Introduction. Le chantier d’achèvement de la cathédrale de Clermont : un cas exemplaire ?
Introduction. The Construction Completion of the Cathedral of Clermont: an Exemplary Case?
p. 143-147
Résumés
Une première table ronde réunie à Clermont-Ferrand en février 2010 a permis d’enrichir la problématique de la restauration, en lui adjoignant les questions de destruction, de production et de diffusion. Cette deuxième rencontre de septembre 2013 accompagnait la rédaction du livre monographique sur la cathédrale de Clermont : les communications réunies s’interrogent sur le caractère exemplaire de ce chantier.
A first round table conference, held in February 2010, gave the opportunity to expand the issue of the restoration, by adding to it the questions of destruction, production and dissemination. This second round table conference of September 2013 went along with the writing of the monographic book on the Cathedral of Clermont: the communications gathered are questioning the exemplary nature of this construction work.
Entrées d’index
Mots-clés : histoire de l’art, cathédrale, Clermont-Ferrand, XIXe siècle
Keywords : history of art, cathedral, Clermont-Ferrand, 19th century
Texte intégral
1Une première table ronde « Restaurer au xixe siècle » s’est tenue à Clermont-Ferrand le 16 février 20101. Les liens noués à cette occasion entre l’Université Blaise-Pascal et les Universités de Lille III et Lyon II permettent aujourd’hui de mieux intégrer les questions de destruction et de disparition, mais également de production et de diffusion des modèles architecturaux à la thématique de la restauration.
2La problématique de la restauration est indissociable de celle de la destruction. De même que la fouille archéologique est une pratique destructrice qui fait disparaître irrémédiablement des états anciens d’un site ou d’un bâtiment pour mieux explorer des états antérieurs, de même un architecte restaurateur sélectionne, parmi les états successifs qu’un édifice a connus, celui qu’il veut réinstaurer. Il existe aussi des destructions volontaires positives, réalisées dans un but créatif2. Lorsque Suger entreprend de reconstruire Saint-Denis, il détruit un édifice carolingien insigne, construit sur le tombeau du saint martyr parisien. Lorsque Jules II demande à Bramante puis à Michel-Ange de rebâtir Saint-Pierre de Rome, il fait disparaître une basilique paléochrétienne construite sur l’ordre de l’empereur Constantin. La rhétorique utilisée par les auteurs de ces constructions iconoclastes est d’ailleurs très proche des justifications alléguées avec une grande constance par les défenseurs modernes des restaurations : délabrement de l’édifice antérieur, mauvais fonctionnement, style indigne qui n’est pas en rapport avec l’importance que le monument a acquise au cours de l’histoire, conservation avec grande piété de quelques reliques de l’état ancien.
3À la cathédrale de Clermont, c’est tout le massif occidental de la façade et une partie de la nef romane qui disparaissent, engloutis dans l’œuvre de Viollet-le-Duc. Leur destruction est donc volontaire par souhait de faire disparaître un élément gênant, perturbant l’unité et la rationalité d’un tout architectural. Cependant, le sort de cette œuvre monumentale est également intimement lié à celui du mobilier recréé à l’occasion du gigantesque chantier « gothique ». Ce que le diocèse refuse obstinément aux xiie et xiiie siècles3, le xixe siècle va le consacrer en apportant à la cathédrale une unité stylistique, jusqu’au calorifère pourvu de soutes à charbon et de longs couloirs souterrains. L’église épiscopale s’extrait alors du Moyen Âge pour entrer dans l’ère de la vapeur, ainsi qu’un gigantesque paquebot de trachy-andésite. Tout le quartier en sort remodelé et la ville elle-même perd son visage disparate, pour rejoindre les paysages neufs issus des tentatives emblématiques de Paris, Rouen, Lyon (entre basilique de Fourvière et cathédrale peu restaurée) ou de Cologne.
4« Construire » ne peut être séparé des termes « produire » et « diffuser », dans des sens volontairement larges, englobant la création d’œuvres uniques, mais aussi d’œuvres de série : objets relevant des arts décoratifs, des « arts appliqués à l’industrie », des « arts industriels ». Dans tous les cas, objet unique comme de série, l’œuvre est le produit d’un travail collaboratif, il s’agit d’une « œuvre collective » au sens où le sociologue Howard Becker l’entend4.
5En ce sens, il est possible d’envisager le chantier dans son organisation, ses hommes et leur outillage. L’artisan disparaît avec la façade romane, l’œuvre est désormais collective : équipes de maçons, de tailleurs de pierre, collaborateurs d’artistes comme les sculpteurs praticiens ou les cartonniers de vitraux, tous prennent une part dans l’œuvre finale. La seconde moitié du xixe siècle consacre donc l’avènement de l’industrie en matière de production artistique. Dans cette optique, l’enquête sur la formation des acteurs des processus de production peut aider à déterminer l’impact de la suppression des corporations lors de la Révolution sur le recrutement et la formation des artisans d’art et ouvriers qualifiés : la liberté d’entreprendre est-elle un handicap ou a-t-elle un effet stimulant ? Enfin, l’étude des chaînes opératoires de la production des œuvres d’art conduit à s’interroger sur les matières premières utilisées et sur l’incidence des modes de production industrielle sur leur mise en œuvre.
6En février 2010, au moment où se tenait la première table ronde « Restaurer au xixe siècle », un nouveau chantier commençait pour plusieurs des participants : celui, métaphorique sans doute, mais non moins exaltant pour autant, qui allait conduire à la publication du livre sur la cathédrale de Clermont dans la collection « La grâce d’une cathédrale ». Sous la houlette de Bernard Dompnier, assisté de Vincent Flauraud, Jean-François Luneau et Bruno Phalip, une trentaine d’auteurs commençait à plancher pour édifier le futur ouvrage.
7Très vite, il est apparu à certains d’entre nous que la documentation réunie et les données obtenues par de nouvelles observations de l’édifice ne pourraient pas être utilisées en totalité dans le futur livre, tant était riche la moisson. Il fut donc décidé de convoquer une deuxième table ronde sur le même thème, dont les interventions devaient évoluer autour de l’achèvement de la cathédrale de Clermont, en se posant d’une part la question de son caractère exemplaire ou non, à la fois dans les pratiques de restauration du xixe siècle et à la fois dans la carrière de Viollet-le-Duc, et en intégrant d’autre part la problématique évoquée plus haut, relative à la restauration, liée aux phénomènes de destruction, de production, de diffusion et de réception des œuvres.
8En septembre 2013, lorsque la table ronde se tint à Clermont-Ferrand, les auteurs du futur livre venaient de remettre leur manuscrit à l’éditeur. Les contributions ici réunies ont donc vocation à accompagner l’ouvrage monographique sur la cathédrale de Clermont, finalement paru en novembre 20145 : elles lui fournissent d’utiles compléments, approfondissent certaines observations, et donnent des détails qu’un livre grand public ne pouvait pas retenir.
9Bruno Phalip, constatant la grande unité conférée aux parties anciennes et récentes de la cathédrale de Clermont par l’usage du même matériau, la lave de Volvic, montre toutefois que l’examen minutieux de l’édifice et des vestiges qu’il recouvre fait apparaître des pratiques de taille de pierre qui diffèrent selon les époques, antiques, romanes, gothiques ou du xixe siècle. Grâce aux inscriptions laissées par de nombreux tailleurs de pierre, il révèle un dialogue intergénérationnel qui embrasse plusieurs siècles.
10Arnaud Timbert, malgré une documentation lacunaire, tente une histoire du chantier de l’achèvement de la cathédrale de Clermont au xixe siècle, en décrivant les entreprises qui y ont travaillé, en étudiant les matériaux employés et leurs techniques de mise en œuvre et en analysant l’économie du chantier. Il décrit aussi celui-ci comme une entreprise sociale : tout concourt en effet à le comprendre ainsi, les rapports des hommes entre eux, la gouvernance du chantier, les emplois qu’il procure, les questions de sécurité du travail qu’il fait naître, etc. Pour tous les participants et leurs descendants, ce grand chantier constitue un fait légendaire, une légende qui n’est toujours pas éteinte plus d’un siècle après son achèvement.
11Stéphanie Diane Daussy aborde l’histoire technique de la toiture de la cathédrale de Clermont : sa création au début du xixe siècle, ses nombreuses restaurations ou reprises, et sa réfection entière par Viollet-le-Duc au xixe siècle. Elle confronte ainsi les savoir-faire médiévaux et contemporains, pour comprendre la réflexion qui sous-tend le processus de transmission des gestes anciens et des savoir-faire.
12Cependant, pour bien juger de l’exemplarité du cas de Clermont, il est nécessaire de faire appel à la dimension comparatiste de la recherche. C’est en ce sens qu’Amélie Duntze-Ouvry et Jean-François Luneau étudient l’attitude de Viollet-le-Duc vis-à-vis de deux corps de métier, les peintres verriers et les sculpteurs. En analysant les habitudes de travail de l’architecte sur plusieurs chantiers où il fait travailler des peintres sur verre, on mesure mieux son échec clermontois sur ce point, puisque la création des vitraux de la partie nouvellement bâtie lui échappe. En revanche, en plaçant des hommes à lui pour les travaux de sculpture, il s’assure de la qualité de l’œuvre finale. Dans ce domaine, le chantier de Clermont est en tout point conforme à ses autres entreprises.
13Poussant encore plus loin l’éloignement du regard nécessaire à la compréhension de l’originalité clermontoise, Nicolas Reveyron examine des traces archéologiques laissées par les restaurations des xviiie et xixe siècles dans les monuments lyonnais. Il montre que, malgré des ruptures manifestes, il existe des continuités, notamment dans l’usage des matériaux et les pratiques de blanchiment des intérieurs d’église. Ces restaurations, fondées sur l’archéologie, révèlent un usage précoce des styles néo-médiévaux au xviiie siècle, et encouragent les politiques de remplois du xixe siècle, notamment à Ainay et à Fourvière. La lecture des inscriptions lapidaires montre aussi comment les artisans s’inscrivent dans la filiation de leurs prédécesseurs, ce qui rapproche le cas lyonnais du chantier clermontois.
Notes de bas de page
1Bruno Phalip, Jean-François Luneau (dir.), Restaurer au xixe siècle. Actes de la table ronde du 16 février 2010, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, coll. « Histoires croisées », 92 p. Voir dans ce volume, p. 17-139.
2Françoise Choay, L’allégorie du patrimoine, Paris, Seuil, 2e éd., 1996, p. 22.
3L’architecture gothique apparaît très tôt dans le second tiers du xiie siècle en Auvergne, sans jamais y être véritablement adoptée largement avant le xve siècle.
4Howard Becker, Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988 (1re édition University of California Press, 1982), p. 27 : « L’œuvre porte toujours les traces de cette coopération (entre « un grand nombre de personnes »). Celle-ci peut revêtir une forme éphémère, mais devient souvent plus ou moins systématique, engendrant des structures d’activité collective que l’on peut appeler mondes de l’art ».
5Bernard Dompnier, Vincent Flauraud, Jean-François Luneau et Bruno Phalip (dir.), Clermont. L’âme de l’Auvergne, Strasbourg, La Nuée Bleue, coll. « La grâce d’une cathédrale », 2014.
Auteurs
Jean-François Luneau, ancien conservateur du patrimoine, maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université Clermont Auvergne, membre du Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » (EA 1001) ; Habilité à Diriger des Recherches. Il a codirigé l’ouvrage Clermont. L’Âme de l’Auvergne, Strasbourg, La Nuée bleue, 2014 (coll. « La grâce d’une cathédrale »).
Bruno Phalip est professeur d’histoire de l’architecture et d’archéologie du Moyen Âge à l’Université Clermont Auvergne, membre du CHEC (EA 1001 – USR 3550). Ses recherches, comme ses publications, sont liées à l’analyse des chantiers de construction et de restauration des monuments du Moyen Âge. La part technologique, mais aussi les parts des hommes et des communautés, y sont prépondérantes dans leurs liens avec les sociétés considérées.
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