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    Plan détaillé Texte intégral La dynastie Benne : l’ascension sociale par le métier Henri Benne, un héritier malgré lui Ouvertures Sources Bibliographie Notes de bas de page Auteurs

    Dynasties d'architectes et d'artistes en province aux xixe et xxe siècles

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Du tailleur de pierre à l’architecte : la dynastie Benne à Castres, cinq générations de bâtisseurs du xixe au xxie siècle

    From stonemason to architect: the Benne dynasty in Castres, five generations of builders from the 19th to the 21st century

    Laura Girard et Constance Ringon

    p. 127-144

    Résumés

    Cet article propose d’explorer l’histoire de la lignée Benne, famille de bâtisseurs inscrite dans le territoire du Tarn depuis le xixe siècle. Du tailleur de pierre à l’architecte, il est ici question d’une ascension sociale parcourant deux siècles, avec en toile de fond, l’héritage d’un métier manuel s’étant transformé au fil du temps en profession intellectuelle. Cette histoire questionne également l’héritage de biens matériels et immatériels, l’inscription de cette dynastie dans un territoire provincial et dans un contexte donné et le développement d’un réseau à un niveau local mais aussi au-delà.

    This paper proposes to explores the history of the Benne’s dynasty, a family of builders in the territory of Tarn (south-west of France) since the 19th century. From the stone mason to the architect, it is a question of the social ascent over two centuries. We will review how the heritage of a manual trade that has been transformed over time into an intellectual profession through the legacy of tangible and intangible assets, the lean of being part of a provincial territory with its specificities and the growth of a local and national network.

    Entrées d’index

    Mots-clés : agence d’architecture, dynastie Benne, profession d’architecte, histoire professionnelle, ascension sociale

    Keywords : architecture firm, Benne’s dynasty, profession, professional story, social climbing

    Texte intégral La dynastie Benne : l’ascension sociale par le métier La voie de la pierre : des Passebosc aux Benne (Fig. 1) L’établissement d’une notoriété : la dynamique entrepreneuriale Les traumatismes de la Première Guerre mondiale en héritage Un architecte, des architectes : l’héritage professionnel masculin Henri Benne, un héritier malgré lui Une volonté familiale prégnante sur le choix du métier de l’héritier mâle Une formation « académique » confrontée aux débats politiques et théoriques des années 1960-1970 La vie provinciale revendiquée face à Paris Une transmission familiale peu reconnue La belle-famille, un soutien à la pratique professionnelle Un réseau à double tranchant Ouvertures Sources Bibliographie Notes de bas de page Auteurs

    Texte intégral

    1L’histoire familiale des bâtisseurs Benne commence avec Louis-Philippe, né en 1838 à Castres, dans le Tarn (81). Alors que son père, Benoît, était ouvrier textile dans l’une des usines du département, Louis-Philippe s’est tourné vers un métier du bâtiment : tailleur de pierre. Il ouvrira une voie dans laquelle s’inscriront ses héritiers masculins ; le premier, un entrepreneur en bâtiment, sera suivi par trois générations d’architectes. Chacun des membres de cette dynastie exclusivement masculine a laissé tour à tour son empreinte sur l’architecture et l’urbanisme de la ville de Castres et des villages tarnais alentour, au pied de la montagne Noire. Notons ici que l’histoire de cette famille est une histoire d’hommes, qui, à l’image de la profession d’architecte, ne laisse que peu de place aux femmes jusque dans les années 19701. Émettons l’hypothèse que des métiers physiques comme celui de tailleur de pierre ont ensuite laissé place à une pratique libérale profondément inscrite dans les schémas de la société des xixe et xxe siècles.

    2Nous proposons d’étudier l’histoire professionnelle de la lignée Benne, documentée pendant deux siècles. Comment l’entourage familial et l’hérédité ont-ils influencé la pratique architecturale de chaque descendant ? Quels legs (matériels, intellectuels, etc.) ont-ils été transmis dans la famille ? Comment chaque acteur a-t-il participé au renouvellement ou infléchi la trajectoire familiale ? Quel rôle l’enseignement de l’architecture a-t-il joué dans les trajectoires des plus jeunes ? Quels regards critiques portent les descendants sur l’œuvre accomplie ? L’enracinement de cette famille dans un territoire provincial a-t-il joué un rôle dans la production d’une architecture spécifique ?

    3Nous proposons de répondre à ces questions selon deux parties développées grâce aux archives municipales, aux visites in situ d’édifices castrais et aux entretiens accordés par le dernier descendant, Henri. La première est dédiée à la présentation de la dynastie Benne de génération en génération, et la seconde est placée sous l’angle du dernier de la lignée, pour mettre l’accent sur l’héritage reçu.

    La dynastie Benne : l’ascension sociale par le métier

    4Cette histoire de famille de bâtisseurs nous renseigne sur la transmission d’un savoir, d’une pratique, sur la constitution de réseaux, de clientèles. C’est aussi l’histoire d’une ascension sociale, du passage de la condition d’ouvrier à celle de notable dans une petite ville de province. Chaque génération a contribué ainsi à l’édification d’une culture familiale et professionnelle, avec, en fil conducteur, l’histoire de la profession d’architecte.

    La voie de la pierre : des Passebosc aux Benne (Fig. 1)

    Fig. 1 :  L’arbre généalogique partiel de la famille Benne. Une dynastie de bâtisseurs des Passebosc aux Benne

    Source : réalisé par les auteurs en juillet 2020 d’après les registres d’état civil, AD du Tarn.

    5La pierre est un matériau noble, dans le pays castrais. Elle est issue d’une singularité géographique : la rencontre des paysages agricoles de la plaine traversée par l’Agout, des plateaux calcaires avec le massif du Sidobre et ses carrières de granit, et des forêts de la montagne Noire. L’eau, le bois et la pierre sont des ressources naturelles devenues ressources économiques et matérielles, déposant leur empreinte culturelle sur l’architecture.

    6Le tailleur de pierre avait une place importante dans le milieu du bâtiment castrais, marqué par l’emploi de la pierre de taille, matériau brut qu’il façonnait de ses mains et avec ses outils.

    7Le premier bâtisseur Benne est Louis-Philippe, tailleur de pierre, né en 1838 à Castres. Il s’est tourné vers un métier du bâtiment, bien que son père, Benoît, fût fileur, puis tisserand dans le hameau d’Hauterive, entre Castres et Labruguière, probablement au sein d’une filature installée sur les rives de l’Agout. De nombreuses filatures prospèrent le long des cours d’eau tarnais au xixe siècle grâce à l’énergie gratuite de l’eau, générant une tradition textile qui perdurera jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle2.

    8Alors, avec un père tisserand, comment Louis-Philippe a-t-il échappé à l’héritage social prégnant de la société rurale du milieu du xixe siècle ?

    9Tout d’abord, il convient de relever qu’à la mort de Benoît, en 1843, son fils est alors âgé de 5 ans. Avec deux enfants en bas âge, les premières années de veuvage d’Angélique, sa mère, se passent probablement au sein de la branche familiale maternelle, et c’est là que se dessine l’itinéraire professionnel de Louis-Philippe. Installés à Navès, un petit village limitrophe de Castres, son grand-père maternel, décédé en 1824, était charpentier, et son grand-oncle maternel traceur, tailleur de pierre et maçon. Le fils de ce dernier, Frédéric François Passebosc, est également tailleur de pierre, puis maçon, formé probablement par son père dans la tradition du métier. Frédéric François n’aura un fils qu’en 1858. Il est tout à fait envisageable qu’il ait formé Louis-Philippe, peut-être dès l’âge de 10 ans, afin de lui transmettre son savoir-faire et qu’il puisse l’assister dans son travail. En 1853, Angélique épouse en secondes noces Jacques Raissiguier, charpentier à Navès.

    10Ce nouvel environnement familial dans les métiers du bâtiment auprès des membres masculins de l’ascendance maternelle a orienté Louis-Philippe vers le métier de tailleur de pierre. A-t-il été apprenti ? A-t-il connu l’itinérance de ville en ville pour parfaire son apprentissage ? Est-il devenu compagnon du Tour de France ? La tradition familiale des Benne l’affirme. Aucune source n’a pu le confirmer.

    11Lors de son mariage avec Marie Scholastique Batigne, sa cousine issue de germain qui est couturière, Louis-Philippe est tailleur de pierre à Castres. Le couple est installé rue de la Durenque à la naissance de leur premier enfant, Paul, en 1861, ainsi qu’à la naissance d’Henri-Eugène en 1863. Il s’agit d’un quartier de faubourg du xviiie siècle entre la rivière l’Agout et la Durenque, son affluent. En s’installant à Castres, Louis-Philippe semble s’émanciper de son oncle. Il a désormais accès aux chantiers de la ville.

    12Castres, sous-préfecture du Tarn et chef-lieu d’arrondissement de 21 000 habitants en 1860, cumule plusieurs fonctions, administratives, militaires, scolaires et culturelles, et elle est en plein essor économique, car elle profite des richesses issues de l’industrialisation. De grands travaux d’embellissements sont lancés dans la vieille ville : alignements et élargissements des rues, percées de nouveaux axes, ordonnancement de la grande place royale. Parallèlement, les faubourgs s’étendent à la faveur de nouveaux équipements, d’immeubles d’habitations et de maisons de ville. Ces constructions sont souvent réalisées en maçonnerie de moellons de pierre avec un enduit de parement, au décor soit de bossage continu, soit de faux appareil imitant l’appareil de pierre de taille, qui devient un élément identitaire de l’architecture castraise. Elle est réservée aux édifices les plus emblématiques et aux propriétaires aisés. On trouve également des éléments mineurs en pierre de taille avec la réalisation de soubassements, de seuils et d’emmarchements en granit3.

    13Louis-Philippe a pu participer à ces chantiers soit en tant que tailleur de pierre au sein d’une entreprise, soit en tant qu’artisan.

    L’établissement d’une notoriété : la dynamique entrepreneuriale

    14À partir de 1885, Louis-Philippe se dit entrepreneur. Son activité semble prospérer, il doit disposer de l’outillage nécessaire et a su développer un réseau de clientèle. Il est probablement associé à ses fils. Henri-Eugène se présente comme entrepreneur à son mariage, en 1886, avec Marie Jeanne Elisa Gaziniol. Paul, l’aîné, est également entrepreneur jusqu’en 1888, puis employé de commerce et géomètre traceur en 1902, peu avant son décès.

    15Henri-Eugène poursuit dans la voie tracée par son père. La légende familiale veut qu’il ait été formé chez les Compagnons au métier de charpentier. L’entrepreneur Henri Benne Fils se retrouve ainsi associé à la construction du théâtre municipal de Castres, lequel est dessiné « à l’italienne » par l’architecte toulousain Joseph Galinier, par ailleurs directeur de l’École des beaux-arts et des sciences industrielles de Toulouse. Ce dernier confie la construction à des entreprises locales. Il charge Auguste Bonhéry, tailleur de pierre, de suivre et de surveiller les travaux. Le théâtre est inauguré en avril 1904. Dans ce chantier d’envergure, Henri-Eugène est chargé des lots parquets, menuiseries, vitres, couvertures et zingueries, mais il n’a donc pas la responsabilité de la taille de pierre et de la charpente4. Selon son petit-fils Henri, il aurait été le représentant local de l’architecte Galinier, surveillant la bonne exécution des travaux, mais cette information ne se vérifie pas dans les documents d’archives5.

    16Henri-Eugène Benne a deux fils, Raoul, né en 1887, et Georges, né en 1889. Une fille Marthe suit en 1899. La tradition orale familiale des Benne a gardé le souvenir de sévères tensions entre père et fils. De fait, chacun aurait suivi un chemin hors de l’entreprise familiale.

    17Alors étudiant, Raoul s’inscrit sur la liste « engagé volontaire » à la mairie de Bordeaux le 5 juillet 1904, en qualité d’apprenti élève mécanicien pour le 5e dépôt des équipages de la flotte. On le retrouve 2e maître mécanicien le 24 mars 1911.

    18Georges aurait rejoint, à 16 ans, les Compagnons du devoir et du Tour de France. Il aurait acquis les savoir-faire de menuisier, maçon et charpentier. En 1909, lors de son recensement militaire, il se présente sous la profession d’entrepreneur en bâtiment. L’adresse de la maison familiale, au 5 rue Crabié à Castres, est celle portée sur son dossier. De niveau d’instruction 3, il semble qu’il n’ait pas poursuivi de formation secondaire après son certificat d’études. Cette qualification dans le monde du bâtiment pourrait expliquer son incorporation dans le 2e régiment du génie à Alger en 1910. Après les deux années réglementaires de service militaire, il intègre la réserve du 2e génie à Montpellier en 1912.

    19Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il semble que les fils Benne n’aient pas pris part au développement de l’activité paternelle à Castres.

    Les traumatismes de la Première Guerre mondiale en héritage

    20Raoul et Georges, comme de nombreux hommes de leur génération, ont été enrôlés dans le conflit sanglant de la Grande Guerre.

    21Le premier était militaire, enrôlé volontaire. Il aurait été le seul survivant de l’équipage de son sous-marin lors d’un bombardement ennemi. Il est réformé définitivement et proposé pour une pension temporaire d’invalidité évaluée à 100 % par la commission d’Albi du 16 septembre 1920, pour psychopathie maniaque, avec délire incohérent et agitation dangereuse. Il a été interné à l’asile de Pierrefeu avant sa démobilisation et interné ensuite au Bon Sauveur, à Albi6. Il conserve des séquelles de la guerre toute sa vie.

    22Le second, Georges, réserviste au 2e génie de Montpellier, est appelé sous les drapeaux en octobre 1914. En février 1916, alors sergent, il est gravement blessé par éclat d’obus dans l’Aisne « en dirigeant un chantier à découvert dans un endroit particulièrement exposé7 ». Retrouvé inanimé parmi plusieurs soldats morts, il a subi une trépanation occipitale à gauche8. Il a souhaité conserver plusieurs éclats d’obus à la surface de son cuir chevelu, pour garder le souvenir physique de ce traumatisme. Ceux-ci ont marqué son petit-fils, qui se souvient de l’avoir interrogé sur l’aspect de son crâne quand il était enfant. Il est présenté comme un « excellent sous-officier, énergique et très brave, n’hésitant jamais à remplir les missions les plus périlleuses9 ». Réformé, il est reconnu Grand Mutilé de guerre, puis reçoit plusieurs distinctions : la Médaille militaire, la Croix de guerre et celle de chevalier de la Légion d’honneur (Fig. 2).

    Fig. 2 : Le tableau d’honneur de la guerre. Georges Benne, décoré de la Croix de guerre

    L’Illustration, planche no 477, 1 fascicule de 16 planches édité en même temps que le no du 20 octobre 1917 mais vendu séparément, 20 octobre 1917, no 3894. Extrait du site de L’Illustration : http://revue.lillustration.com.

    23Maurice, son fils, né en 1921, a été résistant dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI) durant la Seconde Guerre mondiale10. Nous n’avons obtenu aucun renseignement sur ses missions.

    Un architecte, des architectes : l’héritage professionnel masculin

    24Blessé de guerre et soldat décoré au lendemain d’un conflit traumatisant pour la nation, Georges Benne est nommé architecte de la ville de Castres le 17 février 1917, fonction qu’il exerce jusqu’à sa retraite, en février 1955. Sa carrière militaire dans le 2e génie et le statut social de sa famille semblent concourir à l’attribution de cette fonction dans l’administration municipale11.

    25En 1931, il confie à son frère, Raoul, le rôle d’architecte adjoint à la mairie. Par ailleurs, leur père, Henri Eugène, se présente comme architecte-expert dans l’acte de mariage de sa fille Marthe en 1921. L’absence de diplôme d’architecte et la superposition des métiers – architecte/entrepreneur – ne sont pas des situations exceptionnelles : le diplôme de l’école des beaux-arts est créé en 1867, confirmé par décret en 1874, le code Guadet apparaît en 1895, les Écoles régionales s’ouvrent au début du xxe siècle (en 1942 à Toulouse), mais l’ordre des architectes pour réglementer la profession n’est créé qu’en 1941.

    26En tant qu’architecte municipal, Georges réalise plusieurs équipements d’envergure, et sa trajectoire est mise en valeur lors de son éloge funèbre paru dans La Dépêche du Midi du 16 février 1971 : « Avec M. Georges Benne, c’est une éminente personnalité de notre ville qui disparaît et dont M. Coudert, maire de Castres, disait : “C’était un homme et un travailleur remarquable qui a fait Castres au poste important qu’il a occupé avec talent.” En effet, durant ses quarante années en tant qu’architecte municipal, il n’y a pas eu de grande réalisation qui ne soit marquée de son empreinte. Nous pensons en particulier aux écoles, en particulier le groupe scolaire Villegoudou, à la piscine d’hiver et à bien d’autres réalisations qui font de Castres la ville que l’on connaît12. » (Fig. 3) Cette implication de Georges Benne s’observe notamment dans l’application et la rigueur dont il fait preuve dans son travail de conception, de mise au point des calepins d’appareillage de briques et dans le suivi du chantier (surveillance de la qualité des briques et de la mise en œuvre par les ouvriers) pour la réalisation du groupe scolaire.

    Fig. 3 : Aquarelle réalisée par Georges Benne le 8 mai 1932.  La façade principale du groupe scolaire Villegoudou à Castres (Label du patrimoine du xxe siècle)

    Archives privées de la famille Benne.

    27Durant sa carrière, Georges cumule l’exercice d’architecte municipal avec celui d’architecte libéral. Il établit à Castres au 25, boulevard du Maréchal-Foch sa propre maison-agence qu’il conçoit dans le style Art déco et pour laquelle il fait appel à des artisans et des artistes parisiens.

    28Son fils Maurice, né en 1921, commence sa formation à l’Era de Toulouse, puis rejoint l’atelier de Charles Lemaresquier à l’ENBA de Paris, dont il est diplômé en 1946. De retour auprès de son père à Castres, à son tour il exerce conjointement la fonction municipale et l’activité libérale. Il développe les affaires du cabinet hérité de Georges. Toutefois, les polémiques alors balbutiantes avec leurs confrères du temps du père atteignent leur apogée avec lui. L’entrée en vigueur de la loi de 1977 et du décret de 1981 lui impose de stopper le cumul de fonctions. Il choisit alors l’activité libérale et monte un catalogue de plans de maisons, qu’il édite à la chaîne. Le quartier Bisséous à Castres est empli de ses maisons, et la cité ouvrière de la SACOSMIP à Pamiers lui achète plusieurs plans de maisons jumelles. Cette activité s’est révélée très rentable, et de nombreuses maisons ont été construites partout dans le Sud-Ouest, voire en France, sur ces modèles.

    29La dernière génération est celle d’Henri Benne, le fils de Maurice, architecte en exercice libéral, qui clôture cette lignée de bâtisseurs-architectes.

    Henri Benne, un héritier malgré lui

    30Cette seconde partie se propose d’examiner la question de l’héritage de la dynastie Benne à travers le parcours et les yeux d’Henri, dernier de cette lignée et depuis peu retraité. Les résultats développés ici sont principalement issus d’un entretien réalisé avec celui-ci13. La liste des permis de construire recensés par les archives municipales de la ville de Castres a été également exploitée.

    Une volonté familiale prégnante sur le choix du métier de l’héritier mâle

    31Henri Benne naît le 12 mars 1949. Pour son père, Maurice, ce fils aîné, qui sera suivi par deux sœurs, sera évidemment architecte, prêt à reprendre et à transmettre à son tour le nom et le métier à des héritiers de sexe masculin. Ainsi, le garçon grandit en s’exerçant aux découpages et aux pliages des plans d’architecte dessinés par son père, activité à laquelle il participe avec ses sœurs le week-end, ce qui lui permet de gagner un peu d’argent.

    32Mais, très vite, il n’accepte pas l’autorité et la pression exercées par sa famille quant au « choix » de ce futur métier. Très bon en mathématiques, et cela sans faire trop d’efforts, il se destine dès la classe de cinquième à une carrière d’ingénieur, dans l’optique de s’opposer à la famille : « Je ne ferai jamais architecte, je serai centralien ou autre », déclare-t-il. Les réunions de famille s’enchaînent afin de le faire changer d’avis. Grand-père et père soulignent le manque de créativité des ingénieurs, ennemis jurés des architectes dans leur esprit.

    33Lors de son année de première, il retrouve des amis qui ont un an et demi d’avance sur lui et qui, comme il l’évoque, sont « aussi feignants » que lui. Ces garçons ayant entrepris des études d’ingénieur le mettent en garde sur la quantité de travail dans cette filière : « Ils devaient travailler pour maths sup, maths spé, s’enfermer trois mois à bosser douze heures par jour… » Henri décide alors de s’orienter vers l’architecture et de s’inscrire à l’École régionale d’architecture de Toulouse (Erat, appelée familièrement « Beaux-Arts » par ceux qui l’intégrèrent du fait de sa localisation au sein de l’École de beaux-arts), car « on ne foutait rien et tout marchait bien […] uniquement par fainéantise ». Une vision fantasmée que l’on pourrait toutefois mettre en balance avec les charrettes et les travaux importants mentionnés par d’autres témoignages14.

    Une formation « académique » confrontée aux débats politiques et théoriques des années 1960-1970

    34Henri Benne obtient son baccalauréat à 18 ans, en 1967, et s’inscrit donc à l’Erat, quittant Castres pour Toulouse, ville la plus proche dispensant des cours en architecture. Arrive le mois de mars 1968. Six mois à peine après son entrée dans l’école, la révolution culturelle qui souffle sur la France remet en question l’activité pédagogique exercée dans les Écoles régionales d’architecture et, surtout, dans l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Il se rappelle que les étudiants prenaient d’assaut les cars de CRS, mais « comme à l’époque ils étaient gentils, ça restait tranquille ». Son père ne voit pas cette situation d’un très bon œil et refuse de continuer à financer ses études dans ces conditions. Maurice Benne appelle alors l’un de ses confrères, Henri Brunerie, pour qu’il le prenne dans son agence, à Albi15. Henri Benne passera donc un certain temps dans cette agence avant que Brunerie ne conseille à son père de l’envoyer à Paris dans l’atelier de Paul La Mache (UP2), de « l’ancienne école », ce qui lui permettra d’apprendre le métier d’architecte sans subir les bouleversements générés par Mai 1968 : « Ils ont leur fanfare mais à part ça, eux, ils travaillent. » En effet, UP2, École d’architecture de Paris-Nanterre, considérée comme une petite UP (Henri Benne fait mention de six ateliers), semble propice à la bonne formation du jeune Henri, à l’inverse des « contestataires, les rouges » qui étaient principalement localisés à UP6 (future École nationale supérieure d’architecture de Paris-La-Villette).

    35Henri part ainsi pour Paris, accompagné par sa fiancée castraise qui, elle, suit des études de danse. À son arrivée à UP2, il rencontre celui qui devient son patron, Paul La Mache16. Au bout de deux ans d’étude, ce dernier apprécie son caractère tenace et lui confie en quelque sorte une place de porte-parole au sein de l’atelier, ce qui lui permet de contester les postures critiques d’autres patrons, notamment celles des frères Arsène Henry. Les griefs portent sur plusieurs points, notamment la création de grands ensembles : « Mon patron était un visionnaire, et moi je suivais ça… Il disait que jamais on ne devait mettre des gens dans des ensembles de plus de 300 logements, par exemple, que c’était inhumain et que l’être humain n’était pas fait pour ça et qu’on faisait des trucs horribles […]. Et là, eux, Arsène Henry, à l’époque ils étaient les plus fiers… Ils avaient fait le plus grand immeuble HLM de France… C’est celui que vous voyez de loin, de l’autoroute, quand vous regardez vers Nîmes la colline… Vous avez une barre d’immeuble HLM qui fait 350 m de long et ça c’était leur victoire et leur fierté17. »

    36Henri est ainsi amené à présenter des projets allant à l’encontre des propositions de réalisations de grands ensembles, critiquant les postures alors dominantes, notamment dans le cadre de la crise du logement en France et de la mise en place des ZUP. À partir de ce moment-là, comme il l’explique, « les unités de valeur que je faisais… je les faisais toujours avec quelque chose qui faisait qu’il y allait avoir un carton avec Arsène Henry ».

    37Ce rôle de contestataire de la contestation semble beaucoup lui plaire et, grâce à cela, il fera des « études incroyablement rapides », en obtenant toutes ses unités de valeur très vite. Au bout de trois ans et demi, il passe le diplôme, ce qui entraîne quelques frictions avec Paul La Mache, notamment au sujet de la poursuite de son parcours professionnel.

    La vie provinciale revendiquée face à Paris

    38Lorsqu’Henri obtient son diplôme, en 1973, Paul La Mache le félicite puis lui expose sa vision de l’avenir, en lui proposant de prendre sa suite, raconte Henri Benne : « Je t’ai gardé une place spéciale au chaud [...]. Tu vas être mon successeur chez moi, dans ma boîte. J’ai sept archis sous mes ordres, plus mes dessinateurs et ma secrétaire […]. Tu restes un an, c’est sur le contrat, c’est marqué et tu as tout ça pour toi dans un an. Je veux que ce soit toi qui me succèdes. » Bien que cette offre soit une vraie chance pour un jeune architecte, Henri, qui ne s’attendait pas à une telle proposition, souhaite disposer de quelques jours de réflexion. Il veut aussi consulter sa fiancée, pour prendre ensemble la décision de partir de Paris ou y rester.

    39La « nécessité absolue » d’une vie en province revient alors au centre de leurs préoccupations. Henri Benne et sa fiancée se considèrent comme « pro-provinciaux » et n’ont jamais envisagé de s’établir à Paris au-delà du temps des études. Pour eux, il est « impossible […] de savoir que, pour avoir un bout d’espace vert non pollué, [ils vont] prendre […] le tunnel de Saint-Cloud et [… se] payer la lumière bleue dans les phares des bagnoles ». Le retour à Castres l’emporte, et le mépris de la province semble poindre chez son patron, qui lui rétorque : « Ah oui, tu veux faire des boîtes aux lettres et des niches à chiens, c’est ça ton rêve ? »

    40Néanmoins, le couple reste encore un an à Paris, le temps que la fiancée d’Henri termine, elle aussi, ses études. Henri s’inscrit alors pour un an en sciences politiques dans une formation de troisième cycle en urbanisme. Il y rencontrera notamment des ingénieurs et des polytechniciens. Des ministres – comme Edgard Pisani (ministre de l’Équipement) – y donnent des cours, avec l’objectif sous-jacent d’amener certains d’entre eux à travailler auprès des ministères, notamment pour construire des villes nouvelles. Si Henri n’en a, selon lui, rien retiré, cela lui aura permis de voir autre chose et de se dire que, s’il devait un jour « abandonner l’architecture, [il serait] malheureux comme les pierres, mais [il] pourrait faire de l’urbanisme ». En 1974, sa fiancée est diplômée, et le couple rentre à Castres. La vie professionnelle d’Henri commence alors.

    Une transmission familiale peu reconnue

    41À son retour, Henri s’installe dans l’agence de son père, Maurice. Néanmoins, selon ses dires, il opère une mise à distance de cet héritage qui semble difficile à assumer, et cela pour plusieurs raisons.

    42Ayant été sous les ordres des collaborateurs de son père avant ses études, il évoque tout d’abord la difficulté de trouver une place face à ces employés qui ont environ 30 ans d’ancienneté. Il prendra malgré tout la succession de son père, mais reste persuadé qu’« un cabinet d’architecte, c’est un homme » et non pas un nom. Par rapport à son chiffre d’affaires, il estime que, durant ses trois premières années d’exercice, 5 % seulement provenaient de la clientèle de son père. La question de la notoriété du nom Benne et de la reconnaissance de la pratique d’un métier dans une ville de province comme Castres ne sont pas mentionnées. Il est toutefois important de noter que les bureaux investis sont ceux du grand-père, localisés au rez-de-chaussée de sa maison et agrandis au gré de l’importance de l’agence sur le jardin, à l’arrière. Tel qu’Henri le décrit, l’espace de travail comprenait un grand hall avec un secrétariat, un bureau de réception donnant sur un patio et un bureau pouvant accueillir trois personnes.

    43Concernant l’héritage matériel légué par ses aïeux, hormis l’agence, Henri considère qu’il lui reste « simplement certains des panneaux […] des perspectives qui étaient en aquarelle, faits par mon grand-père sur les principaux trucs qu’il avait réalisés, notamment les quais où il y avait le cinéma, où ils ont mis les parkings […]. Et puis après, la piscine […] et l’école ». Il met de côté toute la portée intellectuelle de cet héritage, se revendiquant même comme un architecte ne lisant pas et ne voulant pas copier le travail d’autres architectes : « J’ai fait toute mon école […] sans jamais avoir lu un livre. » Nous observons là une certaine volonté d’indépendance vis-à-vis de la trajectoire familiale, mais aussi une distance prise avec les références architecturales.

    44Tempérant néanmoins cette vision, Henri estime avoir reçu quelques leçons de la part de son grand-père, avant même de pratiquer lui-même le métier. Georges l’amenait sur les chantiers, où il observait donc le travail de l’architecte, la précision de ses remarques aux entrepreneurs et les relations nouées avec eux. L’héritage provenant du père, Maurice, semble avoir été plus encombrant, nous y reviendrons plus loin.

    La belle-famille, un soutien à la pratique professionnelle

    45Finalement, les premières commandes d’Henri et son affirmation en tant qu’architecte proviendront d’une autre entrée, offerte par sa belle-famille.

    46Son beau-père, un industriel associé à des Italiens et à des Suisses, est à ce moment-là en train de monter à Castres une usine de grande taille, Ampa France, branche française de la société Ampa Toys, spécialisée dans la réalisation de jouets et d’articles de sport. En 1974, il confie à Henri son premier projet, la réalisation d’un bâtiment de 14 000 m² accueillant l’usine, avec plusieurs éléments spécifiques : un embranchement pour le réseau SNCF au cœur même du bâtiment, un espace dédié à la réception des poids lourds pour le transport, des bureaux s’inspirant des modes de travail modernes, des passerelles vitrées reliant les différents espaces, la mise en place de la climatisation et la réalisation de façades rideaux. Ce travail titanesque lui permettra d’avoir une expertise dans la réalisation de bâtiments industriels et professionnels, le bâtiment ayant été accueilli très favorablement par le public : « Il n’y en avait aucun dans le Tarn comme ça. » Ce qu’il retient surtout de cette expérience concerne la « banalisation » de l’édifice. À la demande de son beau-père, il réfléchit à la pérennité et à l’adaptabilité du bâtiment, faisant en sorte qu’il puisse convenir à n’importe quel programme en conservant sa taille ou en étant morcelé. Il voit cela comme une leçon qu’il a tirée pour la réalisation d’édifices industriels. Il appliquera à nouveau ce système multifonctionnel dans de futurs projets d’usines, à la demande d’autres clients. Par ailleurs, il est intéressant de noter que le bâtiment a par la suite été racheté par les usines pharmaceutiques Pierre Fabre en raison de l’enjeu économique relatif à cette zone, à la fois près de l’entrée de la ville, mais aussi implantée en retrait de la route reliant directement Toulouse à Castres.

    47À proximité de cet emplacement, dans la zone industrielle de Mélou, et à la même période, il réalise un deuxième projet industriel, le garage Négrier, un bâtiment au plan circulaire encore présent à l’entrée de la ville.

    48Henri explique avoir appris et retenu beaucoup de choses au contact de son beau-père. À travers la réalisation de ces édifices industriels, il a pu montrer à certains clients qu’il avait intégré les spécificités d’un édifice industriel et qu’il pouvait les appliquer ailleurs. De plus, au début des années 1970, ses bâtiments représentaient une certaine innovation et ne ressemblaient pas à ce qui se faisait à Castres : « Toute la clientèle qui m’est arrivée, elle est arrivée à partir de gens qui ont vu – et là j’étais pas peu fier – mes projets, principalement le premier […]. À l’époque, les gens disaient “punaise ce type-là il innove, il fait des choses nouvelles”. »

    Un réseau à double tranchant

    49Si le réseau de son beau-père a profité au démarrage de la carrière d’Henri, du côté paternel, des heurts ont eu lieu. En effet, Maurice, qui cumulait deux modes de travail, libéral et salarié en tant qu’architecte de la ville, « utilisait le secrétariat de la mairie. Tout se mélangeait. »

    50Henri Benne porte un regard critique sur son père : « Mon père c’était l’opportuniste intelligent. Après la guerre, tout était à reconstruire, les confrères en face n’étaient pas au top, je ne vais pas les critiquer. Mon père distribuait les projets à d’autres confrères. Très vite, je n’ai pas apprécié ce qu’il faisait. Il a essayé de faire de la promotion, il s’est planté. » Se mélangent dans le discours des éléments concernant la posture de l’architecte, mais aussi la manière de travailler et de se saisir des différentes opportunités. Cette attitude mettra à mal les relations de Maurice avec le nouveau maire de Castres, Jacques Limouzy. Ces mauvais rapports induiront une résistance de la part de Maurice face aux demandes de la municipalité et se répercuteront par la suite sur l’activité d’Henri, qui estime que Limouzy « a fait [qu’il] n’a jamais pu avoir ni une boîte aux lettres ni une niche à chien à réaliser » pour la commune.

    51La seule réalisation que lui confiera la municipalité sera une mission urgente visant à la réhabilitation d’un petit établissement scolaire adossé à quelques espaces communaux, situé route d’Albi, au nord de Castres et dans un état épouvantable, et cela en six mois. À la fois bon marché et efficace dans l’obtention du permis de construire, Henri Benne pense qu’un certain nombre de projets lui ont été confiés pour ces raisons. En revanche, les réseaux politiques – comme nous venons de le voir – et religieux n’ont été d’aucun appui dans le cadre de sa propre carrière. Si les Benne se sont vu confier quelquefois la réalisation d’édifices religieux, il avoue porter à cela un « désintérêt absolu ». Il ne reconnaît donc pas l’impact positif de son héritage et semble finalement se constituer en héritier malgré lui.

    52En termes de programmes architecturaux, nous observons les mêmes réactions : la famille ne semble pas avoir doté Henri d’une expertise en la matière. S’il note avoir énormément fait de promotion immobilière à l’instar de son père, qui a essayé de s’y mettre mais a perdu pied avec un promoteur véreux, Henri s’est, quant à lui, appuyé sur sa femme et a démarré cette activité une dizaine d’années après son installation. Son père lui prédit alors un avenir malheureux : « Tu vas te planter comme moi », générant une rancœur qui les poursuivra jusqu’à la fin de la vie de Maurice. En effet, cette production en tant que promoteur représentera bien vite trois quarts de son activité et un revenu très confortable, tandis que, selon ses dires, l’architecture – « sacrée » pour lui – n’en représenterait seulement qu’un quart. Ces travaux sont toutefois à mettre en regard des « plans Benne », dont 3 300 environ furent vendus à des particuliers par son père.

    53Enfin, le dernier élément, mais non le moindre, ayant suscité une fracture dans les rapports entretenus par Henri et Maurice est l’absence d’héritier mâle susceptible de reprendre le nom et la profession d’architecte. Henri considère en effet que son père lui a tourné le dos quand il a eu trois filles et décidé de ne pas avoir d’autres enfants : « Tu nous fais perdre le nom, tu nous fais perdre le métier. » Cette pression constante, rencontrée dès son enfance, a resurgi alors.

    54Henri semble ainsi s’être constitué un parcours propre, quelque peu à distance de ses origines familiales difficiles à porter, bien qu’ayant bénéficié des atouts d’une lignée d’architectes inscrite dans un territoire circonscrit.

    Ouvertures

    55Les grands traits de l’histoire de cette famille de bâtisseurs mettent en lumière plusieurs caractères propres aux dynasties d’architectes en province des xixe et xxe siècles.

    56La prospérité familiale s’installe du temps du grand-père architecte de la ville, se développe grâce à l’entregent du père, Maurice, puis se poursuit et s’achève avec le fils, Henri, qui, malgré une activité intense, ne laissera pas d’héritier architecte. L’héritier masculin de chaque génération a donc porté la notoriété familiale, permettant le passage du statut d’ouvrier à celui de notable, d’architecte, dans une société provinciale. Le réseau professionnel se développe en conséquence au gré des générations, de manière positive dans un lien de confiance éprouvé et négative dans un héritage encombrant qu’il est parfois difficile de dépasser. Cette ascension sociale se lit également dans la manière d’accéder au métier : de l’apprentissage d’un savoir-faire concret pour le tailleur de pierre de la montagne Noire, aux savoirs théoriques et intellectuels enseignés dans les UP à Paris pour l’architecte libéral.

    57La volonté de transmission d’un nom mais aussi d’un métier est également prégnante, bien qu’elle se soit arrêtée avec le dernier héritier, Henri, dont la figure capitalise peut-être aussi un changement sociétal fort. Il n’y a pas de place pour les femmes dans cette lignée, qui prend fin avec les filles d’Henri Benne, lesquelles n’ont pas souhaité s’inscrire dans la poursuite de la profession familiale. Cette volonté de transmission masculine se heurte par ailleurs aux conflits générationnels dans les filiations directes au moment des choix éducatifs et professionnels des plus jeunes, de l’association père-fils et des prises de relais décisionnelles. Néanmoins, lorsqu’une émancipation fortuite en dehors de l’agence familiale se présente, l’ailleurs n’est pas toujours la solution. Malgré cela, l’implication dans la profession du bâtiment demeure, sans rupture franche. Les legs intellectuels et culturels ne sont pas toujours revendiqués par les concernés eux-mêmes ni visibles dans les projets.

    58Pour finir, notons que l’enracinement dans le territoire tarnais n’a quant à lui pas donné lieu à une architecture spécifique, en termes de matérialité par exemple, qui aurait fait émerger une architecture spécifique en lien avec le pays castrais. Chacun aura eu la volonté de se distinguer de ses prédécesseurs dans son écriture architecturale.

    Sources

    A. D. du Tarn, état civil, 4 E 65/24, 4 E 65/37, 4 E 65/119 ; projets communaux 2 O 6510, 11, 17.

    A. M. de Castres, 2K31 fonctionnement du service architecture ; 1D45 délibérations 1933-1935 ; 4M44-60 groupe scolaire Villegoudou ; 1M60-73 piscine et bains-douches, permis de construire.

    Archives du CROA MP, Georges Benne, Maurice Benne.

    Archives de l’ISDAT (anciennement beaux-arts), dossier étudiant de Maurice Benne.

    Entretien réalisé avec Henri Benne, septembre 2015.

    Entretien réalisé avec Henri Benne, mars 2020.

    Base de données « Dictionnaire des élèves architectes de l’École des beaux-arts de Paris (1800-1968) », sous la dir. de Marie-Laure Crosnier Leconte (INHA), en ligne : https://agorha.inha.fr/inhaprod/ark:/54721/00275700.

    L’Illustration, 20 octobre 1917, no 3 894, planche no 477.

    Bibliographie

    Louis Callebat, Histoire de l’architecte, Paris, Flammarion, 1998.

    Enrico Chapel, Constance Ringon (dir.), L’Enseignement de l’architecture à Toulouse. Prémices d’une histoire, Paris, Archibooks, 2019.

    Laura Girard, « Le chantier de la piscine et des bains-douches à Castres (1930-1938) : adjudication à forfait et main-d’œuvre étrangère », (chap. IV « Droit et économie de la construction », p. 453-460), in Gilles Bienvenu, Martial Monteil, Hélène Rousteau-Chambon (dir.), Construire ! entre Antiquité et époque contemporaine, Actes du 3e Congrès francophone d’histoire de la construction, Nantes, 21-23 juin 2017, Paris, Éd. Picard, 2019.

    Laura Girard, « Le groupe scolaire Villegoudou à Castres : pour une histoire matérielle et sociale de l’architecture de briques dans le Midi-Pyrénées (1919-1945) », in Antonella Mastrorilli, Clotilde Fromentin, Ghislain His, Cahiers thématiques, no 15 : Matérialités, Lille, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, ENSAP Lille, 2016.

    Gérard Ringon, Histoire du métier d’architecte en France, Paris, PUF, 1997.

    Denyse Rodriguez Tomé, Les Architectes en République : la codification d’une profession, 1880-1905, thèse de doctorat en histoire sous la dir. du Pr. Christophe Charle, université Paris 1-Panthéon Sorbonne, 2008.

    Perrine Vigoureux, « La figure de l’architecte provincial : l’exemple de Tony Ferret (1851-1923), architecte départemental de l’Ain », Livraisons d’histoire de l’architecture, no 5, 2003.

    Notes de bas de page

    1À propos de la formation des femmes architectes à Toulouse, il est intéressant de consulter : Laura Girard, Constance Ringon, « Des femmes à la conquête d’une formation. L’enseignement de l’architecture à Toulouse (1794-1968) », in Enrico Chapel, Constance Ringon (dir.), L’Enseignement de l’architecture à Toulouse. Prémices d’une histoire, Paris, Archibooks, 2019, p. 95-102.

    2Rémy Cazals (dir.), Histoire de Castres, Mazamet, la montagne, Toulouse, Privat, 1992.

    3AARP, Marion Sartre, Bulle Chauliac, Nacarat, Aire de valorisation architecturale et paysagère de la ville de Castres, études de diagnostics, 2013- 2015.

    4Fiche de recensement, théâtre municipal de Castres, dossier DRAC Midi-Pyrénées.

    5A. D. du Tarn, 81 2O 65/15 ; A. C Castres 4M.

    6A. M. de Castres, 81 1R2/160 0404.

    7Georges Benne, L’Illustration, planche no 477, fascicule de seize planches édité en même temps que le no 3 894 du 20 octobre 1917 mais vendu séparément. Extrait du site de L’Illustration : http://revue.lillustration.com.

    8A. D. du Tarn, 81 1R2/174 0646.

    9Georges Benne, L’Illustration, op. cit.

    10Service historique de la Défense, Vincennes, GR 16 P 47624.

    11Pierre Romien, « À l’origine de la réinsertion professionnelle des personnes handicapées : la prise en charge des invalides de guerre », Revue française des affaires sociales, no 2, 2005, p. 229-247. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2005-2-page-229.htm.

    12Outre le groupe scolaire Villegoudou, il s’illustre notamment dans la construction de la piscine et des bains-douches Villegoudou et des quais Miredames.

    13Entretien avec Henri Benne réalisé le 9 mars 2020 par Laura Girard et Constance Ringon.

    14Voir notamment Enrico Chapel, Constance Ringon (dir.), L’Enseignement de l’architecture à Toulouse […], op. cit.

    15Henri Brunerie est l’un des proches confrères de Maurice Benne. Il fonde l’Agence Brunerie en 1954, à Albi, dans le Tarn. Le cabinet Brunerie & Irissou fonctionne encore à l’heure actuelle, repris par Pierre, le fils d’Henri, et Thomas, son petit-fils, témoignant ici aussi d’une dynastie tarnaise impliquée dans le domaine de l’architecture.

    16Paul La Mache (1918-1999) est admis à l’École des beaux-arts en 1936. Il étudie tout d’abord auprès de Tony Garnier et de Pierre Bourdeix à Lyon, puis de Madeline et Zavaroni à Paris. Il obtient son diplôme en 1943, ouvre son agence à Paris en 1951, puis développe également ses activités d’architecte à Nancy. Conjointement à son travail d’agence, il dirige un atelier de l’École régionale des beaux-arts de Nancy entre 1952-1957, puis un atelier extérieur à l’ENSBA de 1957 à 1968. Il participe à la fondation d’UP2 Paris-Nanterre, où il enseigne entre 1969 et 1983. Éléments extraits de la fiche descriptive du fonds Paul La Mache, Cité de l’architecture et du patrimoine, Centre d’archives d’architecture du xxe siècle : fonds La Mache, 315 AA.

    17Il s’agit de la ZUP Valdegour, au nord de Nîmes, réalisée par les frères Xavier et Luc Arsène-Henry entre 1960 et 1983, et aujourd’hui largement délaissée par les pouvoirs publics (Fabrice Tassel, « Nîmes, la cité désertée », Libération, 3 février 2012).

    Auteurs

    • Laura Girard

      Architecte et docteure en architecture, maître de conférences associée en histoire et cultures architecturales à l’ENSA Toulouse, LRA

    • Constance Ringon

      Architecte et docteure en architecture, maîtresse de conférences en histoire et cultures architecturales à l’ENSA Toulouse, LRA

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    1À propos de la formation des femmes architectes à Toulouse, il est intéressant de consulter : Laura Girard, Constance Ringon, « Des femmes à la conquête d’une formation. L’enseignement de l’architecture à Toulouse (1794-1968) », in Enrico Chapel, Constance Ringon (dir.), L’Enseignement de l’architecture à Toulouse. Prémices d’une histoire, Paris, Archibooks, 2019, p. 95-102.

    2Rémy Cazals (dir.), Histoire de Castres, Mazamet, la montagne, Toulouse, Privat, 1992.

    3AARP, Marion Sartre, Bulle Chauliac, Nacarat, Aire de valorisation architecturale et paysagère de la ville de Castres, études de diagnostics, 2013- 2015.

    4Fiche de recensement, théâtre municipal de Castres, dossier DRAC Midi-Pyrénées.

    5A. D. du Tarn, 81 2O 65/15 ; A. C Castres 4M.

    6A. M. de Castres, 81 1R2/160 0404.

    7Georges Benne, L’Illustration, planche no 477, fascicule de seize planches édité en même temps que le no 3 894 du 20 octobre 1917 mais vendu séparément. Extrait du site de L’Illustration : http://revue.lillustration.com.

    8A. D. du Tarn, 81 1R2/174 0646.

    9Georges Benne, L’Illustration, op. cit.

    10Service historique de la Défense, Vincennes, GR 16 P 47624.

    11Pierre Romien, « À l’origine de la réinsertion professionnelle des personnes handicapées : la prise en charge des invalides de guerre », Revue française des affaires sociales, no 2, 2005, p. 229-247. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2005-2-page-229.htm.

    12Outre le groupe scolaire Villegoudou, il s’illustre notamment dans la construction de la piscine et des bains-douches Villegoudou et des quais Miredames.

    13Entretien avec Henri Benne réalisé le 9 mars 2020 par Laura Girard et Constance Ringon.

    14Voir notamment Enrico Chapel, Constance Ringon (dir.), L’Enseignement de l’architecture à Toulouse […], op. cit.

    15Henri Brunerie est l’un des proches confrères de Maurice Benne. Il fonde l’Agence Brunerie en 1954, à Albi, dans le Tarn. Le cabinet Brunerie & Irissou fonctionne encore à l’heure actuelle, repris par Pierre, le fils d’Henri, et Thomas, son petit-fils, témoignant ici aussi d’une dynastie tarnaise impliquée dans le domaine de l’architecture.

    16Paul La Mache (1918-1999) est admis à l’École des beaux-arts en 1936. Il étudie tout d’abord auprès de Tony Garnier et de Pierre Bourdeix à Lyon, puis de Madeline et Zavaroni à Paris. Il obtient son diplôme en 1943, ouvre son agence à Paris en 1951, puis développe également ses activités d’architecte à Nancy. Conjointement à son travail d’agence, il dirige un atelier de l’École régionale des beaux-arts de Nancy entre 1952-1957, puis un atelier extérieur à l’ENSBA de 1957 à 1968. Il participe à la fondation d’UP2 Paris-Nanterre, où il enseigne entre 1969 et 1983. Éléments extraits de la fiche descriptive du fonds Paul La Mache, Cité de l’architecture et du patrimoine, Centre d’archives d’architecture du xxe siècle : fonds La Mache, 315 AA.

    17Il s’agit de la ZUP Valdegour, au nord de Nîmes, réalisée par les frères Xavier et Luc Arsène-Henry entre 1960 et 1983, et aujourd’hui largement délaissée par les pouvoirs publics (Fabrice Tassel, « Nîmes, la cité désertée », Libération, 3 février 2012).

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    Dynasties d'architectes et d'artistes en province aux xixe et xxe siècles

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    Girard, L., & Ringon, C. (2023). Du tailleur de pierre à l’architecte : la dynastie Benne à Castres, cinq générations de bâtisseurs du xixe au xxie siècle. In M. Lavenu & T. Tauziat (éds.), Dynasties d’architectes et d’artistes en province aux xixe et xxe siècles (1‑). Presses universitaires Blaise-Pascal. https://doi.org/10.4000/13srm
    Girard, Laura, et Constance Ringon. « Du tailleur de pierre à l’architecte : la dynastie Benne à Castres, cinq générations de bâtisseurs du xixe au xxie siècle ». In Dynasties d’architectes et d’artistes en province aux xixe et xxe siècles, édité par Mathilde Lavenu et Tiphaine Tauziat. Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise-Pascal, 2023. https://doi.org/10.4000/13srm.
    Girard, Laura, et Constance Ringon. « Du tailleur de pierre à l’architecte : la dynastie Benne à Castres, cinq générations de bâtisseurs du xixe au xxie siècle ». Dynasties d’architectes et d’artistes en province aux xixe et xxe siècles, édité par Mathilde Lavenu et Tiphaine Tauziat, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2023, https://doi.org/10.4000/13srm.

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    Format

    Lavenu, M., & Tauziat, T. (éds.). (2023). Dynasties d’architectes et d’artistes en province aux xixe et xxe siècles (1‑). Presses universitaires Blaise-Pascal. https://doi.org/10.4000/13srx
    Lavenu, Mathilde, et Tiphaine Tauziat, éd. Dynasties d’architectes et d’artistes en province aux xixe et xxe siècles. Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise-Pascal, 2023. https://doi.org/10.4000/13srx.
    Lavenu, Mathilde, et Tiphaine Tauziat, éditeurs. Dynasties d’architectes et d’artistes en province aux xixe et xxe siècles. Presses universitaires Blaise-Pascal, 2023, https://doi.org/10.4000/13srx.
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