1 Introduction

1L’université de Paris est créée au XII^e siècle. Deux types de collèges vont se développer au cours du Moyen Âge et surtout au XIV^e siècle, d’une part les collèges réguliers comme ceux des Cordeliers pour les Franciscains, ceux des Bernardins pour les Cisterciens, d’autre part les collèges séculiers, comme celui de Sainte Barbe ou de Tours (fig. 1). Plus d’une soixantaine de collèges se sont ainsi développés sur la rive gauche de la Seine. Les fouilles archéologiques de ces dernières décennies ont porté sur un certain nombre de ces établissements, sous forme de surveillance, de diagnostics ou de fouilles. Le verre médiéval et moderne, qui devait être d’un usage assez commun, reste peu représenté en raison de sa fragilité et de sa mauvaise conservation. Le Collège de France, grâce à l’intervention dès la phase de fouille d’une spécialiste qui en a assuré l’inventaire et l’étude, est une exception de par la quantité des fragments recueillis et la variété des formes.

2D’après Aurélie Perraut (Perraut 2009), peu de fondateurs avaient les moyens de construire de fond en comble un collège à Paris. Leurs boursiers s’installaient généralement dans des bâtiments préexistants qui ne différaient guère des immeubles alentour. Destinés à accueillir les étudiants, ils reflètent parfois la vie de leurs premiers occupants. Des maisons de rapport dépendant des collèges ou des hôtels particuliers ont pu être également loués. Il est donc difficile de connaître la provenance du mobilier mis au rebut et retrouvé en fouille. Le cas des établissements religieux aurait pu nous apporter quelques indications mais ceux fouillés, collège des Bernardins (Fouille INRAP, renseignement Arnaud Prié) ou les sondages dans celui des Cordeliers (sondage CVP 777, Brut 2002), ont livré quelques rares fragments. L’étude générale reflète cependant le verre en usage à Paris lors des siècles de développement de la ville universitaire.

2 Les sites parisiens (hors Collège de France)

3Plusieurs sites parisiens de la rive gauche ont fait l’objet de fouilles archéologiques ces dernières années et ont livré, pour certains, des lots de verreries qui n’avaient pas encore fait l’objet d’études.

2.1 La place de la Sorbonne

4En 1980, Place de la Sorbonne, la surveillance d’une tranchée par Edmond Servat (CVP 516) a permis de recueillir un lot de verreries dans le remblai d’une cave médiévale dont l’identification est difficile (maison ou collège). Il comprend, pour le flaconnage, huit fonds d’urinaux caractérisés par un fond épais et une trace du pontil et, pour les verres à boire, quatorze tiges et des fragments de coupes côtelées. Une des tiges est complète, d’une hauteur de 7,5 cm avec départ d’une coupe plate et départ du pied. Une autre présente un anneau torsadé (fig. 2, n° 1) très similaire à celui trouvé lors de la fouille du Collège de Tours situé plus au nord (CVP 714, fig. 2, n° 2).

2.2 Les abords de l’abbaye Sainte-Geneviève

5En 1976, des terrassements suivis par Edmond Servat pour la construction d’une piscine souterraine dans la « cour du self » du lycée Henri IV (CVP 543) installé à l’emplacement des bâtiments de l’ancienne abbaye Sainte-Geneviève ont livré un dépotoir médiéval. Selon le plan archéologique établi par Adolphe Berty1, la zone de fouille correspond à des hôtels pris entre l’abbaye Sainte-Geneviève et l’ancienne rue de la Porte Bordelle (actuelle rue Descartes). La documentation de fouille donne peu de précisions sur le contexte de découverte. Le mobilier conservé consiste en un ensemble d’une dizaine de céramiques de formes variées, pichets, tirelire, coquemars, jattes et poêlons datables du milieu du XIV^e siècle (Brut 1996, 259) et en un lot de fragments de verre très altérés, voire opaques, représentant une centaine de pièces dont seules les parties épaisses sont conservées. Les fonds d’urinaux, majoritaires, sont au nombre de cinquante-trois pour le flaconnage. Des éléments isolés tels qu’une anse, un cabochon et un élément en pointe ont probablement servi de décor ou d’accessoire sur ces flacons (fig. 3). Pour les verres à boire, trente et une tiges avec ou sans anneaux mesurent entre 7,5 et 8,5 cm pour un diamètre de 0,8 à 1,2 cm. Quatre-vingt-trois côtes de coupes côtelées leur sont associées ainsi que de rares fragments de col et de pied.

2.3 Le collège de Tours et le boulevard Saint-Michel

6Lors des fouilles archéologiques dirigées par Didier Busson et réalisées en 1994 à l’emplacement du parc de stationnement du boulevard Saint-Michel (CVP 714-INRAP), boulevard percé au XIX^e siècle à l’instigation du Baron Haussmann, des latrines dépendantes du Collège de Tours furent fouillées. Ce collège, fondé en 1333 par Étienne de Bourgueil, archevêque de Tours, accueillait un principal et six boursiers originaires de Touraine. Il se situait rue Serpente et fut supprimé en 1763. Le mobilier recueilli correspond aux US 1019 et 10722. L’ensemble céramique qui comprend pichets, tasses et tirelires permet de dater l’ensemble du milieu du XIV^e siècle. Le lot de verres recueilli se compose de cinquante et un fragments. L’US 1072, au fond de la fosse, contenait des fragments d’un verre à pied à tige creuse et le rebord d’un gobelet à lèvre évasée soulignée par un bourrelet et fond rentrant. Dans l’US 1019, quatre fonds d’urinaux ont été retrouvés et, pour les verres à pied, une tige pleine, citée ci-dessus, d’une hauteur de 8 cm pour un diamètre de 1 cm avec un anneau central torsadé (fig. 2, n° 2) et des fragments de coupe côtelée. Cette US a livré également des éléments d’un verre rouge qui semble s’apparenter aux verres à boire de type « Phallusglas » trouvés pour cette période en Allemagne (Baumgartner 1988, 421-422, notice 530)3 et plus particulièrement à un exemplaire complet provenant du centre de Francfort qui présente la même morphologie, le même filet rapporté et la même coloration particulière et unique pour les verres creux de cette époque trouvés à Paris4. Un autre fragment de ce type de verre à boire de couleur rouge a été mis au jour sur la rive droite dans le remblai d’une cave de l’impasse Saint-Denis (CVP 767 ; Brut et al. 2014-2015, 370-372).

2.4 Le collège Sainte-Barbe

7En 2004, une fouille réalisée par Sylvie Robin au 4 rue Vallette (Robin 2016) a permis de mettre au jour les vestiges du collège de Reims, fondé en 1412 à l’emplacement du premier hôtel parisien des ducs de Bourgogne, et ceux du collège médiéval de Sainte-Barbe. Son histoire commence avec l’ouverture en 1430 d’une pension dans l’hôtel des Coulons, puis vers 1460 dans l’ancien hôtel des Chalons. Le collège était réputé et s’agrandit en 1835 en absorbant les bâtiments de l’ancien collège de Reims. Il a fermé en 1998, étant jusqu’à cette date le plus vieux collège du Quartier latin. Différentes structures contenaient du verre. La fosse F4, US 4000, correspond à une citerne. Son remplissage a livré un lot de verres à boire composé de verres à tige et de coupes côtelées (fig. 4, n° 1 à 5). Une tige pleine avec un départ de pied et de coupe mesure 6,5 cm. Deux autres tiges avec anneau ont une hauteur supposée de 10 cm maximum. Une des coupes côtelées mesure 7,5 cm de diamètre pour quatorze côtes restituées. Un élément de coupe évasée rappelle les formes découvertes dans la Cour Carrée du Louvre (Fleury et al. 2002, 100, n° 728). Dans la même couche, deux fonds d’urinaux complètent l’ensemble. L’US 4275 correspond au remplissage de latrines médiévales (fig. 4, n° 6 et 7). Elle a livré une forme peu commune, arrondie, en verre vert d’un diamètre de 11 cm pour une hauteur conservée de 4,7 cm avec un repli formant un bourrelet de 1 cm de large. Une extrémité est cassée, mais des exemplaires équivalents publiés (Baumgartner 1988, 256, notice 274 ; Waton 1990, 45, fig. 12) permettent de l’interpréter comme un couvercle, bien qu’aucun récipient en verre ne lui corresponde. Les onze autres fragments se répartissent en quatre fragments d’un verre à pied à tige creuse d’un diamètre de 2 cm et les restes d’une coupe côtelée d’un diamètre de 7 cm pour une hauteur de 3 cm, deux fonds d’urinaux et des fragments de panse et de col.

3 Le Collège de France

8La fouille de la cour d’honneur et de la cour Letarouilly du Collège de France, situé à l’angle de la rue Saint-Jacques et de la place Marcellin-Berthelot (Paris V^e), s’est déroulée entre 1994 et 1995 sous la direction de Laurent Guyard. Elle fut conduite par l’AFAN (actuellement l’INRAP) à la demande de la DRAC d’Île-de-France, avant l’aménagement des salles souterraines sous les cours principales du collège (Guyard 2003a, 31). L’emplacement de l’actuel Collège de France correspond au site du Collège royal créé entre 1529 et 1531 par François I^er. Au début du XVII^e siècle, le Collège royal s’est installé à l’emplacement de deux collèges médiévaux, le collège de Tréguier et celui de Cambrai (fig. 5). Ces deux collèges fondés dans la première moitié du XIV^e siècle — le collège de Tréguier en 1325 et celui de Cambrai en 1344 — correspondent à l’essor pris par les fondations universitaires lors du XIV^e siècle (Guyard, Lichon 2003, 124-125).

9Le fondateur du collège de Cambrai, Guillaume d’Auxonne, était de modeste naissance. Néanmoins, sans avoir eu ni relations ni fortune, il a réussi à accéder à l’évêché de Cambrai en 1336 (ou 1337)5, puis celui d’Autun en 1343. Il est mort en 1344. Avant de devenir évêque de Cambrai, il était chanoine de Notre-Dame à Paris où il achète une maison. Dans son testament, il ordonne à son exécuteur testamentaire, Hugues de Pommard, de fonder un collège dans cette maison. Par la suite, Hugues d’Arcy, l’exécuteur de Hugues de Pommard, décide de s’associer au don fait par Hugues de Pommard en léguant une partie de ses biens pour financer les études de plusieurs écoliers et fonder le collège de Cambrai, aussi connu comme le collège des Trois Évêques, dont les premiers statuts datent de 1348 (Perreaut 2009, 185). La fouille de 1994-1995 s’est portée sur les caves médiévales des trois maisons : la maison de Guillaume d’Auxonne, la maison de la Rose et la maison aux Crénaulx, sous la cour d’honneur, et une autre maison appartenant au collège sous la Cour Letarouilly.

10Dans son étude sur l’architecture des collèges parisiens au Moyen Âge, A. Perreaut écrit que « … les collèges parisiens, en particulier séculiers, étaient entourés de leurs maisons locatives ou semi-locatives, selon que les boursiers les destinaient entièrement à la location ou en occupaient une partie » (Perreaut 2009, 166). L. Guyard et A.A. Lichon déduisent des textes que, bien qu’appartenant au collège de Cambrai, la maison de la Rose et la maison aux Crénaulx étaient louées à diverses personnes (Guyard, Lichon 2003, 126).

3.1 Le verre du Collège de France

11Le verre archéologique a été présenté sommairement lors des rencontres de l’AFAV en 1997 (Penna 1997-1998, 11-15). Les ensembles aux deux extrêmes de la fourchette chronologique, CS6 226, CS 206 pour le XIV^e siècle et CS 203/204 pour le XVI^e siècle, ont été étudiés pour la publication sur le Collège de France (Penna, De Finance 2003, 213-228). L’objectif ici est de présenter une synthèse de tous les ensembles de verrerie de l’époque médiévale et moderne. L’abondant matériel en verre — 429 verres identifiés — provient principalement des fosses d’aisances et des dépotoirs à l’arrière des maisons médiévales. Sept ensembles de verrerie datent du XIV^e siècle : CS 226, CS 206, CS 225, CS 201, CS 256/259, CS 305, et CS 134. Les CS 101, 243, 254 et 200 s’échelonnent entre le XV^e et le XVI^e siècle. Le CS 203/204 contient principalement des verres de la seconde moitié du XVI^e siècle. Le tableau de la fig. 9 récapitule de manière graphique les formes trouvées dans les différents contextes.

3.2 La verrerie du XIV^e siècle

3.2.1 La fosse CS 226

12Cette fosse, à l’arrière de la maison de la Rose, profonde de 3 m, semble avoir été à l’origine, intégralement maçonnée. Les céramiques permettent de dater son comblement du début du XIV^e siècle ; les verres confirment cette datation. Cet ensemble se distingue par la présence d’un nombre très élevé d’urinaux, soixante, par rapport aux autres formes telles que les verres à boire, onze, les flacons, deux fonds, et une lampe (fond). Parmi les verres à boire, il y a une forme qui peut être datée du XIII^e siècle. Il s’agit d’un verre à pied trapu, à contenant globulaire avec des côtes très saillantes et fortement incurvées. Le contenant se resserre vers le haut avant de s’évaser à la lèvre. Des verres similaires trouvés par ailleurs ont été datés du XIII^e siècle (Fleury et al. 2002), voire fin du XII^e-début du XIII^e siècle (Foy, Sennequier 1989, 162-163). Cependant, cette forme est toujours présente au début du XIV^e siècle (Berthon, Caillot 2013, 114), à côté de quatre tiges pleines aux coupes larges et à côtes peu saillantes. Une forme peu commune trouvée en deux exemplaires correspond à une tige creuse, massive et côtelée avec un renflement prononcé au milieu. Une tige semblable a été trouvée lors des fouilles de latrines à Montmorency dans le Val-d’Oise (Berthon, Caillot 2013, 116). Cependant, le parallèle le plus proche est un verre trouvé au début des années 1960 dans une citerne du XIII^e siècle au château de Caen en Normandie (Foy, Sennequier 1989, 166).

3.2.2 La fosse CS 206

13L’ensemble de verrerie de cette fosse en pleine terre en forme de « U » comporte plus de verres à boire, douze, que d’urinaux, neuf, ainsi que deux exemplaires de verre à contenant resserré et six de verre à tige pleine, trois exemplaires de verre à tige creuse caractéristique du XIV^e siècle (Munier 1990, 54). Ici le pied est en forme de disque et la coupe évasée est ornée de côtes qui peuvent être saillantes ou fines, plates, et hélicoïdales (Foy, Sennequier 1989, 207-210). Dans les deux fosses, CS 226 et CS 206, un fond s’apparente peut-être à un gobelet ou à une petite fiole très fragmentaire.

3.2.3 Les fosses CS 225 et CS 201

14Ces deux fosses en pleine terre à l’arrière de la maison de Guillaume d’Auxonne ont livré peu de matériel en verre. La première, CS 225, est très incomplète et similaire à la fosse CS 201, mais moins profonde. Cette fosse contenait peu de formes identifiables : un fond de verre à tige creuse avec des côtes saillantes, trois fonds d’urinaux et quelques fragments qui peuvent être associés au contenant à côtes fines et plates, ainsi qu’une côte en forme de « C » caractéristique de verres à contenant resserré.

15La fosse CS 201 est de forme trapézoïdale (Guyard, Lichon 2003b, 129). Comme dans la fosse CS 225, il y a peu de formes identifiables : deux tiges pleines avec anneau, plusieurs fragments de côtes saillantes, sept fonds d’urinaux, deux fonds de flacon et un fond de lampe. Ces deux fosses sont datées du XIV^e siècle.

3.2.4 Les fosses CS 256/259

16À l’arrière de la maison aux Créneaulx se trouvent ces deux fosses en pleine terre, très incomplètes et peu profondes, qui se recoupent. Elles sont datées de la première moitié du XIV^e siècle par les céramiques. Le lot de verrerie qui en provient a livré un grand nombre de verres à tige pleine, dix-sept ; la plupart des tiges semble pourvue d’un anneau. L’une d’elles a une forme sinueuse. Les fragments de contenants présentent soit des côtes saillantes, soit des côtes plates, légèrement courbes. Dans le CS 256, deux fonds de verre sont à tige creuse. Par rapport aux verres à boire, le nombre d’urinaux est moindre, six. Deux goulots de fiole, l’un renflé, complètent cet ensemble.

3.2.5 La fosse CS 305

17Également située dans les jardins de la maison aux Crénaulx, cette fosse profonde est maçonnée. Sa profondeur et sa forme particulière font penser à une glacière médiévale (Guyard, Lichon 2003b, 131). Cet ensemble, daté de la fin du XIV^e et du début du XV^e siècle, est caractérisé par la présence de verres à tige pleine et élancée, surmontée par un contenant côtelé plutôt étroit, avec un pied plat et discoïdal. Le spécimen le mieux connu de ce type de verre, daté à la fin du XIV^e siècle, a été trouvé presque intact dans l’église des Augustins à Rouen (Foy, Sennequier 1989, 211). À Paris, dans la rue de Lombards, des verres similaires proviennent d’un contexte de la seconde moitié du XV^e siècle (Marquis et al 2000, 99). Du CS 305 proviennent deux exemplaires de ce type, un verre à tige creuse au contenant côtelé, ainsi qu’un fond de gobelet, trois fonds de flacons, neuf urinaux et une anse fine en verre vert émeraude, peut-être un élément d’une aiguière ou d’une cruche.

3.2.6 La fosse CS 134

18L’ensemble de verrerie de cette fosse quadrangulaire en pleine terre, située sous la Cour Letarouilly, compte un nombre élevé d’urinaux, treize, par rapport à un seul verre à boire signalé par sept fragments d’un contenant à côtes saillantes. Trois petits goulots de fioles complètent ce lot. Cette fosse est datée de la fin du XIV^e et du début du XV^e siècle (Guyard, Lichon 2003b, 132).

19Toutes ces fosses sont considérées comme des dépotoirs domestiques en raison de leur remplissage composé de déchets culinaires et de nombreux fragments de vaisselle en verre et en céramique, voire de céramiques complètes (Guyard, Lichon 2003b, 129).

3.3 Le verre du XV^e siècle et du début du XVI^e siècle

3.3.1 La structure maçonnée CS 101

20Dans la Cour Letarouilly, cette structure maçonnée se trouve adossée aux fondations d’une tourelle d’escalier hexagonale ; il s’agit vraisemblablement d’une fosse d’aisances. Le matériel en verre est abondant. Les strates inférieures contiennent des verres qui peuvent être datés de la fin du XIV^e et du début du XV^e siècle, tels que des urinaux, treize, des verres à tige élancée, trois, et un verre à tige pleine. Néanmoins, la majorité des verres sont des formes présentes aux XV^e et XVI^e siècles, témoignant d’une longue période d’utilisation de cette structure. Douze gobelets se répartissent entre gobelets à teinte verte fortement altérés et gobelets cristallins, peu altérés, de teinte légèrement verte ou rose. Un gobelet en verre incolore possède un décor d’accolades en émail blanc. La forme la plus représentée est le verre à pied refoulé biconique, avec dix-huit exemplaires, pour la plupart en verre incolore, hormis trois en verre vert. L’un d’eux, à bord festonné autour du pied, semble avoir été décoré de rayures verticales en émail. Cinq verres sont à pied refoulé bitronconique, trois en verre incolore et deux en verre vert. L’un d’eux, au profil presque complet, permet d’estimer une hauteur totale d’environ 15 cm. Le verre est incolore et le contenant orné de losanges moulés, décor limité par un double filet d’email blanc qui entoure le haut (fig. 6). Un fond de coupelle, deux petites fioles, six flacons et trois bouteilles complètent cet ensemble.

3.3.2 La fosse CS 243

21Cette fosse en pleine terre, à l’arrière de la maison aux Créneaulx, est une fosse-dépotoir du XV^e siècle qui paraît avoir été utilisée jusqu’à la première moitié du XVI^e siècle, comme le montrent les céramiques trouvées dans les strates supérieures (Guyard, Lichon 2003b, 136, 138). Cependant, le mobilier en verre est composé de formes produites au XV^e siècle. La plus répandue est le gobelet dont treize exemplaires ont été identifiés. On trouve également des fragments d’un verre à tige élancée. Trois fonds de gobelets possèdent une pastille de verre bleu cobalt à l’empontillage. Des gobelets similaires à pastille bleue, trouvés à Orléans et dans la Cour Napoléon du Louvre, sont datés de la seconde moitié du XV^e siècle (Foy, Sennequier 1989, 260). Dans la rue des Lombards à Paris, des gobelets à pastille bleue ont été trouvés dans un contexte de la première moitié du XVI^e siècle (Marquis et al. 2000, 102). Les formes fermées sont représentées par deux urinaux, un fond vraisemblablement d’une carafe côtelée et une petite fiole aplatie de 7 cm de hauteur presque intacte (fig. 7).

3.3.3 La fosse CS 254

22Cette fosse maçonnée circulaire, située à l’arrière de la maison de la Rose, est identifiée comme une citerne. Par la suite, elle a servi de dépotoir secondaire (Guyard, Lichon 2003b, 140) et a livré beaucoup de mobilier en verre. La forme la plus fréquente est le verre à pied refoulé bitronconique, avec vingt-deux exemplaires, suivi par le verre à pied refoulé biconique avec seize exemplaires. Les fragments des contenants et des pieds montrent une grande variété de décors : de forme ovale, en losange et côtes moulées, filets fins de verre blanc ou filets épais et festonnés en verre incolore, côtes moulées avec des petits points de verre blanc, accolades en émail blanc. Sept fragments en verre incolore proposent un décor d’émail rose et blanc et les traces de ce qui paraît être une inscription. Un fragment à angle saillant témoigne de la présence d’un verre polygonal. Il a été possible de reconstituer le profil complet, d’une hauteur de 19 cm, d’un grand verre à pied refoulé avec un anneau autour de la jonction du pied et du contenant, en verre gris (fig. 8). On compte treize gobelets, ceux en verre cristallin incolore ont des côtes peu prononcées et un bandeau lisse au bord, ceux en verre de teinte vert pâle ou rose pâle sont à côtes saillantes. Cet ensemble de verres à boire est caractéristique de formes trouvées dans la seconde moitié du XV^e siècle jusqu’au XVI^e siècle (Foy, Sennequier 1989, 262, 272-276). Parmi les récipients à contenir et à verser provenant de cette structure se trouvent le bec verseur d’une aiguière avec un décor en forme de marguerite en relief à sa base, le bord et une partie de l’anse d’une cruche, le goulot d’une carafe côtelée, celui d’un flacon avec renflement, ainsi que quatre bouteilles et quatre urinaux.

3.3.4 La fosse CS 200

23De cette grande fosse d’aisances carrée et maçonnée, installée à l’arrière de la maison aux Crénaulx, proviennent treize gobelets cristallins, incolores, à côtes peu prononcées, parfois en spirale. Deux bases formées par des cordonnets de verre ne peuvent être associées à aucun fond bien que d’autres gobelets de ce type aient été trouvés dans la fouille du Collège de France (CS 203/204, Penna, De Finance 2003, 214) et ailleurs à Paris (Marquis et al. 2000, 101). Deux pieds de verres biconiques et un verre polygonal sont aussi présents. Le fond et l’anse d’une cruche côtelée à teinte rose, une fiole, deux flacons et trois urinaux complètent ce lot.

3.4 Le verre de la seconde moitié du XVI^e siècle

3.4.1 Les fosses CS203/204

24Le verre provenant de cette double fosse d’aisances, publié en 2003 (Penna, De Finance 2003, 215-220), date surtout de la seconde moitié du XVI^e siècle. Seuls trois gobelets sont présents : il peut s’agir de mobilier résiduel conservé après curage de la fosse. Les verres biconiques à pied refoulé sont représentés par trente et un exemplaires, dont dix-huit à liseré bleu autour du pied, modèle absent ailleurs au Collège de France. Deux autres formes caractéristiques de la seconde moitié du XVI^e siècle, le verre à boule creuse renflée qui compte douze individus, et le verre à tige creuse renflée, cinq individus, se trouvent dans ce lot (Barrera 1990 ; 1993). Parmi les formes diverses, on remarque le contenant d’une grande coupe évasée en verre translucide à décor moulé de stries horizontales et de côtes verticales, qui paraît avoir eu un bord doré, et deux coupelles, dont l’une entièrement en verre bleu cobalt. Les formes fermées comptent trois carafes à pied, une cruche, deux fioles, cinq flacons et sept bouteilles. La plus grande de ces bouteilles, en verre vert foncé et à panse aplatie, mesure 33,5 cm de haut. Aucun fond d’urinal n’a été trouvé ici.

3.5 Discussion

25Dans la préface à la publication sur le Collège de France, C. Goudineau affirme que « Le collège médiéval (ou de la Renaissance) représente, en plus réduit, l’équivalent de nos résidences universitaires : un mécène (haut personnage, souvent un ecclésiastique) met des locaux à la disposition des jeunes gens “méritants”… de sa région d’origine, leur assurant le gîte et le couvert (peu luxueux l’un et l’autre)7 » (Goudineau 2003, 12). Le mobilier en verre trouvé lors des fouilles d’autres collèges parisiens paraît soutenir cette affirmation. Cependant, l’abondante verrerie provenant du Collège de France — comparable aux ensembles issus des sites royaux, aristocratiques ou bourgeois — semble la contredire. Plusieurs interprétations sont possibles.

26Dès sa fondation, le collège de Cambrai a été richement doté, ayant reçu les legs de trois évêques, y compris la résidence de Guillaume d’Auxonne. Le collège était un complexe imposant avec une enceinte à créneaux et des tourelles d’angle sans visée défensive mais ostentatoire (Perreaut 2009, 170). Le nom de la maison à Crénaulx évoque apparemment son aspect, et les fondations d’une tourelle ont été mises au jour sous la Cour Letarouilly lors de la fouille. Un procès-verbal de 1611 commandé par Henri IV en vue de l’acquisition des bâtiments pour le Collège royal documente l’agencement du collège de Cambrai au XVI^e siècle :… [le] « collège de Cambray [est] dit contenir quatre à cinq cent toises de superficie ou environ, sur laquelle il y a plusieurs beaux et grands batimens, comme grandes salles pour les lectures publiques, quarante chambres à cheminée accompagnées chacune de trois ou quatre cabinets ; cinq caves voutées ; plusieurs greniers ; quatre cours pavées ; trois boutiques et une imprimerie au dehors ; un puits, six bûchers ou celliers en la cour du puits et six fosses d’aissances en six differens endroits. » Il y avait aussi un jardin au sud comportant des arbres, des treilles ainsi que des espaces de verdure et des allées pavées. La toiture, qui devait être principalement couverte en tuiles, était pour partie en ardoise, avec des gouttières revêtues de plomb (Guyard, Lichon 2003, 137).

27D’après ce même procès-verbal, les caves du collège de Cambrai se déployaient sur plusieurs niveaux et le jardin occupait plus de la moitié de la surface totale (Perreaut 2009, 148, 155).

28Si, en principe, les collèges avaient été fondés pour recevoir de pauvres boursiers — pour le collège de Cambrai sept boursiers d’origine des diocèses d’Autun, Auxerre et Cambrai (Gane 1999, 176) — en réalité les étudiants venaient principalement des milieux aisés de la noblesse et de la bourgeoisie (Tuilier 1974, 81). La bourse hebdomadaire au collège de Cambrai était de six sols parisis (Perreaut 2009, 28) à une époque où la moyenne des bourses était de quatre sols par semaine. Leur montant allait de pair avec les revenus du collège (Fabris 2005, 56).

29Vers le milieu du XV^e siècle, arrivent dans les collèges parisiens un grand nombre d’hôtes payants (hospites) (Perreaut 2009, 141) et des pensionnaires « … qui payent le loyer de leur chambre, pourvoient à leurs propres dépenses et participent aux frais de la communauté… » (Fabris 2005, 96). Cette période coïncide avec le moment où l’on observe une augmentation du nombre de verres et de la variété de formes présentes dans les ensembles de verrerie du Collège de France.

30L’importance du rôle des hôtes payants pour le fonctionnement du collège de Cambrai est soulignée par un acte de mars 1451 où le collège, pour ne pas verser des arriérés de rentes, fait état que « ledit collège avoit ete vuide et vague et ny avoit eu ne demoure aucuns escoliers et il avoient este les rentes et revenus dudit collège de nul profit et valeur ». La commanderie [de Saint-Jean-de-Latran] répond que « au contraire […] (durant les guerres) avoient toujours demoure des escoliers et boursiers et il avoit oultre en audit collège plusieurs autres gens et locateurs demourants et nestoit demoure vuide et vague » (Guyard, Lichon 2003, 128).

31Il y a davantage d’indices pour préciser que le collège de Cambrai était mieux doté que d’autres : un siècle plus tard, en 1558, les boursiers du collège de Cambrai ont payé de leurs propres deniers 12 d. à « Maistre Robert » pour faire une copie de la poulie du collège de Fortet pour leur puits. Le collège de Tréguier voisin n’avait pas de point d’eau et s’approvisionnait au collège de Cambrai (Perreaut 2009, 152).

32Il semble exister une certaine corrélation entre les revenus du collège et la profusion de mobilier en verre trouvé. Toutefois, la fouille du Collège de France a porté sur plusieurs dépotoirs et fosses d’aisances disséminés sur une grande surface. Une autre fouille de grande ampleur, et non des sondages ponctuels, sur le site d’un autre collège parisien pourrait confirmer ou écarter cette hypothèse en ce qui concerne la consommation de la vaisselle en verre dans les collèges médiévaux parisiens.

4 Synthèse

33Les lots de verres issus des fouilles des anciens collèges parisiens livrent un corpus dont les formes commencent à être connues au nord de la Loire pour le Moyen Âge. Son homogénéité a déjà été soulignée (Cabart 1992, 124). Les niveaux où les structures dans lesquels ont été retrouvés ces verres ne sont pas toujours faciles à rattacher à une maison ou à un usage par les étudiants. Elles révèlent cependant un habitat aisé antérieur aux premiers boursiers et dont l’importance reste encore à étudier. À partir du XIII^e siècle et durant le XIV^e siècle, le quartier se transforme en un quartier étudiant qui va bouleverser la rive gauche, prise entre les grandes abbayes de Saint-Victor à l’est, Sainte-Geneviève et Saint-Germain-des-Prés à l’ouest, dont les territoires en limitent l’expansion.

34Pour le XIII^e siècle, les verres sont comparables à ceux retrouvés dans d’autres contextes parisiens. Il s’agit souvent de flacons globulaires traditionnellement assimilés à des urinaux dont le fond, d’une épaisseur de 0,5 cm en moyenne et muni d’une trace de pontil, a résisté alors que les parois et le col très fins ont disparu. Les appendices tels que bec verseur ou anse, et le décor rapporté permettent d’imaginer des formes plus complexes.

35Si les gobelets continuent à être utilisés, les verres à pied, qui sont des verres soufflés dans deux paraisons, apparaissent à compter du XII^e siècle. Ils comportent un pied court évasé à bord replié et une coupe côtelée dont le col est resserré et la lèvre munie d’un très léger bourrelet. L’unique verre complet de ce type découvert à Paris vient d’une fosse médiévale de la rue de la Collégiale (CVP 617, Brut et Lagarde 1993, 106), mais seuls les éléments de coupe ou de pied ont résisté. Pour le XIII^e puis le XIV^e siècle, le pied du verre tend à s’élancer en tige creuse ; on suppose ensuite que la tige pleine remplace la tige creuse au cours du siècle, dans une évolution de la forme qui parait logique et qui nécessite alors trois paraisons pour la coupe, la tige pleine et le pied. La coupe côtelée tend vers une hauteur et un diamètre plus faible. Les autres verres cités dans les différents contextes étudiés montrent que certaines formes, telles que le couvercle du collège Sainte-Barbe, ou le verre à boire en verre rouge du collège de Tours, sont présents dans les contextes médiévaux. Pour les périodes suivantes, le mobilier du Collège de France offre un aperçu des formes variées et des décors en usage dans les milieux aisés ou seigneuriaux, et se trouve être comparable à celui découvert lors des fouilles du Louvre.

Figures

Fig. 1- Plan de la rive gauche et localisation des collèges parisiens qui ont fait l’objet de fouilles archéologiques. Plan d’après Lorentz P. et Sandron D. 2006, Atlas de Paris au Moyen Âge, Paris, p. 173.

Fig. 2 - CVP 714, collège de Tours et 516, Place de la Sorbonne, tige avec anneau torsadé. Photo C. Brut.

Fig. 3 - CVP 543 – Fouille du Lycée Henri IV. Fonds d’urinaux, pièces rapportées et anse. Dessin C. Brut (éch. 1/3).

Fig. 4 - CVP 784 – Fouille du Collège Sainte-Barbe. Verre à pied de l’US 4000 ; couvercle et verre à tige creuse de l’US 4275. Dessin C. Brut (éch. 1/3).

Fig. 5 - Fouilles du Collège de France. Plan de l’ancien collège de Cambrai avec indication des complexes stratigraphiques (CS). L’encadré plein correspond au CS de la fin du XVI^e siècle ; l’encadré en tirets aux CS du XV^e - début XVI^e siècle ; l’encadré en pointillé aux CS du XIV^e siècle. Dessin M.-T. Penna.

Fig. 6 - Fouilles du Collège de France, CS 101. Verre à pied refoulé bitronconique à décor moulé de losanges et filet de verre blanc. XV^e siècle. Photo M.T. Penna.

Fig. 7 - Fouilles du Collège de France, CS 243. Petite fiole. XV^e siècle. Photo M.T. Penna.

Fig. 8 - Fouilles du Collège de France, CS 254. Grand Verre à pied refoulé. XV^e - début du XVI^e siècle. Photo M.T. Penna.

Fig. 9 - Tableau synthétique des formes trouvées au Collège de France réparties par complexes stratigraphiques (CS). Le chiffre en gras indique les fonds avec marque de pontil. Le chiffre en italique indique la présence de la forme. Dessin M.-T. Penna. CS 226 : début du XIV^e siècle ; CS 206, CS 225 et CS 201 : XIV^e siècle ; CS 256/259 : première moitié du XIV^e siècle ; CS 305 et CS 134 : fin XIV^e - début XV^e siècle ; CS 101 : fin XIV^e au XVI^e siècle ; CS 243 : XV^e siècle ; CS 254 et CS 200 : seconde moitié XV^e - XVI^e siècle ; CS 203/204 : seconde moitié du XVI^e siècle.