Le « site Le Corbusier de Firminy »
Un laboratoire de la patrimonialisation du logement social et des grands ensembles
p. 89-100
Résumés
Le grand ensemble de Firminy-Vert, dont l’histoire est étroitement associée à la figure de Le Corbusier, est longtemps resté en dehors de la procédure de Rénovation urbaine : le « R » de rénovation est apparu contradictoire avec un processus de patrimonialisation bien avancé, comme en témoigne la forte implication du maire de Firminy dans le dossier transnational Le Corbusier pour une labellisation Unesco. Suite à des émeutes en 2008, la Ville et le bailleur social ont décidé de candidater malgré tout auprès de l’ANRU. Même si ce dossier n’a pas été retenu dans la phase dite ANRU 1, il est révélateur d’une volonté de penser conjointement mise en valeur patrimoniale et politique de rénovation urbaine. Derrière la formulation retenue par la mairie de « projet urbain patrimonial » s’affichait le refus de faire de la démolition le levier principal de la revalorisation, et la volonté de s’appuyer sur l’existant comme ressource. Premier grand ensemble à avoir fait l’objet d’un zonage de protection spécifique (ZPPAUP), Firminy-Vert demeure un laboratoire potentiel pour repenser des interventions sur le logement social qui soient respectueuses de la dimension patrimoniale.
The housing estate of Firminy-Vert is associated with the figure of Le Corbusier. This place is recognized as heritage since 1980’s and the Maison de la Culture (local cultural institution) has been inscribed as world heritage in 2016. Unlike many french housing estates, this neighbourhood isn’t concerned by urban renovation because of its heritage value. After an urban riot in 2008, the municipality applied for ANRU founds (the french national agency for urban renovation), in order to renovate a part of the social housing. But there was not enough demolition in the projet to be accepted by ANRU. However Firminy-Vert could be a laboratory to address the issue of the links beetween heritagization and renovation.
Entrées d’index
Mots-clés : Firminy, Le Corbusier, Unesco, rénovation urbaine, grand ensemble
Keywords : Firminy, Le Corbusier, Unesco, urban renovation, housing estate
Texte intégral
1« Premier site Le Corbusier en Europe »1 : c’est ainsi qu’était intitulé le dossier de presse destiné à médiatiser la présence de Firminy, ancienne commune minière et industrielle de la banlieue ouest de Saint-Étienne, dans le dossier transnational Le Corbusier, présenté en juillet 2016 lors de la 40e session du Comité du patrimoine mondial de l’Unesco. Validée au bout de la troisième tentative, cette candidature a permis à cette commune de 17 000 habitants, profondément marquée par la désindustrialisation, de mettre en avant la ressource patrimoniale que représente ce site. Celui-ci regroupe en effet, dans un contexte de grand ensemble de logements sociaux, le plus grand nombre d’œuvres conçues par Le Corbusier en Europe. Même si ce n’est pas le site dans son ensemble, mais une des œuvres de Le Corbusier qui s’y inscrit, la Maison de la Culture figure dans le dossier Unesco2.
2Eugène Claudius-Petit, maire de Firminy de 1953 à 1971, ancien ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, avait voulu faire passer sa ville de « Firminy-la-Noire » (associée aux mines de charbon) à « Firminy-Vert », pour reprendre le nom de la cité inaugurée en 1961, en s’appuyant sur ce que l’urbanisme et l’architecture comptaient de plus moderne et ambitieux3. Mais l’héritage produit s’est avéré beaucoup plus complexe que cela à faire admettre aux habitants et à gérer dans la durée : cela ne fait guère qu’une quinzaine d’années que cet héritage Le Corbusier semble assez largement admis à Firminy même.
3Ce propos porte donc sur la reconnaissance de la figure patrimoniale de Le Corbusier dans le contexte de Firminy-Vert. L’architecte n’est certes pas l’auteur du plan directeur de Firminy-Vert, signé de quatre jeunes architectes urbanistes, Charles Delfante, Marcel Roux, Jean Kling et André Sive. Mais il en est la figure tutélaire qui plane au-dessus de ce projet urbain, par l’influence exercée sur la jeune génération, mais aussi compte tenu de sa proximité avec le maire de Firminy. Celui-ci lui a d’ailleurs soumis ce plan avant son adoption en 1954 : Le Corbusier a ainsi « corrigé » ce document4. C’est à cette échelle-là, de ce que l’on désigne aujourd’hui par « site Le Corbusier », que sera envisagée la question de l’héritage Le Corbusier. Dans le premier dossier transnational Le Corbusier soumis à l’Unesco en 2009, Firminy apparaissait d’ailleurs au titre de l’urbanisme, ce qui a été critiqué par les experts de l’ICOMOS, très exigeants en matière d’authenticité.
4Il s’agit ici d’appliquer la notion de patrimoine non pas directement à l’œuvre de Le Corbusier, forcément très présente ici, mais à son contexte, ce grand ensemble d’environ 1 300 logements, qui s’est fait remarquer d’emblée à travers l’attribution du Grand prix d’Urbanisme en 1961. Un grand ensemble qui, de l’avis même des acteurs de la patrimonialisation, constitue « l’écrin » des œuvres Le Corbusier.
5Nous sommes là dans une situation emblématique, qui illustre les fortes tensions qui se jouent de manière très concrète entre la notion de patrimoine, telle que l’entendent les gestionnaires (une collectivité, un office HLM), qu’il s’agit de rentabiliser, d’adapter aux besoins actuels et celle de patrimoine culturel, qu’il s’agit de mettre en valeur et de transmettre, en en respectant au mieux l’authenticité. Plus que cela, nous sommes dans un laboratoire de la patrimonialisation dans le sens où ce qui s’est joué en matière de reconnaissance et de valorisation de cet ensemble depuis le début des années 19805 représente une forme de borne témoin en matière d’élargissement de la notion de patrimoine. Le site de Firminy-Vert et les œuvres de Le Corbusier accumulaient en effet les handicaps :
- Tout d’abord, un type d’œuvre du xxe siècle difficile à reconnaître, associé à un matériau décrié, le béton : il a fallu trois tentatives auprès de l’Unesco pour que le dossier transnational Le Corbusier soit finalement reconnu.
- Ensuite, un type d’urbanisme, celui des années 1950-1960, très dévalorisé, fortement associé aujourd’hui aux politiques de rénovation urbaine.
- Enfin, un contexte de logement social très largement dominant dans le quartier de Firminy-Vert, l’Unité d’habitation signée Le Corbusier ayant été elle-même conçue comme habitation à loyer modéré6.
Malgré l’ensemble de ces handicaps, le site Le Corbusier est aujourd’hui consacré, annoncé par exemple sur la voie rapide lorsque l’on arrive de Saint-Étienne : il est aujourd’hui considéré par les acteurs locaux comme une ressource majeure en matière de développement local.
La ZPPAUP de Firminy-Vert : l’écrin de l’architecture Le Corbusier
6Ce qui est original en termes de reconnaissance de ce grand ensemble, c’est qu’il a fait pour la première fois l’objet d’un zonage de protection centré sur un ensemble de logements sociaux des années 1960. Proposée en 2000 par l’Architecte des Bâtiments de France pour contrer un projet de lotissement proche de l’Unité d’habitation, la ZPPAUP7 a été initiée en 2001 à l’issue d’un changement de municipalité et adoptée en 20068. C’est l’application, jugée exemplaire, de la Charte d’Athènes dans le cadre du plan d’urbanisme qui est ainsi valorisée. Comme le souligne l’Architecte des Bâtiments de France qui a suivi le dossier, « ce patrimoine, il vaut surtout par la valeur du plan de masse […]. On a voulu au lendemain de la guerre mettre en œuvre de nouvelles théories de construction issues des CIAM9 ». Il s’agissait à travers la mise en œuvre de ces principes – d’une quête du soleil, de l’air pur et de la verdure – de transformer radicalement le cadre de vie et l’image d’une ville profondément marquée par la mine et l’industrie.
7Ce lancement d’une ZPPAUP10 d’un nouveau genre au début des années 2000 est très étroitement lié au démarrage dans le même temps du processus d’élaboration du dossier Unesco, celui-là même qui vient d’aboutir : les pouvoirs locaux ont compris qu’un tel outil de protection était nécessaire pour crédibiliser la candidature de Firminy et asseoir son rôle moteur dans le montage du dossier11. Ce que le conservateur du site, Yvan Mettaud exprimait de manière très claire lors d’un entretien en 2010 : « On a un patrimoine qui est d’essence mondiale, on le savait, on le sentait, un dossier Unesco est en cours, donc on fait une ZPPAUP parce que ça coule de source… Ça faisait partie de la boîte à outils12. »
8Suite à la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010, qui a instauré les AVAP, la municipalité a décidé de rester à la pointe en matière de protection du site et de s’engager dans l’élaboration d’un nouveau zonage, par une délibération du 8 novembre 2010. Selon les propos rapportés par l’Architecte des Bâtiments de France, « [l’adjoint à l’urbanisme] a alors dit : “Il faut y aller, on continue, on fait une AVAP, on n’a pas le choix. On met le paquet pour le patrimoine mondial”13 », ce qui ne fait que confirmer l’articulation étroite entre la mise en place d’un outil de protection et la candidature à l’Unesco.
9Le zonage actuel est défini de telle sorte qu’il englobe six des huit Monuments Historiques de la ville, et surtout les quatre édifices de Le Corbusier : la Maison de la Culture, seul édifice dont Le Corbusier a vu le gros œuvre achevé de son vivant14, le stade qui y est associé, la dernière des cinq Unités d’habitation de Le Corbusier et puis enfin l’église Saint-Pierre qui a connu un sort tout à fait particulier, avec une interruption du chantier en 1978, une protection au titre des Monuments Historiques de la structure en 1996 et un achèvement sous la direction de José Oubrerie en 2006. C’est bien cette protection, en particulier celle, en 1984, de la Maison de la Culture et du stade, constitutifs avec l’église du « centre civique », qui est à l’origine de ce zonage à l’échelle de Firminy-Vert. Un « centre civique » situé à la fois en position centrale par rapport au grand ensemble et en position charnière vis-à-vis de la ville ancienne de Firminy.
10Depuis une quinzaine d’années, ces différents Monuments Historiques ont fait l’objet d’attentions de la part de leurs propriétaires. Dans le prolongement de sa protection partielle au titre des Monuments Historiques en 1993 (pilotis, façades, école et toit terrasse), l’Unité d’habitation a été restaurée au début des années 2000 (Fig. 1). L’église Saint-Pierre (Fig. 2), reconnue projet d’agglomération par Saint-Étienne Métropole, a été achevée en 2006, ce qui a donné lieu à une inauguration festive à laquelle de nombreux habitants de Firminy ont assisté. Puis, c’est la Maison de la Culture (Fig. 3), avec en particulier cette voûte inversée très spécifique, véritable prouesse technique, qui a fait l’objet d’une restauration exigeante (2009-2013), demandant inventivité et technicité : cette ambition affichée pour la conservation du bâtiment a été un argument fort pour son inscription sur la liste soumise à l’Unesco. C’est enfin le stade qui a été mis en valeur, à travers un chantier de restauration qui a débuté en 2014.
Fig. 1 : L’Unité d’habitation vue depuis le boulevard de la Corniche

V.V., octobre 2010.
Fig. 2 : L’église Saint-Pierre vue depuis le stade

V.V., octobre 2010.
Fig. 3 : La Maison de la Culture en travaux vue depuis le stade

V.V., octobre 2010.
11Ce dossier Unesco est donc l’aboutissement d’une stratégie politique et culturelle qui rassemble aujourd’hui des acteurs politiques de bords opposés15, qui ont su s’adapter aux exigences de l’ICOMOS en matière de patrimoine mondial. La signature de Le Corbusier ayant été contestée, nous sommes passés à la notion de « centre de re-création du corps et de l’esprit16 », pour reprendre une formulation proposée par Gilles Ragot, qui assurait le pilotage scientifique du second dossier (2011) : il n’était plus question que de l’ensemble cohérent associant Maison de la Culture, stade et église. Puis c’est finalement la Maison de la Culture seule qui a été retenue (2016), compte tenu du caractère irréfutable de son authenticité aux yeux des experts. Malgré ce changement d’échelle de la place de Firminy dans la reconnaissance internationale, c’est bien sur l’ensemble du site Le Corbusier que communiquent les acteurs locaux, notamment dans le champ du tourisme.
12Cette longue histoire du dossier Unesco a eu, comme toujours, un impact sur les représentations locales, la réception de l’œuvre Le Corbusier ayant été pendant longtemps très problématique. C’est ainsi que l’office HLM de la Ville de Firminy, qui a pendant longtemps perçu cet héritage comme une contrainte17, a adopté un nouveau logo dans les années 2000, en référence explicite à Le Corbusier. Se trouve d’ailleurs sur le site Internet de l’office une rubrique « tourisme », élément peu commun pour un bailleur social, qui souligne le caractère de fait exceptionnel de ce patrimoine géré par l’office.
Patrimonialisation et rénovation : deux approches (pour le moment) incompatibles
13Dans une telle logique de patrimonialisation de Firminy-Vert, l’office HLM et la Ville de Firminy n’ont pas été candidats aux financements de l’ANRU (Agence Nationale de la Rénovation Urbaine), après l’adoption de la loi Borloo du 1er août 2003. Pour bénéficier de tels financements, il faut en effet prévoir un certain nombre de démolitions, comme le souligne le terme de rénovation18 choisi par le gouvernement de l’époque. Si l’ampleur des démolitions réalisées durant ce que l’on a appelé la phase ANRU 1 (2003-2013) a suscité quelques prises de conscience en matière patrimoniale, avec le positionnement de certains architectes en vue, comme Lacaton et Vassal, Chemetov ou Klouche19, et quelques timides orientations de la part du ministère de la Culture20, cela reste encore relativement marginal21.
14Mais suite à plusieurs nuits d’émeutes en juillet 200922, qui ont traumatisé le quartier et surpris les élus, l’idée s’est imposée que Firminy-Vert pourrait peut-être demander l’aide de l’ANRU, afin de répondre à certaines des difficultés sociales exprimées. Ce quartier, qui représente un quart de la population de la commune et où l’on compte 50 % de logements sociaux, est en effet caractérisé par un profil social très populaire (56 % d’ouvriers-employés pour seulement 6 % de cadres au sein de la population active), par un fort taux de chômeurs non qualifiés et par une forte présence de populations issues de la colonisation de l’Algérie.
15C’est un dossier hors norme qui a été présenté à l’ANRU, avec l’ambition de concilier des démolitions très réduites et des interventions allant dans le sens de la valorisation patrimoniale et sociale du quartier : « Dès lors, la Ville souhaite intervenir plus fortement sur ce quartier, en matière de protection de son urbanisme originel et dans la construction d’un projet social cohérent23. »
16Sous l’intitulé « Entre rénovation urbaine et préservation du patrimoine : quel avenir pour Firminy-Vert ? », s’est tenu les 9 et 10 avril 2010 un workshop voulu par le maire de Firminy, en lien avec les écoles d’architecture de la région24 et l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne, pour essayer de penser cette injonction contradictoire : « la façon de rendre compatibles deux démarches est au cœur des débats : d’une part le classement à l’Unesco, d’autre part la rénovation du quartier25. »
17Il s’agissait d’envisager comment faire évoluer un patrimoine social, au sens gestionnaire du terme, pour le rendre plus attractif, plus habitable par les habitants, l’un des symptômes du malaise social dans le quartier étant l’importance de la vacance de logements dans le parc social, tout en préservant précieusement la carte patrimoniale dans la perspective d’une reconnaissance internationale.
18Deux édifices ont été plus particulièrement ciblés dans le cadre de ce workshop, qui rassemblait architectes, universitaires, praticiens, techniciens, élus : le bâtiment dit Grand H et celui du boulevard de la Corniche.
19Situé « dans l’ombre » de l’Unité d’habitation Le Corbusier, pour reprendre la formule de l’anthropologue Noël Jouenne26, le Grand H est l’édifice le plus imposant après l’Unité d’habitation, et celui qui concentre le plus de difficultés sociales au moment des émeutes de juillet 2009. Même s’il a connu une diversification de son peuplement dans le cadre de la réhabilitation des années 1980, étant à la fois HLM, copropriété et maison de retraite, cela n’a pas suffi à assurer une vie sociale apaisée.
20Alors que la démolition de la plus grande barre du quartier aurait été probablement préconisée dans un contexte de grand ensemble ordinaire, cela n’était pas envisageable dans le cadre de la ZPPAUP. En revanche, ce qui est ressorti de ce workshop, c’est qu’il n’est sans doute pas pertinent d’adopter les mêmes critères d’authenticité que sur des formes de patrimoine plus classiques. Valoriser le Grand H tout en l’adaptant aux normes actuelles, c’est peut-être revenir à la blancheur d’origine de la façade, caractéristique du Firminy-Vert des années 1960-1970, en l’isolant par l’extérieur. La réhabilitation de 1985 ayant de toute façon modifié son aspect avec l’introduction de colorations distinctives pour chaque immeuble, à l’occasion des travaux d’isolation thermique, la question de l’authenticité ne se pose plus vraiment. Pour le conservateur du site Le Corbusier, « si l’on épaissit le grand H, ce n’est pas très grave27 ». L’enjeu selon lui, c’est de protéger un « grand paysage » : « On restitue un paysage, pas les matériaux28 » (Fig. 4).
Fig. 4 : Grand H et Unité d’habitation Le Corbusier

V.V., octobre 2010.
21Rencontré au même moment, l’Architecte des Bâtiments de France pense que l’on est allé un peu trop loin dans le cadre de la ZPPAUP et que l’outil AVAP, issu de la loi Grenelle 2, est l’occasion de s’inscrire dans une logique plus adaptative, plus évolutive. Pour lui, « l’idée, c’est de figer le plan-masse, de garder la trace de Firminy-Vert, comme ciment de ce quartier. Et de faire évoluer la volumétrie actuellement bloquée29 ». Ce type d’ouverture de la part du garant de la logique patrimoniale est de nature à converger avec les intentions des acteurs locaux, désireux parfois de densifier pour diversifier et renouveler l’offre de logement. Dans le cadre du workshop, cette idée de densification a également été abordée, sans pour autant que la générosité des espaces verts, caractéristique de ce plan-masse, n’ait été remise en question. Même si l’idée de les faire évoluer, au-delà d’une monofonctionnalité sans doute dépassée, a pu être exprimée, en référence par exemple à la demande de jardins familiaux.
22Un deuxième secteur du grand ensemble a été abordé car jugé stratégique par les autorités locales : la barre du haut de la Corniche (architectes Roux et Sive), qui comptait plus de 110 logements vacants sur 128 en 2010. Ayant été intentionnellement vidée de sa population en vue d’un changement de fonction qui n’a pas abouti, cette barre, qui épouse les courbes de niveau en contrebas de l’Unité d’habitation, est jugée valorisable par l’office HLM30 (Fig. 5). C’est ici que la possibilité de démolir a été un temps envisagée, afin de satisfaire a minima aux exigences de l’ANRU. A été évoquée, lors du workshop, la démolition partielle d’une seule travée, dans l’axe du mail qui structure Firminy-Vert : des plans d’origine ayant prévu cette ouverture en bout de mail pouvaient justifier l’intervention par des considérations « patrimoniales ».
Fig. 5 : L’envers de la barre du haut de la Corniche

V.V., octobre 2010.
23Malgré cet état d’esprit, malgré cet assouplissement des conceptions en matière de protection du site Le Corbusier, le dossier présenté à l’ANRU n’a pas été retenu : la Ville n’a pu jouer sur les deux tableaux de la valorisation patrimoniale et du financement de la rénovation.
24Le dossier qui depuis, a le plus avancé, est celui de la transformation de l’immeuble de la Corniche : l’architecte Sophie Delay a été retenue comme maître d’œuvre par l’OPHLM, pour mener à bien ce projet31. Il s’agit notamment de traiter verticalement la composition des logements, sachant que cette barre présente de gros problèmes d’insonorisation, qui ne peuvent être résolus dans le cadre d’une réhabilitation. Ce qui tendrait à démontrer que l’on peut améliorer ce genre de bâti, bien souvent jugé totalement obsolète, et que la démolition-reconstruction n’est pas une fatalité.
25Même si le dossier de Firminy-Vert n’a pas été retenu dans le cadre du plan national de rénovation urbaine, même si les moyens ne sont pas encore au rendez-vous pour intervenir fortement sur ce quartier, sa qualité de site patrimonial reconnue aujourd’hui au niveau mondial, en fait un laboratoire en matière de logement social. Il s’agira en effet de préserver ce grand ensemble tout en l’adaptant, d’innover dans la manière même de valoriser un bâti qui n’était pas forcément conçu pour durer et qui s’avère aujourd’hui peu attractif. Cela passera par des interventions qui échappent à la logique de la rénovation urbaine, par des formes de restitution, de reconversion, de diversification des héritages bâtis.
26Les acteurs politiques locaux devront composer avec la nouvelle loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, loi CAP du 7 juillet 2016, qui instaure les « sites patrimoniaux remarquables », qui vont remplacer les différents types de zonages de protection existant32. C’est donc dans ce nouveau cadre que devront être prévus les outils réglementaires qui assurent à la fois la protection de l’écrin des œuvres de Le Corbusier et l’adaptation du grand ensemble de Firminy-Vert aux enjeux actuels (manières d’habiter, isolation thermique). Pour reprendre le propos de Nathalie Mezureux, directrice de l’ENSA de Lyon depuis 2009, qui clôturait le workshop des 9 et 10 avril 2010, il va falloir avoir « les mêmes ambitions que ceux qui ont obtenu le Grand prix de l’Urbanisme en 1961 ».
Notes de bas de page
1Premier site Le Corbusier en Europe, 2016, Ville de Firminy/Saint-Étienne Métropole, 21 p. https://sitelecorbusier.com/wp-content/themes/lecorbusiermobile/pdf/dossier-presse-sitelecorbusier.pdf [consulté le 02 septembre 2016].
2Il s’agit précisément de « la Maison de la Culture avec ses attributs, le stade municipal, le théâtre de verdure et l’église Saint-Pierre » (Firminy.com, no 78, octobre 2016, p. 4). Si cette œuvre a été choisie pour représenter Firminy dans le dossier Unesco, c’est en raison de son originalité et de son authenticité : elle est la seule à avoir été inaugurée du vivant de Le Corbusier.
3Benoît Pouvreau, Un politique en architecture : Eugène Claudius-Petit (1907-1989), Paris, Éditions Le Moniteur, 2004.
4Selon le terme utilisé dans le dossier Unesco présenté en 2009 (p. 18).
5Vincent Veschambre, « Patrimonialisation et enjeux politiques : les édifices Le Corbusier à Firminy », Norois, no 185, t. 47, 2000-1, Patrimoine et environnement : les territoires du conflit, Arnaud Gasnier (dir.), p. 125-138.
6Elle appartient encore pour moitié à l’office HLM de la Ville de Firminy.
7Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager.
8Cette instauration d’une zone de protection a été saluée par la délégation de l’ICOMOS, organisation non gouvernementale chargée d’instruire les dossiers Unesco, lors de sa visite à Firminy en septembre 2008.
9Propos de l’Architecte des Bâtiments de France, Philippe Gonzales, recueillis par Rachid Kaddour en novembre 2010.
10Une étude pour sa transformation en AVAP (Aire de mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine) est actuellement en cours.
11C’est d’ailleurs le maire actuel de Firminy, Marc Petit, qui a fondé l’association des sites Le Corbusier et qui a porté ce dossier, avec la Fondation Le Corbusier.
12Entretien réalisé par Rachid Kaddour et Vincent Veschambre, avec Yvan Mettaud, conservateur du patrimoine, en novembre 2010.
13Idem.
14Collectif, La maison de la Culture de Firminy, Vénissieux, La passe du vent, 2013.
15Le maire de Firminy, Marc Petit porte l’étiquette PCF, tandis que le maire de Saint-Étienne et président de la métropole, Gaël Perdriau, est LR.
16Gilles Ragot, Le Corbusier à Firminy-Vert manifeste pour un urbanisme moderne, Éditions du Patrimoine, Paris, Centre des Monuments Nationaux, 2015.
17Rachid Kaddour, Quand le grand ensemble devient patrimoine : Réflexions sur le devenir d’un héritage du logement social et la fabrication du patrimoine à partir de cas exemplaires en région stéphanoise, thèse de géographie, Georges Gay (dir.), Saint-Étienne, Université Jean Monnet, 2013.
18Alors que sous le gouvernement Jospin précédent (1997-2002), c’est l’expression de renouvellement urbain qui était consacrée.
19Lorsqu’il déclare par exemple que « la démolition apparaît moins comme un préalable, [que] le sujet patrimonial monte en puissance », Djamel Klouche, D’A, oct. 2009.
20Avec par exemple une circulaire de juin 2006 demandant l’association des Services Départementaux de l’Architecture et du Patrimoine dans l’élaboration des dossiers ANRU.
21Vincent Veschambre, « Un nouveau regard sur les grands ensembles ? », Urbanisme, dossier « Que faire des années 1970 ? », no 388, 2013, p. 31-33.
22La mort d’un jeune homme de 21 ans suite à une garde à vue a déclenché des incendies volontaires, destructions de commerces, de véhicules, etc.
23Dossier de présentation du workshop « Entre rénovation urbaine et préservation du patrimoine : quel avenir pour Firminy-Vert ? », Maison de la Culture de Firminy, 9-10 avril 2010.
24C’est à ce titre que j’ai pu participer, comme enseignant-chercheur de l’ENSA de Lyon.
25Dossier de présentation du workshop « Entre rénovation urbaine et préservation du patrimoine : quel avenir pour Firminy-Vert ? », Maison de la Culture de Firminy, 9-10 avril 2010.
26Noël Jouenne, Dans l’ombre du Corbusier : ethnologie d’un habitat collectif ordinaire, Paris, L’Harmattan, 2007.
27Entretien réalisé avec Yvan Mettaud en novembre 2010.
28Idem.
29Entretien réalisé par Rachid Kaddour avec Philipe Gonzales, Architecte des Bâtiments de France, avril 2010.
30« La Corniche, c’est un emplacement exceptionnel. Il faut valoriser cela » (Directeur de l’OPHLM, workshop à Firminy-Vert, avril 2010).
31Firminy.com, 2014, bulletin municipal, no 68, cf. mars 2014, p. 13.
32https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032854341&categorieLien=id [consulté le 02 septembre 2016].
Auteur
-
Vincent Veschambre
Professeur de sciences sociales, Université de Lyon
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