Le mobilier en verre découvert à Toulouse et dans sa région à travers 15 ans d’archéologie ; évolution du verre, particularités locales et questions de chronologie
p. 147-160
Résumés
Résumé. Depuis le début des années 2000, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) a mené, dans la région toulousaine, plusieurs opérations archéologiques ayant permis la découverte d’importants lots de verre d’époque médiévale, issus de contextes datés du XIIIe au XVIe siècle. Ce mobilier a fait l’objet d’études systématiques et exhaustives, dont les résultats sont présentés ici.
Summary. Since the early 2000s, the National Institute of Preventive Archaeological Researches (Inrap) has carried out several archaeological operations in the Toulouse region, revealing an important batch of medieval glass dated between the 13th and the 16th centuries. This glass furniture has been the subject of systematic and exhaustive studies, the results of which are presented in this paper.
Texte intégral
1La connaissance du verre médiéval en Midi-Pyrénées s’est grandement enrichie depuis le début des années 2000, grâce à des découvertes significatives effectuées par l’archéologie préventive (diagnostics et fouilles Inrap), en particulier dans la région de Toulouse en contexte urbain, mais aussi en milieu rural. Une douzaine de sites ont été retenus pour cette étude. Nous avons favorisé les contextes où l’ensemble des mobiliers permettait de préciser les datations, par exemple les ensembles clos, type « latrines » ou « fosse-dépotoir », ou encore les découvertes en contextes stratifiés. La fourchette chronologique des sites présentés s’étend de la fin du XIIIe au début du XVIe siècle.
2Nous proposons de réaliser une synthèse de ce mobilier et d’établir une typologie régionale accompagnée d’une mise en perspective à l’échelle du territoire et des pays limitrophes qui ont influencé ces productions.
1 Origine de la documentation (fig. 1)
3Douze sites ont livré du verre d’époque médiévale ces quinze dernières années, ce qui reste assez modeste. Un peu plus de la moitié d’entre eux ont principalement été fouillés dans le centre-ville de Toulouse à l’occasion, entre autres, de la création de la deuxième ligne du métro. Toutes les opérations de diagnostics ont été menées dans de petites agglomérations de la Haute-Garonne et de départements limitrophes. Concernant la nature des sites étudiés, majoritairement en milieu urbain, ce sont les contextes d’habitat civil ou religieux qui prédominent.
1.1 Sites urbains civils
• Toulouse « École d’économie » (Haute-Garonne)
4Les fouilles réalisées sur le site du projet d’École d’économie de l’Université Toulouse 1 ont permis d’importantes découvertes, dont une vaste nécropole antique et l’angle d’un bâtiment du Ve siècle. Une urbanisation occupe ensuite cet espace comme en témoignent de nombreuses fosses-dépotoirs des XIVe et XVe siècles (Catalo, 2016).
• Toulouse « Muséum d’histoire naturelle »
5Le projet de restructuration du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse est à l’origine d’une prescription de fouilles. La découverte principale fut celle d’une occupation du bas Moyen Âge (XIVe-XVe siècles), constituée par deux larges chaussées de galets, une série de constructions et de nombreuses fosses. Les matériaux incendiés de ces habitations (panneaux de torchis parfois enduits et peints, clous de charpente, ferrures, pentures, gonds, serrures, clés, verre...) ont été piégés à l’intérieur même des pièces, mais aussi dans le comblement de fosses périphériques (Briand 2006).
• Toulouse « Lycée Saint Sernin »
6Le projet d’une agora de musique en sous-sol de la cour de l’établissement a permis la mise au jour de niveaux archéologiques. Les structures les plus anciennes se rapportent à la fin du XIIIe et au XIVe siècle, matérialisées par des fosses et un puits. Plusieurs murs appartiennent à la fin du Moyen Âge et des fosses correspondent aux cours ou aux jardins de ces bâtiments. Le mobilier témoigne de la longévité des structures par le mélange des productions s’échelonnant depuis le XIVe siècle jusqu’au XVIIIe siècle et au-delà (Viers, 2016).
• Toulouse square Charles de Gaulle « Fontaines du Capitole »
7Une découverte, que l’on peut qualifier d’exceptionnelle, a été faite sur ce site, à l’occasion d’une fouille réalisée à l’emplacement de la nouvelle fontaine du square Charles de Gaulle (Lotti 2013). Cet ensemble est rare, tant par la quantité que par la diversité du mobilier en verre retrouvé au sein d’une même structure, qui plus est dans un très bon état de conservation. Des structures, fosses-dépotoirs et silos, indiquent clairement que l’on se trouve alors dans une cour dépendante d’un habitat. Le riche mobilier découvert dans ses fosses indique le haut niveau de vie des occupants, qui appartiennent sans nul doute à l’élite urbaine. La datation de cette phase d’occupation peut être située dans les décennies centrales du XIVe siècle. Sur ce site, la découverte de vestiges liés au travail du verre a permis de suggérer la proximité d’un atelier de verrier plus ancien, dont la datation semble se situer à la fin du Ve siècle (Cornardeau 2014, 109-113).
• Grenade « 63 rue de la République » (Haute-Garonne)
8L’opération de diagnostic, qui a eu pour cadre la bastide médiévale de Grenade construite en 1290, a livré plusieurs structures des XIVe et XVe siècles : deux puits, des fosses dépotoirs ainsi que des traces qui pourraient être des vestiges de construction (Salmon 2015).
• Moissac « 18 rue de la République » (Tarn-et-Garonne)
9C’est le projet de réaménagement d’une banque qui est à l’origine du diagnostic archéologique. Comme lors des investigations précédentes sur cette ville, un niveau de marais a été mis en évidence ; il a livré divers vestiges, notamment organiques, bien conservés, dont des restes de chaussures. Des niveaux d’occupations des XIIIe, XIVe et XVe siècles ont été observés (Georges 2012).
1.2 Établissements religieux
• Toulouse Station de métro « Les carmes »
10Les fouilles réalisées lors de la construction de la station de métro « les carmes » se trouvent en bordure d’un des plus grands ensembles religieux de Toulouse à la fin du Moyen Âge : le couvent des Carmes (Boudartchouk, en cours). C’est en 1266 que les Carmes entament la construction d’une église ou d’un oratoire. Au milieu de XVe siècle, ils font construire un passage supporté par un arc afin d’accéder aux latrines du couvent situé de l’autre côté de la rue. Ce sont les fondations de cet arc, une partie de la façade ainsi qu’une partie des latrines qui ont été mises au jour lors des fouilles. Dans les remblais qui scellaient la destruction d’une maison jouxtant les latrines, les archéologues ont recueilli de très nombreux fragments de verres plats dont certains étaient colorés ou encore peints. L’abondance de ce mobilier fut interprétée comme étant les rebuts d’un atelier de peintres verriers, lié à la construction du couvent. Les sources textuelles ont permis de confirmer cette interprétation, puisque l’on y découvre que la partie nord de cette maison était occupée par le maçon qui a dirigé les travaux de la nouvelle église et que la partie sud était louée, dès 1484, par le peintre verrier Johan Vernoren. Deux autres familles de verriers vont s’y succéder, les Portal puis les Faurie jusqu’en 1542 où les nouveaux occupants exercent un autre métier. C’est la fin de la « maison des Verriers » (Metropolis 2007, 143-146).
• Gimont « Rue Nationale » (Gers)
11La parcelle concernée par le projet de construction d’une médiathèque est située derrière le chevet de l’église Notre-Dame de l’Assomption, connue dès le XIVe siècle. Un silo contenant du mobilier datant de la fin du XVIe siècle ou du début du XVIIe siècle a été mis au jour. Tous ces vestiges ont été installés sur un niveau d’occupation contenant de nombreux éléments céramiques typiques de la production midi-pyrénéenne des XIVe et XVe siècles (Baillif 2014).
• Lavaur « Lycée Las Cases » (Tarn)
12L’emprise du projet est située dans le secteur de la sauveté créée à la fin du XIe siècle et à proximité du palais épiscopal édifié au XIVe siècle. L’étude des compoix du XVIe siècle a permis de mettre en évidence le statut social des propriétaires. Il s’agit principalement de clercs, de l’évêque et d’un noble. De nombreux vestiges attestent une occupation pour les périodes médiévale, moderne et contemporaine. Un niveau d’occupation, plutôt centré sur la fin du XIIIe siècle, est marqué par la présence de plusieurs constructions en terre crue associées à des niveaux d’occupation (Landou 2014).
1.3 Sites aristocratiques
• Toulouse « Cité judiciaire »
13Le projet de reconstruction du tribunal de grande instance de Toulouse est à l’origine d’une fouille. L’actuel Palais de justice reprend l’emplacement de l’ancien Parlement d’époque moderne, lui-même constitué du palais royal occupé à partir de la fin du XIIIe jusqu’au XVe siècle, qui s’était établi autour du château des comtes de Toulouse (IXe-XIIIe siècles). Ce site emblématique de la pérennisation topographique du pouvoir judiciaire a été construit à partir d’une ancienne porte de la ville antique, la porte narbonnaise, de laquelle il tient son nom de « Château Narbonnais ». Le site est relativement pauvre en mobilier archéologique, peut-être parce que les zones fouillées ne sont pas interprétées comme résidentielles. Bien qu’étant habituellement considérés comme des zones dépotoirs, les fossés ont livré peu ou pas de mobilier. Leur curage successif ou massif en est peut-être la cause (Catalo 2007).
• Seissan « Château de Garrané » (Gers)
14Un diagnostic a concerné le versant septentrional du mamelon où est installé le château de Garrané. Les seigneurs de Garrané apparaissent dans les textes du début du XIVe siècle. Les vestiges retrouvés illustrent une activité artisanale datée du bas Moyen Âge. Un sondage réalisé sur le méplat intermédiaire, en vis-à-vis de latrines en encorbellement, a livré un abondant mobilier du XVe siècle, probablement descendu depuis le sommet du mamelon (Viers 2014).
1.4 Sites ruraux
• Flourens « En Batut » (Haute-Garonne)
15La fouille s’est déroulée à l’est du centre de Flourens, au lieu-dit « En Batut », à l’emplacement d’un futur lotissement. La première phase d’occupation se caractérise par la présence d’un ensemble de structures en creux, des XIe-XIIe siècles, et d’un fossé datable de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle. La seconde phase se caractérise par la présence d’un fossé, probablement parcellaire, qui a livré une série de mobilier céramique du début du XVe siècle (Salmon, 2017).
1.5 Nature des contextes de découvertes
16Notre principale source d’information est liée à la gestion des déchets domestiques au Moyen Âge, caractérisée par de simples fosses creusées dans la terre, rencontrées sous le terme de « fosses-dépotoir », ou des cuves/latrines maçonnées. L’élimination des ordures a généralement connu une évolution en plusieurs étapes successives. La première fut de rejeter les déchets de manière anarchique à l’extérieur des maisons. À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, elles sont enterrées dans les cours et les jardins, dans des fosses-dépotoir, des cuves ou des latrines. Puis, au XVe siècle, elles sont finalement stockées contre et dans les maisons, dans des fosses d’aisances, avant leur évacuation périodique en dehors de la ville (Catalo 2002, 229-236). Ces structures sont communes à tous les types d’habitats que nous avons présentés. Les découvertes dans des niveaux d’occupation ont été beaucoup plus rares.
2 Méthodologie de l’étude
17Ce mobilier a fait l’objet d’études systématiques et exhaustives avec pour principaux objectifs :
- l’identification des objets, dont certains sont encore inédits, et leur classification en groupes typologiques à l’aide de la documentation existante ;
- la datation de ces objets, le plus précisément possible, avec l’aide de toutes les données archéologiques dont nous avons pu disposer (la stratigraphie relative, les résultats d’études des autres mobiliers ou encore les datations au radiocarbone).
2.1 Conditions de prélèvement et mesures conservatoires
18L’état de conservation du verre médiéval est souvent très mauvais et demande une prise en charge rapide dès qu’il est sorti de terre, ainsi que des mesures conservatoires appropriées telles qu’un nettoyage, des photos et souvent des opérations de stabilisation et de consolidation. Malgré tout, l’identification de ces objets n’est pas toujours aisée et certains fragments dépourvus de caractéristique particulière restent souvent indéterminés.
2.2 Analyses physico-chimiques
19Le cobalt ou Safre est le colorant qui était employé pour obtenir un verre de couleur bleue, que l’on retrouve sous forme de décoration appliquée à l’époque médiévale. Cette technique étant utilisée depuis l’Antiquité, l’analyse de l’évolution de la composition chimique du cobalt, croisées aux données chronologiques, offre de précieuses informations (Gratuze et al. 1992, 97-102). Certains fragments de verre à décors de filets bleus ont donc été soumis à analyse ; des échantillons de deux sites de Toulouse, École d’économie et lycée Saint-Sernin, et de Flourens ont été confiés à Bernard Gratuze1, qui les a classés en deux groupes : groupe Co-Zn-In-Pb qui est plutôt connu entre la fin du XIIe et la fin du XIVe-début XVe siècle. Seul un échantillon appartient au groupe Co-Ni-Mo qui est daté de l’extrême fin XIVe-début XVe siècle jusqu’au premier quart du XVIe siècle.
20Ces applications bleues ont la même composition de base que le verre sur lequel elles reposent et, même si on observe plusieurs groupes de composition, ce sont tous des verres sodiques aux cendres (de type salicorne).
2.3 Présentation du mobilier
21Une présentation typologique de ce mobilier a été préférée à une présentation par site ou par contextes archéologiques, dans le but de mieux appréhender la diversité et l’évolution des formes.
3 Les verreries
3.1 Les verres à tiges (fig. 2)
22Le verre à tige ou verre à jambe est un élément caractéristique de la vaisselle de verre du XIVe siècle sur le territoire français. Notre région ne faisant pas exception, ils y sont également très bien représentés dans huit des douze sites étudiés, dans des contextes datés de la fin du XIIIe à la fin du XVe siècle. Ils sont caractérisés par une grande diversité, tant dans la forme et dans la taille, que dans le décor. En région toulousaine quatre grands types se distinguent.
3.1.1 Les verres à tige à coupe large ornée de côtes (fig. 2, 1-3 et 6)
23Ce type apparaît à partir de la fin du XIIIe siècle, réalisé dans un verre de teinte bleu-vert ou incolore. Il est composé d’une base discoïdale, d’une tige pouvant être pleine ou creuse et d’une coupe large ornée de côtes. Obtenues par soufflage de la coupe dans un moule, les côtes droites ou hélicoïdales présentent un relief plus ou moins prononcé. Ces verres sont présents pendant tout le XIVe siècle et semblent encore à la mode au début du XVe comme en atteste la découverte de Grenade. Le lot de verre à tige à coupe large découvert dans la fosse de Toulouse-Fontaine du Capitole est comparable, par la diversité des formes qui le constituent, aux ensembles découverts au Lycée Turgot à Montmorency (Berthon, Caillot 2013, 113-122) ou encore au château de la Madeleine à Chevreuse2. On assiste, dans les décennies centrales du XIVe siècle, à un foisonnement de formes illustrant le savoir-faire des verriers, tant sur le plan technique que sur celui de la recherche esthétique.
3.1.2 Les verres à tige aux profils variés (fig. 3, n° 1-2)
24Deux verres à tige creuse ne présentent pas de décor, mais offrent des profils intéressants. La première coupe possède un profil en tulipe, tandis que l’autre est plutôt cylindrique. Tous deux réalisés dans un verre incolore qui s’est beaucoup altéré, ils proviennent de la fosse de Toulouse-Fontaine du Capitole. Ces formes, contemporaines des coupes larges côtelées, se rencontrent plus rarement. On en connaît quelques exemplaires, dont un au collège de France à Paris (Penna, de Finance 2003, 223, fig. 171, 91) et un au Lycée Turgot à Montmorency (Berthon, Caillot 2013, 119, fig. 7, 4). On ne peut pas savoir si ces formes ont été moins fabriquées que les précédentes ou si leur sous-représentation est liée à des difficultés d’identification.
3.1.3 Les verres à tige à décors de festons et de fils de verre (fig. 3, n° 3-8)
25Parmi les variantes de verres à tige dont on ne connaît pas bien les profils, plusieurs fragments portent des décors de festons et d’application de verre parfois bleu. Ils ont été mis au jour dans des contextes de la fin du XIIIe et du milieu du XIVe siècle. Ces décors sont connus un peu partout sur le territoire français, de la Provence à l’Est de la France. Ici, ils sont certainement à rapprocher des découvertes faites à Toulouse sur le site de l’ancien hôpital Larrey (fig. 3, n° 8 ; De Filippo 1989), à Montauban (Foy 1986, 85, fig. 2,8) ou encore à Marseille (Foy, Michel 2014, 266, fig. 218, 3-4).
3.1.4 Les verres à tige à coupe étroite ornée de côtes (fig. 2, n° 7)
26À partir du dernier tiers du XIVe siècle, les verres à tige à coupe étroite semblent supplanter les coupes larges et se maintiennent jusqu’au milieu du XVe siècle, comme on a pu l’observer à Saint-Denis (Meyer 1989, 375-381), au Louvre (Barrera 1990 b, 360, fig. 16), ainsi qu’à l’abbaye Saint-Cyprien à Poitiers (Berthon, Zélie 2010, 131, fig. 8). Ils sont aussi réalisés dans une matière bleu-vert ou incolore. Les tiges et les pieds ont les mêmes caractéristiques que celles des verres à coupe large.
27Toutes ces coupes sont portées par des tiges pleines ou creuses, lisses ou torsadées. Dans certains cas les tiges pleines sont ornées, à mi-hauteur, d’un cordon de verre rapporté et disposé en ondulations plus ou moins complexes. Elles sont posées sur un pied en forme de disque parfois agrémenté de côtes hélicoïdales, obtenu par étirement de la tige creuse, ou bien rajouté à la tige pleine. On note sur un exemplaire découvert sur le site de Toulouse-Museum d’Histoire naturelle, dans un contexte de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle, la présence d’un filet de verre bleu sur le pourtour d’un pied discoïdal, réalisé dans un verre translucide très bien conservé, proche de ceux découverts à Montauban (Foy 1986, fig. 3, 9-10) ou à Saint Denis (Foy, Sennequier 1989, 219, fig. 173).
3.2 Les gobelets (fig. 4)
28Si c’est au XIVe siècle que le Midi méditerranéen adopte le gobelet sous l’influence italienne, et devient une importante région de production, à Toulouse, comme dans d’autres régions (Berthon, Zélie 2010, 131, fig. 8), les gobelets semblent s’imposer plus tardivement. Bien qu’ils apparaissent à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle, ce n’est qu’à la fin du XIVe et au siècle suivant que leur utilisation se généralise pour perdurer jusqu’au début du XVIe siècle.
29Ils sont bien représentés dans notre région, où on constate une grande diversité de formes et de décors. Ces gobelets de forme globalement tronconique ou cylindrique présentent des décors variés, qui vont de l’application de gouttes et de fils de verre, à l’impression de décors par soufflage dans un moule.
3.2.1 Les gobelets à gouttes et applications de fil de verre (fig. 4, n° 1-3)
30Les gobelets les plus précoces présentés ici ont pour point commun un petit pied annulaire lisse ou dentelé rapporté et l’application de décors de pastilles et/ou de fils de verre disposés en zigzag sur la panse. Certaines de ces applications sont réalisées en verre bleu. Le profil de ces gobelets est cylindrique ou légèrement tronconique, à bord, dans certains cas, en forme d’entonnoir.
31Les gobelets à pastilles, observés dans toute l’Europe dès la deuxième moitié du XIIIe siècle, se développent largement au XIVe siècle jusqu’à la Renaissance, surtout au Nord des Alpes. Ici, ils sont à rapprocher de certaines découvertes provençales ou languedociennes en raison de l’association des filets bleus, des pastilles et du bord évasé.
3.2.2 Les gobelets à alvéoles moulées (fig. 4, n° 4)
32C’est dans le dernier tiers du XIVe siècle qu’apparaissent les gobelets ornés de décors moulés de petites dépressions en creux ou en relief, réalisés dans un verre fin, de teinte claire. S’ils semblent immédiatement postérieurs aux gobelets à décors de gouttes rapportées, ils ne sont cependant retrouvés en nombre que dans le premier tiers du XVe siècle, qui correspondrait à la période d’apogée de leur utilisation.
3.2.3 Les gobelets à décors de losanges moulés (fig. 4, n° 5)
33Deux fragments de panse portant un décor de losanges concentriques, découverts sur le site de Toulouse-Museum d’histoire naturelle, appartiennent vraisemblablement à un ou des gobelets. En effet, des gobelets à décor comparable ont été mis au jour dans les ateliers d’Herbeumont en Belgique (province du Luxembourg), datés des XIVe et XVe siècles (Fontaine-Hodiamont, Hossey 2010, 357, 19-22). À Majorque, on retrouve ce motif de losanges associés à des alvéoles dans un contexte du XIVe siècle (Capellá Galmés 2015, 122, fig. 55, n° 7).
3.2.4 Les gobelets à côtes moulées (fig. 4, n° 6-7)
34Les premiers gobelets à côtes se rencontrent à partir de la fin du XIVe siècle. Le bord est parfois signalé par un bandeau lisse délimitant le registre du décor.
35Comme pour les gobelets à alvéoles, ces décors sont divers : les côtes peuvent être droites, obliques, ou encore hélicoïdales. On observe parfois l’ajout de filets de verre bleu sur la lèvre : ce procédé, connu dès la fin du XIIIe siècle, est présent jusqu’à la fin du XVe siècle. Dans notre région, les derniers gobelets de ce type appartiennent à des contextes de la fin du XVe siècle.
36La technique de façonnage de ces gobelets aux motifs imprimés consiste à souffler la paraison dans un moule pour obtenir l’ébauche des décors, puis de re-souffler ce verre pour lui donner sa forme finale, ce qui explique la grande diversité de formes et de gabarits.
3.3 Les verres à pied
37Nous avons intégré, dans cette catégorie, tous les verres au profil tronconique ou bitronconique portés par un pied ajouté ou refoulé.
3.3.1 Les verres à pied tronconique (fig. 5, fig. 6, n° 1-6)
38Parmi les découvertes remarquables faites à Toulouse, on compte plusieurs fragments d’un type de verre à pied, méconnu jusqu’ici dans des contextes du deuxième tiers du XIVe siècle. Il a été retrouvé sur trois sites dont plusieurs exemplaires dans la fosse du site de Toulouse-Fontaine du Capitole. Ces verres étaient certainement incolores ou jaunâtres, mais ont pris, avec l’oxydation, une couleur blanchâtre et un aspect dépoli. Une des plus belles pièces est certainement le verre haut, formé d’une coupe conique décorée de douze côtes moulées jusqu’à la base, et d’un pied discoïdal rajouté (fig. 6, n° 1 et 2), verre pour lequel nous n’avons à ce jour trouvé aucune forme comparable.
3.3.2 Les verres à pied tronconique à application de fils de verre (fig. 6, n° 7-9)
39Un fragment de coupe à décor de fils de verre (fig. 6, n° 7) a été intégré dans cette catégorie en raison de sa similitude avec un verre à pied découvert à Toulouse sur le site de l’îlot Valade (fig. 6, n° 8 ; Pons 2000). Il est également proche du fragment provenant du site de l’hôpital Larrey (fig. 6, n° 9), considéré jusqu’ici comme étant un verre à tige (Archéologie et vie quotidienne 1990, 189, fig. 299).
40Le profil de ces verres tronconiques peut rappeler les verres à tige languedociens de Roujan (Foy, Sennequier 1989, 173, fig. 105,106) ou de Montpellier (Foy 1995, 48-49). Découverts aussi en nombre à Bordeaux (Foy 2013, 108, fig.14 et 15), ils sont absents de la typologie toulousaine. Les verres à pied tronconique découverts à Toulouse constituent peut-être une variante locale de ces verres à tiges.
3.3.3 Les verres à pied bitronconiques (fig. 5, n° 3-6)
41À partir du milieu du XVe siècle, des verres bitronconiques à pied sont utilisés. Parfois réalisé en verre bleu, le pied dentelé est obtenu par étirement de la paraison, et la coupe est généralement côtelée (fig. 5, n° 4-5). Une des pièces les plus originales a été retrouvée sur le site de Toulouse-cité judiciaire. Le pied a été réalisé à partir de plusieurs filets de verre incolore et bleu déposés en zigzag, probablement sur un moule, et formant une sorte de résille ajourée. La panse dont il ne reste que quelques fragments est ornée de côtes verticales (fig. 5, n° 3). Cette pièce est comparable à d’autres découvertes faites dans le Sud-Ouest, dont un exemplaire complet au Temple-sur-Lot dans le Lot-et-Garonne (Hébrard-Salivas 2014, 340-341).
42À fin du XVe siècle et durant tout le XVIe siècle, ce sont les verres bitronconiques à pied refoulé qui semblent être les plus fréquents. Ils sont réalisés dans une matière incolore et façonnés dans une seule paraison (fig. 5, n° 6). La panse peut être décorée de côtes hélicoïdales ou de petites dépressions. Bien qu’ils soient peu représentés dans notre région, ils sont bien connus sur l’ensemble du territoire et au-delà, en Belgique notamment.
3.4 Les coupes à pied (fig. 7, fig. 8, n° 1-4)
43Les coupes à pied ou coupe « caliciformes » sont généralement peu représentées dans la bibliographie, peut-être en raison de la mauvaise conservation de la coupe et du pied, comme c’est ici le cas, ce qui peut conduire à des problèmes d’identification. On en trouve peu dans notre région, seuls deux sites ont livré des fragments pouvant appartenir à ce type de verre, dans des contextes datés du XIIIe au milieu du XIVe siècle. C’est encore dans la fosse du site de Toulouse-Fontaine du Capitole qu’elles sont les plus nombreuses. Deux paraisons ont été nécessaires à la fabrication de ces coupes sur pied tronconique, une pour le façonnage de la coupe et une pour le pied. Des différences dans le profil du pied sont observables, il peut être légèrement incurvé ou rectiligne. On peut associer ce type de formes à des coupes à décors de côtes (calices) datées des XIIIe et XIVe siècles, plus particulièrement à celles découvertes à Langeais (Motteau 1985, 25,184) ou à Étampes (Cabart 2012, 452, fig. 489, us 2019-st 2004), mais de manière très hypothétique puisque nous ne disposons que de profils incomplets et d’aucun fragment de panse à décors de côtes.
3.5 Les coupelles ou lampes (fig. 9)
44Ces coupelles se rencontrent régulièrement sur l’ensemble du territoire avec une prédominance dans les régions du Sud de la France. Elles apparaissent dans le Midi méditerranéen à la fin du XIIIe siècle et sont encore fréquemment utilisées au XIVe siècle. À Toulouse, elles sont encore présentes au début du XVe siècle.
45Ce sont des petits récipients en verre fin et incolore ; peu adéquats pour boire ou contenir des denrées, ils ont pu faire fonction de luminaire à poser. Ils sont composés d’une ouverture large, avec un marli concave pouvant être décoré d’alvéoles moulées, et une base étroite refoulée simple ou avec ajout d’un pied annulaire dentelé. La lèvre peut être soulignée d’un filet de verre bleu, quelquefois présent sur la partie inférieure, avec un répertoire de motifs plus ou moins complexes (rosaces, arabesques, croisillons).
3.6 Les fioles/flacons et autres petits contenants (fig. 10)
46Le répertoire de formes des fioles et des flacons découverts dans la région est difficile à appréhender. Le caractère souvent très fragmentaire des objets retrouvés ne permet pas une catégorisation claire. Parmi les formes observées, des fragments de cols ou de fonds peuvent correspondre à des ampoules (fig. 10, n° 1, proposition de restitution). Simples d’exécution, ces petites fioles à long col et à panse globulaire ont souvent été représentées, dans la documentation illustrée, comme faisant partie de la vaisselle de table. Plusieurs exemplaires ont été retrouvés en contexte funéraire à Nîmes, à Bordeaux ou encore à Vienne pour des périodes allant du XIIe au XIVe siècle (Foy, Sennequier 1989, 151-160).
47Plusieurs fragments de col présentant un renflement (fig. 10, n° 2) ont été retrouvés dans la fosse de Toulouse-Fontaine du Capitole. Très altéré, un fragment de fond de fiole à panse aplatie et à décors de côtes, issu d’une fosse de Toulouse-École d’économie dans un contexte du début du XVe siècle, pourrait appartenir à une gourde (fig. 10, n° 3).
48Sur le site de Toulouse-Fontaine du Capitole, une burette assez bien conservée (fig. 10, n° 4) est dotée d’un bec verseur en forme de col de cygne et d’une panse globulaire légèrement piriforme, ornée d’un décor moulé d’alvéoles. Un fragment d’anse a été associé à cette fiole en raison de la présence d’alvéoles et de la courbure identique du fragment de panse resté accroché à l’anse ; toutefois aucun recollage n’a été possible. Cette anse est remarquable par son extrême finesse (<0,5 cm de diamètre) rendant la préhension probablement très délicate. Cette forme souvent incomplète (dont il ne reste en général que le bec, plus épais que la panse) a été observée sur le territoire français, aussi bien en contexte domestique comme dans le quartier de la basilique à Saint-Denis, qu’en contexte ecclésial dans l’église de Ganagobie, ou funéraire à Périgueux (Foy, Sennequier 1989, 252-253 fig. 244-246). Dans les pays germaniques, les burettes ont été retrouvées en nombre en République Tchèque, dans des contextes du milieu du XIIIe au début du XVe siècle (Sedláĉková 2006, 191-224).
49Parmi les fioles présentant des caractéristiques morphologiques particulières, très certainement liées à la nature de leur contenu, plusieurs fragments de cols composés d’un double canal nous sont parvenus (fig. 10, n° 5). Généralement connus sous le terme de « guttrolfs ou guédoufles », ces flacons sont dotés d’un goulot divisé en plusieurs canaux pouvant être droits ou torsadés. Cette caractéristique permettait à l’air de refluer et ainsi d’assurer un débit lent et régulier du liquide (probablement précieux) présent dans la fiole. Plusieurs exemplaires sont connus à Toulouse, datés du milieu du XIVe et du début du XVe siècle. Divers éléments de goulot ont été récemment découverts à Marseille dans des contextes de la fin du XIIIe et de la première moitié du XIVe siècle (Foy, Michel 2014, 270-271).
50Enfin, un bord et un fond de vase apode, ici reconstitué (fig. 10, n° 6), achèvent d’illustrer la diversité du flaconnage retrouvé. Souvent rencontrés sous l’appellation d’« urinaux », on sait que ces flacons ont probablement été utilisés de manière très diverse (préparation en pharmacie, mesure…) et que leur fabrication fut très étendue dans le temps.
3.7 Les bouteilles et les autres grands contenants (fig. 11)
51On connaît mal les gabarits de ces plus grands contenants, souvent incomplets. Les découvertes de notre région sont caractérisées par des cols longs renforcés de bague en verre, ou encore des fonds aux décors moulés. Ces découvertes sont principalement toulousaines dans des contextes du milieu du XIVe au XVe siècle.
52On compte, parmi celles-ci, un fragment de col de bouteille réalisé dans du verre fin et incolore. Il présente une décoration de filet de verre bleu rapporté sur deux registres, autour du col et autour du goulot (fig. 11, n° 1). Des exemplaires s’en approchant ont été découverts anciennement à Toulouse dans des contextes du XVe siècle avec du mobilier résiduel du XIVe siècle, au Petit Palais à Avignon dans des contextes du XIVe siècle (Foy 1989, 237, fig. 97-98), à Majorque (Cappellà Galmés 2015), mais aussi dans l’Est de l’Europe à Brno en République Tchèque (Sedláĉková 2006, 198, fig. 3 b).
53Plusieurs autres cols de bouteille, bagués à l’aide d’un simple cordon de verre de même teinte, ont été mis au jour (fig. 11, n° 2). Sans indication sur la panse, il nous est difficile d’attribuer ces contenants à une forme particulière. Seul un fragment de panse en tronc de cône nous est parvenu. Un fond à pied annulaire refoulé indique la physionomie que pouvaient avoir ces objets (fig. 11, n° 5). Un goulot de bouteille à col long, orné d’un cordon incisé (fig. 11, n° 3), est peu répandu en Europe mais très courant dans le Sud de la France, à Perpignan et à Elne (Mach et al. 2014, 361, fig 8, n° 119 et 121 ; 377, fig. 17, n° 228), à Marseille (Foy, Michel 2014, 275, fig. 226, n° 1 et 3 ; 276, fig. 227, n° 7), en Espagne et à Majorque (Cappellà Galmés 2015). L’utilisation de ces bouteilles va du XIVe au début du XVe siècle. Les découvertes catalanes et marseillaises ont montré qu’elles portent souvent un décor moulé sur la panse. Plusieurs exemplaires de bouteilles à décors moulés sur fond concave ou convexe ont été découverts à Toulouse (fig. 11, n° 6-8). C’est sur le site de Toulouse-Les Carmes qu’ont été retrouvées les plus belles pièces, dans un contexte de la première moitié du XVe siècle. Toutes les bouteilles portent un décor moulé à rayonnement de petits pétales formant une rosace, incluses dans une série de cercles concentriques formés de petites dépressions arrondies. Ce type de motif est présent dans tout le Sud de la France, en Espagne et en Ligurie au XIVe siècle, où leur utilisation s’étend du XIVe au début du XVe siècle (Foy, Michel 2014, 273-276).
4 Conclusion
54La nature des sites étudiés, civils, aristocratiques ou religieux, et plus rarement ruraux, offre une représentation assez complète du vaisselier de verre en usage dans notre région à la fin de l’époque médiévale. Cependant, les pratiques liées à l’évacuation des déchets pourraient avoir entraîné une sous-représentation du verre pour certaines périodes. Cet état de fait serait une des raisons permettant d’expliquer, dans notre région, la raréfaction, voire l’absence d’objets en verre avant la fin du XIIIe siècle, puisqu’ils étaient disséminés anarchiquement à l’extérieur des maisons. De même qu’au XVe siècle les vidanges successives des latrines ou des fossés participent à la disparition d’un bon nombre d’objets en verre.
55Les productions découvertes dans la région toulousaine sont bien représentatives de la verrerie médiévale connue pour le reste de la France. Aucun atelier susceptible de fournir la proche région toulousaine n’est connu à ce jour, et de nombreuses sources écrites restent encore à exploiter (Hébrard-Salivas 2014, 61). On observe tout de même que certaines formes, bien connues par ailleurs, ne semblent pas avoir était utilisées à Toulouse, notamment les verres à pied tronconique au rebord légèrement festonné des XIIIe et XIVe siècles que l’on retrouve un peu partout sur le territoire français. A contrario, certaines formes, et notamment les verres à pied tronconique, pourraient être spécifiquement régionales, ou bien d’importation lointaine. La verrerie issue de l’ensemble clos de Toulouse-Fontaine du Capitole révèle une grande variété de formes (verres à pied, à tige, fioles...), dont certaines, inédites à ce jour, témoignent des lacunes encore existantes sur les productions médiévales. Ces éléments font de ce lot un ensemble de référence pour la région et, au-delà, pour le Sud-Ouest de la France.
Figures
Bibliographie
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92Viers C. (dir.), 2016. Lycée Saint-Sernin, Toulouse, Haute-Garonne. Rapport final d’opération, SRA Midi-Pyrénées, Inrap GSO. (Inédit)
Notes de bas de page
Auteur
Inrap Grand Sud-Ouest.
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