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    Plan détaillé Texte intégral Henri Guérin Tableaux en tissus collés Vitraux en dalle de verre Tapisseries de lisse Notes de bas de page Auteur

    L’Invention partagée

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Henri Guérin (1929-2009), du vitrail à la tapisserie

    Quel partage entre la pensée et la main, entre le créateur et l’interprète ?

    Henri Guérin (1929-2009), from Stained Glass to Tapestry. What kind of Sharing between Mind and Hand, between Creator and Performer?

    Sophie Guérin-Gasc

    p. 211-224

    Résumés

    Henri Guérin (1929-2009), peintre et maître verrier connu et reconnu pour ses créations de vitraux, est un artiste qui conçoit et réalise lui-même ses œuvres. Cette originalité, associée et liée à l’emploi de la dalle de verre, témoigne de son goût pour le travail direct sur la matière, présent dès ses premières œuvres, les tableaux en tissus collés des années 1950. À la fin des années 1960, la découverte de la tapisserie de lisse, avec les ateliers Pinton de Felletin, l’amène à s’impliquer d’une autre manière dans la transcription en laine d’une maquette gouachée. Après une rapide biographie de l’artiste, sont abordés ici les techniques (collage, vitrail, tissage) et matériaux présents (tissus, encre, gouache, dalle de verre, laine) dans l’œuvre d’Henri Guérin. Les documents préparatoires – dessins, maquettes, cartons – explicitent le passage de la conception à la réalisation et révèlent les liens plastiques existant d’un matériau à l’autre, du verre à la laine. Le respect de l’artiste pour le savoir-faire d’un métier manuel qu’il ne pratique pas, sa volonté de comprendre les spécificités d’une autre matière, l’aident à transcrire en laine son univers pictural immédiatement identifiable quel que soit le médium.

    Henri Guérin (1929-2009) painter and master glazier known and recognized for his stained glass creations is an artist who designs and realizes his own works. This originality, associated and linked to the use of the slab glass windows, testifies to his taste for the direct work on the material, present since his first works, the paintings in fabrics assembled from the 1950s. In the late 1960s, the discovery of the low-wharp tapestry, with Felletin’s Pinton workshops, led him to get involved in another way in the transcription into wool of a gouache model. After a brief biography of the artist, techniques (collage, stained glass, weaving) and materials (fabrics, ink, gouache, glass tiles, wool) are examined in Henri Guérin’s work. The preparatory documents – drawings, models, cartoons – explain the transition from design to production and reveal the plastic links existing from one material to another, from glass to wool.

    Entrées d’index

    Mots-clés : Guérin (Henri), tapisserie, vitrail, XXe siècle

    Keywords : Guérin (Henri), tapestry, stained glass, 20th century

    Texte intégral Henri Guérin Tableaux en tissus collés Vitraux en dalle de verre Tapisseries de lisse Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Henri Guérin (1929-2009) est peintre et maître verrier. Son originalité réside dans le fait qu’il conçoit et réalise lui-même ses vitraux. Il se définissait lui-même comme un manuel : « Je suis “un manuel”. Mon travail m’a amené à réfléchir et à penser d’une façon très différente du processus intellectuel courant : ma pensée ne s’alimente pas de concepts, mais se développe par le jugement que je porte en priorité sur mes actes1. » Ainsi, quand, à la fin des années 1960, il se confronte à un nouveau médium, la laine de la tapisserie de lisse, pour des œuvres qu’il ne peut réaliser lui-même, son expérience du travail direct sur la matière le rapprochera des lissiers, interprètes de ses projets.

    2Il est donc intéressant à double titre de confronter le thème de ce colloque à l’œuvre d’Henri Guérin, le vitrail réalisé en « création continue », invention intégrée de la pensée à la main, et la tapisserie en invention réellement partagée.

    Henri Guérin

    3Henri Guérin2, né en 1929, passe son enfance et son adolescence en région parisienne. En 1951, alors qu’il est apprenti prothésiste dentaire, une grave décalcification osseuse le contraint à subir une longue hospitalisation. Alité, il découvre la poésie, la musique classique, la lecture. En 1952, il est envoyé en convalescence à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales). Sa vocation artistique se confirme : il dessine et crée des tableaux en « tissus collés ». En 1954, par son mariage, il s’installe à Toulouse, devient illustrateur de presse et commence à peindre. Puis il rencontre à l’abbaye bénédictine d’En Calcat dans le Tarn Dom Éphrem Socard3 qui l’initie à la technique du vitrail en dalle de verre. Ils collaborent ensemble durant six années.

    4En 1961, il installe son atelier de vitrail à Plaisance-du-Touch, près de Toulouse. Jusqu’en 2009, il y réalise, toujours en solitaire, plus de six cents chantiers pour des églises, des édifices publics ou des demeures privées, tant en France qu’à l’étranger.

    5En 1967, il commence à créer des cartons de tapisseries. Cinquante pièces, voulues toutes uniques, sont tissées par la manufacture Pinton de Felletin jusqu’en 1986 ; une dizaine avec des lissiers indépendants, dont quatre avec Janine Sipra entre 2003 et 2009. Parallèlement, son œuvre peint et dessiné prend de l’essor. De ses campagnes de dessin sur le motif sont issus deux albums, Les Arbres et Pèlerin au Mont Saint-Michel4. Tout au long de son activité, il participe à de nombreux colloques et expositions collectives, depuis les salons d’art sacré des années 1960, ceux de la Société des Artistes Décorateurs de Paris des années 1960-1970, jusqu’aux expositions du Centre International du Vitrail de Chartres. Sa dernière œuvre monumentale en 2009 est une verrière pour la crypte de la cathédrale de Chartres.

    Tableaux en tissus collés

    6À Font-Romeu, la lecture du numéro spécial de la Revue Verve, consacré à Matisse, paru en 1945, lui confirme sa vocation de peintre5. La peinture de Matisse l’éblouit et ses écrits qu’il recopie en partie sur un petit cahier d’écolier semblent lui parler directement. Il a ainsi l’idée de réaliser des tableaux en tissus collés dans l’esprit des papiers découpés de Matisse et des patchworks et broderies du peintre catalan Louis-Charles Pinet de Gaulade. Comme Matisse, il « dessine avec des ciseaux, découpe à vif dans la matière » à partir d’une esquisse dessinée. Pour ses créations des années 1952-1954, dites « tissus collés », Henri Guérin met au point un dessin préparatoire en noir et blanc, fait de hachures à l’encre de Chine. Il définit ainsi les valeurs de la composition qui sera ensuite réalisée en couleurs à partir de chutes de tissus découpées au ciseau et assemblées par collage sur une plaque d’isorel. La page blanche du papier devient soutien à la conception : entre ainsi en jeu, dès les premières œuvres de l’artiste, le blanc traité en réserve qui fait surgir la lumière6. Ce support de création, le papier et l’utilisation du blanc du fond dans les compositions, resteront des constantes de son œuvre picturale (Fig. 1), invention d’autodidacte qui, sans qu’il le sache, préparait l’artiste au travail sur la lumière dans le vitrail, puis plus tard, au dessin sur le motif à l’encre de Chine, fait d’un trait lancé de hachures plus ou moins denses.

    Fig. 1 : Henri Guérin, Lecture sous la lampe, dessin, encre de Chine, H. 21 – L. 27 cm, et Lecture du soir (H. 38 – L. 28, 5 cm), vers 1953

    Tissus découpés et collés sur plaque isorel.

    Fonds Henri Guérin, Plaisance-du-Touch © Archives H. Guérin.

    7À la fin des années 1950, avec le développement de l’activité vitrail, les compositions en tissus collés sont peu à peu abandonnées. Henri Guérin délaissera alors ce type de dessin de hachures pour le reprendre une décennie plus tard pour ses dessins de paysages et d’arbres. Ce dessin préparatoire en noir et blanc n’est pas non plus sans évoquer le carton de tapisserie : il annonce le travail que fera Henri Guérin à partir de la fin des années 1960 sur les agrandissements photographiques en noir et blanc de maquettes à la gouache pour qu’ils deviennent des cartons de tapisseries.

    8La découverte de la peinture de Georges de la Tour aura également une influence sur ce qui constituera des lignes de force de son travail : d’une part, la primauté accordée au jeu des valeurs, noir et blanc du dessin, clair-obscur de la peinture, ombre et lumière du vitrail ; d’autre part, le choix d’une palette sourde au sein de laquelle la lumière peut surgir7. La gouache préparatoire de L’Annonciation de 1954 en est un bel exemple.

    Vitraux en dalle de verre

    9C’est une exposition de ses tout derniers tissus collés en février 1954 à Toulouse qui oriente Henri Guérin vers le vitrail. Un ami lui ayant fait remarquer les similitudes entre sa technique de découpe de tissus et celle du vitrail, lui suggère alors de rencontrer les moines de l’atelier de vitrail de l’abbaye bénédictine d’En Calcat dans le Tarn. La rencontre avec le père Éphrem Socard (1903-1985) scelle son destin de peintre verrier lorsque ce dernier, lui montrant la taille du verre avec la marteline sur le billot, commente son geste en lui disant avec une acuité prémonitoire :

    Voyez-vous, en quelques minutes vous avez pu tout saisir […], mais pour apprendre vous n’aurez pas trop d’une vie8 !

    10Le père Éphrem, qui cherchait justement un apprenti pour le seconder, devient son maître sur les plans artistique et spirituel.

    11Le matériau que le jeune peintre découvre, c’est la dalle de verre introduite par le père Éphrem dans l’atelier de vitrail et sa technique d’assemblage au ciment armé9. Ce dernier, travaillant seul dans son modeste atelier, lui montre toutes les étapes de la création d’un vitrail et lui permet de se confronter tout de suite à la matière. Il n’y avait pas de division des différentes étapes de création entre plusieurs ouvriers comme c’est le cas dans les ateliers traditionnels de vitraux. Le geste de la taille du verre à la marteline devient pour lui comme le mouvement du pinceau pour le peintre de chevalet, le moyen de son expression picturale. Il fera sien pour toujours ce travail en solitaire de création de vitraux (Fig. 2).

    Fig. 2 : La taille directe – les outils : le martelet et la marteline : Atelier d’Henri Guérin, Plaisance-du-Touch, 2005

    Blau mar, vitrail en dalle de verre et joint minéral, 2009, (H. 210 – L. 70 cm, détail).

    Collection particulière © Archives H. Guérin.

    12Pour réaliser un vitrail, il est nécessaire d’en préparer une maquette, étude à la gouache sur papier. De plus ou moins grande taille suivant le choix de l’échelle, elle est essentielle pour donner une vision globale de l’œuvre finie. Les grandes lignes de la composition seront ensuite reportées sur un carton de coupe à l’échelle 1.

    13En 1954, pour réaliser les maquettes de ses premiers vitraux, Henri Guérin découvre la matière de la gouache. Peu à peu, la transparence émerge dans le travail pictural, avec un éclaircissement des touches et une plus grande fluidité de la matière. À une matière assez dense10 va se substituer peu à peu la gouache aquarellée, qu’il nommera « lavis de gouache » : à la touche en « déroulé » du coup de pinceau plus imbibé de matière au point d’impact sur le papier et plus clair en fin de mouvement, répond le geste d’éclatement de la dalle de verre dans son épaisseur avec le martelet. En effet, parallèlement, en taillant, il a découvert les propriétés de cette dalle dense et la possibilité de la travailler en épaisseur en lui enlevant de grands éclats. Cet écaillement en profondeur devient sa manière propre, alors qu’il était habituel de procéder à de petits éclats avec le martelet sur le pourtour des pièces pour créer des effets de scintillement.

    14D’autre part, comme le verre teinté dans la masse, matière quasi précieuse, n’a pas besoin de rehauts de peinture, la composition et les motifs se construisent avec la teinte même de la dalle. Au lieu de l’habituelle juxtaposition de pièces colorées, la taille dans l’épaisseur engendre un dégradé qui permet des passages subtils de tonalités. Et alors que le peintre verrier dans la technique traditionnelle au plomb apporte de l’ombre par la peinture à la grisaille, la taille d’Henri Guérin fait surgir la lumière par l’arrachement de la matière.

    15Chez Henri Guérin, les deux techniques picturales, celle des maquettes sur le papier et celle du vitrail, se construisent ensemble. Dans les deux cas, la matière s’allège, pour aller de l’ombre à la lumière, par le lavis de gouache et l’éclatement en profondeur des dalles de verre. La maquette reflète les recherches sur les valeurs, les passages progressifs d’un ton à un autre, réalisés ensuite dans des coupes qui naissent au moment de la taille. C’est un travail de création continu, une invention partagée entre la pensée, l’idée de l’œuvre et la main qui tient l’outil. Dès les projets des années 1960, la conséquence majeure et la plus étonnante de la maîtrise du geste est l’émergence dans la maquette de la lumière du vitrail à venir (Fig. 3).

    Fig. 3 : De la maquette au vitrail : Henri Guérin, Vitrail pour l’exposition de la SAD, Paris, 1969

    (H. 250 – L. 124 cm), détails de la maquette et du vitrail.

    Fonds Henri Guérin, Plaisance-du-Touch. © : Archives H. Guérin.

    16Peu à peu, avec la maîtrise de la taille, avec la connaissance des effets de la lumière, l’échelle des maquettes peintes va diminuer, comme leur puissance picturale11. Et l’idée du peintre, la vision de son travail fini, ne sera plus indiquée sur la maquette au 1/20e qui devient une partition à interpréter, sans les découpes de chaque pièce ni le détail de la palette, qui se décideront au moment de la taille. Y seront notés les divisions en panneau de chaque baie, le mouvement général de la composition, contribuant à l’équilibre de l’ensemble du projet.

    17Cette maîtrise du geste qui fait naître l’œuvre depuis le projet sur le papier jusqu’au vitrail fini lui permet une incarnation juste de sa pensée. Henri Guérin pourrait faire sienne cette phrase d’Henri Focillon :

    Et la main n’est pas la serve docile de l’esprit, elle cherche, elle s’ingénie pour lui, elle chemine à travers toutes sortes d’aventures, elle tente sa chance12.

    18Lui-même a pu grâce à son expérience exprimer ce processus créateur dans des écrits, comme l’essai Patience de la main en 1996 où il nous livre quelques clés de sa démarche, celle d’une certaine « invention partagée » :

    L’attention donnée aux petites indications matérielles contribue dans une sorte d’économie minutieuse, à l’émergence d’une vraie pensée dans l’œuvre. La pratique continue d’un art fait de détails assemblés vous conduira à cheminer plus humblement vers une pensée plus juste. […]. Il n’y a pas un temps pour apprendre et un temps pour s’exprimer. C’est ensemble, l’un par l’autre que naissent, grandissent, s’épaulent, se confortent et surtout s’unissent le geste et la pensée13.

    Tapisseries de lisse

    19Le tissu et le verre ont déjà permis à Henri Guérin d’effectuer un travail de peintre dans une matière autre que le pigment coloré, l’encre sur le papier ou l’huile sur la toile, qu’il pratique en parallèle. Ainsi, quand en 1966, lui est demandée une tapisserie en complément de l’aménagement liturgique de la chapelle d’une communauté religieuse pour laquelle il vient de réaliser l’ensemble des vitraux, Henri Guérin s’enthousiasme pour ce projet14. Il crée une maquette et commence à chercher un atelier pour sa réalisation. Il sait qu’il devra déléguer la création à d’autres artisans, qu’il n’aura pas la maîtrise du travail fini mais souhaite s’impliquer dans les étapes de création.

    20Il se tourne d’abord vers l’atelier Plasse-Le Caisne15, réputé pour ses créations dans le domaine de l’art sacré. Malgré une réponse favorable à sa demande, Henri Guérin ne s’engage pas dans cette collaboration, car il sent que la démarche du lissier vise à traduire seul le projet de l’artiste :

    D’après votre maquette qui est entièrement à mettre au point, je crois pouvoir faire avec vous quelque chose de très intéressant. Votre gouache au 1/20 est suffisante ; le principal, c’est de nous rencontrer et de parler […]16.

    21Il souhaite s’investir davantage dans la transcription de sa maquette. C’est Olivier Pinton qu’il rencontre ensuite17. Ce dernier lui propose aussitôt de collaborer avec ses ateliers de Felletin. Un autre univers s’ouvre alors à l’artiste, celui de la tapisserie. Olivier Pinton a pris la suite de son père dans cette période faste pour la tapisserie de lisse, après le renouveau initié par Jean Lurçat et l’ouverture vers l’art abstrait. Il est ouvert à la collaboration avec les peintres. Il s’exprime ainsi :

    Ce métier exige, outre des connaissances profondes, une quantité d’essais pour éprouver les matières, les effets de tissage afin qu’ils correspondent à la vérité de la maquette et non pas à une logique uniquement verbale que, sur un carton grandeur nature, on n’ordonne que par des effets picturaux ou des « trucs » de métier forcément limités. J’ai donc cherché à engager le dialogue avec des artistes pour qu’ils me soumettent leurs idées, leur « air », comme un morceau de musique, afin que je l’orchestre, connaissant les possibilités des flûtes et des tambours, en utilisant la richesse de toutes les matières et tous les artifices techniques que me suggère la maquette18.

    22La première étape imposée sera de passer de la petite échelle de la maquette peinte à celle de la tapisserie, par la création du carton. En effet, en tapisserie de basse lisse, il faut tout d’abord réaliser un carton à l’échelle 1 de la future pièce, ce dernier étant glissé ensuite sous la chaîne du métier pour servir de guide aux lissiers exécutants. Avec les progrès de la photographie et des tirages, au milieu des années 1960, le carton peint ou dessiné de la main de l’artiste ou du lissier est peu à peu remplacé par un agrandissement photographique, en général en noir et blanc. C’est sur ce type de document qu’Henri Guérin a travaillé et créé tous ses cartons. Le choix de l’échelle de la maquette par rapport à la tapisserie est essentiel. Il permettra de déterminer la grosseur de la trame (nombre de fils au cm) et la densité du tissage en fonction de la finesse des motifs à transcrire. Dès cette première œuvre, il est confronté à l’agrandissement de sa touche de peintre, au rendu de son coup de pinceau en dégradé, qu’il maîtrise dans sa taille du verre. Il vient mettre lui-même au point le carton à Felletin et participe également à une autre étape essentielle, l’échantillonnage des couleurs qui se concrétise par la création du chapelet de laines, constituant en fait la palette de la tapisserie. Travail qui le passionne et dont témoigne une correspondance fournie avec Olivier Pinton19.

    23Cette première maquette de tapisserie, très proche picturalement du style de ses vitraux de l’époque, est conçue en résonance avec une grande rosace qui la surmonte (Fig. 4). En la mettant en relation avec celle de la rosace, toutes deux au 1/10e, la parenté des deux œuvres est encore plus évidente. Elles utilisent le même support papier et la même technique de représentation, la gouache. Elles sont témoins des recherches d’une époque, d’un moment particulier, ce qui leur confère leur unité stylistique. Nous avons vu précédemment comment les deux expressions de la gouache et du vitrail se sont développées l’une par l’autre avec l’apparition dans les gouaches de la luminosité du vitrail. Ainsi, cette première tapisserie bénéficie tout naturellement de l’émergence de la transparence dans la technique de gouache délavée utilisée à la fin des années soixante.

    Fig. 4 : Du vitrail à la tapisserie : Henri Guérin, Car Éternel est son amour, maquette au 1/10e, gouache sur papier, 1967 (H. 22,5 – L. 23 cm.)

    Vue générale intérieure de la chapelle des Dominicaines hospitalières, Auch – Henri Guérin et les lissiers, vers 1967, atelier Pinton, Felletin.

    Fonds Henri Guérin, Plaisance-du-Touch © Archives H. Guérin.

    24Cependant, Henri Guérin reconnaîtra à sa tombée de métier en 1967 que cette première tapisserie a les maladresses d’une première œuvre ; en particulier, les passages d’une tonalité à une autre jugés trop secs. Il a lui-même dessiné sur l’agrandissement les changements de tonalités souhaitées et même parfois des hachures pour créer les pénétrations, comme le faisait Lurçat. C’est une première leçon à retenir : il n’est pas aussi « facile » que dans le vitrail où sa technique d’éclatement est parfaitement maîtrisée, de transférer dans la laine les éclaircissements des taches sombres de couleurs et les superpositions des touches.

    25Tout le travail auquel il s’attachera ensuite, encore plus en lien avec les lissiers, sera d’arriver à exprimer la fluidité de sa touche de peintre, avec les techniques particulières de la lisse, comme un défi à relever en tapisserie, avec la laine, matériau opaque par excellence. Pour que cette dernière serve son expression de peintre, sa palette et ses formes issues de rapides coups de pinceaux sur la gouache, il lui fallait parvenir à obtenir des pénétrations de couleurs avec les techniques propres de la tapisserie, comme il l’avait fait dans le vitrail, en mettant peu à peu au point une technique originale d’éclatements profonds des dalles de verre.

    26Henri Guérin s’attache alors à résoudre le problème de ce qu’il nomme les « frontières », les liaisons entre les tonalités, et à trouver le moyen de les définir sur les agrandissements photographiques. Il invente alors sur le carton à l’intention des lissiers tout un langage graphique, fait de traits, de flèches plus ou moins longues, que ces derniers sauront transcrire avec leur savoir-faire unique. Tout un travail d’équipe se met alors en place autour d’un maître d’œuvre, Henri Bacaud, chef d’atelier de l’époque. Il en témoigne à la fin de 1968 :

    Je commence à Felletin à collaborer à la tapisserie à partir de gouaches que je mets en œuvre en équipe avec les lissiers. J’essaye de développer l’interprétation des lissiers sur des agrandissements photographiques, inventant un vocabulaire, sorte de gamme pour l’interprète. Olivier Pinton me permet à ce titre toutes les expériences qui m’intéressent20.

    27En effet, les symboles apposés sur le carton grandeur réelle, permettent au lissier de rechercher la nuance voulue à travers la technique qui lui paraît la mieux appropriée, battage simple ou double, hachures ou rayures. Il est bien ainsi l’interprète de ces « frontières » qu’il traduit avec sa propre sensibilité. Les équipes mises en place composées de plusieurs ouvrières-lissières, se forment peu à peu à l’expression originale d’Henri Guérin et à son mode de transcription sur l’agrandissement photographique (Fig. 5).

    Fig. 5 : Du carton à la tapisserie : Henri Guérin, Fleur Silence, 1971, tapisserie de basse lisse, tissage atelier Pinton (H. 160 – L. 170 cm), 1971

    Détails de la maquette, du carton et de la tapisserie.

    © Archives H. Guérin et collection particulière.

    28La démarche qu’Olivier Pinton avait engagée dans ses ateliers est ainsi concrétisée par sa collaboration avec Henri Guérin. Pour lui, il était nécessaire de faire appel à la qualité humaine du lissier :

    Ainsi, l’artiste garde son rôle créateur et nous, en accord profond avec lui, nous recherchons l’équivalence de son langage dans notre métier21.

    29Avec le temps, Henri Guérin connaît personnellement chacun de ses interprètes et sait ce qu’il peut leur demander tout en respectant leur métier et leur expérience manuelle. Ce ne sont plus de simples exécutants. Il n’économise donc pas son temps lorsqu’il va mettre au point ses maquettes directement dans les ateliers. En homme de métier22, il accepte que les lissiers prennent sur eux-mêmes la responsabilité de la transcription de certains détails dans le cadre qui a été fixé. D’autre part, il sait que l’imprévu peut surgir au moment de la réalisation, que tout ne peut pas être écrit à l’avance et qu’il est nécessaire pour les exécutants de savoir utiliser cet imprévu ou le refuser, aidés par l’expérience acquise du métier et leur sensibilité propre. Au prix de ce dialogue, l’équilibre est conservé entre le créateur et l’exécutant et sont créées « des œuvres sensibles ». Ce travail en « sympathie » permet aux lissiers, comme le désire Olivier Pinton, de retrouver leur dignité de tapissier et de ne plus être de simples « machines à tisser ».

    30Avec cette manière de travailler, l’expérience acquise à chaque tissage est aussitôt mise à profit pour le suivant et enrichit l’expression même du peintre. Et peu à peu, les maquettes de tapisserie se différencient nettement de celles des vitraux, comme des gouaches libres. La composition se cadre dans le format, la coloration se fait plus vive. Ce ne sont pas des gouaches tissées : elles sont pensées tapisseries dès leur conception23.

    31Cette approche rejoint ainsi celle que soutient Denise Majorel, dont la galerie La Demeure est la référence de l’époque pour la tapisserie contemporaine, quand elle dit, interviewée en juillet 1969 :

    Je crois que la tapisserie oblige le peintre à développer son imagination, parce que sa palette est modifiée, parce qu’il y a une exigence technique et des problèmes à résoudre, une sorte de commande qu’il s’impose à lui-même qui suscite des réflexes créateurs nouveaux.

    32Puis lorsqu’elle précise plus loin la nécessité d’un dialogue permanent, chaque partie restant à sa place :

    […] S’en remettre au lissier pour interpréter une œuvre, c’est ne pas permettre au peintre de réaliser la sienne ; ce n’est pas diminuer la dignité du lissier que de le considérer comme un grand artisan, mais si on ne laisse pas la possibilité à un peintre de s’exprimer dans toute sa rigueur et tout son absolu, on lui retire la possibilité d’enrichir ce moyen d’expression et de trouver ce qu’il attend24.

    33Les recherches de matière l’intéressent aussi et il n’est pas loin de la démarche du mouvement dit « de la nouvelle tapisserie » quand il fait réaliser par le tisserand Vincent Delacroix des tapisseries en grosse laine brute écrue dites « dessins tissés », dans une période où il a renoué avec le dessin sur le motif de paysages et d’arbres. Les hachures de son trait à l’encre de Chine sont traduites en laine noire effilée. Sa conscience du matériau et de ses qualités expressives propres rejoint parfaitement celle de Jacoda Buic, inspiratrice et artiste de la nouvelle tapisserie, quand elle écrit :

    Le tissage chante par lui-même, alors que la tapisserie a toujours besoin d’une interprétation […] quand un peintre-cartonnier écrit seulement la numérotation d’une couleur et non la matière, la densité et la grosseur du matériau, c’est comme si on écrivait des notes de musique sans indiquer pour quel instrument25.

    34Confiance, partage, dialogue, sont les mots qui définissent le mieux la relation peintre/lissier et rejoignent la belle expression de « l’invention partagée » à la source de la réussite d’une œuvre « collective », telle qu’une tapisserie.

    35Sur les maquettes des vitraux, montrant dans le temps une évolution de leur échelle, du 1/5e au 1/20e avec la maîtrise de la taille directe, éclot le style de l’artiste, sa manière immédiatement identifiable. L’originalité de son approche du vitrail, ouvrage habituellement partagé entre concepteur et exécutant, se transmet en tapisserie avec une relation artiste/lissier construite sur la confiance et la recherche de la « vérité » de chaque matière employée. Il a pu l’éprouver avec le verre en restant fidèle toute sa vie à son matériau d’élection, la dalle de verre. Son respect pour le savoir-faire d’un autre métier manuel, sa volonté de comprendre les spécificités d’une autre matière l’ont aidé à transcrire, à faire transcrire en laine son univers pictural, qui deviendra immédiatement identifiable quel que soit le médium.

    36Ainsi, dans toute l’œuvre d’Henri Guérin, est bien présente cette invention partagée ou ce partage entre la pensée et la main, entre le concept et l’objet fini, que lui-même a défini comme la « pensée par la main ». Il écrit ainsi :

    La pensée par la main est humble, patiente, juste, car elle connaît la thèse, l’élan, l’idée ; mais elle n’ignore pas l’antithèse, la pesanteur des choses, le poids et la limite de la matière et du praticien. C’est un perpétuel équilibre entre le possible et l’impossible, qui est le futur possible. Ce qui vient avec la maîtrise, contrairement à l’idée reçue, est difficile à prévoir ; c’est une expérience à vivre26.

    Notes de bas de page

    1Henri Guérin, « Le travail manuel. Sur l’enseignement et la parole », Revue de l’Université Paul-Sabatier, Toulouse, no 19, juin 1976, p. 1-6, première publication d’un texte écrit en 1976 pour Lionel Stoléru, secrétaire d’État au travail manuel.

    2Bruges, Béarn, 30 juillet 1929 – Toulouse, 24 octobre 2009.

    3Jacques Socard (1903-1985) : Né à Paris le 14 décembre 1903, issu d’un milieu artistique, il devient fresquiste comme son père. En 1934, il réalise les fac-simile des fresques romanes de Saint-Savin pour le musée des Monuments français (Palais de Chaillot, Paris). En 1937, il entre au noviciat du monastère bénédictin d’En Calcat (Dourgne, Tarn). Vers 1950, il y crée un atelier de vitraux en dalle de verre. En 1955, il forme Henri Guérin à cette technique et collabore avec lui jusqu’en 1961. Il maintient ensuite son atelier jusqu’en 1976, y formant Jean-Claude Izard et le père Denis. En 1976, il se retire au monastère des Bénédictines de Jouques (Bouches-du-Rhône). Il revient à En Calcat en 1984 et y décède le 29 avril 1985.

    4Henri Guérin, Les Arbres, Paris, Argraphie, 1984, et Pèlerin au Mont-Saint-Michel, Villeneuve-sur-Yonne, Éditions de La Porte du Sud, 1992.

    5De la couleur. Henri Matisse. Verve. Revue artistique et littéraire, avril 1945, vol. IV, no 13. Numéro conçu entièrement par Matisse (typographie, couverture, etc.). Un des textes publiés et recopiés par Henri Guérin commence ainsi : « Un jeune peintre qui doit bien croire qu’il n’a pas tout à inventer doit surtout ordonner son cerveau par la conciliation des différents points de vue des belles œuvres qui l’impressionnent et parallèlement par des interrogations à la nature […] ».

    6Ce qui a fait écrire à Pascal Renous dans le catalogue de la première exposition d’Henri Guérin de février 1954, à Font-Romeu, cette phrase prémonitoire : « Toujours, il se tient à l’écoute de cette lumière originelle qui, par le truchement du tissu collé comme par celui de toute matière qu’il adoptera par la suite (gouache, huile, verre du vitrail, émail de la céramique) restera pour lui “la matière”, unique dans sa plénitude, en même temps que l’instigatrice de la composition et de la construction ». Raymonde et Pascal Renous, in Henri Guérin. Tissus collés, dessins [cat. exp.], Font-Romeu, 1954, p. 3.

    7La dernière œuvre d’Henri Guérin, la verrière Marie, Porte du ciel pour la crypte de la cathédrale de Chartres, en 2009, porte cette même thématique : permanence dans l’œuvre de l’inspiration première.

    8Henri Guérin, « Il tutoyait la Création entière », in Marguerite Léna (dir.), Honneur aux maîtres, Paris, éditions Critérion, 1991, p. 1999-203, voir p. 199.

    9La dalle de verre, pièce de 20 x 30 x 3 cm., a été inventée en 1929 par Jules Albertini (1901-1980), avec le mosaïste Jean Gaudin, pour créer à l’origine des « mosaïques de verre » liées par un béton armé pour rivaliser avec la mode des pavés de verre. Verrier originaire de Murano, fabricant de pâte de verre, installé à Montigny-les-Cormeilles dans le Val d’Oise, il avait un savoir-faire de coloriste exceptionnel. Son fils, Gérard Albertini, perpétue à son tour depuis les années soixante-dix la tradition familiale et est resté le fournisseur attitré d’Henri Guérin.

    10C’est dans cette période également qu’Henri Guérin abandonne définitivement la peinture à l’huile. Il se sentait « piégé » par cette matière trop dense : la découverte de la gouache avec la création des maquettes de vitraux a orienté tout son travail pictural libre vers le support papier, le plus souvent de format A4.

    11« Ce que j’ai perdu en puissance picturale, je l’ai gagné en subtilité, en intégration au lieu » nous avait confié Henri Guérin dans les années 1990 quand il a redécouvert ses premiers vitraux et leurs maquettes. Ses vitraux de l’église romane de Retournac, réalisés en 3 tranches sur 40 ans, de 1966 à 2016, en témoignent parfaitement.

    12Henri Focillon, « Éloge de la main » (1934), in Vie des formes, Paris, PuF, coll. « Quadrige », 1981, p. 101-128, voir p. 124.

    13Henri Guérin, Patience de la main, Paris, éditions du Cerf, 1996, chapitre « Le choix des outils », p. 19.

    14Vitraux et aménagement liturgique en 1966 de la chapelle des Sœurs Dominicaines Hospitalières, Auch (Gers). Il est à signaler que les deux dernières créations en tissus collés, détruites aujourd’hui, étaient justement des pièces de grandes dimensions pour le chœur de deux chapelles : en 1961, la chapelle Saint-Thomas, au couvent des Dominicains, à Toulouse ; en 1965, la chapelle du Centre Béthanie, à Auch. Sa réelle première « tapisserie » est une grande broderie à l’aiguille (175 x 300 cm) réalisée en 1965 par les Dominicaines de Crépieux (l’atelier qui a réalisé les chasubles de Matisse), qui a elle aussi disparu dans les années 1990.

    15Jacques Plasse et Bilou Le Caisne ont tissé des œuvres de nombreux peintres de l’École de Paris, entre les années 1930 et 1970, notamment d’Alfred Manessier. Ils demandaient aux artistes de les laisser interpréter librement leurs projets et avaient avec eux le statut de co-auteurs.

    16Extrait de la lettre de Plasse-Le Caisne à Henri Guérin du 8 septembre 1966. Dossier « correspondance reçue », Archives de l’atelier Henri Guérin, Plaisance-du-Touch, France.

    17Olivier Pinton (1929-2017), avait repris à Felletin l’atelier de tissage de son père, Jean Pinton. Il l’avait ouvert à l’art abstrait en tissant entre autres, Calder, Sonia Delaunay, Le Corbusier, Vasarely.

    18André Parinaud, « Entretien avec Olivier Pinton », Galerie des Arts, no 74, juillet 1969, p. 14-18, voir p. 20.

    19Lettre d’Olivier Pinton à Henri Guérin du 29 décembre 1966 : « […] cet agrandissement a été réalisé et je l’ai amené à Felletin […] afin qu’avant toute chose un échantillon en soit réalisé […] et que vous puissiez l’examiner pour que nous décidions de l’interprétation que nous pouvons donner à cette tapisserie sur les bases de cet échantillon » ; dossier « correspondance reçue », archives de l’atelier Henri Guérin, Plaisance-du-Touch, France.

    20Henri Guérin, « Réflexions sur l’art monumental », L’Officiel du bâtiment et des travaux publics de Toulouse et Midi-Pyrénées, décembre 1968, no 54, p. 58-62.

    21A. Parinaud, « Entretien […] », art. cit., p. 20.

    22Une anecdote éclaire cette approche : lors de la pose des vitraux du chœur de l’église du château de Felletin, toute l’équipe des lissiers, essentiellement des femmes d’ailleurs, a été invitée à venir les voir dans l’église. Henri Guérin se souvient de leur étonnement de découvrir en lui un artisan comme eux et des questions très précises qu’elles lui posaient sur sa technique. Il n’était plus le peintre cartonnier, mais un artisan avec lequel ils pouvaient dialoguer d’égal à égal.

    23Dans les années 1990, Henri Guérin utilisera l’expression de « gouaches tissées » pour les tissages réalisés avec Janine Sipra, lissière installée à Pau, car il puisera en fait pour ces travaux dans ses gouaches libres de l’époque, où le fond blanc est largement dominant comme la composition en symétrie autour d’un axe central.

    24André Parinaud, « Denise Majorel : la véritable écriture de l’époque », Galerie des Arts, no 74, juillet 1969, p. 16-17.

    25Jacoda Buic, citée par André Kuenzi, La Nouvelle tapisserie, Genève, éditions du Bonvent, 1973, p. 147.

    26H. Guérin, « Le travail […] », art. cit., p. 1-6.

    Auteur

    • Sophie Guérin-Gasc

      Docteur en histoire de l’art, responsable des collections, Musée Dom Robert et de la tapisserie du XXe siècle, Abbaye-école de Sorèze (Tarn)

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    1Henri Guérin, « Le travail manuel. Sur l’enseignement et la parole », Revue de l’Université Paul-Sabatier, Toulouse, no 19, juin 1976, p. 1-6, première publication d’un texte écrit en 1976 pour Lionel Stoléru, secrétaire d’État au travail manuel.

    2Bruges, Béarn, 30 juillet 1929 – Toulouse, 24 octobre 2009.

    3Jacques Socard (1903-1985) : Né à Paris le 14 décembre 1903, issu d’un milieu artistique, il devient fresquiste comme son père. En 1934, il réalise les fac-simile des fresques romanes de Saint-Savin pour le musée des Monuments français (Palais de Chaillot, Paris). En 1937, il entre au noviciat du monastère bénédictin d’En Calcat (Dourgne, Tarn). Vers 1950, il y crée un atelier de vitraux en dalle de verre. En 1955, il forme Henri Guérin à cette technique et collabore avec lui jusqu’en 1961. Il maintient ensuite son atelier jusqu’en 1976, y formant Jean-Claude Izard et le père Denis. En 1976, il se retire au monastère des Bénédictines de Jouques (Bouches-du-Rhône). Il revient à En Calcat en 1984 et y décède le 29 avril 1985.

    4Henri Guérin, Les Arbres, Paris, Argraphie, 1984, et Pèlerin au Mont-Saint-Michel, Villeneuve-sur-Yonne, Éditions de La Porte du Sud, 1992.

    5De la couleur. Henri Matisse. Verve. Revue artistique et littéraire, avril 1945, vol. IV, no 13. Numéro conçu entièrement par Matisse (typographie, couverture, etc.). Un des textes publiés et recopiés par Henri Guérin commence ainsi : « Un jeune peintre qui doit bien croire qu’il n’a pas tout à inventer doit surtout ordonner son cerveau par la conciliation des différents points de vue des belles œuvres qui l’impressionnent et parallèlement par des interrogations à la nature […] ».

    6Ce qui a fait écrire à Pascal Renous dans le catalogue de la première exposition d’Henri Guérin de février 1954, à Font-Romeu, cette phrase prémonitoire : « Toujours, il se tient à l’écoute de cette lumière originelle qui, par le truchement du tissu collé comme par celui de toute matière qu’il adoptera par la suite (gouache, huile, verre du vitrail, émail de la céramique) restera pour lui “la matière”, unique dans sa plénitude, en même temps que l’instigatrice de la composition et de la construction ». Raymonde et Pascal Renous, in Henri Guérin. Tissus collés, dessins [cat. exp.], Font-Romeu, 1954, p. 3.

    7La dernière œuvre d’Henri Guérin, la verrière Marie, Porte du ciel pour la crypte de la cathédrale de Chartres, en 2009, porte cette même thématique : permanence dans l’œuvre de l’inspiration première.

    8Henri Guérin, « Il tutoyait la Création entière », in Marguerite Léna (dir.), Honneur aux maîtres, Paris, éditions Critérion, 1991, p. 1999-203, voir p. 199.

    9La dalle de verre, pièce de 20 x 30 x 3 cm., a été inventée en 1929 par Jules Albertini (1901-1980), avec le mosaïste Jean Gaudin, pour créer à l’origine des « mosaïques de verre » liées par un béton armé pour rivaliser avec la mode des pavés de verre. Verrier originaire de Murano, fabricant de pâte de verre, installé à Montigny-les-Cormeilles dans le Val d’Oise, il avait un savoir-faire de coloriste exceptionnel. Son fils, Gérard Albertini, perpétue à son tour depuis les années soixante-dix la tradition familiale et est resté le fournisseur attitré d’Henri Guérin.

    10C’est dans cette période également qu’Henri Guérin abandonne définitivement la peinture à l’huile. Il se sentait « piégé » par cette matière trop dense : la découverte de la gouache avec la création des maquettes de vitraux a orienté tout son travail pictural libre vers le support papier, le plus souvent de format A4.

    11« Ce que j’ai perdu en puissance picturale, je l’ai gagné en subtilité, en intégration au lieu » nous avait confié Henri Guérin dans les années 1990 quand il a redécouvert ses premiers vitraux et leurs maquettes. Ses vitraux de l’église romane de Retournac, réalisés en 3 tranches sur 40 ans, de 1966 à 2016, en témoignent parfaitement.

    12Henri Focillon, « Éloge de la main » (1934), in Vie des formes, Paris, PuF, coll. « Quadrige », 1981, p. 101-128, voir p. 124.

    13Henri Guérin, Patience de la main, Paris, éditions du Cerf, 1996, chapitre « Le choix des outils », p. 19.

    14Vitraux et aménagement liturgique en 1966 de la chapelle des Sœurs Dominicaines Hospitalières, Auch (Gers). Il est à signaler que les deux dernières créations en tissus collés, détruites aujourd’hui, étaient justement des pièces de grandes dimensions pour le chœur de deux chapelles : en 1961, la chapelle Saint-Thomas, au couvent des Dominicains, à Toulouse ; en 1965, la chapelle du Centre Béthanie, à Auch. Sa réelle première « tapisserie » est une grande broderie à l’aiguille (175 x 300 cm) réalisée en 1965 par les Dominicaines de Crépieux (l’atelier qui a réalisé les chasubles de Matisse), qui a elle aussi disparu dans les années 1990.

    15Jacques Plasse et Bilou Le Caisne ont tissé des œuvres de nombreux peintres de l’École de Paris, entre les années 1930 et 1970, notamment d’Alfred Manessier. Ils demandaient aux artistes de les laisser interpréter librement leurs projets et avaient avec eux le statut de co-auteurs.

    16Extrait de la lettre de Plasse-Le Caisne à Henri Guérin du 8 septembre 1966. Dossier « correspondance reçue », Archives de l’atelier Henri Guérin, Plaisance-du-Touch, France.

    17Olivier Pinton (1929-2017), avait repris à Felletin l’atelier de tissage de son père, Jean Pinton. Il l’avait ouvert à l’art abstrait en tissant entre autres, Calder, Sonia Delaunay, Le Corbusier, Vasarely.

    18André Parinaud, « Entretien avec Olivier Pinton », Galerie des Arts, no 74, juillet 1969, p. 14-18, voir p. 20.

    19Lettre d’Olivier Pinton à Henri Guérin du 29 décembre 1966 : « […] cet agrandissement a été réalisé et je l’ai amené à Felletin […] afin qu’avant toute chose un échantillon en soit réalisé […] et que vous puissiez l’examiner pour que nous décidions de l’interprétation que nous pouvons donner à cette tapisserie sur les bases de cet échantillon » ; dossier « correspondance reçue », archives de l’atelier Henri Guérin, Plaisance-du-Touch, France.

    20Henri Guérin, « Réflexions sur l’art monumental », L’Officiel du bâtiment et des travaux publics de Toulouse et Midi-Pyrénées, décembre 1968, no 54, p. 58-62.

    21A. Parinaud, « Entretien […] », art. cit., p. 20.

    22Une anecdote éclaire cette approche : lors de la pose des vitraux du chœur de l’église du château de Felletin, toute l’équipe des lissiers, essentiellement des femmes d’ailleurs, a été invitée à venir les voir dans l’église. Henri Guérin se souvient de leur étonnement de découvrir en lui un artisan comme eux et des questions très précises qu’elles lui posaient sur sa technique. Il n’était plus le peintre cartonnier, mais un artisan avec lequel ils pouvaient dialoguer d’égal à égal.

    23Dans les années 1990, Henri Guérin utilisera l’expression de « gouaches tissées » pour les tissages réalisés avec Janine Sipra, lissière installée à Pau, car il puisera en fait pour ces travaux dans ses gouaches libres de l’époque, où le fond blanc est largement dominant comme la composition en symétrie autour d’un axe central.

    24André Parinaud, « Denise Majorel : la véritable écriture de l’époque », Galerie des Arts, no 74, juillet 1969, p. 16-17.

    25Jacoda Buic, citée par André Kuenzi, La Nouvelle tapisserie, Genève, éditions du Bonvent, 1973, p. 147.

    26H. Guérin, « Le travail […] », art. cit., p. 1-6.

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    Guérin-Gasc, S. (2019). Henri Guérin (1929-2009), du vitrail à la tapisserie. In L. Riviale & J.-F. Luneau (éds.), L’Invention partagée (1‑). Presses universitaires Blaise-Pascal. https://doi.org/10.4000/141m8
    Guérin-Gasc, Sophie. « Henri Guérin (1929-2009), du vitrail à la tapisserie ». In L’Invention partagée, édité par Laurence Riviale et Jean-François Luneau. Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise-Pascal, 2019. https://doi.org/10.4000/141m8.
    Guérin-Gasc, Sophie. « Henri Guérin (1929-2009), du vitrail à la tapisserie ». L’Invention partagée, édité par Laurence Riviale et Jean-François Luneau, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2019, https://doi.org/10.4000/141m8.

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    Riviale, L., & Luneau, J.-F. (éds.). (2019). L’Invention partagée (1‑). Presses universitaires Blaise-Pascal. https://doi.org/10.4000/141mq
    Riviale, Laurence, et Jean-François Luneau, éd. L’Invention partagée. Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise-Pascal, 2019. https://doi.org/10.4000/141mq.
    Riviale, Laurence, et Jean-François Luneau, éditeurs. L’Invention partagée. Presses universitaires Blaise-Pascal, 2019, https://doi.org/10.4000/141mq.
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