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« La Grande Famille réunie ». Le champ encyclopédique en France dans la première moitié du xixe siècle1
p. 49-74
Texte intégral
[…]
On eût vu la Science et les Arts se chercher,
Algèbre et Poésie enfin se rapprocher ;
Et, pour dire encor plus, la fière Astronomie
À l’humble Botanique offre une main amie.
Dans ce désordre aimable on sait se démêler,
Se reconnaître encor ; mais, loin de s’isoler,
On jure au nom du Ciel et devant le Génie
De ne former jamais qu’une famille unie
Par l’amour du travail et de la vérité,
Par le respect des mœurs et de l’humanité,
De se chérir toujours comme égaux, comme frères,
Et, tout en admettant des liaisons plus chères,
De n’avoir tous qu’un cœur, et, par divers moyens,
De tendre au même but, au bonheur des humains.Jean-François Collin d’Harleville, La Grande Famille réunie2
1Il était stipulé, dans la loi de création de l’Institut national des sciences et des arts, que ses 144 membres, répartis en trois classes, se réuniraient quatre fois par an en séances publiques3. La première de ces cérémonies encyclopédiques eut lieu le 15 germinal an IV (4 avril 1796). La foule était nombreuse en cette occasion exceptionnelle où le Directoire exécutif et les ministres étaient présents. Pour les accueillir, on avait ouvert en grande pompe la salle des Antiques du Louvre, qui servait alors d’entrepôt. On l’avait débarrassée pour l’occasion, mais on y avait laissé, dominées par les quatre cariatides de Jean Goujon, les statues de marbre des Grands hommes de la France. C’est dans ce décor imposant qu’après que le Directoire eut pris la parole, puis le président de l’Institut et ses secrétaires, et enfin Daunou (l’inspirateur de la loi d’instruction publique du 3 brumaire an IV [25 octobre 1795]), le poète Collin d’Harleville s’exprima. Membre de la classe de littérature et beaux-arts, il présenta une pièce en vers dans laquelle il comparait le nouvel ordre savant à une « Grande Famille réunie »4. Sans renoncer à leur indépendance, proclamait-il, chaque science et art se rejoignaient au sein de l’Institut afin « de rendre les humains plus heureux et meilleurs, de propager partout les talents et les mœurs ».
2Ce poème reformulait la volonté, contenue dans la loi, de mettre l’idée encyclopédique au service d’un projet républicain de civilisation fondé sur la diffusion des connaissances5. À travers la métaphore de la « famille », Collin d’Harleville fixait une image destinée à résonner fortement. Il convient toutefois de prendre garde que l’idée d’encyclopédie que l’on célèbre en avril 1796 ne désigne pas seulement la réunion fraternelle des sciences. Il s’agit également de réunir l’ensemble des conceptions possibles de l’encyclopédie, c’est-à-dire l’ensemble des institutions, pratiques d’enseignement et formes imprimées qui participent de la culture encyclopédique telle qu’on en hérite à la fin du xviiie siècle. C’est à ce second sens de la métaphore de la « Grande Famille réunie » qu’est consacré ce chapitre.
3Tantôt définie comme une organisation institutionnelle, tantôt comme un projet philosophique (qui peut alors prendre la forme d’un discours préliminaire ou d’une nomenclature), et tantôt comme un objet imprimé (dictionnaire, collection de traités ou revue périodique), l’idée d’encyclopédie est fort incertaine et n’a cessé d’évoluer depuis l’invention du mot à la Renaissance. Sous la Révolution, le gouvernement républicain s’efforce de mettre ces différentes formes de l’idéal encyclopédique au service d’un même but. Après avoir décrit la configuration singulière qui se constitue sous le Directoire, l’essentiel de ce chapitre est consacré à décrire le champ encyclopédique qui se forme sur ses décombres, au début du xixe siècle. Cet espace social et culturel est marqué par l’affirmation d’une nouvelle figure, l’entrepreneur d’encyclopédie. Or ce dernier n’est pas un simple homme d’affaires en concurrence avec d’autres pour la construction et la maîtrise d’un marché. Dans un contexte marqué par le retrait sélectif de l’État, et par le recentrement de l’encyclopédisme autour de l’imprimé, son action s’inscrit dans un espace polarisé qui est inséparablement commercial, institutionnel, épistémologique et politique.
I. Un encyclopédisme impulsé par l’État : l’ombre portée du Directoire
4Les encyclopédies du xviiie siècle, vues comme des objets imprimés, sont nées du besoin de résumés et de compilations des connaissances qui se manifeste dès le xvie siècle au sein de la république des lettres. Richard Yeo souligne l’inscription de l’entreprise fondatrice d’Ephraïm Chambers dans la pratique ancestrale des commonplace books, des cahiers de citations et des résumés regroupés par thèmes6. Cette formalisation éditoriale d’une pratique courante, au sein du monde savant, accompagne l’évolution sémantique du mot « encyclopédie » au cours de la deuxième moitié du xviiie siècle, de la définition traditionnelle – didactique et abstraite – qui en faisait l’enchaînement de toutes les connaissances, à la définition moderne qui en fait un objet imprimé où l’on traite de toutes les sciences. Encore absente de la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française, en 1762, cette nouveauté est entérinée dans la cinquième édition de 1798, tandis que la sixième édition de 1835 mentionne l’usage du mot « encyclopédie » pour désigner par raccourci l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
5Or cette identification nouvelle de l’encyclopédie à un objet imprimé ne fait pas disparaître les autres définitions. Bien au contraire, alors que la république s’empare de l’idée encyclopédique à partir de l’an III (1794-1795), celle-ci gagne en extension. L’ancienne idée d’encyclopédie, vue comme l’enchaînement de tous les savoirs, trouve une nouvelle actualité, en même temps que de nouvelles pratiques sont inventées. On peut les présenter en insistant sur les trois grandes définitions possibles de ce mot.
1. Un projet d’instruction publique
6L’encyclopédisme de l’an III est d’abord un projet didactique qui, conformément à l’étymologie, est dirigé vers la diffusion des connaissances : le mot, forgé à partir du grec, désigne initialement l’ensemble (ἐγκύκλιος) des connaissances nécessaires pour une instruction complète (παιδεία). Cet encyclopédisme est inscrit dans la Constitution de l’an III, puisque le titre x sur l’instruction publique (articles 296 à 301) définit un système intégrant les écoles primaires, les écoles supérieures ou centrales, et l’Institut national « chargé de recueillir des découvertes, de perfectionner les arts et les sciences »7. L’objectif de cette configuration institutionnelle, qui relie les savants à l’instruction publique, est clairement énoncé dans la Constitution. Celle-ci stipule que « les divers établissements d’instruction publique n’ont entre eux aucun rapport de subordination » (article 299), que chacun est libre de fonder des écoles ou des sociétés savantes (article 300), et que la politique d’instruction doit œuvrer à « entretenir la fraternité entre les citoyens » (article 301).
Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795)
Titre x – Instruction publique
Article 296. – Il y a dans la République des écoles primaires où les élèves apprennent à lire, à écrire, les éléments du calcul et ceux de la morale. La République pourvoit aux frais de logement des instituteurs préposés à ces écoles.
Article 297. – Il y a, dans les diverses parties de la République, des écoles supérieures aux écoles primaires, et dont le nombre sera tel, qu’il y en ait au moins une pour deux départements.
Article 298. – Il y a, pour toute la République, un institut national chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences.
Article 299. – Les divers établissements d’instruction publique n’ont entre eux aucun rapport de subordination, ni de correspondance administrative.
Article 300. – Les citoyens ont le droit de former des établissements particuliers d’éducation et d’instruction, ainsi que des sociétés libres pour concourir aux progrès des sciences, des lettres et des arts.
Article 301. – Il sera établi des fêtes nationales, pour entretenir la fraternité entre les citoyens et les attacher à la Constitution, à la patrie et aux lois.
7Cet encyclopédisme impulsé par l’État se caractérise à la fois par le lien qu’il établit entre les sciences et l’instruction (conformément à l’étymologie d’une encyclopédie), et par l’égalité symbolique qu’il établit entre les savoirs et les domaines savants. Alors même que la république qui naît au lendemain de Thermidor embrasse l’économie politique et sa division du travail, elle instaure dans le même temps une conception de la connaissance dans laquelle, en haut comme en bas, au sein de l’Institut comme au sein des écoles centrales des départements, philosophie et pratique, science et politique se confondent, et où la collégialité prime sur la spécialisation. Modifiant l’organisation académique d’Ancien Régime, l’Institut distingue trois classes (sciences mathématiques et physiques, sciences morales et politiques, enfin beaux-arts et littérature) elles-mêmes divisées en sections. Il ne s’agit plus de juxtaposer les spécialités mais de faire que, comme l’avait exprimé à la tribune de la Convention nationale l’un des futurs rédacteurs de la Constitution de l’an III, « les Muses se tiennent par la main »8. Dans le discours qu’il prononce le 15 germinal an IV (4 avril 1796), juste avant que Collin d’Harleville ne prenne la parole, Daunou explique que la division en classes et sections ne prétend pas « offrir un système rigoureusement analytique de toutes les connaissances humaines », mais seulement constituer un cadre pratique pour réunir des hommes qu’il est utile de faire communiquer. L’encyclopédie ne s’exprime donc pas seulement dans une nomenclature, c’est aussi une organisation particulière du travail savant dans laquelle, comme c’est le cas au sein du palais du Louvre où siège l’Institut, « ce sont ses travaux qui sont divisés plutôt que ses membres, et cette répartition, qui distribue et ne sépare pas, qui ordonne tout et n’isole rien, n’est qu’un principe d’harmonie et un moyen d’activité »9. Bientôt Cabanis comparera l’Institut à une « encyclopédie vivante »10, et plus tard, en l’an VII (1798-1799), le Cours d’études encyclopédiques ou nouvelle encyclopédie élémentaire – entreprise privée – s’ouvrira par cette devise : « Rivaux et amis, tous les Arts et toutes les Sciences se tiennent, et s’aident mutuellement »11.
8Or après le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), cet idéal s’effrite rapidement. La Constitution de l’an VIII, pourtant rédigée par Daunou, mentionne encore l’Institut national mais le lien n’est plus fait avec l’instruction publique. Dans la Constitution de l’an X (2 et 4 août 1802), ni l’Institut, ni l’instruction publique ne sont mentionnés. Dès la deuxième partie du Consulat, l’encyclopédisme républicain de l’an III est donc démantelé. Comme le souligne Jean-Luc Chappey dans ce volume, la double abolition de la classe des sciences morales et politiques et celle, à peu près contemporaine, des écoles centrales, prépare l’avènement d’une ère des spécialistes dans laquelle des professeurs cumuleront le plus grand nombre possible de positions de pouvoir dans un domaine déterminé de la connaissance. Cette mutation de l’ordre des savoirs accompagne un tournant plus large dans le champ du pouvoir, marqué par le renforcement de l’exécutif, la restauration de l’esclavage, l’encouragement au retour des émigrés et la fin de la liberté de la presse. L’arrêté consulaire du 3 pluviôse an XI (23 janvier 1803) réorganise l’Institut en quatre classes, en abolissant la classe des sciences morales et politiques, et en consacrant la langue et littérature française à côté de l’histoire et de la littérature ancienne. On n’est plus alors dans la logique unificatrice qui dominait sous le Directoire, mais bien dans une opposition entre les sciences et les lettres. De même, l’idéal d’une instruction encyclopédique est remis en cause avec la création des lycées12.
2. Une entreprise éditoriale
9Même si le régime ne se lance pas dans l’élaboration officielle d’un nouveau dictionnaire encyclopédique, le Directoire joue un rôle majeur dans la diffusion de l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke, entreprise privée reprise par Agasse, qui continue de publier ses volumes et qui est alors érigé, avec l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, en origine intellectuelle de la Révolution française13. En l’an VII, le ministre de l’Intérieur François de Neufchâteau écrit ainsi aux administrations centrales de département qu’il est « essentiel que chaque Établissement littéraire en soit muni ». Exigeant que chaque école centrale soit dotée d’une collection complète, il les engage à destiner « une petite partie du fonds » qui est affecté à ces écoles « pour procurer à [leur] bibliothèque ce qui lui manque de l’Encyclopédie méthodique », en se fournissant auprès du citoyen Agasse qui « a mérité les encouragements du gouvernement par des travaux utiles et une probité reconnue »14.
10Mais ce sont surtout les périodiques qui prennent désormais en charge le projet d’enchaînement de toutes les connaissances. Les volumes des Mémoires de l’Institut national des sciences et des arts en sont une première expression, mais il faut aussi compter sur au moins trois publications essentielles. La Décade philosophique et le Magasin encyclopédique relaient et font la chronique des progrès de l’encyclopédisme républicain15. La troisième, le Cours d’études encyclopédiques, est lancée en l’an VI (1797-1798) et publiée à partir de l’an VII par une « Société de savants et de gens de lettres ». Jean-Joseph Regnault-Warin en publie en l’an VI le prospectus. Cet ancien jacobin, qui a renié Robespierre et cherche à faire oublier son passé, dit vouloir lutter contre l’assoupissement de certaines parties de la science afin de « rétablir et accélérer l’action » de « l’entendement universel ». Il marque alors sa distance par rapport au gouvernement en place :
Sans entrer ici dans le détail des moyens politiques, qui, entre les mains d’un gouvernement éclairé, pourraient remplir ce double objet, nous avons pensé qu’il ne serait peut-être pas impossible de l’atteindre, en employant les ressources que l’étude et le courage donnent à tous les hommes. Nous avons jugé qu’un ouvrage qui, à l’utilité d’être élémentaire, joindrait l’agrément d’être périodique, aurait le double avantage de rendre à une sage fertilité, les portions de la science devenue stérile, ou, ce qui est plus dangereux, affligées d’une fécondité honteuse, et de les lui rendre progressivement. Et pour empêcher que celles dont la splendeur fait aujourd’hui notre gloire et notre espérance, ne tombent à leur tour dans l’asphyxie morale qui a frappé les autres, nos travaux concourront également à soutenir leur force, et, s’il est possible, à l’augmenter16.
11L’auteur critique un encyclopédisme qui, tourné vers l’utilité immédiate – et en particulier l’utilité militaire – en vient à délaisser certains savoirs, dès lors « endormis ». Tels sont, par exemple, les savoirs d’imitation des formes, et de vérité des couleurs, que l’école française de Charles Lebrun a perfectionnés au point de dépasser celles de Hollande et d’Italie17. On comprend dès lors pourquoi la méthode de la Société d’études encyclopédiques est d’abord historique : par un « coup d’œil » rapide sur les époques célèbres qui ont honoré le génie de l’homme », en comparant le passé avec le présent, « nous serons à même d’évaluer l’esprit humain dans ses parties saines et fortes, dans celles qui semblent énervées, et dans celles qui sont à peu près anéanties »18.
3. Un programme philosophique
12L’encyclopédisme républicain de l’an III est enfin une classification rationnelle des connaissances qui peut prendre la forme d’un arbre, d’un tableau ou d’une liste. En offrant une place centrale à son projet éducatif19, et en réagissant à la suspicion rousseauiste à l’égard des savants et des sciences que l’on prête alors aux républicains de l’an II (1794-1795), le régime de l’an III opère un retour à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et à sa philosophie du progrès des Lumières. L’achat par la Convention de 3 000 exemplaires de l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain de Condorcet, sur la base d’un rapport de Daunou pour le Comité d’instruction publique, le 13 germinal an III (2 avril 1795), en marque la première étape. Tout comme le discours préliminaire de d’Alembert, le tableau de Condorcet associe une théorie de l’esprit humain (l’homme reçoit des sensations, les retient, les reconnaît, les combine, les compare) et une histoire de l’espèce humaine depuis les premières peuplades jusqu’au temps présent. Quelques mois plus tard, les idées de Condorcet – ou du moins la version simplifiée qu’on en a retenue pour la circonstance – pèsent d’un grand poids dans l’adoption de la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) et la création d’une classe des sciences morales et politiques au sein de l’Institut national des sciences et des arts. L’Esquisse de Condorcet joue donc le rôle, en l’an III, d’une sorte de discours préliminaire à la loi du 3 brumaire an IV20. C’est tout l’effort des idéologues que de tenter de mettre à jour l’arbre encyclopédique imaginé par les Lumières. Chez Daunou, mais aussi chez Cabanis ou chez Destutt de Tracy, il s’agit de faire coïncider une histoire naturelle de l’esprit humain – histoire de la façon dont les idées s’engendrent logiquement dans un ordre nature – avec une histoire civile de la façon dont les idées se développent réellement au gré des circonstances.
13En l’an V (1796-1797), la classe des sciences morales et politiques lance un concours sur « l’influence des signes sur la formation des idées », qui est un moment fort dans la définition du nouvel encyclopédisme républicain21. Ce concours reprend en effet la démarche de Bacon et de Diderot et d’Alembert en demandant aux candidats de rapporter les facultés de l’esprit aux différentes langues scientifiques. Joseph-Marie de Gérando, qui remporte le prix à sa deuxième tentative, n’y propose pas de tableau encyclopédique. Mais Cabanis a « adoubé » celui pour lequel Pierre-François Lancelin a reçu une mention honorable, avant de le publier en l’an IX (1800-1801). Il constitue sans doute la meilleure approximation de ce que représenterait un arbre encyclopédique « idéologique ».
Figure 1. Tableau synoptique des connaissances humaines, ou mappemonde philosophique des sciences et des arts

Source : Extrait de Lancelin Pierre-François, 1801-1803, Introduction à l’analyse des sciences, Paris, Perroneau, vol. 3 © Reproduction BnF, Paris.
Tableau synoptique des connaissances humaines
L’ingénieur Pierre-François Lancelin, dont le mémoire mériterait une analyse approfondie, intègre à l’ouvrage imprimé qu’il en tire en l’an IX (1800-1801), un « tableau synoptique des connaissances humaines, ou mappemonde philosophique des sciences et des arts ». Inspiré du fameux « système figuré des connaissances humaines » de Diderot et d’Alembert, qu’il développe sur plusieurs pages et qu’il modifie, il divise les sciences en huit rubriques en fonction des objets qu’elles traitent :
1. les éléments de l’univers ;
2. les forces ;
3. les sciences primitives qui décrivent et classent les corps (cosmologie, zoologie, botanique, minéralogie, météorologie, chimie, physique générale) ;
4. la science de l’homme elle-même divisée en dix sections (anatomie, physiologie, médecine, idéologie, grammaire universelle, logique, éducation, morale, législation, histoire-et-chronologie) ;
5. les sciences mathématiques et physiques ;
6. les arts mécaniques et industriels ;
7. les beaux-arts et belles lettres comme dessin, peinture, gravure, sculpture, poésie, musique, langage d’action (danse, déclamation, pantomime), éloquence, archéologie ;
8. vraie métaphysique et vraie philosophie qui est la science résultante de toutes les sciences et arts, dont elle est à son tour le régulateur, ou science des principes, « sorte de législatrice de l’esprit humain » (p. 40).
À ce tableau de l’univers réel Lancelin ajoute, à la façon d’un Francis Bacon, un second tableau du monde imaginaire et des erreurs, folies ou croyances.
14Mais l’encyclopédie « idéologique » reste à l’état de projet. Destutt de Tracy, membre associé de la deuxième classe de l’Institut sous le Directoire, publie l’essentiel de son œuvre sous l’Empire et la Restauration, à une époque où il est déjà marginalisé politiquement. En attendant sa réalisation, Francis Bacon peut servir de figure tutélaire de la science républicaine. La première traduction en français de ses œuvres, en l’an VIII (1799-1800), est le fait d’un philosophe quelque peu obscur. Antoine Lassale, l’auteur d’une philosophie universelle intitulée « Balance naturelle », imaginée avant la Révolution22, est pourtant un proche de Garat, Cabanis et Volney. Avant les critiques plus tardives de Louis de Bonald et Joseph de Maistre, l’œuvre de Francis Bacon, déjà mise en avant par Diderot et d’Alembert, est au cœur de la réflexion de Cabanis sur la science de l’homme23.
15La Révolution française ne s’est donc pas contentée de consacrer les encyclopédistes des Lumières, d’en faire des figures tutélaires, elle a également redéfini l’idée même d’encyclopédie24. Alors que celle-ci s’identifiait très largement à un dictionnaire, même si ce dictionnaire pouvait prendre une diversité de formes25, à partir de l’an III l’encyclopédisme n’est plus séparable d’un projet politique, pris en charge par l’État, de refondation des institutions savantes, de régénération des relations entre les savants, mais aussi de redéfinition de leur place dans la société, afin de les mettre au service d’un projet de civilisation qui passe par l’instruction publique et la diffusion des connaissances. On peut alors parler d’une politisation et d’un élargissement de l’idée d’encyclopédie, ou encore d’un encyclopédisme « total » intégrant dans un système unique, autour de l’État, toutes les définitions possibles d’une encyclopédie, philosophique, pédagogique, éditoriale.
16En rupture avec la politique républicaine, l’Empire restaure le système des facultés et des académies et ses oppositions entre sciences et lettres, droit et médecine. Dans le même temps, il valorise la figure du spécialiste aux dépens de celle de l’encyclopédiste soucieux de la fraternité entre les sciences. Après l’abolition de la classe des sciences morales et politiques, ce sont désormais l’armée ou le Conseil d’État qui sont pionniers pour penser et mettre en œuvre des formes de collaboration entre tous les savoirs.
17Un aspect fondamental de ce nouvel ordre savant et politique est le retrait partiel de l’État et la privatisation de l’encyclopédisme. À partir des années 1800, celui-ci se définit de moins en moins en référence à des institutions savantes ou éducatives, et de plus en plus à des dictionnaires et des revues, produits commerciaux que met en avant un capitalisme éditorial en plein essor. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, c’est le champ éditorial et le marché de l’imprimé qui définissent un encyclopédisme auquel la puissance publique semble avoir renoncé. Cependant, le monde de l’édition ne peut revendiquer de monopole sur la définition d’une encyclopédie. Si l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert reste la référence la plus visible et la plus citée, les projets encyclopédiques de la première moitié du xixe siècle sont tout autant hantés par le souvenir de l’encyclopédisme républicain et de son projet de coordonner les ministères, les institutions savantes et l’instruction publique, pour les mettre au service d’un projet de diffusion et de perfectionnement des connaissances utiles, lui-même adossé à une philosophie de l’unité des sciences.
II. L’avènement des entrepreneurs d’encyclopédie
18En 1841, le journaliste républicain Elias Regnault estimait que c’était sous la Restauration que l’éditeur, « chef suprême des négociants de la pensée », était apparu comme un personnage social26. Bien distinct de l’étalagiste ou du bouquiniste, il occupe dès lors une position nettement visible. Au sein d’une librairie qui, « classique, romantique, politique, religieuse, philosophique, médicale et judiciaire », se spécialise de plus en plus, il convient toutefois de mettre à part l’éditeur « d’encyclopédie ».
19C’est la complexité technique de ce type d’ouvrages en plusieurs volumes qui explique, dès la deuxième moitié du xviiie siècle, le rôle majeur qu’ils occupent dans le renouveau de l’édition27. En rachetant le privilège et les cuivres du grand dictionnaire de Diderot et d’Alembert, pour publier, à partir de 1782, l’Encyclopédie méthodique28, Charles-Joseph Panckoucke avait mis l’entreprise encyclopédique au cœur d’un nouveau capitalisme éditorial caractérisé par son inventivité commerciale29. L’ombre de cet homme d’affaires plane fortement sur le début du xixe siècle. Le décret du 5 février 1810, qui définit le statut du libraire-éditeur en le distinguant de celui du libraire-imprimeur, fixe le cadre juridique au sein duquel s’impose ce nouveau personnage emblématique, avec quelques années de retard sur les innovations britanniques d’un David Brewster ou d’un Macvey Napier.
20Chargé de trouver des financements, des contributeurs, et un marché, il correspond bien à la définition de l’entrepreneur que propose à la même époque Jean-Baptiste Say. Ancien rédacteur de La Décade philosophique, et contributeur de plusieurs articles sur l’économie politique dans les encyclopédies de la Restauration, ce dernier définit « l’entrepreneur d’industrie » comme le gestionnaire des différents facteurs de production (ici le travail et le capital), mais aussi comme celui qui doit faire face à l’incertitude des marchés et des revenus30.
1. Commander le travail : l’écriture encyclopédique
21Une première occupation des entrepreneurs d’encyclopédie consiste à recruter et à guider les auteurs afin qu’ils en adoptent le style, l’esprit et le format. En fonction de leurs objets et du public visé, les encyclopédies puisent une diversité de styles et conventions littéraires31. Mais l’écriture encyclopédique se construit également par l’intermédiaire de diverses « contraintes éditoriales ». En 1825, Bailly de Merlieux annonce qu’il veut publier chacun des volumes de son Encyclopédie portative selon le même modèle : une introduction historique, la biographie des principaux savants dans le domaine traité, un résumé de la science, enfin une bibliographie. Dès 1820, Marc-Antoine Jullien écrit une « Instruction », à destination des collaborateurs de la Revue encyclopédique qu’il a créée l’année précédente32, dans laquelle il donne des indications pour rédiger différentes catégories d’articles33. Mais c’est surtout en 1824 que, prenant le prétexte de lettres de lecteurs qui accusent la Revue de publier des articles trop longs, et n’allant pas à l’essentiel, Jullien précise la nature du style encyclopédique qu’il attend de ses contributeurs. Il faut d’abord éviter la « spécialité » : « Vous n’écrivez point pour telle classe de savants, ni pour les savants proprement dits ; mais pour l’universalité des hommes qui aiment les sciences et qui veulent connaître leurs progrès ». Il faut donc bannir les termes techniques, et toujours choisir les ouvrages susceptibles d’intéresser d’autres lecteurs que les seuls spécialistes. Il faut aussi craindre l’obscurité, « ce langage mystérieux et abstrait qui donne des mots indéfinis pour des choses, du vague pour du positif ». Il faut éliminer toute attaque contre une nation, une secte politique, religieuse ou littéraire, un individu : « ne laissez jamais échapper une ligne qui soit hostile, offensante ou malveillante. Respecter l’entière liberté des consciences et des cultes ». Il ne faut jamais parler de politique, à moins de la considérer comme science. Finalement Jullien donne à l’éditeur d’encyclopédie une fonction de surveillance et de discipline : « Nous désirons surtout nous imposer à nous-mêmes, ainsi qu’à nos collaborateurs et à nos correspondants, l’obligation salutaire de surveiller plus sévèrement la rédaction de cet ouvrage, pour le conduire peu à peu au degré de perfection dont il est susceptible »34.
22Une telle discipline encyclopédique est parfois difficile à imposer aux auteurs. Jean Reynaud et Pierre Leroux s’opposent sur la façon de concevoir la philosophie générale, et donc l’écriture qui doit guider leur Encyclopédie nouvelle, même s’ils s’accordent sur certaines instructions générales qu’on peut voir, par exemple, dans les articles de physiologie et d’hygiène d’Achille Requin35. L’Encyclopédie du xixe siècle, dictionnaire catholique qui est lancé en 1836, est une monarchie bicamérale où le pouvoir du directeur, Ange de Saint-Priest, est limité par un comité de direction, chambre basse qui veille aux questions générales et à la qualité d’ensemble des volumes, et un comité d’orthodoxie, chambre haute qui porte un œil doctrinal sur les articles, en vérifie la conformité avec la foi catholique.
23Mobiliser les auteurs suppose également de les différencier et de les hiérarchiser, de consacrer les valeurs montantes et de capitaliser sur les valeurs sûres. Dans la Revue encyclopédique, il y a trois types d’articles, donnant lieu à trois niveaux de rémunération différents, et donc à trois types d’auteurs. Au sommet, les articles originaux qui défendent des thèses ; un peu en dessous, les articles longs portant sur des livres ; et au dernier niveau, les articles courts et les chroniques. Dans l’Encyclopédie du xixe siècle, Saint-Priest distingue également trois types d’articles, de rémunération et d’auteurs : les « feuilles de compilation et de traduction » sont payées 100 francs, les articles par les hommes « partageant foncièrement nos doctrines » sont payés 150 francs la feuille ; « quant aux savants et aux hommes dont les noms sont importants auprès du public, nous irons jusqu’à 200 francs la feuille s’ils l’exigent ; mais dans ce cas nous ne prendrons que ce qui sera nécessaire pour les compter parmi nos collaborateurs »36. Cette distinction met en valeur deux critères de différenciation des auteurs : la renommée et l’originalité d’une part, la conformité aux doctrines catholiques d’autre part. Il s’agit de distinguer un prolétariat de gratte-papier ; les auteurs catholiques qui acceptent d’être moins bien rémunérés parce qu’ils travaillent pour leurs idées ou leurs croyances ; enfin les savants reconnus, dont le seul nom rehausse le prestige de l’encyclopédie. Mais cette typologie n’est pas sans poser problème, car certains savants reconnus sont aussi de fervents catholiques, et inversement certains auteurs catholiques du cercle resserré de l’Encyclopédie sont aussi des hommes de lettres reconnus. Le royaliste ultramontain Pierre-Sébastien Laurentie est à la fois un membre du premier cercle de l’Encyclopédie du xixe siècle et en même temps l’un des philosophes reconnus dans les cercles de la science catholique37. Il appartient à la fois au monde des travailleurs habituels de l’encyclopédie qui reçoivent 150 francs, et à celui des auteurs de haute distinction qui reçoivent 200 francs. C’est pourquoi, pour son discours préliminaire, Saint-Priest propose de le payer 150 francs mais de lui donner en compensation les actions de 500 francs dont la valeur, promet-il, aura décuplé avant cinq à six ans38.
2. Attirer le capital : la chasse aux souscripteurs
24La recherche de souscripteurs est une autre activité fondamentale de l’éditeur, dont on ne peut jamais savoir si elle aboutira. Dans la confiance que l’on peut accorder au libraire-éditeur qui lance une entreprise encyclopédique, et dont le nom est connu, les souscripteurs peuvent trouver une garantie que la publication ne sera pas interrompue, ou que le nombre de volumes annoncé ne sera pas dépassé. C’est un argument qu’avance Courtin pour son Encyclopédie moderne, dictionnaire alphabétique qu’il annonce en vingt-quatre volumes : « M. Courtin, en plaçant son nom en tête de l’Encyclopédie, a éloigné l’idée de toute spéculation mercantile, et ce nom garantit qu’il n’abandonnera le monument qu’il élève qu’après y avoir posé la dernière pierre »39. L’entrepreneur d’encyclopédie se présente ici comme un homme de bien et d’honneur, digne de la confiance des souscripteurs. Pourtant l’Encyclopédie progressive de 1826 ne va pas au-delà des cinq premiers volumes, sur près de cinquante prévus ; l’Encyclopédie des connaissances utiles, débutée en 1832, est interrompue cinq ans plus tard, au dix-septième volume, à la lettre C ; et l’Encyclopédie nouvelle, démarrée en 1836, est abandonnée en 1843 avant que le septième volume ne soit terminé.
25La crédibilité d’une entreprise encyclopédique découle d’un modèle économique qui est explicitement présenté aux souscripteurs potentiels. Dans le cas de l’Encyclopédie moderne de Courtin, démarrée en 1823, la taille des volumes est à peu près fixée à l’avance – 30 à 55 feuilles d’impression – et le prix est fixé à 7,50 francs pour les personnes qui souscrivent avant la publication du troisième volume, 9 francs pour les autres. En avril 1830, Bailly de Merlieux, qui dirige l’Encyclopédie portative depuis 1825, fonde l’Union encyclopédique pour la diffusion des connaissances utiles, qu’il conçoit sur le modèle de la Society for the Diffusion of Useful Knowledge fondée à Londres quatre ans auparavant. Réunissant autour de lui une société de presque 200 membres issus de la notabilité, il cherche à attirer des souscripteurs en leur proposant un nouveau modèle : ceux-ci deviendront des actionnaires qui recevront, à condition de souscrire immédiatement, des volumes à 2 francs au lieu de 3,50 francs, une nouvelle revue qu’il promet de créer, et un revenu en argent sous la forme d’un reversement des trois quarts des bénéfices de l’entreprise à certaines conditions des niveaux de vente40.
26Mais les promesses de souscription ne sont pas toujours honorées, ou les souscriptions peuvent venir à manquer en cours de route. L’entreprise doit alors s’interrompre. En 1836, la ruine d’un actionnaire de l’Encyclopédie du xixe siècle crée un trou dans la caisse, avant même la publication du premier volume qui fera rentrer de l’argent. Il faut alors revoir les priorités afin de renflouer l’entreprise, comme l’explique Ange de Saint-Priest en réponse à une demande d’avance :
C’est de bien grand cœur et avec tout l’empressement possible que je ferais ce que vous désirez par préférence à tout autres dépenses, mais il y a en ce moment un obstacle insurmontable, c’est le manque absolu de fonds, à tel point que je me trouve moi-même à découvert. Cela provient de la difficulté que j’éprouve à faire rentrer les fonds des actionnaires […] par suite du brusque départ pour l’Angleterre de M. Dhombres qui devait verser, pour 20 actions qu’il avait prises, une somme de 600 Fr. qui maintenant est à peu près hypothéquée sur les brouillards de la Tamise, ce Monsieur ayant quitté la France par suite de pertes considérables à la bourse41.
27L’entrepreneur est enfin celui qui sait identifier les marchés potentiels. À travers sa correspondance avec Pierre-Sébastien Laurentie, nous pouvons suivre Saint-Priest dans ses démarches pour trouver des souscriptions et des soutiens, en mobilisant le clergé catholique. À partir de 1840, afin de faire face à la nouvelle concurrence de l’Encyclopédie catholique sans avoir à baisser ses prix, il entreprend de conquérir le Royaume-Uni. Dans ce pays où chaque secte protestante possède son imprimerie, et où les publications savantes sont une arène privilégiée de la concurrence religieuse, les catholiques ont besoin d’une encyclopédie qui corresponde à leur doctrine. Saint-Priest se fait fort de démontrer que l’Encyclopédie du xixe siècle, qui est écrite en français mais s’adressera en priorité au clergé et au haut clergé, peut répondre à ce besoin. Les informations dont il se prévaut lui promettent un millier de souscriptions auprès des ecclésiastiques de Londres et de Dublin, bien davantage que ce qu’il a pu recueillir dans ses voyages français. L’éditeur calcule alors que s’il n’en réunit que deux cents, il peut alors compter sur 60 000 francs en espèces, ce qui assure la publication des vingt prochains volumes :
[…] toutes mes espérances se sont tournées vers l’Angleterre et l’Irlande. […]. Je ne compte pas leur demander des souscriptions d’actions, mais des souscriptions à l’ouvrage payées d’avance ; 300 F pour l’exemplaire ordinaire, 400 F pour le vélin. Ils recevront immédiatement presque le tiers de la somme versée en volume parus. Qu’est-ce d’ailleurs que 300 F en Angleterre42 ?
28Une fois que le marché a été identifié, il reste à le fabriquer en mobilisant des moyens financiers, des connaissances, du temps et de l’énergie. « Si j’avais le temps, j’établirais à Lyon un immense foyer de propagation », note Saint-Priest en constatant l’écho que rencontre son encyclopédie dans la ville43. Pour accomplir ces opérations de propagation, l’éditeur se déplace toujours muni d’une panoplie de « recommandations », sans lesquelles les portes resteraient fermées, et qu’il conserve précieusement dans son bureau parisien de La Quotidienne. Quand les bonnes lettres viennent à manquer, il doit mobiliser ses amis dans l’urgence. C’est ce qu’il fait à Lyon en 1839 pour obtenir ses entrées auprès de l’archevêque. Plus tard, alors qu’il prépare son voyage à Londres à l’été 1841, il comprend qu’il n’y a aucun contact sur place. Il écrit alors à Laurentie pour lui demander de lui « indiquer à Paris des Catholiques français ou anglais » qui pourraient le renseigner et le recommander dans son voyage44.
3. Se distinguer : l’ombre de d’Alembert
29Parce qu’une encyclopédie n’est pas une simple affaire économique, l’entrepreneur doit enfin mobiliser une forme de capital symbolique. Accumuler un certain prestige philosophique, sous grâce à un nom de philosophe célèbre ou à une classification des sciences novatrice, paraît essentiel pour placer une telle entreprise éditoriale dans la lignée des grands prédécesseurs, pour la distinguer de ses concurrents, et pour la rendre visible45.
30Le début du xixe siècle n’est d’ailleurs pas avare en philosophies des sciences. Les écrits encyclopédiques de Saint-Simon qui sont republiés après sa mort, en 1825, marquent toute la nébuleuse saint-simonienne tandis qu’Auguste Comte, ancien disciple de Saint-Simon, met la philosophie des sciences au cœur de sa réflexion. Chez les catholiques, Pierre-Sébastien Laurentie publie en 1826 une Introduction à la philosophie et Édouard Alletz un Essai sur l’homme, ou Accord de la philosophie et de la religion. Enfin Charles-François Farcy publie en 1827 un Aperçu philosophique qui se donne pour objectif, dans une perspective inspirée par l’éclectisme de Victor Cousin, de faire le bilan de toutes les grandes vérités acquises dans chaque domaine du savoir. Le mouvement continue après 1830. En 1834, André-Marie Ampère publie le premier volume de son Essai sur la philosophie des sciences, tandis que l’obscur Antoine Madrolle publie un Tableau de la dégénération de la France qui appelle à régénérer la littérature et la philosophie par une « encyclopédie parfaite » dont le point de départ sera Dieu. En 1837, Louis Aimé-Martin publie un Plan d’une bibliothèque universelle et, à partir de 1830, Auguste Comte consacre son Cours de philosophie positive à élaborer le plan d’un « système encyclopédique intégralement positif »46.
31Certains entrepreneurs d’encyclopédie font appel à de tels philosophes pour apporter une cohérence et une caution intellectuelle à leur entreprise, tandis qu’ils se réservent quant à eux la collecte des fonds et la relance des auteurs. Mais d’autres, comme Guizot, Ajasson de Grandsagne ou Marc-Antoine Jullien, tentent de cumuler les fonctions d’éditeur et de philosophe. La tâche est pourtant difficile47. Jullien souligne ainsi combien la vie active de l’éditeur entre en contradiction avec la vie contemplative du philosophe, faisant parfois de cette dernière un « douloureux exil » dans lequel il n’est possible de se consacrer à ses pensées que durant « quelques heures fugitives »48. C’est d’ailleurs la fonction même de l’encyclopédie, explique-t-il, que de faire gagner du temps en offrant à ses lecteurs une vue d’ensemble des connaissances dans tous les domaines.
32En attendant une philosophie plus complète et aboutie, qu’il remet à l’avenir faute d’avoir eu le temps de la terminer, Jullien ne présente qu’une esquisse. Près de neuf ans plus tard, en 1827, il s’excuse encore du délai à faire paraître son Tableau synoptique des connaissances humaines, ouvrage dont la première partie, dit-il, « est imprimée, mais non publiée, depuis six années », mais qui n’a pu encore être terminé49. C’est aussi à un avenir plus ou moins proche que Charles Bailly, directeur à partir de 1825 de l’Encyclopédie portative, renvoie la « Table méthodique » qu’il promet pour sa collection : « cette table terminera notre ouvrage, dont elle sera pour ainsi dire la substance et le couronnement »50. Il laisse néanmoins entendre que ses grandes lignes sont déjà tracées. Dans le prospectus, qui évoque en effet le « nouvel arbre scientifique élevé par le Directeur », Bailly critique les classifications existantes, distinguant trois ordres savants : les sciences positives d’observation ou d’expérimentation ; les sciences rationnelles, philosophiques ou morales ; enfin les sciences d’imagination. Mais cette classification ne se traduit pas encore dans un plan d’ensemble qui organiserait une collection destinée à rassembler quatre-vingts volumes (seulement soixante-dix paraîtront finalement).
Figure 2. Les traités de l’ Encyclopédie portative de Bailly

Remarque : Par la suite Bailly publia une Théorie de la raison humaine (Paris, Ladrange, 1853). Mais la « division de la science » qui fait l’objet du chapitre 5, en distinguant science empirique, transcendantale et transcendante, n’a pas de lien évident avec l’Encyclopédie portative, qui ne comporte pas de plan.
Source : Extrait du prospectus de l’Encyclopédie portative, 1825, p. 11.
33Pour introduire sa « Bibliothèque populaire », en 1832, Ajasson de Grandsagne consacre quant à lui près de 200 pages à des Notions générales servant d’introduction à la collection. Il y passe en revue les sciences naturelles, physiques, technologiques, historiques, économiques et politiques, ainsi que les sciences de l’âme humaine, enfin les « sciences créées uniquement par l’intelligence », comme la théologie, les mathématiques ou les beaux-arts51. Fier de sa classification, il la fait suivre, en annexe du volume, de divers documents sur l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
34À l’inverse de ces exemples, d’autres encyclopédies rejettent explicitement les arbres et classifications philosophiques. Non sans ironie, Édouard Charton explique en 1834 que le succès de son Magasin pittoresque – qui, imité du Penny Magazine, compte déjà 60 000 lecteurs un an après son lancement – « tient au soin minutieux avec lequel [les éditeurs] ont éloigné de leur rédaction tout appareil scientifique et toute classification méthodique »52. Mais la minutie même avec laquelle le magazine construit son désordre montre l’importance du souvenir de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et de sa classification des sciences, qui sert ici de contre-modèle. Guizot, éditeur de l’Encyclopédie progressive, conteste lui aussi la légitimité des arbres ou nomenclatures encyclopédiques, mais il le fait au nom d’une philosophie de l’histoire, domaine sur lequel il est une autorité reconnue53. De même, dans sa Théorie catholique des sciences qui forme, en 1836, le discours préliminaire de l’Encyclopédie du xixe siècle, Pierre-Sébastien Laurentie rejette les classifications généalogiques des sciences sur le modèle de Bacon et d’Alembert. Mais il le fait au nom d’une autre philosophie, et pour aboutir à une autre classification : « Suivons des nomenclatures vulgaires. Elles nous serviront bien toujours à ramener la philosophie des sciences à Dieu, qui est la loi fondamentale et harmonique des êtres »54. Pour ce disciple de La Mennais et ce promoteur de la « science catholique »55, Dieu est le seul principe de l’unité des sciences :
Donc l’unité que nous cherchons n’est point une unité purement scientifique, qui sans doute échapperait à la débilité de notre vue ; c’est une unité morale ou philosophique, dont la formule ne saurait s’écrire comme la formule d’une équation d’algèbre, mais qui n’en a pas moins de réalité. Il s’ensuit que pour nous la classification des sciences est libre, sans être arbitraire, car elle n’est pas un système56.
35Il avait pourtant été envisagé que l’Encyclopédie du xixe siècle reprenne à son compte le tableau encyclopédique qu’Ampère venait de faire paraître en conclusion de sa Philosophie des sciences, en 1834, et qu’il figurerait en conclusion du discours préliminaire que Laurentie n’avait pas encore rédigé. Contacté par Saint-Priest dans le courant de l’été 1835, Ampère s’était montré enthousiaste. « M. Ampère vous attend pour s’entendre avec vous pour faire suivre votre introduction de son tableau des connaissances humaines que vous rendrez plus intelligible à tous », écrit-on à Laurentie à l’automne de la même année, « car il me paraît disposé à souscrire à toute modification que vous jugerez convenable, et veut [que] ce soit vous qui écriviez le préambule de son tableau de sorte qu’on [puisse lire] : l’introduction de M. Laurentie avec un tableau des connaissances humaines par M. Ampère »57. Seule la mort d’Ampère, en 1836, semble avoir conduit à renoncer au projet, car dans l’avertissement du premier volume, le directeur de l’Encyclopédie du xixe siècle choisit de mentionner Ampère et son soutien pour le projet éditorial.
III. Des encyclopédies sous contrainte politique
36L’éditeur d’encyclopédie est donc un entrepreneur qui, conformément à la description qu’en fait Say, organise le capital et le travail, et fait face à l’incertitude des marchés58. Mais il est un entrepreneur d’un type particulier puisqu’il doit se conformer à la spécificité d’un objet imprimé dont la définition est contestée entre les dynamiques commerciales et les codes du genre encyclopédique hérités du xviiie siècle. Or l’incertitude à laquelle doit également faire face l’entrepreneur d’encyclopédie concerne aussi la politique.
1. La persistance de l’Ancien Régime encyclopédique
37Après les lois libérales de 1818-1819, l’assassinat du duc de Berry en 1820 marque le début de l’offensive du parti ultra. Au terme de deux ans de censure, la loi du 18 mars 1822 introduit le régime de l’autorisation préalable dans la presse, et autorise les « procès de tendance » contre les journaux. Le 25 mars 1822, une nouvelle loi soumet la presse non plus au jury mais au tribunal correctionnel. Dans le même temps, les cours des facultés de lettres sont fermés, ainsi que ceux des écoles normales, de médecine et de droit. Parallèlement à cette démonstration d’autorité, le gouvernement entend également exercer un pouvoir doux, consistant à acquérir des participations à certains journaux d’opposition, ou à acheter l’amitié de diverses publications en y faisant souscrire les administrations publiques59. En 1827, le ministère des Affaires ecclésiastiques retire ainsi ses 25 souscriptions à la Société des bons livres pour la punir de ses positions ultramontaines60. En 1829, Férussac écrit à Martignac pour le supplier de pouvoir augmenter de 50 à 100 le nombre des souscriptions ministérielles à son bulletin, et d’en élever le montant annuel de 132 à 200 francs61. La même année, Bailly de Merlieux écrit enfin au baron Cuvier, président de la Commission de censure, pour obtenir son appui : depuis un an qu’il a reçu un rapport favorable à sa demande de souscription à l’Encyclopédie portative de la part du ministère de l’Intérieur, aucune décision n’a été prise62.
38En dépit de ces tracas, la restriction des libertés n’étouffe pas l’encyclopédisme. Au contraire, le milieu des années 1820 ressemble à une véritable renaissance. Alors que la Revue encyclopédique de Marc-Antoine Jullien s’installe durablement et que l’Encyclopédie méthodique continue son œuvre, le Bulletin général et universel de Férussac et l’Encyclopédie moderne de Courtin sont lancés en 1823, suivis par l’Encyclopédie portative de Bailly de Merlieux en 1825, et par l’Encyclopédie progressive de Guizot en 1826. C’est aussi en 1826 qu’Édouard Alletz, Philippe Gerbet et Pierre-Sébastien Laurentie, dans trois ouvrages fondateurs, formulent le projet d’un encyclopédisme catholique qui ne verra le jour que dix ans plus tard63. En cette époque de censure, les encyclopédies sont un moyen de faire de la politique par d’autres moyens, comme en témoigne la diversité des positions occupées par ces auteurs.
39À côté de l’Encyclopédie progressive ou du Globe, la Revue encyclopédique illustre bien la mise en place d’un encyclopédisme d’opposition. Jullien, ancien proche de Robespierre, croit en l’importance d’un périodique pour que, à travers une chronique des publications savantes, l’idéal unitaire auquel l’Institut a renoncé, puisse continuer de vivre en établissant un lien entre des institutions que séparent la distance géographique ou les spécialisations intellectuelles. Mais elle est aussi un point nodal entre des savants ou publicistes français et étrangers qui sont aussi connus pour leurs sympathies républicaines et libérales64. Plus jacobin que l’encyclopédisme de Jullien apparaît l’« enseignement universel » de Joseph Jacotot, qui, fondé sur un objectif d’émancipation intellectuelle, repose sur le postulat selon lequel il serait possible à tout individu d’acquérir n’importe quelle connaissance. C’est bien ainsi que l’entendent ses disciples lorsqu’ils désignent la doctrine de leur maître sous le nom de « philosophie panécastique »65. Selon Jacotot, toutes les connaissances humaines pouvaient être reconstituées par n’importe quel individu, à partir de ses seules forces personnelles, en partant de n’importe quel « classique », par exemple le Télémaque de Fénelon66. S’il existe un encyclopédisme jacobin, c’est peut-être dans la doctrine de ce fils de boucher devenu professeur de rhétorique, puis instructeur de chimie au bureau des poudres, qu’il faut le trouver.
40Face à ces encyclopédies néorépublicaines, on peut opposer la figure du baron de Férussac. Fils d’un éminent botaniste, celui-ci avait d’abord servi Napoléon, par les armes puis comme sous-préfet, avant de lancer son Bulletin général et universel des sciences et de l’industrie en 1823 et de devenir un encyclopédiste incontournable de la Restauration67. Dans un contexte de réaction ultra, sa publication adopte une coloration politique nettement opposée à celle de la Revue encyclopédique. Elle trouve une inspiration, non pas dans l’Institut de l’an IV (1795-1796), mais dans l’École du Corps royal d’état-major, fondée par Gouvion Saint-Cyr en 1818, où Férussac enseigne alors l’astronomie. Héritière de l’École royale militaire qui avait été conçue, en 1751, comme un enseignement encyclopédique, cette école intégrait des enseignements novateurs comme la géographie et la statistique. Déjà Napoléon, en avril 1807, avait dicté un projet d’école spéciale d’histoire et de géographie qui, autour d’une trentaine de chaires et d’intitulés nouveaux, devait couvrir les principaux pays et continents. Il s’agissait alors de « rassembler les connaissances éparses, les épurer », afin qu’on puisse « les consulter avec sécurité pour être mieux instruit des faits et des choses »68. En 1823, ce sont ces mêmes savoirs qui occupent la place centrale du Bulletin de Férussac69. Avec ce dernier, c’est autour de l’art militaire que semblent se dessiner les contours d’un encyclopédisme contrerévolutionnaire70.
41Le cas de Charles-François Bailly de Merlieux (1800-1862) illustre, pour finir, une voie intermédiaire entre les encyclopédismes d’opposition et ultra. Plus jeune que Jullien, Jacotot ou Férussac, Bailly n’avait pas leur expérience militaire. Né en 1800, il publie à vingt-quatre ans un Manuel du jardinier avant de se lancer dans l’aventure encyclopédique un an plus tard. Agronome, il s’intéresse à la physique et à l’astronomie et publie des textes de vulgarisation sur tous ces thèmes. Ni revue périodique comme la Revue encyclopédique ou le Bulletin général et universel, ni dictionnaire alphabétique comme l’Encyclopédie moderne, son Encyclopédie portative, démarrée en 1825, est une collection de traités. Inspirée par la New Cyclopedia de Rees à Londres, entreprise entre 1802 et 1819, elle se distingue de l’Encyclopédie méthodique en ce qu’elle se compose de « résumés méthodiques » courts et accessibles, afin de toucher un public large71. Plus tard, en avril 1829 Bailly créera l’Union encyclopédique pour la propagation des connaissances utiles sur le modèle de la Society for the Diffusion of Useful Knowledge de Henry Brougham72. Celle-ci prolonge une stratégie adoptée dès le début des années 1820 : à une époque, explique Bailly, où les encyclopédies françaises continuent de s’adresser en priorité à un public savant, il propose d’imiter l’exemple de l’Angleterre qui a déjà six encyclopédies, et de l’Allemagne où le Conversation-Lexikon de Brockhaus a été imprimé à 50 000 exemplaires. Pour cela, il se rapproche aussi bien des milieux savants les plus proches du pouvoir que des réseaux libéraux. Il publie lui-même dans le Bulletin de Férussac, autant que dans la Revue encyclopédique de Jullien. Pour rédiger ses manuels, il mobilise des auteurs de diverses sensibilités politiques ou philosophiques : à la fin des années 1820 il fait ainsi appel à des saint-simoniens comme Nicolas Perron sur les sciences historiques et morales, et l’homéopathe Léon Simon sur l’hygiène.
42Agronome, Bailly est pourtant proche de la société aristocratique de la Restauration. À partir de 1827, moment de la crise du ministère de Villèle, il devient membre correspondant de la Société royale et centrale d’agriculture, emblème d’un régime qui veut se fonder sur la défense des intérêts des aristocrates et des grands propriétaires fonciers. C’est aussi à partir de cette année qu’il commence à publier les Annales européennes et de fructification générale de François-Antoine Rauch73. À ce titre on peut ainsi voir chez lui l’affirmation d’un encyclopédisme qui ne serait d’inspiration non plus militaire, comme chez Jullien ou Férussac, mais agronomique, et trouverait une partie de ses relais dans les sociétés d’agriculture provinciales.
43Car l’idéal d’une « encyclopédie vivante » n’a pas tout à fait disparu74. Il existe une sociabilité provinciale, soutenue par l’Empire puis par le gouvernement ultra, et regroupant les notables des départements, qui s’organise, souvent autour du préfet, au sein des académies provinciales et sociétés d’agriculture75. Cet encyclopédisme conservateur, féru d’agronomie et d’antiquarisme, est surtout connu à travers la Société des antiquaires de Normandie fondée à Caen en 1824 par Arcisse de Caumont. Mais on le retrouve aussi dans de nombreuses provinces76. Il prend la forme, à l’Académie de Lyon, de concours et de séances publiques auxquels participe l’ensemble de la communauté savante locale, médecins, ingénieurs et hommes de lettres. Les thèmes des concours et des mémoires qui sont lus, de la physique aux beaux-arts en passant par l’économie politique et la morale, sont abordés le plus souvent en articulant le souci de l’humanité, celui de la nation, et celui de la région lyonnaise. Ainsi lors du célèbre concours de 1818-1819 sur les moyens de reconnaître la véritable indigence, remporté par le baron de Gérando pour son Visiteur du pauvre, il est demandé aux candidats d’aborder la question de l’indigence d’un point de vue alternativement moral, administratif, hygiénique, psychologique, mais aussi économique77.
44Si l’encyclopédisme se provincialise sous la Restauration, il s’internationalise également. On sait que l’abbé Grégoire est l’une des grandes figures de cet encyclopédisme international78. Marc-Antoine Jullien, à travers sa Revue encyclopédique, est également au cœur d’un dense réseau européen et atlantique, comme l’a bien montré Barbara Revelli. Les formes de cette sociabilité sont évidemment différentes : elle repose avant tout sur la correspondance, dans la tradition ancienne de la république des lettres. Les républicains et les libéraux n’ont pas de monopole sur cet idéal d’un encyclopédisme transnational. Le baron de Férussac écrit en 1829 sur « la nécessité d’une correspondance régulière et sans cesse active entre tous les amis des sciences et de l’industrie ». Il s’agit du texte d’un discours prononcé devant la Société pour la propagation des connaissances scientifiques et industrielles, à laquelle est adossé son bulletin. « Dans les contrées les plus reculées du nouveau, comme de l’ancien Monde, il s’est formé des Sociétés savantes, des Recueils périodiques, pour aider et diriger cette grande impulsion du génie de l’homme »79. Il s’agit bel et bien d’une reformulation des idées de Grégoire et de Marc-Antoine Jullien, mais au service du pouvoir ultra en place.
2. La dérégulation encyclopédique
45Après la révolution de juillet 1830, Louis-Philippe encourage la diffusion des connaissances et la censure est réduite, du moins jusqu’au milieu des années 183080. En refondant l’Académie des sciences morales et politiques en 1832, puis en introduisant sa loi sur les écoles primaires en 1833, Guizot semble reconstituer, au sein de la monarchie constitutionnelle, l’encyclopédisme impulsé par l’État qu’avait instauré la Révolution française. En fondant en 1834, alors qu’il est ministre de l’Instruction, le Comité des travaux historiques et scientifiques, il cherche ainsi à imposer une logique de centralisation aux érudits locaux qu’Arcisse de Caumont vient de réunir au sein des congrès scientifiques de France81. Ce nouvel encyclopédisme, qui s’inscrit dans la « dynamique du conservatisme » propre à Guizot82, semble présenter deux particularités par rapport aux périodes antérieures.
46Tout d’abord, il construit un public de plus en plus segmenté socialement et culturellement. Déjà en 1826, Guizot avait prévu que la collection de traités, qui devait constituer l’Encyclopédie progressive, s’adresserait aux classes commerciales éduquées, tandis que le Manuel encyclopédique, dictionnaire alphabétique qui lui était associé, devait toucher un public moins éduqué83. Devenu ministre de l’Instruction publique, il réserve à chaque classe sociale un enseignement adapté. Alors que les classes ouvrières recevront des enseignements élémentaires à l’école primaire, les classes les plus favorisées recevront au lycée une formation plus large destinée à les préparer à exercer un jour le droit de vote. Si ce modèle libéral sert de repoussoir pour certains projets encyclopédiques, comme l’Encyclopédie nouvelle de Reynaud et Leroux, ou la philosophie positive de Comte, la plus grande partie des publications de la monarchie de Juillet reprennent cette segmentation sociale qui distingue, à côté des encyclopédies bourgeoises, un encyclopédisme à destination du peuple84. En 1841, dans l’article « Manufacture » de l’Encyclopédie moderne, Alexandre de Laborde décrit ainsi le projet de faire du Conservatoire des arts et métiers un « Institut des arts mécaniques appliqués aux manufactures ». Divisé en trois sections (mécanique usuelle, chimie pratique et théorie industrielle), il serait l’équivalent, pour les classes ouvrières, de la première classe de l’Institut royal des sciences et des arts : « Cette société serait le point de centre de toutes les connaissances utiles, […] elle formerait le véritable lien entre les sciences et les arts […] : ce serait, en quelque sorte, l’encyclopédie en action, ou la réunion encore de doctrine de morceaux détachés avec les figures en relief »85.
47L’expansion de l’offre encyclopédique se traduit par une concurrence accrue. Déjà sous la Restauration celle-ci se faisait sentir par le choix du format éditorial : ainsi Courtin défendait d’autant plus le dictionnaire alphabétique sur la collection de traités thématiques que ce dernier format avait été adopté par Guizot qui était son concurrent direct86. Une façon croissante de la contourner, après 1830, est de spécialiser chaque encyclopédie en lui assignant un public particulier qui est désigné dans le titre. Il existe ainsi une Encyclopédie pittoresque de la musique87, une Encyclopédie des lois88, une Encyclopédie des jeunes étudiants et des gens du monde89, et bien d’autres encore. Puisque le terme « encyclopédie » fait vendre, et puisqu’il désigne un nombre croissant de publications, la concurrence porte désormais sur le choix du qualificatif. En 1835, un procès au tribunal de commerce de Paris oppose deux éditeurs, tous deux porteurs d’un projet d’Encyclopédie catholique, et réclamant un droit exclusif à ce titre alors inédit90. Ange de Saint-Priest s’en croit le propriétaire légitime pour trois raisons : 1) les annonces qu’il a fait paraître dans la presse en septembre 1834 ; 2) la déclaration qu’il a déposée au ministère de l’Intérieur en mai 1835 ; 3) enfin le dépôt de deux exemplaires d’une première livraison à la Direction de la librairie, en juin 1835. Mais son opposant, Jules Forfelier, revendique la même propriété intellectuelle parce qu’il a déposé, dès juin 1834, un prospectus en ce sens à la Direction de la librairie.
48Dans son jugement initial, puis en appel, le tribunal de commerce de Paris s’affirme comme un acteur majeur de la dérégulation encyclopédique dans une décision qui fait alors jurisprudence. Il y affirme que le terme « encyclopédie », appartenant au domaine public, ne saurait faire l’objet d’une appropriation privée, pas plus que le terme « encyclopédie catholique », qui désigne une branche entière ou une approche particulière de la connaissance. Mais conformément au régime de la propriété littéraire défini par la loi du 19 juillet 1793, ajoute le tribunal, on peut revendiquer la propriété d’un titre comme « encyclopédie catholique », à condition que l’ouvrage ait fait l’objet d’un dépôt légal. La difficulté est qu’une encyclopédie est le plus souvent une entreprise de longue haleine pour laquelle on ne sait jamais, au moment où elle commence, comment elle finira et si le plan qui est envisagé, quand il existe, sera effectivement respecté. Pour le tribunal de commerce, le dépôt d’un simple prospectus ne peut suffire pour faire fonction de dépôt légal : autrement dit une encyclopédie ne peut pas se limiter à son discours préliminaire. Il faut au moins pouvoir prouver qu’un libraire et un imprimeur ont effectivement l’intention d’imprimer et de diffuser, ce que Jules Forfelier ne pouvait pas faire. Le dépôt légal du premier volume d’une encyclopédie n’est pas forcément suffisant non plus : le manuscrit déposé par Saint-Priest en juin 1835, par exemple, jetait le doute sur la sincérité du projet car il était « tout à fait informe » et renfermait « plus de 800 fautes dans le cours de 50 pages ». Finalement, le tribunal rejette la revendication de propriété intellectuelle des deux éditeurs à la fois, et remet le titre dans le domaine public. Il sera adopté quelques années plus tard par l’abbé Jean-Baptiste Glaire et le vicomte de Walsh, tandis que Saint-Priest lance en 1836 l’Encyclopédie du xixe siècle. Pour toucher le marché considérable que représente le clergé qui s’est formé dans les années 1820, trois encyclopédies catholiques sont finalement créées sous la monarchie de Juillet : l’Encyclopédie du xixe siècle de Saint-Priest en 1836, l’Encyclopédie catholique de Glaire et Walsh en 1840, enfin l’Encyclopédie théologique de l’abbé Jacques-Paul Migne en 184491.
49En régime de concurrence accrue, construire un marché pour des revues ou dictionnaires encyclopédiques implique de plus en plus de les environner des institutions et des pratiques savantes ou éducatives qui les rendraient désirables et peut-être indispensables. C’est ainsi qu’après la révolution de Juillet – c’est la deuxième caractéristique de l’encyclopédisme de cette période – plusieurs éditeurs d’encyclopédie tentent de restaurer, à une échelle réduite, l’idéal de la « Grande Famille réunie » consistant à réunir, non seulement les différents savoirs spécialisés, mais aussi la diversité des conceptions et des formes possibles d’une encyclopédie.
50En mars 1831, Marc-Antoine Jullien, qui est en train de se séparer de la Revue encyclopédique, lance avec le républicain François Grille une société pour la création de 40 000 bibliothèques communales92. Dans le même temps, Charles Bailly commence la publication du Mémorial encyclopédique, revue mensuelle que rejoindra bientôt Jullien. Celle-ci, soutenue par l’Union encyclopédique pour la propagation des connaissances utiles, doit compléter l’Encyclopédie portative. En 1832, Bailly s’associe également à Girardin autour d’un projet de « bibliothèques cantonales » : il espère y placer l’Encyclopédie portative qui viendrait en complément du Journal des connaissances utiles de Girardin. Pierre-Sébastien Laurentie, auteur du discours préliminaire de l’Encyclopédie du xixe siècle en 1836, dirige également la Société catholique des bons livres et la « Bibliothèque choisie par une société de gens de lettres » fondée en 1829. En 1834, Jean Reynaud et Pierre Leroux lancent leur Encyclopédie pittoresque à deux sous : avec ce projet de dictionnaire alphabétique, il s’agit d’élargir le public du saint-simonisme républicain en complétant la Revue encyclopédique dont Hippolyte Carnot est devenu le propriétaire, et dont ils sont les directeurs jusqu’en 1835. Le professeur de législation comparée au Collège de France, Eugène Lerminier, insiste dans la Revue des deux mondes sur la rupture qu’opère l’Encyclopédie pittoresque avec l’ancien modèle des encyclopédies à souscription :
Je voudrais que Diderot pût la voir et la lire. Le fils du coutelier, qu’animait l’amour du peuple, et qui écrivait pour lui, en était séparé cependant par le prix élevé de son encyclopédie ; et ce livre révolutionnaire s’adressait aux rois, aux grands seigneurs et à leurs maîtresses. De quelle joie ne serait pas inondé l’ardent ami de d’Alembert en voyant une encyclopédie à deux sous ! L’homme qui a écrit ces lignes : Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ; si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes, pousserait un cri d’allégresse en voyant la science armée des moyens d’une infaillible popularité93.
51Mais ce rêve est de courte durée94. Alors que les républicains sont pourchassés en 1835, et que Leroux et Reynaud mesurent la difficulté à remplir leurs engagements commerciaux, ils doivent abandonner leur Encyclopédie pittoresque vendue par fascicules hebdomadaires, et revenir avec l’Encyclopédie nouvelle à un système plus traditionnel par souscription, au public sans doute moins large que celui projeté initialement95. Sous la monarchie de Juillet, la dynamique commerciale n’est plus aussi favorable à l’encyclopédisme d’opposition que sous la Restauration96. Si la « Grande Famille » semble à nouveau « réunie » sous la monarchie de Juillet, elle est au service du conservatisme libéral de Guizot.
IV. Conclusion
52Si l’on sait depuis longtemps qu’une encyclopédie ne saurait se réduire à une histoire intellectuelle, ni à une histoire du livre97, sa nature politique, qui semble caractériser particulièrement la période 1789-1848, doit aussi être soulignée. Celle-ci semble bien résumée par l’image de la « Grande Famille réunie », à condition que l’on comprenne celle-ci, non pas seulement sur le modèle classique des « muses » ou des sciences se tenant par la main, mais aussi comme le projet d’un enseignement universel, conforme à l’étymologie et réactivé par la Révolution.
53En 1843, dans son article « Encyclopédie » pour l’Encyclopédie nouvelle, Reynaud distingue trois définitions possibles du terme98. Tout d’abord l’encyclopédie désigne le souci de tout connaître et de tout collecter, qui ne consiste pas tant à faire des résumés que des bibliothèques, et dont la technique privilégiée est l’index, « une table des matières de tous les livres utiles, indiquant d’une manière générale, à chaque mot, les passages les plus importants qui s’y rapportent », tâche en réalité impossible, qui ne peut être envisagée que par un État. En un deuxième sens, l’encyclopédie est aussi un livre, ou plutôt « le système général des dictionnaires et des manuels, publiés à chaque époque sur les diverses branches de la science », dont Reynaud dit qu’elle se résume à n’être que « la réunion d’éléments discordants sous un même titre ». Enfin une encyclopédie peut être une philosophie des sciences, un arbre ou une nomenclature présentant « la substance philosophique » qui anime chacune de ses branches.
54Pendant toute la première moitié du xixe siècle, le champ encyclopédique est traversé par le projet, hérité de la Révolution, de mettre chacune de ces différentes définitions de l’encyclopédie au service d’un même programme politique. Mais plusieurs projets sont en concurrence pour réaliser cet idéal. Alors que l’Empire, puis la Restauration, privilégient un encyclopédisme pratique, peu philosophique, organisé autour des sciences militaires puis agronomiques, la monarchie de Juillet, qui valorise la diffusion des « connaissances utiles » s’inscrit dans la dynamique de plus en plus conservatrice portée par Guizot, et parvient à marginaliser l’encyclopédisme d’opposition porté par les républicains et les socialistes. En accédant au pouvoir après la révolution de février 1848, ces derniers tentent à leur tour de mettre les outils de l’encyclopédisme au service du nouveau régime. Tandis qu’Hippolyte Carnot, devenu ministre de l’Instruction publique, s’efforce de démocratiser l’éducation, Reynaud fonde au sein du Collège de France une école d’administration destinée à doter les hauts fonctionnaires d’une culture encyclopédique démocratisée99. Mais, l’expérience est interrompue par les journées de Juin. Ce n’est qu’après 1870 qu’un nouvel encyclopédisme républicain, marqué par le positivisme, s’affirme autour du Grand dictionnaire universel du xixe siècle de Pierre Larousse, puis de La Grande encyclopédie de Marcellin Berthelot et de ses fils.
Notes de bas de page
1 Je remercie Vincent Bourdeau, Jean-Luc Chappey et Pierre Crépel pour leurs commentaires sur ce texte.
2 Allégorie lue à la séance publique de l’Institut, le 15 germinal an IV (4 avril 1796), publiée dans Collin d’Harleville Jean-François, 1834, Œuvres de Collin d’Harleville, Paris, Lebigre frères, p. 214-215.
3 Loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), titre iv, article 6 : « L’Institut national aura quatre séances publiques par an ; les trois classes seront réunies dans ces séances. Il rendra compte, tous les ans, au corps législatif, des progrès des sciences et des travaux de chacune de ses classes ». La première classe était consacrée aux sciences mathématiques et physiques, la deuxième aux sciences morales et politiques, la troisième à la littérature et aux beaux-arts.
4 Voir le récit qui est fait de cet événement dans La Décade philosophique, 30 germinal an IV (19 avril 1796), p. 148-155.
5 Chappey Jean-Luc, 2012, « Révolution, régénération, civilisation : enjeux culturels des dynamiques politiques », in Chappey Jean-Luc, Gainot Bernard et Mazeau Guillaume, Pour quoi faire la Révolution, Marseille, Agone, p. 115‑148.
6 Yeo Richard, 1991, « Reading encyclopedias: science and the organization of knowledge in British dictionaries of arts and sciences, 1730-1850 », Isis, vol. 82, n° 1, p. 24-49 ; 1996, « Ephraim Chambers’s Cyclopædia (1728) and the tradition of commonplaces », Journal of the History of Ideas, vol. 57, n° 1, p. 157-175 ; 2001, Encyclopaedic Visions: Scientific Dictionaries and Enlightenment Culture, Cambridge, Cambridge University Press ; 2003, « A Solution to the Multitude of Books: Ephraim Chambers’s Cyclopædia (1728) as “the Best Book in the Universe” », Journal of the History of Ideas, vol. 64, n° 1, p. 61-72 ; 2007, « Lost encyclopedias: before and after the Enlightenment », Book History, vol. 10, n° 1, p. 47-68. Pour un contexte plus large, voir Blair Ann, 2010, Too Much to Know: Managing Scholarly Information before the Modern Age, New Haven, Yale University Press ; et Yeo Richard, 2010, « Loose Notes and Capacious Memory: Robert Boyle’s Note‐Taking and its Rationale », Intellectual History Review, vol. 20, n° 3, p. 335‑354.
7 Troper Michel, 2006, Terminer la Révolution : la Constitution de 1795, Paris, Fayard.
8 Creuzé-Latouche Jacques-Antoine, an III (1794-1795), Discours sur la nécessité d’ajouter à l’École normale un professeur d’économie politique (imprimé par ordre de la Convention nationale, et distribué aux élèves de l’École normale), 12 pluviôse an III (31 janvier 1795), Paris, Imprimerie nationale, p. 10.
9 Gazette nationale, ou le Moniteur universel, 23 germinal an IV (12 avril 1796), n° 203, p. 181-182.
10 Cabanis Pierre-Jean-Georges, 1798, « Considérations générales sur l’étude de l’homme et sur les rapports de son organisation physique avec ses facultés intellectuelles et morales. Lu le 7 pluviôse an IV (27 janvier 1796) », in Institut national des sciences et des arts, Mémoires de l’Institut national des sciences et des arts, pour l’an IV de la République. Sciences morales et politiques, Paris, Baudouin, vol. 1, p. 39 ; sur cette métaphore, voir Chappey Jean-Luc, 1999, « Usages et enjeux politiques d’une métaphorisation de l’espace savant en Révolution. “L’Encyclopédie vivante”, de la République thermidorienne à l’Empire », Politix, vol. 12, n° 48, p. 37‑69, et ici même.
11 Pagès François, an VII (1798-1799), Cours d’études encyclopédiques, ou Nouvelle encyclopédie élémentaire, Paris, Artaud.
12 Boudon Jacques-Olivier, 2004, Napoléon et les lycées, Paris, Nouveau Monde éditions.
13 Blanckaert Claude et Porret Michel (dir.), 2006, L’Encyclopédie méthodique (1782-1832) : des Lumières au positivisme, Genève, Droz, vol. lxviii ; et les analyses classiques de Mornet Daniel, 2010 [1933], Les origines intellectuelles de la Révolution française : 1715-1787, Paris, Tallandier ; Chartier Roger, 2000 [1990], Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil.
14 « Lettre du 20 germinal an VII (9 avril 1799) », Archives départementales de l’Aude, Carcassonne, 3 J 552.
15 Kitchin Joanna, 1965, Un journal « philosophique » : La Décade (1794-1807), Paris, Minard ; Regaldo Marc, 1976, Un milieu intellectuel : la Décade philosophique (1794-1807), thèse de doctorat, Lille, Université de Lille 3 ; Boulad-Ayoub Josiane et Nadeau Martin (dir.), 2003, La Décade philosophique comme système, Rennes, Presses universitaires de Rennes ; sur le Magasin encyclopédique, voir la contribution de Jean-Luc Chappey dans ce même volume.
16 Regnault-Warin Jean-Joseph, an IV (1795-1796), Études encyclopédiques, Paris, Bureau des Études encyclopédiques, p. 6.
17 Ibid., p. 7.
18 Ibid., p. 8.
19 Chappey Jean-Luc, 2012, « Révolution, régénération, civilisation : enjeux culturels des dynamiques politiques », in Chappey Jean-Luc, Gainot Bernard et Mazeau Guillaume, Pour quoi faire la Révolution, Marseille, Agone, p. 115‑148.
20 Sur la fortune de Condorcet après sa mort, voir Schandeler Jean-Pierre, 2000, Les interprétations de Condorcet. Symboles et concepts (1794-1894), Oxford, SVEC.
21 Sur ce concours, voir Rosenfeld Sophia A., 2001, A Revolution in Language: The Problem of Signs in Late Eighteenth-Century France, Stanford, Stanford University Press, p. 181-226.
22 Thuillier Guy, 1964, « Un aventurier philosophe : Antoine de Lasalle », La Revue administrative, vol. 17, n° 97, p. 21‑28.
23 Voir notamment Cabanis Pierre-Jean-Georges, 1798, « Considérations générales sur l’étude de l’homme et sur les rapports de son organisation physique avec ses facultés intellectuelles et morales. Lu le 7 pluviôse an IV (27 janvier 1796) », art. cit., p. 37‑97, où les références à Bacon sont nombreuses.
24 Sur l’importance des savants sous la Révolution, les travaux sont trop nombreux pour être tous rappelés, depuis Dhombres Nicole et Jean, 1989, Naissance d’un pouvoir : sciences et savants en France, 1793-1824, Paris, Payot.
25 Yeo Richard, Encyclopaedic Visions, op. cit.
26 Regnault Elias, 1840-1842, « L’éditeur », in Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du xixe siècle, Paris, Curmer, vol. 4, p. 322-334, ici p. 328-329.
27 Sur la place des dictionnaires, voir Mollier Jean-Yves, 1988, L’argent et les lettres. Histoire du capitalisme d’édition, 1880-1920, Paris, Fayard, chap. 1 ; ou encore Mollier Jean-Yves, 2015, Une autre histoire de l’édition française, Paris, La Fabrique, chap. 8.
28 Blanckaert Claude et Porret Michel (dir.), 2006, L’Encyclopédie méthodique (1782-1832), Des Lumières au positivisme, Genève, Droz.
29 Darnton Robert, 1982 [1979 pour l’édition américaine], L’aventure de l’Encyclopédie, 1775-1800 : un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Perrin ; Tucoo-Chala Suzanne, 1977, Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française. 1736-1798, Pau/Paris, Marrimpouey Jeune/Jean Touzot.
30 Say Jean-Baptiste, 1826, Économie politique, Paris, Bureau de l’Encyclopédie progressive, p. 175-179, 186, 233-234 et Steiner Philippe, 1997, « La théorie de l’entrepreneur chez Jean-Baptiste Say et la tradition Cantillon-Knight », L'Actualité économique, n° 734, p. 611-627.
31 Pour une réflexion sur cette question, voir dans ce volume le chapitre d’Aude Déruelle, « Décrire les mœurs, du tableau à l’encyclopédie : Les Français peints par eux-mêmes ».
32 Chappey Jean-Luc, 2015, « Penser les progrès de la civilisation européenne sous la Restauration : Marc-Antoine Jullien et la Revue encyclopédique (1819-1831) », in Caron Jean-Claude et Luis Jean-Philippe (éds), Rien appris, rien oublié ? Les Restaurations dans l’Europe postnapoléonienne (1814-1830), Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 143‑155.
33 Jullien Marc-Antoine, 1819, « Lettre à MM. les Collaborateurs et Correspondants de la Revue Encyclopédique, en France et dans les pays étrangers », Revue encyclopédique, vol. 1, n° 1, p. 18-24.
34 Jullien Marc-Antoine, 1824 (août), « Réclamations et observations critiques au sujet de quelques imperfections signalées dans la rédaction de la Revue Encyclopédique, et qui pourraient nuire à la bonté de ce recueil, si les différents collaborateurs n’étaient pas avertis, et ne travaillaient pas de concert à l’en garantir », Revue encyclopédique, vol. 23, n° 68, p. 513-520 (cet article est aussi paru en brochure séparée).
35 Comparer, dans ce volume, les chapitres de Vincent Bourdeau et Pierre Philippe.
36 « Lettre du 30 août 1835 », AN, Paris, fonds Malouet et Laurentie, AP 372/9.
37 Sur ce personnage, voir Drouin Jean-Claude, 1972, « Un écrivain royaliste du xixe siècle : Pierre-Sébastien Laurentie (1793-1876) », Revue française d’histoire du livre, vol. 2, n° 4, p. 195-217 ; id., 2013, « Pierre-Sébastien Laurentie (1793-1876) : le dernier légitimiste du xixe siècle. Ultraroyalisme et ultramontanisme », in Champ Nicolas, Laux Claire et Moisset Jean-Pierre (dir.), Contributions à une histoire du catholicisme : papauté, Aquitaine, France et outre-mer. Mélanges offerts à Marc Agostino, Paris, Karthala, p. 211-226 ; et Berthereau Estelle, 2015, Enjeux et paradoxes de la vieille France à travers l’itinéraire du journaliste Pierre-Sébastien Laurentie. Royalistes et catholiques à l’épreuve de la modernité (1814-1835), thèse de doctorat (sous la direction de Michèle Riot-Sarcey), Paris, Université Paris 8.
38 « Lettre du 30 août 1835 », arch. cit.
39 Courtin Eustache-Marie-Pierre (dir.), 1823, Encyclopédie moderne, ou, Dictionnaire abrégé des sciences, des lettres et des arts, Paris, Mongie aîné/Bureau de l’ Encyclopédie, vol. 1, p. xvi.
40 Revue encyclopédique, n° 46, avril 1830, p. 256-257.
41 « Lettre d’Ange de Saint-Priest à Laurentie [non datée, probablement 1836] », AN, Paris, fonds Malouet et Laurentie, AP 372/10.
42 « Lettre du 17 août 1841 », AN, Paris, fonds Malouet et Laurentie, AP 372/12.
43 « Lettre du 7 mars 1839 », AN, Paris, fonds Malouet et Laurentie, AP 372/10.
44 « Lettre du 17 août 1841 », arch. cit. : « Tenant essentiellement à pouvoir faire à Londres une propagande active et sérieuse avec votre introduction, j’aurais besoin d’y trouver quelques personnes que votre nom déterminât à me seconder. J’espère donc que vous pourrez me donner ou me faire donner des lettres pour m’établir à cet égard des points d’appui. Vous pourriez en même temps m’indiquer à Paris les Catholiques français et anglais qui pourraient le mieux me renseigner et me recommander dans mon voyage ».
45 Sur toute cette section, voir dans ce volume, Julien Vincent, « La crise des discours préliminaires… ».
46 Voir le chapitre de Laurent Clauzade dans ce volume.
47 Revelli Barbara, 2005, « Economia del tempo, enciclopedismo e progresso: Sismondi lettore scettico dell’Essai sur l’emploi du tems di Marc-Antoine Jullien de Paris », in Pagliai Letizia (dir.), Sismondiana I : in onore di Mirena Stanghellini Bernardini, Florence, Polistampa, p. 97‑116 ; Lejeune Philippe, 2008, « Marc-Antoine Jullien, contrôleur de temps », Lalies, n° 28, p. 205‑220 ; Chappey Jean-Luc, 2015, « Penser les progrès de la civilisation européenne sous la Restauration : Marc-Antoine Jullien et la Revue encyclopédique (1819-1831) », art. cit.
48 Jullien Marc-Antoine, 1819, Esquisse d’un essai sur la philosophie des sciences, contenant un nouveau projet d’une division générale des connaissances humaines, Paris, Baudouin frères, p. 3.
49 Jullien Marc-Antoine, 1827 (janvier), « Coup d’œil sur les progrès des sciences, des lettres et des arts, en 1826 », Revue encyclopédique, n° 33, p. 3.
50 Courtin Eustache-Marie-Pierre (dir.), 1823, Encyclopédie moderne, ou, Dictionnaire abrégé des sciences, des lettres et des arts, Paris, Bureau de l’Encyclopédie, vol. 1, p. xiv.
51 Coll. « Bibliothèque populaire ou l’ Instruction mise à la portée de toutes les classes et de toutes les intelligences », Paris, 1832 ; et Ajasson de Grandsagne François-Étienne, 1832, Notions générales servant d’introduction à la collection, Paris, Impr. de Pinard.
52 Magasin pittoresque, 1834, vol. 1, p. 419 ; voir aussi Aurenche Marie-Laure, 2002, Édouard Charton et l’invention du Magasin pittoresque (1833-1870), Paris, Honoré Champion, chap. 5.
53 Voir, dans ce volume, Julien Vincent, « La crise des discours préliminaires ».
54 La nomenclature à laquelle Laurentie aboutit, et qu’il qualifie de « vulgaire », distingue deux ordres de sciences : d’abord les sciences morales, sociales et historiques, ensuite les sciences physiologiques, naturelles, physicomathématiques, d’application, littéraires et d’imagination.
55 Langlois Claude et Laplanche François, 1992, La science catholique. L’Encyclopédie théologique de Migne (1844–1873) entre apologétique et vulgarisation, Paris, Cerf, p. 10.
56 Laurentie Pierre-Sébastien, 1836, Théorie catholique des sciences, Paris, Bureau de l’Encyclopédie du xixe siècle, p. 10.
57 « Lettre du 29 octobre 1835 », AN, Paris, fonds Malouet et Laurentie, AP 372/9.
58 Steiner Philippe, 1997, « La théorie de l’entrepreneur chez Jean-Baptiste Say et la tradition Cantillon-Knight », L'Actualité économique, n° 734, p. 611–627.
59 Démier Francis, 2012, La France de la Restauration (1814-1830). L’impossible retour du passé, Paris, Gallimard, p. 700.
60 Voir la contribution d’Estelle Berthereau, « Pierre-Sébastien Laurentie aux origines de l’Encyclopédie du xixe siècle : penser et réécrire les sciences catholiques », dans ce volume.
61 Grille François-Joseph, 1853, Miettes littéraires, biographiques et morales, livrées au public, avec des explications, Paris, Ledoyen, vol. 2, p. 293‑307 (qui cite un rapport du 17 février 1829).
62 « Lettre du 18 septembre 1829 », Archives de la bibliothèque de l’Institut de France, fonds Cuvier, ms 3326/3.
63 Alletz Édouard, 1826, Essai sur l’homme, ou accord de la philosophie et de la religion, Paris, Le Clere ; Gerbet Philippe, 1826, Des doctrines philosophiques sur la certitude, dans leurs rapports avec les fondements de la théologie, Paris, Mémorial catholique ; Laurentie Pierre-Sébastien, 1826, Introduction à la philosophie, ou traité de l’origine et de la certitude des connaissances humaines, Paris, Méquignon junior.
64 Palmer Robert R., 1993, From Jacobin to Liberal: Marc-Antoine Jullien, 1775-1848, Princeton, Princeton University Press ; Di Rienzo Eugenio, 1999, Marc-Antoine Jullien de Paris (1789-1848): una biografia politica, Naples, Guida ; ainsi que le chapitre de Barbara Revelli dans le présent volume.
65 Rancière Jacques, 2004 [1987], Le maître ignorant : cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, 10/18.
66 Les idées de Jacotot sont critiquées aussi bien dans le Bulletin que dans la Revue encyclopédique.
67 En avril 1820, l’Histoire naturelle que Férussac publie à la suite de son père fait l’objet d’un commentaire élogieux par Anselme Gaëtan Desmarest dans la Revue encyclopédique, n° 6, 1820, p. 59-67.
68 AN, Paris, F/17/13554.
69 Audebert de Férussac (baron d'), 1819, De la nécessité de fixer et d’adopter un corps de doctrine pour la géographie et la statistique, avec un essai systématique sur cet objet, et des programmes pour des cours sur ces deux sciences, dans leur application à l’art de la guerre, Paris, Magimel, Anselin et Pochard.
70 Cournot Antoine Augustin [édité par Bernard Bru et Thierry Martin], 2010, Écrits de jeunesse et pièces diverses. Œuvres complètes, tome xi, vol. 1 et 2, Paris/Besançon, Vrin/Presses universitaires de Franche-Comté, permet de documenter précisément l’activité de l’un des contributeurs au Bulletin.
71 Yeo Richard, Encyclopaedic Visions, op. cit.
72 Voir la présentation qui en est faite en avril 1830 dans la Revue encyclopédique, n° 46, p. 256.
73 Fressoz Jean-Baptiste et Locher Fabien, 2015, « Régénérer la nature, restaurer les climats : François-Antoine Rauch et les Annales européennes de physique végétale et d’économie publique, 1815-1830 », Le Temps des médias, vol. 25, n° 2, p. 52-69.
74 Chappey Jean-Luc, 2006, « Héritages républicains et résistances à “l’organisation impériale des savoirs” », Annales historiques de la Révolution française, n° 346, p. 97‑120.
75 Chaline Jean-Pierre, 1998, Sociabilité et érudition : les sociétés savantes en France xixe-xxe siècles, Paris, Éditions du CTHS ; Parisis-Barubé Odile, 2011, La province antiquaire. L'invention de l'histoire locale en France (1800-1870), Paris, Éditions du CTHS, notamment p. 32-36 : « L'érudition au péril du modèle de “l'Encyclopédie vivante” ».
76 Juhel Vincent (dir.), 2004, Arcisse de Caumont (1801-1873) : érudit normand et fondateur de l’archéologie française, Caen, Société des antiquaires de Normandie.
77 Vincent Julien, 2016, « Commisération publique et véritable indigence : les mémoires du concours de 1818-1819 à l'Académie de Lyon », Mémoires de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, 4e série, vol. 16, p. 219-236.
78 Plongeron Bernard (dir.), 2001, L’abbé Grégoire et la république des savants, Paris, Éditions du CTHS.
79 Audebrt de Férussac (baron d'), 1829, De la nécessité d’une correspondance régulière et sans cesse active entre tous les amis des sciences et de l’industrie, Paris, Didot, p. 3.
80 Sur le tournant de 1834-1835, voir le chapitre de Vincent Bourdeau dans ce volume.
81 Fox Robert, 1980, « Learning, politics and polite culture in provincial France: the sociétés savantes in the nineteenth century », Historical reflections/Réflexions historiques, vol. 7, n° 2/3, p. 543-564.
82 Rosanvallon Pierre, 1985, Le moment Guizot, Paris, Gallimard.
83 Ce dictionnaire ne vit jamais le jour. Sur la distinction problématique entre la « vulgarisation » et la « popularisation », voir Bensaude-Vincent Bernadette, 2013 [1999], L’opinion publique et la science. À chacun son ignorance, Paris, La Découverte.
84 Sur cette question, voir dans ce volume le chapitre de Carole Christen, « La construction d’un encyclopédisme populaire dans la première moitié du xixe siècle ».
85 Laborde Alexandre (de), 1829, « Manufacture », in Encyclopédie moderne, Paris, Bureau de l’Encyclopédie, vol. 15, p. 556-557.
86 Sur ce point, voir dans ce volume Julien Vincent, « La crise des discours préliminaires ».
87 Ledhuy Adolphe et Bertini Henri (dir.), 1835, Encyclopédie pittoresque de la musique, Paris, Delloye.
88 Forfelier Jules (dir.), 1837-1839, Encyclopédie des lois, Paris, Didot, 7 vol.
89 Girault de Saint-Fargeau Eusèbe (dir.), 1833-1835, Encyclopédie des jeunes étudiants et des gens du monde, Paris, Didot, 2 vol.
90 Gazette des tribunaux, 26 août 1835 ; Dalloz Désiré (dir.), 1836, Jurisprudence générale du royaume, Paris, Bureau de la Jurisprudence générale du royaume, vol. 36, « Deuxième partie : Jurisprudence des cours royales », p. 23.
91 Langlois Claude et Laplanche François, 1992, La science catholique, op. cit., p. 10. Voir, dans ce volume, la contribution d’Estelle Berthereau, « Pierre-Sébastien Laurentie aux origines de l’Encyclopédie du xixe siècle : penser et réécrire les sciences catholiques ».
92 Gohier-Segrétain Claudie, 1996, « Itinéraire d'un bibliothécaire angevin : François Grille, 1782-1853 », Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, vol. 103, n° 1, p. 93-108 ; et Julien Vincent, « La crise des discours préliminaires », dans ce volume.
93 Lerminier Eugène, 1834, « L’encyclopédie à 2 sous et l’instruction du peuple », Revue des deux mondes, vol. iii, n° 1, p. 274.
94 Quoique proche des républicains au début des années 1830, Lerminier n’est pas républicain : voir Navet Georges, 2001, « Eugène Lerminier (1803-1857) : la science du droit comme synthèse de l'histoire et de la philosophie », Revue d'histoire des sciences humaines, vol. 1, n° 4, p. 33-56.
95 Voir, dans ce volume, la contribution de Vincent Bourdeau.
96 Voir, dans ce volume, la conclusion de Carole Christen, « La construction d’un encyclopédisme populaire dans le premier xixe siècle ».
97 Darnton Robert, L’aventure de l’Encyclopédie, op. cit. ; Yeo Richard, Encyclopaedic Visions, op. cit.
98 Reynaud Jean, 1843, « Encyclopédie », in Leroux Pierre et Reynaud Jean, Encyclopédie nouvelle, Paris, Gosselin, vol. 4, p. 794-795.
99 Chappey Jean-Luc et Vincent Julien, 2017, « Une chaire sans intitulé ? Les sciences morales et politiques au Collège de France (1795-1864) », in Feuerhahn Wolf (dir.), La politique des chaires au Collège de France, Paris, Belles Lettres/Collège de France, p. 351‑381.
Auteur
Julien Vincent est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (UMR 8066 CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/École normale supérieure Ulm). Ses recherches portent sur l’histoire des sciences morales et politiques et sur l’histoire environnementale ; son projet actuel porte sur l’économie politique de la terre au xixe siècle.
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