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Les révolutions du commerce. France, xviiie-xxie siècle

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Jean-Claude Daumas

Deuxième partie. Le commerce au prisme du produit

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Producteurs, grossistes et détaillants : les transformations du commerce des eaux embouteillées en France, mi-xixe-début xxie siècle

Nicolas Marty

Full text

  • 1 La croissance mondiale de consommation du produit entre 2007 et 2017 est de 45 %.

1L’eau minérale embouteillée peut être considérée comme un produit phare de la société de consommation. L’eau en bouteille, consommée initialement dans quelques pays européens, est en effet devenue une consommation universelle dans le dernier quart du xxe siècle. Son développement mondial connaît toujours une croissance spectaculaire en dépit des remises en cause et récriminations qui sont faites à son encontre, notamment le poids environnemental lié à la question du recyclage des emballages et des coûts de transport élevés induits (EFBW, 2016 ; Statista Research Department, 2014)1.

2L’objectif de ce chapitre est de s’attacher à l’histoire de la distribution par l’intermédiaire d’une approche par le produit. Il s’agit ici d’analyser les formes successives de diffusion de l’eau en bouteille depuis sa création en tant que produit industriel au xixe siècle jusqu’au début du xxie siècle. Comment le produit est-il concrètement diffusé ? Quelles sont les relations entre les producteurs, les clientèles et les acteurs de la distribution ? L’ambition de ce travail n’est pas seulement descriptive. Car réfléchir à la distribution d’un produit, c’est essayer de comprendre en profondeur comment un marché s’est construit concrètement. Pour cela, ce travail s’appuie sur plusieurs présupposés théoriques. D’abord, il postule que les marchés ne sont pas le résultat d’un équilibre naturel, mais des constructions sociales complexes dans lesquelles acteurs et institutions au sens large (systèmes de poids et mesures, normes de production, droit de propriété, etc.), qu’ils soient privés ou publics, à des échelles parfois différentes, tiennent une place autre que celle de figurants agissant mécaniquement. Les marchés sont donc construits socialement et historiquement dans des contextes situés et au travers de dispositifs aussi bien internes qu’externes à la relation marchande (Tedlow, 1997 ; Cochoy, 1999 et 2004, p. 46 ; Fligstein, 2001 ; Stanziani 2007 ; Vatin, 2013 ; Callon, Akrich et Dubuisson-Quellier, 2013). D’autre part, ce travail s’inscrit dans une historiographie qui considère que les marchés des biens alimentaires sont des terrains particulièrement pertinents pour comprendre comment le monde occidental a basculé dans la société de consommation (Scholliers, 1992, p. 85 ; Flandrin et Montanari, 1996, p. 740-743 ; Nadau, Chessel et Kott, 2005). Elle met en effet en évidence le passage de la satisfaction des besoins élémentaires à la prise de produits standardisés proposés par une industrie alimentaire capable de construire ses marchés (Bruegel, 2005). Dans cette perspective, la question de la construction des normes de qualité des produits alimentaires mettant en scène une multiplicité d’acteurs marchands et non marchands, est fondamentale pour comprendre la trajectoire des marchés (Teuteberg 1987 ; Smith et Philipps, 2000 ; Stanziani, 2005 ; Dessaux, 2006).

3L’invitation faite par Jean-Claude Daumas de travailler sur le thème de la distribution permet d’approfondir ici un itinéraire de recherche initié par l’histoire d’une entreprise d’eau minérale puis poursuivi par la réflexion sur la construction progressive d’un marché (Marty, 2005, 2006, 2008 et 2013). Le choix effectué ici est d’essayer de comprendre, dans une perspective historique, comment se sont nouées les relations entre producteurs, distributeurs et clients (Chadeau, 1993 ; Chatriot, Chessel et Hilton, 2005, p. 80 ; Daumas, 2013 et 2018). Cela signifie qu’il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble du réseau de distribution, depuis les grossistes jusqu’aux détaillants et leur place dans l’ensemble du système.

  • 2 « Ordonnance royale du 18 juin 1823 relative au règlement sur la police des eaux minérales », Bulle (...)

4L’une des spécificités de l’eau minérale embouteillée est que le produit est considéré en France dès le début de son exploitation industrielle comme un médicament (ordonnance de 1823)2. Ce produit thérapeutique nécessite donc d’emblée l’équivalent d’une autorisation de mise sur le marché par les pouvoirs publics après un avis de l’Académie de médecine. Cette caractéristique est perpétuellement discutée, mais elle entraîne naturellement des conséquences particulières pour sa diffusion. En outre, il existe aussi des contraintes concrètes, propres aux boissons, qui s’imposent au réseau de distribution : comment faire face à la question du stockage, aux problèmes liés au conditionnement en bouteilles ?

5Pour répondre à cet ensemble de questions, il apparaît nécessaire de reconstituer le système commercial en essayant de caractériser les relations complexes qui se nouent entre producteurs, distributeurs et détaillants. La démarche sera de distinguer trois grandes périodes. À partir des années 1850 jusqu’à la Première Guerre mondiale a lieu la première grande vague de diffusion de l’eau embouteillée. Cette période s’individualise comme étant celle au cours de laquelle les premiers circuits de distribution se mettent en place. Après la Première Guerre mondiale jusqu’au début des années 1960, se construit un marché national des eaux minérales dans des conditions spécifiques de contraintes légales de plus en plus sévères pour ces produits et leurs distributeurs. À partir de la fin des années 1960 s’ouvre une voie nouvelle, permettant la diffusion sur une très grande échelle des eaux embouteillées.

I. L’émergence du marché : du milieu du xixe siècle à 1914

6À partir du milieu du xixe siècle, le marché de l’eau en bouteille décolle dans plusieurs pays européens, dans le cadre de dénominations commerciales diverses. En France, l’appellation « eau minérale » demeure liée étroitement à la notion de médicament. En vertu de l’ordonnance de 1823, les eaux minérales sont forcément naturelles et embouteillées directement à la source ; elles sont reconnues par les autorités médicales comme ayant des qualités thérapeutiques et reçoivent une autorisation d’exploitation des pouvoirs publics. D’autres producteurs créent des eaux artificielles gazeuses, non soumises à autorisation, mais surveillées comme des biens alimentaires. Comment se construisent les liens entre producteurs, distributeurs et clients dans cette phase de démarrage du marché ?

1. L’architecture du marché : des producteurs aux consommateurs

a. La naissance de la branche

  • 3 Cf. Annuaire statistique de la France, 1892, p. 378-379.

7Les producteurs d’eaux minérales sont, du fait de la régulation en amont, en nombre limité par rapport à ceux, plus nombreux, mais de taille très réduite, qui produisent des eaux artificielles. Le nombre de sources autorisées en France passe de 1 200 en 1856 à 1 311 en 1892, mais les exploitants qui effectuent réellement de l’embouteillage sont peu nombreux : un tiers environ des 355 établissements thermaux au début du xxe siècle (Bonjean, 1903, p. 109)3. Peu à peu, un petit groupe de grandes entreprises de la branche parvient à prendre une importance nationale. La plus importante d’entre elle est la Compagnie fermière de Vichy. Cotée au parquet de la Bourse de Paris, avec ses 9 millions de francs de capital social (en 1896), elle dispose d’immobilisations importantes. La Société générale des eaux minérales d’Évian, la Société générale des eaux minérales de Vals (4,5 millions de francs, cotée hors parquet), la Compagnie générale d’eaux minérales et des bains de mer (SA au capital de 4,8 millions de francs), la Société générale des eaux minérales de Vittel (3,5 millions de francs) font partie du petit groupe des grandes entreprises de la branche. Toutes ont leur siège social à Paris. Elles exploitent souvent, par l’intermédiaire de sociétés filiales ou par des participations, des groupes d’hôtels, des imprimeries, des verreries comme Badoit ou la Source Perrier (Marty, 2013, p. 57-58). À côté de ces grandes entreprises à l’échelle de la branche, de nombreuses entreprises thermales sont de toute petite taille ; elles sont adossées la plupart du temps à une station de faible envergure, disposent d’un tout petit atelier et ont au mieux un marché régional. En France, le Massif central, les Alpes et les Vosges sont les principaux centres de production. Les centres de consommation sont eux, essentiellement concentrés dans les grandes villes, et particulièrement à Paris, Lyon et sur la Riviera française. Le marché est fragmenté géographiquement et socialement. Les zones rurales ne connaissent pour ainsi dire aucune consommation de ce type de produit avant 1914, à quelques rares exceptions près liées à la consommation strictement thérapeutique.

b. Les grossistes et entrepositaires se structurent comme des intermédiaires indispensables

8Dès les premières phases de création du marché, des grossistes et entrepositaires, commerçants en gros ou négociants en eaux se structurent peu à peu pour acheminer, stocker et distribuer les bouteilles vers les détaillants. L’utilisation de grossistes distributeurs est typique des branches dans lesquelles les avantages de réduction du coût par la taille et la diversification sont insuffisants (Chandler, 1988 p. 251 et 1993, p. 14). Les petits acheteurs ou les producteurs ne pourraient guère supporter des coûts de transport pour des expéditions parfois minimes. Les grossistes achètent les produits « départ gare » et jouent donc un rôle logistique majeur. Au rôle d’entrepositaires, ils s’assurent des débouchés avec le démarchage des clients finaux, consentent des crédits ou des avances, essaient de contrôler un territoire de vente. Les producteurs ont besoin des grossistes et ne vendent pas en direct aux détaillants. Le conseil d’administration des Eaux minérales de Saint-Galmier, alors à la pointe de la vente d’eau embouteillée, s’interdit par exemple au tout début du xxe siècle, tout démarchage auprès des détaillants (Merley, 1994, p. 122).

  • 4 « Cour d’appel : moyens frauduleux, hausse des prix », Jurisprudence générale en matière civile, co (...)

9Après la phase d’émergence, les commerçants en gros se sont peu à peu organisés. La lutte contre les bas prix les pousse à s’entendre sur les conditions de vente. En 1891, les négociants de Lyon s’associent dans une Chambre syndicale des eaux gazeuses, naturelles et artificielles. La Chambre souhaite fixer les conditions du tarif auquel les membres du syndicat sont tenus de vendre les eaux et prévoit diverses pénalités pour ceux qui ne suivraient pas ces consignes. Elle passe des accords avec de nombreux producteurs pour qu’ils ne vendent pas d’eaux minérales aux marchands ne faisant pas partie de leur association. Mais un des négociants, qui n’a pas voulu adhérer au syndicat, porte plainte. Le tribunal correctionnel de Lyon estime qu’il y avait entente illicite empêchant une concurrence loyale car le plaignant avait dû trouver d’autres approvisionnements renchérissant ses prix de vente. Le syndicat est condamné à deux reprises, une fois en 1893 et l’autre fois en 1896. Les dix-huit prévenus doivent payer solidairement au plaignant 10 000 francs. Une même affaire avait été jugée quasiment en même temps à Paris4. Le principe retenu par les tribunaux était d’affirmer que les organisations professionnelles n’avaient pas pour objet de faire du commerce ni des actes de commerce.

  • 5 « Cour de cassation, 7 février 1906 », Dalloz. Jurisprudence générale, n° 1, 1906, p. 501.

10Il faut noter que les compagnies fermières peuvent joindre à l’exploitation des eaux comprises dans leur concession le commerce de toutes les eaux minérales françaises. La Compagnie fermière de Vichy, par exemple, met au point un réseau d’entrepôts répartis sur tout le territoire. Attaquée en justice par des négociants en gros d’eaux minérales pour détournement de clientèle, elle obtient définitivement gain de cause en 19065. La plupart des autres grossistes sont commerçants en gros de bières et de diverses boissons. La place des eaux embouteillées dans leur activité dépend en réalité de la nature des détaillants qu’ils livrent et de leur spécialisation. Il est possible de considérer ainsi comme grossiste la Pharmacie centrale de France, une société coopérative qui dispose de plus de quatre-vingts références d’eaux embouteillées dans des locaux prévus dès 1852 pour stocker et servir un grand nombre d’officines à Paris (Raynal, 2004, p. 592 ; Sueur, 2012, p. 232-233). On observe un certain mouvement vers la rationalisation, même si les grossistes restent très nombreux. Ainsi, la Société des eaux de Saint-Galmier (Badoit), travaillait-elle avec une trentaine de dépositaires en 1881 contre seulement 16 en 1912, alors que le volume des ventes avait singulièrement augmenté. Autre exemple, la Pharmacie centrale de France a commencé à se structurer à l’échelle nationale, en mettant en place des succursales dans plusieurs grandes villes : Marseille, Bordeaux, Nantes, Toulouse, Lyon éliminant ainsi probablement de petits concurrents moins bien organisés (Sueur, 2012, p. 393-394).

c. Des détaillants très divers au contact du consommateur

11Plusieurs types de détaillants participent à l’émergence du commerce de l’eau embouteillée. La consommation est urbaine, dans tous les cas. Elle peut relever de la cure thermale poursuivie à la maison. Elle peut relever aussi de la consommation « par défaut », à savoir que l’eau est utilisée parce qu’il n’existe pas de confiance dans l’eau distribuée par les fontaines ou par les réseaux de distribution en construction dans les grandes villes (Marty, 2006, p. 38-39). Enfin, l’eau en bouteille peut aussi être utilisée aussi tout simplement comme rafraîchissement. On le voit, il s’agit essentiellement ici d’une consommation occasionnelle. Pour chaque type de consommation, les lieux d’achat sont différents.

12Les lieux où l’on pouvait acheter et consommer des eaux embouteillées hors foyer étaient très nombreux et très divers, depuis les plus huppés jusqu’aux plus sommaires. Il s’agit des débits de boissons, restaurants, et d’autres lieux liés à la mobilité. Les clientèles qui consomment peuvent être de niveaux sociaux très différents selon les établissements ou les villes. À Clermont-Ferrand, Lyon ou Saint-Étienne, très proches des lieux de production des eaux minérales naturelles de la Loire, des Alpes ou de l’Allier, les débits de boissons servent ces produits à prix faible compte tenu du coût limité du transport. Il est avéré que dans les années 1870, les classes populaires de ces villes consomment bien des eaux embouteillées. Les établissements huppés, les voitures des restaurants de chemin de fer et ceux des bateaux de ligne, sont des lieux qui se structurent peu à peu en tant qu’espace de consommation et de distinction où sont distribuées des boissons de qualité, notamment les eaux minérales naturelles ou bien les eaux artificielles de marque.

  • 6 Catalogue Felix Potin, 1912.

13Pour la consommation domestique, les ventes se font essentiellement à partir des pharmacies et aussi, des épiceries ou des marchands de vins. Il semble cependant que la vente à la bouteille soit relativement rare : les achats se faisant plutôt par caisses entières. Dans l’épicerie, alors en train de se construire comme un espace de vente de produits alimentaires, il est aussi possible de se procurer des bouteilles, mais il arrive aussi que les eaux embouteillées soient débitées « au détail » : en 1894, le Dr Drouineau, membre de l’Académie de médecine, désapprouve que les eaux minérales arrivent à se vendre au verre ou au demi-verre chez l’épicier ou le charbonnier du coin (Drouineau, 1894, p. 468). Cependant, ces espaces sont alors globalement peu adaptés. Il faut disposer de zones de stockage, manipuler des bouteilles, parfois organiser leur retour selon les accords passés avec les grossistes. En outre, tout dépôt d’eaux minérales est alors susceptible d’être inspecté et génère une taxe liée à cette inspection. Dans les manuels ou la presse professionnelle des épiciers, les eaux minérales ne tiennent qu’une place marginale et semblent n’intéresser que très faiblement la corporation. Cependant, il est possible de dire que les bouteilles d’eaux minérales sont sans doute parmi les premiers à se vendre en tant que produits emballés et vendus sous marques, l’essentiel de la vente des autres produits alimentaires se faisant alors encore dans le cadre de produits vendus en vrac. L’importance que prennent les grands épiciers dans le commerce alimentaire, comme Félix Potin par exemple, est certaine à partir de la fin des années 1890, capable de diffuser des produits de l’industrie agroalimentaire naissante (Dessaux, 2003, p. 205 ; Vabre, 2012, p. 140). Le catalogue de Félix Potin de 1912 comprend plus de vingt références d’eaux minérales dont certaines sont de tout petits producteurs. L’entreprise ne produit pas elle-même d’eau embouteillée6. Mais ce type de commerce ne touche qu’une partie de la clientèle en consommation domestique urbaine et ne s’intègre réellement que dans les centres-villes bourgeois (Faure, 1979, p. 118-119 ; Daumas, 2015, p. 240-244).

2. Surveillance, conflits, fraudes : au plus près des rapports de force du marché

a. La surveillance des dépôts d’eau minérale et la répression des fraudes

  • 7 « Les fraudes sur les eaux minérales », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, n° 13, 19 (...)

14Les grossistes, entrepositaires, mais aussi tous les détaillants sont alors soumis à la surveillance des dépôts d’eaux minérales naturelles et artificielles prévue par l’ordonnance de 1823. Les inspecteurs devaient notamment s’assurer que les eaux mises en dépôt provenaient bien des sources indiquées et si ces dernières étaient autorisées ou non. Une taxe permettait de rétribuer le médecin inspecteur. Dès que des chargements d’eaux arrivaient, le dépositaire devait prévenir l’inspecteur pour qu’il puisse venir vérifier les dates du puisement et de l’arrivée (Guibourt, 1852, p. 149-147). Ces règles très contraignantes sont peu à peu abandonnées. L’autorisation de dépôt est remplacée par une simple déclaration dans les années 1870, mais l’inspection demeure. Les établissements comme les épiceries ou les coopératives, les grands magasins sont ainsi en théorie sujets à l’inspection, bien que la plupart des petits débitants ne soient guère inspectés (Rabot, 1879, p. 294). Ces éléments n’empêchent pas le développement de la fraude dans la distribution, contre laquelle les entreprises productrices essaient de lutter. Évian engage par exemple en 1908 une vaste campagne d’investigation dans les restaurants ; des prélèvements par huissier permettent de démasquer de nombreux détaillants, dont trois font partie des restaurants les plus connus de Paris. Évian obligea, sous la menace de poursuites, les trois maisons à transiger « pour des sommes très importantes »7. Lorsque les faits sont constatés par les agents de la répression des fraudes, le parquet était nécessairement saisi. Les sociétés plaignantes renoncèrent en général à se porter partie civile, moyennant le paiement de dommages et intérêts. Les grandes entreprises ont toujours intérêt à conserver les établissements renommés de restauration parmi leurs clients.

15Après avoir constaté des fraudes chez les restaurateurs, plusieurs enquêtes sont menées en 1910 chez les épiciers, mais ceux-ci, bien que proposant des produits falsifiés, sont reconnus de bonne foi et l’enquête se dirige vers les grossistes. Plusieurs affaires apparaissent alors. Un grossiste reconnaît fabriquer lui-même des eaux d’Évian et de Vittel et dessert ainsi 17 épiceries. Chez un autre grossiste, les livres de comptabilité montrent que 45 888 bouteilles de Vichy sont sorties de son atelier en un mois. Il reconnaît avoir fabriqué diverses eaux minérales à partir de l’eau de canalisation parisienne filtrée et vendu par an 500 000 litres de Vichy, 100 000 litres de Saint-Yorre, 50 000 de Vals, etc. Les agents de la répression des fraudes, par ces stupéfiants résultats d’enquête, mettent en exergue la faiblesse du dispositif de l’autorisation et de l’inspection. Ils développent un discours très critique sur la régulation du produit, considérant que les eaux minérales doivent devenir purement et simplement des produits alimentaires comme les autres. Les pharmaciens, avant eux, avaient tenté de clarifier la situation, sans y parvenir.

b. Le combat des pharmaciens pour le monopole des eaux médicinales et leur échec

  • 8 Direction générale de la Santé, 1957 (novembre), « Rapport du docteur Bettiaux pour le Conseil supé (...)

16Les pharmacies sont des points de vente incontournables des eaux embouteillées dans la phase d’émergence de ce produit. Ce sont aussi les lieux les plus structurés et initialement, les plus adaptés à la vente de produits emballés. L’ordonnance de 1823 leur donne, en tant qu’hommes de l’art, une place essentielle. Les pharmaciens, en général, sont favorables à ce que l’on distingue les eaux de table d’un côté, les eaux minérales médicinales de l’autre pour pouvoir disposer du monopole de la vente de ces dernières. De fait, le monopole de la vente leur est toujours refusé au nom de l’intérêt général (Bouchardat, 1891, p. 372). Il apparaissait impossible aux yeux des académiciens d’établir une claire distinction entre les eaux. Fallait-il, par exemple, fixer à deux grammes de bicarbonate par litre d’eau, la limite au-delà de laquelle la vente serait réservée aux pharmaciens ? La liberté de la vente par ailleurs, n’entraîne pour les médecins que « peu d’inconvénients ». Un autre argument est purement économique : une telle réglementation risquerait « d’apporter une perturbation regrettable à ce commerce intéressant, sans compensation »8. Enfin, il apparaissait qu’en limitant les ventes aux pharmacies, une partie importante de la population n’aurait pas accès à des eaux favorables à la santé. Ce raisonnement n’était pas exempt de paradoxe, mais il était resté le même depuis 1860 : si les eaux étaient des médicaments, pourquoi pouvait-on les acheter dans les magasins d’alimentation ? Si ce n’étaient pas réellement des médicaments actifs, pourquoi les vendre dans les pharmacies ? Les pharmaciens ne se privèrent pas de pointer cette contradiction à plusieurs reprises (Riche, 1892, p. 337). Pour de nombreux consommateurs, l’achat des bouteilles d’eaux dans les pharmacies était un gage de qualité.

II. De 1914 aux années 1960 : la difficile mise en place d’un marché national

17Le produit, consommé de manière occasionnelle et considéré la plupart du temps comme une consommation de luxe, souffre clairement de ces temps difficiles et ne connaît une accélération de la consommation qu’après la Seconde Guerre mondiale. L’articulation entre producteurs, distributeurs et consommateurs connaît toutefois des modifications importantes, qu’il convient ici de caractériser.

1. Un nouvel équilibre entre acteurs marchands

a. Une phase de concentration de l’offre dans une période de forte intervention de l’État

  • 9 Rapport du docteur Bettiaux pour le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, novembre 1957, (...)

18L’évolution va dans le sens d’une baisse constante du nombre de producteurs. En 1957, il ne reste plus, en dehors de quatre ou cinq grands sourciers, que 45 entreprises dans la branche. Parmi elles, 28 vendent moins d’un million de bouteilles, et 17 entre un et dix millions. La baisse globale des effectifs s’explique d’abord par les difficultés de tout ordre auxquelles les entreprises doivent faire face. Même les mieux implantées doivent lutter pour la pérennité de leur système productif entre les années 1930 et la fin des années 1940 (Marty, 2010, p. 246-247). La régulation est en outre renforcée par plusieurs décrets (1922, 1930, 1957) qui obligent les producteurs à mettre en place des systèmes sans cesse plus sophistiqués de surveillance internes et externes (Marty, 2013, p. 216-219). Les demandes d’autorisation d’exploitation doivent désormais être renouvelées tous les trente ans. Le niveau d’exigence des normes sanitaires s’élève, notamment dans le domaine des contrôles bactériologiques et physicochimiques. Après 1957, les grandes entreprises, qui livrent plus de 10 millions de cols, doivent mettre en place un laboratoire au sein de leur usine afin de procéder à des analyses permanentes de leurs produits9. Les investissements dans l’appareil de production ou par la publicité apparaissent comme de plus en plus lourds pour pouvoir se maintenir dans le marché. L’apparition de nouveaux entrants est quasiment impossible du fait de l’importance de l’investissement initial à réaliser, ainsi que pour la durée très longue d’autorisation par les autorités après l’avis de l’Académie de médecine. À ces contraintes, il faut ajouter le fait que les prix des eaux minérales sont étroitement contrôlés entre 1940 et 1946, puis bloqués entre 1948 et 1952, et entre 1954 et 1958. De ce fait, la concentration de la branche a débuté dès l’entre-deux-guerres, notamment autour du bassin de Vichy (Chambriard, 1999, p. 61-62), et connaît une phase d’accélération après la Seconde Guerre mondiale. À la fin des années 1950, Évian détient 26 % des parts de marché, Perrier 25 %, Vittel 21 % et les eaux de Vichy 19 % ; ces quatre entreprises contrôlent donc 91 % de l’ensemble du marché.

b. Les grossistes maintiennent une position forte dans le système

19Le système de distribution tel qu’il a été mis au point dans la période précédente se renforce. Le nombre de grossistes augmente pendant l’entre-deux-guerres. Cette augmentation provient de plusieurs phénomènes distincts. D’une part, les anciennes zones travaillées se maintiennent. D’autre part, les grossistes en boissons qui ne participaient pas au commerce des eaux minérales auparavant, le font désormais, dans des territoires qui n’étaient pas desservis précédemment. La tendance est donc à une amélioration certaine de la capillarité du réseau de distribution dans tout le territoire français. Le président de la Fédération des grossistes en boissons peut dire, en 1936 : « […] votre corporation a été le grand propagateur des eaux minérales » (Motte-Tourtel, 1936, p. 6). Sur les 6 000 entrepositaires et grossistes en boissons que compte la France après la Seconde Guerre mondiale, environ 4 500 distribuent de l’eau minérale, en moyenne pour 20 % de leur activité au début des années 1960 (Désirat, 1967, p. 53). Si les négociants et commerçants en gros spécialisés en eaux minérales ont tendance, eux, à disparaître, un grossiste historique se maintient néanmoins, c’est la Compagnie fermière de Vichy, et l’ensemble de ses entrepôts répartis sur tout le territoire, jusqu’à son absorption par Perrier en 1966.

  • 10 « Les nourrissons, meilleurs clients d’Evian », L’Entreprise, 15 décembre 1955, p. 17.

20Les distributeurs parviennent rapidement à structurer une organisation professionnelle solide, d’abord sous la forme de fédérations de grossistes entrepositaires régionales, puis nationales dès les années 1930. Cette organisation professionnelle se donne pour objectif de discipliner la profession, de gérer les questions de concurrence, et de favoriser la modernisation des dépôts. Le nombre important d’opérateurs rend toutefois cette tâche assez difficile. La presse professionnelle insiste sur le rôle des grossistes : l’entrepositaire est le trait d’union entre le fabricant et le consommateur, sa mission est de bien acheter et de bien vendre. Pour les dirigeants de la fédération, « […] le transport, l’entrepôt proprement dit, affaires de matériel et de soins manouvriers, tout en accroissant d’importance, sont passés au second rang. Le rôle de l’entrepositaire est devenu essentiellement commercial » (Cardo, 1932, p. 8). Pourtant, ce discours est souvent contredit par les faits. D’abord parce que la concurrence est forte entre les entrepositaires qui défendent souvent un territoire qu’ils entendent contrôler, quitte à lutter en baissant les prix auprès des détaillants. D’autre part, l’activité de stockage proprement dite tient une place de plus en plus importante. En pleine saison, dès le milieu des années 1950, Perrier ou Vittel sont capables de produire plus d’un million de bouteilles par jour (Désirat, 1967, p. 54). Les grossistes contribuent donc largement à la gestion des stocks, doivent disposer de vastes entrepôts et d’une bonne manutention, et surtout, d’une bonne trésorerie du fait de l’importance des capitaux immobilisés. Les producteurs utilisent alors soit des agents généraux, qui démarchent les entrepositaires et centralisent les commandes, soit organisent directement leurs réseaux de grossistes10. Les sourciers et les grossistes travaillent souvent ensemble dans le cadre de l’organisation professionnelle pour aplanir les problèmes rencontrés. En 1938, des « amicales » d’eaux minérales, c’est-à-dire des groupes de représentants professionnels des deux branches (production et distribution), proposent des solutions pour une bonne entente entre tous les opérateurs : par exemple, la suppression des dépôts directs (qui existent donc, surtout provenant des petits producteurs) ou la limitation de la concurrence avec la création de contingentements par grossistes (Cardo, 1938). En 1946, est créée la Fédération de l’industrie et du commerce des eaux minérales, associant donc grossistes et producteurs.

c. Des transformations majeures chez les détaillants

21Globalement la consommation des eaux embouteillées augmente, surtout après la Seconde Guerre mondiale, mais elle reste occasionnelle, associée à des moments particuliers. La consommation hors domicile ne représente plus que 30 % des ventes en 1965. C’est un phénomène européen, mais en France, le nombre de cafés et de restaurants connaît une lente décrue après la guerre (Haine, 2003). Les anciennes formes sommaires laissent la place à des structures organisées et généralement bien équipées.

22La consommation à domicile représente donc 70 % des achats (Désirat, 1967, p. 66). L’essentiel se fait par le biais de grandes bouteilles (de 0,90 litre). Un des faits majeurs est le déclin de la vente des eaux minérales dans les pharmacies. Alors que la Pharmacie Centrale disposait de plus de quatre-vingts références à la fin du xixe siècle, la « Bible des officines », le Dictionnaire Vidal ne référence plus pour les prescriptions que quatre eaux minérales en 1958 (Raynal, 2004, p. 596). Cette mutation se réalise dans un contexte de transformations profondes du secteur de la pharmacie (Chauveau, 2002, p. 177-178). Néanmoins, certains gros producteurs, comme Évian, maintiennent pendant presque toute la période une vente exclusive chez les pharmaciens. Mais c’est de plus en plus dans les points de vente alimentaires que les achats se réalisent. L’épicerie traditionnelle, cœur du petit commerce alimentaire, demeure très forte encore dans les années 1950 (Daumas, 2006, p. 59). Le système des grands magasins alimentaires de type Félix Potin ou des succursalistes de types Casino a tendance à irriguer de plus en plus de villes du territoire français. Un nouveau type de concurrence apparaît, celui des magasins à prix uniques, une technique de vente importée des États-Unis. Cette forme de commerce se répand rapidement en France (Prisunic et Monoprix) à la faveur de la crise. Les nouvelles structures commerciales de type supermarché permettant de disposer d’un espace beaucoup plus grand et prenant en compte le développement du libre-service émergent à peine dans les années 1950, puis se diffusent largement dans les années 1960 (Daumas, 2006, p. 60-61). Tous ces points de ventes, via les grossistes, diffusent les grands produits nationaux d’eaux embouteillées, contribuant à la mise en place de ce marché national. L’essentiel de ce commerce se produit en zones urbaines. Une enquête menée dans les années 1960 sur la consommation des eaux embouteillées montre à quel point le monde rural est très en dessous des standards de consommation des villes. Les difficultés concrètes sont néanmoins nombreuses et empêchent un réel décollage de la consommation.

2. De nombreux problèmes limitent les possibilités de développement

a. La difficile gestion des emballages : la consignation

  • 11 « Consignation des emballages », Gazette de Jean Primus, janvier 1938, p. 12.

23La consignation renvoie au fonctionnement concret des conditions de vente depuis le producteur jusqu’au consommateur. Le verre, considéré comme une matière précieuse, est cédé à chaque transmission et, finalement, revient à son point de départ après une cascade de consignations. Les bouteilles consignées effectuent, en général, une vingtaine de rotations. Cette pratique existe ponctuellement chez certains opérateurs dès avant la Première Guerre mondiale. Elle est ensuite généralisée par une loi de 1938 dont le périmètre concerne toutes les boissons sans alcools, puis confirmée à nouveau en 1941. Concrètement, les entreprises productrices vendent l’eau et la bouteille au grossiste. Ce dernier doit avoir une importante trésorerie pour faire l’avance et attendre en retour le paiement des bouteilles vides. Il facture l’équivalent du prix de la bouteille aux détaillants qui répercutent eux-mêmes ce prix sur les clients. Les clients sont remboursés s’ils ramènent la bouteille vide au détaillant, qui est lui-même rétribué par le grossiste qui finalement, facture les bouteilles vides en retour au producteur. La valeur de la consigne est fixée pour toute l’année par une commission rassemblant dix membres, dont trois producteurs de boissons non alcoolisées, trois entrepositaires, trois débitants de boissons et un délégué du ministre du Commerce et de l’Industrie11. Ce système reçoit un accueil très favorable de l’organisation des entrepositaires et grossistes.

24« Nous nous réjouissons de ce que le parlement ait profité des navettes de fin d’année pour voter la consignation dont l’importance est si grande pour notre profession. Il nous est agréable de féliciter tous ceux qui ont contribué au vote définitif de la loi », dit la Gazette de Jean Primus en janvier 1938. Quelques années plus tard, en 1955, l’organisation professionnelle des grossistes rappelle à quel point ce système est indispensable :

[…] Jamais il ne me viendra à l’esprit de ne plus consigner le matériel et je préfère perdre définitivement un client que de transiger sur ce point essentiel […]. Il faut être complètement fou pour appliquer un système dans lequel il n’y a pas de consigne. Il n’y a pas d’exemple de fabricant ou d’entrepositaire qui, ne consignant pas, ne coure tôt ou tard à la faillite. Celle-ci arrivera plus ou moins vite selon que l’intéressé sera plus ou moins fortuné (Lachapelle, 1955, p. 51).

25La consignation conforte les grossistes : elle rend encore plus précieuse leur capacité de stockage, et nécessite une véritable maîtrise logistique. Mais elle entraîne de nombreuses complications : une gestion administrative lourde à tous les niveaux, des manutentions nombreuses et des contraintes fortes pour les détaillants comme pour les consommateurs, qui finalement, paient plus cher le produit. La pénurie de bouteilles, et le système des consignes, représentent clairement à la fin de la période un obstacle au développement du marché.

b. Des marges globalement assez faibles

26Pendant la période, les prix restent élevés. Une bouteille d’eau minérale peut coûter, en 1920, dans des restaurants, jusqu’à 5 francs, alors qu’un kilogramme de pain coûte 1 franc et un journal populaire 15 centimes (Peycelon, 1920, p. 7). Dans les années 1950, une bouteille coûte en moyenne 40 francs dans le commerce alimentaire alors qu’elle peut être vendue dans certains restaurants jusqu’à 75 francs, car les prix y sont libres. Pourquoi un prix aussi élevé ? Les professionnels insistent sur le fait que le produit est fortement taxé à tous les niveaux de la production à la distribution : entre 20 et 25 %.

27À la fin de la période, les frais de distribution représentent 61 % du prix de vente pour l’eau minérale, contre seulement 30 % pour le lait (Désirat, 1967, p. 58). Les marges réalisées par ces opérateurs ne sont pas élevées.

Figure 1. Décomposition du prix d’une bouteille d’eau minérale en 1955 (épicerie)

Nature Valeur en francs
Prix départ source taxes comprises 12,81
Transport plein 2,53
Transport vide 1,31
Casse plein eau plus transport plein 0,31
Casse vide verre plus transport vide 0,38
Casse vide entrepôt 0,36
Marge grossiste 7,90
Sous-total grossiste 25,60
Taxe transaction locale 0,76
Prix de vente grossiste 26,40
Marge du détaillant taxe comprise 5,94
Prix de vente au public 33

Source : Gazette de Jean Primus, avril 1955, p. 20.

28Les grossistes prennent une marge brute à hauteur d’un peu plus de 20 %, mais ils supportent des frais de transport, de manutention, de stockage élevés. Par conséquent, l’eau minérale ne représente pas pour eux une activité très lucrative. En novembre 1964, un membre de l’organisation professionnelle précise dans la revue Boissons de France : « […] quand on considère la progression de la consommation des eaux minérales, on reste confondu de réaliser le peu de profit que ce commerce nous apporte » (Reynis, 1964, p. 45). De ce fait, nombre de grossistes, trop petits ou trop éloignés des sources, se désintéressent peu à peu de la vente d’eau du fait des marges trop faibles qu’ils peuvent y trouver. S’ils ne renoncent pas à son commerce, qui représente quand même un volume courant de leur activité, ils ne cherchent pas non plus à le développer par rapport à d’autres boissons plus lucratives. C’est notamment pour compenser ce type de difficultés que la Source Perrier rachète la Fermière de Vichy en 1966 afin de rationaliser son potentiel : l’ancien réseau est réorganisé en six succursales régionales : Paris, Rouen, Nancy, Lyon, Bordeaux et Marseille. Perrier réalise donc, à une autre échelle, l’intégration des fonctions logistiques. Ce type de stratégie existait déjà chez de nombreux industriels depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Cliquet, Fady et Basset, 2006, p. 289). Avec ces dépôts, bien mieux organisés, les petits grossistes obtiennent des prix plus intéressants (Marty, 2005, p. 150). Les détaillants (hors cafés et restaurants), réalisent une marge brute de l’ordre de 18 %. Cela explique en partie la difficulté que représente la dynamisation de la vente de l’eau dans les rayons boissons des commerces alimentaires.

c. Une place difficile dans le rayon boisson des nouvelles grandes surfaces

29Les difficultés de la vente à emporter des eaux minérales rencontrées dès la période précédente sont loin d’être résolues, et ces difficultés concernent aussi bien l’épicerie, les succursalistes, que les grandes ou moyennes surfaces (GMS). La réflexion est alors de plus en plus poussée pour rentabiliser chaque mètre carré et optimiser les ventes. Le rayon boisson est alors en pleine phase de construction : les boissons représentent entre 10 et 20 % du chiffre d’affaires d’un supermarché, 6 à 10 % dans les magasins populaires (Monoprix, Prisunic). L’eau minérale apporte environ 10 % du chiffre d’affaires des boissons, soit 1 % dans le chiffre total des magasins populaires (Désirat, 1967, p. 56). Dans un numéro spécial de Libre-service actualités, le directeur des achats de VéGé France, un groupe dont les magasins disposent d’une surface de vente moyenne de 800 mètres carrés, précise en 1968 que le rayon boissons représente environ de 10 à 12 % du linéaire total du magasin. Il est construit autour du principe de la facilité d’accès pour le consommateur, et surtout, à cause des contraintes de la manutention, il est toujours situé à proximité des réserves (Lacampagne, 1968, p. 55). Jean-Pierre Plau, directeur des supermarchés CIP, précise que dans une grande surface à prédominance alimentaire, le rayon boissons représente entre un tiers et la moitié des réserves du magasin (Plau, 1968, p. 65). Les eaux minérales constituent 70 % du volume des livraisons contre 15 % pour les bières et 15 % pour les jus de fruit. Le stock de sécurité représente dans un grand magasin rarement plus d’un à deux jours de ventes (Désirat, 1967, p. 59). La consignation apparaît comme un véritable problème pour les directeurs de supermarchés. Elle représente une manipulation égale au quart du chiffre d’affaires des marchandises de tout le rayon boissons et sature l’espace des réserves, ce qui réduit les espaces de vente et mobilise du personnel. La conclusion du directeur des supermarchés CIP est claire : « Il faut prendre conscience du caractère absurde sur le plan commercial de la consignation » (Plau, 1968, p. 65).

30L’eau en bouteille a le statut de produit d’appel pour les clients, mais elle n’est pas un produit rentable pour les grandes et moyennes surfaces.

[…] lorsque nous en avons la possibilité, nous mettons les eaux minérales purement et simplement dans les chariots ou dans les bacs au milieu des allées, afin de laisser plus de place aux bières en litre, ou aux bières en litre de luxe. En effet, dans l’état actuel des choses, il semble vraiment impensable de consacrer aux eaux minérales quelque investissement que ce soit en ce qui concerne la présentation en rayons et en ce qui concerne les meubles de présentation puisque malheureusement, nous arrivons à travailler sans marge (Lacampagne, 1968, p. 57).

31Des sources diverses insistent sur les très faibles marges nettes obtenues dans le marché des eaux minérales pour les détaillants : autour de 3 %, compte tenu de toutes les contraintes associées à ce produit.

III. L’entrée dans la consommation de masse

32Un ensemble de faits convergents permet de faire entrer le produit dans la consommation de masse. La révolution de la grande distribution joue un rôle majeur dans ce basculement. Chacun des opérateurs du marché participe à ce saut quantitatif qui permet à la production et à la consommation de connaître une croissance inédite.

1. Une configuration nouvelle du système commercial

a. La mise en place d’un oligopole

  • 12 « Le marché des eaux minérales en France, 1953-1978 », document interne, Chambre syndicale des eaux (...)

33La forte concentration observée à la fin de la période précédente se poursuit encore dans les années 1970 et 1980. La Source Perrier devient un très grand groupe agroalimentaire en disposant d’une gamme complète d’eaux minérales et en se diversifiant dans de nombreux autres domaines. Évian fusionne à la fin des années 1960 avec Badoit puis est absorbée par Boussois Souchon Neuvesel qui devient en 1973 BSN Gervais Danone. Enfin, Vittel se rapproche de Nestlé en 1969. En 1978, il ne subsiste plus qu’une trentaine d’entreprises indépendantes n’appartenant pas aux trois « grands » (Perrier, BSN, Nestlé) et leur rayon de diffusion est très limité12. La branche fonctionne ainsi jusqu’à l’absorption du groupe Perrier par Nestlé en 1992. Cette intégration est contestée par l’Union européenne car susceptible de mettre en cause les fondements du marché commun pour position dominante et la Cour des communautés européenne impose à Nestlé de revendre une partie des sources du groupe Perrier à un autre opérateur. Dès lors, le marché français est dominé très largement par trois groupes : Nestlé Waters, autour de Perrier et Vittel comme marques phares, Danone avec Évian et le groupe Castel, un négociant grossiste en vin spécialisé à l’exportation vers l’Afrique. Ces trois opérateurs produisent 70 % des bouteilles d’eaux et 80 % de la valeur d’un marché qui se monte en 2000 à 1,16 milliard d’euros. Ils développent une stratégie de gamme qui leur permet de disposer d’un ensemble d’eaux allant de l’eau de source aux eaux minérales gazeuses, en passant par des eaux plates à minéralisation forte ou faible. Le consommateur peut avoir l’illusion d’un grand nombre d’opérateurs sur ce marché compte tenu de la multiplication des marques et des types de bouteilles, mais il n’en demeure pas moins que la réalité est que les trois opérateurs contrôlent assez clairement le marché (Bazoche, 2002, p. 65-66 ; Marty, 2008, p. 95).

b. Les grandes surfaces actrices majeures de la consommation de masse

  • 13 « Le secteur de l’eau minérale en France », document interne, Chambre syndicale des eaux minérales, (...)

34À partir du début des années 1970 on observe une véritable démocratisation de la consommation de ce produit. Ceci se remarque par le taux de pénétration dans les foyers : ce dernier passe de moins de 50 % des foyers en 1960, à plus de 80 % en 1990. La possibilité d’acheter ces produits à bas prix dans les grandes surfaces apparaît comme l’une des raisons majeures de l’extension de l’achat de ces produits à des catégories sociales qui ne les consommaient pas jusque là (Marty, 2013, p. 245-246). Non seulement l’eau en bouteille se diffuse dans de nombreux foyers, mais elle devient une consommation récurrente beaucoup plus qu’occasionnelle. Cela se constate notamment, par l’atténuation très nette du caractère saisonnier de l’activité, ainsi que par le fait que la part de la consommation hors foyer a tendance à diminuer au profit de la consommation domestique. Cette consommation renvoie à des tendances majeures du monde occidental contemporain, comme la recherche de boissons fraîches, la décrue des boissons alcoolisées, l’attrait pour les produits sains. Mais cette croissance très forte a aussi été rendue possible par la place inédite prise par les très grandes surfaces dans le commerce alimentaire pendant la période (Daumas, 2006, p. 61-64). La généralisation du libre-service, faiblement développé encore au tout début des années 1960, l’implantation en périphérie des villes dont le prix faible du foncier permet à la fois l’accroissement des réserves des magasins et l’utilisation des voitures individuelles grâce aux parkings attenants, rendent les achats des produits pondéreux comme l’eau embouteillée beaucoup plus simples. La concentration dans le monde des détaillants devient elle aussi spectaculaire et, à partir du milieu des années 1970, le commerce alimentaire suscite une très forte concurrence entre détaillants. Les hypermarchés travaillent dans la rationalisation de tout le processus de vente en baissant les marges par une gestion très serrée des commandes, des frais de main-d’œuvre et de la rentabilité. De ce fait, à partir du milieu des années 1970, une importante mutation se fait jour dans le circuit de distribution des eaux embouteillées par un dispositif bien identifié : les directions des grands groupes de distribution choisissent de contrôler totalement les approvisionnements de leurs magasins et court-circuitent les anciens grossistes. Ils organisent le contact avec les producteurs directement via des centrales d’achat. Les flux sont orientés vers des entrepôts et plateformes qu’ils contrôlent directement, afin de pouvoir approvisionner eux-mêmes leurs points de vente (Cliquet, Fady et Basset, 2006, p. 288-289). Au milieu des années 199013, la Chambre syndicale des eaux minérales constate que les GMS génèrent 80 % des ventes en volume. C’est une révolution dans le commerce des boissons. Les entrepositaires et grossistes traditionnels ne conservent comme clients que les cafés, hôtels et restaurants, avec qui ils passent souvent des contrats d’exclusivité. Ces détaillants ne représentent plus que moins de 20 % de la consommation.

2. Convergence et divergence d’intérêts entre producteurs et grande distribution

a. La percée des emballages perdus et la grande distribution

  • 14 « La bouteille consignée est-elle le conditionnement de l’ère de l’écologie ? », Revue de l’emboute (...)

35Le basculement dans la consommation de masse est aussi le résultat d’une révolution dans la diffusion du produit : le passage aux emballages perdus. Le processus technique est clairement identifié. Les observateurs du marché américain des boissons ont constaté à quel point les opérateurs américains ont considéré que la consignation était une aberration économique. L’essentiel de l’impulsion est venu non pas des embouteilleurs eux-mêmes, mais des grandes chaînes de supermarché qui ont fait savoir dès les années 1940 que « la manutention et le stockage font que la bouteille consignée est antiéconomique »14. Dès lors, une partie des boissons est traitée en one way bottle, c’est-à-dire sans consignation et sans réutilisation. Cette pratique a rencontré un très bon accueil des Américians, gros consommateurs de bières et de sodas. Les embouteilleurs français, mais aussi et surtout la distribution, s’intéressent alors de très près aux emballages perdus. La Revue de l’embouteillage présente dans les années 1960 plusieurs produits de ce type et insiste sur le fait que le verre non consigné, plus léger, conserve néanmoins son avantage en termes de présentation. Le produit ne se diffuse que très peu en France à ce moment-là, en raison d’obstacles en termes de coût de production. La véritable révolution date de fin 1968 avec l’apparition de la bouteille Maxi Vittel plastique. Cet emballage est préparé depuis plusieurs années et Vittel a eu toutes les peines du monde à le faire accepter aux autorités sanitaires qui régulent les eaux minérales. Certes, l’emballage plastique coûte plus cher que les anciennes bouteilles en verre réutilisable, mais la solution de créer des bouteilles d’un litre et demi permet de répartir le coût sur un volume plus grand de produit. L’investissement devient ainsi plus acceptable (Rochebrune, 1971, p. 95). Le produit est vendu à l’unité ou en pack de quatre bouteilles. Très rapidement, les concurrents se mettent à ce type d’emballage : Volvic et Évian en 1969, Contrexeville en 1970. En 1971, Perrier teste un pack de trois bouteilles de Perrier en verre perdu (tri-pack) dans les supermarchés : c’est un succès qui fait s’engager la firme dans une conversion totale au verre perdu, le plastique n’étant alors pas maîtrisable pour les eaux gazeuses. Même certains petits opérateurs se lancent dans la bouteille non consignée. C’est le cas de l’eau de source Arline, produite à Franconville, qui lance sa bouteille d’un litre et demi plastique en octobre 1969. Deux ans plus tard, en 1972, Jacques Treherne, le patron d’Arline, ne peut que se féliciter :

  • 15 « Résolument tournée vers l’avenir : l’eau de source Arline », Revue de l’embouteillage, février 19 (...)

[…] nous avons observé que le consommateur avait non seulement très bien accepté ce nouvel emballage, mais qu’en plus, la consommation s’est accrue de 50 %. Nos plus gros clients sont les hypers et succursalistes : Carrefour, Sumo, Félix Potin, Comptoirs français. Nous estimons que 90 % de notre production est vendue par ce canal15.

36Parmi les détaillants, seuls les cafés, hôtels et restaurants conservent l’emballage verre consigné, refusant d’utiliser la matière plastique, à la fois pour des raisons de qualité de présentation et de maintien de prix élevés.

  • 16 « L’emballage en verre en Belgique », Revue de l’embouteillage, novembre 1965, p. 23.
  • 17 « Maxi Vittel chez les détaillants », dépliant Perrier Vittel, 1995, sans pagination.

37En très peu de temps, les obstacles matériels qui empêchaient le développement important de ce marché encore dans les années 1960 sautent. Il est clair que la grande distribution n’a pas été simplement spectatrice de cette révolution. Les opérateurs ont sans cesse appelé de leurs vœux la mise au point de produits non consignés. Déjà, décrivant ce qui s’était produit en Belgique pour le verre perdu, la Revue de l’embouteillage avait précisé en 1965 : « […] Il est nécessaire d’insister sur le fait que le stimulant le plus important pour le passage non consigné a sans doute été constitué par les nouvelles formes de distribution »16. Fin 1968, la grande distribution salue en effet unanimement l’apparition de la Maxi Vittel. Libre-service actualités du 20 décembre 1968 titre : « La Maxi Vittel, vedette du salon de l’emballage ». La couverture du magazine professionnel de la distribution précise : « Un des espoirs fondamentaux de la distribution moderne se réalise ». Les Maxi Vittel sont mises en avant systématiquement chez les détaillants en libre-service17. Les opérations administratives de paiement des consignations, les zones de stockage en réserve des bouteilles vides, et aussi, les problèmes de casse de bouteilles sont désormais derrière eux. Le produit est parfaitement adapté au système du libre-service et peut donner à plein son développement, d’autant qu’il bénéficie d’une TVA plus avantageuse dans la distribution à partir de 1968. En 1978, la limitation des prix des eaux minérales pour les détaillants cesse définitivement.

b. Les tentatives de développer des produits sous marque de distributeurs

38Vingt-cinq ans après la percée qu’ont représentée la fin des consignations de l’eau en bouteille et le succès fulgurant obtenu par ces produits, les linéaires d’eaux minérales ne sont pas très rentables pour les GMS. Il faut dire que la concentration de plus en plus forte des producteurs qui se retrouvent dans des groupes agroalimentaires de première importance ont installé un rapport de force défavorable pour les groupes de distribution. Les grandes centrales d’achat ne peuvent pas faire autrement que de prendre en compte les gammes de produits proposés par les divisions eaux de Nestlé ou Danone. Point de vente boissons le précise en 1992 : « Pour la grande distribution, le linéaire des eaux minérales représente un service au consommateur et ne génère pas de marge ». Les taux de vente sous promotion sont élevés et peuvent parfois atteindre un tiers des ventes d’une seule année. C’est la raison pour laquelle plusieurs opérateurs de la grande distribution ont mis au point des eaux embouteillées vendues sous marque de distributeurs à la fin des années 1990. Ce type de produit a été développé sous la forme initiale de « produits libres » par Carrefour dès 1976, reprenant en réalité des stratégies déjà développées par Félix Potin au début du xxe siècle. À partir de 1985, les produits libres deviennent des produits Carrefour. L’objectif était de produire des biens de consommation en faisant aussi bien que les marques nationales, mais avec des prix plus attractifs (Chanut et Paché, 2010, p. 10). Depuis, les marques de distributeurs tiennent une place non négligeable dans l’ensemble des références. Dans le cadre des eaux embouteillées, plusieurs grandes surfaces ont proposé des eaux embouteillées, surtout des eaux de sources, en marque de distributeur. C’est le cas de Leclerc via la Scamark, ou encore Casino ou Auchan. Mais la position des distributeurs souhaitant imposer une marque est néanmoins complexe. En effet, les stratégies de gamme des trois gros industriels qui dominent le marché sont difficiles à contourner. Nestlé Waters, Danone et le groupe Alma appartiennent à des structures avec lesquelles le rapport de force est complexe pour les GMS. Nestlé et Danone sont des acteurs avec lesquels il faut compter. L’ancien groupe Neptune (division Eau de Castel) devenu Roxane après son rachat par le groupe Alma, s’est positionné de manière à être lui aussi un interlocuteur en position de force. D’abord, il se situe sur les eaux très bon marché grâce au développement des eaux de sources sous la marque Cristalline. D’autre part, Roxane s’avère être le principal fournisseur d’eaux transformées en MDD pour les acteurs de la distribution. En 2010, la part des eaux sous MDD représente moins de 20 % du marché des eaux plates (Moreau, 2010).

Conclusion

39En somme, on peut considérer que le marché de l’eau embouteillée est passé en France par trois stades. Avant la Première Guerre mondiale, un marché fragmenté socialement et géographiquement, est construit par une offre régulée par un système d’autorisation de mise sur le marché. Négociants, entrepositaires et grossistes distribuent à une multiplicité de détaillants allant des pharmaciens aux épiciers en passant par les débits de boissons. Une grande quantité d’acteurs participe à ce commerce, mais pour des quantités faibles et des publics limités. Le produit participe cependant à ce que les consommateurs urbains commencent à s’approprier les produits emballés vendus sous marque. Entre la Première Guerre mondiale et le début des années 1960, un marché national des eaux embouteillées s’est construit, en s’appuyant sur une concentration forte des producteurs, et en maintenant la place centrale des grossistes, limitant l’impact des importantes mutations que connaissent alors les points de vente. Cependant, si les mêmes produits circulent presque partout sur le territoire, une partie importante de la population ne les consomme pas ou très épisodiquement. Ils restent chers pour les consommateurs alors qu’ils ne permettent que des marges faibles pour les différents niveaux de la distribution. À partir de la fin des années 1960, la quasi-disparition de la consignation lève un obstacle majeur à la consommation de masse. Le nouveau système des détaillants favorisant le libre-service participe à un double élargissement du marché : une plus forte consommation chez les consommateurs habituels et la pénétration dans les catégories sociales qui jusqu’alors ignoraient ce produit.

40Le travail de reconstitution des étapes de la construction d’un système commercial complexe permet de proposer plusieurs points. D’abord, il confirme clairement le fait que la connaissance des producteurs et des consommateurs ne saurait suffire pour comprendre l’histoire du succès ou de l’échec d’un type de produit. Les acteurs du commerce, qu’il s’agisse des entrepositaires, grossistes, détaillants, ne jouent pas qu’un rôle passif. La manière dont le système commercial s’est peu à peu construit n’a par ailleurs rien de naturel. Il est le résultat de rapports de force et d’interactions permanentes entre les trois groupes d’acteurs (producteurs, distributeurs et détaillants) et au sein de chacun d’eux. Ces rapports de force, dont cette contribution a essayé de rendre compte, sont des terrains qui semblent pertinents pour observer le marché en train de se construire. Les jeux d’acteurs qu’il s’agit d’essayer de reconstituer, donnent de l’intérêt à l’analyse historique pour comprendre la spécificité des trajectoires des produits industriels et, finalement, de nos sociétés contemporaines. Le cas allemand peut être rapidement évoqué ici. La consommation est tout aussi importante, mais s’appuie en revanche sur un système commercial différent : la branche est nettement moins concentrée et est structurée essentiellement par des producteurs régionaux et locaux. Ces derniers ont maintenu l’utilisation d’emballages consignés en verre, et même depuis peu, en plastique PET. Les opérateurs travaillent étroitement dans le cadre de l’organisation professionnelle, tandis que l’espace limité des marchés de producteurs régionaux réduit les difficultés de retour et le prix du transport. Le tri des bouteilles est limité par une réelle standardisation et par une active coopération des consommateurs. C’est une des caractéristiques du système allemand qui rend moins urgente les recherches de solutions qui tendent à favoriser les emballages perdus (Kraus, 1982, p. 374-375 ; Teuteberg, 2004, p. 157-158). Les voies d’entrée dans la consommation de masse sont donc diverses, et dépendent des jeux d’acteurs que seule une histoire sociale de l’économie peut mettre en avant.

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Notes

1 La croissance mondiale de consommation du produit entre 2007 et 2017 est de 45 %.

2 « Ordonnance royale du 18 juin 1823 relative au règlement sur la police des eaux minérales », Bulletin des lois, VII S. B. 613, n° 15049.

3 Cf. Annuaire statistique de la France, 1892, p. 378-379.

4 « Cour d’appel : moyens frauduleux, hausse des prix », Jurisprudence générale en matière civile, commerciale et criminelle, 1893, partie 2, p. 69-71 ; « Liberté du commerce et de l’industrie : coalition entre les principaux détenteurs d’une marchandise », Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, 1896, p. 247-250.

5 « Cour de cassation, 7 février 1906 », Dalloz. Jurisprudence générale, n° 1, 1906, p. 501.

6 Catalogue Felix Potin, 1912.

7 « Les fraudes sur les eaux minérales », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, n° 13, 1910, p. 156.

8 Direction générale de la Santé, 1957 (novembre), « Rapport du docteur Bettiaux pour le Conseil supérieur d’hygiène publique de France », Archives nationales, 2003 0384, art. 5.

9 Rapport du docteur Bettiaux pour le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, novembre 1957, Archives nationales (désormais AN), Fontainebleau, 2003 0384, art. 5, DGS.

10 « Les nourrissons, meilleurs clients d’Evian », L’Entreprise, 15 décembre 1955, p. 17.

11 « Consignation des emballages », Gazette de Jean Primus, janvier 1938, p. 12.

12 « Le marché des eaux minérales en France, 1953-1978 », document interne, Chambre syndicale des eaux minérales, 1979.

13 « Le secteur de l’eau minérale en France », document interne, Chambre syndicale des eaux minérales, 1999.

14 « La bouteille consignée est-elle le conditionnement de l’ère de l’écologie ? », Revue de l’embouteillage et des industries connexes, 1971, p. 55

15 « Résolument tournée vers l’avenir : l’eau de source Arline », Revue de l’embouteillage, février 1972, p. 37.

16 « L’emballage en verre en Belgique », Revue de l’embouteillage, novembre 1965, p. 23.

17 « Maxi Vittel chez les détaillants », dépliant Perrier Vittel, 1995, sans pagination.

Author

Nicolas Marty est professeur des universités en histoire contemporaine à l’université de Perpignan Via Domitia. Il travaille sur l’histoire des entreprises, des marchés et de la consommation en Europe et sur les dynamiques territoriales de l’industrialisation en France méridionale et Catalogne. Il anime avec Patrice Poujade le séminaire permanent d’histoire sociale de l’économie à l’université de Perpignan.

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