprennent point par point un ensemble de mesures déjà en place au sein du village ouvrier. Il recommande ainsi de fixer à dix ans l’âge minimum d’entrée à l’usine, de réduire les horaires de travail à moins de douze heures par jour, et plaide pour un programme d’instruction obligatoire à destination des classes populaires. De même, les « villages de la coopération » doivent beaucoup à la filature. Dans les deux cas, on retrouve un même désir de synthèse idéale entre ville et campagne, miroir d’une réconciliation souhaitée entre l’ouvrier et la machine74. Dans le prolongement de ce lien entre pratique expérimentale et maturation de la doctrine socialiste, Owen encourage l’ouverture de New Lanark au public, désireux de prouver par la force de l’exemple la validité de ses solutions sociales.
- 75 Andrews Malcolm, 1989, The Search for the Picturesque. Landscape, Aesthetics and Tourism in Britain (...)
- 76 The Kaleidoscope, 20 juillet 1819 ; Southey Robert, 1819, Journal of a Tour of Scotland, Londres, J (...)
- 77 New Lanark Visitors’Books, 1795-1799 et 1821-1824, Gourock MSS, Glasgow University Archives Service (...)
29Dès sa fondation, le village possède une réputation d’entreprise éclairée, et devient une curiosité touristique75. Owen tire parti de cette tradition pour placer son expérience au cœur d’un véritable dispositif promotionnel. Les touristes découvrent le village à l’occasion de visites guidées dont le maître des lieux s’acquitte parfois personnellement en présence d’invités de marque76. New Lanark accède ainsi à une célébrité internationale. Le nombre de visiteurs annuels passe de 600 sous la direction de Dale à près d’un millier à l’époque de son gendre, faisant du village ouvrier l’une des destinations les plus prisées de son temps77. La mise en scène d’un machinisme humanisé participe pleinement de cette politique. Les visiteurs prêtent peu attention aux aspects techniques du lieu – vers 1815, les water-frames ne possèdent plus l’effet de nouveauté et de curiosité qui étaient le leur à l’époque d’Arkwright. Le silent monitor, lui, suscite un vif intérêt : outre son caractère unique en son temps, il frappe les esprits comme incarnation d’un système industriel rationalisé, où l’ordre s’impose sans violence, dans le respect de l’intégrité ouvrière comme dans celui des intérêts économiques du patronat. Selon un témoignage de 1823 :
- 78 Jullien Marc-Antoine, 1823 (avril), « Notice sur la colonie industrielle de New Lanark en Écosse, f (...)
La plupart des curieux, au nombre d’environ 1 800, qui sont venus visiter la colonie, cette année, n’ont pu s’empêcher d’exprimer leur étonnement de ce qu’il y avait si peu de sujets de plaintes dans les ateliers où tant de personnes sont réunies, et où la discipline est si peu sévère78.
- 79 Fitton Robert S. et Wadsworth Alfred P., 1968, The Strutts and the Arkwrights, 1758- 1830 : A Study (...)
- 80 Journal de Robert Owen, op. cit., 14 décembre 1819 ; Allen William, 1847, « Journal of William Alle (...)
30L’expérience semble donc avoir porté ses fruits. Du côté de la main-d’œuvre, divers éléments témoignent d’une internalisation progressive des normes de la discipline industrielle. Entre 1813 et 1820, le journal de bord d’Owen et de ses sous-directeurs ne mentionne qu’un très faible nombre d’infractions. En supposant que celles-ci aient été correctement répertoriées, elles ne concernent qu’une dizaine d’employés sur un total de 1 500 environ. Peu d’archives de ce type ont survécu, et il est donc impossible de dresser un tableau comparatif à l’échelle nationale ; le nombre d’infractions était cependant supérieur à Belper ou Cromford, quand bien même les registres concernent une période plus étendue79. Owen se félicite également du succès de sa campagne contre l’intempérance : les rares cas d’ivresse sont désormais circonscrits aux diverses fêtes calendaires, et ne perturbent plus le bon déroulement du travail80.
31Plus encore, il semble que la force de travail ait accepté au moins en partie les buts de l’expérience owénienne. Plusieurs éléments indiquent une satisfaction à travailler au sein d’un environnement débarrassé de certaines formes jugées dégradantes. En 1833, le rapport des Factory Commissions contient le témoignage de plusieurs anciens employés de New Lanark. Ceux-ci ne tarissent pas d’éloges sur Dale, mais déplorent son absentéisme, qui aurait fait le lit de pratiques douteuses – en premier lieu, le recours aux châtiments corporels afin de discipliner la main-d’œuvre enfantine. Les anciens ouvriers, qui déclarent ne pas partager les opinions politiques d’Owen, s’accordent cependant pour lui attribuer une nette amélioration des conditions de travail. Le cardeur William McBeth déclare ainsi :
- 81 Je souligne. Les témoignages de deux autres anciens ouvriers de New Lanark, William Dyer et George (...)
de grands progrès ont été réalisés sous sa direction, tout particulièrement en termes de propreté, de réduction des horaires de travail, et avec la création des écoles. Nous avons eu une illumination81.
- 82 Ibid., p. 96.
32Affectant positivement l’état d’esprit des salariés, la réorganisation rationnelle du travail se répercute en outre sur les performances économiques de l’entreprise. Entre 1800 et 1825, New Lanark enregistre des résultats bénéficiaires. On remarque de plus une hausse de la productivité à compter de 1816, au moment où Owen réduit la journée de travail à dix heures et demie, alors que ni l’équipement technique de l’entreprise, ni le nombre d’employés n’ont été modifiés. Entendu lui aussi lors des Factory Commissions de 1833, le sous-directeur John Alexander, en poste depuis 1814, attribue ce fait à un sentiment de reconnaissance généralisé au sein de la fabrique82.
33Les résultats sont cependant plus mitigés qu’il n’y paraît. En dépit d’un certain degré d’acceptation des buts de l’expérience, des tensions surgissent à mesure qu’Owen radicalise sa doctrine, pour aboutir vers 1824 à une remise en cause explicite et concertée de la politique patronale, ses implications communautaires en particulier. La gestion éclairée de New Lanark fait l’objet d’une grande admiration auprès du grand public. Mais contrairement aux attentes d’Owen, cet accord de principe ne suscite que très rarement l’adhésion à son système politique. Y compris au sein des cercles réformateurs libéraux, qui perçoivent avec sympathie son désir d’élever la condition ouvrière, il devient suspect dès qu’il s’éloigne de la philanthropie classique pour élaborer son projet communautaire. Plus encore, ces réticences face aux objectifs ultimes de l’expérience donnent lieu aux premières accusations d’utopisme, bien avant le Manifeste du parti communiste. Le poète-lauréat Robert Southey, qui se rend à New Lanark en 1819, est représentatif de cette tendance. Reconnaissant la supériorité des conditions de vie et de travail qu’offre New Lanark, il considère cependant l’expérience d’Owen comme un cas de manipulation, comme si la métaphore mécaniste des débuts avait fini par s’appliquer de manière littérale :
- 83 Southey Robert, op. cit., p. 262-263.
En vérité, Owen s’illusionne. […] Son caractère, sa vanité et sa bonté naturelle le poussent à rendre ces machines humaines […] aussi heureuses qu’il est en son pouvoir de le faire, et à exhiber leur bonheur. Et il parvient bien vite à cette monstrueuse conclusion : parce qu’il peut accomplir cela avec 2 210 personnes […], l’humanité tout entière serait susceptible d’être gouvernée avec la même facilité. Et in Utopia ego83.
34Du côté des associés, de la population ouvrière et du grand public, le problème ne vient pas de la volonté même d’humaniser la machine, mais de la portée conférée à une telle ambition. Majoritairement acceptée au sein de la sphère du travail – apanage légitime du dirigeant d’entreprise, elle l’est beaucoup moins en dehors de ses limites coutumières, qu’elle s’aventure dans la sphère des ouvriers et/ou dans l’espace de la polis. En 1823, ces tensions sont mises en lumière lorsqu’Owen et ses employés se disputent la gestion de la caisse d’assurance-maladie. Présent au sein du village depuis l’époque de Dale, ce fonds voit le montant de ses cotisations augmenter à compter de l’année 1800, conformément au vœu du nouveau dirigeant d’humaniser plus encore le travail industriel. Suivant une tradition héritée des guildes et des corporations, la gestion en est confiée à un comité représentatif d’ouvriers. Vingt ans plus tard cependant, la caisse est lourdement endettée. Lorsqu’Owen se propose d’en assumer personnellement la gouvernance, afin de redresser la situation financière, il provoque un tollé au sein de la main-d’œuvre, qui l’accuse d’outrepasser ses droits.
35La requalification des résistances ouvrières est d’autant plus cruciale à New Lanark qu’elle aboutit à la remise en cause des liens personnels entre patron et employés, sur lesquels l’expérience et ses applications communautaristes au sein des « villages de la coopération » se fondait précisément. Les doléances adressées aux associés d’Owen lors du conflit de la friendly society attestent de ce discours :
- 84 Anonyme, 1823, « Letter to the London Proprietors », publiée dans l’Edinburgh Christian Monitor, p. (...)
Nous souhaitons savoir […] si la société future se formera grâce à une invitation amicale ou à une injonction formelle […]. C’est grand peine que d’être astreints par M. Owen à adopter toutes les mesures qu’il lui plaît de suggérer […]. Une telle façon de procéder ne trouve grâce à nos esprits d’êtres humains, et déshonore notre caractère, car nous sommes les libres enfants de cette Grande-Bretagne bénie entre toutes les nations84.
- 85 The Republican, 16 avril 1824.
- 86 « Je ne pouvais rien faire de plus pour une simple population d’ouvriers, car la fabrique ne consti (...)
- 87 Owen Robert, 1835 (16 mai), « Public Meeting at the London Exchange, May 1st, 1835 », The New Moral (...)
36Au-delà des revendications propres à l’entreprise, on reconnaît une critique à peine voilée des théories politiques du patron. Là où ce dernier prévoyait la dissolution de l’État dans la communauté, celle-ci, de même que le statut d’ouvrier, se voient court-circuités, car subordonnés aux sphères nationales et citoyennes. Ces résistances aboutissent l’année suivante à une remise en cause officielle des principes mêmes de l’expérience. Cette année-là, les habitants exigent la fermeture de New Lanark au public, las d’être perçus comme de simples objets de curiosité et des sujets de laboratoire85. Owen y consent, mais cet ultime camouflet lui laisse entrevoir les limites de son action patronale86. Face à ces résultats en demi-teinte, Owen éprouve un sentiment de frustration grandissante vis-à-vis des contraintes organisationnelles que lui impose le village ouvrier. Déçu des modalités de la réforme traditionnelle, par la voie philanthropique ou législative, il prend le parti de l’action directe : seule la fondation ex nihilo d’une communauté sera à même de porter le flambeau des « villages de la coopération »87. En 1825, il abandonne ainsi ses fonctions de directeur pour se consacrer à la création de New Harmony, dans l’Indiana.
- 88 Stedman Jones Gareth, 2006, « Saint-Simon and the liberal origins of the socialist critique of Poli (...)
37À l’instar des autres socialistes européens, Owen considérait l’industrie comme l’enjeu majeur du monde en devenir, et l’évolution technique comme le moteur de l’histoire88. Il n’est donc guère étonnant que son apport à la réflexion collective sur la matérialité des théories socialistes se soit effectué sur le mode de l’expérimentation, et de surcroît au sein d’une filature-symbole du nouvel ordre économique. L’expérience de New Lanark a eu deux fonctions complémentaires, aux résultats cependant bien différents. Sur le terrain des circonstances externes, Owen a très largement réussi à réconcilier capital et travail en vertu de techniques et d’agencements matériels destinés à porter l’émancipation de la classe ouvrière. Au plan des circonstances internes cependant, les implications paternalistes et millénaristes de son idéal communautaire se sont heurtées à de nombreuses résistances, de la part de la main-d’œuvre comme du grand public.
- 89 Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. 34.
38En dépit de ce bilan mitigé, l’œuvre d’Owen à New Lanark est très largement passée à la postérité au sein du mouvement socialiste britannique. Entre 1825 et 1845, la quinzaine de communautés owénistes fondées aux États-Unis et en Grande-Bretagne tentent de reprendre l’expérience là où les limites organisationnelles et les tensions internes du village ouvrier l’avaient laissée, pour proposer une synthèse entre agriculture et industrie. Difficultés financières et dissensions sonnent le glas de l’owénisme à la fin des années 1840, alors que l’échec de la communauté de Queenwood (Hampshire) mène le mouvement à la banqueroute. Le souvenir de New Lanark n’en demeure pas moins vivace, d’autant que les anciens owénistes viennent grossir les rangs du chartisme modéré et du mouvement coopératif au sein desquels ils se font passeurs d’idées. S’ils abandonnent définitivement tout projet de réorganisation politique totale sur un mode communautaire, ils retiennent cependant du village ouvrier un esprit d’entraide où l’idéal du travail attrayant demeure central : placé au service du collectif, le progrès technique demeure le vecteur d’un socialisme anti-individualiste, où la mise en commun des moyens de production et de rémunération garantit le respect de la valeur-travail. Même débarrassée de ses implications millénaristes, la théorie owénienne du machinisme conserve donc ses fonctions de moteur du changement social. En effet, elle s’oppose à la fois à la tradition d’économie morale chrétienne – tributaire du marché comme d’une conception ontologique de l’indigence – ainsi qu’au laisser-faire de l’économie politique classique89. À ce titre, Owen a apporté une contribution majeure à la formation d’une économie politique socialiste, à rebours d’un qualificatif d’« utopiste » aujourd’hui dépassé.
Notes
1 Berg Maxine, 1980, The Machinery Question and the Making of Political Economy (1815- 1848), Cambridge, Cambridge University Press, p. 9.
2 Claeys Gregory, 1987, Machinery, Money and the Millennium : from Moral Economy to Socialism 1815-1860, Oxford, Polity Press, p. 35.
3 Chaloner William Henry, 1954 (septembre), « Robert Owen, Peter Drinkwater and the Early Factory System in Manchester, 1788-1800 », Bulletin of the John Rylands Library, p. 72-102.
4 Harrison John Fletcher, 1969, Owen and the Owenites in Britain and America : the Quest for the New Moral World, Londres, Routledge & Kegan Paul, p. 12 ; Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. xviii.
5 Colquhoun Patrick, 1814, A Treatise on the Wealth, Power, and Resources, of the British Empire in Every Quarter of the World, Londres, Mawman ; Harrison John Fletcher, op. cit., p. 12-13 ; Owen Robert Dale, 1874, Threading My Way : Twenty-Seven Years of Autobiography, Londres, Trübner & Co., p. 67.
6 Là encore, l’existence et l’étendue d’une potentielle influence intellectuelle sont difficiles à évaluer, au vu de la pauvreté des sources primaires. En 1812-1813, Owen et Godwin s’entretiennent à près de cinquante reprises, ce que confirme le journal du philosophe. Mais dans le style lapidaire qui le caractérise, il ne donne aucune indication quant à la teneur des propos tenus en ces occasions. De même, la correspondance entre Owen et Bentham est de nature purement économique, portant principalement sur les recettes de New Lanark. William Godwin’s Diary, [En ligne] URL : <http://godwindiary.bodleian.ox.ac.uk/people/OWE01.html>, page consultée le 15 mars 2010 ; Bentham Papers, British Library, Add mss 33545. Voir également Trincado Estrella et Santos-Redondo Manuel, 2012, « Bentham and Owen on Entrepreneurship and Social Reform », The European Journal of the History of Economic Thought, vol. 1, p. 1-26.
7 Anonyme, 1805, Proceedings of the Manchester Board of Health, Manchester, R. Russell.
8 Innes Joanna, 2002, « Origins of the Factory Acts : the Health and Morals of Apprentices Act, 1802 », in Landau Norma (dir.), Law, Crime and English Society, 1660-1830, Cambridge, Cambridge University Press, p. 230-255.
9 Owen Robert, 1991, « Address Delivered at the City of London Tavern, on Thursday, August 21st, and Published in the London Newspapers of August 22nd, 1817 », in Owen Robert (édité par Claeys Gregory), A New View of Society and Other Writings, Londres, Penguin Classics, p. 208-220. Voir également Owen Robert, 1858, Observations on the Cotton Trade [1815], reproduit in Owen Robert, « Supplementary Appendix to the First Volume of The Life of Robert Owen, written by Himself », Londres, Effingham Wilson, Appendice F, p. 16
10 Owen Robert, New View, op. cit., p. 121-122.
11 Ibid., p. 98.
12 O’Brien Patrick K., 1989, « The Impact of the Revolutionary and Napoleonic Wars on the Long-run Growth of the British Economy, 1793-1815 », Review, vol. 12, n° 3, p. 335-395.
13 Miliband Ralph, 1954, « The Politics of Robert Owen », Journal of the History of Ideas, vol. XV, p. 233-245 ; Hobsbawm Eric, 1992, « Libéralisme et socialisme : le cas anglais », Genèses, vol. 9, n° 9, p. 44-59.
14 Cobbett William, 1980, Advice to Young Men, Oxford, Oxford University Press ; Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. 24-26.
15 Owen Robert, 1840, The Book of the New Moral World, Glasgow, H. Robinson & Co, vol. VII, p. 1012 ; Berg Maxine, op. cit., chap. 12 ; Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. 146.
16 Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. 162.
17 Owen Robert, « Letter to the Earl of Liverpool on the Employment of Children in Manufactories, 30 March 1818 », reproduite dans l’appendice d’Owen, Life, op. cit., vol. 1A, p. 192-193.
18 Ward John T., 1971, « Robert Owen as Factory Reformer », in Butt John (dir.), Robert Owen, Prince of Cotton Spinners : A Symposium, Londres, David & Charles, p. 99-211.
19 Harrison John Fletcher, op. cit., p. 12 ; Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. 162.
20 On en dénombre une centaine environ, dont Lieut. Gen. Craufurd, 1817, Observations, Londres, Stockdale ; Bayly William D., 1820, The State of the Poor, Londres, s. n. ; ou encore Gascoigne Henry B., 1817, The Antidote to Distress, Londres, s. n. Voir Hilton Boyd, 1977, Corn, Cash, Commerce : the Economic Policies of the Tory Governments, 1815- 1830, Oxford, Oxford University Press, p. 1-66.
21 Charlesworth Lorie, 2010, Welfare’s Forgotten Past. A Socio-Legal History of the Poor Law, New York, Routledge, p. 5.
22 Owen Robert, « Report to the Committee of the Association for the Relief of the Manufacturing and Labouring Poor », in Owen Robert, Life, op. cit., vol. 1A, p. 54-67 ; Harrison John Fletcher, op. cit., p. 14 ; Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. xviii.
23 Owen Robert, 1817, Address on Measures for the Immediate Relief of the Poor, Londres, J. Dennett ; et 1817, A Further Development of the Plan for the Relief of the Poor and the Emancipation of Mankind, reproduit in Owen Robert, « Supplementary Appendix », art. cit., p. 77-97
24 William Cobbett affuble les villages de la coopération du sobriquet de « parallélogrammes pour pauvres » (parralellograms of paupers), Black Dwarf, vol. 1, n° 30, 20 août 1817, p. 469-70. De son côté, Malthus critique les prétentions égalitaristes du programme, d’autant que les surplus espérés ne manqueraient pas de conduire à un accroissement démographique plus important encore. Malthus Thomas, 1826 [1798], An Essay on the Principle of Population, t. II, p. 40-48 et 395-399.
25 Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. xix.
26 Owen Robert, 1820, Report to the County of Lanark, Glasgow, Wardlaw & Cunninghame, p. 217.
27 Owen Robert, 1817 (30 juillet et 9 août), « Letters in the Newspapers », reproduit dans Owen Robert, Life, op. cit., vol. 1A, p. 74.
28 Owen Robert, New View of Society, op. cit., p. 12.
29 Cette affirmation programmatique forme le sous-titre de son Traité de la nature humaine. Simon Pierre-Jean, 1991, Histoire de la sociologie, Paris, Presses universitaires de France, p. 192 ; Mercklé Pierre, 2004, « Utopie ou ’science sociale’. Réceptions de l’œuvre de Charles Fourier au XIXe siècle », Archives européennes de sociologie, vol. XLV, n° I, p. 1-26 ; Menneteau Patrick, 2009, « David Hume et l’essor du modèle scientifique au XVIIIe siècle dans les Dialogues sur la religion naturelle », Études écossaises, n° 12, p. 13-32.
30 Claeys Gregory, 2001, « Utopianism », in McCalman Iain (dir.), An Oxford Companion to the Romantic Age : British Culture 1776-1832, Oxford, Oxford University Press, p. 76-82 ; et du même auteur, Citizens and Saints, Politics and Anti-Politics in Early British Socialism., Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 2.
31 Owen Robert, 1972, « A Catechism of the New View of Society and Three Addresses », [1817], in Owen Robert, A New View of Society and Other Writings, Londres, Dent, p. 188.
32 Owen Robert, An Address to the Working Classes [1819], in Owen Robert, New View, op. cit., p. 241.
33 Owen Robert, New View of Society, op. cit., p. 11-12.
34 « […] whatever you see, or feel, or know to exist around you », Owen Robert, 1824 (2 janvier-2 juillet), « New Lanark : Address to the Inhabitants », The Republican, vol. 9, p. 507.
35 Owen Robert, New View, op. cit., p. 11.
36 Owen Robert, New View, op. cit., p. 273 ; Owen Robert, 1826 (12 juillet), New Harmony Gazette, cité dans Harrison John Fletcher, op. cit., p. 82.
37 Oliver William H., 1971, « Owen in 1817 : The Millennialist Moment », in Pollard Sidney et Salt John (dir.), Robert Owen, Prophet of the Poor. Essays in the Honour of the Two Hundredth Anniversary of his Birth, Londres, Macmillan, p. 166-188.
38 Voir notamment Owen Robert, An Address to the Inhabitants of New Lanark [1816], in Owen Robert, New View, op. cit., p. 125.
39 Owen Robert, « A Catechism », art. cit., p. 188.
40 « […] the great experiment which was to prove to me, by practice, the truth or error of the principles which had been forced on my convictions », in Owen Robert, Life, op. cit., p. 59.
41 Owen Robert, New View, op. cit., p. 2 (ma traduction).
42 Owen Robert, 1973, « Narrative of Thirty Years’Experiment at New Lanark », in Owen Robert, The Revolution in the Mind and Practice of the Human Race, or the Coming Change from Irrationality to Rationality [1849], Afton, Augustus M. Kelley, p. 21.
43 Ibid. (je souligne).
44 Owen Robert, New View, op. cit., préface du troisième essai, p. 4-6.
45 Ibid.
46 Crouzet François, 1985, The First Industrialists : The Problem of Origins, Cambridge, Cambridge University Press, p. 9.
47 List of the Men who went from New Lanark to Cromford, 15th March 1785, New Lanark Trust Archives.
48 Owen Robert, Threading My Way, op. cit., p. 71.
49 Avec une moyenne de 1 500 employés, New Lanark est la plus importante filature de son époque en termes d’effectifs. Dans la majorité des cas recensés, la force de travail oscille entre 100 et 250 individus. Voir Nevell Michael, 2008, « The Archaeology of Industrialisation and Textile Industry », Industrial Archaeology Review, XXX, vol. 1, p. 34-50.
50 Chapman Stanley D., 1981, « The Arkwright Mills : Colquhoun’s Census of 1786 and Archaeological Evidence », Industrial Archaeology Review, vol. 6, n° 2, p. 250
51 Owen Robert, Threading My Way, op. cit., p. 12.
52 « A Visit to New Lanark », Leeds Mercury, 6 septembre 1819.
53 Voir les témoignages de John Alexander (sous-directeur de New Lanark depuis 1814) et d’anciens employés donnés en 1833 devant le Comité national d’inspection des usines, fondé au lendemain des Factory Acts. Parliamentary Papers 1833 XX, p. 92-93, 96.
54 Journal de Robert Owen, 26 novembre 1819, New Lanark Papers, University of Glasgow Archives ; Robert Owen à Jeremy Bentham, 1er décembre 1819, Bentham Papers, British Library, Add mss 33545.
55 Thompson Edward P., 1967 (décembre), « Time, Work-Discipline and Industrial Capitalism », Past and Present, n° 38, p. 56-97.
56 Melucci Alberto, 1976 (octobre-décembre), « Action patronale, pouvoir, organisation. Règlements d’usine et contrôle de la main-d’œuvre au XIXe siècle », Le Mouvement social, n° 97, p. 139-159.
57 Owen Robert, Life, op. cit., p. 57. Plusieurs travaux ont montré que ces pratiques étaient considérées par la main-d’œuvre comme des droits coutumiers officieux. Voir Chassagne Serge, 1991, Le coton et ses patrons. France, 1760-1840, Paris, Éditions de l’EHESS, p. 494 ; et Pearson Robin, 2004, Insuring the Industrial Revolution : Fire Insurance in Great Britain, 1700-1850, Aldershot, Ashgate, p. 194.
58 Rules and Regulations of the New Lanark Inhabitants, 1800, New Lanark Archives. Sur l’âge moyen d’entrée à l’usine pour les ouvriers du textile âgés de moins de dix-huit ans, voir les rapports d’activité de 162 filatures présentés en 1816 devant le Select Committee on the State of the Children Employed in the Manufactories of the United Kingdom, PP 1816 (397), House of Common Papers, Londres.
59 Ibid.
60 Frey Jean-Pierre, 1986, La ville industrielle et ses urbanités. La distinction ouvriers/employés : Le Creusot 1870-1930, Bruxelles, Éditions Mardaga, p. 54.
61 Journal de Robert Owen, op. cit.
62 Owen Robert, Life, op. cit., p. 137.
63 Ibid., p. 81.
64 Ibid., p. 137-138.
65 Bartle George F., 2004, « Lancaster, Joseph (1778-1838) », Oxford Dictionary of National Biography, [En ligne] URL : <www.oxforddnb.com/view/article/15963 >. Owen devient vers 1812 l’un des principaux bailleurs de fonds de la société de Lancaster, et applique un temps les méthodes de ce dernier au sein des écoles de New Lanark. Il s’en détache progressivement – sans pour autant cesser ses versements – face à des programmes qu’il juge trop rudimentaires et soumis à un apprentissage par cœur, méthode qui échoue selon lui à développer pleinement les facultés humaines. Voir à ce sujet le témoignage d’Owen devant le Report from the Select Committee on the Employment of the Poor in Ireland, PP 1823 (561), p. 102.
66 Nardinelli Clark, 1982, « Corporal Punishment and Children’s Wages in Nineteenth Century Britain », Explorations in Economic History, vol. 19, n° 3, p. 283-295.
67 Rules and Regulations, op. cit., art. 18-19.
68 Owen Robert, Report to the County of Lanark, op. cit., p. 285.
69 Owen Robert, New View, op. cit., p. 43.
70 Owen Robert, Address to the Inhabitants of New Lanark, op. cit., p. 107.
71 Ibid.
72 Owen Robert, 1824, Outline of the System of Education at New Lanark, Glasgow, University Press, p. 29.
73 Owen Robert, The Republican, op. cit., p. 505-506 (ma traduction).
74 Owen confirme personnellement cette filiation en 1823, lors de son passage devant une commission parlementaire réunie pour statuer sur la crise économique en Irlande. Désireux d’y exporter son projet communautaire, le dirigeant de New Lanark cite son entreprise comme un avant-goût réussi de village de la coopération. Report from the Select Committee on the Employment of the Poor in Ireland, PP 1823 (561), p. 99, House of Commons Parliamentary Papers.
75 Andrews Malcolm, 1989, The Search for the Picturesque. Landscape, Aesthetics and Tourism in Britain, 1760-1800, Stanford, Stanford University Press, p. 3.
76 The Kaleidoscope, 20 juillet 1819 ; Southey Robert, 1819, Journal of a Tour of Scotland, Londres, John Murray, p. 259.
77 New Lanark Visitors’Books, 1795-1799 et 1821-1824, Gourock MSS, Glasgow University Archives Services, GB 0248 UGD 042/7/1/1 ; Donnachie Ian, 2004, « Historic Tourism to New Lanark and the Falls of Clyde 1795-1830. The Evidence of Contemporary Visiting Books and Related Sources », Journal of Tourism and Cultural Change, vol. 2, n° 3, p. 145-162.
78 Jullien Marc-Antoine, 1823 (avril), « Notice sur la colonie industrielle de New Lanark en Écosse, fondée par M. Robert Owen », Revue encyclopédique, 52e cahier, tome XVIII, p. 22.
79 Fitton Robert S. et Wadsworth Alfred P., 1968, The Strutts and the Arkwrights, 1758- 1830 : A Study of the Early Factory System, ch. IX. ii Factory Discipline and Labour Turnover, Manchester, Manchester University Press, p. 232-239.
80 Journal de Robert Owen, op. cit., 14 décembre 1819 ; Allen William, 1847, « Journal of William Allen » [7 mai 1818], in Allen William, The Life of William Allen, Philadelphie, Henry Longstreth, p. 257-258.
81 Je souligne. Les témoignages de deux autres anciens ouvriers de New Lanark, William Dyer et George Miller, vont dans le même sens. Factory Inquiry Commission, First Report : Employment of Children in Factories, PP 1833 XX, p. 156, 160, 163, House of Commons Parliamentary Papers.
82 Ibid., p. 96.
83 Southey Robert, op. cit., p. 262-263.
84 Anonyme, 1823, « Letter to the London Proprietors », publiée dans l’Edinburgh Christian Monitor, p. 863.
85 The Republican, 16 avril 1824.
86 « Je ne pouvais rien faire de plus pour une simple population d’ouvriers, car la fabrique ne constitue pas la fondation véritable de la société. Et après tout, qu’avais-je fait pour ces gens-là ? Ils étaient des esclaves à ma merci, susceptibles d’être renvoyés à tout moment et conscient que dans un tel cas, ils seraient réduits à une vie de misère, comparée au bonheur limité dont ils bénéficiaient pour le moment », Owen Robert, « A Narrative of the Thirty Years’Experiment at New Lanark », art. cit., p. 21-22.
87 Owen Robert, 1835 (16 mai), « Public Meeting at the London Exchange, May 1st, 1835 », The New Moral World, n° 29, p. 277.
88 Stedman Jones Gareth, 2006, « Saint-Simon and the liberal origins of the socialist critique of Political Economy », in Aprile Sylvie et Bensimon Fabrice (dir.), La France et l’Angleterre au XIXe siècle, Paris, Creaphis, p. 21-48.
89 Claeys Gregory, Machinery, op. cit., p. 34.
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