1La rencontre des chercheurs italiens et des chercheurs français pour mener ensemble une réflexion sur l’état actuel des études de géographie sociale et une comparaison des itinéraires respectifs de recherche est, pour moi, importante. La géographie sociale et la géographie culturelle ont représenté une tradition historique pour l’École française, dont les contenus ont progressivement changé et se sont amplifiés avec la transformation de la société et la diversification de la structure sociale de l’espace. Dans la culture géographique italienne, l’itinéraire a été différent ; il est moins facile de repérer dans la bibliographie de ces deux dernières décennies (au moins) un parcours absolument constant et cohérent. Dans ce sens, on peut espérer que la rencontre de Parme constitue le point de départ d’un regain d’intérêt pour approfondir des questions géographiques et accorder une attention particulière aux dynamiques de la société, tant à l’échelle locale ou régionale qu’à l’échelle continentale ou mondiale.

2Aujourd’hui, devant la structure socio-économique du monde, toujours plus complexe (à cause des interpénétrations entre facteurs démographiques, économiques et culturels), que l’on a désormais convenu d’englober synthétiquement dans le terme de « mondialisation », l’analyse sociale est devenue fondamentale et transversale pour n’importe quel type d’enquête, au-delà des étiquettes disciplinaires. La rencontre de Parme a sollicité un dialogue entre chercheurs, porteurs d’expériences et d’intérêts différents liés aussi bien à des phénomènes sociaux stratifiés dans des domaines spécifiques qu’à des dynamiques particulièrement significatives au niveau territorial et économique, desquelles proviennent des conséquences tout aussi importantes dans la construction de combinaisons sociales, qualitativement et quantitativement, novatrices.

3La ville, en particulier, est devenue de nouveau un observatoire privilégié pour les transformations qui touchent le système socio-économique à l’échelle mondiale. Tandis qu’Ernesto Mazzetti insiste sur l’amplification des différences dans le développement urbain entre les villes des pays du « Nord » et celles des pays du « Sud », Petros Petsimeris insiste lui sur l’amplification des déséquilibres internes aux villes et sur la division sociale des espaces. Tous deux dans une orientation d’alarme générale sur les conditions de vie dans les villes, gérées par une complexité qui génère des coûts socio-économiques souvent insoutenables.

4Ce texte veut également poser la transition urbaine au centre d’une réflexion de géographie sociale, en partant de la constatation que, dans les espaces urbains, compétition et relations d’affaires ont progressivement remplacé les relations sociales traditionnelles transformant le citoyen résidant en city user.

5Les villes (en particulier dans les pays où l’accélération du développement économique a déclenché des processus d’urbanisation massive, comme la République de Chine ou les Émirats arabes unis) sont aussi les lieux où de nouvelles tendances urbaines et architecturales sont expérimentées. Cela se produit principalement en correspondance avec des événements de grande portée autour desquels on fait la course pour réaliser tous les « monuments » urbains possibles en recourant au – ce que l’on nomme dans le domaine de l’urbanisme et de l’architecture – star system international des designers. Flux migratoires, nouveaux niveaux de pauvreté urbaine, problèmes de logement et d’utilisation des services sociaux sont quelques-uns des éléments forts qui caractérisent non seulement les grandes métropoles des pays en voie de développement, mais aussi les petits et moyens centres urbains des pays industrialisés. Ces scénarios (avec toutefois des différences imposées par la société immatérielle du XXI^e siècle) ne diffèrent pas beaucoup de ce qui s’est avéré dans le passé proche ou lointain de l’histoire urbaine.

6Plus les villes se développent, s’internationalisent, se requalifient, plus les dynamiques urbaines semblent animées non pas tant par des exigences dictées par l’augmentation de la population, mais plutôt par la spéculation foncière et les intérêts économiques. La dynamique exponentielle des valeurs immobilières finit par rendre prohibitives et inaccessibles certaines zones de la ville à la plupart des citadins, favorisant une croissance de la ségrégation sociale et spatiale, qui, combinée à l’étalement suburbain, contribue à modifier la perception et l’utilisation de la ville par la population. Le concept même de l’espace public est modifié par de nouvelles structures d’agrégation sociale périphériques et par le réseau de voies de communication, principalement externe aux centres-villes, qui, facilitant la circulation dans les anneaux des rocades, en limitent l’accès. Les centres-villes, eux, pour des raisons de préservation du patrimoine historique et culturel et à la suite de l’application de la réglementation environnementale, sont soumis à des mesures de restrictions de circulation visant à décourager la population à utiliser leur véhicule. Il en résulte un changement inévitable qui, s’il n’est pas géré correctement par les administrations locales, peut générer à son tour d’autres problèmes socio-économiques.

7La ville est donc encore une fois protagoniste et symbole de profondes contradictions : elle reste le lieu de référence le plus recherché, celui qui offre les plus grandes possibilités, mais dans lequel, de façon croissante, les individus ne se reconnaissent plus membres d’une collectivité sociale. Ce qui finit par provoquer inquiétude, solitude et surtout une crise sociale plus dévastatrice, en particulier pour les populations les plus vulnérables.

8Qu’est-ce que la ville contemporaine et que représente-elle ? Quelle ville voudrions-nous pour vivre dans un environnement de haute qualité ? Comment perpétuer ou retrouver l’identité perdue que nous reconnaissons dans les villes historiques et que nous voudrions valoriser en jouissant uniquement des aspects positifs et en faisant table rase de tous les aspects négatifs ? Que peuvent faire les politiques urbanistiques pour adapter les structures urbaines aux nouvelles fonctions et aux nouveaux citoyens ? Comment parvenir à la durabilité urbaine dans un monde qui, selon de nombreux spécialistes, se rend à grands pas vers l’entropie du système ?

9Avant de faire des propositions ou d’identifier des politiques alternatives, il est indispensable de mener à tous les niveaux une réflexion approfondie sur le fonctionnement de l’espace urbain contemporain et sur le type de ville que nous devrions proposer pour vivre dans un environnement de qualité.

Les dilemmes de la ville étendue

10L’élément le plus frappant pour l’ensemble des observateurs est constitué par les caractéristiques de la morphologie urbaine actuelle, toujours plus étendue et plus fragmentée, qui entraîne une dissociation croissante entre les lieux de résidence, de production et de consommation. Cette dissociation génère une crise dans le système des transports : elle dilate les installations résidentielles non pas seulement sur la base des choix, des préférences et des exigences personnelles, mais surtout sur une recherche constante de valeurs foncières et de types d’immobiliers accessibles. Elle ouvre de graves crises foncières dues au déséquilibre territorial entre les entrées financières et les institutions offrant des services. Elle provoque une nouvelle multipolarité urbaine fonctionnelle en perpétuelle transformation et extension. En outre, les prix des logements dans les zones périurbaines et périphériques proches touchées par l’expansion des centres chef-lieu (en raison d’une demande croissante) subissent les influences de la spéculation foncière. Ils finissent donc par s’aligner eux aussi sur les prix du centre urbain dominant et annulent, par conséquent, l’avantage économique initial qui avait favorisé le déplacement vers l’extérieur de la ville.

11L’expansion urbaine progressive (avec la dispersion résidentielle consécutive) entraîne une inévitable augmentation de la mobilité, déclenchant des conséquences négatives sur l’environnement et sur la durabilité des infrastructures. Le saupoudrage territorial du bâti entraîne non seulement une augmentation progressive des coûts généraux, mais surtout une progression des divisions sociales. En effet, dans les zones périurbaines se produit un affaiblissement inéluctable des lieux d’agrégation sociale.

12De plus en plus éloignés des lieux traditionnels de socialisation (la rue, la place, le marché), les citadins finissent par perdre de vue la valeur de l’identité sociale, qui nécessite, au contraire, des repères stables. Parallèlement, le développement d’établissements destinés aux activités tertiaires commerciales pour les loisirs et les divertissements dans des espaces déconnectés du contexte territorial (à proximité des grands axes routiers de pénétration et des périphériques plus extérieurs) a contribué à l’identification d’autres « symboles urbains ». Symboles différents, variables et peu durables, mais entrés dans le style de vie urbaine se substituant à ceux de la tradition. Désormais, depuis plusieurs années, en Italie aussi, les centres commerciaux, les discothèques et les parcs à thème signalent la limite des principales aires urbaines. Les nouveaux pôles développent des formes d’attraction diversifiées à l’égard des utilisateurs et des temps d’utilisation, mais toutes s’appuient également sur le rôle de premier plan du transport automobile individuel.

13Les effets de ces transformations sont dévastateurs pour les catégories les plus vulnérables : l’accès à ces installations, qui se répandent comme une traînée de poudre en dehors des villes, nécessite de posséder un moyen de transport privé. Ces effets sont aussi négatifs pour la classe moyenne car ils génèrent une augmentation significative des coûts et font croître les flux en provenance et en direction de la ville afin de se rendre dans les services résiduels mais fondamentaux qu’offre encore le centre-ville. Ils sont par contre positifs pour les entreprises qui fournissent des services tertiaires. Elles trouvent dans ces nouvelles zones d’urbanisation de plus grands espaces pour les entrepôts et les parcs de stationnement, indispensables pour les centres commerciaux et les magasins de grande distribution, mais aussi pour les cinémas multisalles, les discothèques et les aires de restauration et de divertissement. Mais elles peuvent surtout gagner sur le différentiel foncier par rapport aux zones centrales des villes1.

La planification urbanistique et le problème de logements

14L’écart croissant entre les ressources des ménages et la tendance des valeurs immobilières a augmenté progressivement pour atteindre un seuil critique surtout dans certains contextes territoriaux.

15Les difficultés d’accès au logement et les coûts de son maintien constituent dans les communautés urbaines d’aujourd’hui un des problèmes sociaux les plus importants. Ces dernières années, des solutions semblaient à portée de main grâce à l’utilisation massive de crédits et de prêts immobiliers. Cependant, ces derniers mois et pas seulement en Italie, la dette des ménages a atteint des niveaux insoutenables, combinés à la diminution du pouvoir d’achat et à l’augmentation du coût de la vie, a réduit la solvabilité de nombreuses familles, provoquant des difficultés du système bancaire (en particulier aux États-Unis) et une diminution de l’accès au crédit immobilier.

16On assiste de plus en plus à une diffusion du problème de logement accompagnée d’une augmentation du poids économique dans le choix de la localisation résidentielle. Pour l’avenir, il est probable que l’imbrication des modifications socio-économiques, actuellement en cours, rendra encore plus changeante la priorité habitative, qui a déjà provoqué des déséquilibres dans le système d’aménagement à l’échelle communale ou extra-communale. L’impact social de cette situation est complexe. Le nouvel écart entre le lieu de résidence et le lieu de travail, qui se développe désormais sur un vaste territoire à l’échelle extra-communale, a un effet significatif sur la qualité de vie des populations et sur le système global de durabilité de l’environnement.

17Il est donc extrêmement important que les outils de planification articulent, dans le cadre de l’évaluation du patrimoine habitatif nécessaire, les possibilités d’accès au logement (identifiées à l’aide d’une analyse socio-démographique appropriée), selon une logique de « pianificazione di area vasta »2. On doit aussi mettre au point des moyens pour individualiser les éventuels bénéficiaires des interventions publiques, qui devront être adaptées et rendues opérationnelles rapidement. Enfin, le système de planification doit saisir l’évolution du système territorial de façon à garantir des mesures efficaces capables de s’adapter aux rapides transformations des ressources de la population ainsi que des valeurs immobilières du marché local3.

La ville durable et requalifiée

18Ces dernières années, les planificateurs et les administrateurs locaux font preuve d’une attention croissante à l’égard de l’expérimentation de modèles de développement urbanistique axé sur la requalification, la récupération et la réorganisation de l’expansion des aires urbanisées. Le même système réglementaire européen, national et régional affirme de plus en plus la nécessité d’une approche intégrée du développement urbain, dont la centralité n’est pas tant de réguler le projet de transformation que d’affirmer sa plus forte qualité sociale et environnementale.

19La planification environnementale tend encore néanmoins à se superposer et non à s’intégrer à la planification urbanistique. Quant aux interventions pour l’amélioration de la qualité environnementale et sociale du développement, elles maintiennent plutôt un caractère réparateur (qui cherche à atténuer les effets néfastes des tendances immobilières et des activités anthropiques) qu’une attitude de prévention vis-à-vis d’éventuelles conséquences négatives.

20À la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008, l’opinion publique nationale et internationale a été choquée par les images des immenses tas d’ordures amassés dans les rues des villes de Campanie, à cause d’un problème lié à la carence et au manque d’efficacité des institutions locales et centrales quant à la gestion des déchets urbains. Problèmes non résolus, investissements non réalisés, financements publics gâchés sont régulièrement la source de difficultés et de catastrophes environnementales. Ils deviennent aussi le moteur de situations de dégradation environnementale et sociale dans les villes jusqu’à en arriver à des épisodes de véritable « guérilla urbaine ».

21Dégradation générale, problèmes de logement associés à des difficultés socio-économiques ne constituent pas en soi des facteurs distincts : ce sont l’expression et la conséquence d’une structure urbaine qui n’a pas réussi à s’adapter au changement. Le problème même de la sécurité urbaine, entendue dans son acception la plus générale de « bien public », peut être appréhendé selon différentes approches. Il peut être perçu comme security en référence à la sécurité obtenue grâce à des mesures de protection ou comme safety à travers la réalisation d’un contexte physique dans lequel le citadin est à l’aise et où des relations sociales équilibrées se réalisent dans un climat général de sérénité4. Selon les cas, les périphéries urbaines représentent tantôt des ressources tantôt des handicaps pour le système administratif local. Tout dépend de la considération qui leur est réservée : franges marginales, rejetées du centre-ville plus riche et plus international ou véritables laboratoires de nouvelles formes d’organisation des espaces dans lesquels réaliser des projets d’utilisation du sol plus innovants ? Même le débat sur la qualité urbaine est actuellement encore très fragmenté et cloisonné dans l’administration publique. Mais ce débat reste très ambigu, car la qualité urbaine est souvent considérée comme un banal problème de manutention ou de mobilier urbain, sans percevoir la grande valeur de la dimension socio-culturelle. Les Agenda 21 locaux, par leur application, risquent de « récupérer » de la place sans réussir à comprendre la clé du renouvellement des modèles de governance à construire grâce à une participation directe des citoyens, de leurs organisations économiques et sociales dans le but d’un gouvernement informé et responsable. La décision participative constitue une opportunité essentielle pour une planification urbanistique correcte et sans préjudice. Elle contribue même à renforcer le pouvoir des représentants institutionnels.

22La durabilité est une tendance, un point de repère – à bien des égards – utopique. Il s’agit d’une route à parcourir à travers la gestion de l’urbanisation et la gestion territoriale : en somme, un mécanisme d’identification des données de la réalité et des éléments prévisionnels, lucide dans le projet, efficace dans le contrôle, adapté dans les buts et les moyens et flexible face aux changements continuels et toujours plus rapides du système socio-économique et environnemental. Mécanisme alimenté depuis toujours par de nouvelles contributions en termes d’études et de projets.

23Le terme même de « requalification » ne peut pas être limité à la simple récupération urbaine et encore moins au renouvellement immobilier ou à la simple restauration architecturale de bâtiments, même si ces actions peuvent constituer la partie la plus évidente du programme global de régénération. La « requalification urbaine » comprend des opérations très différentes. Dans ce sens, il n’est pas possible d’identifier un seul type ou modèle de référence. Chaque administration locale peut avoir sa propre interprétation, mettant l’accent sur l’un ou l’autre des aspects du problème, afin de mieux saisir l’action de « requalification » qu’elle entend poursuivre. Elle ne peut pas se limiter par exemple à la seule amélioration de l’architecture ou à la seule relance immobilière et financière ou encore à la seule rationalisation d’infrastructures… Même si la qualité architecturale de l’intervention peut être en soi importante, des choix opportuns et articulés doivent être effectués pour que la « requalification » puisse être un outil stratégique et effectif, capable d’associer des initiatives de plusieurs acteurs et d’attirer de nombreux intérêts économiques, des financements publics et des fonds privés. Son but principal est de générer une qualité urbaine renouvelée, en récupérant des aires et des bâtiments abandonnés, en comblant les « vides urbains » et en les transformant avec un projet urbanistique et architectural approprié. Ce dernier doit bien sûr tenir compte de la complexité paysagère, historique, socio-économique du lieu, y insérer de nouvelles fonctions et surtout esquisser une spirale de développement et de renouvellement de toutes les activités concernées.

24L’urbanisme italien, au début des années 1990, est finalement entré dans une phase innovatrice, même si les effets sont encore loin d’être vérifiés. La discipline n’a pas encore atteint un code généralement admis et appliqué. De nouveaux outils opérationnels ont toutefois déjà été identifiés et on observe une volonté commune de la part de la classe politique de changer de vitesse et de s’attaquer aux problèmes de façon différente.

25Dans cette nouvelle phase, de nombreuses mesures se sont progressivement mises en place, facilitant l’application de procédures non ordinaires et l’adoption d’instruments de concertation novateurs : des « contrats de quartier » aux PRUSST (Programmi di Riqualificazione Urbana e Sviluppo Sostenibile del Territorio5), en passant par les programmes URBAN activés par la Communauté européenne en 1994 et orientés vers les questions de pauvreté urbaine et de ségrégation résidentielle. Le nouveau système d’urbanisme, qui prévoit des synergies économiques et contractuelles entre le public et le privé, et même l’intervention de sociétés de transformation urbaine, a contribué à constituer un moteur supplémentaire pour accélérer la réalisation de projets avec une moindre dépense de l’argent public et une réussite globale des programmes entrepris.

26Aujourd’hui, vingt ans plus tard, nous sommes en mesure de vérifier l’application des programmes de requalification et leurs effets dans la nouvelle façon de « faire la ville » et dans leurs apports au paysage urbain (à ses formes, à leurs modifications et à leurs significations). Ces programmes ont-ils constitué de véritables occasions de qualification du paysage ou au contraire la relation avec le paysage s’est-elle produite de façon marginale ? Que s’est-il passé dans les autres parties de la ville, les parties voisines des zones soumises à la requalification ? Quels ont été les reflets sociaux sur la structure urbaine globale ?

27Certes, la synergie public-privé favorise globalement l’iter de la réalisation des initiatives, notamment les plus complexes et les plus onéreuses. Les procédures d’attribution des projets ne trouvent toutefois pas toujours un contrôle suffisant :

• du point de vue de leur qualité et de l’impact sur les « pré-existences urbaines » des nouveaux complexes construits (entraînant des résultats parfois inefficaces et incorrects)
• et du point de vue de la cohésion entre les zones requalifiées et le reste du territoire urbain.

28Les conséquences sociales que chaque transformation urbaine engendre nécessairement doivent attirer l’attention. Dans la ville contemporaine, de nombreuses communautés caractérisées par des modes de vie plus structurés cohabitent de façon toujours plus massive et essayent de trouver, dans les différentes façons de s’installer, une expression originale de leur propre identité socio-culturelle. Les différentes formes d’installations humaines sont le résultat non seulement des particularités matérielles du territoire, de leur localisation géographique et des événements historiques qui les ont façonnées, mais surtout des spécificités culturelles du milieu local, grâce auxquelles et à l’égard desquelles les habitants conçoivent leur propre identité et leur sentiment d’appartenance.

29La requalification, en tant que processus à travers lequel promouvoir la cohésion sociale, ne doit pas être confondue avec une simple question d’esthétique ou de style. Récupérer la qualité urbaine à l’aide d’opérations de restructuration, principalement basées sur le restyling, sans tenir compte des relations entre les bâtiments rénovés et les spécificités du site (ressources locales et réseau historique), dans lequel la vie des habitants prend son sens, équivaut à poser les fondements d’une série de dommages et de spéculation. La rénovation urbaine doit pouvoir influencer le plus complexe des systèmes des rapports sociaux. La simple substitution ou nouvelle construction de « bouts » de ville, obtenue par la récupération de zones abandonnées, d’installations obsolètes, d’espaces dégradés, ne peut pas toute seule influer positivement sur la requalification socio-culturelle des citadins. Le problème de fond est de comprendre a priori et d’évaluer avec soin si une intervention de régénération est capable de créer des bénéfices utilisables par la population entière ou si cette intervention provoque seulement une substitution sociale (à cause de la requalification immobilière) et surtout un avantage économique pour les investisseurs.

30Le thème n’est pas facile à résoudre. La cohésion sociale ne peut pas être obtenue en dehors d’un milieu urbain rénové et de qualité. En l’absence d’une qualité de vie adéquate, ce n’est pas possible de favoriser le sentiment d’appartenance de la population à un territoire : condition indispensable pour sa valorisation globale. Par ailleurs, il est implicite que chaque opération de renouvellement doit passer par l’action de promoteurs immobiliers dont les intérêts ne coïncident pas souvent avec les besoins des habitants ; ils investissent avant tout en prévision d’un retour économique rentable. La requalification immobilière produit une substitution sociale vers le haut et peut enclencher un processus de sélection et d’exclusion qui peut amplifier la fragmentation sociale de l’espace urbain. Le changement social s’accompagne inévitablement d’un changement de la demande de services (tant publics que privés) qui devient plus spécifique et plus sophistiquée. On observe également une plus grande exigence quant à la qualité des espaces publics, qui, si elle est avérée, entraîne une spirale croissante des valeurs.

La dimension sociale de la requalification urbaine

31Les changements, en général, ne se produisent pas de façon neutre vis-à-vis des intérêts de la population. Comme nous l’avons rappelé, les tendances récentes de désurbanisation, avec l’augmentation à l’intérieur des villes des city users et l’affaiblissement simultané de la fonction résidentielle, nuisent aux catégories sociales les plus faibles. Leurs besoins ne résistent pas aux dynamiques économiques mises en mouvement par la demande exprimée de services de qualité, destinés à la masse croissante de consommateurs de passage dans les centres-villes.

32Cet aspect est extrêmement risqué pour les dynamiques sociales urbaines. D’un côté, les catégories les plus faibles, qui se sentent marginalisées ou pas suffisamment considérées au sein du processus de croissance de la ville, peuvent prendre parti l’une contre l’autre, provoquant une spirale de « tribalisation urbaine »6. De l’autre, se sentant trahies par les institutions et voyant mis de côté leurs besoins sociaux en fonction d’un projet de marketing urbain plus général, elles peuvent perdre leur sentiment d’appartenance et donner libre cours à toute manifestation d’intolérance pouvant éventuellement dégénérer en troubles, violence et criminalités.

33La requalification urbaine, si elle est interprétée correctement, devrait modifier ce parcours et tenter de corriger la tendance à la substitution sociale, à travers une série complète de politiques réalisées en synergie. La philosophie du projet devrait considérer le contexte urbain de l’intervention (aspects physico-fonctionnel, économique, immobilier et social) de façon à ce que les investissements ne soient pas avantageux seulement pour les opérateurs immobiliers, mais qu’ils aient un effet positif général, avec une attention particulière à l’égard des habitants précédents.

34Déjà observé, le processus de requalification implique, inévitablement, un mécanisme de substitution sociale. La dégradation urbaine et la dégradation immobilière sont en fait toujours étroitement liées – cause et conséquence en même temps – à la dégradation sociale. Après une intervention globale, il est difficile que l’ensemble de la population reste dans le même quartier et dans la même habitation7. Le projet de transformation devrait s’organiser de façon à atténuer l’effet d’expulsion, à assurer une articulation socio-économique appropriée du quartier et à prévoir des soutiens spécifiques à ceux qui doivent partir.

35Les villes sont des milieux très hétérogènes et leur vitalité dépend beaucoup du niveau d’harmonie sociale entre les différentes communautés. Les lieux qui consentent le maintien des diversités deviennent plus riches du point de vue perceptif et culturel et sont, par conséquent, plus aptes à surmonter les problèmes qui peuvent découler d’opérations urbanistiques incorrectes. Dans ce cas, l’espace public acquiert valeurs et signification pour un large éventail de groupes sociaux. Ils s’en sentent partie intégrante, le vivent car il est accessible, ouvert aux changements et répondant aux idéaux ; ainsi, ils réussissent à le façonner selon les besoins du changement. Si, au contraire, la pratique urbanistique se fragmente en une série d’opérations aléatoires et mal articulées, si elle perd de vue les relations fondamentales entre communautés et environnement, si elle oublie qu’à la base d’une communauté il y a toujours le binôme espace-population, la ville finit par devenir un banal ensemble d’éléments qui n’est pas capable d’être réglé et encore moins de se régler, car les habitants ne sont plus liés par une identité spatiale commune. Ils perdent tout intérêt pour l’espace dans lequel ils vivent, ils ne le considèrent plus comme le leur, ils ne le contrôlent plus et ils ne se sentent même plus impliqués dans son développement futur.

36Un automatisme facile pour lequel le renouvellement spatial portait à l’amélioration de la cohésion sociale est bien entendu obsolète. En réalité, le risque est que les demandes du marché, orientées à donner une réponse aux nouveaux utilisateurs de la ville, guident les politiques des interventions vers des solutions plus avantageuses en termes d’image et de retours économiques (liés à la promotion tournée vers l’extérieur des villes) plutôt qu’aux intérêts quotidiens des citadins. Le résultat global est la dégradation des relations sociales entre les habitants. Il convient de rappeler que les niveaux croissants d’intolérance, de méfiance et d’individualisme, qui peuvent conduire à un sentiment d’insécurité et de malaise à l’égard de l’environnement urbain, sont le résultat d’une culture collective de moins en moins disponible à la solidarité, à la redistribution et à l’accueil.

37Alors que le territoire se suburbanise, les villes voient augmenter aussi bien le nombre d’« indésirables », que de city users et de résidents temporaires qui s’y transfèrent suite au processus d’« anoblissement » des zones centrales, élargissant ainsi les différences sociales entre les deux extrémités.

38Parallèlement, les événements de la ville « spectaculaire » font croître le pouvoir de groupes et d’institutions impliqués dans l’aspect économique des opérations, mais pas toujours intéressés à l’application de processus de développement partagé par toute la communauté. Ils imposent leurs propres choix à une administration locale qui, le plus souvent, n’est pas en mesure de les contrer avec une capacité effective de dialogue. La compétition d’aujourd’hui conduit à mettre l’accent sur les systèmes forts, les œuvres majeures, les grands événements représentatifs du pouvoir de la science et de la technologie. Plus la mondialisation pousse les individus et les villes à la compétition afin d’atteindre des objectifs toujours plus avancés et plus élevés, plus se créent des différences entre inclus et exclus, entre développement et sous-développement, entre citadins qui jouissent de droits et vivent la ville et sans-abri à la dérive qui la subissent seulement8.

39Pourtant, la mondialisation a besoin des différences. Elles ne doivent pas être annulées, mais favorisées et revalorisées comme éléments clés pour le bien-être général de la société. Que doit-on faire pour améliorer la qualité urbaine, la qualité de la vie, le sentiment d’appartenance et la cohésion sociale ? Est-il plus efficace de promouvoir des initiatives de marketing territorial ou de privilégier des interventions en faveur de la construction de logements sociaux et / ou résidentiels ? Vaut-il mieux « innover les espaces publics et collectifs », en créant des salons au sein de la ville, ou recréer « l’effet-rue » en faisant du shopping le moteur de la rencontre et de la péréquation sociale ? Est-il plus opportun de favoriser la formation d’une communauté à l’intérieur de quartiers ou de petits bourgs recréés dans certaines aires urbaines ou suburbaines ou considère-t-on que cela peut se produire spontanément en posant les bases pour une diversité et une mixité sociale ? Enfin, la cohésion sociale est-elle étroitement liée à la taille des villes ?

40Quel que soit le type de réponses à ces questions, on ne pourra pas faire abstraction d’une politique urbaine qui vise à impliquer pas seulement les grands acteurs du pouvoir économique dans le processus de développement, ou à orienter les initiatives de l’administration vers les groupes sociaux les plus faibles. Mais il sera vital de faire réapproprier les villes par ces citadins, effectivement plus nombreux, même si souvent silencieux, qui en constituent le véritable patrimoine, tant pour leur capacité économique que pour leur présence diffuse dans les milieux les plus différents de la réalité culturelle urbaine et de production du travail. Sans la capacité contributive de cette classe moyenne, les administrations locales9 ne pourraient effectuer aucune action. C’est pourquoi les initiatives urbaines menées devront prêter la plus grande attention aux services appropriés et à une qualité de vie adéquate, indispensables pour récupérer ce sentiment d’appartenance et ce goût de vivre la ville sous tous ses aspects.

41Dans ce subtil mais essentiel jeu d’équilibres entre la satisfaction des contribuables internes et la projection de la ville sur le territoire externe, l’administration locale a sans aucun doute un poids fondamental. Elle doit avoir la capacité et l’habileté à faire coexister l’exigence de la compétitivité dans un scénario de mondialisation économique et la conservation de l’identité locale. Ce n’est que dans le maintien constant d’une tension permanente entre ces deux opposés que l’on pourra préserver le fondement de la ville comme un creuset de différentes cultures et comme source de nouvelles initiatives et de nouveaux projets pour le futur.

Les nouveaux scénarios pour le développement territorial

42Il est difficile dans la complexité du débat sur l’évolution des villes d’identifier des pistes d’action qui mettent d’accord governance, dynamiques de marché et besoins de la population.

43À l’heure actuelle, tout est bon et son contraire. Des thèses qui, hier encore, étaient perçues comme hérésie, aujourd’hui ressorties des tiroirs, deviennent des repères pour l’avenir. Festivals d’architecture, expositions, articles de quotidiens ou de revues à grande diffusion nous parlent régulièrement des villes, de leurs problèmes et des différentes hypothèses de résolutions. De la ville compacte et verticale à la ville verte ; du projet de nouvelles villes et de nouvelles parties de ville au non-projet comme élément de survie.

44Devant la variété de définitions changeantes et devant la complexité des scénarios que la mondialisation économique et technologique nous présente, il devient essentiel, avant même de démarrer des planifications ou des projets de constructions plus ou moins compatibles avec des paysages existants, de réfléchir à la signification et aux conséquences sociales que de telles interventions provoquent. Le principal objectif des politiques urbanistiques et des institutions devra être d’essayer de construire une dimension territoriale urbaine qui possède une identité attractive, capable de durer mais ouverte à la société et à ses problèmes et aux dynamiques sociales en constante et rapide transformation.

45Cette rencontre franco-italienne sur la géographie sociale me semble, dans l’optique des recherches de géographie urbaine dans laquelle j’essaie de travailler depuis longtemps, stimulante pour l’élaboration d’une mise à jour du « catéchisme » qui dicte les règles du nouveau projet de ville pour le futur. Règles qui ne pourront plus être définies, comme dans le passé, par le modèle économique dominant, mais devront être l’expression d’une demande environnementale et d’une vision stratégique orientée vers les besoins des citadins, en termes de bien-être et de qualité de vie. Règles qui expriment de nouveaux concepts transdisciplinaires qui produisent de nouveaux indicateurs sociaux, de nouveaux standards de qualité qui tiennent compte des fonctions biologiques et écologiques du monde vivant. Règles liées à la capacité des systèmes à absorber la pollution, le changement climatique, la consommation d’énergie.

46L’urbanisme appliqué, la géographie humaine et la politique économique ont une responsabilité spécifique dans la clarification des problèmes et dans l’élaboration des projets afin que les difficultés et les opportunités puissent être gérées par les différents gouvernements sur la base de critères qui garantissent un avenir aux dimensions durables. En exorcisant la non-durabilité.