Influence des émotions sur la prise de décision du footballeur
Influence of Emotions on Football Player’s Decision-Making
p. 33-45
Résumés
L’objectif de ce chapitre est d’appréhender la manière dont les émotions peuvent influencer la performance du footballeur, et plus précisément un élément décisif de sa performance, sa prise de décision. Partant de l’exemple de Zinédine Zidane lors de la finale de la Coupe du Monde de football en 2006 contre l’Italie, nous tenterons de comprendre les mécanismes impliqués dans les réactions émotionnelles des joueurs de football, ainsi que leurs conséquences possibles. On pense souvent de prime abord aux émotions en termes de valence (c’est-à-dire si elles ont une tonalité positive ou négative), avec l’idée reçue que les émotions négatives, telles que la colère et l’anxiété, sont forcément néfastes à la performance. Nous verrons que les résultats des recherches récentes montrent que la valence des émotions a finalement peu d’impact sur la performance de prise de décision, alors qu’un élément physiologique lié aux émotions, le système nerveux parasympathique, dont l’activité est mesurée à travers la variabilité de la fréquence cardiaque, va jouer un rôle déterminant, étant donné ses réactions à la pression et ses relations avec l’efficacité des processus cognitifs mis en jeu dans la prise de décision du footballeur. Nous terminerons ce chapitre en présentant une méthode fondée sur la respiration lente contrôlée pouvant optimiser l’activité du système nerveux parasympathique, de manière à permettre au sportif d’approcher un état optimal de concentration, quelle que soit la situation rencontrée.
The purpose of this chapter is to understand how emotions influence the performance of football player, and more specifically his decision-making. Starting from the example of Zinédine Zidane during the World Cup football final in 2006 against Italy, we will try to understand the mechanisms playing a role in the emotional reactions of football players, as well as their consequences. We usually think first of emotions in terms of valence, this is to say whether they are positively or negatively hedonically toned. Thus, we got the idea that negative emotions, like anger and anxiety, are always hindering performance. Actually, recent findings show that emotional valence has little impact on decision-making performance, but a physiological component, the parasympathetic nervous system – which activity is measured through heart rate variability – will play a critical role. This can be explained by the reaction of the parasympathetic nervous system to pressure and its relationship with the effectiveness of cognitive processes used in the decision-making process of football players. We will conclude this chapter in showing a method to optimize vagal activity based on slow paced breathing, in order to enable athletes to reach an optimal concentration state, regardless of the situation encountered.
Texte intégral
Introduction
1La pression inhérente à la compétition entraîne inévitablement des manifestations émotionnelles chez les footballeurs. Ces émotions peuvent avoir une influence importante sur les comportements des joueurs, parfois malheureuses, comme nous le rappelle l’exemple de la finale de la Coupe du Monde 2006 contre l’Italie, avec le coup de tête de Zinédine Zidane sur la poitrine de l’un de ses adversaires. S’il existe beaucoup de définitions possibles des émotions, un consensus est généralement trouvé sur le fait qu’il s’agit d’un phénomène associé à des manifestations psychophysiologiques relativement brèves, de l’ordre de quelques secondes à quelques minutes, au contraire de l’humeur, qui peut durer plusieurs heures ou plusieurs jours. Une définition de l’émotion, appropriée au contexte sportif, inspirée de Sylvain Laborde, Markus Raab et Fabrice Dosseville1, et fondée sur les travaux de Yuri Hanin2, Richard S. Lazarus3 et Klaus R. Scherer4, pourrait ainsi s’écrire : une émotion est une réaction psychophysiologique à l’évaluation des relations en cours avec l’environnement. Cette réaction consiste en trois niveaux principaux de réponse : 1) un niveau subjectif, c’est l’expérience vécue par le sujet ; 2) un niveau comportemental, ce sont les actions ou les intentions d’action ; 3) un niveau neurophysiologique, ce sont tous les mécanismes corporels, physiologiques et cérébraux qui donnent à l’émotion sa dimension organique. Chaque émotion peut être caractérisée par une tonalité hédonique (sa valence positive ou négative) et par son impact sur la performance (sa fonctionnalité : fonctionnelle VS dysfonctionnelle). L’élément particulièrement important à souligner dans cette définition est le terme d’évaluation, qui permet de comprendre les variations à la fois inter- et intra-individuelles liées aux émotions. Une manière d’évaluer ce qui génère les émotions ressenties pendant la compétition est notamment de s’intéresser à la manière dont est vécue la période précédant la compétition, en mesurant l’évaluation réalisée à ce moment-là, par exemple avec le questionnaire développé par Svenja Anna Wolf, M. Blair Evans, Sylvain Laborde et Jens Kleinert5.
2Si cette conceptualisation des émotions comme état ponctuel, qui va fluctuer en fonction des événements durant un match de football, n’est pas discutable, nous souhaitons introduire ici un niveau plus stable, envisagé par Richard S. Lazarus6, lié à la personnalité des sportifs7. Cette distinction est importante à introduire, car elle signifie que les individus vont avoir certains patterns stables liés aux émotions, et que la prise en compte de ces patterns stables, de ces dispositions émotionnelles, permettra de comprendre de manière plus fine ce qui se passe sur le terrain, comment les émotions ponctuelles se développent, et comment il est possible d’agir sur elles.
Prise de décision et émotions
3Les émotions vont avoir le potentiel d’influencer un élément décisif de la performance en football : la prise de décision8. Selon Amos Tversky et Daniel Kahneman9, une décision est définie par les actes ou bien les options parmi lesquelles un individu doit choisir, par les conséquences et les résultats possibles de ces actes, ainsi que par les éléments qui conditionnent la relation entre les conséquences et les actes. Le modèle de la génération d’options10 va spécifier que dans la plupart des situations l’individu n’est pas confronté à une liste de choix prédéterminés, mais doit générer lui-même ses propres options, avant de sélectionner parmi celles-ci l’option qui lui paraît la plus adéquate en fonction des contraintes de la situation et de son expérience préalable.
4Les dernières recherches scientifiques sur la question réalisées à l’Université allemande du sport de Cologne11 ont montré que, plus que les aspects subjectifs des émotions, ce sont les aspects physiologiques de celles-ci qui vont influencer la prise de décision du sportif. La première étude12 avait pour objectif d’étudier chez des handballeurs l’influence des émotions sur leur prise de décision. Les émotions des handballeurs étaient manipulées selon trois conditions : positive, négative et neutre. La première expérience de cette étude était fondée sur un protocole inter-sujets, c’est-à-dire que les participants n’étaient impliqués que dans l’une des conditions émotionnelles. Au niveau physiologique, l’impact des émotions a été mis en évidence à travers la variabilité de la fréquence cardiaque. La variabilité de la fréquence cardiaque représente la variabilité des écarts temporels entre chaque battement cardiaque, plus précisément le temps entre chaque pic R-R13. De nombreux paramètres peuvent être calculés à partir de cette variabilité de la fréquence cardiaque, qui reflète l’activité du système nerveux autonome. Plus particulièrement, la variabilité de la fréquence cardiaque permet de mettre en évidence l’activité du système nerveux parasympathique14. Des chercheurs américains ont fait de ce système parasympathique le cœur du modèle d’intégration neuroviscérale15. Selon ce modèle, une activité parasympathique élevée serait liée à la capacité de gérer le stress et les émotions de façon efficace, entraînerait de meilleures performances cognitives et serait liée globalement à une meilleure santé16.
5Dans l’étude sur les handballeurs17, la tâche de prise de décision proposée aux participants était une tâche de génération d’options, où les participants voyaient une scène d’attaque qui se figeait après quelques secondes lorsque l’un des joueurs avait la balle en main, et le participant avait alors dix secondes pour générer les différentes options envisageables pour ce joueur, telles que tenter le un contre un, passer à l’ailier, prendre le tir… À la fin de sa génération d’options, le participant devait donner l’option qu’il pensait être la meilleure. Le temps de réponse était enregistré en millisecondes. En tout, 90 handballeurs ont participé à cette étude, 30 novices (joueurs ayant suivi un cours de 30 heures à l’université), 30 avec un niveau d’expertise moyen (correspondant à un niveau régional) et 30 experts (joueurs de 1re et 2e divisions allemandes). Dans la condition d’émotions positives, celles-ci avaient été induites en utilisant de l’imagerie positive et de la musique motivante pour les participants. Dans la condition d’émotions négatives, une imagerie inverse avait été utilisée, négative, accompagnée d’un enregistrement des huées d’une foule au cours d’un événement sportif pendant une vingtaine de minutes. Pour la condition neutre, les joueurs ont dû lire un chapitre sur le thème de la concentration dans le sport. Les résultats de l’étude ont montré que la performance en prise de décision était meilleure dans la condition neutre en comparaison avec les conditions d’émotions positives et d’émotions négatives. L’activité du système parasympathique mesurée par la variabilité de la fréquence cardiaque était également plus élevée durant la condition neutre, par rapport aux conditions positives et négatives, confirmant ainsi le modèle d’intégration neuroviscérale, qui postule une association positive entre l’activité parasympathique et les performances cognitives18. Cette première expérience réalisée avec un protocole inter-sujets a ensuite été complétée avec une deuxième expérience19 avec un protocole intra-sujet (N = 30, de niveau novice), où chaque participant a pris part aux trois conditions (condition neutre, condition d’émotions positives, condition d’émotions négatives). Les mêmes résultats que dans la première expérience ont été obtenus, la meilleure performance étant réalisée dans la condition neutre, confirmant ainsi cette relation entre le système parasympathique et les performances cognitives20. Les conditions d’émotions positives et négatives ont certainement contribué à diminuer l’activité parasympathique car elles ont provoqué un degré trop important d’activation dans les deux cas chez les participants.
6Il est important de noter que ces résultats ont été observés en laboratoire, et que la prise de décision des participants était analysée alors qu’ils étaient assis, ce qui bien sûr ne reflète pas les conditions écologiques du terrain, mais obéit aux règles de la psychologie expérimentale, qui cherche à manipuler un nombre restreint d’éléments et à maintenir les autres constants afin de pouvoir comprendre de manière précise un phénomène. Sur le terrain, il est évident qu’un certain niveau d’activation va être nécessaire au joueur, afin d’assurer l’exécution motrice optimale de l’option qu’il a choisie, cette phase d’exécution étant la continuité de la phase de sélection, selon le modèle de la génération d’options21.
Les dispositions liées aux émotions : les différences individuelles liées aux traits de personnalité
7Comme nous l’avons mentionné au début de ce chapitre, en plus de l’aspect d’état ponctuel qui caractérise les émotions, il est important de considérer que ces variations émotionnelles vont être sous l’influence d’éléments plus stables, liés à la personnalité des sportifs22. Ces dispositions peuvent être vues sous l’angle des différences individuelles liées aux traits de personnalité23. Certaines de ces différences individuelles liées aux traits de personnalité auront un lien avec la performance des athlètes dans des conditions de pression24, ainsi qu’avec la variabilité de la fréquence cardiaque dans des conditions de pression25. Deux de ces éléments auront ainsi un rôle particulièrement important à jouer : la tendance au réinvestissement et l’intelligence émotionnelle.
La tendance au réinvestissement
8L’étude mentionnée dans la première partie de ce chapitre26 a servi de base à l’analyse des effets de la tendance au réinvestissement. Elle a ainsi été étendue avec plus de participants, toujours des handballeurs, mais cette fois-ci nous nous sommes concentrés sur la compréhension des mécanismes liés à la prise de décision dans des conditions de pression27. En plus des émotions négatives ponctuelles, nous avons pris en compte une différence individuelle liée à la personnalité des joueurs de handball : leur tendance au réinvestissement. La tendance au réinvestissement28 a deux composantes principales29, concernant les aspects moteurs30 et les aspects décisionnels31, et reflète le fait de se mettre à trop réfléchir (« réinvestir » des pensées) dans des situations sous pression, et de perturber ainsi l’automaticité des gestes techniques ainsi que la concentration et la lucidité.
9Cette tendance au réinvestissement a ainsi montré des effets négatifs sur la prise de décision, là encore par l’intermédiaire de la variabilité de la fréquence cardiaque32. Cette étude a montré que plus les joueurs avaient une tendance forte au réinvestissement, plus ils allaient avoir tendance à craquer sous la pression. Dans des conditions normales, la prise de décision de ces joueurs, de même que l’activité de leur système parasympathique, ne se différencient pas des joueurs ayant une faible tendance au réinvestissement33. Cependant, dès qu’on introduit des circonstances mettant les joueurs sous pression, on verra une différence entre les deux types de joueurs. Plus précisément, les joueurs ayant une forte tendance au réinvestissement ont présenté une plus grande chute de l’activité parasympathique sous pression, ainsi qu’une plus grande dégradation de leur performance en prise de décision, en comparaison avec les joueurs ayant une faible tendance au réinvestissement.
10Ces résultats ont été répliqués par la suite avec une autre fonction cognitive exécutive, la mémoire de travail34. La mémoire de travail est cette capacité à « jongler » avec des informations acquises en temps réel et à les mettre en parallèle avec celles contenues en mémoire. Chez les sportifs par exemple, elle sert à adapter le comportement du joueur en fonction des informations qu’il perçoit en direct sur le terrain par rapport aux différentes combinaisons travaillées et répétées à l’entraînement35. Notre étude sur la mémoire de travail36 comportait deux conditions : une condition de faible pression et une condition de forte pression. Si les performances de mémoire de travail des participants, quelle que soit leur tendance au réinvestissement, étaient similaires lors de la condition de faible pression, dans la condition de forte pression les participants ayant une tendance élevée au réinvestissement au niveau de la composante décisionnelle ont montré une baisse de leur performance en mémoire de travail, qui était associée également à une baisse plus importante du niveau d’activité parasympathique. Ces résultats confirment le fait que les sportifs avec une forte tendance au réinvestissement concernant l’aspect décisionnel présentent également une gestion moins efficace du stress lors des compétitions sportives37.
L’intelligence émotionnelle
11L’intelligence émotionnelle représente la capacité à gérer ses propres émotions et à interagir de manière harmonieuse avec les émotions des autres38. L’intelligence émotionnelle, plus élevée chez les sportifs que chez les non-sportifs39, a montré de plus un effet général positif sur la performance sportive40, et en particulier un effet protecteur contre le stress lié à la compétition, à deux niveaux. Au niveau subjectif, cet effet protecteur contre le stress se traduit par l’utilisation de stratégies de gestion du stress plus efficaces41, et au niveau objectif au travers de la variabilité de la fréquence cardiaque42 ainsi que de l’hormone du stress, le cortisol43.
12Si l’intelligence émotionnelle n’a pas été liée directement dans nos recherches à la performance en prise de décision, on peut imaginer qu’étant donné ses liens avec la gestion du stress, et notamment au travers de la variabilité de la fréquence cardiaque44, elle pourra influencer de manière indirecte la prise de décision des joueurs s’ils sont soumis à une pression importante. Les protocoles de développement de l’intelligence émotionnelle qui voient le jour dans le monde du sport45 pourraient permettre d’apporter des réponses innovantes afin de favoriser des réponses adéquates au stress des joueurs de football.
Interventions
13En termes de régulation émotionnelle, un large éventail d’interventions serait envisageable, par exemple en introduisant des routines de performance46. Je vais centrer cette section sur une piste d’intervention directement liée aux recherches présentées dans ce chapitre, c’est-à-dire avec l’objectif d’influencer la variabilité de la fréquence cardiaque et d’optimiser l’activité du système nerveux parasympathique.
14Les recherches actuelles ont montré qu’une activité parasympathique élevée est liée à une performance supérieure en termes de qualité de prise de décision chez des handballeurs47. Une méthode rapide et efficace pour augmenter l’activité du système nerveux parasympathique est par l’intermédiaire de la respiration lente contrôlée48. Une métaphore simple est de se représenter le système nerveux autonome comme une voiture, où le système nerveux sympathique représente l’accélérateur, et le système nerveux parasympathique le frein. Quand on est trop stressé ou fatigué, c’est que l’on appuie trop sur l’accélérateur. Toutes les méthodes de relaxation vont donc nous apprendre à utiliser le frein à bon escient, en d’autres termes, activer le système nerveux parasympathique. Dans le cas de la respiration, nous avons une connexion directe avec l’activité cardiaque, l’inspiration ayant pour effet d’accélérer le rythme cardiaque (par l’intermédiaire d’une inhibition de l’activité parasympathique), et l’expiration de le ralentir (par l’intermédiaire d’une stimulation de l’activité parasympathique à travers la libération d’acétylcholine), un phénomène connu sous le nom d’arythmie sinusale respiratoire49. Dans le cas de la respiration lente contrôlée, on va ralentir la fréquence de respiration à 6 cycles par minute (alors qu’elle se situe naturellement entre 12 et 20 cycles par minute), et l’on va adopter un pattern de respiration où l’expiration est légèrement plus longue que l’inspiration, de manière à stimuler l’utilisation du frein. Cette technique peut s’effectuer en suivant un guide respiratoire, par exemple une balle qui monte et descend comme avec le logiciel EZ-Air Plus50.
15Cette technique de respiration lente contrôlée peut être couplée à du matériel de biofeedback, c’est-à-dire des capteurs qui vont transmettre en temps réel, par exemple sur un ordinateur, la variabilité de la fréquence cardiaque et l’activité du système parasympathique. Cela constitue la base de l’entraînement de variabilité cardiaque avec biofeedback51. S’il est plus motivant pour le joueur de s’entraîner à la respiration lente contrôlée en utilisant du matériel de biofeedback, les résultats physiologiques atteints semblent être identiques52. De manière optimale, cette respiration lente contrôlée sera pratiquée par exemple pendant 10 minutes53.
16Comme technique alternative, nous pouvons mentionner également la méditation de pleine conscience, en anglais mindfulness, qui reflète le fait d’être attentif et conscient de tout ce qui se passe dans le moment présent, et aide à focaliser son attention d’une manière non analytique, afin d’éviter des pensées persistantes et obsessives54. La méditation de pleine conscience permettra également d’augmenter l’activité parasympathique55, et ce de manière similaire à la respiration lente contrôlée56. Cependant, le temps d’apprentissage de la méditation de pleine conscience est généralement plus long que celui de la respiration lente contrôlée.
Conclusion
17L’objectif de ce chapitre était de présenter la manière dont les émotions influencent la prise de décision des footballeurs. Je me suis fondé pour cela sur les seules recherches existantes dans ce domaine, qui ont été réalisées en handball57, mais l’on peut légitimement penser que les mécanismes à l’œuvre sont relativement similaires pour un joueur de football. Après avoir présenté le fait qu’une activité parasympathique plus élevée soit liée à de meilleures performances cognitives, confirmant le modèle d’intégration neuroviscérale de Julian F. Thayer58, nous avons introduit deux différences individuelles liées aux traits de personnalité, le réinvestissement et l’intelligence émotionnelle, qui vont avoir une influence sur les émotions en tant qu’état ponctuel, notamment sur la variabilité de la fréquence cardiaque59. Finalement, j’ai introduit une méthode d’intervention simple afin d’optimiser les réactions émotionnelles des footballeurs pour les préparer à faire face à des enjeux compétitifs importants : la respiration lente contrôlée. Cette intervention aura pour but d’aider à canaliser l’énergie des joueurs dans une direction favorable à la performance, plutôt que de la perdre dans des comportements agressifs contre-productifs. Ainsi, un état optimal de concentration et de lucidité pourra être atteint et maintenu tout au long de la rencontre.
18J’avais commencé ce chapitre avec l’exemple du coup de tête de Zinédine Zidane lors de la finale de la Coupe du Monde 2006 de football contre l’Italie. Même si toute tentative d’explication peut sembler spéculative étant donné la complexité de la situation, on a entendu beaucoup de personnes s’exprimer à ce sujet, journalistes, entraîneurs, médecins, psychologues, etc. Je ne prétends pas apporter ici la vérité ou ne serait-ce qu’une vérité supplémentaire, mais simplement souligner le fait que la lecture de ce chapitre permet d’éclairer certains éléments qui ont pu jouer un rôle dans cette situation. Étant donné qu’il s’agit d’un clair manque d’inhibition sur ce comportement précis (comportement agressif interdit par le règlement dont il connaissait parfaitement les conséquences), Zidane n’a pas réussi à inhiber l’action de donner ce coup de tête, ce qui peut s’expliquer à plusieurs niveaux. Sur le moment, il est très probable que cette action fut accompagnée d’un niveau très faible d’activité du système nerveux parasympathique à cause de facteurs tels que le stress, la fatigue et la pression à ce stade de la compétition, un faible niveau d’activité parasympathique étant lié à une déficience au niveau de la capacité d’inhibition60. Pour les entraîneurs souhaitant prévenir l’apparition de tels comportements chez leurs joueurs, on peut aisément songer aux bénéfices d’un entraînement régulier du système nerveux parasympathique, notamment à l’aide de protocoles de respiration lente contrôlée61. Au niveau des différences individuelles liées à la personnalité, une évaluation préalable des joueurs sur un ensemble de dimensions pourrait permettre de déterminer les profils ayant tendance à éprouver des difficultés à faire face à la pression, ou bien ayant tendance à y répondre par des conduites agressives.
19En ce qui concerne les perspectives des recherches futures, il pourra être intéressant de considérer l’influence sur la prise de décision d’autres différences individuelles liées à la personnalité jouant un rôle sur la variabilité de la fréquence cardiaque62. Ainsi, des différences individuelles telles que la force mentale63, déjà reliée à la faculté de gérer le stress, ainsi que l’intuition, déjà reliée à la performance en prise de décision64, semblent également prometteuses en ce sens. De plus, il semble intéressant de considérer l’influence des émotions sur la prise de décision non seulement chez les sportifs adultes, mais tout au long du développement du sportif, en adoptant par exemple une perspective développementale de la prise de décision dans le sport65.
20Si l’on résume, afin d’optimiser la qualité de sa prise de décision, le joueur de football aura besoin de s’entraîner régulièrement à élever l’activité de son système nerveux parasympathique, notamment avec des protocoles de respiration lente contrôlée potentiellement associée à un système de biofeedback66. Le résultat observable sera de pouvoir garder la tête froide dans des conditions de pression. D’un autre côté, il faudra être vigilant sur le choix du moment où ces techniques seront exécutées, car l’on ne voudrait pas non plus d’athlètes apathiques rentrant sur le terrain car ils auraient « trop appuyé sur le frein », alors qu’un certain niveau d’activation est requis pour la performance67. Le choix du moment de réalisation des techniques de relaxation sera donc particulièrement important. Les futures recherches scientifiques devront ainsi aborder de plus près l’influence des émotions sur l’aspect moteur de la prise de décision, ce qui a été relativement ignoré jusqu’à présent, bien que Markus Raab, Rich S. Masters et Jonathan P. Maxwell68 aient montré à quel point cet aspect est déterminant pour les sportifs. Ainsi, il sera possible de voir comment combiner cet élément avec le fait d’avoir une activation optimale, afin de préparer de manière conjointe son cerveau et son cœur pour la compétition, comme l’a décrit Andrew Cooke69.
Bibliographie
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10.1080/02640414.2014.951873 :Notes de bas de page
1 Laborde, Raab & Dosseville 2013, 325-358.
2 Hanin 2000.
3 Lazarus 2000, 229-252.
4 Scherer 2005, 695-729.
5 Wolf et al. 2015, 579-587.
6 Ibid.
7 Laborde, Raab & Dosseville 2013, 325-358.
8 Laborde 2015 ; Laborde, Dosseville & Raab 2013, 143-150 ; Laborde, Raab & Dosseville 2013, 325-358.
9 Tversky & Kahneman 1981, 453.
10 Johnson & Raab 2003, 215-229.
11 Laborde & Raab 2013, 339-357 ; Laborde, Raab & Kinrade 2014, 34-42.
12 Laborde, Dosseville & Raab 2013, 143-150.
13 Berntson et al. 1997, 623-648.
14 Ibid. ; Malik 1996, 354-381.
15 Thayer et al. 2009, 141-153.
16 Ibid.
17 Laborde & Raab 2013, 339-353.
18 Thayer et al. 2009, 141-153.
19 Laborde & Raab 2013.
20 Thayer et al. 2009, 141-153.
21 Farrow & Raab 2008, 210-230 ; Johnson & Raab 2003, 215-229.
22 Allen & Laborde 2014, 460-465.
23 Laborde, Breuer-Weissborn & Dosseville 2013, 25-60.
24 Mosley & Laborde 2015, 45-60.
25 Ibid.
26 Laborde & Raab 2013, 339-357.
27 Laborde, Raab & Kinrade 2014, 34-42.
28 Masters & Maxwell 2008.
29 Laborde et al. 2015b, 77-87.
30 Masters, Eves & Maxwell 2005.
31 Kinrade et al. 2010, 1127-1135.
32 Laborde, Raab & Kinrade 2014, 34-42.
33 Ibid.
34 Laborde, Furley & Schempp 2015, 430-436.
35 Furley & Memmert 2010, 171-194.
36 Laborde, Furley & Schempp 2015, 430-436.
37 Laborde, Dosseville & Kinrade 2014, 238-245.
38 Mayer & Salovey 1997, 3-31 ; Petrides 2009.
39 Laborde et al. 2015a, 942-951.
40 Laborde, Dosseville & Allen à paraître ; Laborde, Dosseville & Kinrade 2014, 238-245.
41 Laborde et al. 2014a, 481-490 ; Laborde et al. 2012, 255-261.
42 Laborde et al. 2011, 23-27 ; Laborde, Lautenbach & Allen 2015, 532-540.
43 Laborde et al. 2014b, 43-47.
44 Laborde et al. 2011, 23-27 ; Laborde, Lautenbach & Allen 2015, 532-540.
45 Barlow & Banks 2014, 1-8 ; Campo, Laborde & Mosley 2016, 152-158 ; Campo, Laborde & Weckemann 2015, 75-92 ; Crombie, Lombard & Noakes 2011, 69-86.
46 Lautenbach et al. 2015, 123-131.
47 Laborde & Raab 2013, 339-357 ; Laborde, Raab & Kinrade 2014, 34-42.
48 Wells et al. 2012, e46597.
49 Eckberg & Eckberg 1982, 638-644.
50 Logiciel téléchargeable gratuitement pour une période d’essai de 30 jours avec le lien suivant : http://bfe.org/new/try-our-breath-pacer-ez-air-plus/.
51 Lehrer 2013, 26-31 ; Lehrer et al. 2013, 98-109.
52 Wells et al. 2012, e46597.
53 Prinsloo et al. 2013, 391.
54 Shapiro 2009, 601-610.
55 Krygier et al. 2013, 305-313.
56 Van der Zwan et al. 2015, 257-268.
57 Laborde & Raab 2013, 339-357 ; Laborde, Raab & Dosseville 2013, 325-358.
58 Thayer et al. 2009, 141-153.
59 Laborde et al. 2011, 23-27 ; Laborde, Furley & Schempp 2015, 430-436 ; Laborde & Raab 2013, 339-357 ; Laborde, Raab & Kinrade 2014, 34-42.
60 Thayer et al. 2009, 141-153.
61 Wells et al. 2012, e46597.
62 Mosley & Laborde 2015, 45-60.
63 Gucciardi et al. 2015, 100-112 ; Guillén & Laborde 2014, 30-35.
64 Raab & Laborde 2011, 89-98.
65 Marasso et al. 2014, 251-273.
66 Lehrer 2013, 26-31.
67 Cooke 2013, 122-138.
68 Raab, Masters & Maxwell 2005, 326-344.
69 Cooke 2013, 122-138.
Auteur
Université allemande du sport (Cologne, Allemagne)
Université de Caen Normandie
Sylvain Laborde est maître de conférences à l’Université allemande du sport de Cologne. Il est psychologue et titulaire d’un doctorat européen en sciences du sport effectué entre la France et l’Allemagne. Il a obtenu pour ses recherches de thèse sur la prise de décision du sportif et sa relation avec la variabilité de la fréquence cardiaque le prix Jeune Chercheur de la Fédération européenne de psychologie des sports et des activités corporelles (FEPSAC, 2011). Ses recherches actuelles se focalisent sur l’activité du nerf vagal, et le rôle qu’elle joue sur les performances cognitives, la régulation émotionnelle, la gestion du stress et la santé en général. De plus, il s’intéresse aux traits de personnalité des sportifs (intelligence émotionnelle, intuition, etc.) et à leur influence sur la performance.
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