1Le présent article a pour objectif d’appliquer l’un des questionnements du colloque, la comparaison des espaces constitutifs des mondes normands médiévaux, aux actes diplomatiques donnés par les évêques des deux côtés de la Manche. Il ne s’agit pas de fournir une vaste synthèse sur la question – ce qui serait de toute façon impossible en quelques pages – mais plutôt une première approche, sous forme d’aperçu général, d’une question qui reste encore largement à creuser.

2Pour ce faire, le matériau disponible est important, grâce d’abord à l’ambitieux travail d’édition engagé autour des actes épiscopaux anglais depuis plus de trente ans, et qui a maintenant abouti à la publication d’une quarantaine de corpus concernant la majorité des diocèses anglais entre la fin du XI^e siècle et le XIII^e siècle1. En Normandie, un travail important reste encore à faire. Aucun corpus épiscopal n’est encore publié mais trois éditions inédites existent, et les corpus de plusieurs diocèses ou évêques devraient être publiés dans les mois ou les années à venir2.

3La présente étude repose sur un échantillon de la documentation épiscopale anglaise et normande, car il nous était impossible d’étudier en détail tous les actes édités en Angleterre et inédits en Normandie. Pour l’Angleterre, ont été utilisés en particulier les actes des évêques de Salisbury, Coventry-Lichfield, Lincoln et Worcester3, quatre diocèses dont le personnel ecclésiastique cathédral n’est pas sans lien avec la Normandie. Pour cette dernière, le choix s’est logiquement porté sur les actes des évêques de Bayeux et d’Évreux, sur les actes d’Hugues d’Amiens, archevêque de Rouen, ces trois corpus ayant fait l’objet d’éditions dans des thèses ou des mémoires de recherche demeurés pour l’instant inédits4, et sur les actes des évêques de Coutances, en grande partie rassemblés par Paul Le Cacheux, archiviste de la Manche, avant la seconde guerre mondiale5. Pour l’Angleterre comme pour la Normandie, les actes provenant d’autres diocèses ont été ponctuellement intégrés à la réflexion, grâce à l’étude des chancelleries épiscopales anglaises réalisée par Christopher Cheney6 et, pour la Normandie, grâce à la recension des actes épiscopaux réalisée par nos soins et grâce à la base de données SCRIPTA qui met aujourd’hui à disposition plus de sept mille actes normands antérieurs au XIV^e siècle7. Les actes épiscopaux ont été approchés comme un ensemble, sans qu’il soit possible, malheureusement, de distinguer ceux qui ont été rédigés par les chancelleries des évêques de ceux qui ont été rédigés par les bénéficiaires8.

4Par ailleurs, pour évaluer correctement le degré de singularité des actes épiscopaux anglais et normands, il a paru nécessaire de ne pas se limiter à la simple comparaison de ces actes, et d’intégrer à l’analyse quelques observations issues de l’étude d’actes de la France du Nord et de l’espace situé entre Seine et Loire (en particulier le diocèse de Chartres, pour lequel un corpus partiel de trois cents actes a été examiné).

5La période étudiée s’étend du début du XII^e siècle jusqu’aux premières années du XIII^e siècle. L’examen des actes épiscopaux amène à distinguer deux phases chronologiques, la première correspondant aux deux premiers tiers du siècle, et la seconde au dernier tiers. Chacun de ces moments sera traité séparément et fera l’objet d’une conclusion propre, avant une conclusion générale en forme d’élargissement. Pour ne pas alourdir l’ensemble, les grandes lignes de force ont été mises en avant sans multiplier les exemples.

Carrières épiscopales et institutions : des actes rédigés dans un espace « anglo-normand »

6En guise de préalable, on peut souligner que la lecture des actes épiscopaux du XII^e siècle amène naturellement d’abord à constater les similitudes qui existent entre les actes normands et les actes anglais, en particulier dans leurs thématiques et leurs contenus. Cela ne saurait surprendre, dans la mesure où, au XII^e siècle, les institutions ecclésiastiques sont en grande partie les mêmes des deux côtés de la Manche. L’affirmation du pouvoir épiscopal au fil du XII^e siècle, en partie liée au progrès des idées réformatrices et aux vicissitudes que connaît le pouvoir royal, est globalement comparable en Normandie et en Angleterre. Il semble que, dans les deux cas, la mort d’Henri I^er (en 1135) et l’affaiblissement du pouvoir royal et ducal pendant la guerre civile consécutive à cet événement aient favorisé le renforcement de la place et du pouvoir des évêques, nourrissant alors des liens toujours plus forts avec la papauté9. Ce renforcement transparaît dans l’évolution du nombre des actes épiscopaux. Des deux côtés de la Manche, ces actes sont globalement peu nombreux au début du XII^e siècle avant les décennies 1120-1130, et leur nombre croît de manière très importante et très rapide à partir de la décennie 1130 et des environs de 114010.

7Par ailleurs, au XII^e siècle, les institutions ecclésiastiques locales, paroissiales en particulier, sont globalement comparables en Normandie et en Angleterre, même si ce qui reste des minsters est spécifique à l’Angleterre11 et si les évolutions à l’œuvre sur les deux rives de la Manche s’observent un peu plus tôt en Angleterre qu’en Normandie12. Enfin, comme beaucoup d’évêques de la chrétienté, prélats anglais et normands sont régulièrement amenés à entendre et à trancher des conflits, parfois par délégation de l’autorité apostolique13. Au fil de la deuxième moitié du XII^e siècle et au début du XIII^e siècle, la présence des juristes s’affirme dans l’entourage des évêques, la culture juridique se renforce et les cours épiscopales se développent des deux côtés de la Manche14. Tout cela contribue à ce que le contenu juridique des actes, concernant l’intervention des évêques, soit comparable dans les textes normands et dans les textes anglais15. Malgré tout, il faut d’emblée préciser que certains types d’actes fréquents dans les corpus anglais examinés n’ont pas d’équivalent dans les corpus normands : c’est en particulier le cas des actes de profession d’obédience adressés par les suffragants à leur archevêque – cette profession d’obédience n’existant pas en Normandie – et des actes notifiant l’inféodation à des tiers de biens relevant du patrimoine cathédral, pourtant fréquents dans les corpus anglais. Si un examen plus exhaustif des actes épiscopaux normands devait confirmer ce constat a priori étonnant, on pourrait s’interroger sur d’éventuelles différences dans les stratégies de conservation des documents développées par les évêques et les chapitres cathédraux en Normandie et en Angleterre.

8Enfin, il faut rappeler qu’au XII^e siècle, bon nombre de carrières ecclésiastiques se déroulent indistinctement des deux côtés de la Manche. Plusieurs évêques du XII^e siècle ont construit leur carrière en plusieurs étapes, aussi bien normandes qu’anglaises. C’est le cas de Philippe d’Harcourt, qui est d’abord archidiacre d’Évreux vers 1126 et doyen de la collégiale séculière de Beaumont-le-Roger vers 1131, avant de devenir doyen du chapitre cathédral de Lincoln vers 1133, puis d’être choisi pour occuper le siège de Salisbury en 1140 (il ne reçoit pas la consécration épiscopale). Il accède au siège épiscopal de Bayeux très peu de temps après, en 114216. Son successeur à Bayeux, Henri de Beaumont, était quant à lui doyen du chapitre de Salisbury avant d’arriver à Bayeux17. En sens inverse, Gilbert de Glanville, archidiacre de Lisieux, est promu au siège épiscopal de Rochester en 1185. Hugues d’Amiens a connu une carrière monastique inscrite dans des horizons encore plus larges où France, Angleterre et Normandie sont mêlées : clerc du diocèse de Thérouanne, moine de Cluny, prieur de Saint-Martial de Limoges, prieur de Lewes, abbé de Reading et enfin archevêque de Rouen18. Plusieurs dignitaires de cathédrales anglaises ou normandes font également carrière des deux côtés de la Manche. Par exemple, Hugues Bove, archidiacre de Bayeux au milieu du XII^e siècle, est également chanoine de Salisbury19. Ces hommes ont donc vu, lu et entendu des actes, en particulier épiscopaux, des deux côtés de la Manche. Peut-être même certains d’entre eux ont-ils participé à l’élaboration de ces actes. Cet élément contribue donc également à expliquer que les actes épiscopaux normands et anglais présentent des similitudes réelles.

Les deux premiers tiers du siècle : l’hétérogénéité des formes diplomatiques

9L’étude des caractères internes des actes montre toutefois que la production diplomatique des évêques anglais et normands n’est pas homogène pendant tout le XII^e siècle et que la similitude entre ces actes, dans leur structure et les formules qu’ils emploient, n’est réellement avérée que, progressivement, dans le dernier tiers du siècle. Avant cette date, les actes anglais et normands ont en commun l’incertitude et la multiplicité des formes, qui ne sont pas encore abouties. Les différences entre les corpus diocésains mais aussi entre les actes d’un même corpus, d’un épiscopat à l’autre, sont réelles, en partie parce que les bénéficiaires doivent encore assumer la rédaction d’une part importante des actes donnés au nom de l’évêque, en partie parce que les chancelleries épiscopales font des choix différents. Toutefois, pour essayer de dégager des idées générales à l’échelle de plusieurs diocèses, trois critères peuvent servir à guider l’analyse.

L’influence de la diplomatique royale

10Le premier d’entre eux est l’influence de la diplomatique royale20. Celle-ci est particulièrement perceptible dans les actes épiscopaux anglais21. Certains actes, peu nombreux et donnés au début du XII^e siècle, sont de pures imitations du bref royal – plus précisément du bref stricto sensu22 – comme cet acte de Roger, évêque de Salisbury, donné au plus tard en 1113 :

Rogerus episcopus Salesberie Adelelmo de Kingestuna et Roberto de Bacepuiz salutem. Precipio vobis quod reddatis ecclesie de Abbendona rectitudines quas illi debetis de ecclesia vestra de Kingestuna. Et nisi feceritis, Ilbertus decanus interdicat divinum officium apud Kingestona. Apud Westmonasterium23.

11D’autres, beaucoup plus nombreux, intègrent des formes caractéristiques de ce que Raoul Van Caenegem appelle le bref-charte (writ-charter), c’est-à-dire une charte royale se présentant comme une version dérivée, plus longue et plus travaillée, du bref traditionnel24. Ce type d’actes royaux se caractérise par un dispositif, confirmant un bien ou un droit, structuré en deux parties, souvent deux phrases distinctes. La première, directement issue du bref, notifie l’action juridique réalisée par le souverain (donation, confirmation), et la seconde se présente comme une clause injonctive tirant les conséquences de cette action, en précisant que le bénéficiaire devra désormais posséder le droit ou le bien librement et tranquillement. La notification est le plus souvent brève et à la deuxième personne du pluriel, en sciatis quod, tandis que la clause injonctive du dispositif est en général introduite par la formule très caractéristique quare volo et precipio ut25, le second verbe étant parfois manquant et éventuellement complété d’un adverbe comme firmiter. Cette structure du dispositif en deux parties et ces formules caractéristiques, les verbes étant éventuellement employés à la première personne du pluriel renvoyant à l’évêque en majesté, se retrouvent, souvent ensemble et intégralement, dans de nombreux actes épiscopaux anglais, dans tous les diocèses considérés. L’acte qui suit en est un exemple parmi beaucoup d’autres :

Rogerus Dei gratia Cestrensis episcopus Ricardo archidiacono Coventrensi et omnibus ministris ejus salutem et benedictionem. Sciatis nos concessisse ecclesie Sancte Marie de Kenill. et eidem auctoritate nostra in perpetuam elemosinam confirmasse ecclesiam de Radeford cum omnibus suis pertinentiis ; et hoc quidem fecimus assensu et petitione Willelmi, qui ejusdem ecclesie personatum habuerat, concessu quoque Henrici de Similleo, in cujus feodo prefata ecclesia sita est. Quare volumus et firmiter precipimus quod prior et canonici [de] Kenill. jamdictam ecclesiam quiete et inconcusse teneant, salvo jure episcopali. Valete26.

12Tous les corpus consultés en offrent des exemples, parfois très nombreux comme à Coventry, parfois un peu plus rares comme à Worcester27. Cette influence royale, observable dès le premier quart du XII^e siècle, à l’époque d’Henri I^er, et incontournable dans le deuxième quart, est pérenne dans la plupart des diocèses, même si les formes inspirées des actes royaux connaissent parfois une adaptation au fil du XII^e siècle28. Les mots sciatis et quare disparaissent parfois des passages introduisant la notification et la clause injonctive, quare étant éventuellement remplacé par d’autres mots de liaison, et la formule entamant cette clause injonctive peut être complétée, par exemple par une référence à l’autorité épiscopale. Mais la structure de l’acte – notification puis clause injonctive imposant que le bénéficiaire de l’acte jouisse en toute tranquillité du bien ou du droit concédé – demeure aisément perceptible. À Coventry, l’influence des formes royales perdure ainsi très nettement jusqu’à la fin du règne d’Henri II (1189), c’est-à-dire jusqu’au moment où la diplomatique royale, dont les formes avaient connu une stabilité assez remarquable depuis le règne d’Henri I^er, connaît une évolution29. À Worcester, si l’influence des formes de cette diplomatique royale s’est en grande partie raréfiée et si ces formes ont connu une importante adaptation au fil du temps, on en retrouve ponctuellement la trace dans les actes de toutes les décennies jusque dans les années 1180, comme le montre encore un acte donné entre 1186 et 119030.

13Le contraste est saisissant avec la Normandie, où l’influence des formes des actes royaux est quasi nulle dans les actes épiscopaux. À peine en retrouve-t-on la trace dans quelques actes pour l’ensemble du duché au XII^e siècle, comme à Bayeux, dans un acte de Richard de Gloucester31 et dans un autre de Philippe d’Harcourt32. Dans ces deux actes, même l’adresse, inhabituelle dans les actes des évêques de Bayeux, est inspirée des actes royaux. Ces deux textes, qui ne ressemblent à aucun autre du corpus des actes des évêques de Bayeux, sont tous deux destinés à l’abbaye de Savigny. On peut raisonnablement supposer qu’ils ont tous deux été rédigés au scriptorium de l’abbaye, et penser qu’en réalité, les clercs chargés de la rédaction des actes dans l’entourage des évêques de Bayeux ne cherchent pas à imiter ou même à s’inspirer des formes des actes royaux33. De même, aucun acte épiscopal coutançais ou ébroïcien ne porte nettement la trace d’une telle inspiration ou imitation34, pas plus d’ailleurs que les actes de l’archevêque Hugues d’Amiens35.

14La différence, sur ce point, entre les actes épiscopaux anglais et normands surprend, d’autant plus que, comme leurs homologues anglais, les évêques normands occupent, pour beaucoup d’entre eux, des fonctions à la cour pendant le XII^e siècle et figurent souvent dans l’entourage royal36. Les actes de Roger, évêque de Salisbury, principal ministre d’Henri I^er, portant le titre de vice-roi, sont tous inspirés du formulaire royal37. Inversement, bien que leur auteur ait été chancelier du roi Étienne et qu’il soit possiblement intervenu comme justicier du roi Henri II38, les actes de Philippe d’Harcourt ne témoignent pas d’une influence royale prononcée. On peut en dire autant pour les actes d’Arnoul de Lisieux et de Rotrou de Warwick, évêque d’Évreux, tous deux justiciers du roi Henri II pour la Normandie : aucun de leurs actes ne porte vraiment la marque d’une inspiration de la diplomatique royale. Cela pourrait d’autant plus surprendre concernant les actes de Rotrou. On peut en effet raisonnablement soupçonner que certains de ces actes ont été rédigés par le chapelain Daniel ou avec le concours de celui-ci. Daniel est un clerc très proche de Rotrou, qui figure comme témoin dans plusieurs actes dont on peut avec certitude attribuer la rédaction à l’entourage ou à la chancellerie de l’évêque d’Évreux39. Or le chapelain Daniel doit être familier des actes royaux, puisqu’il a lui-même supervisé ou validé la rédaction de l’un de ces actes, à l’époque même où il témoigne dans les actes épiscopaux ébroïciens40. On peut donc se risquer à formuler l’hypothèse que les « chancelleries » épiscopales normandes, ou en tout cas les clercs rédigeant des actes dans l’entourage des évêques normands, écartent volontairement l’imitation plus ou moins prononcée des formes caractéristiques des actes royaux. Ce constat demeure toutefois difficile à expliquer, alors que la forme du bref est simple et présente une réelle facilité d’adaptation, ce qui assure d’ailleurs son succès dans les actes épiscopaux anglais41. Peut-être ce succès et la mise à l’écart des formes de la diplomatique royale dans les actes épiscopaux normands ne sont-ils pas sans rapport avec le fait que ces formes royales sont fondamentalement héritées de formes anglaises anciennes, ensuite adaptées et exportées par la chancellerie royale pour un usage sur le continent42 ?

L’influence de la diplomatique pontificale

15Le deuxième critère d’analyse est l’influence de la diplomatique pontificale43. Les éléments caractéristiques de cette diplomatique, dont l’imitation ou la combinaison évoquent une influence pontificale, sont bien connus44 : formule de perpétuité dans le salut, désignation du bénéficiaire par dilectus in Christo filius noster45, préambules insistant sur le souci pastoral46 ou l’office épiscopal et les devoirs afférents47, mots de liaison introduisant l’exposé ou le dispostif comme eapropter, liaison entre les parties du dispositif par statuentes ut, datation en années de pontificat, clause comminatoire menaçant de la privation du corps et du sang du Christ48, etc. Les actes de confirmation générale sont aussi une catégorie d’actes précocement caractéristique de la diplomatique pontificale. Certaines des formules qu’ils emploient pour introduire l’énumération des biens et mentionner les voies par lesquelles ceux-ci sont entrés ou pourront entrer dans le patrimoine du bénéficiaire sont d’ailleurs parmi les plus souvent imitées ou réutilisées par les évêques49.

16Des éléments traduisant une influence pontificale se retrouvent, souvent de manière dispersée, dans tous les diocèses anglais au plus tard dès les années 1140, dès le moment où augmente le nombre des bulles expédiées vers le monde anglo-normand50, et parfois dès les années 1120-1130. Parmi les éléments significatifs les plus récurrents51 – malgré leur brièveté – figure la mention de la régularité canonique des donations, confirmations et autres actions relatées, à travers l’adverbe canonice52. L’usage de l’adjectif pontificalis renvoyant à l’évêque est fréquent et précoce en Angleterre, dès la moitié du XII^e siècle et parfois avant. Il sert en général à qualifier l’autorité de l’évêque, beaucoup plus souvent citée dans les actes anglais que normands. Naturellement, les actes les plus parlants sont les actes de confirmation générale qui reprennent souvent plusieurs formules longues et très reconnaissables des bulles :

Alexander Dei gratia Lincolnensis episcopus, omnibus in Christo dilectis filiis ecclesie cui Deo auctore preest, salutem et Dei benedictionem et suam. Petitioni quam ad religionis stabilitatem et animarum salutem cognoscimus pertinere notrum est sub celeritate assentire et firmare. Quo circa carissimi filii nostri Wigoti prioris de Oseneia et fratrum suorum justis precibus facilem assensum prebentes, ecclesiam Sancte Marie in qua divino mancipatur officio que in insula que Oseneia vocatur fundata atque sita est sub tutelam sancte Marie et nostram protegendam suscepimus, et presentium litterarum sanctione munimus, auctoritate officii quo fungimur statuentes ut quascumque possessiones quecumque bona inpresentiarum hec eadem ecclesia fidelium oblatione juste et canonice possidet inviolata ipsis eorumque successoribus firma et inconcussa permaneant in quibus hec propriis duximus exprimenda vocabulis : videlicet [suit l’énumération des biens confirmés], et quicquid infuturum, Deo propitio, concessione seu largitione principum vel oblatione fidelium aut aliis justis modis poterunt adipisci, eis et eorum successoribus regularem vitam professis inconcussa et illibata permaneant eorum omnimodo usibus profutura, salvis dignitatibus et consuetudinibus episcopi et ecclesie Lincolniensis. Hujus igitur nostre confirmationis contradictores atque convulsores hujusque ecclesie invasores rerum atque vastatores si secundo et tercio commoniti ad satisfactionem non venerint, anathematis vinculo ligamus. Cunctis autem eidem loco sua jura conservantibus sit pax Domini nostri Jhesu Christi quatinus hic fructum bone operationis percipiant et infuturi premia eterne beatitudinis obtineant. Amen. Amen. Amen53.

17Tous les corpus anglais comprennent des indices d’inspiration de la diplomatique pontificale. Tout juste peut-on noter, à partir des corpus examinés, que ces indices figurent de manière moins homogène dans les actes des évêques de Worcester que dans les autres diocèses54.

18Des formes laissant penser que les rédacteurs des actes se sont inspirés de la diplomatique pontificale se repèrent de la même manière dans certains diocèses normands. Le cas rouennais fait ici figure de cas particulier, tant certains actes d’Hugues d’Amiens cherchent véritablement à imiter au plus près les bulles pontificales, aussi bien dans la quasi-totalité des caractères internes que dans la mise en forme et l’écriture55. Les actes des évêques de Coutances, à partir de l’épiscopat d’Algare et encore sous le successeur de ce dernier, Richard de Bohon (1150-1181), sont ceux qui présentent le plus de points communs avec les actes anglais : on y trouve des éléments dispersés mais nettement perceptibles laissant penser à une influence de la diplomatique pontificale, sans qu’on puisse pour autant parler d’imitation. La formule dilectus in Christo filius noster y est plus fréquente que dans la plupart des autres diocèses normands. À Sées, les actes des évêques Jean I^er et Gérard II reprennent des formules caractéristiques des bulles, en particulier dans des actes de confirmations générales assez nombreux. C’est au nom de Gérard qu’est donnée la seule charte épiscopale normande présentant la particularité d’imiter – en l’adaptant toutefois – la titulature des papes, dans un acte en faveur de Marmoutier56. Nous n’avons trouvé aucun autre exemple d’une telle imitation ni dans les corpus anglais examinés57, ni dans les actes des autres évêques normands, pas même Hugues d’Amiens, qui imite soigneusement presque toutes les formes les plus significatives des bulles mais jamais véritablement l’intitulation. Tout au plus trouve-t-on en 1130, un acte archiépiscopal comprenant servus dans la titulature, mais sans le complément servorum58. Malgré tout (et souvent à l’exception évidente des actes d’Hugues d’Amiens), il faut noter que certains des indices parlants et récurrents dans les actes anglais se trouvent beaucoup moins fréquemment en Normandie. C’est le cas, par exemple, des adverbes canonice (tout comme rationabiliter), très rarement employés. C’est aussi le cas de l’adjectif pontificalis appliqué aux évêques que seuls les actes d’Hugues d’Amiens utilisent, parfois à plusieurs reprises dans un même texte, dès le début de l’archiépiscopat59. Dans les deux premiers tiers du siècle, et parfois jusqu’à la fin du XII^e siècle, les autres évêques normands préfèrent systématiquement episcopalis.

19On a parfois écrit que les actes de Philippe d’Harcourt, évêque de Bayeux, témoignaient d’une réceptivité particulière au modèle diplomatique pontifical60. Il est vrai qu’on trouve dans quelques-uns de ces actes des éléments habituellement caractéristiques des bulles, en fait surtout l’introduction du dispositif par eapropter61. Exceptionnellement, on trouve aussi une adresse incluant la formule dilectus in Christo, l’usage de canonice qualifiant une action juridique62, un préambule relatif aux devoirs de l’évêque à l’égard des religieux, dans une perspective d’imitation du modèle christique63, ou une clause comminatoire mentionnant les trois avertissements canoniques64. Ces éléments demeurent toutefois des indices limités, la plupart du temps isolés les uns des autres65, et ne se repèrent que dans un tiers des actes de Philippe. Certains de ces actes ayant très probablement été rédigés par les clercs de la chancellerie de l’évêque, il est clair que le milieu épiscopal bayeusain est sensible à l’influence de la diplomatique pontificale, ce qui ne saurait surprendre compte tenu des rapports étroits qu’entretiennent Philippe et ses chanoines cathédraux avec la papauté et du nombre de bulles qu’ils reçoivent dans les années 1140 et 115066. Mais cette sensibilité ne doit pas être exagérée. L’influence pontificale se laisse percevoir plus nettement dans les actes des évêques de Coutances à la même époque, et les actes de Philippe n’ont rien à voir avec les « imitations de bulles » que fait produire son ami Hugues d’Amiens : l’adaptation des formes pontificales dans ces actes demeure assez limitée.

20Philippe d’Harcourt n’est pas un cas isolé. L’examen des actes des évêques d’Évreux amène à la même conclusion. Si deux actes de l’évêque Audin présentent plusieurs éléments laissant clairement penser à une inspiration pontificale67, les actes de Rotrou de Warwick comprennent bien peu d’indices significatifs sur ce point. On remarque certes, dans quelques actes, l’emploi de l’expression dilecti filii nostri ou dilecti fratres nostri qualifiant les bénéficiaires68, mais elle n’est jamais complétée des mots in Christo qui témoigneraient plus sûrement d’une influence des formes pontificales. Eapropter n’est employé que dans un seul acte, l’un des rares à présenter un très bref préambule sur les devoirs de l’évêque envers les religieux69. Les préambules des actes de Rotrou de Warwick, comme ceux, plus nombreux, de Philippe d’Harcourt, évoquent majoritairement la fragilité et l’inconstance des choses humaines, la conservation de la mémoire, l’utilité de l’écrit, des thématiques classiques70 mais peu évocatrices des idées réformatrices et des formes des écrits pontificaux. Le contraste est net avec l’Angleterre où, dans tous les diocèses, les préambules consacrés à l’office de l’évêque, au nécessaire soutien de ce dernier aux religieux et aux pauvres, sont légion. Les termes officium ou cura y sont couramment employés pour qualifier le ministère épiscopal, alors qu’ils n’apparaissent pas une seule fois dans les actes de Philippe et de Rotrou. De même, ces derniers ne donnent, contrairement à leurs homologues contemporains en Angleterre, et contrairement à Hugues d’Amiens, que très peu de confirmations générales et, si ces rares confirmations comprennent souvent des traces d’une inspiration pontificale, elles ne reproduisent jamais aussi nettement certaines longues formules issues des bulles que le font les actes d’Hugues d’Amiens ou de certains évêques de Salisbury ou de Coventry par exemple.

21Il ressort de ce bref examen qu’en matière d’inspiration des formes pontificales, il n’y a pas matière à opposer les actes anglais et les actes normands, mais à distinguer, en Normandie comme en Angleterre, des diocèses et plus encore des évêques ou des chancelleries prompts à s’inspirer de ces formes, voire à les imiter, et d’autres qui le sont nettement moins. Plus encore qu’en Angleterre, sur la base des corpus examinés, le contraste interne à la Normandie et au réseau réformateur normand – dont font indubitablement partie aussi bien Hugues d’Amiens et Algare de Coutances que Rotrou de Warwick et Philippe d’Harcourt71 – est saisissant et montre qu’il est impossible d’affirmer qu’une moindre inspiration des formes pontificales caractérise les actes de prélats moins sensibles aux idéaux réformateurs.

Des formes « narratives »

22La troisième entrée possible concerne la présence, dans les actes, de formes difficiles à qualifier de manière précise mais qui renforcent le caractère narratif, voire impersonnel (ou objectif) de l’acte. Dans la suite, ces formes seront, par commodité, qualifiées de « narratives ». Plus précisément, il peut s’agir d’actes ou de dispositifs d’actes dans lesquels l’évêque n’est pas mis au premier plan dans la relation de l’action juridique (voire parfois de dispositifs dont l’évêque est totalement absent), d’actes où la présence de l’évêque se limite à l’intitulation, éventuellement au verbe de la notification – souvent le seul qui renvoie directement à l’évêque – ou à l’annonce du sceau quand elle existe, ce qui est loin d’être systématique dans les actes comprenant beaucoup de formes narratives. Les renvois explicites à l’évêque dans les dispositifs concernés sont peu nombreux et discrets, souvent limités à un pronom ou à un adjectif possessif. Dans les actes de ce type, une attention particulière est portée à la description des circonstances et des conditions de l’action juridique, de manière plus ou moins développée. On y trouve des détails sur les événements ayant conduit à l’action juridique, une insistance sur la présence de tel personnage (en particulier de l’évêque lui-même) ou des témoins en général, ou encore sur l’aspect visuel et gestuel de la cérémonie par laquelle l’action juridique a éventuellement été accomplie publiquement72. Quelques-uns de ces documents rapportent, en situant les étapes l’une après l’autre dans le temps et dans l’espace, une succession d’événements qui sont autant d’actions juridiques ayant conduit à la rédaction d’un écrit.

23Des actes de ce genre se trouvent dans tous les corpus d’actes épiscopaux du XII^e siècle, en particulier lorsqu’il s’agit de rapporter les conditions et les termes de règlements de conflits. Les corpus anglais examinés n’échappent pas à la règle73 mais les actes caractérisés par la présence de ces formes narratives sont peu nombreux, voire franchement rares, par exemple à Salisbury ou à Coventry. À Worcester, la présence de l’évêque à l’action ou à l’un des moments de l’action juridique est mentionnée de manière assez récurrente pour être remarquée74. Malgré cela, l’impression qui domine, à la lecture du corpus, n’est pas celle d’une présence massive de la narrativité. Les actes comprenant des formes narratives sont très minoritaires et ne sont en général pas des actes purement narratifs : ces formes sont incluses dans des actes en forme épistolaire où l’évêque apparaît tout de même agissant dans le dispositif75. En Angleterre, les actes présentant des formes plutôt narratives concernent presque toujours les règlements de conflits élaborés en présence de l’évêque et/ou notifiés par lui, ce qui ne permet d’ailleurs pas de conclure que tout acte consacré au règlement d’un conflit présente forcément des formes narratives76. Globalement, les actes épiscopaux anglais témoignent assez tôt dans le XII^e siècle d’une certaine maturité dans la forme épistolaire de la charte et présentent, pour beaucoup, des formes considérées comme « classiques » à l’aune des actes de la fin du siècle.

24En Normandie, la situation est plus contrastée. Les actes des archevêques de Rouen et de Coutances se rapprochent plutôt des corpus anglais quant à la présence de ces formes narratives. En revanche, à Évreux surtout et, d’une manière plus fluctuante ou plus originale, à Bayeux, ces actes, ces dispositifs ou ces passages « narratifs » sont un peu plus nombreux et surtout ils notifient non seulement des règlements de conflits, mais aussi d’autres actions juridiques, en particulier des donations d’églises, de dîmes ou d’autres biens.

25Globalement, les actes des évêques d’Évreux77, où les verbes de certains dispositifs expriment l’action des parties ou des donateurs et non celle de l’évêque, insistent plus fréquemment que les actes épiscopaux anglais ou que les autres corpus normands, sur la présence de l’évêque à la transaction, le transit du bien ou du droit en question par la main du prélat, éventuellement son dépôt symbolique sur un autel au moyen d’un objet, ou les conditions du serment prêté. L’expression per manum nostram (ou une tournure approchante faisant référence à la main de l’évêque), parfois la seule dans l’acte à renvoyer à l’intervention épiscopale, y est fréquente, en particulier dans les cas de donations d’églises ou de dîmes78. Si elle n’est pas absente dans les diocèses normands où ces formes narratives sont moins nombreuses (à Rouen et à Coutances79), elle est rare en Angleterre, voire très rare dans certains corpus comme ceux de Salisbury ou Coventry. Cette expression caractérise, d’après Julia Barrow, seulement la production diplomatique de certaines abbayes, au point que sa présence dans un acte épiscopal a parfois contribué à faire penser que cet acte avait été rédigé par le bénéficiaire80. À Évreux, ces formes narratives se repèrent dans presque la moitié des actes de l’évêque Rotrou.

26À Bayeux, les actes de Philippe d’Harcourt sont plus compliqués à analyser. Si certains accordent sans détour la première (voire l’unique) place à l’évêque dans les dispositifs en cas de donations d’églises, au point même de taire le nom des laïcs donateurs81, d’autres sont nettement marqués par la narrativité. L’originalité des actes de Philippe tient, pour beaucoup, à la construction de ceux-ci, la première partie du dispositif insistant souvent sur le rôle de l’évêque dans la mise par écrit de l’action et la seconde relatant cette action sur un mode narratif ou en intégrant des formes narratives. La première partie emploie parfois des formes travaillées, presque littéraires, donnant, au total, aux actes de Philippe une forme très particulière, très peu « classique » par comparaison avec les actes anglais comme avec les autres corpus normands.

27La construction de ces actes ou dispositifs aux formes narratives fait parfois clairement penser aux notices rédigées en Normandie dans la deuxième moitié du XI^e et la première moitié du XII^e siècle82, qui relatent aussi bien des règlements de conflits que des donations ou des confirmations, et peuvent présenter une grande diversité formelle83.

28Il est tentant de mettre en rapport, au moins partiellement84, la présence d’une date, exprimée à l’aide du millésime, dans une proportion relativement élevée d’actes épiscopaux d’Évreux et de Bayeux dans le deuxième tiers du siècle, avec l’influence de formes narratives proches de celles des notices, attentives à situer l’action et à en décrire les circonstances. Il faut en tout cas noter que 29 % des actes donnés par Rotrou de Warwick seul et encore conservés aujourd’hui (soit dix sur trente-cinq), et 27 % des actes donnés par Philippe d’Harcourt (neuf sur trente-trois) portent une date de temps exprimée à l’aide du millésime85, sachant évidemment qu’on ne peut jamais être totalement affirmatif quant à l’absence de date dans les actes – très majoritaires – connus seulement par des copies dont l’exhaustivité n’est pas assurée. Ces chiffres sont assez remarquables dans la mesure où la très grande majorité des chartes données à cette époque dans ou pour l’espace anglo-normand, quel que soit leur auteur (en particulier les rois et les papes), ne portent pas d’indication du millésime86.

29Enfin, on trouve dans les corpus normands quelques exemples d’actes de confirmation se présentant comme des pancartes87, plus précisément comme des chartes récapitulatives selon la classification proposée par Michel Parisse88. En l’espèce, il s’agit d’actes diplomatiques, au formulaire souvent épuré, dont le dispositif est constitué d’une succession de mentions de donations, plutôt courtes et présentées sous une forme narrative, qui sont peut-être autant de copies de notices originales. Ces mentions commencent par la dénomination du donateur placé en position de sujet du verbe à la troisième personne, précisent dans la suite de la phrase l’objet de la donation et indiquent souvent les noms des témoins de cette donation. Ces actes épiscopaux se présentent en fait comme une succession de notices enchâssées dans des formes diplomatiques plus ou moins développées. On reconnaît ici les formes des pancartes cisterciennes du milieu du XII^e siècle89. Précisément, les pancartes épiscopales normandes dont il est question sont données en faveur de maisons cisterciennes et sont attestées entre les années 1140 et les années 117090. Quelques-unes d’entre elles constituent des variantes autour de la forme « classique » décrite plus haut91. Nous n’avons trouvé aucun exemple comparable ou approchant dans les corpus anglais que nous avons examinés, où les confirmations multiples ou générales, lorsqu’elles ne sont pas imitées du modèle pontifical, se présentent malgré tout comme des énumérations de biens confirmés intégrées à des formes diplomatiques classiques.

Bilan

30Au total, et au-delà d’autres nuances possibles, la combinaison de ces trois éléments – présence ou absence d’une inspiration de la diplomatique royale, de la diplomatique pontificale, et intégration plus ou moins prononcée de formes « narratives » au milieu des formes épistolaires plus classiques – donne à chaque corpus, parfois à chaque épiscopat, sa couleur et, en quelque sorte, sa caractéristique propre. Pour ce premier XII^e siècle, on ne peut pas parler d’une diplomatique épiscopale anglaise qui serait différente de la diplomatique épiscopale normande. Ces deux expressions sont d’ailleurs potentiellement contestables, et c’est finalement sur le degré d’homogénéité des actes épiscopaux, un peu plus important en Angleterre qu’en Normandie, que se fait vraiment la différence. Les similitudes entre les actes et les corpus anglais examinés l’emportent globalement sur les spécificités propres à chaque diocèse et à chaque évêque mais sans occulter les différences : la reprise de formes inspirées des modèles royaux et pontificaux, si elle existe partout et confère aux actes anglais une homogénéité relative que les actes normands n’ont pas à ce point, est plus prononcée à Salisbury et à Coventry qu’à Lincoln et plus encore qu’à Worcester. L’impression générale qui se dégage est celle d’une maturité assez précoce, plus précoce qu’en Normandie, des formes des actes épiscopaux, actes en forme épistolaire92 qui mettent l’évêque au premier plan dans le dispositif et ne font qu’une place limitée aux formes descriptives et circonstanciées rappelant les notices ou les actes de la fin du XI^e et du début du XII^e siècle. Parler d’une diplomatique épiscopale normande est franchement hasardeux, tant les différences entre les corpus semblent importantes. Les actes des évêques de Coutances sont apparemment ceux qui sont le moins éloignés des actes anglais. Les actes des évêques de Bayeux et d’Évreux, où l’inspiration pontificale est assez limitée, l’inspiration royale nulle ou presque, et la reprise de formes « narratives » plus décelable qu’ailleurs, sont ceux qui s’apparentent le moins aux actes anglais. Un rapide examen laisse penser qu’ils se rapprochent au contraire davantage des actes des évêques de Chartres à la même époque93. Par conséquent, il est évidemment exclu de parler d’une diplomatique épiscopale homogène dans l’espace anglo-normand à ce moment. Il est toutefois tout aussi difficile d’opposer simplement Normandie et Angleterre.

31Cette opposition n’est opérante qu’au regard de certains critères précis. C’est le cas de la sensibilité à l’influence de la diplomatique royale. C’est aussi le cas de la datation des actes. Les actes épiscopaux normands du deuxième tiers du XII^e siècle, quoiqu’ils ne portent pas systématiquement – loin de la là – l’indication d’une date, sont bien plus souvent datés que les actes anglais. Il y a au moins deux raisons différentes à cela. L’héritage de certaines formes de la notice narrative, déjà évoqué, est certainement à considérer. Dans les actes d’Hugues d’Amiens, c’est l’imitation de la datation des bulles qui est à l’œuvre : Hugues date fréquemment ses actes par référence aux années de son archiépiscopat, qu’il complète éventuellement d’une datation en années de règne du roi de France et du duc de Normandie94.

Le dernier tiers du siècle : standardisation, évolutions et nuances de rythme

32Dans le dernier tiers du XII^e siècle, plus encore à partir de 1180, l’impression d’homogénéité entre les actes d’évêques anglais et normands se renforce. Une masse importante des actes a maintenant trait à l’administration des bénéfices paroissiaux, à travers les collations de bénéfices, les autorisations ou les confirmations d’incorporations d’églises et, plus tard, les constitutions de vicairies, autant d’actions décrites à l’aide de formules dispositives de plus en plus standardisées. Au demeurant, cette masse documentaire relative aux bénéfices ne se retrouve pas comme telle dans les actes épiscopaux français des diocèses proches de la Normandie, par exemple à Chartres, ce qui s’explique par une évolution institutionnelle différente95. Par ailleurs, la construction des actes sous forme de lettres est maintenant partout comparable, en Normandie et en Angleterre96, et l’emploi de certaines formules se systématise. On observe une certaine standardisation dans les adresses des actes, le plus souvent placées avant l’intitulation97, et faisant référence de préférence à l’écrit et non plus au rapport filial des fidèles et de l’Église98. Même si certaines tournures caractéristiques de formes assez narratives demeurent parfois, elles se font partout rares. Dans tous les diocèses, l’évêque se présente, d’une manière très classique, comme le principal disposant de l’acte, dans la plupart des cas. Partout, les annonces de sceaux se généralisent et se standardisent également avec l’usage récurrent de munimen pour désigner la fonction du sceau. Les verbes des annonces de sceau sont presque toujours des verbes exprimant la confirmation ou la garantie, éventuellement employés dans une formule usant du gérondif (duximus roborandum) et ne font plus référence à l’acte de sceller99.

33Cette homogénéisation est favorisée par la disparition presque totale de l’influence de la structure et des formes principales du bref-charte royal dans les actes épiscopaux anglais après la fin du règne d’Henri II100 et par la présence maintenant bien repérable, dans tous les diocèses normands, de formes imitées ou adaptées de la diplomatique pontificale essentiellement entre 1170 et 1185101.

Nuances et différences de rythme dans l’évolution des formes

34Entre 1170 et 1220 s’observent, dans les actes normands et anglais, des évolutions en très grande partie identiques, évolutions que l’on retrouve pour beaucoup également dans les actes épiscopaux français. Si leur nature est identique, le rythme de ces évolutions n’est pas toujours synchrone sur les deux rives de la Manche.

35Les termes employés dans le dispositif des actes relatifs aux bénéfices paroissiaux constituent un premier élément d’analyse. Lorsqu’un évêque anglais accepte d’investir d’une église paroissiale ou d’une vicairie un clerc qui lui a été présenté, il dit en général qu’il l’admet à cette église et qu’il l’y institue (admittere et instituere). Cette formulation est partout nettement plus usitée que toutes les autres en la matière, ce qui n’exclut pas l’usage occasionnel d’autres termes. Seul Hugues d’Avallon, évêque de Lincoln (1186-1203) préfère presque systématiquement recipere à admittere, mais le plus souvent en l’associant à instituere dans la structure de phrase habituelle que l’on retrouve dans tous les corpus102. Si instituere n’est pas absent des actes épiscopaux normands portant investiture d’un clerc paroissial, tout en étant beaucoup moins systématique que dans les actes anglais, admittere semble ne jamais être employé en Normandie à cette occasion103. Les évêques normands préfèrent dire qu’ils reçoivent (recipere), pour une église, le clerc qui leur a été présenté104. Encore cette expression est-elle, en Normandie, souvent supplantée ou au mieux complétée par une tournure beaucoup moins précise, presque plus féodale (et moins réformatrice) dans l’esprit, jusqu’à une date tardive du XII^e siècle : l’évêque indique simplement qu’il donne l’église au clerc, éventuellement qu’il la lui donne en aumône. Ce genre de tournures imprécises ou combinées, très fréquent par exemple à Bayeux, est beaucoup plus rare en Angleterre105, où les actes sont, dès les années 1170-1180106, plus précis et plus rigoureux que la présentation canonique des choses.

36De même, les actes autorisant l’incorporation d’églises paroissiales au temporel d’une maison religieuse peuvent, eux aussi, présenter les choses de manières très différentes, en Angleterre comme en Normandie. L’expression « donner / confirmer / convertir une église à l’usage propre (in proprios usus) des religieux » est de loin la plus fréquente en Angleterre, dans tous les diocèses considérés107. En Normandie, les nuances sont plus importantes d’un diocèse à l’autre et les actes évoquent plus souvent l’incorporation (dare in proprios usus) de tout ou partie des dîmes d’une église que l’incorporation de l’église proprement dite (Évreux, Coutances, Bayeux). Seuls les évêques de Sées disent apparemment plus souvent, comme leurs homologues anglais, qu’ils donnent ou concèdent simplement une église in proprios usus. Plus important, certains actes normands, assez nombreux, dissimulent, jusqu’à une date tardive, l’opération d’incorporation derrière une simple donation ou confirmation de l’église (sans l’expression in proprios usus), dans une tournure vague ici aussi d’inspiration féodale, ce qui est rarissime dans les actes anglais. Là encore, les actes anglais semblent globalement plus scrupuleux plus tôt dans la manière de présenter ce changement institutionnel.

37Qu’il s’agisse d’incorporation ou de nomination d’un clerc pour le bénéfice paroissial, les actes anglais se distinguent par la précocité avec laquelle ils mettent en avant la référence à l’investiture, précisément à la mise en possession corporelle, d’une église ou d’un bénéfice paroissial au profit de son titulaire : cette question est évoquée dans les actes de tous les diocèses considérés au plus tard dès les premières années du XIII^e siècle, et même dès les années 1170 ou 1180 pour trois d’entre eux, parfois à travers des mandements adressés par l’évêque à un doyen rural ou à ses officiers108. Au même moment, en Normandie, la mention de l’investiture corporelle du bénéfice n’est pas inconnue (dès les environs de 1180), mais elle est manifestement plus rare qu’en Angleterre et elle ne se trouve pas dans tous les diocèses. Si Guillaume de Tournebu, à Coutances, mentionne deux fois cette investiture corporelle à la fin du XII^e siècle109, on ne trouve à Rouen, avant 1222, qu’une mention précoce mais isolée dans un acte de Rotrou110, et on n’en trouve aucun exemple à Évreux ni à Bayeux dans les corpus examinés. À Sées, il faut attendre les dernières années de la décennie 1210 pour trouver les premières mentions, qui ne concernent pas à proprement parler des églises ou des vicairies mais un droit de patronage et la dîme d’un fief111. Ces quelques mentions ne figurent jamais dans des mandements adressés aux doyens ou à des officiers épiscopaux. Ce n’est que dans la suite du XIII^e siècle, souvent après 1220-1230, que les mandements et les mentions de l’investiture corporelle du bénéfice se multiplient en Normandie.

38Au-delà des bénéfices et des clercs paroissiaux, la précision et la précocité du vocabulaire institutionnel dans les actes anglais se devinent également à travers la désignation de l’évêque lui-même. L’expression diocesanus episcopus se trouve dans tous les corpus examinés dès les dernières décennies du XII^e siècle112. En Normandie, elle est beaucoup plus rare. On ne la trouve que de manière remarquablement précoce mais isolée dans un acte d’Hugues d’Amiens113 et, en 1210, dans un acte de Guillaume, évêque d’Avranches114.

39Deuxième exemple de rythme différent, la reprise ou l’adaptation de formules pontificales semble se raréfier un peu plus tôt en Normandie qu’en Angleterre. En Normandie, hormis quelques confirmations générales de l’archevêque Gautier de Coutances (1184-1207), ces traces disparaissent à peu près totalement dès le début des années 1190, pour tous les diocèses115. En Angleterre, en revanche, des indices montrent qu’elles perdurent encore un peu, jusqu’au début du XIII^e siècle, non seulement dans des actes de confirmation générale, mais aussi dans beaucoup d’autres actes, par exemple relatifs à l’administration des bénéfices paroissiaux. Les actes d’Hugues d’Avalon et Guillaume de Blois, évêques de Lincoln de 1186 à 1206 témoignent encore clairement de l’influence des formes de la diplomatique pontificale116, tout comme certains actes des évêques de Worcester jusqu’en 1215117 et ceux d’Herbert Poore, évêque de Salisbury (1198-1217)118.

40L’influence de la diplomatique pontificale semble donc globalement, dans l’espace anglo-normand, plus durable qu’en France du Nord119, d’où elle disparaît presque totalement des actes d’évêques à partir de la moitié du XII^e siècle. La chronologie normande se rapproche de celle qui est observée dans la province de Sens, où des influences pontificales sont perceptibles un peu plus tardivement qu’en France du Nord et se maintiennent très nettement jusqu’au début des années 1180, à Chartres par exemple120. La chronologie anglaise est plus décalée puisque l’inspiration des formes pontificales est encore souvent observable, même au-delà des grandes confirmations générales, pendant le premier quart du XIII^e siècle121.

41Enfin, certains éléments caractéristiques de l’évolution de l’acte épiscopal vers des formes nouvelles, typiques du « style savant »122 du XIII^e siècle, en particulier celles de l’acte de juridiction gracieuse, apparaissent un peu plus tôt en Normandie qu’en Angleterre. Ces formules comme « coram nobis publice confessus fuisse » ou « confessus est in jure coram nobis » se trouvent dès 1184-1202 à Coutances123, dès 1187-1192 à Évreux124. Dans ce même diocèse, la confessio publique (éventuellement en droit) devant l’évêque est mentionnée dans plusieurs actes à partir de l’épiscopat de Garin de Cierrey (1193-1201)125. Apparu à Évreux dans des actes réglant des conflits, ou notifiant le règlement d’un conflit, ce vocable se retrouve dès 1207 dans des notifications simples, apparemment déconnectées de tout contexte conflictuel. Nous n’avons pas trouvé de tournures de ce genre dans les actes anglais de la fin du XII^e siècle et du début du XIII^e siècle, dans les corpus examinés, exception faite d’un acte isolé et remarquablement précoce de Salisbury en 1142-1157126. On en trouve en revanche des exemples déjà nombreux dans les actes de la France du Nord pendant tout le dernier tiers du siècle. Dans le diocèse de Chartres, les premiers exemples sont à peine plus précoces que les premiers exemples normands127.

42De même, les listes de témoins disparaissent plus tôt des actes épiscopaux normands que des actes anglais. Presque plus aucun acte ne cite de témoins à Coutances à partir de 1193, à Bayeux à partir de 1200, à Évreux à partir de 1201 (les listes de témoins s’étaient déjà raréfiées depuis 1193)128. Dès lors, le sceau épiscopal suffit à valider l’action et l’acte écrit, et à garantir le respect du droit du bénéficiaire en justice. En Angleterre, en revanche, dans tous les corpus étudiés, les listes de témoins demeurent nombreuses au bas des actes des deux premières décennies du XIII^e siècle.

43Il reste toutefois un élément qui continue pendant un temps à ne pas faire l’objet d’une standardisation : l’expression de la date. Si celle-ci n’est toujours pas systématique, elle est de plus en plus fréquente dans les actes épiscopaux anglais à partir du début du XIII^e siècle129. À Salisbury, les actes d’Herbert Poore (1194-1217) témoignent d’un réel souci de la datation des actes. En Normandie, les choses sont plus contrastées : le mouvement qui s’observe en Angleterre se retrouve à Rouen, où Gautier de Coutances (1184-1207) puis Robert Poulain (1208-1221) datent plus souvent leurs actes que leur prédécesseur Rotrou de Warwick (1165-1183). En revanche, contemporain d’Herbert Poore, l’évêque Garin de Cierrey, à Évreux, ne date presque jamais ses actes et, à Bayeux, les actes d’Henri de Beaumont portant une date, globalement rares, sont moins nombreux à la fin de l’épiscopat (1205) qu’au début. Il est vrai toutefois, à Évreux, que l’évêque Luc, successeur de Garin, date plus souvent ses actes que n’importe lequel de ses prédécesseurs : 55 % de ses actes dont tout ou partie du texte est conservé portent une indication de date.

44La manière d’exprimer la date, lorsque celle-ci est présente, tolère également des différences importantes entre les diocèses et entre les épiscopats. Christopher Cheney a consacré un long passage à l’adoption massive et rapide, entre 1190 et 1230, par les évêques anglais de la formule de datation qui, au-delà de quelques nuances, prévaut à la chancellerie pontificale et à la chancellerie royale à partir de 1189. Introduite par datum, elle fait référence à l’année de règne (ou de pontificat) en cours130 et souvent au jour, et elle est complétée par une date de lieu et par les mots per manum suivis du nom du responsable de la rédaction de l’acte131. Même si elle ne fait pas disparaître l’introduction de la date par actum, il est vrai que cette formule, plus ou moins adaptée, connaît un succès franc, rapide et souvent bref dans certains diocèses : on la retrouve par exemple dans un grand nombre des actes d’Herbert Poore à Salisbury. Quelques diocèses anglais restent toutefois à l’écart132. En Normandie, son adoption est manifestement beaucoup moins nette et moins rapide. On peine d’ailleurs à trouver un seul exemple de son emploi complet, incluant tous les éléments. Les archevêques de Rouen sont ceux qui se montrent les plus en avance dans l’emploi récurrent du mot datum, dès les premières années du XIII^e siècle, et les plus proches de la version originale. Plusieurs actes de l’archevêque Gautier de Coutances introduisent ainsi la date par datum, en incluant la précision du jour et du lieu, et en l’accompagnant de la formule per manum133. C’est cependant toujours par le millésime qu’est exprimée la date et non par l’année de l’archiépiscopat. La formule datum […] per manum est en revanche totalement absente des actes d’Henri de Beaumont, à Bayeux, jusqu’à la fin de l’épiscopat. Ces derniers préfèrent d’ailleurs systématiquement actum à datum pour introduire la date, même au début du XIII^e siècle. Il faut attendre le successeur d’Henri, Robert des Ableiges (1206-1231), pour trouver des exemples de l’emploi de datum, mais seulement suivi du millésime et parfois du jour, sans la formule per manum, donc dans un emploi très différent de celui de la chancellerie royale ou pontificale134. Le constat est le même à Évreux, dans une chronologie comparable135. Si datum finit par être usité partout, les actes épiscopaux normands étudiés sont donc globalement moins sensibles que les actes anglais à l’utilisation de la formule datum […] per manum introduite à la chancellerie royale en 1189, Rouen se trouvant dans une position intermédiaire. Dans la mesure où cette formule décline rapidement en Angleterre, au fil de la première moitié du XIII^e siècle, au profit d’une formule plus courte en datum ou actum suivi de la date de lieu, du jour et de l’année, éventuellement exprimée à l’aide du millésime sinon en année d’épiscopat136, l’expression de la date dans les actes anglais tend alors à se rapprocher de celle qui domine dans les actes normands, d’après les corpus étudiés.

45Il ressort donc de ces quelques constats que, si la ressemblance des corpus anglais et normands est indéniablement plus grande dans le dernier tiers du XII^e siècle qu’auparavant, on ne peut parler de totale uniformisation. En matière institutionnelle, les actes anglais utilisent des termes plus précis, plus respectueux de la présentation canonique des choses et sont, en quelque sorte, « en avance » sur les actes normands. À l’inverse, les actes normands témoignent, plus précocement que les actes anglais, de l’évolution qui s’observe dès les années 1160-1170 en France du Nord, vers des formes plus épurées, plus juridiques en quelque sorte, tendant vers des notifications simples pourvues du sceau de l’évêque, dont les influences pontificales comme les témoins ont en grande partie disparu. L’expression de la date est finalement l’un des éléments dont la relative standardisation entre les actes normands et les actes anglais est la plus tardive.

Conclusion : Influences et emprunts entre les chancelleries normandes et anglaises ?

46En guise de conclusion, on peut s’interroger sur l’existence d’influences réciproques entre les chancelleries normandes et anglaises. Les influences d’une chancellerie épiscopale sur une autre, en admettant qu’elles existent, sont toujours extrêmement difficiles à déceler. On peut toutefois signaler, à titre de curiosité plutôt que de véritable démonstration, quelques éléments mettant en rapport les corpus de Bayeux et de Salisbury, deux Églises entre lesquelles les liens et les circulations d’hommes ont été réels. L’adresse omnibus ad quos presens carta pervenerit est fréquente dans les actes des évêques de Salisbury au milieu du XII^e siècle. D’apparence classique, cette formule est en réalité singulière par l’emploi de carta et non de scriptum, beaucoup plus fréquent dans les adresses faisant référence à l’écrit. Surtout, cette formule est extrêmement rare dans les actes normands à la même époque, qui préfèrent toujours l’adresse avec scriptum, éventuellement pagina ou littere. On trouve l’adresse avec carta en Normandie à partir de la fin des années 1160 et dans les années 1170, c’est-à-dire peu de temps après le début de l’épiscopat, à Bayeux, d’Henri de Beaumont, ancien doyen de Salisbury. C’est d’ailleurs dans quelques actes d’Henri que se trouvent les premières occurrences normandes de cette adresse137. De même, l’expression sub presentia nostra apparaît dans plusieurs actes épiscopaux anglais pour faire référence à la présence de l’évêque, en particulier à Salisbury. Cette expression, originale par la préposition employée, est rarissime en Normandie : seuls les actes épiscopaux bayeusains sous Henri de Beaumont l’utilisent parfois138. Deux actes d’Henri pour le prieuré de Sainte-Barbe-en-Auge, donnés certainement en même temps139, entre 1164 et 1177, permettent de prolonger l’interrogation140. Outre l’adresse omnibus fidelibus ad quos presens carta pervenerit, et l’expression sub nostra presentia, la notification noverit tam presens etas quam futura posteritas est remarquable. Si on trouve cette dernière dans quelques actes anglais de cette époque, elle semble, en tant que telle, totalement inconnue en Normandie par ailleurs141. Le début de ces actes, donnés peu de temps après le début de l’épiscopat, est en fait très proche du début d’un acte de l’évêque Joscelin de Salisbury, donné entre 1155 et 1161142. D’une manière ou d’une autre, le début des actes bayeusains semble inspiré de l’acte de Salisbury. Or Henri de Beaumont, alors doyen de Salisbury, est le premier témoin de l’acte de l’évêque Joscelin, tandis que le dernier témoin nommé est un certain Hugues Buvet, chanoine de Salisbury et archidiacre de Bayeux143, qui est sans nul doute un parent d’Onfroy Bove, chancelier de Bayeux à l’époque de Philippe d’Harcourt et encore au début de l’épiscopat d’Henri de Beaumont144. Le rapprochement de ces trois actes laisse donc penser qu’à travers la circulation des dignitaires ecclésiastiques, des emprunts ont pu avoir lieu, que des influences ont pu s’exercer entre les chancelleries normandes et anglaises, sans que l’on puisse, pour l’instant, les évaluer plus précisément.