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La Bande noire (1855-1862)

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Laure Didier

Préface. La « Bande noire » sort de l’ombre

Xavier Rousseaux

Texte intégral

  • 1 Clive Emsley, Gendarmes and the State in Nineteenth-Century Europe, Oxford, Oxford University Pres (...)
  • 2 Willy Vandevoir, Magonette et Géna : les brigands ardennais, d'après les documents officiels et le (...)
  • 3 Frédéric Vesentini, Pratiques pénales et structures sociales. L’État belge et la répression du cri (...)

1Produits de « paniques morales » ou réalités conjoncturelles, les vagues de « banditisme » et de criminalité « collective » et « organisée » sont un bon observatoire des rapports entre une société et son État. Nouvel État né en 1830 dans le contexte des révolutions libérales, la Belgique n’échappe pas au phénomène. Les vagues de banditisme surgissent tout particulièrement lors des périodes de troubles politiques et d’insécurité militaire. Ainsi, à la fin de l’Ancien Régime, l’annexion des « départements belges » à la France révolutionnaire est concomitante à l’apparition d’épidémies de brigandage. Ce banditisme demeure endémique sous l’Empire et à la Restauration mais il est largement démantelé par la gendarmerie française, force militaire et territorialisée qui s’exporte dans une partie de l’Europe, comme instrument de lutte contre les brigands1. Dans le Royaume des Pays-Bas, qui succède à l’Empire, ni les soubresauts de Waterloo, ni la révolte contre l’autorité de la maison d’Orange en septembre 1830 ne s’accompagnent d’une « panique morale » sur le banditisme. Ainsi, les derniers brigands de l’Empire, Magonette et Géna ont fini sous la guillotine à Liège en 18212. Le nouvel État belge est cependant confronté à la grande crise agricole de 1844-1847 et ses soubresauts politiques. Cette crise se manifeste par la peur des élites urbaines face aux bandes de chômeurs ruraux descendant sur les villes davantage que par une recrudescence du banditisme urbain. Première crise sociale et politique d’importance pour le nouveau régime belge, elle est endiguée par un appareil répressif actif et souple, soucieux de faire valoir au monde la robustesse d’un État dont la viabilité est contestée par ses puissants voisins3. Rassurant les puissances et rassurée sur son sort, la Belgique connaît alors un développement industriel grâce à la mécanisation du textile, l’extraction de la houille et la métallurgie, favorisés par le développement du premier réseau de chemins de fer du continent européen. C’est dans ce contexte d’industrialisation rapide, que dans les années 1850-1860, une nouvelle figure de brigand apparaît au sud du pays : les délaissés de l’industrialisation. Les brigands de l’Entre-Sambre-et-Meuse utilisent la mobilité nouvelle offerte par le chemin de fer, pour élargir leur terrain d’opération aux confins de trois juridictions, tant dans les villages que dans les bassins industriels en développement. Leur réputation sera rapidement fabriquée par la presse rapportant les attaques et critiquant l’archaïsme des méthodes policières locales. Ils seront cependant capturés par un moyen traditionnel de perspicacité policière, la confidence de la fiancée d’un des voleurs. Ici encore, la menace du banditisme est largement gonflée par une presse représentant les intérêts des classes moyennes et des autorités soucieuses d’affirmer l’efficacité de l’État pour protéger les populations.

  • 4 Voir dans la même collection l’ouvrage de Carole Ledent, Voleurs ou révoltés ? Un réseau de brigan (...)
  • 5 Laure Didier, « Vola tos les voleurs, waito les bin ! ». Banditisme et Justice en Belgique : La Ba (...)
  • 6 Rita Passemiers, Charles Victor de Bavay (1801-1875) : « L’homme de tous les pouvoirs et de tous l (...)
  • 7 Jérôme de Brouwer, Un peuple civilisé n'use du dernier supplice qu'avec répugnance ». La peine de (...)

2C’est à un épisode de ce banditisme que Laure Didier consacre ce livre. Tout est parti d’un séminaire d’histoire du droit et de la justice mené à l’UCL en 2007-2008 [sur le banditisme]. Sur base des dossiers du séminaire, à l’instar de sa collègue Carole Ledent pour le banditisme révolutionnaire4, Laure Didier consacra son mémoire de maîtrise à reprendre le dossier de la « Bande noire »5. Si les bandits font partie de l’imaginaire national de nombreux pays, à l’instar de Mandrin et Cartouche en France, en Belgique leur place reste floue et fluctuante dans le récit national. Baekelant et Moneuse furent des prédateurs de la frontière franco-belge tandis que Magonette et Géna nourrissent l’imaginaire de l’Ardenne liégeoise. Charles de Loupoigne et Coucke et Goethals sont moins réputés pour leurs actions brigandes que pour leur posture présumée de résistants à la domination. Catholique d’Ancien Régime, le brabançon wallon Loupoigne (Charlepoenj) fait l’objet d’une mémoire (brabançonne), autant flamande que wallonne, de Chouan résistant à la Révolution sans dieu ; tandis que Coucke et Goethals sont devenus des primitifs de la révolte culturelle de la Flandre, malmenée par la première révolution industrielle et ses élites « fransquillonnes ». C’est dans ce contexte de mémoire folklorisée et politisée qu’un procès célèbre mais méconnu est revisité. En combinant l’analyse des divers dossiers judiciaires : procès en assises de Coucke et Goethals et de la « Bande noire », dossier du parquet général constitué par le Procureur général de Bavay, avec la presse nationale et régionale, un portrait plus complexe, plus critique et plus problématique de l’aventure de la bande émerge sous la plume de l’auteure. Les principales facettes de l’affaire sont revisitées. Tout d’abord la reconstitution minutieuse des attaques brigandes, de leurs cibles, leur modus operandi et leurs victimes, dont la veuve de Couillet. Ensuite la construction progressive d’une médiatisation, à travers le rôle encore balbutiant d’une presse largement bourgeoise. Les dynamiques de l’enquête sont scrutées attentivement, tout comme les réponses hésitantes d’un appareil policier et judiciaire, peu habile à traquer des bandes protéiformes et mobiles, mais également la place de la chance et de la subtilité des individus. Enquête et instruction mettent en lumière moins la difficulté de trouver les coupables, que d’établir avec certitude les preuves de la responsabilité individuelle dans les attaques collectives. Enfin, la caisse de résonance du procès de 1862, qui scella le sort des brigands, mais sema le doute sur la responsabilité réelle des exécutés du premier procès de l’affaire de Couillet en 1860 : les « flamands » Coucke et Goethals. Ancrant le doute sur la mécanique bourgeoise des Assises, l’affaire de la « Bande noire » accentuera la montée du courant favorable à l’abolition de la peine de mort, surtout en raison de la position médiatique et intransigeante du Procureur de Bavay6, qui monta lui-même en première ligne dans le procès. S’ils ne furent pas les derniers exécutés belges, les « wallons » Boucher et Leclercq contribuèrent à leur corps défendant à la suspension des exécutions capitales après qu’un autre « bandit », Karel Kesteleyn, désigné comme le chef de la « Bande rouge » eut été guillotiné à Bruges en 18637.

3En croisant les sources et en abordant de manière critique les reconstructions et les instrumentalisations de l’affaire, l’ouvrage prend distance avec la « littérature de crime ». Par son enquête minutieuse, l’auteure éclaire la fonction sociétale de cet événement historique qu’est une « affaire criminelle », où fascinée par les ressorts de l’acte criminel, une société se saisit d’une histoire sordide du passé pour distribuer une leçon morale au présent du moment.

  • 8 Edward Muir, Guido Ruggiero (ed.), History from crime, Baltimore, John Hopkins University Press, 2 (...)

4En invitant à replacer une affaire et ses discours successifs dans la complexité de ses contextes social, politique et judiciaire, ce travail passionnant fait œuvre salutaire et contribue à enrichir l’histoire d’une société, en l’occurrence la Wallonie en phase d’industrialisation, lue à travers le prisme d’une aventure criminelle et des réactions qu’elle suscite8.

Notes

1 Clive Emsley, Gendarmes and the State in Nineteenth-Century Europe, Oxford, Oxford University Press, 1999 ; Michaël Broers, Napoleon's Other War. Bandits, Rebels and their Pursuers in the Age of Revolutions, Oxford, 2010 ; Aurélien Lignereux, Servir Napoléon. Policiers et gendarmes dans les départements annexés (1796-1814), Paris, Champ Vallon, 2012.

2 Willy Vandevoir, Magonette et Géna : les brigands ardennais, d'après les documents officiels et les légendes locales, s. l., Steinmetz et fils, 1935.

3 Frédéric Vesentini, Pratiques pénales et structures sociales. L’État belge et la répression du crime en temps de crise économique (1840-1860), Louvain-la-Neuve, Academia, 2006, (Temps et Espaces, n° 4).

4 Voir dans la même collection l’ouvrage de Carole Ledent, Voleurs ou révoltés ? Un réseau de brigands brabançons devant la justice française (1799-1804), Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011.

5 Laure Didier, « Vola tos les voleurs, waito les bin ! ». Banditisme et Justice en Belgique : La Bande noire de l'Entre-Sambre-Meuse devant la Cour d'assises du Hainaut (1855-1862), Louvain-la-Neuve, 2009 (Université catholique de Louvain, Mémoire de maîtrise en histoire).

6 Rita Passemiers, Charles Victor de Bavay (1801-1875) : « L’homme de tous les pouvoirs et de tous les ministères ». Proeve tot biografie van een parketmagistraat uit de XIXste eeuw, Gand, 1974 (Université de Gand, Mémoire de licence en histoire, inédit).

7 Jérôme de Brouwer, Un peuple civilisé n'use du dernier supplice qu'avec répugnance ». La peine de mort en Belgique au 19e siècle, Louvain-la-Neuve, 2009, p. 278-286 (Université catholique de Louvain, thèse de doctorat en histoire, inédite).

8 Edward Muir, Guido Ruggiero (ed.), History from crime, Baltimore, John Hopkins University Press, 2004.

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