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Les révolutions du commerce. France, xviiie-xxie siècle

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Jean-Claude Daumas

Deuxième partie. Le commerce au prisme du produit

9

De l’affineur au consommateur (xixe siècle-1914)

Itinéraires marchands du roquefort

Sylvie Vabre

Volltext

1Pour le Parisien gastronome du xixe siècle, le roquefort est le fromage le plus cher et parmi les roqueforts, le « Société » se distingue par son prix, plus élevé encore (Husson, 1875, p. 288). À quelque 800 kilomètres de là, en Rouergue, dans le village de Roquefort, la Société des Caves s’active pour satisfaire les clients. Elle n’a que des clients, les chemins marchands du xixe  siècle ne lui permettent pas de suivre le produit jusqu’au consommateur. En effet, à son départ du village, le fromage est confié aux multiples entreprises qui composent la chaîne de commercialisation. Plus ou moins longue, plus ou moins spécialisée, celle-ci assure le cheminement du produit jusqu’au gourmet. Revendu maintes fois, le fromage fini par parvenir dans l’assiette du mangeur. Le roquefort n’est pas un cas isolé, il en est ainsi pour l’ensemble des produits au xixe siècle.

  • 1 Le xixe siècle est abordé rapidement dans Chessel et Chatriot (2006, p. 67-83) ; Démier (2017, p. 4 (...)
  • 2 « Celui, celle qui use habituellement des soins d’un médecin ; celui, celle qui fréquente une bouti (...)
  • 3 Les fromages se classent en deux catégories commerciales au xixe siècle, les « mous » et les « secs (...)
  • 4 Cet article se situe dans la continuité de ma thèse publiée en 2015 (Vabre, 2015a) et a bénéficié d (...)

2Si des milliers de petits commerces ont participé au développement de la consommation des produits alimentaires, ils sont rarement l’objet d’études. Certes, la boutique a été un objet d’histoire en ce qui concerne le xviiie siècle et le début du xixe siècle et le grand magasin a suscité des recherches mais il reste toutefois, beaucoup à faire1. Cependant, des travaux récents sur les produits et leurs fabricants proposent l’éclairage de quelques itinéraires marchands (Mollinger, 2018 ; Thinon, 2016 ; Fayard, 2014 ; Vabre, 2015a). Ainsi sont mis en lumière les filières, les liens entre les différents acteurs mais aussi les compétences et les actions de chacun dans les chaînes de commercialisation. En chaussant les lunettes du commerce du xixe siècle, les intermédiaires apparaissent comme des acteurs clefs de l’acheminement mais aussi des experts de l’évaluation des produits et des places commerciales sur lesquelles ils sont présents. Ces caractères propres au négoce se transforment. Le xixe siècle signe les premiers pas d’une grande révolution commerciale. Celle-ci s’accompagne d’un vocabulaire nouveau. Bien souvent, le mot existe déjà mais change radicalement de sens. Ainsi « consommateur » d’origine religieuse est employé à propos d’une personne qui prend une consommation dans un café ou un restaurant dès les années 1830 (Rey, 2000, p. 513). En 1872, le Littré signale l’usage incorrect du mot « client » formé à partir de celui de clientèle2. Ces nouveaux usages soulignent l’ampleur des changements. L’offre subit des transformations sous la poussée de la demande qui s’est élargie tout en se renforçant et devenant constante. Les négociants se multiplient et se spécialisent ainsi, la rubrique « fromages secs » du bottin du commerce de Paris qui compte 28 marchands en 1842, en rassemble 109 en 18823. Le plateau de fromage si bien décrit par Émile Zola dans Le Ventre de Paris est une réalité (Zola, 1960 [1873], p. 826-827). Par ailleurs, la dynamique engendre de nouveaux commerces. Au tournant du vingtième siècle des coopératives et des succursales de grossistes proposent une autre forme de commercialisation, plus directe. Décriant les intermédiaires, ils s’allient dorénavant directement aux fabricants pour satisfaire une autre demande. Ces chemins commerciaux plus ou moins complexes laissent à penser que les fabricants perdent de vue leurs produits, n’en contrôlent plus la qualité et n’ont aucun contact avec les consommateurs4. L’approche de la réalité commerciale du roquefort grâce à la conservation d’archives commerciales peint une situation plus nuancée. Ce produit particulier à la réputation forgée au xviiie siècle, suit la transformation des itinéraires marchands sans que toutefois l’affineur ne perde totalement la main. Comment est-ce possible ?

3En fait, la complexité de la chaîne commerciale cache des pratiques adaptées à chaque place. Ces usages différenciés s’observent depuis l’entreprise d’affinage et démontrent l’action de l’affineur sur ses clients. Par ailleurs, la main de l’entreprise se lit dans la fabrication du prix du roquefort à la sortie des caves mais aussi en bout de chaîne. Enfin, la rencontre du produit avec le consommateur est un rendez-vous organisé tant soit peu par l’entreprise.

I. De multiples acteurs, de multiples situations pour commercialiser un produit réputé

  • 5 La distinction doit être faite sous peine de confusion totale. On ne peut comprendre le commerce du (...)

4Depuis le départ du village de Roquefort jusqu’au consommateur, le roquefort peut être vendu à trois ou quatre intermédiaires, voire plus. Les clients directs de l’entreprise sont donc les premiers acheteurs5. Ce système composé de nombreux opérateurs est réactif, certains marchands deviennent incontournables mais d’autres disparaissent et l’on distingue trois temps qui s’entremêlent. Toutefois, ces transformations varient en fonction des places commerciales concernées.

1. Les transformations de la chaîne de distribution

5Dans les années 1850, la majorité des ventes est réalisée de grè à grè, par contrats oraux, entre fabricants et négociants. Renouvelés tacitement au début de chaque campagne, ils apparaissent dans les archives de l’entreprise en cas de problème, c’est-à-dire rarement. L’autre partie des ventes est réalisée par les rouliers. Leur présence témoigne du maintien d’une forme de commerce ancienne. Achetant du roquefort à la sortie des caves pour aller le vendre suivant leurs « routes », ils sont encore présents dans les années 1860 mais désormais en marge du grand commerce. Car un nouveau métier est apparu : le représentant. Ce nouveau venu accompagne l’essor dynamique des ventes dès la fin des années 1860 en ce qui concerne le roquefort (Bartolomei, Lemercier et Marzagalli, 2012). Progressivement, les contrats de gré à gré entre fabricants et négociants disparaissent. Ainsi, à la veille de la Grande Guerre une large part du commerce du roquefort transite via le chemin de fer, par l’intermédiaire de ces bras armés payés à la commission. Ils sont la main visible de la montée en puissance des fabricants dans la chaîne commerciale. Les ventes qui leur échappent sont celles effectuées directement par les commerçants détaillants d’importance comme Félix Potin ou Damoy, nouveaux épiciers dans la capitale apparus dans les années 1860 ou les coopératives de consommation et magasins à succursales multiples présents d’abord en province (fig. 1).

Figure 1. Les acteurs de la chaîne de commercialisation du roquefort de la Société des Caves (1850-1914)

Figure 1. Les acteurs de la chaîne de commercialisation du roquefort de la Société des Caves (1850-1914)

6Toutefois, il serait faux de voir dans cette description une perte de vitesse des négociants en gros et demi-gros. Ces transformations sont réalisées dans un contexte de croissance qui facilite l’acceptation de nouveaux entrants par les intermédiaires installés depuis bien longtemps. Ces derniers en contact avec les représentants de l’entreprise, approvisionnent les petits détaillants de plus en plus nombreux. En effet, le nombre d’épiciers ne cesse d’augmenter tout au long du siècle (Faure, 1979 ; Démier, 2017). Francis Démier perçoit le début du mouvement de création de boutiques à Paris dès le Directoire et le Premier Empire. Dans l’épicerie, le mouvement s’essouffle dans certains quartiers à cause de la présence des magasins Félix Potin et Damois. En revanche, en banlieue, les créations vont bon train jusqu’en 1914 (Démier, 2017, p. 48 et p. 54). À la fin du siècle, ce sont les épiciers eux-mêmes qui contactent le service commercial de l’entreprise, les tarifs des chemins de fer proposant la livraison de petites commandes.

  • 6 François Caron a donné quelques pistes sur l’acheminement des produits dans ses ouvrages prolongées (...)

7La transformation des réseaux commerciaux du roquefort s’accompagne de changements dans les usages commerciaux. La mise en place du chemin de fer ou des postes et télégraphes a accéléré et transformé les relations6. Les ordres sans cesse renouvelés d’année en année ont disparu ; il s’agit maintenant de répondre rapidement à une commande, quelle que soit sa destination ou son montant. Le réseau bancaire ainsi que la transformation des transactions accompagnent ces changements. Manifestement, le commerce du roquefort est entré dans l’ère de la vitesse.

2. La main de l’entreprise : concurrence entre négociants et produit renommé

8Ce schéma classique où les relations entre entreprise/négociant en gros/représentant occupent le cœur des transactions, peut être approché plus finement grâce à l’étude des archives comptables complétée par les lettres commerciales de l’entreprise. La comparaison entre le nombre de clients et le nombre de ville desservies montre que la progression des contacts s’est accomplie en deux temps. Au milieu du xixe siècle, elle progresse dans les villes où l’entreprise possède déjà une clientèle ; les décennies suivantes enregistrent en revanche une multiplication des places commerciales et de la clientèle (fig. 2).

Figure 2. Villes et clients de la Société des Caves (1842 à 1913)

1842 1854 1881 1913
Villes 76 76 432 917
Clients 335 778 1 591 2 943

Source : Grands livres, archives départementales de l’Aveyron, Rodez, 54 J.

9Le bond constaté pour l’année 1881 souligne ici le travail accompli depuis la fin des années 1870 grâce aux infatigables forçats de la route et du rail. Les représentants de commerce quadrillent de plus en plus finement leur territoire et ouvrent de nouveaux terrains en lien direct avec le fabricant. Dès 1881, dans chaque département, au moins un commerçant passe commande à l’entreprise par l’intermédiaire d’un représentant. Toutefois, la première caractéristique de la commercialisation du roquefort reste sa concentration. Effectivement, tout au long de la période, au moins 50 % du chiffre d’affaires est réalisé dans dix places commerciales alors que dans le même temps, le chiffre d’affaires est passé de 581 109 francs en 1842 à 8 millions de francs en 1913. Est-il plus aisé de développer la consommation du fromage dans les centres urbains déjà conquis que d’augmenter radicalement les ventes grâce à de nouveaux contacts sur d’autres territoires ? Certainement, ces données l’affirment mais elles dessinent aussi une situation de concurrence entre négociants en gros pilotée si ce n’est organisée, par la Société des Caves. En effet, lorsque la clientèle est habituée au roquefort, un négociant en gros peut difficilement se passer du roquefort de la Société. L’atout majeur de l’affineur consiste à être en mesure de proposer le produit de mars à décembre, alors que les autres fabricants manient des quantités plus faibles issues de caves moins froides et sont contraints de vendre massivement de mai à juin. Si l’arrivée de ces produits sur le marché provoque des remous dans la fixation des prix, la fidélité à la marque Société assure au négociant en gros la possibilité de contenter sa clientèle une large partie de l’année. L’affineur est ici en position de force une partie de l’année.

10On le voit, le commerce d’un produit comme le roquefort est complexe. Racontées par le biais des archives comptables et de la correspondance, les relations marchandes sont loin d’être un long fleuve tranquille. Les places commerciales sont le théâtre de tensions diverses, de combats à fleuret moucheté sans cesse réinventés ; chaque terrain est une situation.

3. Des situations variées

11Les tableaux qui suivent montrent bien les contrastes que l’on peut observer. Trois groupes peuvent être formés en fonction des relations que l’entreprise entretien avec ses clients (fig. 3).

Figure 3. Vente de roquefort Société : les dix premières places commerciales

1842 1854
Lieu CA % du CA total Nombre de clients Lieu CA % du CA total Nombre de clients
1 Toulouse 154 767,1 26,1 10 Paris 374 322,4 32,4 28
2 Paris 107 329,8 18,1 14 Toulouse 207 126,2 17,9 4
3 Béziers 33 517,0 5,6 12 Marseille 77 330,4 6,7 1
4 Montpellier 31 660,1 5,3 20 Nîmes 68 396,6 5,9 19
5 Nîmes 31 352,9 5,3 15 Avignon 46 448,6 4,0 8
6 Marseille 28 496,2 4,8 22 Montpellier 41 390,1 3,6 1
7 Avignon 24 225,8 4,1 3 Perpignan 38 636,6 3,3 33
8 Perpignan 18 017,9 3,0 27 Pézenas 33 768,2 2,9 8
9 Carcassonne 14 773,4 2,5 23 Béziers 30 785,5 2,7 16
10 Sète 14 427,4 2,4 6 Alès 23 851,9 2,1 5
Ventes au comptant 20 107,14 3,4 Roulier 26 587,0 2,3 9
% CA 80,6 % CA 83,9
1881 1913
Lieu CA % du CA total Nombre de clients Lieu CA % du CA Nombre de clients
1 Paris 862 461,1 30,9 38 Paris 655 768,7 13,3 31
2 Toulouse 284 318,7 10,2 15 Marseille 566 999,9 11,5 153
3 Marseille 239 047,2 8,6 82 Toulouse 311 491,0 6,3 41
4 Nîmes 159 849,2 5,7 10 Nîmes 249 733,5 5,1 12
5 Béziers 95 654,1 3,4 15 Montpellier 216 886,9 4,4 12
6 Bordeaux 67 452,0 2,4 27 Avignon 190 926,0 3,9 15
7 Narbonne 61 598,8 2,2 5 Alès 145 077,5 2,9 12
8 Alès 36 668,9 1,3 20 Bordeaux 110 263,8 2,2 42
9 Avignon 36 261,6 1,3 12 Béziers 89 702,4 1,8 28
10 La Grand-Combe 33 710,8 1,2 1 Perpignan 87 415,2 1,8 15
% CA total 67,2 % CA total 53,1
  • 7 Copies de lettres, Étienne Coupiac, directeur, à un client bordelais potentiel, 25 août 1860, archi (...)
  • 8 Copies de lettres, Étienne Coupiac, directeur, à Camicas, négociant de Toulouse, février 1877, AD 1 (...)
  • 9 Il n’existe pas d’études sur les négociants en gros et demi-gros en France.

12Toulouse et Marseille, offrent deux tableaux opposés des relations entre négociants en gros et fabricant. Dans la ville rose fortement consommatrice, les clients sont peu nombreux et bénéficient d’une approche toute particulière. En effet, jusqu’en 1878, date tardive à laquelle l’entreprise nomme un représentant, les clients négociants en gros et demi-gros prospectaient par le biais de leurs propres représentants vers les Pyrénées et même jusqu’à Bordeaux : « nous avons des maisons à Toulouse qui font notre article en grand et qui expédient beaucoup sur votre place, ce sont MM. Ricard fils, Cazenave et Cie, Hugonnec et Cie. Vous pouvez aussi vous adresser à eux », écrit le directeur à un potentiel client bordelais le 25 août 18607. Ainsi, le territoire commercial du Sud-Ouest est un terrain réservé aux négociants toulousains. Reconnaissance d’une position commerciale incontournable, la nomination du représentant ne s’est pas réalisée contre eux mais avec leur assentiment : l’entreprise a, au préalable, demandé conseil au négociant Camicas, l’un des clients les plus importants de la ville8. À ce moment-là, le représentant du fabricant n’apparaît plus comme un concurrent potentiel mais tel un service complémentaire. La clientèle éloignée peut lui être confiée et le négociant en gros se concentre sur les affaires toulousaines florissantes. Ici se pose la question de la croissance des entreprises de négoce : apparemment, les Toulousains ne pouvaient accompagner la multiplication des demandes sur un large territoire, clientèle qu’ils avaient pourtant contribué à créer9. Sur les rives de la Méditerranée, à Marseille, la situation est tout autre. En 1851, lors de la création de l’entreprise, l’ensemble du commerce réalisé sur cette place est confié à un certain Vernhet ayant des attaches familiales avec des membres de l’entreprise. À la faveur d’un changement d’alliance à Roquefort, la direction embauche un jeune issu du négoce du fromage : Estachon. Celui-ci débusque une fraude. Léon Nauzerand affirme vendre du « vrai roquefort », posséder des entrepôts dans le village et imite les circulaires de l’entreprise et sa marque afin d’attirer le client. La réaction de la Société des Caves est rapide. Réunissant les affineurs du village, elle exhibe les preuves certifiant que le faussaire est inconnu et embauche un avocat qui porte le fer à Marseille. Le 26 août 1862, la question est tranchée en faveur des Roquefortais. À partir de cette date, le représentant n’a de cesse de trouver de multiples clients. Le fils qui lui a succédé pratique toujours de même et en 1909, le rapport du commis voyageur détaille son action quotidienne :

  • 10 Rapport de l’agent commercial à MM. les membres du conseil d’administration, 4 février 1909, p. 7, (...)

Il voit 160 à 180 détaillants, qu’il visite deux fois la semaine. Ce système de vente aux détaillants convient à merveille pour donner à une marque la première place dans une ville et même un semblant de monopole parce qu’alors on n’est pas tributaire de quelques gros faiseurs. Ce système de vente qui convient si bien à Marseille serait très mauvais si on voulait l’appliquer à toutes les villes10.

  • 11 Avec plus de 47 000 francs de commission en 1913, Estachon est le représentant le mieux rémunéré de (...)

13La famille Estachon règne donc sur le commerce du roquefort Société à Marseille par le biais de relations directes avec les détaillants11.

14Nîmes, Béziers, Pézenas, Narbonne, Perpignan présentent d’autres caractères. Ces places sont l’objet d’une concurrence importante entre maisons d’affinage de Roquefort. En effet, lorsque les fromages parviennent à maturité, il convient de les vendre au plus vite. Les fromages de qualité moyenne affluent alors vers ces villes. Face à l’encombrement, les prix baissent et il n’est jamais certain de trouver preneur. Pour contourner le problème, la direction passe des contrats oraux et des rabais sont accordés si le négociant-client s’engage à ne vendre que les produits de deuxième qualité de l’entreprise. Ce système fonctionne dans les années 1850 et 1860. Par la suite, la dynamique des représentants offre de nouvelles voies commerciales ; les conflits entre les différentes maisons d’affinage sur ces places commerciales semblent s’atténuer car ils disparaissent des correspondances commerciales.

15Paris reste un cas tout à fait particulier où les chemins marchands du roquefort sont abrupts. Le nombre de clients et le chiffre d’affaires ont réellement progressé entre 1854 et 1881 puis diminuent au tournant du siècle une fois passée la Grande Dépression alors que la capitale est la ville la plus dynamique de France. Cette situation surprenante est certainement à attribuer aux relations entre la Société des Caves et les négociants en gros. Ces derniers, peu nombreux, ont l’ambition de contrôler le marché parisien des fromages. Les occasions de s’opposer à l’entreprise ne manquent pas. Après un bras de fer de plusieurs mois, ils se sont finalement résignés et ont accepté la vente directe depuis Roquefort à Félix Potin et Damois, les nouveaux épiciers. Ils n’avaient pas les moyens de s’y opposer mais pouvaient porter atteinte à leurs intérêts en proposant une autre marque que le Société. Par ailleurs, ils se plaignent de la présence de représentants de l’entreprise auprès des détaillants de banlieue.

  • 12 Copies de lettres, Étienne Coupiac, directeur de la Société des Caves, à Lorin, représentant à Pari (...)

Les clients de Paris sont très drôles, [écrit le directeur au représentant parisien], ils veulent conserver vis-à-vis de nous leur liberté ; le droit de prendre ou de ne pas prendre ; et nous, lorsque des clients tels que Royale, Dedron etc, etc, nous abandonnent nous n’aurions pas le droit, sans blesser ces messieurs, de créer d’autres clients, de vendre notre marchandise à des négociants de premier ordre nous offrant toutes garanties ; tout cela est d’une prétention exagérée et insoutenable12.

  • 13 Société auxiliaire d’agriculture et d’industrie du sud-ouest de la France.

16Un peu plus tard, durant la Grande Dépression, les négociants se sont montrés peu solidaires et surtout profiteurs : les baisses multiples faites par l’affineur pour enrayer la chute des ventes n’ont pas forcément été répercutées. Ces comportements ont déstabilisé le conseil d’administration qui ne savait comment agir. La situation parisienne n’a toujours pas été redressée au début du siècle. Il faut attendre la fin de la Grande Guerre pour voir un changement radical. Le représentant est congédié et la SAISOF créée13. Il s’agit d’un comptoir parisien de stockage et de vente de fromages qui s’adresse directement aux détaillants. Cette approche se retrouve pour d’autres fabrications. Par exemple, le grand fabricant de tissus de soie lyonnais, Ferrer, ouvre un magasin à Paris à la fin du xixe siècle afin d’avoir un contact direct avec sa clientèle (Vernus, 2006, p. 45).

17On aura noté que la capitale des Gaules est absente du classement des villes consommatrices. Un faisceau d’explications permet de comprendre pourquoi la clientèle est en retrait par rapport au roquefort. Le premier point à souligner est sa proximité avec des régions montagneuses qui produisent du fromage. Là, le sassenage et le septmoncel sont rois. À ces persillés locaux réalisés avec un mélange de laits, s’ajoutent les façons roquefort au lait de vache du Puy de Dôme, notamment ceux de Laqueuille. Peu chers, ils se sont fait une place auprès de la population ouvrière qui peut les nommer roquefort. Ce n’est pas étonnant si, depuis le village de Roquefort, la ville est désignée comme plaque tournante du trafic pour les faux roqueforts en partance vers Marseille. Au regard de cette situation difficile, la direction cherche des solutions pour que son produit ne soit pas mêlé aux autres et que des rossignols soient assimilés à des Sociétés. En 1866, Étienne Coupiac, le directeur, propose de disposer un panneau présentant la marque sur les caisses de fromage Société dans le local d’un négociant réputé de cette ville. L’objectif est certainement atteint car quelques jours plus tard, de nouvelles commandes de panneaux figurent dans les livres de comptes et sont expédiées à Paris. Bien entendu, ces premiers essais publicitaires exposés dans les locaux de négociants en gros sont destinés aux clients qui peuvent être négociants en demi-gros ou détaillants de fromage. La Société des Caves ne recherche pas le contact direct mais souhaite par ce biais, s’assurer que son produit est présenté correctement, preuve d’une détérioration des relations.

18Finalement, ce n’est pas la longueur de la chaîne commerciale qui ressort de cette étude de la clientèle de la Société des Caves mais la diversité des places commerciales. Si les rouages commerciaux sont identiques, la situation est en revanche différente. Le négociant en gros épaulé par le représentant connaît l’offre de fromage et la demande de son territoire. Son expertise est précieuse pour le fabricant et il reste un acteur incontournable notamment dans la fixation du prix du roquefort.

II. La fabrique du prix d’un fromage renommé

19Plusieurs paramètres entrent dans la fixation du prix du roquefort : aux frais incompressibles s’ajoutent d’autres éléments, moins visibles.

1. À la sortie des caves : de grandes variations

20Rappelons d’abord que le roquefort est un fromage cher car fabriqué avec du lait de brebis. Sur les marchés parisiens, il est le seul fromage à afficher cette composante. Ce lait est bien plus difficile à produire en quantité que le lait de vache car la brebis reste une petite laitière eu égard à la vache et nécessite une main-d’œuvre nombreuse pour la traite. Par ailleurs, le coût de cette matière première ne cesse d’augmenter et représente jusqu’à 80 % du prix du fromage au départ du village (fig. 4). Cette constante au cours de la période s’explique par les tensions sur l’approvisionnement. L’élevage ovin ne peut totalement répondre à une forte demande et malgré les efforts fournis, le lait de brebis est devenu un « or blanc ». Toutefois, des gains sur l’affinage grâce à la mécanisation et l’innovation notamment, ont contribué à freiner la hausse des prix finaux. Malgré tout, le prix moyen du roquefort Société est passé de 170 à 209 francs en soixante années durant lesquelles l’inflation est pratiquement inconnue. Cependant, ces moyennes cachent en réalité de grandes variations au cours de la campagne (fig. 5).

Figure 4. Part de la matière première dans le prix du roquefort Société (pour 100 kg, moyenne)

1851-1860 1906-1913
Prix 170,1 209,9
Matière première 100 167,59
% 58,8 79,8

Source : Grands livres, archives départementales de l’Aveyron, Rodez, 54 J.

Figure 5. Prix à la sortie des caves de la Société des Caves en 1861,1862,1906 et 1913 (pour 100 kg, par quinzaine)

Figure 5. Prix à la sortie des caves de la Société des Caves en 1861,1862,1906 et 1913 (pour 100 kg, par quinzaine)

Source : Grands livres, archives départementales de l’Aveyron, Rodez, 54 J.

21Au-delà des fluctuations, une tendance générale se dégage : après un prix de lancement – début mai pour les années 1861 et 1868, et février au début du xxe siècle – les cours fléchissent puis connaissent une hausse fin septembre. Celle-ci se poursuit jusqu’à la fin de l’année plus ou moins fortement. Bien que les fourchettes de prix soient très larges puisque l’on passe de 147 à 253 francs entre septembre et novembre 1861 et de 113 à 255 francs entre avril et novembre 1868, le graphe souligne un lissage des prix au début du xxe siècle. Comment expliquer ces variations et cette tendance ?

  • 14 Le directeur informe les représentants par lettre du prix à pratiquer à telle date.
  • 15 Copies de lettres, Étienne Coupiac à Bouviala, représentant montpelliérain, 17 octobre 1856, AD 12, (...)
  • 16 Copies de lettres, Étienne Coupiac à Hélène, représentant parisien, 27 mai 1864, AD 12, Rodez, 54 J (...)
  • 17 Copies de lettres, Étienne Coupiac à Hélène, représentant parisien, 28 mai 1864, AD 12, Rodez, 54 J (...)

22Le prix du roquefort Société est ajusté en permanence par le directeur. À la tête de la Société des Caves de 1858 à 1893, Étienne Coupiac consacre la plus grande part de son quotidien à la « marche des affaires ». Les éléments utilisés pour fixer les prix peuvent être inventoriés sans que l’on puisse établir le poids de chacun, leur combinaison explique les choix. Certains dépendent directement de la production comme la quantité de lait et de fromages reçus en cave qui sont les premiers guides. Viennent ensuite l’avancée ou le retard de l’affinage en raison de variations climatiques. Une mercuriale apparaît dans les correspondances avec une organisation en fonction des saisons (primeurs, fromages d’été, d’automne, d’hiver et de conserve). Mais, les périodes durant lesquelles sont appliqués les tarifs varient d’une place à l’autre et d’une année sur l’autre14. De plus, des éléments extérieurs sont aussi de la partie. Ainsi le directeur suit attentivement les commandes : « On ne mange plus de fromage dans votre ville, est-ce la masse qui encombre ou le prix ? »15, ainsi questionne-t-il le négociant de Montpellier le 17 octobre 1856. Soucieux des affaires sur les places secondaires, il n’oublie pas les affaires parisiennes : « Serait-il à propos, convenable, avec chance de succès de lancer une augmentation de f. 20 par 100 kg soit coté f. 180 ? », interroge-t-il le 27 mai 186416 et un jour plus tard, il questionne toujours, attendant la réponse : « les autres espèces de fromages sont rares et chères dans le Midi, est-ce la même chose à Paris ? »17. Le prix des autres fromages, des roqueforts concurrents, la présence de stocks chez les négociants sont autant d’éléments qui expliquent la variation. Par ailleurs, les habitudes alimentaires des consommateurs entrent aussi en jeu. Ainsi l’arrivée des fruits rouges aux mois de mai/juin sur les tables signe le ralentissement de la consommation de roquefort et la baisse des prix. Cette dernière est amplifiée par l’arrivée massive de roquefort sur toutes les places à cette période. Cette tendance est nette sur le graphe : quelle que soit l’année, le prix du roquefort fléchi en mai/juin. La transformation des goûts alimentaires se lit aussi. Dans les années 1850-1880, les premiers fromages de la campagne, moins affinés, sont bien moins chers que les derniers, considérés comme les meilleurs. Les fromages d’hiver ou de conserve sont alors jugés « extra » : gras, bleus et forts. Le lissage des prix que l’on perçoit au début du xxe siècle signale une inversion en cours. Les primeurs qui arrivent sur les marchés en février/mars sont désormais tout aussi chers que les fromages de conserve de la fin de l’année. La population a pris goût aux fromages nouveaux qui affichent le prix de la nouveauté. L’entreprise a capté ce changement pour son plus grand profit.

2. Une information gardée secrète

  • 18 « Les fromages de Roquefort primeurs vont faire leur apparition sur la place de Paris en voici les (...)
  • 19 « Nous avons oublié de vous dire que puisque vous deviez être le seul détenteur direct de nos produ (...)

23Dans ce schéma commercial, la rapidité avec laquelle l’information circule est fondamentale. Pour fixer les prix, l’entreprise note les sorties par quinzaine et le prix pratiqué de façon à constituer un outil d’ajustement et de comparaison précieux. L’adaptation constante est une activité commerciale de première importance. Jusqu’en 1877, il n’existe pas de mercuriale « officielle » ; chacun se débrouille. Les petits affineurs de roquefort sont avides de ces informations d’autant plus qu’ils ne peuvent conserver trop longtemps un fromage en cave, les plus froides étant contrôlées par la Société des Caves. L’entreprise joue volontiers sur les prix pour faire plier un concurrent. On comprend mieux pourquoi, en 1873, lors de négociations pour peser collectivement sur les prix de l’approvisionnement, les petits affineurs exigèrent de la Grande Société une information précise sur les prix de vente pratiqués. L’alliance ne dura que quelques semaines mais cette demande montre combien une « mercuriale » pouvait contribuer à réguler autrement les affaires. Il faudra attendre 1877 pour qu’à l’initiative du directeur de L’Industrie laitière le cours du roquefort Société apparaisse dans le journal, et 1901 pour que le journal cesse de donner le Société comme unique référence18. La cote du roquefort devient ainsi publique, accessible aux différents acteurs de l’ensemble de la filière. Cela n’empêche pas les négociations au plus près du terrain. Confier le fromage à un seul négociant a été la politique menée sur certaines places pour entrer dans le marché mais ensuite, l’entreprise entretient la concurrence judicieusement entre négociants pour susciter des dynamiques19. Ainsi, les ristournes accordées ponctuellement ou des bonifications font partie du jeu. Certains négociants d’importance ne paient pas le fromage au même prix que leurs collègues et voisins. La fixation du prix du fromage à la sortie des caves est donc un art pratiqué avec beaucoup de doigté qui fait la réputation commerciale de la maison d’affinage : elle exerce ainsi un contrôle sur ses clients.

24Une fois le prix de vente fixé, viennent s’ajouter les frais incompressibles. D’abord, l’emballage réalisé en fonction de la demande du client ; puis, les transports (Vabre, 2015a, p. 219). Roquefort étant loin des centres de consommation, il convient d’ajouter le prix de la charrette (16 francs les 100 kg pour Paris en 1852, 25 francs pour Tours en 1853, 20 francs pour Bordeaux en 1858 et 10 francs pour aller à Montpellier en 1860) ou, plus tard, celui du chemin de fer avec le choix de la vitesse, rapide ou lente. Enfin, une fois arrivé à destination, les droits de l’octroi s’appliquent au fromage comme à toutes les marchandises. Au final, un fromage vendu au même prix à la sortie de cave arrive à destination chez le négociant en gros à un coût différent.

3. Quel est le prix pour le consommateur ?

25Les efforts déployés par l’affineur pour fixer les prix suivant la quinzaine, le mois ou la saison sont invisibles à l’œil du consommateur. Ce dernier refuse toute variation si l’on suit Du Maroussem :

Les cours du détail restent invariables dans les crémeries ; c’est un niveau rigide, auquel le client veut se maintenir d’un bout de l’année à l’autre […] il ne faut rien changer. Cependant les cours du gros ne pourraient être représentés que par une courbe sinueuse (Du Maroussem, 1891-1896, p. 94).

  • 20 Copies de lettres, Étienne Coupiac à Guibal d’Anduze, représentant, octobre 1882, AD 12, Rodez, 54  (...)

26Du négociant en gros au consommateur se dessine une zone grise. Là, la fixation des prix n’a aucune visibilité mais seul un principe reste : vendre au meilleur prix. Il s’agit d’éviter les mauvais choix, de peser le risque afin de dégager de belles marges. Bien entendu, les belles affaires peuvent succéder aux mauvaises et certains produits assurent plus de bénéfices que d’autres. Les fraudes disposent ainsi d’un espace assez vaste. Dans ce jeu commercial, la Société des Caves pèse de tout son poids pour éloigner la spéculation. Dès la commande passée, le fromage est choisi dans la cave, prêt à la vente. Cet usage assure un contrôle qualité à la sortie de la cave ainsi qu’une régulation depuis le village de Roquefort. Par ailleurs, la direction refuse, par exemple, de vendre de trop grandes quantités lorsque la vente s’accélère : « nos caves se vident depuis un mois à toute vapeur ; il a fallu serrer les freins sur tous les points »20, car l’important est de pouvoir proposer du fromage jusqu’à la fin de l’année, ce que les concurrents ont du mal à réaliser. Toute l’ambiguïté des jeux marchands réside dans le fait que les intérêts des uns diffèrent de ceux des autres. Est-ce à dire qu’il n’existe pas de limite pour fixer le prix du roquefort ? Certainement pas.

27La situation du commerce sur chaque place est un élément de fixation des prix. Alain Faure dans un article déjà ancien, avait signalé les conséquences géographiques de l’implantation du grand magasin d’épicerie Félix Potin dans les quartiers parisiens : les petits détaillants manquaient, repoussés loin de la zone commerciale d’influence. Les conséquences sur les prix sont tout aussi importantes. Avec une marge fixe (100 francs par 100 kg de fromage de Roquefort), Félix Potin vient troubler l’activité des négociants en gros et impose une norme de prix, du moins dans sa sphère d’influence. En 1913, elle n’est pas négligeable. Il possède cinq magasins auxquels il convient d’ajouter les sept épiceries Damoy, son grand concurrent. Ces géants du commerce de détail représentent 20,4 % des ventes de Société à Paris en 1913. Situés rue Sébastopol, deux magasins concurrents représentent près de 14 % des ventes parisiennes ! Nul doute que leur façon d’établir un prix de détail pèse sur le travail des négociants alentour : parmi les 31 négociants parisiens clients de la Société, huit ont pu être localisés dans le quartier des halles et concentrent au moins 53 % des ventes. On comprend pourquoi Félix Potin et son concurrent Damoy étaient considérés comme des pestiférés par les négociants en gros parisien. En imposant un prix de détail, ils donnaient la main aux affineurs de roquefort.

  • 21 À noter que Nantes n’est pas approvisionnée directement par Rigal et Cie (entreprise précédant la S (...)
  • 22 La Salle à manger : chronique de la table, 10 juin 1864, p. 6.
  • 23 La Salle à manger : chronique de la table, 10 septembre 1864, p. 3.

28Finalement, quel était le prix du roquefort Société pour le consommateur ? Quelques indices peuvent être glanés çà et là, en fonction du travail de numérisation des institutions car les archives d’épiceries manquent. L’hôtel de Nantes en 1850, propose du « rocfort » à 50 centimes la portion sur sa carte de 1850, aux côtés du stilton et du brie. Le gruyère, quatrième et dernier fromage proposé est au prix de 40 centimes21. Le journal La Salle à manger : chronique de la table donne d’autres indices pour l’année 1864. Dans le numéro du 10 juin, le maître d’hôtel de La Salle à manger aborde un repas concocté pour deux amis dans sa chronique et indique les dépenses réalisées. Pour le dessert, ce spécialiste a choisi : « Du roquefort nouveau à 1,40 la livre, des fraises, des cerises, quelques amandes fraîches à 2,50 le cent »22. En septembre, il mentionne le prix d’un seul fromage chez Notier, rue du Contrat Social. Il s’agit du « fromage de Roquefort de la société » à 3,20 le kilogramme23. On note ici la mention de la marque. Déposée en 1863, elle est adoptée rapidement par les professionnels. Les pains tamponnés assurent la continuité de la qualité et engagent l’entreprise. La fabrication du prix dans la chaîne commerciale ne traduit qu’en partie la qualité et dans la seconde moitié du xixe siècle cette fonction est dévolue à la marque du fabricant.

29Difficile d’approcher le prix du roquefort pour le consommateur ! Il reste à souligner que la commercialisation de ce fromage pouvait assurer sans aucun doute quelques bénéfices confortables à l’ensemble de la profession. Le risque de perte n’est pas si grand car le consommateur souhaite consommer du roquefort.

III. Le consommateur rencontre le roquefort

30Après un périple plus ou moins long, le roquefort rencontre enfin le consommateur. Ces premiers contacts ont été encouragés par la croissance de plusieurs phénomènes liés au développement de la consommation et de la culture de masse dans le bouillonnement urbain du xixe siècle. Trois étapes se distinguent. Dans un premier temps, le développement de l’imprimé et de la lecture de masse ont introduit le mot « roquefort » et de fait, de nombreuses personnes connaissent le nom du fromage bien qu’elles ne l’aient jamais vu. Après avoir nommé le produit, il s’agit de le distinguer et de le reconnaître. Là, des experts sont présents dans de multiples boutiques. Enfin, à la fin du xixe siècle, le roquefort s’affiche dans l’espace public, directement à la vue du consommateur.

1. Première découverte du roquefort : l’importance des imprimés.

  • 24 La présence du fromage se perçoit au fur et à mesure de la progression des numérisations des ouvrag (...)

31Nous avons déjà souligné l’importance des écrits de journalistes et de savants attirés par le village de Roquefort, attachés à faire découvrir ou à décrypter le mystère des caves (Vabre, 2015a, voir particulièrement le chap. 5). Cependant, le développement de l’imprimé porte sur des terrains très variés. Les ouvrages de savoir-vivre, de cuisine sans oublier ceux sur l’alimentation et l’hygiène se multiplient. Sur ces sujets divers, nombreux sont les auteurs qui mentionnent le roquefort, seul ou accompagné et cultivent sa réputation24. Quelques extraits d’ouvrages choisis donnent le ton. Ainsi en 1846 dans La science du bien vivre ou monographie de la cuisine envisagée sous son aspect physique, intellectuel et moral, guide de la maîtresse de maison, suivie de mille nouvelles recettes par ordre régulier du service de table :

Les fromages de Chester et de Roquefort circulèrent-ils en dehors du service, et, à ma grande satisfaction, à part les dames, pas un convive n’oublia de se conformer à la règle imprescriptible donnée par nos maîtres dans la science du bien vivre (Desrez, 1845-1846, p. 54).

32En 1863, Le cuisinier européen conseille quant à lui un choix plus large pour le menu d’un déjeuner de printemps pour vingt personnes : « Quatre fromages – Un de Roquefort. Deux à la crème. Un de Gruyère » (Breteuil, 1863, p. 723). Par ailleurs, l’auteur mentionne une recette ou le roquefort peut avantageusement relever le plat (Lecointe, 1844, p. 107) [fig. 6].

Figure 6. Oreilles au gratin

Figure 6. Oreilles au gratin

33Dans les ouvrages de cuisine, l’accent est mis bien souvent sur la saisonnalité : Auguste Desrez le place en dessert pour le menu de janvier accompagné de « marrons, macarons, compotes de pommes et de poires » (Desrez, 1845-1846, p. 214). En avançant dans le siècle, les hygiénistes et les médecins prennent le dessus. Joseph Favrichon, pharmacien, n’hésite pas un instant lorsqu’arrive le temps d’évoquer le fromage. Si la plupart des fromages sont bons à manger, d’autres sont dangereux :

Quant aux fromages de haut goût, comme le Roquefort et certains fromages de pays […] ils sont absolument condamnés par l’hygiène. […] Ces vieux fromages peuvent devenir toxiques tout aussi bien que des viandes corrompues (Favrichon, 1897, p. 72).

  • 25 En fait, l’étude des champignons n’en est qu’à ses débuts. Il faut attendre les travaux de Charles (...)

34Un peu plus tard pourtant, en 1911, le docteur Legrand le conseille aux diabétiques comme tous les fromages par ailleurs (Legrand, 1911, p. 113). En fait, ces deux citations contradictoires soulignent les interrogations de la corporation. Les chimistes comme les médecins ne sont pas d’accord sur la nocivité ou l’innocuité du fromage de Roquefort. Le développement de moisissures à l’intérieur des pains lors de l’affinage suscite beaucoup de méfiance même si aucune maladie ou décès n’a été constatée25.

2. Dans les boutiques

  • 26 La Société des Caves se targue de compter parmi ses clients les Messageries Maritimes de Marseille.

35Dans le doute, le consommateur peut faire appel aux conseils de professionnels éclairés. Les maîtres d’hôtel représentent, par exemple, une part non négligeable de ces personnes dont on attend beaucoup dans les grandes maisons comme dans les restaurants ou sur les paquebots transatlantiques (Berneron-Couvenhes, 2007, p. 34-55)26. La direction prend soin de faire distribuer les circulaires de la maison par le biais des représentants dans toutes les grandes villes. Un langage spécifique est proposé. Les mots pour décrire le fromage et présenter sa renommée sont choisis afin de raconter sa fabrication mais aussi le distinguer de la concurrence. Le nom « Société » signe un « vrai » roquefort affiné dans les « meilleures caves » du village de Roquefort. Le courrier commercial reprend inlassablement les mêmes expressions (Boulat, à paraître). Ainsi les détaillants des commerces quotidiens ont à leur disposition un outil commercial, un vocabulaire distinctif leur permettant de faire œuvre d’expertise auprès d’une clientèle de plus en plus nombreuse. En effet, ces boutiques se multiplient au xixe siècle, preuve du dynamisme de la croissance des consommations alimentaires. Elles conservent l’organisation en trois groupes, issue de l’Ancien Régime. Le détaillant beurre/œufs/fromages représente le commerce hérité de l’ancienne réglementation qui regroupait ces trois produits. À leurs côtés, les épiceries diversifient le contenu de la boutique au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle. Enfin, les crémeries représentent le troisième type de commerce offrant du fromage. Claire Delfosse en souligne la particularité (Delfosse, 2014, p. 24.). Certaines sont destinées à l’approvisionnement alors que d’autres proposent aussi une restauration rapide. En 1865, les crémeries attirent les demi-mondaines :

  • 27 La Salle à manger : chronique de la table, 20 janvier 1865, p. 19.

Rentrée chez elle, la lorette jette son masque, éponge sa figure, endosse un modeste peignoir et descend à la crémerie, où elle demande : — Pour son déjeuner : un artichaut à l’huile, deux sous de fromage de Brie et un carafon. — Pour son dîner : une demi-soupe maigre, un demi-rosbeaf, une demi-salade, un demi-roquefort et une demi-bouteille de vin. Total : 85 c27.

36Ainsi, brie et roquefort sont des fromages du quotidien, des « nourritures canailles » qui conviennent à tous. En 1880, la boutique a changé d’aspect et de clientèle : « un grand nombre d’entre elles ne compte parmi ses clients que de petits employés rangés, des ouvriers et des ouvrières honnêtes », affirme le feuilleton du Petit Parisien le 23 avril 1880.

  • 28 La première étiquette est déposée en 1893.

37Au-delà du nom, peut-on reconnaître le fromage avant de le goûter ? Parti en caisse de 12 pains ou en panier de deux ou quatre depuis Roquefort, comment est-il débité dans les différents commerces ? Il n’est pas forcément servi sous forme de tartine comme nous venons de le voir, l’achat d’un pain entier par le consommateur jusqu’en 1914 au moins, n’est pas rare. En témoigne l’inquiétude suscitée par l’utilisation de la voie ferrée. Dans les années 1860, les nombreuses manutentions liées à l’utilisation du chemin de fer avaient pour conséquence de briser les pains et de rendre leur vente bien plus difficile, les protestations des négociants en gros en témoignent. Par la suite, l’habitude fut prise de caler le fromage avec de la paille de seigle ou de riz pour amortir les chocs afin de garder le pain entier. De la même façon, la création d’une étiquette est pensée pour le pain de fromage entier28. Ainsi légèrement habillé, le pain de fromage ne cache pas la couleur de la robe, la présence de points rouges et bleus offre le signe d’une bonne maturité et d’une excellente qualité. Cette façon de faire a été longuement discutée en conseil d’administration, les usages étant de présenter le roquefort à l’œil du client et, plus tard, du consommateur. L’étiquette était un outil supplémentaire pour contrecarrer la fraude car les nombreuses falsifications au lait de vache ont adapté, bien évidemment, la forme du roquefort. Celle-ci, définie dès les années 1850 permettait de reconnaître le fromage au premier coup d’œil. La pâte s’offrant ensuite au regard.

38Enfin, le roquefort est identifié par son aspect, son goût et son odeur. La pâte blanche et le persillé bien réparti sont le gage d’un fromage excellent affirment les spécialistes. Le lait de brebis est à l’origine de ces distinctions. Un fromage réalisé avec du lait de vache suivant les savoir-faire en usage possède une pâte plus jaune. Les veinures qui forment le persillé ne donnent ni le même goût, ni la même odeur. Mais comment reconnaître le « vrai » du « faux » lorsque le même nom est utilisé pour nommer les uns et les autres ? Cette question est d’autant plus difficile que les sens du consommateur pouvaient être égarés par l’ajout de quelques matières dans l’échoppe du détaillant. Si la direction conseille d’utiliser de la fécule pour mieux conserver le fromage, les indications données dans les ouvrages à destination des épiciers pour favoriser la conservation des fromages dans leurs boutiques vont parfois beaucoup plus loin :

Si l’on s’aperçoit que les fromages gras ou demi-gras commencent à se gâter, on pratique au milieu un trou dans lequel on introduit de la craie pulvérisée, et bien sèche, qui absorbe l’humidité, cause de la fermentation putride, on arrête ainsi la décomposition (Mauger, 1862, p. 26).

  • 29 « À Roquefort nous n’employons pas de fécule, (c’est inutile dans nos caves) mais ses MM. de Toulou (...)

39Ces préconisations sont-elles appliquées aux fromages secs dont fait partie le roquefort29 ? Nul ne sait, mais force est de constater que le fromage pouvait changer d’aspect et de goût après être passé en de multiples mains. Un regard averti doit pouvoir faire la distinction. L’éducation du consommateur devient alors fondamentale.

3. À la conquête des espaces publics

  • 30 Procès-verbal du conseil d'administration, 30 janvier 1893, Archives Roquefort Société, Roquefort, (...)
  • 31 Huit mille francs sont investis en menus (PVCA, 16 mars 1899, Archives Roquefort Société, Roquefort (...)
  • 32 L’entreprise Lillet, fabricant de liqueurs de Bordeaux, y a recours en 1905 (Londeix, 1998, p. 61).
  • 33 Les affiches peintes sur les pignons des murs de la capitale sont taxées par la Ville de Paris depu (...)
  • 34 Les exemplaires de ces publicitaires et circulaires n’ont pas été conservés (« PVCA, 20 avril et 6  (...)

40Pour guider les amateurs, on a vu que l’entreprise distribue depuis la fin des années 1860 des panneaux réclames dans les dépôts des grossistes et chez les détaillants. Les représentants s’assuraient de leur présence constante. Dans le même objectif, la Société participe à toutes les expositions universelles (Vabre, 2015b, p. 183-201). Mais à la fin des années 1880, cette visibilité ne suffit plus, elle paraît trop étriquée. La réclame sort alors des boutiques et des parcs réservés aux expositions où elle était cantonnée et apparaît désormais dans les lieux publics. La Société des Caves prend ainsi contact, en 1893, avec l’entreprise Diurne et Nocturne spécialisée dans la pose et l’entretien de panneaux publicitaires dans les salles d’attente ainsi que dans les tramways, avec laquelle elle passe un contrat pour cinq années30. Les restaurants de gare utilisent également des menus « Société »31. Les wagons-lits sont concernés un peu plus tard32. Ces hauts lieux du voyage, qui drainent une population nombreuse, apparaissent comme des points centraux. En revanche, rues et avenues sont délaissées. L’efficacité de l’affichage urbain est considérée comme trop incertaine par rapport à son coût, qui reste élevé : en 1898, les tarifs proposés par Dufayel, entreprise spécialisée dans le mur-réclame et concessionnaire de la ville de Paris, sont jugés excessifs33. Pourtant, quelques années auparavant, Société n’a pas hésité à commander quelque 20 000 affiches murales « genre américain » pour l’Exposition universelle de 1893, organisée à Chicago34. Cette expérience américaine a porté. À partir des années 1890, le contenu des affiches change et se calque sur les pratiques outre-Atlantique (fig. 7).

Figure 7. Le roquefort 1900

Figure 7. Le roquefort 1900

Source : Le roquefort « 1900 », panneau réalisé par l’imprimeur B. Arnaud de Lyon pour l’Exposition universelle de 1900 à Paris, collection privée.

41Le produit est présenté au consommateur, tel qu’il peut le trouver dans un magasin : sous forme de pain entamé avec une étiquette. Les panneaux réalisés pour l’Exposition universelle de Paris en 1900 soulignent le succès de cette façon de faire.

Conclusion

42Au xixe siècle, les itinéraires marchands du roquefort empruntent de nombreux chemins pour parvenir jusqu’au consommateur. Leur étude à partir des archives de l’entreprise apporte quelques éclairages nouveaux pour des produits alimentaires spécifiques tel le fromage de Roquefort.

43La diversité des places commerciales est une réalité : pas une ne se ressemble. L’utilisation du terme « place commerciale » renvoie à un vocabulaire antique mais recouvre en fait, des situations nouvelles. Contrairement aux temps anciens, le choix et la concurrence sont là ; la vente, auparavant événement éphémère devient régulière et fidèle. Par ailleurs, le nombre de places commerciales a considérablement augmenté et la croissance se poursuit ; qu’elles soient anciennes ou nouvellement acquises au commerce du roquefort, chacune affiche des caractéristiques et des situations différentes. Sur le terrain, l’action du représentant de commerce est fondamentale, il épaule l’expertise du négociant en gros et finalement transmet les demandes. L’entreprise s’adapte. Toutefois, contrairement aux apparences, elle ne perd pas la main sur son produit, bien au contraire. Le choix des clients, la fixation des prix et la gestion des stocks lors de la vente sont autant de leviers avec lesquels elle ne se prive pas d’agir. Cela demande une attention sans faille au plus haut niveau de l’entreprise en lien régulier avec les représentants. L’action quotidienne de la direction est happée par ces activités. Comme dans nombre de grandes entreprises, les années 1890 voient la création d’un service commercial, indice du gonflement des activités, de contacts à entretenir et finalement, de la croissance de l’entreprise.

44La volonté de mieux contrôler les négociants en gros et demi-gros explique l’usage d’une marque dès 1863. Celle-ci assure l’origine du pain de fromage et, la meilleure qualité possible expertisée à la sortie de la cave, depuis le village de Roquefort. Cette nouvelle façon de faire indique la recherche de solution face à une profession en croissance dont les règles de bonne conduite laissent à désirer. L’affineur combat ainsi la fraude et la tromperie, l’expertise du négociant devenant dès lors un service secondaire. La marque n’indique en rien une commercialisation par part, contrairement à ce qui se passe pour d’autres produits alimentaires à la fin du xixsiècle. Dans le cas du fromage, le consommateur achète un pain et le présente sur la table tel quel. En effet, les itinéraires marchands du fromage doivent répondre aux exigences des manuels de savoir-vivre pour lesquels la présentation d’un fromage entier est un passage obligé du repas gastronomique. Seuls les épiciers, crémiers ou a fortiori, les restaurateurs, le débitent en portions individuelles en indiquant parfois la marque.

45Le prix payé par le consommateur reste difficile à cerner, l’analyse de la segmentation du commerce par place le démontre. Toutefois, des changements apparaissent au tournant du siècle dans la façon d’aborder la clientèle consommatrice. Au sein de la filière commerciale tout d’abord où les nouveaux commerçants tissent des liens avec les fabricants, mettant hors-jeu le négoce en gros ; dans les lieux publics ensuite. En effet, la rencontre avec les consommateurs a lieu dans ces points de passage qui affichent désormais la marque et le roquefort. La Grande Dépression et la mise en cause du négoce en gros ont favorisé ces nouvelles façons de faire. Parallèlement, la rapidité des moyens de transport et la réglementation sur les petits colis rapprochent fabricant et détaillants. À la veille de la Première Guerre mondiale, les itinéraires marchands du roquefort ont supprimé nombre d’intermédiaires dont l’expertise et le service n’apparaissaient plus indispensables. Le prix du roquefort a-t-il baissé pour autant ? Pas forcément, car l’intégration et le développement de nouvelles prestations telles l’emballage, gonflent désormais la tarification en amont.

46Ce voyage au cœur de la commercialisation d’un produit alimentaire vu depuis l’entreprise montre des itinéraires marchand multiples qui finalement, poussent le fabricant à prendre en main une partie du commerce pour se retrouver au plus proche du consommateur. En 1914, le roquefort est commercialisé sur l’ensemble du territoire national, néanmoins, existe-t-il un marché national du roquefort ? Peut-être, mais il est loin d’avoir une définition simple.

Anmerkungen

1 Le xixe siècle est abordé rapidement dans Chessel et Chatriot (2006, p. 67-83) ; Démier (2017, p. 47-58) ; Faure (1979, p. 113-130).

2 « Celui, celle qui use habituellement des soins d’un médecin ; celui, celle qui fréquente une boutique ou un établissement ouvert au public. Mais ce néologisme n’est pas bon : un médecin a des malades ; un marchand a des pratiques et non des clients. C’est à tort que de clientèle on a conclu à client » (Littré, 1872, p. 643).

3 Les fromages se classent en deux catégories commerciales au xixe siècle, les « mous » et les « secs ». Cette dernière concerne le roquefort.

4 Cet article se situe dans la continuité de ma thèse publiée en 2015 (Vabre, 2015a) et a bénéficié des discussions fructueuses des multiples séminaires organisés par l’équipe de l’ANR Fiduciae réunie par Arnaud Bartolomei à laquelle nous avons participé (Bartolomei, Eloire, Lemercier, Oliveira et Sougy, 2017, p. 425-460).

5 La distinction doit être faite sous peine de confusion totale. On ne peut comprendre le commerce du xixe siècle, si client et consommateur sont établis comme des synonymes.

6 François Caron a donné quelques pistes sur l’acheminement des produits dans ses ouvrages prolongées en 2010 par Jean-Pierre Williot. L’historien se proposait de prolonger les études jusqu’au consommateur : « Il y a place dans l’histoire de l’alimentation à s’interroger sur les modalités et la portée des chemins de fer comme acteurs de l’innovation alimentaire en ville ». (Williot, 2010, p. 9-19).

7 Copies de lettres, Étienne Coupiac, directeur, à un client bordelais potentiel, 25 août 1860, archives départementales de l’Aveyron (désormais AD 12), Rodez, 54 J 3350, f° 26.

8 Copies de lettres, Étienne Coupiac, directeur, à Camicas, négociant de Toulouse, février 1877, AD 12, Rodez, 54 J 3422, f° 32.

9 Il n’existe pas d’études sur les négociants en gros et demi-gros en France.

10 Rapport de l’agent commercial à MM. les membres du conseil d’administration, 4 février 1909, p. 7, Archives Roquefort Société, Roquefort, dossier du conseil d’administration.

11 Avec plus de 47 000 francs de commission en 1913, Estachon est le représentant le mieux rémunéré de l’année.

12 Copies de lettres, Étienne Coupiac, directeur de la Société des Caves, à Lorin, représentant à Paris, 5 décembre 1879, AD 12, Rodez, 54 J 3441, f° 423.

13 Société auxiliaire d’agriculture et d’industrie du sud-ouest de la France.

14 Le directeur informe les représentants par lettre du prix à pratiquer à telle date.

15 Copies de lettres, Étienne Coupiac à Bouviala, représentant montpelliérain, 17 octobre 1856, AD 12, Rodez, 54 J 2926, f° 393.

16 Copies de lettres, Étienne Coupiac à Hélène, représentant parisien, 27 mai 1864, AD 12, Rodez, 54 J 3357, f° 75.

17 Copies de lettres, Étienne Coupiac à Hélène, représentant parisien, 28 mai 1864, AD 12, Rodez, 54 J 3357, f° 78.

18 « Les fromages de Roquefort primeurs vont faire leur apparition sur la place de Paris en voici les prix : Roquefort primeur, marque Société, les % kilos 210 Roquefort primeurs, 2ème marque les % kilos 200 f ; Roquefort primeurs 3ème marque 190 ; bien entendu prix de cote ici sur place. Ces fromages chargés des frais d’emballage, de voiture et d’entrée reviendront aux détaillants de Paris à f. 270, 260, 250 » (Copies de lettres, Étienne Coupiac à Lorin représentant parisien, 19 mars 1877, AD 12, Rodez, 54 J 3422, f° 212).

19 « Nous avons oublié de vous dire que puisque vous deviez être le seul détenteur direct de nos produits sur votre place, il était bien entendu que tous les fromages dont vous pourrez avoir besoin doivent être pris chez nous. Nous nous engageons à vous fournir les mêmes qualités qu’à Toulouse et au même prix et conditions » (Copies de lettres, Étienne Coupiac à Moizan de Bordeaux, 18 avril 1861, AD 12, Rodez, 54 J 3351, f° 11).

20 Copies de lettres, Étienne Coupiac à Guibal d’Anduze, représentant, octobre 1882, AD 12, Rodez, 54 J 3466, f° 168.

21 À noter que Nantes n’est pas approvisionnée directement par Rigal et Cie (entreprise précédant la Société des Caves, en activité de 1842 à 1851).

22 La Salle à manger : chronique de la table, 10 juin 1864, p. 6.

23 La Salle à manger : chronique de la table, 10 septembre 1864, p. 3.

24 La présence du fromage se perçoit au fur et à mesure de la progression des numérisations des ouvrages de la Bibliothèque nationale grâce à la recherche plein texte.

25 En fait, l’étude des champignons n’en est qu’à ses débuts. Il faut attendre les travaux de Charles Thom, microbiologiste américain, pour que le roquefort soit dédouané par la science. En 1906, le scientifique travaillant pour le ministère américain de l’Agriculture sur la toxicité alimentaire et les normes définit notamment le Penicillium roqueforti et le Penicillium camemberti, deux pénicilliums à l’origine des fromages français bien connus aux États-Unis. Jusque-là, le persillé des fromages était attribué au Penicillium glaucum, nom générique.

26 La Société des Caves se targue de compter parmi ses clients les Messageries Maritimes de Marseille.

27 La Salle à manger : chronique de la table, 20 janvier 1865, p. 19.

28 La première étiquette est déposée en 1893.

29 « À Roquefort nous n’employons pas de fécule, (c’est inutile dans nos caves) mais ses MM. de Toulouse qui sont nos plus gros clients l’emploient beaucoup pour maintenir la fraîcheur et la beauté de la croûte. Les fromages doivent être généralement posés à plat et retournés tous les jours » (Copies de lettres, Arnal, directeur de la Société des Caves à Coignard de Tours, 11 juin 1853, AD 12, Rodez, 54 J 2924, f° 156).

30 Procès-verbal du conseil d'administration, 30 janvier 1893, Archives Roquefort Société, Roquefort, f° 346. Société leur confie pour cinq ans l’affichage et l’entretien des panneaux dans 112 gares et 125 affiches dans les tramways. Le conseil d’administration est très attentif au coût. En 1895 par exemple, il refuse finalement de faire de la publicité dans les 2e et 3e classes des wagons de la Compagnie du Midi.

31 Huit mille francs sont investis en menus (PVCA, 16 mars 1899, Archives Roquefort Société, Roquefort, f° 238).

32 L’entreprise Lillet, fabricant de liqueurs de Bordeaux, y a recours en 1905 (Londeix, 1998, p. 61).

33 Les affiches peintes sur les pignons des murs de la capitale sont taxées par la Ville de Paris depuis 1852.

34 Les exemplaires de ces publicitaires et circulaires n’ont pas été conservés (« PVCA, 20 avril et 6 juin 1893 », Archives Roquefort Société, Roquefort, f° 365-366).

Abbildungsverzeichnis

Titel Figure 1. Les acteurs de la chaîne de commercialisation du roquefort de la Société des Caves (1850-1914)
URL http://books.openedition.org/pufc/docannexe/image/20289/img-1.jpg
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Titel Figure 5. Prix à la sortie des caves de la Société des Caves en 1861,1862,1906 et 1913 (pour 100 kg, par quinzaine)
Impressum Source : Grands livres, archives départementales de l’Aveyron, Rodez, 54 J.
URL http://books.openedition.org/pufc/docannexe/image/20289/img-2.jpg
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Titel Figure 6. Oreilles au gratin
URL http://books.openedition.org/pufc/docannexe/image/20289/img-3.jpg
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Titel Figure 7. Le roquefort 1900
Impressum Source : Le roquefort « 1900 », panneau réalisé par l’imprimeur B. Arnaud de Lyon pour l’Exposition universelle de 1900 à Paris, collection privée.
URL http://books.openedition.org/pufc/docannexe/image/20289/img-4.jpg
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Autor

Sylvie Vabre est maîtresse de conférences à l’université Toulouse Jean Jaurès, membre de l’UMR 5136/Framespa et préside l’ICFREFH (International Commission for Research into European Food History). Sa thèse a obtenu le prix Crédit Agricole « Entreprise & Histoire » en 2011 et a été publiée sous le titre Le sacre du roquefort aux Presses universitaires de Rennes. Elle travaille sur l’histoire des entreprises agroalimentaires et la consommation à l’époque contemporaine.

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