Réflexions sur les restaurations des monuments lyonnais du Moyen Âge aux xviiie et xixe siècles
Reflections on Restorations of Medieval Monuments of Lyon during the Eighteenth and Nineteenth Centuries
p. 227-251
Résumés
L’examen des traces archéologiques laissées par les restaurations des xviiie et xixe siècles dans les monuments lyonnais montre que, malgré des ruptures manifestes, il existe des continuités, notamment dans l’usage des matériaux et les pratiques de blanchiment des intérieurs d’église. Ces restaurations, fondées sur l’archéologie, révèlent un usage précoce des styles néo-médiévaux au xviiie siècle, et encouragent les politiques de remplois du xixe siècle, notamment à Ainay et à Fourvière. La lecture des inscriptions lapidaires montre aussi comment les artisans s’inscrivent dans la filiation de leurs prédécesseurs.
The study of archaeological traces left by the eighteenth and nineteenth centuries restorations on the Lyon monuments shows that, despite the obvious failures, there exist continuities, particularly in the use of materials and in the whitening practices of the church interiors. These restorations, based on archaeology, revealed an early use of neo-medieval styles during the eighteenth century, and stimulate the reused policies of the nineteenth century, mostly in Ainay and Fourvière. Lapidary inscriptions reading also shows how craftsmen sign up in the filiation of their predecessors.
Entrées d’index
Mots-clés : histoire de l’art, églises, restauration, Lyon, XVIIIe siècle, XIXe siècle
Keywords : history of art, churches, restoration, Lyon, 18th century, 19th century
Texte intégral
1Au tome 8 de son Dictionnaire raisonné, dans l’article Restauration, Eugène Viollet-le-Duc a donné la célèbre définition de son travail : « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné1 ». La formule, frappée au coin de l’excellence théorique, est représentative de l’esprit de l’architecte. Comme on le voit aussi dans ses restitutions archéologiques (échafaudages, machines de chantier, techniques de constructions…), où il cherche toujours la solution la plus complexe et intellectuellement la plus exaltante, Viollet-le-Duc s’intéresse, dans la restauration, aux actions les plus élaborées, où son génie peut se déployer librement2. Toutefois – on le constate en étudiant le quotidien des monuments –, la restauration d’un édifice comprend sa part d’actions plus prosaïques comme les réparations ou les réaménagements intérieurs. Or, les choix effectués dans ces domaines, d’une part sont nécessaires à la conservation du monument, d’autre part en altèrent sensiblement l’aspect, en modifient la perception et en orientent la compréhension, tout en répondant à des préoccupations qui, si elles ne sont pas une doctrine définitive, n’en forment pas moins déjà un projet raisonné, porté par un corpus d’expériences et de savoir-faire.
2Les architectes qui ont restauré les monuments médiévaux de Lyon au xixe siècle n’ont pas composé de traités théoriques. S’ils suivent les tendances de l’époque – le néoroman à Saint-Martin d’Ainay ou le néogothique à Saint-Nizier –, ils ont su aussi les adapter à des choix spécifiques où leurs contemporains ont pu déceler un « esprit » des restaurations3. Par ailleurs, la forte prégnance de la liturgie, dans une ville qui s’enorgueillissait encore de célébrer les rites des origines apportés d’Orient par saint Pothin au iie siècle4, a tenu lieu, en partie, de philosophie des restaurations. Mais les aléas des chantiers – ruptures de financement, arrêts intempestifs, mort de l’architecte, changements politiques… – créent parfois des monuments originaux par accident, comme le « pigeonnier » de Saint-Bonaventure5. Toutefois, les projets de restauration, les plans, élévations et commentaires des architectes, leur correspondance, les critiques et la défense de leurs travaux traduisent, comme les édifices eux-mêmes, des orientations raisonnées. Ainsi que l’a montré Nathalie Mathian, les travaux entrepris dans les chapelles de Saint-Nizier par Jean Pollet (1795-1839) font apparaître une approche historico-spiritualiste de la restauration : « Celle dédiée à saint François de Salles rappelle le style du xvie siècle vers son déclin et celle de saint Louis de Gonzague celui du xvie siècle à sa naissance. Les chapelles dédiées à sainte Blandine et à sainte Philomène sont dans le goût du Bas-Empire6 ».
3L’étude des travaux réalisés sur les églises lyonnaises, à la fois dans leur réception et dans leurs vestiges archéologiques, montre justement l’ampleur de cette œuvre patiente de réparation qui a sorti les monuments de leur délabrement révolutionnaire, avant de leur redonner un lustre en accord avec l’idée qu’on se faisait du Moyen Âge dans la ville qui a vu naître le style troubadour7. Les restaurations des monuments lyonnais au xixe siècle sont bien étudiées, grâce notamment aux travaux précoces d’érudits de la fin du xixe et des premières décennies du xxe siècle8 ou à ceux, récents, de Nathalie Mathian9, Hervé Chopin10 ou Philippe Duffieux11. Il n’est pas question ici d’envisager cet aspect-là de la problématique. La présente communication se propose modestement d’examiner dans les monuments eux-mêmes les traces archéologiques que les travaux de diverses sortes ont laissées. On constatera qu’au-delà des périodisations admises, les passerelles entre les actions du xixe siècle et celles du xviiie siècle sont nombreuses et, surtout, significatives, et qu’elles ont laissé sur les édifices des témoignages éloquents.
xviiie et xixe siècles : ruptures et continuités
4Les bouleversements entraînés par la Révolution ont profondément modifié le cadre institutionnel dans lequel s’inscrivaient les églises héritées de l’Ancien Régime. La propriété, la maîtrise d’ouvrage, le financement, l’entretien et la restauration ont été confiés à des administrations nouvelles, tandis que l’utilisateur — le clergé — changeait de statut, devenant affectataire. Dans le cadre des monuments protégés par l’État, les décideurs et les architectes ne dépendaient plus directement de l’autorité religieuse et, de ce fait, leurs interventions répondaient à des préoccupations nouvelles, notamment la préservation et la restauration de monuments devenus historiques ou, pour les paroissiales, d’édifices régis par les fabriques renouvelées, où le maire, nouveau venu, jouait un rôle majeur. C’est dans ce contexte qu’ont été mises au point des doctrines de restaurations qui sont une forme de laïcisation12 de l’architecture médiévale : l’intérêt s’est déplacé du religieux vers l’art. Malgré cette rupture manifeste, la question de la restauration des églises médiévales à Lyon doit concerner ensemble le xviiie et le xixe siècle, dans la mesure où l’évolution qu’ont alors connue les pratiques et philosophies de la restauration non seulement montre une véritable continuité, affichée par les praticiens eux-mêmes, mais laisse apparaître un certain nombre de points communs.
5C’est plus en amont qu’il faut localiser une rupture plus radicale, dans ce xviie siècle qui commence à prendre conscience que la culture religieuse léguée par le Moyen Âge est susceptible de disparaître13. Au xviiie siècle, les jeux sont faits. Dans un souci de rationaliser l’héritage médiéval et de réaliser des biens survalorisés par la pression immobilière, le siècle des Lumières a, bien avant la Révolution, ouvert la voie aux destructions monumentales. Avant la fin de l’Ancien Régime, par exemple, les chanoines de la cathédrale ont fait détruire les vieux bâtiments carolingiens du cloître et le cloître lui-même, pour la construction de la Nouvelle Manécanterie, avant de préparer la démolition des églises Saint-Étienne et Sainte-Croix. Parallèlement, dans sa volonté d’adapter l’Église à son siècle, le clergé progressiste tendait à évacuer ce qu’il jugeait être des vieilleries moyenâgeuses14. Dans son article de 1838 sur l’église Saint-Bonaventure de Lyon, Kauffmann associe dans la même condamnation les dégradations révolutionnaires et les abandons spirituels qui les ont précédées et rendues possibles : « Le couvent n’est plus, l’église n’a plus d’autel ; les saints qui se disputaient les piliers de l’église avaient disparu depuis 1760 ; il ne restait plus que quatre chapelles qui venaient de tomber ; l’édifice devint tour à tour une école d’équitation, une ménagerie de passage, un grenier à foin, une remise où les rouliers abritèrent leurs voitures, enfin une halle15 ».
Ruptures et continuités : les matériaux
6Au xviiie comme au xixe siècle, les restaurateurs utilisent les matériaux de leur époque, qui sont chaque fois les mêmes : pierres locales ou importées, remplois, bois, fer, verre, stuc, plâtre… Seul le ciment prompt, magnifiquement utilisé à Saint-Paul pour restituer à la fin du xixe siècle les remplages disparus des chapelles latérales, constitue une innovation. Les différences entre les époques apparaissent d’abord dans le contexte économique et culturel. Pour la pierre, la perte de connaissances techniques et la disparition de carrières anciennes sont une difficulté qui a lourdement pesé au xixe siècle, époque où l’emploi de pierres neuves a posé le problème de la qualité disponible : les carrières médiévales ou les bancs exploités au Moyen Âge ne sont pas toujours accessibles ou leur localisation reste ignorée ; les pierres de substitution, choisies sur des catalogues normés, ne répondent pas complètement aux critères des pierres anciennes, ni sur le plan mécanique, ni sur le plan esthétique ; certaines différences de qualités font souffrir le monument et favorisent la dégradation des parements anciens.
7Les différences apparaissent aussi dans les quantités, comme le montre le cas du remploi. Le xviiie siècle a réutilisé des éléments anciens de toutes provenances, comme les pierres tombales ou les chapiteaux de cloîtres détruits, sans distinction d’époque ou d’origine. À l’inverse, le xixe siècle remploie bon nombre d’éléments médiévaux, parce que les destructions révolutionnaires en ont fourni en quantité. Elles apparaissent enfin dans les intentions. Pour les constructeurs du siècle des Lumières, les remplois sont d’abord des matériaux, souvent utilisés dans des maçonneries non visibles (fondations, blocage interne, maçonneries des combles16…). Pour les restaurateurs du siècle suivant, qui mettent les remplois médiévaux en pleine lumière, ils prennent une dimension de relique, affichant une valeur archéologique, esthétique et affective, voire religieuse17.
8Le plâtre est un cas à part. Il en est fait un usage abondant au xviiie siècle dans les aménagements et restaurations, faible au xixe siècle qui lui préfère le stuc ou la pierre. La « baroquisation » de Saint-Paul au xviiie siècle a utilisé une quantité considérable de plâtre pour les murs et les piles : Hervé Chopin a calculé que les travaux menés entre 1778 et 1784 ont utilisé 16 035 livres de plâtre. Mérimée a condamné l’installation d’un tel décor : « On voit à Saint-Paul des preuves d’un vandalisme encore plus extraordinaire. Les piliers, qui étaient à pans octogonaux, dit-on, ont été transformés en grosses colonnes rondes, au moyen d’une épaisse couche de plâtre. Les chapiteaux historiés, eux-mêmes, ont été recouverts de plâtre et transformés en détestables doriques […] – Comment la dépense de ce replâtrage n’a-t-elle pas arrêté ceux qui en ont eu l’idée absurde18 ? »
9À la cathédrale, les « réparations et ouvrages à faire dans l’intérieur de la grande église et chapelles en dépendant, pour la balayer, frotter et laver dans toute son étendue, remailler, plâtrer et réparer19 » décrits dans la convention du 21 juin 1755 consistent notamment à « remailler toutes les corruptions des murs intérieurs, piliers, pilastres et corniches de l’église et des chapelles, les rejointer proprement tant en pierre, mortier ou plâtre, de même que les voûtes et galeries dans tout le pourtour de ladite église et chapelles ». Les dernières campagnes de restauration, sous la direction de Didier Repellin20, qui ont touché le sanctuaire (2013), le transept et la quatrième travée de la nef (2014) ont fait réapparaître les éléments restaurés en plâtre : pilastres cannelés de la chapelle sud du chœur, tête monstrueuse dans la même chapelle21, sections de moulure (passim) et voûtains (transept). Le cas de la tête monstrueuse, ornant le départ d’une ogive, est remarquable : le modèle, tout proche, quoique très refouillé et surcreusé, a été moulé avec un moule et un contre-moule, puis la nouvelle tête produite et fixée sur son ogive. Le dialogue des deux têtes jumelles se double d’une différenciation accidentelle de la coloration : la tête originelle a reçu le badigeon ocre-rouge passé sur toutes les ogives, la tête en plâtre est restée blanche [Fig. 1-2].
Fig. 1 : Lyon, cathédrale Saint-Jean, chapelle sud du chœur (xiie siècle) : tête monstrueuse du xiie siècle ornant l’amortissement de l’ogive dans l’angle nord-ouest de la chapelle.

© Nicolas Reveyron
Fig. 2 : Lyon, cathédrale Saint-Jean, chapelle sud du chœur (xiie siècle) : copie en plâtre du xviiie siècle de la tête monstrueuse, disposée sur l’amortissement de l’ogive dans l’angle sud-ouest de la chapelle.

© Nicolas Reveyron
Ruptures et continuités : couleurs et lumière
10On le sait, la transformation des intérieurs d’église après le Concile de Trente y a introduit des ambiances lumineuses radicalement nouvelles, grises (xviie siècle) ou blanches (xviiie siècle), obtenues par grattage ou badigeonnage des parements. À Lyon, Quincarnon (1673) signale qu’en 1658, la nef et le clocher de Saint-Paul ont été blanchis, c’est-à-dire unifiés avec une couverte de chaux, sans doute gris clair22. C’est peut-être dans le blanchissage et la mise en couleur de l’architecture que les xviiie et le xixe siècles poursuivent sur la même lancée. Les différences ne sont que des nuances, à une exception près : la restitution ou la reconstitution – ou l’invention – de décors colorés « moyenageux », comme le fait Jean Pollet à Saint-Nizier23. La brutalité des travaux réalisés au siècle des Lumières est bien évoquée par Clapasson en 1741, à propos de Saint-Nizier : « L’on vient de faire des réparations considérables dans l’intérieur de l’Église de Saint Nizier, on a plâtré à neuf toutes les voutes, et regratté tous les murs de bas en haut, ce qui lui donne un air de nouveauté, et fournit un coup d’œil tout différent ; mais il semble que l’on pouvoit se procurer le même avantage à beaucoup moins de frais ; en se contentant de passer une couleur sur les murs, comme cela se pratique à Paris et ailleurs : on ne voit pas trop non plus la raison qu’on a pû avoir de marquer les joints des pierres avec un joint coloré, puisque la beauté d’un édifice consiste dans un assemblage si parfait, que les pîerres qui le composent, ne paroissent former qu’un même corps24 ». En 1848, Claude-Anthelme Benoît fait supprimer les couches de badigeon pour mettre la pierre à nu25 : les traces de boucharde encore visibles sur les piles laissent penser que l’intervention a été très invasive. Pire violence dans l’église romane de Saint-Martin d’Ainay : les parements de la nef sont refaits.
11À la cathédrale, la convention26 du 21 juin 1755 préconise de « blanchir [les voûtes] de couleurs de pierre neuve et donner aussi une couleur de pierre de taille un peu plus foncée aux arrêtes ou liernes des voûtes et des autres endroits de l’église ou chapelles où il y en avait eu anciennement. Faire revivre ou reparaître la dorure tant des clefs des voûtes que des autres endroits de l’église ou chapelles où il y en avait eu anciennement […]. Mettre du blanc ou du gris dans les chapelles ». Le décor coloré des clefs, au xviiie siècle, s’est superposé à celui du Moyen Âge et a été à son tour repris au xixe siècle, avec des modifications marquées dans l’étendue, les tons choisis et la saturation des couleurs, mais en respectant aussi les dorures initiales [Fig. 3]. En 1838, Paul Chenavard fait, sans autorisation, passer un badigeon jaune clair – ses détracteurs parleront de « beurre » – sur les voûtes, opération vite arrêtée par l’autorité ministérielle27. En 1842, Joseph Bard fustige cette interdiction dans un texte qui donne un large aperçu des pratiques de l’époque28 : « L’on avait commencé une restauration partielle du sanctuaire de Saint-Jean, c’est à dire que l’on avait appliqué une couleur sur les murs et relevé les nervures, avec l’emploi du rouge (gueule), de l’azur et de l’or. – Est arrivé sur ces entrefaites, je ne sais quel antiquaire juré de Paris, qui a vite fait arrêter les travaux. Il y a des gens qui ne raisonnent ni l’emploi, ni l’exclusion du badigeon. Certes, je déplore l’application de la couleur à l’huile sur les parois, en tant pourtant qu’elles ne sont pas construites de pierres mureuses ordinaires ; mais quel mal y avait-il à rappeler dans les clefs de voûtes et les nervures, la vive polychromie que le moyen-âge ne manquait jamais d’y appliquer, et dont les traces étaient encore visibles ici ? — L’on ne faisait que raviver les couleurs éteintes et monsieur l’antiquaire officiel a mis obstacle à une sage et historique réparation29 ».
Fig. 3 : Lyon, cathédrale Saint-Jean, voûte de l’abside (xiiie siècle) : décor coloré de la clef (reprise du xixe siècle).

© Nicolas Reveyron
12Quant à la « couleur pierre », elle doit correspondre, à Saint-Jean, à cette teinte ocre rouge qui est partout présente aujourd’hui sur les arcs et les ogives, malgré les rudes nettoyages des années 1930. Cette question de la « couleur pierre » est une constante des temps moderne et contemporain. À la cathédrale de Genève, vers le milieu du xviiie siècle, par exemple, on couvre les voûtes de plâtre, mais on redonne leur couleur naturelle aux arcs, qui sont en molasse, en les frottant avec de la molasse30. Un siècle plus tôt, le conseil avait décidé « que le dedans des vouttes en bas et des galeries soyent blanchies, et les piliers et les colonnes dans le temple mises de couleur pierre ». Selon les auteurs, la notion de « couleur pierre » doit être interprétée comme un ton gris bleuté, considéré comme idéal dès le xvie siècle pour donner l’illusion d’une pierre de qualité31.
Archéologie et restauration
13Dans le Lyon du xixe siècle, les réparations et restaurations des monuments médiévaux interviennent dans un contexte politique et religieux très actif. L’élite culturelle lyonnaise se sent impliquée dans des réflexions – et des querelles – qui mêlent histoire de l’art, liturgie et politique. Elles voient intervenir des architectes, des praticiens, des érudits et des commanditaires, des historiens de l’art comme Charles Savy, des archéologues comme Joseph Bard, des liturgistes comme l’abbé Roux ou des historiens comme Louis Morel de Voleine. Tout particulièrement, Joseph Bard, archéologue et « monumentaliste », qui a mis en place une archéologie du bâti avant la lettre, se donne un important rôle d’expert32. Mais l’archéologie est aussi le fait des architectes qui, par leurs observations sur le terrain et le contact constant avec les hommes de l’art, acquièrent sur le long terme un solide savoir. En 1885, par exemple, pour dater du mobilier liturgique contenu dans la crypte haut-médiévale de Saint-Nizier de Lyon, l’abbé Lapra, citant l’aide de « M. Benoit, architecte, au zèle et au désintéressement duquel nous aimons à rendre hommage », utilise les traces de taille comme marqueur chronologique : « Au-dessus de l’autel, était une croix de pierre élevée assez récemment, puisqu’elle a été taillée avec un instrument que les maçons appellent boucharde, d’invention toute moderne33 ».
Le « néomédiéval » du xviiie et du xixe siècle
14À Lyon, le néogothique n’est pas une invention du xixe siècle, pas plus que le néoroman34. Le style gothique a toujours été pratiqué à la cathédrale. Témoin de l’âge d’or de l’Église, il reste le garant d’une continuité ecclésiologique qui contourne l’obstacle de la Réforme. À titre de comparaison, le clergé progressiste de Saint-Nizier, dont le chapitre a été ouvert à la bourgeoisie dès sa création au début du xive siècle35, est à l’origine du premier ensemble monumental Renaissance avec le portail en demi-tholos qui orne le centre de la façade36. Les deux dernières chapelles funéraires de la cathédrale, élevées sur le côté nord de la nef, remontent aux premières décennies du xviiie siècle37 : la chapelle de la Vierge Marie et de Saint-Jean-Baptiste, érigée en 1617 par le doyen Jean Meslet de la Besnerie (3e travée) et la chapelle de la Vierge et de Saint-Antoine (2e travée) fondée en 1622 par Antoine de Gilbertès, seigneur d’origine auvergnate, mais apparenté par sa mère à la famille de Talaru qui a donné trois archevêques à Lyon au Moyen Âge38. Quoique du xviie siècle, toutes deux ont été construites dans ce style gothique flamboyant sobre, très mural, qui caractérise l’art lyonnais. Dans le cas spécifique de la restauration, les architectes du xviiie siècle ont été attentifs à préserver l’unité stylistique de la partie de l’édifice à reprendre et ils ont montré, dans l’œuvre sculptée, une véritable maîtrise des styles médiévaux. À Saint-Paul, par exemple, la restauration de la tour lanterne romane, qui a impliqué le démontage et le remontage de l’arcature supérieure du dôme et les arcs de la voûte octogonale, ainsi que le remplacement de pièces du décor sculpté, n’est pas perceptible, et seule l’étude archéologique de l’ensemble a pu mettre au jour les traces de l’opération39.
15Le cas de la première galerie de la façade de la cathédrale est exemplaire40. Apparaissant en façade sous la forme d’une arcature aveugle, cette galerie intérieure est couverte de dalles qui constituent le sol d’une seconde galerie, extérieure. Le défaut d’étanchéité du dallage a entraîné une dégradation rapide du bâti. Les premiers travaux connus appartiennent à la fin du xvie siècle41. Les interventions sont menées ponctuellement dans le xviie siècle42. Au début du xviiie siècle, il devient urgent de reconstruire en partie la galerie, présentée comme menaçant de tomber en ruine. Les principales étapes sont documentées pour les travaux, les problèmes survenus et les paiements43. L’acte capitulaire du 4 juillet 1705 donne les détails de l’opération, confiée aux architectes François Dondain et Jean Saquin. Elle concerne la couverture de la galerie et les éléments de décors portés (corniche, pyramides [pinacles], balustrades [garde-corps] et gargouilles), qui doivent être remplacés. L’acte insiste sur l’obligation de reprendre à l’identique : « Plafonds, frises et architraves seront taillés profilés en toute leur longueur et retour suivant l’ordre gothique tel qu’il est présent avec sculptures et ornements ». L’analyse des maçonneries et des décors réalisée lors des restaurations44 de 2011 ont permis de vérifier, par comparaison avec des pièces originelles encore en place, que les arcs trilobés, les chapiteaux, les bases, les écoinçons, magnifiques sculptures en méplat, et la frise de feuilles de lierre sculptée vers 1705-1710 ont suivi de près leurs modèles du xive siècle, même si leur plastique plus maîtrisée accuse le xviiie siècle [Fig. 4]. Cette fidélité à l’art médiéval se retrouve en 1755 dans la restauration de la chapelle sud du chœur où la tête monstrueuse à remplacer (cf. supra) a été moulée sur la tête voisine, parfaitement conservée. Dans la galerie, toutefois, certaines pièces ont été réalisées dans le style de l’époque : les photographies du chantier des années 1880 montrent des déversoirs à la place des gargouilles et des pots au lieu de pyramides.
Fig. 4 : Lyon, cathédrale Saint-Jean, arcature aveugle de la façade (xive siècle) : ornements sculptés au xviiie siècle.

© Nicolas Reveyron
16Le xixe siècle a connu des attitudes très diverses en matière de restauration. On rencontre des inventions pures et simples, comme le projet de façade élaboré en 1837 par Jean Pollet pour Saint-Nizier ou la nouvelle toiture installée sur la cathédrale par Antoine Desjardin suivant la forme du pignon central, improbables combles bourbonnais condamnés par les érudits45. On trouve aussi des adaptations ou corrections. À Saint-Martin d’Ainay, par exemple, les baies gothiques ménagées dans l’église romane ont été transformées en baies romanes et une voûte en plein cintre et en brique s’est substituée à la charpente en carène du xve siècle46 ; à Saint-Paul, les baies hautes romanes ont été agrandies au xve siècle, puis réduites au xviiie siècle, avant de reprendre leur forme d’origine au xixe siècle47 ; à Saint-Bonaventure, les Benoît, une dynastie d’architectes ayant tenu tout le xixe siècle, a « francisé » l’architecture gothique d’une église qui, avec ses fenêtres courtes et sa faible hauteur (17,50 m) relativement à sa grande longueur (72,50 m), était jugée trop « italianisante48 ». Il existe même des réalisations qui suivent le principe d’Eugène Viollet-le-Duc : à Saint-Nizier, Claude-Anthelme Benoît (projet de 1853) a remplacé et complété la partie baroque de la façade (côté sud), restée inachevée, par une copie de la partie nord (portail et tour nord), du xve siècle, copie presque identique à l’exception de la lourde flèche en pierre, au lieu de la flèche en brique du côté nord. Le souci de restituer les décors médiévaux originels se manifeste sur le long terme : à la cathédrale, les pots et déversoirs installés au xviiie siècle sur la galerie de la façade (cf. supra) ont été supprimés à la fin du xixe siècle au profit de gargouilles et de pinacles « gothiques » et dans les premières années du xxe siècle, les culées des arcs-boutants ont retrouvé les personnages et animaux qui en occupaient originellement le faîte, figures restituées d’après les vestiges archéologiques en place. Notons qu’en retour, l’archéologie joue aussi un rôle dans la création architecturale néo-gothique à Lyon : contre le style néo-gothique parisien dans lequel certains voyaient la manifestation d’un jacobinisme rampant49, les architectes tirent des monuments lyonnais des formules estampillées vernaculaires. Ainsi Claire Tisseur (1827-189550), amie de Lucien Bégule (1848-193551), a multiplié les citations de la cathédrale Saint-Jean dans l’église Sainte-Blandine qu’il a construite entre 1863 et 1869 : les lancettes de l’abside, les baies des bas-côtés, les triplets du clair-étage montés sur colonnes et dotés de paires d’arcs monolobés, les culées d’arc-boutant ornées de figures posées sur leur faîte52 [Fig. 5]… À l’église Saint-Nom-de-Jésus, construite dans les années 1860, Louis Bresson imite les clefs de voûte du sanctuaire de la cathédrale et les orne de couleurs [Fig. 6], comme cela venait d’être fait à Saint-Jean.
Fig. 5 : Lyon, église Sainte-Blandine (xixe siècle) : flanc sud de la nef.

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Fig. 6 : Lyon, église du Saint-Nom-de-Jésus (xixe siècle) : voûtes de la nef.

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Les remplois d’Ainay
17Les démolitions révolutionnaires et postrévolutionnaires ont livré au marché gris de la récupération des sculptures médiévales de haute qualité, que les collectionneurs rachètent aux entrepreneurs. Ils en ornent leur maison de campagne53 ou réalisent des musées imaginaires, à la manière d’Alexandre Lenoir54, en recomposant des architectures improbables. Dans un article de 1838, contemporain des restaurations et réaménagements de Saint-Martin d’Ainay, Fleury La Serve établit la liste des pièces romanes remployées dans la restauration de l’ancienne abbatiale romane, comme un catalogue de musée : « La porte colossale du baptistère, toute en marbre, ornée de riches pilastres et de colonnettes, a toujours appartenu à l’abbaye d’Ainay. Les somptueux chapiteaux des sept colonnes du baptistère, ainsi que les chapiteaux de l’entrée, proviennent de la magnifique abbaye de l’Île-Barbe. Les six colonnes qui décorent l’arcature de l’abside, et dont les fûts et les chapiteaux variés sont d’une si riche ornementation, proviennent de l’église de Saint-Pierre-le-Vieux. Un débris romain bien conservé forme le couronnement de la porte ouvrant sur la rue Bayard55 ».
18La place et le rôle de ces remplois dans le projet de l’architecte ne sont pas toujours nets. Dans le cas d’Ainay, l’utilisation d’éléments médiévaux, considérés comme des reliques pour leur style roman et leur origine lyonnaise, vise sans doute à conserver une forme d’authenticité dans le décor d’une église qui a par ailleurs beaucoup souffert de restaurations trop radicales. Fleury La Serve présente un tableau plus nuancé, et quelque peu naïf, de ce qui pourrait tenir lieu de doctrine du remploi : « Plusieurs débris des monuments du moyen-âge, découverts et rapportés, ont trouvé leur place dans l’habile distribution de M. Polet. Cet emploi a été dicté par de nombreux motifs : une économie considérable et nécessaire, l’embellissement de l’annexe [chapelle nord et baptistère, xixe siècle], le rapprochement de l’église d’Ainay [i. e. proximité immédiate] et l’exemple de nos pères, qui ne rougissaient pas d’élever leurs immortels monuments avec les restes précieux des temples payens [sic] ou des édifices détruits56 ». L’attachement des érudits aux œuvres sauvées de l’oubli les amène à déplorer parfois un attachement moindre chez des architectes qui ne se soucient pas nécessairement de la bonne conservation des pièces remployées. À propos du tympan roman inséré dans le parement extérieur du baptistère d’Ainay, l’abbé Chagny remarque que « [l]’idée était bonne de sauver ce panneau sculpté ; mais il eût fallu l’exposer ailleurs que sur un mur tourné vers l’ouest ou, tout au moins, l’abriter de quelque façon contre les intempéries. On a remarqué qu’il a subi de graves altérations par le fait de pluies violentes ou de trombes de grêle, comme celles du 9 octobre 191157 ».
Le remploi de la porte romane de Fourvière
19L’insertion de la porte de l’église romane de Fourvière dans le clocher-porche du xixe siècle de la chapelle mariale constitue un cas extrême du remploi d’une quasi-relique historique : elle représente tout ce qui subsistait de l’église romane de Fourvière et elle a été restaurée/reconstruite au xixe siècle [Fig. 7]. La colline de Fourvière portait à son sommet un ensemble cultuel majeur : l’église romane Notre-Dame-et-Saint-Thomas (xiie siècle) et la chapelle baroque dédiée à la Vierge (xviiie siècle), lieu d’un pèlerinage très populaire. Protectrice de Lyon et des Lyonnais, Marie a fait l’objet d’un culte fervent qui n’a cessé de gagner en importance et, dans le dernier quart du xixe siècle, la basilique actuelle, construite à côté de la vieille chapelle, lui a été dédiée58. Bossan (1814-1888), l’architecte de la basilique, avait prévu de détruire totalement l’église médiévale et la chapelle baroque. Pour lutter contre ce qui apparaissait comme une atteinte intolérable à l’histoire et à l’architecture religieuses de la ville, un groupe de pression a publié, à la date symbolique du 8 décembre 1897, une Protestation contre la suppression de la nef de Saint-Thomas de Fourvière, Signé « un groupe de vieux lyonnais59 ». En 1899, était éditée chez Protat, à Mâcon, une Étude sur l’ancienneté de la chapelle de Fourvière et principalement de la nef de Saint-Thomas. L’affaire présente toutes les caractéristiques des conflits culturels à Lyon au xixe siècle : l’intérêt – bien réel – pour l’art médiéval, la défense farouche de la religion catholique menacée depuis la Révolution et l’attachement sentimental au passé du « vieux Lyon », illustré par de nombreuses publications depuis le Second Empire.
Fig. 7 : Lyon, chapelle Notre-Dame de Fourvière (xviiie siècle) : détail de la porte du xiie siècle remployée dans le clocher porche du xixe siècle.

© Nicolas Reveyron
20Pour sauver la chapelle Notre-Dame, le projet de Bosan a été modifié et l’assiette de la basilique repoussée au nord. En revanche, l’église Saint-Thomas est restée promise à la démolition, pour laisser place au vestibule destiné à desservir la crypte de la basilique et relier la nouvelle construction à la vieille chapelle. Les plans de ce vestibule ont été dessinés en 1917 par le successeur de Bossan, Sainte-Marie-Perrin (1835-1917). La destruction de l’église romane n’a laissé subsister que le sanctuaire refait au xve siècle, à l’est, et la porte principale, abritée dans le porche occidental. Cette dernière, ornée de chapiteaux et de bases attiques, était le seul vestige du monument roman. Son intégration dans le projet de Sainte-Marie-Perrin confirme l’intérêt de l’architecte pour l’art médiéval et son souci d’en sauver ce qui pouvait l’être. Mais il pose un certain nombre de problèmes, mis en lumière par deux pièces d’archives remarquables : d’une part une lettre écrite par Sainte-Marie Perrin60 à Louis Aguettant (1871-1931), renommé professeur de lettres, le 1er juin 1917, d’autre part une notice autographe de l’architecte61 écrite le 10 juillet 1917. Les deux textes, qui s’inscrivent dans deux registres différents de communication, l’un intime et l’autre officiel, montrent deux facettes de la pensée de l’architecte et leur confrontation révèle les ressorts secrets du projet.
21Situé en rupture de pente et dans une position éloignée de la basilique, le sanctuaire de Saint-Thomas a été sauvé par défaut et réinstallé dans une nouvelle scénographie monumentale. La porte de Saint-Thomas, au contraire, a été délibérément remployée. L’opération est représentative de la dimension archéologique des projets de restauration à Lyon. Avant d’être remontée, avait-elle été mise en réserve depuis les démolitions de 1896 ? Si oui, le projet de 1917 aurait pris en compte la porte elle-même dans sa totalité, et non les seules pièces sculptées – bases et chapiteaux. Il est plus vraisemblable que ces dernières, « les éléments les plus précieux », ont été seules conservées, pour leur valeur à la fois artistique, historique et mémorielle, alors que les colonnes, le linteau et l’arc avaient sans doute disparu depuis 1896. Parallèlement, le souci de la mémoire a poussé l’architecte à rétablir la forme exacte de la porte du xiie siècle, mais aussi à localiser au sol, par un tracé sur le dallage du nouveau porche, l’emplacement primitif, ou plutôt originel de la vieille porte. La notion de « relique » – vestige authentique déplacé et valorisé – évoquée par Sainte-Marie-Perrin est ici pleinement assumée, parce que la porte romane a été greffée sur le porche de Notre-Dame, qui avait été reconstruit au xixe siècle : le contexte spatial, chronologique et hagiographique est, lui, radicalement différent, mais l’authenticité reste attachée à la fois aux éléments remployés et au dessin de la porte. Dernier point, les vers latins, dont les deux textes évoquent deux auteurs différents, sont à la première personne du singulier. La porte parle ! Et elle parle pour la postérité :
O.FELIX.EGO.QVAE.PATVI.PER.SECVLA.SEPTEM.
AD.DVVM.THOMAM.IAM.PIA.PORTA.PIIS.
AD.TVA.NUNC.DELVBRA.PATENS.FELICIOR.VT.QVAE.
PERPETVO.VOVEAR.SANCTA. MARIA.TIBI.
22La figure littéraire de la prosopopée appliquée ici à l’architecture traduit un autre aspect de l’archéologie lyonnaise, développé par Joseph Bard : une archéologie du bâti avant la lettre qui, dans la lignée des travaux d’Arcisse de Caumont, « laisse parler » le monument. En définitive, l’opération apparaît plutôt comme l’expression d’une sorte de remords, atténué par le relativement faible intérêt de l’objet préservé et entaché d’une certaine désinvolture : si le texte officiel parle de « monument ressuscité », le texte intime souligne qu’« [o]n ne peut pas en demander plus à ces vieilles pierres62 ». Toutefois, la dimension panégyrique de la reconstruction ne doit pas être négligée. On a donné au linteau, par exemple, une dimension qui dépasse largement les normes architecturales du xiie siècle, afin d’offrir à l’inscription la surface hypertrophiée nécessaire. L’ensemble ne ressemble sans doute qu’en partie au modèle original.
La filiation idéologique des praticiens
23Les hommes de l’art ont tous laissé sur l’édifice même – les pierres de l’architecture et le verre des vitraux – des marques de leur passage ou de leur travail : les marques lapidaires au moment de la construction et des noms, accompagnés parfois d’une date, à l’époque moderne ou contemporaine, gravés rapidement ou soigneusement pendant les travaux de restauration ou lors d’une visite. Certaines mentions entrouvrent une fenêtre sur la vie intime du chantier. L’an 1666, par exemple, les parties hautes de la cathédrale ont fait l’objet d’une visite de professionnels, sans doute tous « vitriers » : des verrières hautes (xiiie siècle) du sanctuaire portent encore les signatures de Jean Baudai Bordelais 1666, Pierre Duval 1666 M, Claude Leur[…] Chanpenois 1666, auxquels ont succédé Nicolas Merard Lorrain Compagno[n] 30e Aout en l’an 1672, Pieerre pam[…] 16[…] ou Yane Mazille 1755, pour ne prendre que les signatures lisibles et millésimées.
24Dans le clair-étage de la troisième travée de la nef (parement intérieur), une longue inscription63 peinte en noir – N + D 1575 ROM DURAN64 – a pu être attribuée à Jérôme Durand65 (1555-1605), fils aîné de Nicolas Durand, peintre-verrier de la cathédrale qui, en 1574, a dirigé la restauration des verrières de Saint-Jean : Jérôme Durand a sans doute poursuivi le travail de son père, sans que son intervention n’ait laissé de traces dans les archives du chapitre66. Sur une verrière de la même travée, côté nord, se lit une inscription habilement gravée en cursive : daniel prier me vitrier 176667. Ce fut le dernier travail de ce maître-verrier, mort durant l’année ou l’année suivante : en 1767, le chapitre a fait payer à « la veuve Prier, vitrier, la somme de 2 400 livres pour les 4e et 5e et 6e vitraux du côté droit de l’église ». S’agit-il du « D. Prier » qui a gravé son nom sur un remplage (parement extérieur) du clair-étage de la 2e travée de la nef : D. PRIER 1737 ? Si oui, il aurait commencé sa carrière jeune, comme Jérôme Durand, et serait mort après 30 ans au moins d’activité. S’il était le père du Daniel Prier de 1766, ce dernier serait mort jeune, peut-être d’un accident du travail. Un phénomène assez constant mérite d’être étudié spécifiquement : la subordination spatiale de deux mentions exprimant une sorte de filiation idéologique, telle qu’elle se rencontre souvent dans les corps de métier. Certains graffitis d’une époque donnée sont localisés à proximité immédiate d’un graffiti plus ancien. Ainsi la signature D. PRIER 1737 a été gravée directement sous le millésime 1685, gravé un demi-siècle plus tôt ; or, cette dernière date correspond sans doute à l’intervention d’un maître-verrier dénommé Martin et de son fils, maître-verrier comme lui, à qui le chapitre a confié en 1684 la réparation de vitraux.
25Dans certains cas, rares, mais spectaculaires, le phénomène est symboliquement souligné. En 1770, la tour sud du chevet, dont les étages aériens ont été construits à partir du xive siècle et achevés à la fin du xve siècle, a fait l’objet d’importantes restaurations. Deux inscriptions à caractère monumental commémorent le chantier68. Dans la loge qui termine l’escalier occidental de la tour, le trumeau du remplage a été engravé d’un cartouche en creux69 servant de cadre à une inscription plus explicite, ponctuée de croix :
CETTÊ + TOUR +
A + ETÊ + REPARÉE +
AN + 1770 +
PAR + IOSEPH + BAJOLAT +
ME + TRÊ + MASSON +
TAILLEUR + DE + PIERRE
REPRISE 1909
26Le tailleur de pierre qui a rajouté la date du chantier du début du xxe siècle a souhaité rester anonyme, mais il s’est attaché à intégrer sa mention, avec un léger décalage marquant spatialement le décalage chronologique.
En guise de conclusion : la mise en abîme des restaurations
27Le cas de filiation idéologique le plus spectaculaire, parce que lié à un travail de sculpture, est offert par le personnage en armure du xve siècle décorant, sur la façade occidentale, le sommet du gable coiffant le portail principal [Fig. 8]. L’homme, sculpté sur deux blocs inégaux, se tient de face et en contraposto, debout sur un rocher, une main sur la hanche, l’autre tenant un bouclier carré. La taille de la pierre semble fraîche, à l’exception des épaules et de la tête. La date de 1708, d’une belle gravure (profil en V) et d’un style xviiie siècle, est inscrite en bas à gauche (nord). À l’extérieur du cadre, mais contre le gable apparaissent deux signatures faites d’initiales entrelacées : AR à gauche [nord – Fig. 9] et DR à droite (sud). La graphie, élégante et ferme, et les fioritures, un peu raides, qui évoquent de loin le lyrisme du xviiie siècle, sont caractéristiques du style des années 1880-1890. Une dernière date, rapidement gravée sur le rocher, petite et habilement dissimulée, indique le moment des travaux : 1889 [Fig. 10]. Le sculpteur de la fin du xixe siècle s’est donc attaché à reproduire le modèle, abîmé par les intempéries, qu’il avait sous les yeux et à restituer la date de la précédente restauration. Les restaurateurs du xviiie siècle ont sans doute repris la figure médiévale, mais en la traitant dans un style plus noble et plus vivant (contraposto, détournement de la tête, main sur la hanche…). Nous ne savons rien de l’original.
Fig. 8 : Lyon, cathédrale Saint-Jean, sommet du gable du grand portail occidental : soldat en armure, debout sur un rocher.

© Nicolas Reveyron
Fig. 9 : Lyon, cathédrale Saint-Jean, sommet du gable du grand portail occidental : initiales AR à gauche du gable.

© Nicolas Reveyron
Fig. 10 : Lyon, cathédrale Saint-Jean, sommet du gable du grand portail occidental : millésime 1889 gravé sur le rocher.

© Nicolas Reveyron
Notes de bas de page
1Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, « Restauration », in Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle, t. 8, Paris, A. Morel, 1866, p. 14-34, citation p. 14.
2Voir par exemple : Jean-Michel Leniaud, Viollet-le-Duc ou les délires du système, Paris, Éditions Mengès, 1994. À propos de la vie au quotidien sur les chantiers de Viollet-le-Duc, où cette exaltation intellectuelle trouve peu de place, voir Arnaud Timbert, Restaurer et bâtir. Viollet-le-Duc en Bourgogne, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Architecture et urbanisme », 2013.
3Charles Savy, « De l’esprit des restaurations monumentales à Lyon », Revue du Lyonnais, 2e série, 1860, p. 399 sq.
4Dom Buenner, L’ancienne liturgie romaine, Le rit lyonnais, Lyon, Vitte, 1934.
5À Saint-Bonaventure, le rehaussement de la façade entraîne celui de la première travée. Mais l’entreprise, inachevée, laisse le reste de la toiture au niveau d’origine, faisant dire aux détracteurs que l’édifice est doté d’un étrange pigeonnier.
6Nathalie Mathian, « Restaurations et transformations à l’église Saint-Nizier au xixe siècle », Cahiers des Amis de l’église Saint-Nizier de Lyon, Cinquième cahier, 1995, p. 4-19 (8).
7L’invention du passé, Histoires de cœur et d’épée en Europe (1802-1850), catalogue de l’exposition du Musée des Beaux-Arts, Stéphane Paccoud (dir.), Lyon, Éditions Hazan, 2014. Sur les relations dialectiques, dans une dynamique de déformation, entre l’imaginaire et l’actualisation de cet imaginaire par les restaurations, voir par exemple : Nicolas Reveyron, « La crypte de Saint-Philibert de Tournus entre texte et prétexte », in Medioevo : Arte e Storia, Convegno Internazionale di Studi di Parma (18-22 septembre 2007), Parme, 2008, p. 408-413 ; Florence Margo, « La crypte de Notre-Dame-sous-terre au Mont-Saint-Michel : cristallisation d’une mythologie », ibid., p. 414-422.
8Voir par exemple : Abbé Pavy, Les Grands Cordeliers de Lyon, Lyon, 1885 ; Abbé Louis Duplain, abbé Jacques Giraud, Saint-Paul de Lyon. Étude d’histoire lyonnaise, Lyon, 1899 ; Histoire des églises et chapelles de Lyon, Jean-Baptiste Martin (dir.), Lyon, H. Lardanchet, 1908-1909 (2 tomes) ; Chanoine A. Chagny, Une grande abbaye lyonnaise, la basilique Saint-Martin d’Ainay et ses annexes, Lyon, 1935.
9Voir par exemple : Nathalie Mathian, Du monument historique au site : évolution de la notion de patrimoine à Lyon, de la Révolution à la Seconde Guerre mondiale, thèse, dir. François Loyer, Université Lumière-Lyon 2, 1994 ; Dominique Bertin, Nathalie Mathian, Lyon, silhouettes d’une ville recomposée. Architecture et urbanisme 1789-1914, Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 2008.
10Hervé Chopin, « Une église à travers les âges : l’ancienne collégiale Saint-Paul », in Quartier Saint-Paul, Lyon, ouvrage collectif, Lyon, 2002, p. 83-103.
11Philippe Duffieux, Le mythe de la Primatie des Gaules, Pierre Bossan (1814-1888) et l’architecture religieuse en Lyonnais au xixe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2004.
12Pour une histoire du concept, voir par exemple : Jacques Monod, La querelle de la sécularisation, de Hegel à Blumemberg, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2002.
13Sur l’aspect monumental de la question, voir Mathieu Lours, L’autre temps des cathédrales, Paris, Picard, 2010.
14En 1774, par exemple, Turgot conseille à Louis XVI d’abandonner le sacre royal à Reims, cérémonie jugée désuète, dispendieuse et même offensante. Alain-Charles Gruber, Les grandes fêtes et leurs décors à l’époque de Louis XVI, Paris-Genève, Librairie Droz, 1972, p. 88-89.
15Kauffmann, « Les Grands Cordeliers et l’église de Saint-Bonaventure », in Lyon ancien et moderne, Léon Boitel (dir.), Lyon, vol. 1, 1838, p. 461-473, p. 462.
16Le destin du cloître de Notre-Dame-en-Vaux est évidemment un cas exceptionnel. Voir Sylvia Pressouyre, Images d’un cloître disparu, Notre-Dame-en-Vaux à Chalons-sur-Marne, Éd. Joël Cuénot, 1976.
17Par exemple, la visite de Dom Guéranger à l’église de Solesmes est très évocatrice de cette attitude. Pour Dom Guéranger aussi, les vicissitudes de l’Église remontent à ce xviiie siècle jouisseur et inconséquent : « Les statues de l’église [priorale de Solesmes] avaient souffert d’innombrables mutilations de doigts et autres parties moindres, qu’on a restauré en très grand nombre. On leur avait en outre peint les yeux par le caprice de quelque Prieur du 18e siècle, qui leur donnait un air hagard qui m’avait beaucoup frappé dans mon enfance, et qui cessa dès qu’on eut gratté ces vilaines prunelles ». Dom P. Guéranger, Mémoires autobiographiques, Solesmes, 2005, p. 207.
18Prosper Mérimée, Voyage dans le sud de la France, Paris, Librairie Fournier, 1835, p. 102.
19A. D. du Rhône, chapitre primatial de Saint-Jean, série G. Actes capitulaires, convention du 21 juin 1755, 10 G 251, f° 49, f° 101v°-104r° (livre 179).
20L’étude archéologique a été assurée par la société Archéodunum, avec la collaboration de l’auteur de ces lignes.
21Les douze piles romanes des deux chapelles latérales du chœur portent quatre voûtes d’ogives, inadaptées aux supports. L’amortissement maladroit de chaque branche d’ogive sur le tailloir est caché par une tête de très belle facture, monstueuse ou antiquisante, qui se penche vers les clercs et les fidèles. Voir notamment Willibald Sauerländer, « Löwen in Lyon », in Kunsthistoriche Forschungen für Otto Pächt, zu seinem 70. Geburtstag, Salzburg, Residenz Verlag, 1972, p. 214-224.
22Quincarnon, Les antiquités de la fondation de la métropole des Gaules ou de l’église de Lyon et de ses chapelles, À Lyon, chez Matthieu Libéral, 1673. Cité par Hervé Chopin, « Une église à travers les âges : l’ancienne collégiale Saint-Paul », art. cit., p. 94.
23Nathalie Mathian, « Restaurations et transformations à l’église Saint-Nizier au xixe siècle », art. cit., p. 8.
24André Clapasson, Description de la ville de Lyon et de ses antiquités, de ses monuments et de son commerce, avec des notes sur les hommes illustres qu’elle a produits, Lyon, Jean-Marie Bruyset, 1741, p. 107-108.
25Nathalie Mathian, « Restaurations et transformations à l’église Saint-Nizier au xixe siècle », art. cit., p. 15.
26Cf. supra. À la fin du xixe siècle et les premières décennies du siècle suivant, on retrouve ce goût pour les contrastes entre les appareils mis à nu et les joints refaits au ciment noir, démarche qui rend l’architecture illisible, comme c’était le cas à Paray-le-Monial, par exemple.
27Philippe Duffieux, Le mythe de la Primatie des Gaules […], op. cit., p. 78.
28Mérimée, Voyage dans le sud de la France, op. cit., p. 102.
29Joseph Bard, Statistique générale des basiliques et du culte dans la ville de Lyon, Lyon, A. Perisse, 1842, p. 21-22. Mérimée révèle deux autres techniques appliquées à son époque aux monuments lyonnais, en évoquant le traitement du portail roman de Saint-Pierre-des-Terreaux : « Depuis peu de temps, ces colonnes ont été peintes à l’huile. Passe encore pour le badigeon à la colle ».
30E. Meyer, G. Emond, T.-A. Hermanès, « Les polychromies de la cathédrale Saint-Pierre », in Saint-Pierre, cathédrale de Genève. Chantiers et décors, G. Emond, T.-A. Hermanès, E. Meyer, R. Pancella, V. Furlan, S. Pulga, L. Barde (dir.), Genève, Roto Sadag, 1991, p. 11-17 (17).
31Registres du conseil, col. 142, p. 315, du 23 août 1643. Ibid., p. 17.
32Voir par exemple : Joseph Bard, Manuel d’architecture religieuse au moyen-âge, Lyon, Librairie Chrétienne de Bauchu et Cie, 1859 ; idem, De la question liturgique par rapport à la Sainte Eglise de Lyon, Lyon, 1860. Sur Joseph Bard : Joseph Bard (1803-1861), un romantique bourguignon qui aimait les églises et détestait les chemins de fer, ouvrage collectif, Chalon-sur-Saône, 2009.
33Abbé Lapra, Le culte de la sainte Vierge et de saint Pothin dans l’église de Saint-Nizier, Lyon, Pitrat aîné, 1885, p. 69-70, note 2.
34On sait que le renouveau des styles roman et gothique est lié à la reconquête catholique qui a suivi la fin des guerres de religion, mouvement dont la reconstruction de la cathédrale d’Orléans (néogothique) ou de celle de Valence (néoromane) est emblématique.
35Michael G. Powell, « L’origine bourgeoise du prestige spirituel de l’église Saint-Nizier », Cahiers des Amis de l’Église Saint-Nizier de Lyon, 1997, Septième Cahier, p. 5-17.
36En dernier lieu, voir Nicolas Reveyron, « Le portail Renaissance de l’ancienne collégiale Saint-Nizier de Lyon », in Du gothique à la Renaissance. Architecture et décor en France 1470-1550, Actes du colloque de Viviers (20-23 septembre 2001), Yves Esquieu (dir.), Aix-en-Provence, Presses de l’université de Provence, 2003, p. 271-311.
37En dernier lieu, Nicolas Reveyron, « Le chantier dans le chantier. Archéologie des chapelles latérales de la nef », in Kirche als Baustelle, Grosse Sakralbauten des Mittelalters, Akten des Internationalen Kolloquiums (Dresden, 10.-13. November 2011), Hgb. Katja Schröck, Bruno Klein, Stefan Bürger, Böhlau Verlag, Köln/Weimar, Wien, 2013, p. 132-151.
38Jean II (1375-1389), Amédé (1415-1444) et Hugues III (1488-1499), le successeur de Charles de Bourbon.
39Nicolas Reveyron, avec la collaboration de Ghislaine Macabéo et les contributions de Christian Le Barrier et Hervé Chopin, Chantiers lyonnais du Moyen Âge, Saint-Jean, Saint-Nizier, Saint-Paul, archéologie et histoire de l’art, Lyon, Documents d’Archéologie Rhône-Alpes, Lyon, 2005, p. 217-266.
40Elle a fait l’objet d’une première approche dans : François-Régis Cottin, « Les métamorphoses de la période classique », Lyon, la grâce d’une cathédrale, dir. Mgr Ph. Barbarin, coord. M. Cacaud, dir. scient. J.-D. Durand, D. Repellin, N. Reveyron, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2011, p. 71-73.
411598. A. D. du Rhône, chapitre primatial de Saint-Jean, actes capitulaires, 10 G 51, p. 124 ; 10 G 138, f° 152 (livre 65).
421609 (10 G 51, p. 129 ; 10 G 141, f° 248 et 249 – livre 69), 1615 (10 G 51, p. 130 ; 10 G 144, f° 214v° – livre 71), 1616 (10 G 51, p. 12 ; 10 G 1600, f° 30-31), 1617 (10 G 51, p. 131, 10 G 145, f° 27 et 10 G 51, p. 131, 10 G 145, f° 64v°-65 – livre 72), 1697 (10 G 51, p. 155-156, 10 G 203, f° 164r°-v° – livre 130).
43Actes capitulaires du 7 avril 1705 (A. D. du Rhône, chapitre primatial de Saint-Jean, série G. Actes capitulaires : 10 G 51, p. 157-158 ; 10 G 207, f° 158v°, livre 134), du 4 juillet 1705 (10 G 1600, f° 99 ; 10 G 15, p. 15), 23 juillet 1707 (10 G 51 ; 10 G 209, f° 92, livre 136) et du 24 mai 1708 (10 G 51 ; 10 G 209, f° 92, livre 136).
44Sous la direction de Didier Repellin. L’étude archéologique a été assurée par l’Institut National de Recherches Archéologiques, avec la collaboration de l’auteur de ces lignes.
45Charles Savy, Étude sur les pignons gothiques des églises à toiture basse, à propos des travaux entrepris à la cathédrale de Lyon en 1861, Lyon, Aimé Vingtrinier, 1862.
46Christine Becker, Isabelle Parron, Émilien Bouticourt, « L’abbaye d’Ainay à Lyon, résultats de l’étude archéologique du bâti », in L’abbaye d’Ainay, des origines à la réforme grégorienne, Actes du colloque international de Lyon (26-27 janvier 2007), J.-Fr. Reynaud et Fr. Richard (dir.), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2008, p. 133-146.
47Nicolas Reveyron, Chantiers lyonnais du Moyen Âge […], op. cit., p. 245-247.
48En 1842-1843, Claude-Anthelme Benoît (1794-1876) agrandit les baies de la nef et, à partir de 1859, son fils Louis Benoît (1831-1899) refait la façade à l’identique, mais en l’enrichissant sensiblement et en l’agrandissant. J.-B. Vanel, « Les Cordeliers », in Histoire des églises et chapelles de Lyon, J.-B. Martin (dir.), Lyon, H. Lardanchet, 1908-1909, t. 2, p. 413-485.
49Philippe Duffieux, Le mythe de la Primatie des Gaules […], op. cit., p. 127 sq.
50Architecte, érudit, auteur du Dictionnaire étymologique du patois lyonnais (1887-1890) et du Dictionnaire de la Grand’Côte (1894).
51Maître verrier et archéologue, auteur de la première monographie de la cathédrale de Lyon. Lucien Bégule, Monographie de la cathédrale de Lyon, Précédée d’une notice historique par M-C. Guigue, archiviste en chef du département du Rhône et de la ville de Lyon, Lyon, Mougin-Rusand, 1880.
52Nicolas Reveyron, La cathédrale de Lyon et sa place dans l’histoire de l’art, thèse de doctorat, dir. Mme Anne Prache, professeur à l’université Paris IV-Sorbonne, 1992, p. 644-646.
53À propos du baptistère construit à Ainay par Jean Pollet entre 1829 et 1834, Fleury La Serve, témoin oculaire, note : « Ces chapiteaux sont un don précieux fait à l’église par un de ses paroissiens, M. Thibaudier, qui n’a pas craint d’en priver sa maison de campagne de Vourles, dans la décoration de laquelle ils étaient déjà entrés. On raconte que par suite de la négligence de la fabrique d’Ainay, M. Thibaudier s’est vu forcé de les faire transporter à ses frais à la nouvelle annexe. Beaucoup d’autres débris sont des dons particuliers ». Fleury La Serve, « Ainay », in Lyon ancien et moderne, Léon Boitel (dir.), Lyon, vol. 1, 1838, p. 1-60, p. 58, note 1. Sur Saint-Martin d’Ainay, voir en dernier lieu : L’abbaye d’Ainay : légendes et histoire, catalogue de l’exposition (oct. 1997-fév. 1998), Musée historique de Lyon, 1997 ; L’abbaye d’Ainay, des origines à la réforme grégorienne, Actes du colloque international de Lyon (26-27 janvier 2007), Jean-François Reynaud et François Richard (dir.), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2008.
54En dernier lieu, voir Emmanuel Schwarz, « Alexandre Lenoir », in Dictionnaire critique des historiens de l’art, Philippe Sénéchal et Claire Babillon (dir.), Paris, INHA (en ligne, 2012).
55Fleury La Serve, « Ainay », art. cit., p. 58.
56Ibid.
57Chanoine A. Chagny, Une grande abbaye lyonnaise, la basilique Saint-Martin d’Ainay et ses annexes, Lyon, Emmanuel Vitte, 1935, p. 246, note 3.
58Dédiée à Notre Dame et à saint Thomas, l’archevêque de Cantorbéry assassiné en 1170, la première église implantée au faîte de la colline de Fourvière a été fondée dans les années 1170-1180 par Olivier de Chavannes, doyen du chapitre de la cathédrale de Lyon et doté d’un chapitre canonial par l’archevêque Jean Bellesmains en 1192. Il s’agissait d’une église étroite (7,40 m dans œuvre) et longue (environ 38 m), composée d’une nef unique, s’achevant sur un sanctuaire simple et ouvrant à l’ouest par un porche. Un imposant clocher a été construit contre le flanc sud, près du porche, sans doute au xive siècle. Son rez-de-chaussée abritait la « chapelle de la bienheureuse Marie », à l’origine de l’actuelle chapelle Notre-Dame, construite le long de l’église Notre-Dame-et-Saint-Thomas dès 1740, sur un plan de Ferdinand Delamonce. Dès le xviie siècle, les Lyonnais ont voué un attachement fort à la Vierge de Fourvière, protectrice de la ville, source de nombreux miracles, et à son sanctuaire, lieu de pèlerinage populaire. Sur les églises de Fourvière et l’histoire du site depuis l’Antiquité, voir Fourvière, la grâce d’une basilique, Jean-Dominique Durand, Nicolas Reveyron, Véronique Molard-Parizot, Bernard Berthod (dir.), Strasbourg, La Nuée Bleue, 2014.
59In-4, 2 figures, s. l. n. d.
601er juin 1917, lettre de Sainte-Marie Perrin à Louis Aguettant : « Cher monsieur et ami, Vouys savez que je travaille toujours aux choses de Fourvière. J’étudie le porche du vestibule qui réunit l’ancien et le nouveau sanctuaire. Dans ce vestibule, pour entrer dans l’ancienne chapelle, sera placée à droite une porte intéressante. Ce sera la reproduction fidèle, avec quelques reliques authentiques, de la vénérable porte construite au xiie siècle pour donner accès à la nef de St Thomas. En 1896 nous avons dû démolir cette porte pour établir la communication entre les deux sanctuaires, l’ancien et le nouveau. Nous avons sauvé ce qui pouvait être sauvé et nous allons en reconstituer une reproduction très fidèle.
Cette porte a bien des choses à nous dire et je voudrais la faire parler. Je peux lui donner sur son linteau la place de un, ou deux distiques. J’ai pensé que vous ne refuseriez pas votre secours pour faire dire à la porte ce qu’elle pense de la nouvelle position, de la nouvelle fonction. En français, elle pourrait dire simplement : ”Pendant 700 ans j’ai donné accès à la nef de St Thomas. Aujourd’hui je donne accès à la nef de Notre-Dame. Puissé-je y vivre une aussi longue vie et même au-delà”. On ne peut pas en demander plus à ces vieilles pierres. Ces paroles harmonisées en deux distiques latins, seraient, je crois, très intéressantes. Puis-je compter sur vous ?
Si vous voulez bien me visiter, je vous montrerai mes dessins et nous causerons de la chose. Très affectueusement à vous, Sainte-Marie Perrin ». Louis Aguettant, La vie comme une œuvre d’art, Biographie, texte établi par Jacques Longchampt, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 297. Une seconde lettre, plus courte, présente une teneur similaire.
61Notice du 10 juillet 1917 : « La porte ogivale qui donne accès aujourd’hui à l’ancienne chapelle Notre-Dame est la reproduction fidèle de la vénérable porte du xiie siècle qui donnait accès à la nef de Saint-Thomas. Construite en 1183 dans le mur occidental de cette nef elle a été démolie en mars 1896 pour établir la communication entre l’ancien sanctuaire et le nouveau qui s’achevait. Dessinée avec soin avant la démolition elle a été scrupuleusement reproduite en matériaux neufs, mais les éléments les plus précieux qui la composaient, bases et chapiteaux de marbre reliques authentiques religieusement conservées ont repris leur place dans l’architecture reconstituée. Les vantaux de chêne du xviie siècle, également conservé ont été rétablis sur leurs gonds. [rajout en surcharge] et sur le linteau de la porte [biffé par l’auteur] sont gravés les beaux distiques de Mr le Chanoine Senot [?], qui donnent au monument ressuscité une voix [illisible]. Dans le dallage du porche est figuré le plan de notre porte au point même qu’elle a occupé pendant 713 ans. / 10 juillet 1917 / S. M. P. ». Archives de la Fondation Fourvière.
62L’attitude n’a pas disparu avec le temps. On rencontre aujourd’hui, dans des constructions neuves élevées à la place de bâtiments anciens, des fragments de l’édifice antérieur réinsérés, sans nécessité structurelle, dans les paroies neuves. Il y a aussi, dans cette attitude, l’expression d’un remords et un souci d’autojustification, associés à un effet de mode.
63Répartie en 4 sections, elle mesure, en longueurs cumulées, quelques 290 cm. Les lettres et les chiffres ont entre 12 et 24 cm de hauteur.
64Restitution : [ANNO] N[OSTRI] + D[OMINI] 1575 [JE]ROM[E] DURAN[D].
65Cette attribution a été établie par comparaison de l’inscription avec celle d’un cahier du xvie siècle où ce jeune surdoué avait accumulé dessins, notes autobiographiques et comptes. Le f° 10r° comporte une scène figurant Saül et David et une inscription autographe : Moy Jérôme Durand jay faict ceste pièce le moys de janvyer mil cinq cens soixante neuf. Voir Georges Guigue, Arthur Kleinclausz, Henri Focillon, Les dessins d’élèves et comptabilités de Jérôme Durand, peintre et verrier lyonnais, 1555-1605, Lyon, Audin et Cie, 1924.
66D’après l’extrait du compte de la fabrique de l’église métropolitaine relatif à l’entrée d’Henri III, les travaux de restauration des verrières ont été poursuivis après 1574 : en janvier 1575, Barthélémy, un serviteur de Nicolas Durand, a reçu payement pour les réparations effectuées sur les verrières de la cathédrale. Georges Guigue, Arthur Kleinklausz, Henri Focillon, Les dessins d’élèves […], op. cit., p. 113.
67daniel prier maître verrier 1766
68La première inscription apparaît sur le trumeau de la grande baie nord (parement intérieur) : un cartouche porte gravé en capitales romaines : CETTE / TOUR / A ETE / REPARE / EN / 1770.
6950 cm de largeur et 40 cm de hauteur.
Auteur
Nicolas Reveyron est agrégé de lettres classiques, docteur en Histoire de l’art de la Sorbonne, archéologue spécialiste du bâti, ancien directeur de l’UMR 5138 Archéologie et Archéométrie, ancien membre sénior de l’Institut Universitaire de France et professeur d’histoire de l’art et d’archéologie du Moyen Âge à Université Lumière-Lyon 2. Ses thèmes de recherche : l’architecture religieuse du Moyen Âge (fonctions, organisation de l’espace, stylistique), l’archéologie du bâti (chronologie, chantier, techniques de construction, d’entretien et de restauration), l’image monumentale.
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