Introduction
p. 7-10
Texte intégral
1Cet ouvrage rassemble des contributions originales sur une thématique incontournable : le jugement et la prise de décision en football. C’est parce que la notion de prise de décision est omniprésente pour tous ces acteurs du monde du football que ce thème a été choisi pour le VIIIe colloque « Football et Recherche » qui s’est déroulé à Caen en mai 2014 avec le partenariat de l’université de Caen, l’Association des chercheurs francophones en football, la ville de Caen, la région Basse-Normandie, le Centre d’étude sport et actions motrices et la Ligue de Basse-Normandie de football. Les thèmes rassemblés dans cet ouvrage ont fait l’objet de présentations lors de cette manifestation. Notre volonté n’est pas de faire un point exhaustif des travaux actuels dans ce domaine, mais d’une part de rendre compte de la diversité des situations à enjeux décisionnels et stratégiques rencontrées dans le football, et d’autre part de mettre en évidence la richesse pluridisciplinaire de cette thématique.
2Le colloque de 2014 a permis des rencontres et des réflexions croisées entre chercheurs et praticiens. Dans le prolongement de cet esprit, les contributions rassemblées ici ont comme point commun de chercher à faire des liens entre connaissances scientifiques et opérationnalisation sur le terrain : non dans la perspective d’une application directe, mais au travers de la volonté d’aborder les sujets dans leur complexité, en mettant en lumière des paramètres constitutifs des réalités du terrain.
3La logique de l’ouvrage est construite sur le plan suivant :
- les décisions des acteurs du jeu dans leurs dimensions individuelle et collective. Le choix a été d’aborder différentes facettes de la complexité de la prise de décision, au-delà d’une approche centrée sur le traitement de l’information : il s’agit de proposer une réflexion scientifique en prise avec les réalités du praticien. Seront abordés :
- la notion d’intuition dans le chapitre « La prise de décision intuitive et coordonnée : contribution à la formation tactique des joueurs de football » (G. Kermarrec et C. Bossard). Les auteurs explorent la combinaison et l’articulation entre la préparation stratégique en amont de la rencontre sportive et les prises de décisions relevant de l’adaptation tactique en situation. Ces deux facettes de la décision (réfléchie, programmatique VS intuitive permettant l’ajustement) sont abordées sur le plan individuel, mais également en termes de coordination entre acteurs (partenaires, adversaires). Ce chapitre aborde ainsi la notion d’intelligence tactique rendue possible par le pouvoir de l’intuition, composante à part entière de l’expertise de très haut niveau. Les auteurs font le lien entre expertise et expériences accumulées et proposent, au-delà de la compréhension des mécanismes de décisions, une réflexion sur l’entraînement et la progression dans la maîtrise des décisions tactiques.
- la dimension émotionnelle dans le chapitre « Influence des émotions sur la prise de décision du footballeur » (S. Laborde). L’auteur aborde les réactions émotionnelles et leurs conséquences dans une problématique de performance. La prise de décision est ici considérée comme un facteur de performance en sport collectif. Les émotions générées par diverses formes de pression inhérentes aux situations compétitives se traduisent par des manifestations psychophysiologiques transitoires occasionnant des « interférences » dans les processus cognitifs, notamment décisionnels. L’auteur aborde également l’articulation entre ces états émotionnels transitoires et les dimensions plus stables de la personnalité en menant une réflexion sur les différences interindividuelles. En affirmant que l’intelligence émotionnelle est un moyen de se protéger du stress occasionné par la pression, Sylvain Laborde propose des pistes d’intervention pour l’entraîneur, orientées vers le contrôle des émotions fondé sur un état optimal de concentration.
- la direction et l’entraînement d’une équipe, conçus comme des activités collectives dans le chapitre « Entraîneur de football : un travail d’équipe ? Décider, décider de déléguer, déléguer la décision » (L. Sallé, J. Bréhon et H. Juskowiak). À partir du constat que le développement du sport professionnel conduit à une diversification des rôles et des responsabilités au sein des staffs techniques, les auteurs posent la question de l’organisation des tâches et des modalités d’élaboration des décisions dans ce contexte. Deux aspects sont développés : la composition du staff technique et l’organisation du travail collectif en son sein. Le rôle double de l’entraîneur (dimension technique VS dimension relationnelle) est mis en lumière au travers d’une analyse des différentes formes de collaboration et de délégation. Les auteurs mettent en évidence la diversité des configurations que l’on peut observer, tant sur le plan de la division horizontale du travail que de sa division verticale.
- respect et transgression de la règle. Dans une même logique de complexité, cette thématique est éclairée au travers de contributions relatives à des rôles différents :
- les joueurs et la transgression des règles dans le chapitre « Prise de décision en football : quand l’éthique s’en mêle (s’emmêle ?). La cognition sociale comme cadre d’analyse des comportements transgressifs en football » (G. Cabagno, O. Rascle et D. Le Foll). S’éloignant du traditionnel lien décision-performance, les auteurs se penchent sur la dimension réfléchie des comportements transgressifs : pourquoi et comment un joueur prend-il la décision de réaliser une action agressive voire antisportive ? Une des originalités de la démarche est de se focaliser sur des comportements socialement non désirables et sur leurs intentions délibérées. S’appuyant sur le cadre de la cognition sociale, les auteurs s’interrogent sur les informations sociales prises en considération dans les processus cognitifs qui conduisent à de tels actes. Ils mettent notamment en lumière les connaissances et les croyances à l’égard d’autrui (partenaires, adversaires, arbitres), les modalités d’interprétation des comportements sociaux, les paramètres contextuels d’enjeu.
- l’arbitrage dans sa dimension collective dans le chapitre « Les efforts de coordination des arbitres assistants à la prise de décision de l’arbitre central » (S. Boyer, G. Rix-Lièvre et M. Récopé). En matière d’arbitrage, les regards (du spectateur, mais également souvent du chercheur) se portent sur l’arbitre principal parce qu’il lui revient le rôle de communiquer les décisions arbitrales. Les auteurs ont choisi de se pencher sur l’amont de cette communication et d’explorer le processus coordonné reposant sur plusieurs personnes qui contribuent à élaborer la décision arbitrale finalement émise. Ainsi, ce chapitre appréhende simultanément les processus de construction de la décision et les processus de communication dans une perspective globale et dynamique de co-construction du jeu. Le lecteur se retrouve au cœur de l’action grâce à une méthode d’enquête en contexte écologique au plus proche des conditions réelles du jeu et de l’activité d’arbitrage.
- le sport-spectacle et ses dimensions économiques. On quitte désormais le terrain pour se pencher sur l’environnement de la rencontre sportive et certains de ses enjeux financiers. La diversité des décideurs étudiés va des parieurs aux dirigeants de clubs professionnels :
- les paris sportifs dans le chapitre « Comparaison entre prédictions et réalisations pour la Coupe du Monde de la FIFA 2014 : des pistes pour une aide à la prise de décision pour les paris futurs ? » (N. Scelles et W. Andreff). L’incertitude quant aux résultats sportifs… fait la fortune des organisateurs de paris. Les auteurs partent à la recherche d’explications de différences constatées entre prédictions pourtant fondées sur des modèles rationnels incluant de multiples variables et résultats finalement observés. Onze sources d’explications possibles sont passées en revue, non exclusives les unes par rapport aux autres. Elles portent tant sur les variables que sur la manière de les prendre en compte, ainsi que sur la dimension nécessairement évolutive du modèle. Malgré ces éléments d’analyse particulièrement stimulants, il semble que les paris sportifs aient encore de beaux jours devant eux. Mais peut-être certains lecteurs préfèreront-ils adopter un poulpe…
- les décisions stratégiques dans les clubs professionnels dans le chapitre « La prise de décision en management stratégique : l’économie comme bâton de pèlerin » (M. Terrien et C. Durand). S’appuyant sur une approche économique centrée sur la recherche d’une décision optimale, les auteurs proposent une réflexion argumentée visant à l’aide à la décision stratégique dans la gestion des effectifs d’un club professionnel. Partant du postulat que la performance attendue est fonction des talents des joueurs recrutés, talents eux-mêmes corrélés à la masse salariale du club, l’objectif est de fournir une aide à la décision pour les clubs en fonction de leurs objectifs. La récente mise en œuvre en France de la taxe à 75 % sur la part des salaires supérieurs à un million d’euros permet d’illustrer les incontournables évolutions stratégiques dans le football français.
4Nous souhaitons que la pluridisciplinarité des contributions de cet ouvrage encourage et dynamise de nouveaux travaux scientifiques dans le champ de la prise de décision en sport. Nous souhaitons également que les praticiens, qu’ils soient plutôt techniciens, tacticiens ou stratèges, trouvent ici des pistes solides pour étayer leur pratique professionnelle. Nous souhaitons encore plus que scientifiques et praticiens poursuivent leurs collaborations pour explorer cette passionnante question.
Auteurs
Centre d’étude sport et actions motrices (CesamS, EA 4260)
Université de Caen Normandie
Fabrice Dosseville est professeur à l’UFR STAPS de l’université de Caen Normandie. Ses recherches se focalisent sur la prise de décision dans les contextes sportifs et notamment chez les officiels des pratiques sportives (arbitres, juges, umpires, assistants…). Il étudie ainsi les déterminants de la performance décisionnelle ainsi que les situations d’interactions entre les différents acteurs du monde sportif.
Centre d’étude sport et actions motrices (CesamS, EA 4260)
Université de Caen Normandie
Catherine Garncarzyk est maîtresse de conférences à l’UFR STAPS de l’université de Caen Normandie et membre du Centre d’étude sport et actions motrices (CesamS, EA 4260). Ses travaux de recherche privilégient une approche psychologique se focalisant sur l’arbitrage et les dynamiques collectives. Les processus décisionnels et de communication entre les différents acteurs de la rencontre sportive sont au cœur de ses premiers travaux de recherche (arbitre, joueurs, entraîneur). Catherine Garncarzyk aborde également les dynamiques collectives dans les pratiques sportives et éducatives en étudiant les formes de cohésion, les relations inter-groupes et les processus de communication.
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