1Initialement motivées par une préoccupation hygiénique, les colonies de vacances sont peu à peu investies d’une dimension éducative, complétée au cours du XX^e siècle par une finalité de sensibilisation aux loisirs1. La publication de l’arrêté du 14 avril 1949, qui les définit comme

[…] l’œuvre d’institutions organisant hors du domicile familial, en régime d’internat et sous la direction d’un personnel qualifié, le séjour temporaire d’enfants sains, dans des établissements réunissant diverses conditions d’hygiène et d’éducation précisées par ailleurs

témoigne de la bascule que vivent les colonies après la Seconde Guerre mondiale. Pièces centrales de l’offre socio-éducative à destination de la jeunesse française dans l’entre-deux-guerres, ces initiatives s’imposent en effet à partir de 1944 comme une priorité politique au service de la reconstruction de la France.

2Nous cherchons ici à éclairer la manière dont l’État considère les colonies et se positionne face à la croissance exponentielle qu’elles connaissent. Dans un contexte où l’éducation populaire se décline comme un mythe2, il est pertinent de questionner la façon dont, au croisement des politiques scolaires, sociales et culturelles, la Direction des mouvements de jeunesse et de l’éducation populaire, rattachée au ministère de l’Éducation nationale (1944-1947), puis la Direction générale de la jeunesse et des sports (DGJS), rattachée au sous-secrétariat d’État à la jeunesse et aux sports (1948-1958), construisent une politique de vacances pour les jeunes à travers les colonies. Les pouvoirs publics semblent en effet faire preuve d’un évident volontarisme à leur égard, qui permet de poser les bases d’une structuration réglementaire encore perceptible aujourd’hui. S’il joue ainsi un rôle majeur d’accompagnateur, l’État paraît toutefois peiner à prendre pleinement la mesure du phénomène et demeure en retrait sur des questions cruciales telles que la diversification sociologique des colonies et l’évolution de leur rôle social en regard des grandes tendances socioculturelles de la période.

L’après-guerre : les colonies comme un impératif hygiénique et éducatif

L’organisation des colonies de vacances s’avère cette année particulièrement difficile, mais il importe, qu’en dépit de tous les obstacles, le plus grand nombre possible d’enfants bénéficient d’un séjour au grand air. En effet, trop d’entre eux n’ont pu partir en 1944 ; aussi, sous-alimentés, privés d’air et de soleil, sont-ils pour la plupart dans un état déficient, qui les rend très vulnérables à la maladie et qui ne sera amélioré que par un séjour prolongé à la campagne. C’est pour cette raison primordiale qu’un effort particulier s’impose cette année aux Pouvoirs Publics. Mais en tous temps, cet effort serait justifié par le souci de faire bénéficier les enfants d’un changement d’air salutaire et d’alléger la tâche des mères de famille, en permettant à l’enfant de quitter momentanément le foyer familial pendant la période où il ne va pas en classe3.

3La circulaire du 18 mai 1945 sur l’organisation des colonies de vacances, rédigée conjointement par le ministère de la Santé publique et de la Population (secrétariat général à la santé) et le ministère de l’Éducation nationale (Direction des mouvements de jeunesse et de l’éducation populaire), atteste de l’importance que revêtent les colonies de vacances dans le dispositif de « reconstruction » sanitaire et éducatif de la France. « Nécessité vitale […] pour les gosses de nos grandes cités »4, les colonies sont un impératif social. Encore profondément imprégnées de leurs origines hygiéniques, elles sont soutenues par l’État dans leur rétablissement. La croisade de l’air pur, lancée entre avril et mai 1945 par l’Entr’aide française au profit des colonies, a pour but de collecter, par la vente d’enveloppes, l’organisation de concerts et le démarchage auprès des commerçants notamment, quelque 200 millions de francs pour que les colonies de 1945 puissent avoir lieu. Les jeunes des mouvements de jeunesse sont sollicités directement pour participer à l’opération. Par une lettre du 20 mars 1945, le cabinet du président du gouvernement insiste toutefois sur le fait que ces jeunes ne peuvent être utilisés qu’à des tâches de service d’utilité publique et que, pour éviter les dérives (l’utilisation par exemple des enfants pour des tâches de vente, de promotion, etc.), il confie au ministère de l’Éducation nationale la coordination de ces actions bénévoles5. Au total, ce sont près de 300 000 enfants qui partent au grand air dès l’été 19456.

4Dans le contexte des privations de l’après-guerre, l’organisation des colonies de vacances est pourtant loin d’être aisée. La destruction des bâtiments, d’abord, impose de trouver des solutions de substitution. La possibilité d’ouvrir les écoles, à la campagne, pour accueillir les citadins durant l’été est particulièrement envisagée, alors que celle, évoquée par différents organismes, d’acquérir des châteaux pour ouvrir une colonie, est battue en brèche : « grandes maisons bourgeoises », ces châteaux paraissent absolument inappropriés pour agencer un dortoir, un réfectoire, une salle de jeux, une cuisine collective, etc.7. L’approvisionnement des colonies, ensuite, demande une organisation spécifique dans cette période de rationnement. Suite à des négociations avec le ministère du Ravitaillement, la Direction des mouvements de jeunesse et de l’éducation populaire obtient des rations supplémentaires pour les colonies de vacances, les camps de plein air et les auberges de jeunesse8. La question de l’encadrement de ces colonies est également problématique : si, dans de nombreux cas, les bonnes volontés suffisent presque à pallier les besoins (en 1947, 63 000 moniteurs sont recensés, pour 80 000 nécessaires), la qualité de l’encadrement n’apparaît pas encore comme une priorité9. L’État cherche enfin aussi à créer de la confiance vis-à-vis de ces institutions au sein des familles. Les possibilités offertes pour le départ au grand air (colonies, camps, vacances familiales, échanges internationaux, auberges de jeunesse, etc.) sont fréquemment publiées dans des quotidiens nationaux juste avant les vacances d’été10. Afin de coordonner le développement des colonies dans l’immédiat après-guerre, un Comité national du plein air est un temps envisagé, initiative à laquelle la Direction des mouvements de jeunesse et de l’éducation populaire et le service de l’éducation physique postscolaire souscrivent totalement, y voyant le possible noyau d’un organisme consultatif officiel du ministère de l’Éducation nationale pour l’ensemble des questions de cette nature11.

5Nécessité sanitaire, les colonies de vacances s’imposent aussi aux yeux des pouvoirs publics pour leur rôle éducatif et socioculturel dans le relèvement de la population française : la rééducation sanitaire et alimentaire par les colonies, en effet, est le terreau d’une éducation sociale, ainsi que s’attache au même moment à le montrer Célestin Freinet dans un centre scolaire à Gap12. Le changement de tutelle des colonies de vacances et des œuvres de plein air, par décret du 15 janvier 1947, est significatif de l’intention : jusque-là sous la tutelle du ministère de la Santé publique et de la Population, elles rejoignent le ministère de l’Éducation nationale, et plus précisément la Direction des mouvements de jeunesse et de l’éducation populaire, confiée à Étienne Bécart après l’avoir été à Jean Guéhenno et Albert Châtelet. Déjà évoquée depuis février 194513, cette évolution signale la volonté d’inscrire les colonies de vacances dans un registre plus clairement socio-éducatif. La bascule est importante : alors que les services de la Santé sont infiltrés par le courant de la démocratie chrétienne à travers le Mouvement républicain populaire, le ministère de l’Éducation nationale est profondément laïc. Pour les colonies de vacances historiquement liées à l’activité paroissiale, coordonnées par des organismes nationaux ou régionaux de nature confessionnelle (catholique, protestante ou israélite), la pilule a du mal à passer, quand pour les colonies liées aux centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) ou à la Ligue de l’enseignement, l’évolution est logique, d’autant que le ministère de l’Éducation nationale avait déjà en charge le versant de la formation des cadres avant 194714. Cependant, le changement de ministère représente un changement de culture, qui force les colonies à entrer dans une nouvelle relation avec l’État. Cette décision offre aussi aux colonies des perspectives de développement jusque-là inconnues. Malgré la difficulté à structurer des politiques en matière de jeunesse dans cet immédiat après-guerre15, l’État crée en effet par ce changement de tutelle « un cadre administratif et juridique permettant aux principaux mouvements et fédérations d’agir de manière autonome »16 et de bénéficier de subventions, les organismes coordonnant les colonies de vacances devant dès lors être agréés.

6Jusqu’à la fin des années 1950, les liens entretenus entre colonies de vacances et État demeurent étroits. Répondant pleinement à l’idéologie de la culture populaire qui imprègne toute la IV^e République17, elles sont investies par les pouvoirs publics d’une mission de démocratisation des loisirs pour enfants, qui n’est d’ailleurs pas contradictoire avec une certaine ambition de grandeur. Ainsi s’exprime par exemple Gaston Roux, directeur général de la jeunesse et des sports depuis septembre 1948, à leur sujet :

[Les colonies de vacances] constituent dans le domaine de l’enfance le fait social le plus important de notre époque et leur essor magnifique, obtenu grâce à l’effort combiné des animateurs, des œuvres des collectivités les plus diverses et de l’État, place la France au tout premier rang des nations européennes18.

7« Service social de la jeunesse le plus important de la nation »19, les colonies sont ainsi largement accompagnées dans leur développement. Les comités départementaux des colonies de vacances (CDCV) jouent ici le rôle de relais de ces intentions globales. Installés par le décret-loi du 17 juin 1938 et reconstitués (ou constitués) « d’urgence » en 1945, ces comités sont chargés de donner un avis aux préfets sur les projets de colonies, d’informer les organisateurs des formalités à accomplir, de recenser les actions entreprises, de prospecter pour des locaux, d’assurer la liaison entre œuvres ou encore de coordonner le contrôle des colonies existantes20. Initiatives d’origine privée dans la plupart des cas (pour la grande majorité d’entre elles, elles sont liées à des associations), les colonies expérimentent ainsi, à travers ces CDCV notamment, une évolution de leur statut du fait de leur intégration dans des logiques publiques, qui n’est pas sans interroger leurs fondements.

Moderniser et structurer les colonies

8Dire que les colonies de vacances vivent un changement d’échelle entre 1945 et 1958 n’est pas usurpé : si 300 000 colons en bénéficient en 1945, ils sont entre 820 000 et 920 000 à être accueillis chaque année entre 1947 et 195421. L’arrivée dans l’âge des colonies des enfants du baby-boom, à partir du milieu des années 1950, augmente encore ce nombre : 1 036 000 colons partent en 1955, 1 150 000 en 1956 et 1 350 000 en 1957. Dans le même temps, entre 1949 et 1958, le nombre de colonies augmente légèrement, passant de 11 900 établissements recensés à 13 500. C’est donc davantage le nombre de colons accueillis dans chaque colonie qui croît de manière significative, de même que le nombre total de « journées », passant de 24,3 à 37 millions sur cette même période (il était de 12 millions en 1946). En 1952, un rapport du Conseil de l’éducation populaire et des sports fait ce constat :

Il résulte d’enquêtes très sérieuses que 12 % des enfants d’âge scolaire partent en colonies de vacances et qu’il faudrait atteindre le pourcentage de 18 % pour atteindre la fraction des enfants de centres urbains qui ne vont pas à la campagne (chiffres valables en 1950). En clair, et pour tenir compte de l’accroissement de la population enfantine, il faut envisager un accroissement d’effectifs de 460 000 enfants22.

9Pour absorber encore davantage de jeunes, c’est l’ensemble des structures des colonies (équipements, formation, coordination) qui devrait également changer de dimension. Pour la DGJS, les colonies ne peuvent d’ailleurs tout assumer et doivent s’envisager dans leur complémentarité avec les autres formes d’éducation permettant une éducation non scolaire des jeunes : maisons des jeunes et de la culture (qui passent de 61 à 120 entre 1946 et 1951), théâtres populaires (de 1 200 à 4 500 troupes), associations de cinémas (de 600 à 6 000 associations), œuvres péri- et postscolaires (de 5 000 à 25 000 associations), bibliothèques pour tous, etc.23. L’engagement de l’État pour les colonies s’inscrit d’ailleurs dans le cadre d’une politique globale de vacances pour les jeunes, qui concerne autant le départ en colonies que les camps de mouvements de jeunesse, les auberges de jeunesse, les échanges internationaux de jeunes ou encore les maisons familiales de vacances.

10Le subventionnement des colonies par l’État explique en partie leur succès. Initialement, les subventions des frais de fonctionnement couvrent 50 % des dépenses, représentant par exemple un budget de 550 millions de francs en 1947. Mais l’augmentation graduelle du nombre de colons et du coût de revient des colonies (d’environ 70 francs par jour en 1945, celui-ci passe à 220 francs en 1949, 450 francs en 1954 et atteint 600 francs en 1958) amène inéluctablement l’État à diminuer sa part d’engagement, qui ne représente plus à partir de 1948 que 5,5 % à 10 % des frais de fonctionnement24. Le budget de l’État alloué aux colonies, bien qu’oscillant entre 780 et 870 millions entre 1949 et 1954 et ne cessant d’augmenter (1,4 milliard de francs en 1955, jusqu’à 2,39 milliards en 1958), impose à celles-ci de trouver un nouveau modèle économique. Elles sollicitent les caisses d’allocations familiales et la Sécurité sociale, qui deviendront des partenaires majeurs, mais aussi les œuvres privées et, bien sûr, les familles. De fait, la colonie de vacances devient l’affaire des grands organismes ainsi que des municipalités, des comités d’entreprise, des syndicats et des mouvements de jeunesse, les initiatives paroissiales ou privées isolées pouvant de plus en plus difficilement faire face à cette situation. Les organismes nationaux de colonies vivent alors une période de croissance et de foisonnement. L’Union française des colonies de vacances (UFCV), par exemple, regroupant 1 600 œuvres adhérentes en 1945 et 3 896 en 1951, recrute ses trois premiers salariés en 1945 et compte en 1949 une équipe de 19 permanents au siège parisien. Elle entre à cette époque dans ses « trente glorieuses »25.

11Dans ce contexte, les colonies de vacances de l’après-guerre s’inscrivent dans une ère pédagogique. Elles renouvellent leurs méthodes éducatives, avec l’idée que la colonie « prépare un milieu favorable à la culture populaire pour tous les domaines extrascolaires qu’elle ouvre à l’enfant »26. Les stages de formation de moniteurs font alors la part belle aux connaissances psychopédagogiques sur l’enfant et l’adolescent, et l’interrogation sur la place et le rôle de l’animateur s’impose en permanence en colonie, y compris lorsque celui-ci paraît trop « enthousiaste » :

Après avoir entraîné les moniteurs et directeurs à lutter contre l’oisiveté, à enrichir la vie des enfants par des activités, il a fallu freiner une exagération aussi dangereuse : ce qu’on a appelé « l’activisme », c’est-à-dire le déroulement des activités sans répit, à un rythme rapide, dans une atmosphère d’énervement peu propice aux vacances27.

12Dans cette orientation, les colonies sont accompagnées par la DGJS, ce dont atteste la création, en 1947, d’une commission interministérielle d’étude des moyens de développement des camps, colonies de vacances et œuvres de plein air pédagogique28, ou encore, en 1951, d’un comité de perfectionnement pédagogique pour le personnel encadrant les camps et colonies de vacances, les maisons et communautés d’enfants, dont l’objectif est de proposer des orientations pédagogiques en matière d’activités, d’implantation, de mixité, etc. Mais, plus encore, c’est par la mise en place d’un cadre juridique élaboré que l’État intervient dans cette évolution. Amorcée sous le Front populaire, la formation des moniteurs et directeurs de colonies devient une priorité politique. Avec l’arrêté du 5 février 1949, qui crée les diplômes d’État de moniteur et de directeur, une vraie bascule s’opère. Perçue comme nécessaire par les organismes de colonies, cette réglementation les oblige également à intégrer l’organisation des stages de formation comme un de leurs piliers centraux. Pour la seule année 1950, les grands organismes de colonies organisent 641 stages pour 32 647 stagiaires29. Signe de la reconnaissance par l’État de leur importance sociale, la structuration du secteur de la formation marque de manière définitive les colonies et devient leur « colonne vertébrale »30.

13Corollairement, le regard de l’État sur les colonies, lié notamment à l’augmentation annuelle du nombre de colons et de structures, s’affirme sur le terrain de l’hygiène (contrôles de la qualité de l’eau, suivi médical des moniteurs, vaccination des colons), mais surtout sur celui de la sécurité. La persistance d’un nombre important d’accidents mortels (on dénombre jusqu’à 39 décès dont 11 par noyade et 7 en montagne en 1955)31 force les pouvoirs publics à agir de manière directive, en particulier pour réglementer les activités de baignade et de montagne. Si une circulaire du 1^er juin 1955 « interdit aux colonies de vacances l’accès aux régions montagneuses auxquelles s’applique la réglementation de l’alpinisme, c’est-à-dire aux régions où des accompagnateurs de groupes ou de touristes doivent être nécessairement des guides diplômés d’État », pour la baignade, la DGJS crée en 1950, en partenariat avec la Fédération nationale de sauvetage, un brevet de surveillant de baignade pour camps, colonies de vacances, patronages et organisations de jeunes, obligatoire pour l’encadrement des colonies où des activités nautiques sont prévues.

Intentions et difficultés

14Si l’intention politique de contrôle et de réglementation des colonies est ici avérée, elle soulève de nombreuses interrogations et inquiétudes, y compris au plan ministériel, où les relations entre ministère de l’Éducation nationale et ministère de la Santé se tendent nettement. Œuvres pédagogiques en même temps qu’hygiéniques, les colonies demeurent, malgré leur rattachement officiel au ministère de l’Éducation nationale, dans une interface avec le ministère de la Santé, et ce d’autant que le décret-loi du 17 juin 1938 sur la protection des mineurs exclut les enfants de moins de 6 ans qui restent sous le contrôle de la Santé publique. La législation des années 1950 sur les colonies ne s’appliquerait donc pas pour les colonies concernant les enfants de moins de 6 ans. Cette situation oblige la DGJS et le ministère de la Santé publique et de la Population (Direction générale de la population et de l’entraide) à se concerter pour bâtir, à partir de 1956, une nouvelle loi sur la protection des mineurs, qui verra le jour en janvier 196032. Cette clarification constitue d’ailleurs une vraie demande des organismes de colonies : dans une lettre du 29 mai 1957, Jean-Auguste Senèze, secrétaire général de la Ligue française de l’enseignement et représentant l’Union française des œuvres de vacances laïques (UFOVAL), appelant de ses vœux davantage de « coordination entre les départements ministériels », affirme qu’il est « indispensable d’élargir le champ actuel des dispositions du décret de loi du 17 juin 1938 », dont le « contrôle devrait s’exercer pour des enfants placés hors du domicile familial, âgés de moins de 18 ans », ce qui aplanirait les difficultés que connaissent alors les colonies sur la répartition des compétences entre ministère de l’Éducation nationale et ministère de la Santé33.

15L’imbroglio juridique est d’autant plus marqué que la question de la place des assistants médicaux en colonie fait débat. Dans une note du 7 juin 1955 à destination de Gaston Roux, les inspecteurs généraux Bécart et Robert signalent que l’infirmière, « qualifiée pour délivrer de petits soins, ne peut, faute de connaissances, intervenir dans la vie de la colonie et y jouer un rôle de conseiller et d’éducateur de la santé », de même que les « étudiants en médecine et les assistantes sociales » qui « ne possèdent, en général, aucune notion sur la vie des enfants dans un centre de vacances ». Ils prônent alors une formation spécifique pour ces assistants médicaux en centres de vacances, conçue sous la forme d’un stage de huit jours et « analogue à la formation pédagogique du personnel d’encadrement de colonies de vacances », qui rentrerait, « sans contestation possible, dans les attributions de la Direction générale de la jeunesse et des sports ». L’idée n’est pas du goût des services de la Santé, mais en affirmant aussi que « former des assistants médicaux qualifiés ne signifie nullement enseigner la médecine ou l’art de délivrer des soins », une forme de compromis autour de la possibilité, au bénéfice des colonies seules, d’une dérogation pour la délivrance des soins, jusqu’alors apanage de la profession d’infirmière, émerge34.

16La mise en place progressive de la réglementation des colonies interroge aussi profondément les grands organismes de colonies, qui dénoncent une nationalisation de celles-ci. L’intention de donner aux moniteurs et professeurs d’éducation physique ou encore au personnel d’encadrement des centres régionaux d’éducation populaire et de sports (CREPS) la prérogative d’encadrement de sessions de formation de cadres pour camps et colonies est contestée de façon virulente, y compris par les CEMEA, pourtant proches de l’Éducation nationale35. Mais, dans le même mouvement, cette affirmation de la main de l’État force les organismes à s’interroger sur leurs fondements et leurs finalités. Soucieuses de répondre aux aspirations de la jeunesse pour être légitimes socialement, les colonies innovent et cherchent à affirmer leur spécificité. En pleine « révolution du loisir », les organismes de colonies intègrent non sans difficultés des réflexions sur leur mission d’éducation aux loisirs pour les jeunes. Mais l’exemple de la considération du sport en leur sein est caractéristique de leur difficulté à se rénover. Alors que le sport s’impose dans les mentalités comme un phénomène culturel majeur, demeure en effet un profond décalage entre une modernité sportive en passe de se construire et la tradition pédagogique des colonies.

17Pourtant, la proximité des colonies et du sport, rassemblés au sein du même ministère, sujets prioritaires du Conseil de l’éducation populaire et des sports, aurait pu être évidente. Certes, les colonies de vacances ont amorcé dès les années 1930 l’intégration des activités de plein air et des pratiques sportives dans leurs programmes. Mais, au lendemain de la guerre, les réflexions menées par l’UFCV par exemple « autour des fondements éducatifs des pratiques sportives témoignent de la difficulté à concilier finalités, pédagogies et aspirations de la jeunesse à l’occasion d’un temps de vacances collectives »36. Au niveau global, on repère surtout une étanchéité entre ces univers, tout se passant comme si le sport, discipline d’élite, avait peu à partager avec les colonies, faites pour le peuple. Au titre des raisons explicatives, relevons l’allure encore bien hygiéniste des colonies, de même que la formation des cadres, focalisée sur les dimensions morale et éducative des jeunes gens et jeunes filles37 et intégrant très peu la formation à une culture sportive. Au fond, le sport dans sa coloration moderne demeure à cette période un impensé relatif des colonies, qui restent attachées à la doctrine de l’éducation physique et des « jeux sportifs », le courant dit du « sport éducatif » n’en étant encore qu’à ses prémisses38. En escamotant pour l’instant cette question, dont elles s’empareront par contre totalement dans les décennies suivantes, les colonies accumulent sur le plan de leur pédagogie un retard qui leur sera par la suite préjudiciable. La situation est d’autant plus paradoxale qu’elles avaient fait de l’innovation pédagogique, sous l’impulsion des CEMEA, une marque de fabrique, et qu’il devient évident au cours des années 1950 que la pratique des activités physiques et sportives est « l’un des ferments de l’épanouissement de la personne au sein des structures qui privilégient la vie collective »39.

18Les colonies entrent donc doucement dans une logique de l’offre, construite notamment autour des activités physiques de pleine nature. Corollairement, le profil sociologique des enfants qu’elles concernent évolue clairement. La transformation des politiques de subventionnement par l’État et l’augmentation des tarifs des colonies éloignent en effet de plus en plus les enfants des classes populaires des colonies. En 1955, une étude technique sur l’aménagement des colonies de vacances réalisée par la DGJS déplore l’augmentation « chaque année de la proportion des enfants appartenant aux classes moyennes et même aisées »40. Pour Jean Houssaye, cette diversification sociologique est cependant capitale. Elle est la preuve que l’opinion publique modifie son regard sur les colonies : « […] d’œuvre de charité, la colo est devenue une véritable organisation de vacances, hors de toute note socialement péjorative pour les bénéficiaires ». D’ailleurs, la colonie paraît se rattacher « de plus en plus étroitement au groupe social dont font partie, durant l’année, l’enfant et ses parents (syndicat, patron, entreprise, école, paroisse, etc.) », les grandes œuvres originelles laissant ici place à « des associations plus typées socialement »41.

19Le succès connu par les colonies dans les années 1950, bien que contrasté, amène enfin les fédérations organisatrices à critiquer le décalage entre intentions politiques et réalisations. L’action de la DGJS paraît en effet trop tempérée en regard de l’enjeu que représentent les colonies. La DGJS admet elle-même être débordée par l’ampleur de la tâche à accomplir. Dans le domaine de l’inspection par exemple, les objectifs d’un contrôle de toutes les structures et d’un suivi des stagiaires en formation paraissent tout simplement fantaisistes avec 12 000 colonies, 10 000 directeurs, 90 000 moniteurs et plus de 20 000 candidats annuels aux diplômes d’État. L’État a-t-il les moyens de mettre en place toutes les dimensions de sa politique ? En d’autres termes, la politique des colonies ne serait-elle pas trop ambitieuse ? C’est le mythe de l’éducation et de la culture populaires qui se trouve ici plus largement interrogé. Un rapport de la DGJS de 1955 l’affirme : « l’aide financière de l’État ne permet pas de satisfaire tous les besoins, ni de remédier aux inégalités »42. La création d’un Fonds national des colonies de vacances est envisagée pour pallier le problème. Mais la situation demeure problématique ; elle enclenchera une modification radicale de l’intervention de l’État vis-à-vis des colonies à partir de 1958. Voulue plus détachée et davantage ciblée, l’action du haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports s’orientera notamment vers une refonte complète des modalités de subventionnement des colonies, elle-même loin d’être consensuelle.

Conclusion

20La période de la IV^e République a pu apparaître comme celle d’une « inversion de tendances » entre l’évolution du mouvement sportif et des mouvements de jeunesse, le premier prenant peu à peu le pas sur les seconds sur le plan de leur puissance mobilisatrice et, de fait, de leur rôle social43. L’histoire des colonies et de leur rapport à l’État montre que cette idée doit être largement nuancée, tant leur développement et leur structuration dans les années 1944-1958 marquent la jeunesse française. Dans le contexte de l’après-guerre, les colonies apparaissent en effet comme une « œuvre sociale de premier ordre, un véritable service public »44. L’action de la DGJS, teintée d’un volontarisme politique évident et malgré ses limites financières et humaines, impacte profondément la trajectoire des colonies et réforme leur univers. Structuration de la formation des cadres, législation sur les conditions d’encadrement et les normes de sécurité, déploiement d’une administration dédiée : les exemples sont nombreux qui témoignent de la reconnaissance par l’État des colonies comme un fait social et politique majeur, ce qui n’exclut pas de fortes tensions avec les organismes de colonies au sujet du rôle de chacun.

21En 1962, Étienne Bécart, inspecteur général qui fut directeur des mouvements de jeunesse et de l’éducation populaire en 1946-1947, écrit un rapport d’une trentaine de pages sur l’histoire des colonies de vacances en France, à l’occasion d’un stage international de formation de cadres des colonies organisé en 1960 à Marly-le-Roi45, lieu « mythique » de l’éducation populaire française46. Le texte, qui sonne en creux comme le bilan de la politique de la IV^e République en matière de colonies, note qu’« il est toujours difficile à un service public de s’imposer », mais que les services ministériels de l’Éducation nationale, en collaboration très étroite avec les fédérations privées de colonies de vacances et avec le ministère de la Santé, ont pu « de manière incontestable et incontestée » mener à bien la mission qui leur a été confiée par le décret du 15 janvier 1947. À l’issue de notre recherche, nous souscrivons à ce point de vue tout en observant que, sur le terrain de la prise en compte des évolutions sociétales particulièrement, cette action de l’État a été peu proactive.