L’université normande

1Une nouvelle vie s’annonçait : d’élève préparant le baccalauréat, Madeleine devenait étudiante2. Comme Simone de Beauvoir elle aurait pu s’exclamer : « C’est arrivé : me voilà étudiante ! »3 Mais Madeleine n’était pas Castor. Perçut-elle, comme sa cadette de treize années, le statut exceptionnel qui était alors conféré à une jeune femme ? La Saint-Loise mesura-t-elle, en franchissant le seuil de l’université normande, l’importance de la situation qui lui était donnée de vivre ? Dans les lettres qu’elle adressa à sa famille durant les deux années passées à Caen, rien ne le donne à penser. L’eût-elle souhaité qu’il n’est pas assuré que ses parents l’aient entendu. Sa mère était une femme bien inscrite dans son temps, assumant parfaitement le rôle d’épouse d’inspecteur d’académie. Son père, agrégé de philosophie, éclairé autant qu’humaniste, était un homme du XIX^e siècle, de ce siècle qui avait volontiers ravalé la femme dans des rôles subalternes. Tout en reconnaissant la métamorphose opérée, notamment par l’école, il affirmait, en 1911, devant un parterre de jeunes normaliennes réunies à Coutances : « l’âme féminine est demeurée l’âme féminine […] les facultés de la femme ont grandi et se sont fortifiées sans nul renoncement aux devoirs propres du métier de femme »4. Il est de ceux qui, lors du conflit mobilisant les maîtres au front, contraint de confier les garçons à des maîtresses, reconnurent qu’elles n’avaient pas démérité bien que, néanmoins, l’autorité en ait eu à pâtir5. Dans les faits, malgré la réforme de 1896 et la modernisation du baccalauréat, en 1902, la gent féminine n’avait pas encore, en 1916, beaucoup investi les rangs de l’université caennaise. Jean Quellien et Dominique Toulorge précisent, dans leur récent ouvrage consacré à l’histoire de l’université de Caen, que les étudiantes n’étaient, en 1913, qu’au nombre de cinquante-sept, dont trente-trois inscrites à la faculté de lettres6. C’était peu, assurément, mais en net progrès par rapport aux précédentes décennies. De ce point de vue, l’université de Caen ne s’est guère montrée très hardie. La première inscription d’une étudiante, mentionnent-ils, daterait de novembre 1886, suivie, dix années plus tard, de deux autres. En 1904, dans un discours prononcé à la distribution des prix du collège de Caen, le professeur de littérature à la faculté de lettres de l’université de Caen, Maurice Souriau, appelait de ses vœux la création d’une université féminine pour compléter la mise en place de collèges et de lycées féminins7. Il n’en fut rien puisque les femmes pouvaient s’inscrire dans toutes les universités. Il est vrai que jusqu’au tournant du XX^e siècle la présence féminine dans l’ensemble des universités françaises restait restreinte8. La proportion augmenta sensiblement dans les premières décennies du siècle, en particulier durant la Première Guerre mondiale, même si en nombre absolu les inscriptions d’étudiantes diminuèrent à cause de l’implication des femmes dans l’effort de guerre9. Selon Pierre Moulinier, « un étudiant sur quatre est alors à Paris une femme, et leur poids continue d’augmenter dès 1919 »10.

2Depuis la réforme des études universitaires de 1896, pour obtenir la licence, il fallait en réussir les examens constitutifs auxquels il convenait de s’inscrire en s’acquittant de droits. Un registre conservé aux archives départementales du Calvados11 recense un millier d’inscriptions pour la faculté de lettres de 1907 à 1920 dont, seulement, soixante-quinze fiches d’étudiantes, et pas une seule relevée avant 1913. Il est heureux pour la réputation de l’université de Caen que Madeleine n’ait pas été la première. D’autres, avant elle, s’étaient assises sur les bancs de l’université : une femme à l’université de Caen n’était certes plus une exception. Leur nombre, affirme Jean Collin12, qui avait d’abord insensiblement augmenté depuis l’inscription de la première étudiante13 en novembre 1886, s’était plus nettement accru durant la Première Guerre mondiale. Néanmoins, la jeune Saint-Loise ne pouvait éviter d’observer le statut minoritaire de la représentation féminine. Jamais, cependant, dans sa correspondance, elle n’en fit confidence, le seul intérêt qui vaille était d’étudier, d’étudier encore et d’étudier toujours avec une exigence et une abnégation qui confinent parfois au paroxysme. Elle devait se sentir bien isolée malgré la présence, sur les mêmes bancs de la faculté de lettres, mais en anglais, d’un autre Saint-Lois dont le théâtre reconstruit conserve aujourd’hui la mémoire en lui ayant donné le nom de théâtre Roger-Ferdinand14. Madeleine, éventuellement, pouvait également se rapprocher de Marie Opérie, communément prénommée Yvonne15. Yvonne Opérie, déjà engagée dans la vie professionnelle en tant que professeur, avait pris la même orientation et suivait les mêmes enseignements d’histoire. Elle prit Madeleine en amitié et guida sa cadette dans la découverte de ce milieu inconnu.

3En effet, bien que Saint-Lô, en ce début du XX^e siècle, disposât d’un ensemble architectural de tout premier ordre, la jeune Saint-Loise ne pouvait manquer d’être impressionnée par l’imposant et majestueux Palais de l’université (fig. 1). Détruit par les bombardements de 1944, il n’en reste plus rien hormis l’emplacement, un rectangle d’environ 100 mètres de long sur 50 mètres de large, occupé en partie par l’actuel square Camille-Blaisot, des logements et des bureaux. Les bâtiments s’étendaient, d’une part, du chevet de l’église du Vieux Saint-Sauveur à la rue aux Namps, et, d’autre part, de la rue Pasteur, ancienne rue de la Chaîne, à la rue Saint-Sauveur. On ne peut s’en faire meilleure idée qu’en se reportant à la reconstitution qu’en opère une équipe de chercheurs de l’université de Caen16, complétant ainsi utilement la collection de cartes postales dont on peut disposer. « Palais de l’université » : la formule elle-même, en dehors de toute autre considération architecturale, imposait le respect et la considération voulus par les architectes de l’université nouvelle. Il s’agissait, chez ces réformateurs que furent notamment Lavisse, Liard, Goblet et leurs amis, de donner aux facultés une structure juridique forte et cohérente. Débutée dans les années 1870, la lente et méthodique évolution trouva son terme dans l’adoption de la loi du 10 juillet 1896 qui décida que les corps des facultés prendraient le nom d’universités mais, à l’instar de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire, l’enseignement supérieur demeurait une fonction de l’État. De même que l’école primaire devait disposer d’une « maison » à son image, l’enseignement supérieur devait avoir son « palais ». Il est d’ailleurs à noter que Louis Liard17, originaire de Falaise, ancien recteur de l’académie de Caen de 1880 à 1884, alors directeur de l’Enseignement supérieur, préconisait de ne réserver l’appellation d’université qu’à quelques pôles bien choisis. Le législateur ne le suivit pas. La Société des amis de l’université de Normandie, créée pour la circonstance en 1894 et présidée par Edgar Zevort18, recteur de l’académie de Caen de 1884 à 1908, obtenait satisfaction. C’est ainsi que Caen put conserver son université. L’un des plus ardents défenseurs en fut, d’ailleurs, Léon Deries, qui œuvra à son maintien (fig. 2) : « Une Université est comme l’âme d’un pays et c’est l’âme qui dirige le corps. Exposer en Normandie la cause de l’Université de Normandie, c’est la gagner parce qu’il n’est personne qui ne comprenne qu’à son avenir est lié l’avenir d’une des plus belles régions de notre France »19.

Fig. 1 – Palais de l’université de Caen, reconstitution en 3D.

Fig. 2 – Léon Deries, L’université de Normandie, pour la Société des amis de l’université de Normandie, 1896.

4Vingt ans après, la puissance du débat qui anima la fin du XIX^e siècle était probablement largement oubliée car la jeune étudiante était admise à entrer dans le Palais de l’université normande. Le bâtiment était imposant. Sa construction fut décidée du temps où l’abbé Jacques Daniel, futur évêque du diocèse de Coutances et Avranches, était recteur de l’académie de Caen. Les locaux des anciennes Grandes écoles et de l’École centrale20, abandonnés en 1808, jugés trop exigus, devaient être agrandis21. Les travaux de construction s’achevèrent en 1844 et, en 1847, deux statues en bronze en l’honneur de deux célébrités calvadosiennes, le poète François Malherbe22 et le mathématicien Pierre-Simon de Laplace23, furent érigées dans la cour d’entrée, rue de la Chaîne, renommée rue Pasteur depuis 1896 (fig. 3 et 4)24. Le nombre d’étudiants ne cessant d’augmenter à mesure que les facultés se diversifiaient, d’autres travaux d’agrandissement durent être entrepris en 1884 par l’adjonction de deux ailes, l’une parallèle au chevet de l’église de Saint-Sauveur-le-Vieux, l’autre le long de la rue aux Namps. L’ensemble, assurément, avait belle allure.

Fig. 3 – Palais de l’université de Caen, rue Pasteur.

Fig. 4 – Palais de l’université de Caen, statue de Laplace placée à gauche, dans la cour d’entrée, rue Pasteur.

5Les lieux apprivoisés et l’espace maîtrisé, restait à s’approprier l’organisation des études. Force est de constater aujourd’hui que, à mesure de leur diversification, elle s’est sensiblement complexifiée. De ce point de vue, les propositions du début du XX^e siècle, comparées aux organigrammes actuels, apparaissent presque simplistes. Longtemps, en effet, la licence ne fut guère plus qu’un bon baccalauréat supérieur.

6Dans l’ancienne université, l’enseignement littéraire était donné à la faculté des arts. L’Empire, en organisant l’université impériale, créa la faculté des lettres. Les matières scientifiques furent séparées des matières littéraires naguère enseignées, sans distinction, dans les facultés des arts. Les lettres mirent tout de même du temps à trouver leur place et, finalement, à exister. Ce fut, en effet, moins la formation des étudiants qui constitua son idéal que le rayonnement qu’assurèrent les grands maîtres d’éloquence que furent Victor Cousin, François Guizot ou Abel-François Villemain. Ce faisant, ils introduisirent le sérieux du travail et la rigueur méthodologique attendus. Nombre d’œuvres qui comptent encore dans l’histoire de la littérature, la critique littéraire, la philosophie ou l’histoire leur sont dues. Plus tard avec le doyen Joseph-Victor Leclerc et des professeurs comme Émile Egger, Auguste Himly ou Paul Janet, les examens devinrent autre chose que de simples dissertations banales et convenues. Malgré tout, à la fin du Second Empire, les facultés de lettres manquaient notoirement d’étudiants. Une réforme de l’enseignement supérieur était devenue indispensable.

7En 1916, l’université nouvelle pouvait se prévaloir d’une expérience de vingt ans. Assise sur les projets de Victor Duruy, Paul Bert et William Henry Waddington, parachevée par Louis Liard, directeur de l’Enseignement supérieur, promulguée par Raymond Poincaré, la loi du 10 juillet 1896 vint mettre un point final à une lente maturation débutée vers 1875. Cette loi réorganisait l’enseignement supérieur, ses structures mais également ses contenus. Ainsi, la licence ès lettres se trouvait diversifiée en quatre sections : philosophie, histoire et géographie, langues et littératures classiques, langues et littératures étrangères vivantes. En chacune, la version latine fut maintenue comme épreuve de culture classique. Le texte à traduire devait cependant provenir d’un historien pour les historiens ou d’un philosophe pour les philosophes. En outre, une des épreuves écrites et une des épreuves orales devaient porter, au choix du candidat, sur un sujet tiré de l’un des enseignements donnés au sein de la faculté de lettres. Dans les épreuves spéciales de chaque série, le choix entre plusieurs sujets restait offert. En philosophie, par exemple, il était possible d’opter, selon la terminologie de l’époque, pour la philosophie générale, la psychologie, la logique et la méthode des sciences morales ou la sociologie. Les historiens pouvaient orienter leur choix vers l’histoire ancienne, le Moyen Âge, l’histoire moderne, l’histoire contemporaine ou la géographie. Les philologues pouvaient orienter leur choix vers l’explication littéraire et grammaticale d’un texte grec, d’un texte latin, de textes français et devaient répondre aux questions sur un des cours de langues littéraires classiques de la faculté. Les philologues modernes, eux, avaient à se déterminer sur l’explication littéraire et grammaticale d’un texte de littérature étrangère et devaient répondre sur l’histoire littéraire du pays dont ils avaient choisi la langue, ainsi que traduire un texte plus facile dans une seconde langue choisie par eux.

8Entourée de philosophes, d’historiens, d’érudits, l’étudiante Madeleine Deries n’avait que l’embarras du choix. On imagine la jeune bachelière à la fois félicitée et amplement conseillée par les nombreuses relations et amis de la famille dont Paul Le Cacheux25, le généreux archiviste départemental. Ce dernier ne cessa de suivre sa jeune protégée qui le lui rendit bien. Plus tard, dans un courrier26 daté du 28 novembre 1917, elle écrivait à son père : « remercie encore bien pour moi M. Lecacheux [sic] si aimable et si important dans le choix des livres et dans leur appréciation ». Madeleine, on le sait, opta pour la section langues et littératures classiques et choisit un sujet d’histoire comme en témoigne le registre des inscriptions à la faculté de lettres (fig. 5). Ainsi allia-t-elle une solide culture classique à ses goûts profonds pour l’histoire. On reconnaît bien là, sinon l’influence paternelle, au moins une forme d’identification à la trajectoire paternelle.

Fig. 5 – Première inscription de licence ès lettres en langues et littératures classiques.

9La première inscription fut prise le 15 novembre de l’année 1916, immédiatement après l’obtention du baccalauréat. À chaque inscription, les candidats devaient s’acquitter de droits à verser à la caisse du percepteur, à savoir 30 francs auxquels il convenait d’ajouter 2,50 francs pour bénéficier de la bibliothèque de la faculté. Quatre inscriptions furent prises. Trois le furent dans la série principale, langues et littératures classiques ; la deuxième et la troisième, moins de quatre mois après la première, le 2 mars 1917. Enfin, la quatrième, le 9 juin 1917, le fut en histoire, l’un des enseignements donnés à la faculté de lettres, comme le voulait la réglementation. En un peu plus de sept mois, dans la même année universitaire, l’étudiante Madeleine Deries avait pris la totalité des inscriptions requises pour se préparer aux épreuves de la licence ès lettres (fig. 6 et 7).

Fig. 6 – Quittance de la faculté des lettres de Caen, 15 novembre 1917.

Fig. 7 – Inscription de licence ès lettres en langues et littératures classiques et histoire.

Une vie d’étudiante à Caen de 1916 à 1918

10De cette première année universitaire, il ne demeure aucune trace dans les archives familiales sous la forme de ces échanges épistolaires qu’on ne retrouve qu’à partir de septembre 1917. Léon Deries venait régulièrement à Caen rencontrer, pour raisons professionnelles, le recteur Edgar Zevort. Les deux hommes s’appréciaient et avaient lié des relations amicales et respectueuses comme en témoigne la nécrologie rédigée au décès d’Edgar Zevort, en mars 1908. Mais Caen n’est pas Saint-Lô. Les Deries n’allaient pas laisser leur fille, seule, sans grande expérience de l’autonomie, dans cette grande ville inconnue. Il lui fallait trouver un hébergement. La première inscription prise en novembre 1916 livre une indication précieuse. Dans un premier temps, Madeleine déclara demeurer à Saint-Lô, rue Dame-Denise. Elle se ravisa, raya et modifia l’adresse pour affirmer cette fois demeurer à Caen, au n^o 32 de la rue de l’Oratoire. Or, précisément rue de l’Oratoire27 venait d’être ouvert un foyer pour jeunes filles. Il s’agit d’un établissement toujours actif connu sous le nom de « foyer de l’Oasis » (fig. 8)28. À l’origine, il s’agissait d’une œuvre charitable imputable à M^lle Aline Itier, fille du directeur des Douanes. En 1857, elle décidait, aux côtés de Clémentine Brochin, de consacrer sa vie et sa fortune à aider et soutenir les jeunes ouvrières caennaises isolées, sans emploi et sans logement. Le maire mit à leur disposition un local pour accueillir une douzaine de jeunes filles. Leur démarche fut rejointe par la jeune congrégation créée en 1862 par le père Saulet, supérieur des missionnaires de la Délivrande. C’est ainsi que, en 1879, un immeuble fut acquis au n^o 3 de la rue des Jacobins qui devint un centre d’activité pour jeunes filles. Les internes étaient formées au métier de servantes avec les religieuses. D’autres apprenaient le métier de couturière ou de souffleuse de perles. La demande ne cessait de s’accroître. En 1914, un comité soutenu par M^me Harcourt décida d’ouvrir une maison d’accueil au 32, rue de l’Oratoire et d’en confier la direction aux sœurs de la Sainte Famille de Douvres-la-Délivrande qui poursuivirent l’œuvre de M^lle Itier. Ce ne fut qu’en 1920 que l’Œuvre trouva sa forme légale d’association Loi 1901 sous l’appellation « Association l’Oasis ».

Fig. 8 – Foyer « Oasis » à Caen à ses débuts.

11Ce fut donc ce foyer qui hébergea la jeune étudiante saint-loise dans les premiers mois de sa vie caennaise car, en mars 1917, lors de sa seconde inscription, Madeleine indiquait demeurer au n^o 8 de la rue Basse à Caen (fig. 9). En juin 1917, elle y résidait toujours, probablement dans l’immeuble qui existe encore. Elle n’y resta pas. De l’endroit où elle trouva à se loger en novembre 1917, elle dit voir le clocher de l’église Saint-Sauveur. Un point de vue absolument improbable de la rue Basse qui, éventuellement, donne sur les flèches de l’église Saint-Pierre.

Fig. 9 – Immeuble sis au n^o 8 de la rue Basse à Caen (anciennement rue Basse-Saint-Gilles).

12À cette époque, un événement vint bousculer l’existence réglée de l’étudiante caennaise. Au moment où elle s’apprêtait à faire sa seconde rentrée universitaire, Madeleine dut être hospitalisée d’urgence pour une appendicite aiguë, vraisemblablement compliquée. Il s’en fallut de peu que ce ne soit fatal. En cette fin du mois d’octobre, ses parents étant retenus à Paris, elle dut affronter, seule, cette cruelle et douloureuse épreuve. Elle reçut le soutien de ses cousins caennais, Gaston Crevel et sa fille Germaine. M^me Prentout, l’épouse de l’éminent professeur d’histoire à l’université, qui demeurait également rue Basse, au n^o 56, vint la voir. Même le recteur, M. Moniez, en l’absence de son collaborateur et ami, vint lui rendre visite accompagné de sa collaboratrice, M^lle Colas. Mais, pour sympathiques que furent ces visites, elles ne remplacèrent jamais la chaleur du réconfort qu’aurait pu apporter la présence d’un père et d’une mère au chevet de leur fille malade. Madeleine, à l’écriture habituellement si régulière, le leur exprima de son lit d’hôpital, dans un graphisme déformé par la douleur que la morphine ne parvenait que difficilement à atténuer et aussi par l’angoisse : « Ma petite Maman que je serai heureuse de t’embrasser, toi que j’ai tant désiré voir ».

13Passé l’épreuve de l’intervention et du séjour à l’hôpital, une bonne surprise l’attendait. Madeleine emménageait dans un nouveau logement. Accueillant et calme, il se trouvait en plein centre historique de la cité caennaise, à deux pas de l’université (fig. 10). Laissons Madeleine le décrire en ce jeudi 8 novembre 1917 :

Mon salon était bien chauffé, avait une jolie table et une petite lampe (électrique) de cuivre, la chambre meublée d’acajou avait une jolie table que j’ai transformée en coiffeuse, et une grande commode avec un dessus de marbre et une glace au-dessus. Les murs étaient tapissés à neuf d’une nuance claire et orné [sic] de vieilles gravures.

14Et l’étudiante ajoutait à l’intention de ses parents :

On est bien dans cette vieille demeure tranquille, vrai logis d’étudiante en histoire, avec ses larges baies à petits carreaux qui lui donnent encore un parfum d’autrefois. De ma fenêtre j’aperçois le clocher de S^t Sauveur, les vieilles maisons du voisinage, et le soir, quand la nuit vient, je puis me croire au temps de François I^er.

15Une telle description ne manque pas de piquer la curiosité.

Fig. 10 – Plan du centre de Caen, 1942 (extrait). On y repère la rue de la Monnaie reliant la rue Froide à la rue des Teinturiers et à la rue Gémare.

16Madeleine semble avoir souhaité se rapprocher des lieux d’études qu’elle affectionnait particulièrement, notamment la bibliothèque de l’université où elle passait le plus clair de son temps. L’étudiante avait trouvé à se loger dans la pension de famille qu’offrait M^me Domin qui, en plus de l’accueil chaleureux et du service attentionné de gens de maison zélés, n’était pas sans rappeler à Madeleine la blessure pas encore cicatrisée de la disparition de sa propre grand-mère décédée l’année précédente. Le nom de Domin et la description du lieu permettent de situer l’endroit. La famille Domin était bien connue à Caen. C’était l’un des principaux imprimeurs de la place installé dans ce qu’il en reste aujourd’hui, c’est-à-dire la cour des Imprimeurs, place Bouchard, au chevet de l’église Saint-Sauveur qui n’est autre que l’église Notre-Dame-de-Froide-Rue, cette église à deux nefs, devenue église de la paroisse Saint-Sauveur lorsque l’église que l’on appelle maintenant le « Vieux Saint-Sauveur » fut, en 1802, désaffectée. Alexandre Domin29 tenait la charge de son propre père, Louis Domin, qui, lui-même, avait hérité de l’imprimerie de ses beaux-parents Delos (fig. 11)30. Louis Domin31, un ancien avoué, jusqu’alors propriétaire d’une feuille d’annonce, décida de transformer cette dernière en journal politique32. Il fonda, en 1848, en réaction sans doute aux événements33 du 21 avril 1848, le journal L’Ordre et la Liberté34. Sous la plume de ses principaux rédacteurs, Peloux, Travers et l’abbé Lenormand, le journal devint rapidement « l’organe unique dans le Calvados du clergé et de la fraction légitimiste du département ». À la mort de Louis Domin, sa veuve désigna Isidore Cantrel comme rédacteur-gérant et son fils, Alexandre, comme administrateur de l’entreprise désormais tenue en copropriété avec ses trois fils et la veuve Delos. Le journal était, selon la formule du préfet du Calvados, en 1876, « l’organe du parti légitimiste extrême du département ». Né à Caen le 21 octobre 1841, Clément Louis Alexandre dit Alexandre Domin avait épousé à Courseulles-sur-Mer, le 26 juin 1867, Marie Victoire Noémi Robert, née à Courseulles-sur-Mer le 21 mai 1842. Il poursuivit la rédaction du journal L’Ordre et la Liberté qui était publié à Caen, cour de la Monnaie, rue Notre-Dame, n^o 70. Alexandre Domin décéda le 18 janvier 1880 à l’âge de trente-neuf ans. Sa veuve tint à poursuivre l’affaire pour la léguer à son fils Edmond, né à Caen le 19 octobre 1871. Dès lors, toutes les publications furent signées de la veuve Alexandre Domin jusqu’à ce qu’Edmond Domin reprît l’affaire. Elle éditait également Le Causeur normand dont le frère d’Alexandre Domin, Henry Domin, était propriétaire35. Après son mariage, célébré à Louviers (Eure) le 26 avril 1906 avec Françoise Loth, le couple s’installa dans l’hôtel Duval de Mondrainville36 où l’artiste peintre que fut Françoise Domin-Loth exerça un talent reconnu. Noémi Domin, ayant abandonné les activités professionnelles, transforma alors son immeuble en pension de famille et se fit hôtesse et parfois confidente. L’ensemble immobilier était situé dans la rue de la Monnaie37, Edmond au n^o 4, sa mère au n^o 1. Seuls quelques immeubles de la rue de la Monnaie ont été sauvés des bombardements alliés de 1944. En revanche, ceux qu’occupait M^me Veuve Domin, au début de la rue, n’ont pu l’être38.

Fig. 11 – Imprimerie Domin à Caen, cour de la Monnaie, hôtel Duval de Mondrainville.

17L’étudiante ne pouvait guère espérer mieux. Ce quartier de Caen, avec ces vieux immeubles chargés d’histoire, ne pouvait manquer d’inspirer la future historienne. De surcroît, Madeleine côtoyait un milieu d’imprimeurs, d’éditeurs, de libraires auquel son père, à Saint-Lô, l’avait habituée. En outre, la famille Deries à Saint-Lô entretenait des relations privilégiées avec la famille Pougheol, notaire39 à Saint-Lô depuis 1907. Or, Ferdinand Joseph Henri Pougheol, dit Henri Pougheol, se trouvait être le neveu de M^me Domin. Il est très vraisemblable que les réseaux de relations aient ici tenu un rôle essentiel.

18M^me Domin prit un plaisir évident à faire partager son expérience à sa jeune protégée. On comprend mieux le respect avec lequel Madeleine ne cessait de parler de M^me Domin. La pension était tenue avec soin. La propriétaire exigeait de son personnel l’éducation et le savoir-vivre qui étaient la marque d’une femme distinguée. Il n’était guère de lettres dans lesquelles ne furent évoquées la gentillesse, la courtoisie, l’amabilité de celle qui représentait aux yeux de Madeleine le modèle de la bonne société caennaise. Ce fut à son contact que la jeune étudiante gagna en sérénité et en maturité. D’autant qu’à la pension, Madeleine n’était pas seule. S’y trouvait également une jeune pensionnaire anglaise dont elle s’était fait une amie et une confidente. Ce fut dans ces conditions, on ne peut plus favorables, que Madeleine entreprit sa dernière année d’études à l’université de Caen.

19Situation plus favorable ne pouvait être faite, en effet, à une étudiante en histoire, que d’habiter dans cette partie historique de la cité caennaise, à deux pas de l’université, dans ce milieu d’imprimeurs-libraires connus et appréciés sur la place. C’est dans cet appartement situé au premier étage40, à gauche, que Madeleine s’initia aux mondanités. Suivant les conseils de M^me Domin, elle apprit à recevoir. C’est ainsi qu’elle recevait volontiers pour prendre le thé. Elle invita ses professeurs. Cela se faisait. Sans doute habitués, M. et M^me Prentout firent souvent le chemin de la rue Basse, où la famille demeurait41, à la rue de la Monnaie. Le thé de Madeleine était d’autant apprécié qu’il était accompagné de savoureux biscuits. Ceux de Caen, affirmait-elle, ne valaient pas ceux de Saint-Lô : les fameux « biscuits Combes », des réputés pâtissiers-confiseurs saint-lois42 de la rue Torteron, que, bien que fragiles, Madeleine demandait régulièrement à ses parents de lui envoyer. À cette époque, deux pâtisseries-confiseries, situées dans la même rue, Pinaud et Combe, se partageaient les faveurs des Saint-Lois. Les Combe, dans le souvenir de Jean Follain, possédaient « un local luxueux à l’étalage impeccable »43.

20M^me Domin fit ainsi bénéficier Madeleine de ses relations, introduisant volontiers sa jeune protégée dans les meilleures maisons caennaises, chez les Souriau, par exemple, rue de l’Oratoire. Madeleine sortait. Régulièrement, elle se rendait aux offices dominicaux, le plus souvent à l’église Saint-Sauveur, toute proche, ou, si elle était en retard parce que le déjeuner, servi au lit, s’était prolongé plus que de coutume, à l’église Saint-Pierre. Elle allait également aux vêpres ou au salut, parfois à Notre-Dame-de-la-Gloriette. En plus, toujours sur les conseils de M^me Domin, Madeleine se promenait volontiers dans les rues de Caen bien que la ville manifestât, à cette époque, la marque des violences de la guerre, ne serait-ce qu’au travers des casernes et des nombreux immeubles réquisitionnés pour héberger les indispensables hôpitaux temporaires. Madeleine, comme elle le confiait à ses parents, « fait la coquette », se parant de ses plus beaux atours, son beau manteau et son manchon. Elle répondait volontiers aux invitations, en particulier de ses cousins Crevel44 qui, parfois, après une promenade à la Maladrerie, la retenaient à dîner comme en ce dimanche 18 novembre 1917. Cependant, les relations se dégradèrent assez rapidement. Le cousin Gaston se montra désagréable à son égard, affirmant en public qu’une fille ne devait pas beaucoup aimer ses parents pour leur préférer les livres, les études et l’éloignement du domicile familial. Récemment veuf, disait-il cela à l’intention de sa propre fille Germaine, restée à ses côtés, qui aurait bien voulu reprendre ses études. Madeleine avait d’ailleurs bien tenté de l’y aider en demandant à son père de lui confier les cours de philosophie qu’il professait à La Roche-sur-Yon. Toutefois, Madeleine, déçue du comportement de sa cousine, n’ayant pu obtenir l’appui qu’elle aurait souhaité, avait trouvé en la jeune pensionnaire anglaise, sa voisine, une chaleureuse amitié. Elles se promenaient ensemble, allaient aux offices et discutaient tantôt en français, tantôt dans la langue de Shakespeare.

21M^me Domin n’était pas sans rappeler à Madeleine, sous bien des aspects, la grand-mère dont la disparition, l’année précédente, lui avait été si cruelle. Lorsque M^me Domin vint lui présenter ses petits-enfants, Madeleine, rapportant à sa mère l’événement, décrivit l’effet qu’elle ressentit lorsque la petite dernière, une petite blonde aux yeux bleus, manifesta le désir de venir sur ses genoux. Une autre fois, Madeleine s’enquit de l’opportunité d’inviter un de ses professeurs qui lui avait rendu service en lui prêtant un ouvrage dont elle avait besoin. N’était-il pas inconvenant qu’une jeune fille invitât, chez elle, dans son appartement, un célibataire, fût-il professeur et plus âgé qu’elle ? Là encore, les conseils éclairés de M^me Domin, ajoutés à ceux qu’elle cherchait auprès de sa propre mère, constituèrent la base même de son apprentissage des règles de la bonne conduite en société.

22Ce fut à Caen qu’elle le fit. À l’évidence, ses études ne lui permettaient plus de revenir à Saint-Lô que rarement. L’étudiante y fit donc l’apprentissage de l’autonomie. Madeleine ne sortait pas beaucoup, confiait-elle, mais, chaque fois, elle prenait grand soin de sa tenue. Elle n’était pas du genre femme en cheveux et les chapeaux, qu’elle assortissait à ses vêtements, lui seyaient. Elle dut apprendre à gérer son intérieur, pourvoir au chauffage, prendre soin de ses vêtements, broder, être attentive à ses toilettes, et même, écrivait-elle, raccommoder ses bas. M^me Domin, avec son personnel, sut adoucir une situation rendue parfois délicate en ces temps de guerre et de pénurie. Madeleine y fit face avec courage et détermination. En manque de charbon, elle veillait toujours à avoir suffisamment de bois pour chauffer son appartement, y compris en ce début du mois de mars 1918, où, à Caen, une neige inattendue était venue recouvrir le sol. Elle affirmait même en ressentir une réelle satisfaction. Elle en tirait une certaine fierté. D’ailleurs, elle savait trouver des solutions. Elle n’hésita pas à participer à des travaux à l’Institut botanique du Jardin des Plantes de Caen (fig. 12)45. Elle y trouvait là le réconfort d’un endroit bien chauffé. Pour les mêmes raisons, mais surtout pour les besoins des études, elle fréquentait régulièrement, et aussi longtemps qu’il était permis, la bibliothèque de l’université (fig. 13 et 14) qui présentait alors toutes les qualités d’un bâtiment moderne et fonctionnel grâce aux travaux réalisés, au début du siècle, par l’architecte caennais Henri-Charles Deguernel46. Elle était même parvenue à se faire un allié du très pointilleux bibliothécaire qui fermait les yeux sur les éventuels dépassements des horaires de fermeture admis47. Cette vie lui convenait, bien que, souvent, malgré tout, elle manifestât la nostalgie du domicile familial. Exprimant la satisfaction de la visite que se propose de lui faire son père, « Father » comme elle le surnommait avec affection, elle écrivait ce 3 mars 1918 : « Soyez assurés que votre grande fille ne vous oublie pas et que souvent par la pensée elle revoit la salle à manger de la rue Dame-Denise dans une maison qui sera toujours pour elle “la maison” ».

Fig. 12 – Institut botanique du Jardin des Plantes de Caen.

Fig. 13 – Bibliothèque de l’université de Caen, façade principale.

Fig. 14 – Salle de lecture de la bibliothèque de l’université de Caen.

23Temps de guerre ; temps de pénurie ; temps de malheurs ; temps de solidarité nationale, aussi. Madeleine se préoccupait des événements internationaux qu’elle suivait avec un intérêt soutenu. Lors de son séjour à Auteuil déjà, elle s’inquiétait de l’avenir de la France. Souvent dans ses lettres dominicales, elle évoquait la situation : ici la « poigne du ministère Clemenceau », là celle de la « pauvre Serbie » ou celle encore, « étrange, de la Russie ». Madeleine fut, en effet, très tôt sensibilisée à la situation du pays en ces temps difficiles. Aux côtés de sa mère, à Saint-Lô, elle apporta son aide et son soutien aux blessés de guerre soignés non loin de la propriété familiale des Palliers, dans l’hôpital temporaire n^o 26, ouvert le 12 août 1914 dans l’école primaire supérieure de jeunes filles de la rue de Carentan48. Ces hôpitaux temporaires ou auxiliaires étaient gérés par trois sociétés d’assistance de la Croix-Rouge agréées par l’autorité militaire : la Société de secours aux blessés militaires, l’Union des femmes de France et l’Association des dames françaises49. C’est à cette dernière que Madeleine adhéra50, comme en témoigne la carte d’identité d’infirmière qui lui fut attribuée avec le brassard de neutralité n^o 38 (fig. 15). À Caen, elle n’eut guère la possibilité de poursuivre cette mission bien que, en mars 1918, elle laissât entendre à ses parents qu’elle s’occupait de réfugiés qui lui donnaient autant de soucis que ceux qu’ils rencontraient à Saint-Lô. Mobilisée et engagée, Madeleine l’était, assurément. Au printemps 1918, elle écrivait : « Plus j’étudie mon histoire, plus j’ai confiance dans les destinées de la France, et plus aussi je sens les liens qui nous unissent à la Patrie m’étreindre le cœur »51.

Fig. 15 – Carte d’identité de l’Association des dames françaises attribuée à Madeleine Deries, non datée.

24Chez les Domin, la jeune femme trouva le cadre qui lui convenait. Elle y perçut le calme et la sérénité nécessaires à l’indispensable engagement personnel qu’un tel investissement requiert. Elle trouva auprès de M^me Noémi Domin les conseils, les encouragements et la compréhension d’une grand-mère ; auprès de M^me Edmond Domin l’aide et les conseils d’une artiste peintre qui lui rendait visite régulièrement comme en ce dimanche 25 novembre 191752 pour l’aider à terminer un dessin d’art exigé par ses professeurs. Dès le jeudi 8 novembre 1917, malgré la dureté des temps et l’impossibilité de faire fonctionner son réchaud par absence totale de pétrole sur la ville, elle pouvait écrire à ses parents : « Chez M^me Domin, la vie est charmante ». Pour autant, elle ne s’abandonna jamais à la facilité car, à vrai dire, Madeleine se consacra entièrement aux études. Un seul regret, cependant, qu’elle exprima à plusieurs reprises : celui de ne pouvoir bénéficier du soutien de son père comme elle l’avait, à Saint-Lô, pour préparer le baccalauréat. « La seule chose que je trouve dure, c’est de ne plus travailler avec Father », écrivait-elle le 11 septembre 1917. Et d’ajouter comme pour mieux se justifier : « La grande étudiante est restée une petite écolière qui souffre de ne plus étudier sous l’égide de son – je ne dirai pas professeur, c’est quelque chose de plus – de son maître. Tu avais pris la responsabilité du bachot, je serais contente si tu prenais celle de ma licence »53.

25Pour Madeleine, seules les études comptaient. C’est à l’université qu’elle passait l’essentiel de son temps. Au travers de la correspondance échangée avec ses parents, seules, en effet, les études donnaient sens à son existence. Pouvait-elle trouver quelque soutien auprès de camarades, étudiantes comme elle ? Rien n’est moins assuré hormis Yvonne Opérie, plus âgée qu’elle et déjà impliquée dans la profession enseignante. Elle en mentionnait plutôt les relations conflictuelles liées le plus souvent, soulignait-elle, à des sentiments de jalousie au regard de ses excellents résultats, de son travail et de la considération dans laquelle la tenaient ses professeurs. Dans ces années de guerre, le nombre de jeunes filles, bien que restreint, augmenta d’autant leur représentation que les garçons étaient appelés sur le front. Aussi purent-elles s’organiser. Madeleine fréquenta sans doute cette salle de la faculté des lettres où les jeunes filles se retrouvaient avant les cours ou entre les cours pour consommer thé ou chocolat accompagné de petits pains54. Rien n’interdit de le penser car, à partir de ces réunions de convivialité et de soutien mutuel, les étudiantes fondèrent, en 1918, leur propre organisation surnommée l’« A’ », à l’instar de l’« A », fondée, en 1884, à l’instigation d’Émile Haumant55, futur titulaire de la chaire de langue et littérature russes qui sera créée à l’université de Paris en 1902.

Les études à l’université

26Ce fut avec une passion dévorante que Madeleine s’engloutit dans les études. En moins d’une année universitaire, on l’a vu, Madeleine prit successivement quatre inscriptions en vue d’obtenir la licence ès lettres. Son choix se porta sur la section langues et littératures classiques. Elle y ajouta, comme la réglementation le lui permettait, l’option histoire-géographie. Les certificats de licence n’existaient pas encore. Déjà en vigueur en sciences, ce système ne fut adopté par les facultés de lettres qu’à partir de 1920.

27Dans sa correspondance, c’est toujours avec un profond respect mêlé d’une note de confiante affection qu’elle évoquait ses professeurs. Sans doute, le nombre restreint d’étudiants rendait possible d’amicales mais non moins respectueuses relations entre élèves et professeurs. Il ne semble pas que Madeleine ait, à cette époque, fréquenté les milieux étudiants. Quand elle eut à les évoquer, c’est pour signaler des difficultés relationnelles notamment avec quelques rares étudiantes. Difficultés qu’elle attribuait à la qualité de son travail et aux résultats appréciés des professeurs. Des louanges qui pouvaient de son point de vue être considérées comme une marque de favoritisme. Dans sa correspondance, la jeune étudiante n’a jamais mentionné des relations avec les garçons qui auraient pu être méprisantes, dédaigneuses ou condescendantes. Il est vrai qu’il est peu aisé aujourd’hui de se faire une claire représentation de ce que furent les études universitaires à cette époque car il n’existe que peu de documents, devoirs, mémoires ou archives personnelles conservées de ces années précises (fig. 16).

Fig. 16 – Rares devoirs universitaires conservés par les archives départementales du Calvados. Ici, composition de français-littérature classique de 1924 et composition d’histoire moderne et contemporaine de 1924. On y observe les commentaires et signatures du professeur Souriau sur la première, des professeurs Weill et Prentout sur la seconde.

28En réalité, les études conduisant à la licence, découlant de la réforme voulue par Louis Liard en 1896, s’appuyaient, pour l’essentiel, sur des devoirs réguliers, très méticuleusement corrigés et commentés par les professeurs selon un programme que les étudiants devaient se procurer ou, à défaut, en prendre connaissance par voie d’affichage. À quoi s’ajoutaient des travaux personnels de recherche et de réflexion donnant lieu à des exposés, appelés « leçons ». En la circonstance, les étudiants mettaient d’autant volontiers un point d’honneur à dominer leur sujet que la confiance que leur accordaient les professeurs était forte. Ce fut particulièrement vrai pour Madeleine, toujours soucieuse d’excellence. Non seulement elle n’hésitait pas à mobiliser son père, mais elle se montra également fort sensible aux appréciations de ses maîtres. Ce 3 mars 1918, étudiante maintenant confirmée, elle écrivait à ses parents56 : « M. Weill a été satisfait de mon devoir d’histoire », et d’ajouter : « aujourd’hui je me suis plongée en plein XVII^e siècle et me suis mêlée à la vie des paysans du règne de Louis XIV qui plus obscurément mais pour une aussi plus grande part que les écrivains et poètes ont contribué à la gloire de notre France ». Belle analyse pour une intellectuelle nourrie de littérature classique.

29Sensible aux félicitations, elle était « remplie de joie », écrivait-elle à ses parents le 16 décembre 1917, lorsque le professeur la félicita pour une interprétation d’une version latine relative à la lettre de Lucilius. « Vous expliquez cela virilement et logiquement et vous possédez bien la langue », rapportait-elle à un père qui ne pouvait qu’apprécier. Madeleine fut toujours soucieuse de l’organisation de son temps qu’elle soumettait, comme c’était la règle, à ses professeurs. Toujours dans ce même courrier :

Pour ne pas perdre de temps, j’ai fait l’emploi du temps que j’ai soumis à M. Weill qui l’a approuvé et m’a dit que je savais admirablement organiser mon travail et qu’il n’y avait rien à retoucher. De 6 heures et demie à 7 heures de travail par jour – c’est mon emploi du temps – suffisent, dit-il. C’est là le maximum à fournir, a-t-il ajouté.

30Ainsi Madeleine faisait-elle partager à ses parents la rigueur du travail exigé. Les leçons demandaient beaucoup. Fin 1917, elle choisissait trois leçons à soutenir, deux pour le professeur Prentout, L’événement de l’an 800 et l’idée de l’Empire et Le gouvernement intérieur de Charlemagne, la troisième pour le professeur Raynaud, L’industrie et le commerce en Italie. Ces leçons furent couronnées du succès mérité par le travail fourni. « Le gouvernement de Charlemagne a eu les honneurs du triomphe », pouvait-elle écrire le 28 janvier 1918. « Très bonne leçon, plan très net, parole ferme. Leçon bien préparée et vraiment très intéressante »57. Tel fut le jugement du professeur Prentout. M. Weill, de son côté, ne tarissait pas d’éloges à propos d’une leçon sur La Conquête de Strasbourg.

31Ajoutons à cela les excellents résultats obtenus aux versions latines, telles les pages de Pline ou de Cicéron dont elle ne manquait jamais d’envoyer la traduction à son père. Moins heureuse ce 24 septembre 1917 quand sa version latine n’obtint que la note de 11. Elle redoubla d’efforts et soumit à son père l’explication de sa traduction d’une page de Tacite, « fort belle et poignante, mais le suprême plaisir, ajoutait-elle, est d’en sentir la beauté dans la lecture latine ». S’agissant précisément de l’expédition de Germanicus sous Tibère, après avoir fait des recherches historiques, elle expliqua la raison qui lui fit conserver les termes de « césar » et « légats ». Ensuite, dans les trois pages suivantes, elle demandait à son père son avis sur les traductions qu’elle se proposait de retenir pour conclure : « Inutile de te dire que j’ai travaillé pour obtenir ce résultat, mais j’en suis contente »58. On reconnaît là l’exigence de l’étudiante que fut Madeleine qu’elle exprima dans une formule allemande : « Sie sind eine gute Schülerin », recommandant à son père de n’en rien dire à personne et, surtout, de ne pas écrire à M. S., ce professeur, objet de tant d’attention. Il est vrai que Madeleine bénéficia des enseignements de professeurs eux-mêmes exigeants qui, à l’évidence, influencèrent ses orientations, ses choix et ses méthodes de travail. Parmi ceux qu’elle citait le plus souvent : Georges Weill, Maurice Souriau, dont elle compta les filles parmi ses relations, Barbeau (fig. 17), et surtout l’historien Henri Prentout avec la famille duquel elle entretenait des liens d’amitié, Raynaud59 ou Schneider. Ils devinrent si familiers que la simple initiale de leur nom suffisait à les évoquer dans la correspondance qu’elle entretenait avec ses parents. Ce sont des personnalités fortement affirmées faisant d’autant autorité dans leurs disciplines que leurs publications étaient remarquées. L’influence que les uns et les autres eurent sur la jeune étudiante justifie la nécessité de les connaître mieux.

Fig. 17 – Professeur Barbeau, doyen de la faculté de lettres, 1932, d’après Cinquième centenaire de la fondation de l’université de Caen, 1432-1932 : livre d’or, Caen, Malherbe, 1933.

32Du doyen Barbeau, il n’est guère fait mention dans la correspondance. À croire que Madeleine n’eut pas de relation avec l’enseignement de cet éminent professeur que la ville de Caen honore en ayant retenu son nom pour l’une de ses rues60. Charles Alfred Barbeau61, il est vrai, fut un spécialiste de la langue de Shakespeare et de la littérature anglaise62. On lui doit, notamment, une édition abrégée de David Copperfield (1932) et surtout une traduction de Samuel Taylor Coleridge (1926). Professeur de langue et littérature anglaises, il fut élu doyen de la faculté de lettres de l’université de Caen63 par le Conseil académique réuni le 31 octobre 1913. Madeleine avait opté pour une autre section : la section langues et littératures classiques avec une valence histoire-géographie. Elle n’avait donc pas à le rencontrer pour ses études. En revanche, furent mentionnés Louis-Armand Rainaud, René Schneider, Maurice Souriau ainsi que deux autres qui le furent encore davantage : Georges Weill et Henri Prentout.

33Louis-Armand Rainaud64, agrégé de l’université en histoire-géographie65 (1887), fit l’essentiel de sa carrière à Caen. Ancien professeur de géographie à la faculté des lettres de l’université de Caen, il fut nommé professeur honoraire66 en 1933. L’année suivante, par décret en date du 24 janvier 1934, il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur67. Il avait alors rejoint son domicile lyonnais. Il donna régulièrement des conférences (fig. 18) comme en ce mercredi 26 février 1913 : La conquête du pôle Sud et Amundsen. À compter du 1^er décembre 1933, la chaire de géographie dont il était le dernier titulaire fut transformée en chaire d’histoire de l’art, confiée à Élie Lambert68, jusqu’alors maître de conférences et professeur sans chaire. Le commerce et l’industrie en Italie, sujet de leçon choisi par notre étudiante, entrait très précisément dans le champ de ce professeur de géographie. René Gabriel Schneider69, quant à lui, ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur ès lettres, fut maître de conférences (1906-1913) puis professeur en histoire de l’art de la faculté de lettres de l’université de Caen de 1913 à 1919. Cette année-là, il quitta Caen et fut chargé de cours à l’université de Paris. On lui doit de nombreuses publications70 : L’Ombrie : l’âme des cités et des paysages (Paris, Hachette, 1905), Rome : complexité et harmonie (Paris, Hachette, 1907). En 1910, il obtint le diplôme de docteur ès lettres de l’université de Paris avec une thèse sur Quatremère de Quincy et son intervention dans les arts (1788-1830), et une seconde sur L’esthétique classique chez Quatremère de Quincy. Spécialiste de l’art italien, il publia Botticelli (Paris, Laurens, 1910) et Pérouse (Paris, Laurens, 1913), et de nombreux articles dans la Revue d’art et d’archéologie. Son importante contribution à l’histoire de l’art fut brutalement arrêtée en 1938 à la suite d’un accident vasculaire qui lui avait ôté l’usage de la parole.

Fig. 18 – Cours et conférences de la faculté de lettres pour l’année 1919-1920.

34Maurice Anatole Souriau fut une tout autre personnalité71. Plus âgé que ses collègues, il était né à Châteauroux le 12 septembre 1856. Il était plutôt de la génération de Léon Deries. Ils devaient d’ailleurs se connaître. Ancien élève de l’École normale supérieure (1875), professeur de rhétorique aux lycées de Chambord, de Nîmes et de Bordeaux de 1878 à 1884, il fut nommé maître de conférences, puis professeur de littérature française à la faculté de lettres de Caen, poste qu’il occupa de 1884 à 1920. Trois fois lauréat de l’Académie française, officier de l’Instruction publique, il reçut, en 1919, la médaille de la Reconnaissance française pour sa participation aux œuvres de guerre de Caen et du Calvados72. Il présida l’œuvre du Ravitaillement de la gare-état de Caen dont il fut à l’origine de la création. Par décret en date du 30 septembre 1920, il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur73. Il laissa une œuvre impressionnante dont certains ouvrages sont encore édités de nos jours. Parmi l’imposante bibliographie, on peut relever, notamment, Louis XVI et la Révolution (Paris, May & Motteroz, 1893), L’évolution du vers français au XVII^e siècle (Paris, Hachette, 1893), Histoire du romantisme en France (Paris, Spes, 1923), Histoire du Parnasse (Paris, Spes, 1929) mais également Le jansénisme des « Pensées » de Pascal (Paris, Armand Colin, 1896)74. C’est à Maurice Souriau que Madeleine se référait lorsqu’elle faisait part à son père des réflexions contradictoires que lui suggérait le jansénisme. Cette profonde perplexité l’amena même à devoir rejeter le choix de ce sujet de leçon que lui proposait le professeur. Maurice Souriau est à l’origine d’une controverse. Lors d’un discours prononcé à l’occasion de la distribution des prix du collège de Caen en 1904, il appela de ses vœux la création d’une université proprement féminine75. Le projet très traditionaliste suscita de vives réactions notamment dans les milieux féministes. En 1916, un deuil cruel vint frapper la famille : Simone Souriau, atteinte d’une maladie incurable, venait de décéder dans sa seizième année76 le vendredi 28 juillet au domicile familial situé au n^o 29 de la rue de l’Oratoire à Caen. C’est ce douloureux événement que Madeleine rappelait à ses parents lorsque, deux années plus tard, elle se rendit à l’Oasis et qu’on lui présenta les locaux que Maurice Souriau avait mis à la disposition de l’association en mémoire de sa fille disparue77. Dans sa correspondance, Madeleine évoquait Maurice Souriau avec beaucoup de respect mais également avec une certaine appréhension. « Surtout n’en parle pas à M. S. », recommandait-elle avec insistance à son père.

35Autre figure marquante, l’historien Jacques Georges Weill78. Frère de Jeanne Weill connue sous le nom de Dick May79, fils du grand-rabbin Michel Weill et d’Ève Marx, son épouse, Jacques Georges dit Georges Weill était né à Sélestat le 6 juillet 1865. Il fut l’un des premiers historiens à recommander de recourir aux sources originales pour construire les recherches en histoire. Georges Weill fut un historien de l’idée républicaine. Son Histoire du parti républicain en France (1814 à 1870), publiée en 1900, n’a certainement pas manqué d’intéresser les Deries père et fille80. Spécialiste du saint-simonisme et de l’éducation au XIX^e siècle, il s’est également intéressé au catholicisme libéral, à l’éveil des nationalités, au mouvement social ou à la presse. On lui doit notamment une Histoire du catholicisme libéral en France, 1828-1908 (Paris, Alcan, 1909, rééd. Genève, Slatkine, 1979), Histoire de l’idée laïque en France au XIX^e siècle (Paris, Alcan, 1929)81 et, plus tard, L’Europe du XIX^e siècle et l’idée de nationalité (Paris, Albin Michel, 1938). Georges Weill avait de la sympathie pour sa jeune étudiante. Madeleine le ressentait. Elle en éprouvait une certaine fierté qu’elle exprima dans sa correspondance. L’influence du maître fut assurément déterminante dans l’orientation que Madeleine donna à ses recherches ultérieures.

36Aux côtés de Georges Weill, mais non moins influent, fut l’historien Henri Prentout. Professeur d’histoire, vice-président puis président de la Société des antiquaires de Normandie (1916), il s’était fait une spécialité de l’histoire de la Normandie et du Moyen Âge. Henri Ernest Armand Prentout était normand. Né au Havre le 19 septembre 1867, il fit l’essentiel de sa carrière à Caen. Il avait d’abord été élève du lycée de Caen puis de la faculté de lettres de cette même université avant d’y revenir comme professeur. Membre de nombreuses sociétés littéraires et savantes, il s’intéressait de très près à la vie intellectuelle de la cité et, au-delà, de la région. Il laissa à sa mort82 une impressionnante bibliographie d’ouvrages sur la Normandie, ses institutions et les personnalités qui ont marqué son histoire. Henri Prentout fut davantage pour l’étudiante qu’un professeur respecté. L’historien normand fréquentait les mêmes cercles intellectuels que Léon Deries. De sorte que des liens de réciproque affection s’étaient établis. La famille Prentout fut invitée chez Madeleine, d’abord en voisins, rue Basse, puis cour de la Monnaie. Comme pour son collègue, on est en droit de penser que l’érudit normand eut une influence certaine sur le choix des sujets d’étude de sa protégée. Henri Prentout la conseillait, l’encourageait, l’orientait. Il était un peu pour elle comme le double de son père.

37Il y en eut d’autres comme Camille Sourdille83 : ancien élève de l’École normale supérieure, professeur agrégé de grammaire (1896), professeur au Mans de 1902 à 1910, docteur ès lettres avec une thèse soutenue à Paris en 1910 et publiée la même année sous le titre La durée et l’étendue du voyage d’Hérodote en Égypte84. Assistant à la faculté de lettres de Bordeaux, il fut chargé de la chaire de littérature et institutions grecques à l’université de Caen jusqu’à son décès en 1935. Madeleine ne semble avoir eu que peu de relations avec ce professeur helléniste confirmé. Néanmoins, elle le rencontra dans son cabinet de travail ainsi qu’elle le rapporta à ses parents85.

38Tous furent des professeurs hautement considérés. Georges Porchet, un ancien étudiant, ami de l’« A », dans une communication qu’il fit lors de la commémoration du cinquantenaire de l’AGEC qui s’est déroulée à Caen, le 3 juin 1934, les présenta en des termes qui forcent le respect :

Les professeurs, depuis longtemps nommés à Caen, jouissent d’une considération extrême, sont en pleine possession de leur talent et assurent avec succès l’initiation à la Science et à la préparation aux concours. Il y a là H. Prentout dont l’érudition anglo-normande nous effare, M. Besnier, passionné pour les problématiques épigraphiques et spécialisé dans l’étude de l’Empire romain. M. Schneider commente tableaux et monuments avec une science qui n’a d’égal que la forme littéraire dont il use. M. Weill nous dévoile l’état actuel de la science sur la société du XIX^e siècle. M. Raimond incite à l’étude des grands problèmes de la géographie générale. M. Barbeau, très séduisant dans ses commentaires de littérature anglaise, M. Souriau, très aimé lorsqu’il poursuit ses études sur le Romantisme, M. Belouin, charmant et très doux dans son enseignement de la langue allemande, sont avec M. Colin, M. Lemercier, M. Robin et Pierre Villey les principaux professeurs de la section des Lettres dont le décanat est confié à M. Lemasurier86.

39Madeleine ne fréquenta pas les cours de tous ces éminents professeurs dont Georges Porchet souligne ainsi les mérites. Certains n’étaient plus en fonction mais la plupart l’étaient au temps. Ces professeurs aux personnalités affirmées eurent une influence certaine sur l’étudiante, du moins l’exprima-t-elle dans sa correspondance, pour qu’en un temps qui force l’admiration Madeleine obtînt la licence ès lettres. Elle répondait ainsi à l’espérance du professeur Weill qui, l’année précédente, lui avait prédit qu’elle obtiendrait sa licence. Avec ces éminents professeurs, impliquée comme elle le fut, Madeleine s’appropria, outre un capital de connaissances et des intérêts bien arrêtés sur des thèmes de recherches en histoire clairement ciblés, des méthodes de travail et de recherches dont elle fit le meilleur usage.

Madeleine Deries, licencié87 ès lettres

40Au vu du certificat d’aptitude au grade de licencié ès lettres accordé le 21 juin 1918 par les professeurs de la faculté de lettres de Caen, le diplôme de licencié ès lettres, série histoire et géographie, fut délivré à Madeleine Deries « pour en jouir avec les droits et prérogatives qui y sont attachés par les lois, décrets et règlements ». Fait et signé à Paris le 19 août 1918, par Louis Lafferre, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts88, et par le directeur de l’Enseignement supérieur, délivré par le recteur de Caen, Romain Moniez89, le 2 décembre de la même année sous le n^o 2800 (fig. 19). L’impétrante, elle, n’avait pas jugé utile de signer son diplôme. Probablement n’en eut-elle pas besoin dans l’immédiat puisque cette pièce ainsi que le diplôme de bachelier ne furent adressés par le secrétaire des facultés à Léon Deries, inspecteur d’académie à Saint-Lô, que le 5 avril 1919 (fig. 20). Madeleine Deries, désormais Madeleine Dupuis, était déjà ailleurs.

Fig. 19 – Diplôme de licencié ès lettres délivré à Madeleine Deries par le recteur de l’académie de Caen le 2 décembre 1918.

Fig. 20 – Bordereau d’envoi des diplômes de bachelier et de licencié ès lettres de Madeleine Deries, adressés à l’inspecteur d’académie de la Manche en date du 5 avril 1919.