Chapitre 5. Les nouveaux titrés durant la Décennie modérée (1844-1854)
p. 207-250
Texte intégral
1L’alliance des modérés et des progressistes hostiles à Espartero ne survécut pas longtemps à la défaite de ce dernier. Les élections d’octobre 1843 ne permirent pas d’obtenir une majorité claire. Le tout nouveau président du Conseil, le progressiste Salustiano Olózaga, demanda à la reine de signer un décret de dissolution des Cortes (27 novembre 1843). Survint alors un des événements les plus troubles de ce règne qui n’en manqua pourtant pas : la fameuse « affaire Olózaga ».
2L’entourage courtisan que l’ex-régente avait placé autour de sa fille, mené par Juan Donoso Cortés et la marquise de Santa Cruz, était partisan d’un modérantisme confinant à l’absolutisme. Avec la complicité plus ou moins active de Narváez, qui à ce moment, auréolé du prestige de sa victoire de Torrejón de Ardoz contre les espartéristes, était capitaine-général de Nouvelle-Castille, ces courtisans affirmèrent que S. Olózaga avait fait violence à la jeune reine pour lui arracher le décret de dissolution qu’elle ne voulait pas signer : il aurait tiré les verrous de la salle où ils se trouvaient et lui aurait agrippé le poignet pour la forcer à signer. Isabelle II, effrayée et manipulée par son entourage, souscrivit à tout ce qu’on lui fit dire. Or il s’agissait sans aucun doute d’un mensonge : par exemple, les portes du Palais royal ne ferment pas à clé. Le groupe modéré proche de la Cour et de l’ex-régente Marie-Christine monta de toutes pièces un scandale destiné à discréditer les progressistes pour les empêcher de conserver le pouvoir. I. Burdiel a démontré que l’affaire Olózaga est l’une des principales manipulations de la Couronne par le parti modéré (et surtout la faction la plus proche des postulats absolutistes) pour son profit : il s’agissait de monopoliser la prérogative royale, considérée comme le principal atout des modérés pour se maintenir au pouvoir1. Il s’agissait d’un recul conceptuel assez notable de la part d’un parti qui à plusieurs reprises (1837, 1839) avait pu s’organiser et gagner des élections en mobilisant un électorat et en élaborant un programme. Selon L. Garrido Muro, une grande partie des modérés vécut comme une injustice la révolution de 1840, qui les expulsa du pouvoir malgré leur majorité parlementaire. De plus, les complots contre Espartero avaient renforcé l’influence auprès des modérés de Marie-Christine et de son époux, Fernando Muñoz, ainsi que de la fraction la moins libérale du parti. Or ni les uns ni les autres ne se distinguaient par leur attachement au régime parlementaire.
3S. Olózaga dut s’exiler et il fut remplacé par un ancien progressiste exalté passé aux modérés et au service de la reine-mère, L. González Bravo. Il mena une politique de répression destinée à assurer l’ordre conservateur, et fut remplacé en mai 1844 par Narváez. Les élections du début de l’année 1844 furent considérablement influencées par le gouvernement. Ce fut un raz de marée modéré, au point que seul un député progressiste fut élu, parce que les électeurs l’avaient sans doute confondu avec son frère, candidat modéré2. La « Décennie modérée » signifia une période de stabilisation et de consolidation de la révolution libérale, dans un sens nettement conservateur. La stabilisation entraîna l’affermissement des institutions libérales. La rupture avec l’Ancien Régime, indéniable et aux effets importants, n’en resta pas moins conservatrice : création de la Garde civile (1844), Code pénal (1848), réforme tributaire de 1845, constitution doctrinaire de 1845, forte augmentation du cens électoral, etc. Il est certain que l’établissement d’une société libérale n’impliqua ni démocratisation (rejetée tant par les progressistes que par les modérés) ni libre jeu des institutions : les différents gouvernements modérés n’envisageaient pas de partager le pouvoir avec des progressistes considérés comme de dangereux révolutionnaires3. Le reste de l’Europe connaissait de nombreux cas d’intervention active du pouvoir politique dans les élections, comme dans la France de la monarchie de Juillet et du Second Empire, ou en Italie récemment unifiée ; l’Espagne pratiquait peut-être la manipulation électorale de façon plus brutale, même si au niveau local, les rivalités internes aux élites pouvaient être aussi importantes que les impulsions venues de Madrid4.
4La vie politique, bien que mouvementée, y fut beaucoup plus calme que durant les dix années antérieures, notamment parce que les pronunciamientos diminuèrent. On doit sans doute en partie ce calme au sein de l’armée à Ramón María Narváez (1799-1868), homme fort du régime jusqu’en 1851. En effet, malgré d’évidentes limitations, il semble que celui que l’on surnomma l’Espadón de Loja parvint durant cette première partie de sa carrière politique à unifier autour de lui les différentes factions de cet assemblage de groupes d’intérêts et d’idéologies diverses, commodément appelé parti modéré5. Il réussit la même chose au sein de l’armée6.
5La construction de l’État libéral, qui fut l’une des principales caractéristiques de la période, reposa en effet grandement sur des réseaux d’amitié et de clientèle, selon une dialectique unissant pouvoir local et pouvoir national (madrilène). La concession de nouveaux titres de Castille, plus d’une centaine en dix ans, fut fortement influencée par le contexte. Nous tenterons de mettre en évidence le fait qu’un certain nombre de réseaux de relations madrilènes proches du pouvoir, dont les principaux étaient celui de la reine-mère et de son époux, et celui de Narváez, jouèrent un rôle essentiel dans les concessions. De fait, l’historiographie de la période est importante. Elle a analysé entre autres la construction de l’État libéral, dont l’organisation modifia les procédures de concession des titres7, les partis politiques et les élites libérales, nouvelles et anciennes8, les réseaux et des liens familiaux dans le développement de ces élites libérales9. Enfin, l’importance de la rénovation sociale suscitée par les changements politiques10.
6La démission de Narváez en janvier 1851, provoquée par de mauvaises relations avec le Palais que son caractère n’arrangeait pas, représenta un tournant : il fut remplacé par Juan Bravo Murillo, chef de la faction la moins libérale du parti. Si les réalisations du nouveau président du Conseil furent indéniables en matière administrative, ses tentatives de réforme constitutionnelle destinées à restreindre les pouvoirs des Cortes et à renforcer le pouvoir exécutif entraînèrent une forte opposition, réunissant modérés et progressistes. Le soutien du cercle de Marie-Christine à Bravo, dont il était membre, fit rejaillir le discrédit de sa politique réactionnaire sur la reine et sa mère. Elles avaient pourtant tenté de se désolidariser de lui, puisqu’il dut démissionner en décembre 1852. Les derniers cabinets de la période furent largement considérés par l’opinion comme des produits de l’influence de l’ex-régente, et leur orientation réactionnaire finit par entraîner le pronunciamiento de Leopoldo O’Donnell (le 28 juin 1854 à Vicálvaro, près de Madrid, d’où le nom de Vicalvarada donné à l’insurrection). Il fut suivi par un soulèvement populaire à Madrid et dans d’autres villes d’Espagne qui contraignit la reine à rappeler Espartero, et Marie-Christine de Bourbon et son époux à s’exiler11.
7Durant cette période, 98 individus reçurent 117 titres, soit 8,9 titres par an pour les onze années allant de 1844 à 1854. Il s’agit d’une forte moyenne, uniquement dépassée durant notre période par la première Restauration de Ferdinand VII. Les concessions furent particulièrement nombreuses au moment du mariage d’Isabelle II.
8Dans une première partie, nous analyserons la centralisation croissante des concessions de titres de Castille. Puis, en lien avec cette centralisation, nous aborderons la question des orientations politiques généralement conservatrices des nouveaux titrés. Enfin, dans une troisième partie, nous tenterons de montrer que les nouvelles élites titrées connurent des mutations importantes, au-delà de la continuité que représentait le maintien des élites locales et des militaires comme principaux groupes bénéficiaires de ces largesses.
Une centralisation croissante des nouveaux titres de Castille autour de réseaux de pouvoir madrilènes
9En affirmant que la concession de nouveaux titres de Castille est de plus en plus centralisée, nous voulons indiquer que l’obtention d’un titre de Castille était de plus en plus liée à l’existence de liens entre le bénéficiaire et les autorités de la capitale. Il devenait difficile d’obtenir un titre si l’on n’était pas connu des principaux intermédiaires entre la reine, source de la grâce, et les élites au sens large : le gouvernement et la Cour, dominée par Marie-Christine de Bourbon.
10L’une des principales caractéristiques de la vie politique durant la Décennie modérée était le mélange des liens d’amitié, de famille, de clientèle et d’affaires, tissés entre élites, Cortes, gouvernement et Palais royal. Ce mélange était impopulaire dans l’opinion publique, et le rejet du népotisme et de la corruption est l’une des causes de la révolution de 1854.
11Selon Manuel Sánchez Silva, député progressiste et auteur des Semblanzas de los señores diputados12, portrait plus ou moins satirique des députés de la législature 1846-1850, la course aux emplois et le népotisme étaient le ciment de la majorité modérée. Parlant du futur comte de Canga Argüelles, Felipe Canga-Argüelles, fonctionnaire du ministère des Finances, il écrit :
[…] si tous les serviteurs zélés ou flatteurs reçoivent tôt ou tard le prix de leur adulation, nous ne devons pas nous étonner que l’auteur du système tributaire [le ministre Alejandro Mon] ait été le protecteur le plus décidé du député pour Gijón [Canga]. Mais le ministre asturien ignorait l’affection que porte don Felipe à toute sa parenté, et la passion qu’apportent les parents de don Felipe à accaparer tout ce qu’ils peuvent à l’État, et il ne put se figurer, lorsqu’il lui donna un poste important, que tout ce qui s’appelle Canga Argüelles, libéral ou modéré, progressiste ou républicain, musicien ou apprenti comédien, ayant accompli des services ou non, tous, absolument tous, allaient devenir employés d’Hacienda, et pas avec des places insignifiantes, mais avec des emplois qui devraient être inaccessibles à toutes sortes de nullités13.
12Les progressistes ne se trouvaient pas isolés dans leurs critiques. Parmi les modérés, Andrés Borrego, réputé pour son indépendance d’esprit, reproche à son parti d’agir au pouvoir « comme des confédérés qui se répartissent une proie14 », tandis que le journaliste conservateur Juan Rico y Amat persifle : « Certains hommes politiques progressent réellement dans l’augmentation de leurs intérêts particuliers ; il va sans dire que dans cette sorte de progrès les hommes politiques modérés remportent la palme, et soit dit en passant, beaucoup d’entre eux n’ont pas montré en la matière la moindre modération15. »
13La recherche et la concession des honneurs et des titres n’est pas du même ordre. Elle participe cependant d’une même pratique de constitution et consolidation d’une clientèle et de réseaux politiques. Pour Borrego, cela n’était pas en soi condamnable : le bref ministère du duc de Sotomayor (janvier-mars 1847) avait selon lui pris un excellent départ grâce aux « récompenses sans nombre16 » qu’il avait réparties à la suite du mariage de la reine.
14Un très grand nombre de titres de Castille concédés entre 1844 et 1854 se rattache aux principaux réseaux de pouvoir de la période : celui qui se constitue autour de Ramón María Narváez d’une part, et celui qui se constitue autour de Marie-Christine de Bourbon et de son époux Agustín Fernando Muñoz d’autre part. Sur les 98 individus anoblis entre 1844 et 1854, 51 peuvent être rattachés au moins à l’un de ces groupes d’influence. Cela représente plus de la moitié d’entre eux (56 %) et ne veut pas dire que les autres n’y sont pas liés d’une façon ou d’une autre. Le cas de Leopoldo O’Donnell est un bon exemple : le comte de Lucena avait été proche de l’ex-régente jusqu’en 1841, et avait été nommé en 1844 capitaine-général de Cuba par Narváez, à la fois pour l’éloigner et en reconnaissance de son poids politique. Il entretenait à ce moment des relations cordiales avec Narváez, elles se gâteront rapidement, mais ils n’étaient pas proches17.
15Comment avons-nous pu mettre en évidence les liens unissant les 51 individus liés aux réseaux politiques de l’ex-régente et de son époux ou du duc de Valence ? Pour l’essentiel, nous avons recoupé les informations tirées des archives du ministère de la Justice, de l’Archivo Histórico Nacional et des archives notariales (où les identités des exécuteurs testamentaires, les albaceas, sont très révélatrices : elles impliquent des liens amicaux et affectifs18), des publications imprimées déjà mentionnées et de l’historiographie : Isabel Burdiel a beaucoup travaillé les réseaux d’influence du couple Riánsares19.
16Les graphiques ci-après présentent les liens unissant plusieurs nouveaux titres de Castille à Ramón María Narváez, duc de Valence (Fig. 6), à Marie-Christine de Bourbon et à son époux Agustín Fernando Muñoz, duc de Riánsares (politiquement, Fig. 7, et économiquement, Fig. 8), et enfin à Isabelle II en personne (Fig. 9). Afin de les rendre lisibles et de ne pas les surcharger, nous avons précisé la nature des liens familiaux, mais pas celle des liens affectifs, ni celle des amitiés politiques ou personnelles (voir légende). Ceux-ci sont tous indiqués de la même façon, bien que l’on ne puisse pas véritablement comparer l’amitié ancienne et profonde quoiqu’orageuse qui unissait Narváez à Fernando Fernández de Córdova, avec l’affinité teintée de subordination qui unissait par exemple Juan Bravo Murillo à Marie-Christine de Bourbon (sa patronne) ou à Felipe Canga-Argüelles (son subordonné au ministère). Même chose pour les liens d’affaires, qui étaient par ailleurs plus denses que ne le suggèrent les graphiques : leur nombre assez limité ici laisse penser que A. F. Muñoz et Narváez ne donnaient pas nécessairement les plus hautes distinctions à leurs partenaires commerciaux, même s’il était parfois difficile de distinguer liens politiques et liens commerciaux. Une grande partie des intérêts économiques du second était concentrée dans sa patria chica de Loja20. Félix Valdés de los Ríos, le marquis de Casa Valdés, était à la fois ami et important associé de Muñoz dans ses négoces asturiens et plus tard ferroviaires21. À l’inverse, Antonio de Urbistondo, marquis de la Solana, se contente d’indiquer de façon détaillée à Muñoz les opportunités commerciales qu’il pouvait lui faciliter en tant que capitaine-général des Philippines22.
Légende

Fig. 6 : Schéma partiel du réseau de relations de Ramón María Narváez, duc de Valence (1844-1854)

Fig. 7 : Schéma partiel du réseau de relations politiques de Marie-Christine de Bourbon et son époux (1844-1854)

Fig. 8 : Schéma partiel du réseau de relations d’affaires d’Agustín Fernando Muñoz, duc de Riánsares, et de son épouse (1844-1854)

Fig. 9 : Schéma partiel du réseau de relations d’Isabelle II (1844-1854)

17Les graphiques illustrent également le rôle joué par les relations familiales dans la configuration des réseaux de pouvoir durant la période libérale. Selon J. Luengo, le terme de « société conjugale » est une métaphore utile de la société libérale, fortement structurée par des liens familiaux qui permettent la reproduction sociale. La capacité à manœuvrer des élites locales vis-à-vis de Madrid est en réalité importante, car on peut dire que les élites nationales étaient un ensemble de groupes d’influence locale venus défendre leurs intérêts à Madrid, et le rôle des députés et des sénateurs y était de ce fait très important23. Le nombre de nouveaux titrés anoblis grâce à l’intercession d’un frère député ou fonctionnaire à Madrid n’est pas négligeable. Antonio Pérez de Meca y Musso, ancien libéral d’une grande famille murcienne24, obtint son titre de comte de San Julián pendant que son frère Francisco était député modéré, et Juan Puig y Descals devint baron de las Rodas pendant que son frère Aniceto était député25. Ils n’étaient pas les seuls. De nombreux titres de Castille furent obtenus par l’intercession, probable ou démontrée, d’un député, d’un sénateur ou d’un haut fonctionnaire (qui était souvent les deux à la fois). Le titre de comte de Torre Novaes de Quiroga fut obtenu par Manuel Vázquez y Queipo, accompagné d’un poste de sénateur, grâce à son frère Vicente, député et fonctionnaire modéré proche de J. Bravo Murillo26.
18Liens de famille et centralisation madrilène allaient donc de pair. Il était de plus en plus nécessaire d’être connu personnellement (ou un parent proche) à Madrid si l’on voulait obtenir un titre de noblesse. Ces derniers, comme les emplois, servaient à renforcer les liens politiques et le pouvoir du gouvernement. Si ces concessions suscitaient parfois réticences et sarcasmes, il convient de signaler que ces pratiques n’étaient en rien une spécificité espagnole illustrant la faiblesse supposée de la construction étatique. Dans toute l’Europe (Royaume-Uni ou Allemagne, par exemple27), elles représentaient un moyen de renforcement de l’État centralisé. L’obtention d’un titre de Castille dépendait donc largement de la présence du bénéficiaire ou de ses parents et amis à Madrid et dans les cercles de pouvoir. Cela n’était pas entièrement nouveau, comme nous l’avons vu, puisque cette tendance se faisait déjà sentir durant la seconde Restauration de Ferdinand VII. Elle participait du mouvement plus large de consolidation de l’État moderne en Espagne en utilisant les réseaux de clientèle et les liens individuels pour compenser la relative faiblesse des moyens de l’État28. Cependant, le mouvement prit de l’ampleur à l’époque libérale, du fait de la concentration à Madrid des élites locales. Si l’on voulait obtenir une faveur, il fallait être connu à Madrid. Et le fait d’être connu à Madrid, d’y exercer des fonctions importantes, permettait souvent de développer ou de renforcer le pouvoir local des individus29. Guy Thomson a montré comment Narváez utilisa son pouvoir à Madrid pour tenter avec un certain succès d’établir un fort contrôle social dans sa province, et plus particulièrement sa Loja natale30.
19D’un point de vue plus strictement politique, les graphiques illustrent trois phénomènes. Premièrement, le rôle relativement marginal d’Isabelle II dans les concessions. La jeune reine semble surtout entériner les décisions de sa mère, du gouvernement ou de ses proches : son confesseur, le cardinal-sénateur Juan José Bonel y Orbe, obtint un titre pour son neveu. Ses amants successifs, Francisco Serrano et José María Ruiz de Arana, pour leur oncle ou leur mère.
20Deuxièmement, le réseau politico-financier de Narváez est important, sûrement le plus puissant de l’époque hors famille royale, mais il est fragilisé par la force d’attraction de celui du couple Riánsares avec lequel ses relations étaient orageuses31, et par son propre caractère. Narváez se fâchait en effet souvent avec ses amis politiques, heurtés par son irascibilité, son explosivité et son autoritarisme32. En réalité, on peut estimer que le duc de Valence ne contrôla jamais entièrement le parti modéré, quoi qu’en ait pensé Andrés Borrego (« [le parti] avait abandonné ses principes qu’il échangea contre un homme, énergique certes, et d’une incontestable capacité politique »).
21Cela nous amène au troisième phénomène : le contrôle du parti modéré dépendait largement de la capacité de ses dirigeants à médiatiser et contrôler la distribution des grâces. Or cette dernière dépendait constitutionnellement de la reine, dont les modérés avaient renforcé le rôle33. Mais Isabelle II, inexpérimentée et manquant d’éducation politique, ne l’exerçait presque exclusivement que sous l’influence d’individus capables de la contrôler. Sa mère était, de loin, la première de ces influences. Une bonne partie des amis politiques de Narváez, jusqu’aux Cortes, sont aussi, et parfois surtout, des amis et alliés politiques du couple Riánsares : José Luis Sartorius, comte de San Luis, Bravo Murillo, A. Mon, P. J. Pidal, etc.
22Le marquis de Miraflores ne s’était donc pas trompé lorsqu’il avait, dans ses mémoires (1872), mis en avant la faiblesse d’Isabelle II :
Si la souveraineté avait résidé exclusivement dans les lois, [Isabelle II] aurait eu sous leur empire les moyens nécessaires pour remplir comme il le fallait le poste de reine constitutionnelle, grâce à son bon cœur et ses instincts généreux, pour le plus grand bonheur du royaume. Mais comme rien de tout cela n’existait, au contraire, se voyant seule face aux trois puissants dictateurs successifs [Espartero, Narváez et O’Donnell], elle devait être comme le montrent ces Mémoires, au lieu d’une reine, presque exclusivement une pupille, et comme telle, il lui était impossible de ne pas s’opposer plus ou moins habilement aux excès, voire aux injustices, de tuteurs indiscrets34.
23Cependant, tout à sa volonté d’exonérer de toute responsabilité la reine déchue, sa mère et l’entourage courtisan dont il avait fait partie, Miraflores ne précise pas que la seule véritable influence non constitutionnelle qui avait affecté le fonctionnement régulier des institutions avait été celle de la reine-mère et de son entourage affairiste et courtisan. Il semble croire que si la reine avait été libre de l’influence des militaires libéraux, le régime constitutionnel eût fonctionné à merveille. L’historiographie a plutôt montré que sans les militaires libéraux et surtout une mobilisation populaire régulière, le régime constitutionnel aurait été progressivement effacé par la pression de la Couronne35.
24Le monde des élites madrilènes, au sens large de ceux qui détiennent les ressources matérielles et symboliques leur accordant une place prééminente dans la société36, était étroit, et chacun se connaissait au moins de vue ; aussi les graphiques présentés sont-ils schématiques et partiels : nous aurions pu par exemple y ajouter Ramón de Mesonero Romanos, ami du marquis de Molins et de nombreux autres37, Modesto Lafuente, ami du comte de Fabraquer38, le comte et la comtesse de Vilches, l’écrivaine Amalia de Llanos étaient amis du peintre Federico de Madrazo39. La sociabilité madrilène était particulièrement riche et connut un développement important au cours de la période. Les bals de la bonne société mêlaient la grandesse de souche plus ou moins ancienne et de relatifs parvenus, comme Amalia de Llanos, fille de commerçants établis à Barcelone40. Les réunions intellectuelles, comme celle imaginée par Antonio Esquivel dans son tableau des Poetas contemporáneos. Una lectura de Zorilla en el estudio del pintor (1846), mêlaient sur un pied d’égalité des individus de tous les horizons sociaux et idéologiques. Elles avaient été formalisées lors de la création de l’Ateneo (1835) et du Liceo (1837) de Madrid, auxquels participèrent, parmi les individus apparaissant dans les graphiques, J. Donoso Cortés, Mariano Roca de Togores, G. Remisa, José de Salamanca, Castaños, F. J. Istúriz, en collaboration étroite avec de nombreux membres des professions libérales et d’autres hommes politiques progressistes41. La sociabilité libérale espagnole du xixe siècle se caractérise par ce type d’établissements où les relations sont détachées des pesanteurs de classe42.
25Dans cette société d’égaux43, unie par la proximité au pouvoir, la possession d’un titre de Castille avait changé de sens : il n’apportait plus de privilèges ni n’entraînait une supériorité sociale automatique. Il se réduisait à un élément de prestige parmi d’autres, dont la concession était censée symboliser les services rendus à la patrie. Mais ces services avaient une connotation politique particulièrement claire.
26Cette connotation politique marquée fondée sur des relations personnelles explique le triomphe (définitif) de la voie réservée dans les concessions de titres de Castille : 68 des 98 individus récompensés entre 1844 et 1854 l’obtinrent de cette façon. Plusieurs d’entre eux firent même jouer leurs contacts dans la capitale pour obtenir une grâce qui leur avait été refusée par la voie ordinaire, dont s’occupait désormais le Conseil royal (nom porté par le Conseil d’État entre 1845 et 1860).
27José de Robles y Fuentecillas fut sèchement écarté par la voie ordinaire. Le Conseil royal jugea en effet ses mérites très insuffisants dans un avis daté d’avril 1848 :
[…] [que le fait de] renoncer à une somme que l’on suppose être le capital correspondant à six mille réaux de rente annuelle donne option à une grâce qui ouvre les portes du Sénat espagnol serait un dangereux exemple. La loi compilée exige que l’aspirant ait servi le roi et le public en personne ; et les sections ne considèrent pas que cela soit le cas de don José Robles Fontecilla44.
28Mais un peu moins d’un an plus tard, en février 1849, un Real Decreto le fit marquis de Cúllar de Baza. Nous ignorons par quels canaux il fit passer sa requête, mais la présence aux Cortes de son frère Miguel, dont le gouvernement semble avoir eu à s’assurer le soutien, y fut certainement pour quelque chose45.
29Enfin, la place prépondérante de la très conservatrice Marie-Christine de Bourbon dans les réseaux de pouvoir orienta fortement la coloration idéologique des nouveaux titrés de la période.
Prépondérance des conservateurs parmi les nouveaux titrés
30Il est évident que les nouveaux titrés de la période sont pour la plupart des modérés. Mais il faut évaluer l’ampleur de cette domination, et voir si le modérantisme est déterminant pour obtenir un titre. Ensuite, il s’agira d’estimer quelle fraction du parti est favorisée par les concessions, et dans quelle mesure.
31L’orientation idéologique des nouveaux anoblis n’est évidemment pas immuable. On sait en effet à quel point les opinions politiques de nombreux hommes politiques du temps varièrent considérablement. R. M. Narváez avait été un libéral exaltado dans sa jeunesse, et reconnaissait lui-même en être revenu, même s’il se revendiqua toujours libéral46. Leopoldo O’Donnell, un des seuls libéraux d’une famille presque entièrement carliste47, passa d’un modérantisme proche de la Cour à promoteur de l’Union libérale, dont le libéralisme peut être qualifié de centriste48. Il n’est pas le seul dans ce cas, puisque l’on compte au moins quatre modérés dont l’affiliation n’est pas très précise, qui firent partie de l’Union libérale : le comte de Yumuri, Francisco Narváez (cousin de l’autre, avec qui il était en froid), le vicomte de Villandrando, un propriétaire terrien de Vieille-Castille, en plus de Manuel Gutiérrez de la Concha, marquis du Duero, et O’Donnell en personne.
32Le cas de Donoso Cortés est différent, car son évolution du modérantisme à une dénonciation apocalyptique de toutes les idéologies modernes (M. Sánchez Silva l’appelle « orateur sacré49 ») masque une unité de pensée profonde50. Il est censé avoir été libéral jusqu’aux environs de 1850. Mais cela pose un problème, et risque de transformer son adoption des théories contre-révolutionnaires vers 1850 en une rupture radicale. Or le libéralisme de Donoso ne fut jamais très marqué : dans son Historia política de la Regencia de doña María Cristina de Borbón (1843), la version de l’Histoire espagnole présentée est celle des contre-révolutionnaires (les Habsbourg sont extraordinaires, Charles III affligé d’une « démangeaison de réformes », les idées françaises néfastes51), il décrit Cea Bermúdez et son action gouvernementale de façon très positive, insiste sur la perfidie des libéraux, etc.52. Le cas de Donoso montre qu’il peut être difficile de faire entrer les individus dans une catégorie précise.
33Il existe bien une grande fluidité des opinions politiques, qui n’est pas très surprenante dans le contexte d’établissement progressif d’un régime libéral. Cependant, il nous semble important de voir si le positionnement politique des individus joue un rôle dans l’obtention d’un titre de Castille. Somme toute, progressistes et modérés s’étaient partagé les concessions durant les Régences, et sous Ferdinand VII, l’affirmation de convictions absolutistes avait favorisé l’obtention d’une grâce nobiliaire.
34Le tableau ci-dessous indique l’orientation politique probable du bénéficiaire du titre à la date à laquelle il le reçut, selon ses déclarations ou ses activités entre 1843 et 1854. Quand nous ne parvenons pas à classer l’individu, il a été déclaré « sans étiquette » (Tab. 15).
Tab. 15 : Positionnement politique des bénéficiaires d’un nouveau titre de Castille (1844-1854) au moment de la concession
Positionnement politique | Nouveaux titrés (nombre) |
Modérés (sans précision ; futurs membres de l’Union libérale) | Leis ; Llobregat ; Heredia Carrión ; Valmaseda ; Soto de Aller ; Casa Valdés ; San Julián ; Romera ; Fabraquer ; Villandrando ; Lucena ; Yumuri ; Unión de Cuba ; Casa Canterac ; Campo Alange (F. de Bernuy) ; Novaliches ; Rodas ; Manila/Manille ; Duero ; Salados ; Alpuente ; Benalúa ; Casa Fontanellas ; Velle ; Cúllar de Baza ; Prado Hermoso ; Velarde ; Montevirgen ; Canga Argüelles ; Margena ; Bagaes ; Rendón (marquise) ; Patilla ; Torre Novaes de Quiroga ; Conquista ; Armendáriz (36) |
Vilumistas ou non libéraux | Riánsares ; Alcoy ; Valdegamas ; Grá ; Retamoso ; Riva y Picamoixons ; Pezuela ; Solana ; Buena Esperanza (9) |
Fraction doctrinaire du parti modéré | Villavieja ; Valencia/Valence ; Gerona ; Pidal ; Vega ; Vilches ; Molins ; San Luis ; Constancia (F. de Paula Figueras) (9) |
Puritains | O’Gaban (1) |
Progressistes ou Esparteristas | García Carrasco (?) ; Fuentes del Duero ; Vergara ; Morante ; Villarín ; Torres Solanot (6) |
Sans étiquette, non déclarés (dont libéraux déclarés) | Arenas ; Puente ; Cañada Alta ; Campo Alange (P. Cárdenas) ; Mendigorría ; Santa Isabel ; Salud ; Vega Mar ; Asilo ; Torre Díaz ; Amparo ; Villamejor ; Noble Afán ; San Antonio ; Hijosa de Álava ; Peramola ; Antillón ; Maestrazgo ; Bayamo ; Escalonias ; Vivel ; Portugalete ; Valero de Urría (marquise) ; Daoíz (comtesse) ; Boadilla del Monte (marquise) ; Monsolís ; Andilla ; Mamblas ; Pomar (29) |
Total | 90 |
Source : élaboration personnelle à partir de sources diverses53
35On constate que l’indéfinition idéologique est très fréquente, puisque 29 des 90 individus concernés (nous avons exclu les sept enfants Muñoz et le jeune marquis de los Arcos, enfant en bas âge) ne nous apparaissent pas comme politiquement classables, selon la documentation dont nous disposons. Ce chiffre n’est pas anodin concernant les nouveaux titres de Castille, mais il n’implique pas que la dimension politique des concessions ait été réduite. Le père de R. M. Narváez (comte de la Cañada Alta en 1845) ou l’oncle et parrain de F. Serrano (comte de San Antonio en 1847) sont des titres témoignant de la faveur du président du Conseil et de l’amant de la reine. Ils sont donc « politiques », dans un sens non moderne. Les 29 individus dont l’orientation politique est indiquée comme inconnue le sont donc car nous n’avons pas trouvé d’action qui indiquât de manière certaine leur affiliation politique.
36Par ailleurs, nous constatons que 55 des 90 individus (soit 61,1 %) peuvent être d’une façon ou d’une autre considérés comme modérés, contre 6 progressistes ou esparteristas (soit 6,7 %). Il y a moins de progressistes à obtenir un titre que de membres de la fraction la plus à droite de l’échiquier politique, la fraction vilumista du parti modéré, qui compte 9 individus, dont plusieurs sont clairement non libéraux, comme l’ancien carliste Antonio de Urbistondo (marquis de la Solana). Le même nombre se rattache d’une façon ou d’une autre à la fraction centrale et doctrinaire du parti modéré54. Les 37 autres se rattachent au modérantisme, sans que l’on puisse en dire beaucoup plus.
37Le seul qui puisse probablement être compté comme puritain est le marquis de O’Gaban, Bernardo de Hechevarría y O’Gaban : le principal représentant du puritanisme, Joaquín Francisco Pacheco, avait écrit peu avant la concession du titre une biographie de son oncle55, Juan Bernardo O’Gaban, prêtre ilustrado cubain qui avait été député aux Cortes de Cadix et du Trienio. B. de Hechevarría y O’Gaban fut sénateur à partir de 1859, et proche de l’Union libérale56.
38Le tableau ne représente pas une situation figée, il permet de mettre en évidence l’importance du modérantisme parmi les nouveaux titrés, incarnation des nouvelles élites libérales de la Décennie modérée. Il permet, dans une certaine mesure, de quantifier cette importance. Le résultat n’est pas surprenant : les nouveaux titres de Castille sont dans leur majorité des libéraux conservateurs, liés au parti modéré. Mais l’on pourrait être surpris de constater à quel point ce conservatisme est particulièrement prononcé. Il y a neuf titrés assimilables aux groupes les moins libéraux (voire carrément non libéraux : Urbistondo, marquis de la Solana, avait été carliste jusqu’aux accords de Vergara, le comte de la Riva y Picamoixons, Manuel Bretón, « s’est toujours déclaré partisan décidé de la monarchie pure ; mais [jamais], dans les commandements qu’il a exercés, ses actes n’ont été placés sous le sceau de l’aveugle esprit de parti57 »). Ce qui est aussi élevé que le nombre des doctrinaires assumés proches de R. M. Narváez et du duo A. Mon et P. J. Pidal, dont José Luis Sartorius, comte de San Luis, et plusieurs soutiens de son ministère, le dernier la Décennie, nettement marqué à droite.
39Le rôle des réseaux et des gouvernements dans les concessions de titres, ainsi que le poids de la Couronne, dont on sait qu’elle ne fut jamais un acteur neutre du processus politique de la période58, expliquent que les modérés représentent la grande majorité des titrés de la période, avec une forte représentation de son aile la plus conservatrice. En effet, la structuration croissante de l’appareil d’État et des partis entraîne une forme de patronage lié aux affinités politiques, auquel se combine la préférence de la Couronne (à ce moment, la reine-mère et son mari) pour les options les moins libérales.
40Mais les orientations politiques et l’idéologie n’ont qu’un poids relatif. Les alliances familiales sont également d’une importance majeure. Pas toujours : Ramón María Narváez et son cousin Francisco Narváez y Bordesí étaient fâchés, au point que le premier ne saluait plus le second, comme celui-ci s’en plaint dans une lettre à A. F. Muñoz59. Mais les réseaux d’amitié et de relations professionnelles peuvent expliquer ces différences : il semble que R. M. Narváez gardait rancune à son cousin de ne pas l’avoir soutenu ou défendu lorsque lui et Luis Fernández de Córdova affrontèrent Espartero lors de l’affaire du prétendu pronunciamiento de Séville. Le futur marquis de Yumuri était en effet ami d’Espartero durant la guerre carliste60, probablement depuis les campagnes d’Amérique61.
41À l’inverse, le très réactionnaire Donoso Cortés avait été marié à la sœur de Juan José García Carrasco62, dont on peut dire qu’il avait été progressiste. Or, ces affinités idéologiques distinctes comptaient peu : tous étaient membres du cercle de Marie-Christine de Bourbon et d’Agustín Fernando Muñoz ; les réseaux personnels et la famille sont d’importants facteurs d’appartenance à certains cercles, bien au-delà de l’affinité idéologique, qui est souvent assez vague. De fait, les intérêts économiques réunissent des hommes d’opinions très diverses : le cercle économique du duc de Riánsares, qui a été étudié largement au travers de ses liens avec la maison Rotschild63 (et parce que quasiment aucune affaire un peu importante ne se faisait sans lui entre 1844 et 1854), rassemblait les tenants des opinions politiques les plus diverses, c’est-à-dire des progressistes comme Juan de la Mata Sevillano (marquis de Fuentes del Duero) ou Jaime Ceriola64, d’anciens progressistes comme J. J. García Carrasco (comte de Santa Olalla), des puritains comme José de Salamanca (qui n’obtint pas son célèbre titre de marquis de Salamanca avant 1863), et des modérés plus ou moins éloignés de l’absolutisme : les Manuel de Gaviria père et fils (marquis de Gaviria et de Buena Esperanza), Gaspar Remisa (marqués de Remisa), Nazario Carriquiri, etc. Une partie des réseaux économiques de la famille Riánsares avait auparavant été très liée à ceux de Juan Alvárez Mendizábal, et avait profité des désamortissements pour acheter un grand nombre de propriétés immobilières65.
42Les opinions politiques conservatrices comptaient donc pour obtenir un titre de Castille, dans un contexte culturel et intellectuel globalement conservateur qui favorisait l’appartenance au parti modéré. Mais ce conservatisme était, souvent, un état d’esprit lié à une culture politique largement partagée au sein des élites, souple et adaptable66, dans laquelle l’idéal de modération (le fameux « unir l’ordre et la liberté », de F. Martínez de la Rosa67), n’impliquait pas nécessairement d’engagement idéologique net. Au contraire, il s’agissait d’un moyen de faciliter l’obtention de grâces et d’honneurs. L’identité des progressistes récompensés par un titre est à cet égard significative : deux individus liés à A. F. Muñoz (J. J. García Carrasco, comte de Santa Olalla et Juan de la Mata Sevillano y Fraile, comte de Fuentes del Duero), deux personnalités âgées et éloignées de la politique active (Jerónimo Valdés, comte de Villarín, 65 ans et retiré à Oviedo, et Mariano de Torres y Solanot, 61 ans, fonctionnaire retiré bénéficiant de l’appui du ministre L. Arrazola), le richissime cadet du comte de la Cortina, Joaquín de la Cortina, recteur de l’université de Madrid, progressiste déclaré mais n’intervenant jamais en politique68, et enfin, le général Isidro Alaix, progressiste par amitié pour Espartero plus que par conviction articulée. Alaix avait fidèlement servi Ferdinand VII durant la Década Ominosa.
43L’affirmation des fidélités partisanes était fréquente, et de nombreux individus possédaient des opinions arrêtées, mais le conservatisme des nouveaux titrés de la Décennie modérée est probablement plus un état d’esprit général qu’une conviction ferme. Ils se sentaient à leur aise dans un parti qui détenait les clés des grâces et du patronage à Madrid. Cependant, le nombre important d’individus particulièrement conservateurs révèle un biais idéologique en faveur des opinions les moins libérales, produit de l’influence du couple Muñoz.
44Le triomphe de la politique moderne donne tout son poids à l’idéologie, mais ne supprime pas le patronage et le poids des intérêts privés et familiaux, qui ne sont pas incompatibles. Cependant, l’idéologie ne fait pas tout : quel est le rôle joué par les fortunes et la profession chez les nouveaux titres de Castille ?
Changements et continuités au sein des nouvelles élites titrées : fortunes et conditions dans la société libérale
45Dans les pages qui suivent, nous tenterons de montrer que les nouveaux titres de Castille de la Décennie modérée sont à la fois distincts et comparables à leurs homologues des décennies précédentes, quand l’Ancien Régime n’en finissait pas d’agoniser. Les continuités et les ruptures partielles cohabitent dans la relation à l’État et à l’environnement local, les professions exercées, le rythme des ascensions sociales et le rôle de l’argent. Les nouveaux titrés témoignent ainsi des réalités et des limites de la révolution libérale espagnole. En effet, si celle-ci n’est pas contestable, elle n’impliqua pas un bouleversement total et immédiat de la société et des hiérarchies sociales. La Révolution française elle-même n’impliqua pas un tel changement. De fait, certains auteurs estiment que le renouvellement des groupes dirigeants espagnols fut supérieur à celui de la France, à la fois libéral et oligarchique, censitaire et antidémocratique69.
46Tout d’abord, nous étudierons les continuités et les ruptures du rapport de la position dans la société espagnole des nouveaux titres de Castille. Il s’agira d’une approche sociale plutôt classique et orientée sur le rapport des individus à la société dans son ensemble ; nous réservons l’étude d’éventuelles évolutions de l’ordre de l’Histoire culturelle et d’Histoire de la vie privée pour le dernier chapitre. Puis nous analyserons leurs fortunes.
Les nouvelles élites titrées de la société libérale : locales et nationales, propriétaires et capacidades, ascensions fulgurantes
47Les nouveaux titres de Castille de la Décennie modérée sont comparables à ceux des décennies précédentes en ce que les membres d’élites locales sont nombreux parmi eux, tout comme les militaires et les hommes d’affaires (souvent liés au commerce cubain). Cependant, ils étaient beaucoup plus madrilènes, la ville étant le centre de l’État : il suffit de comparer le grand nombre de testaments de titrés de l’époque libérale conservés à l’Archivo Histórico de Protocolos de Madrid avec celui, moins important, de leurs homologues ayant obtenu leur grâce sous Ferdinand VII. On assiste également à une émergence très limitée des capacidades, individus obtenant leur statut social du fait de leurs compétences. Enfin, on remarque que l’ampleur des ascensions liées à l’obtention des grâces tend à s’accroître : la grandesse se « démocratise » et l’âge moyen d’obtention du titre s’abaisse.
Des élites de plus en plus madrilènes ?
48Afin d’établir si les élites titrées madrilènes tendaient effectivement à vivre plus souvent dans la capitale à l’époque libérale, nous avons établi un tableau à trois entrées : les individus récompensés par Ferdinand VII, morts avant ou après 1844 (c’est-à-dire avant ou après la stabilisation libérale conservatrice), et les individus récompensés sous les Régences et le règne « personnel » d’Isabelle II (Tab. 16).
Tab. 16 : Lieu de décès connu des individus titrés entre 1808 et 1854
Lieu de décès (connu) | Titrés par Ferdinand VII morts avant 1844 | Titrés par Ferdinand VII morts après 1844 | Titrés après 1833 | Total |
Madrid | 21 (26,25 %) | 7 (20,6 %) | 66 (52,8 %) | 94 (39,3 %) |
Reste de l’Espagne | 30 (37,5 %) | 17 (50 %) | 36 (28,8 %) | 83 (34,7 %) |
Cuba | 11 (13,75 %) | 6 (17,6 %) | 6 (4,8 %) | 23 (9,7 %) |
France | 8 (10 %) | 2 (5,9 %) | 12 (9,6 %) | 22 (9,2 %) |
Autre | 10 (12,5 %) | 2 (5,9 %) | 5 (4 %) | 17 (7,1 %) |
Total | 80 | 34 | 125 | 239 |
Source : élaboration personnelle à partir de sources diverses
49Les résultats montrent que les nouveaux titrés ont de plus en plus tendance à mourir à Madrid. La centralisation croissante, l’effort de construction de l’État, et le développement d’une classe politique et de clientèles nationales expliquent cette concentration croissante et confirment la tendance décrite dans la première partie de ce chapitre70. Les trois autres entrées (Cuba, France, autre) représentent ensemble un quart des nouveaux titrés dont le lieu de décès est connu. Le fait que de moins en moins de premiers titulaires d’un titre meurent à Cuba est sans doute lié aux lacunes des sources, mais aussi à l’attrait de la France (Côte d’Azur et Paris) comme lieu de villégiature pour les richissimes Américains71. Le grand nombre de titrés morts en France témoigne d’un double mouvement. Premièrement, l’émigration est un phénomène de grande ampleur. Elle peut être carliste (F. T. Calomarde, les marquis de Mataflorida et de Villaverde de Limia) ou provoquée par les aléas de la politique libérale (le duc de Riánsares, le roi consort Francisco de Asís, duc de Cadix ; peu de libéraux). Deuxièmement, Paris possédait à cette époque un grand prestige comme métropole attirant les aristocrates et les grandes fortunes : F. Riera, Manuel de Gaviria (Ier comte de Buena Esperanza et IIe marquis de Gaviria) et Félix Valdés de los Ríos (Ier marquis de Casa Valdés) vivaient ou séjournaient longuement à Paris.
50Le rôle croissant de Madrid comme capitale d’un État centralisé est visible dans la concentration des nouveaux titrés qui y mouraient. Nous connaissons l’adresse à laquelle moururent 38 d’entre eux (soit 40,4 % des Madrilènes, Fig. 10), pour des décès étalés entre 1840 et 1894.
Fig. 10 : Adresse de décès à Madrid de 38 nouveaux titres de Castille (1840-1894)

Source : élaboration personnelle sur une carte de José Pilar Morales (1866)
51Si le nord de la ville semble abriter plus de résidences (quart délimité par la Plaza del Sol et la rue Fuencarral, actuel Barrio de las Letras), il semble difficile d’isoler des quartiers aristocratiques et des quartiers populaires72. Il s’agit d’un élément de continuité par rapport aux époques précédentes : la tendance à la division des espaces entre quartiers populaires et quartiers plus huppés apparut lentement au cours du xixe siècle dans toute l’Europe continentale, et encore plus lentement en Espagne73.
52Lorsque l’étage où moururent les nouveaux nobles à l’adresse indiquée est connu, ce qui est le cas pour 16 d’entre eux, on constate que l’appartenance aux élites est très claire, et illustrée par la résidence. Le premier étage, « appartement principal », est celui de 7 individus, tandis que les seconds, qui étaient également des étages prestigieux, en logent 3. Cependant, 2 titrés habitaient un troisième, étage moins huppé (le comte de Manille, Narciso de Clavería y Zaldúa, et le baron de Peramola, Pedro de Alcántara de Navarrete), le comte de Vilches logeait au rez-de-chaussée et, à l’inverse, 3 autres habitaient un palais (Miraflores, R. M. Narváez et le comte de Vistahermosa, vicomte de la Vega) : la diversité des situations du groupe des élites titrées apparaît dans leurs adresses.
53Le fait que les élites espagnoles fussent de plus en plus madrilènes était lié à l’émergence de l’État, donc d’une administration et d’une représentation nationale74, ce qui exigeait un nombre croissant d’individus formés à des savoirs juridiques et techniques. Dans ce contexte, la question des « capacités » se pose.
Une émergence discrète des capacidades
54Les régimes censitaires doctrinaires des années 1830-1840 débattaient de la nature du droit de suffrage : s’agissait-il d’un droit (que ne pouvaient exercer que ceux qui étaient en capacité de la faire) ou d’une fonction de la souveraineté (que ne pouvait par définition pas exercer l’ensemble de la population, mais seule une fraction déterminée de celle-ci) ? Dans la France de la monarchie de Juillet, la différence entre les deux options résidait essentiellement dans l’ampleur à donner au cens électoral, qui accordait à ceux qui disposaient des ressources exigées la capacité à voter. Les premiers envisageaient un suffrage beaucoup plus large.
55Dans ce contexte, tous pensaient que les principaux critères de la capacité électorale étaient la propriété et les « lumières », c’est-à-dire les capacités et compétences dérivées de l’instruction. La possession de propriété foncière était conçue comme une sorte de « condition nécessaire de la capacité », parce qu’elle seule donnait intérêt à la conservation de la société. Les docteurs, titulaires de titres universitaires, avocats, médecins, etc., pouvaient être considérés comme en « capacité » de participer aux élections, abstraction faite de leurs possessions et propriétés75.
56En réalité, l’existence d’une capacité électorale distincte de la propriété et de la contribution fiscale suscitait de grandes réticences. En France, la loi électorale du 19 avril 1831, votée au début de la monarchie de Juillet, n’ouvrait à ce titre le droit de vote qu’à un groupe numériquement infime au sein d’un électorat restreint (166 000 électeurs en 1831) : les membres et correspondants de l’Institut et les officiers en retraite touchant une pension supérieure à 1 200 francs. Même dans ce cas, le cens était seulement abaissé de moitié (c’est-à-dire qu’il était de 100 francs et non de 200)76. La loi du 21 mars 1831, sur les élections municipales, était beaucoup plus généreuse, et le droit de vote y était accordé sans conditions de cens à des « capacités » plus nombreuses77.
57En Espagne, les législateurs de la Décennie modérée furent moins restrictifs. Il est vrai que la loi électorale du 18 mars 1846 en restreignait une autre, du 20 juillet 1837, qui était d’inspiration progressiste et accordait une grande place aux capacidades. En effet, l’article 14 de la loi de 1846 imposait un cens de 400 rv de contributions directes, soit le double de la loi de 1837 : les nombreux groupes bénéficiant d’une réduction à 200 rv en 1846 étaient donc simplement maintenus au niveau de la loi antérieure. L’article 16 de la loi de 1846 accordait le droit de vote avec un cens réduit de 200 rv aux membres des Académies royales (espagnole, d’Histoire et des Bellas Artes de San Fernando), aux docteurs et licenciés, aux curés et membres des chapitres cathédraux, aux magistrats, aux employés (actifs, cesantes ou retraités) qui touchaient plus de 8 000 rv, aux officiers en retraite (tous les gradés à partir de capitaine, inclus)78, aux avocats, médecins, chirurgiens et pharmaciens ayant plus d’un an d’exercice, et aux enseignants payés sur fonds publics.
58Quelques titres de noblesse furent concédés pour des services liés aux capacités professionnelles des bénéficiaires. Deux titres récompensèrent des ingénieurs : ceux de marquis d’Hijosa de Álava et de Noble Afán.
59Compte tenu de l’importance du discours élaboré par les ingénieurs et autres professions scientifiques dans l’affirmation de leur rôle au sein de la société libérale, il peut apparaître comme surprenant qu’ils fussent aussi peu nombreux à obtenir la plus grande reconnaissance sociale du temps, le titre de Castille. En réalité, comme le suggèrent D. Martykánová et V. Núñez, ils ne parvinrent pas à « subvertir le discours sur les dangers de la dégradation sociale associée au travail régulier et salarié, compris comme produit d’une nécessité matérielle et créateur d’une dépendance indésirable79 ». La représentation du professionnel caballero, se sacrifiant au service de la nation et/ou de l’utilité publique, une image construite à partir d’éléments culturels des Lumières (le gentilhomme qui possède des connaissances techniques) et romantiques (le spécialiste qui se sacrifie pour la nation, présenté en termes sentimentaux et lié au militaire), apparaît dans les deux cas. La difficulté d’obtenir une forte reconnaissance sociale est illustrée par le fait qu’ils ne furent que deux à obtenir un titre.
60Le premier récompensa le colonel d’artillerie Joaquín de Loresecha e Hijosa, auteur de divers traités d’ingénierie et de science militaire80 :
Vous savez déjà que prenant en considération vos services et vos connaissances, […] le travail admirable et immense, et les découvertes importantes que vous avez faites pour réduire le frottement sur les machines de toutes sortes mues par des rouages horizontaux, ce qui offre de grands avantages à l’industrie en général et au service de l’armée, en les appliquant opportunément aux fabriques d’armes et d’autres articles de guerre ; et désireuse de vous donner un témoignage public de combien j’apprécie votre application et votre zèle constant pour le savoir et votre intérêt pour découvrir et promouvoir des choses utiles au pays […]81.
61Les services accomplis par J. de Loresecha semblent, dans la formulation, valoir récompense parce que les efforts effectués eurent des conséquences positives pour l’armée. Et sa légitimité à travailler les questions pratiques d’ingénierie de machines provient de son statut de militaire : il pouvait prétendre au titre parce qu’il était colonel d’artillerie et brigadier d’infanterie. Ses savoirs techniques n’auraient pas suffi à eux seuls pour obtenir le titre de Castille.
62Le cas du marquisat de Noble Afán est encore plus significatif de la prépondérance du modèle du professionnel caballero, et de la préférence accordée à la propriété dans la concession de titres. En effet, le colonel Dionisio Carreño y Polledo, riche propriétaire de Santiago de Cuba, obtint en mai 1843 que la municipalité de la ville demandât un titre pour récompenser la construction d’un aqueduc qui amenait enfin de l’eau propre et constante à la ville. D. Carreño répondait au modèle du professionnel caballero, et peut-être plus encore à celui du bienfaiteur de son lieu de résidence : il ne semble pas qu’il ait eu de diplôme en ingénierie82, mais les documents qu’il fournit pour obtenir le titre semblent confirmer que l’ouvrage qu’il dirigea réduisit considérablement la mortalité dans la ville83. Mais le Tribunal suprême de Guerre et Marine et la section de Grâce et Justice du Conseil royal subordonnèrent leur accord définitif à la démonstration des rentes du prétendant.
63La section de Grâce et Justice, tout à ses efforts pour créer une jurisprudence libérale pour les titres de Castille, insista sur l’exigence de revenus : « […] les titres de Castille doivent posséder des biens suffisants pour maintenir avec décence une si haute dignité », soit 60 000 rv, la rente exigible pour entrer au Sénat comme titre de Castille. D. Carreño n’aurait pas obtenu son titre s’il n’avait pas pu justifier une coquette fortune de 8,537 millions de réaux de capital84.
64Les médecins et les universitaires se trouvaient dans une situation assez semblable. Un seul médecin reçut un titre de Castille durant la première moitié du xixe siècle, mais pas n’importe lequel. C’était l’influent Pedro Castelló y Ginesta, médecin de Ferdinand VII puis de Marie-Christine et Isabelle II. Il devint marquis de la Salud en 1846, au milieu de la fournée de titres concédés lors du mariage de la reine, peu avant sa mort de « ramollissement cérébral sénile85 ». Il avait exercé sous Ferdinand VII une influence politique contraire à l’absolutisme ultra, qui lui valut, sans surprise, l’antipathie de J. Arias Teijeiro86. C’est sa proximité avec la famille royale et non son action dans le domaine médical qui lui valut le titre. Quant à Marcial Antonio López, baron de la Joyosa, il l’avait obtenu par achat. En revanche, on peut signaler que ses autres distinctions (grand-croix d’Isabelle la Catholique et trésorier de la Real Academia de Historia) avaient pour cause son importante activité intellectuelle, comme réformateur social87.
65Quant au seul universitaire anobli durant la Décennie modérée, il s’agit de Joaquín Gómez de la Cortina, marquis de Morante, ancien président de l’Université centrale, fils cadet du IIe comte de la Cortina, originaire de Nouvelle-Espagne. Émigré en Espagne depuis l’indépendance, il possédait une immense fortune88.
66Ainsi, de même que la capacité électorale était conditionnée par les législateurs doctrinaires à la possession de propriétés, considérées comme seules garanties d’indépendance, la concession de titres de Castille à des capacidades était fortement limitée par un prérequis supplémentaire : la possession de propriétés. Comme ce n’était pas le cas pour les militaires, on constate que la conception de la noblesse titrée restait tributaire d’idées héritées des Lumières, qui concevaient le service du roi de la part des nobles comme devant être essentiellement militaire, et qui considérait que la perception d’un salaire n’était compatible avec les plus hautes dignités que lorsqu’il était payé par l’État.
67Le poids et l’importance de la propriété foncière dans la constitution des nouvelles élites libérales paraissent être une manifestation de continuité avec l’Ancien Régime. Mais nombre d’anoblis s’étaient enrichis lors des désamortissements, et surtout, la propriété foncière était une condition de l’accession à la qualité d’électeur dans tous les autres régimes libéraux censitaires du temps.
Ascensions rapides et « démocratisation » de la grandesse
68Durant la Décennie modérée, les nouveaux anoblis étaient souvent des membres d’élites locales ou des fonctionnaires, désignés essentiellement par la voie réservée, actifs politiquement, connus à Madrid et liés à des réseaux de pouvoir centralisés. Dans cette configuration, l’obtention d’un titre était plus simple (la voie réservée est par définition moins sélective) et leur concession permettait aux détenteurs des leviers de la grâce de solidifier une clientèle ou des amitiés politiques. Il n’y avait donc plus besoin d’attendre longtemps le titre, ou d’accumuler la somme et la rente nécessaire à son achat. Au total, les concessions de titres de Castille à l’époque libérale apparaissent comme une récompense le plus souvent décernée à un individu d’âge mûr mais pas encore très âgé : le titre apparaît soit comme le couronnement, soit comme une étape d’un cursus honorum individuel, pour des hommes dont les activités se poursuivent encore ; et non comme l’aboutissement d’une ascension familiale : la concession d’un titre est une récompense individuelle.
69Plus encore, le fait que la grandesse fût concédée à des individus n’appartenant pas à la haute noblesse d’Ancien Régime mit en évidence les changements vécus par les identités nobiliaires au xixe siècle (Tab. 17). Ferdinand VII avait concédé 17 grandesses. Parmi les 17 bénéficiaires, 4 étaient des étrangers et 2 étaient ses neveux, Francisco de Asís (duc de Cadix) et Enrique (duc de Séville). Sur les 11 restants, quatre appartenaient à une aristocratie ancienne et de haut rang, de familles titrées depuis au moins le xviie siècle, et quatre autres à des familles titrées depuis le xviiie. Seuls trois nouveaux grands n’appartenaient pas à une famille auparavant titrée, et étaient les premiers possesseurs de leur titre : Carlos de España, comte d’España, était de très ancienne noblesse française. Les deux autres sont Francisco Javier Castaños (duc de Bailén, dont le titre est significativement créé à titre viager) et Narciso de Heredia, comte consort d’Ofalia (marquis d’Heredia).
Tab. 17 : Les grandesses d’Espagne concédées entre 1808 et 1854
Statut avant l’obtention de la grandesse | 1808-1833 | 1834-1854 |
Ascendants directs titrés avant 1700 (date) | Alagón (1511) ; Fernandina (1668) ; Almenara Alta (1680) ; Noblejas (1693) ; Cadix et Séville (6) | Saragosse (1688) ; Conquista (1635) (2) |
Titrés après 1700 (date) | Floridablanca (1773) ; San Fernando de Quiroga (1736) ; Miraflores (1746) ; Castroterreño (1782) (4) | Ahumada (1747) ; IId comte de Villanueva (1825) (2) |
Non titrés | Ier comte d’España (mais aristocrate français émigré) ; Bailén (viager) ; Heredia (3) | Victoria/Victoire ; Unión de Cuba ; Riánsares ; Valence ; Tarancón ; Duero ; Sevillano ; Guaqui ; Espoz y Mina (9) |
Étrangers | Ciudad Rodrigo ; San Fernando Luis ; Santa Cristina ; Almazán de Saint-Priest (4) | Santa Isabel (1) |
Total | 17 | 14 |
Source : élaboration personnelle à partir de l’AGMJ et du Diccionario biográfico de España (d’Alberto Gil Novales)89
70La différence avec la période libérale est marquée. Entre 1834 et 1854, 14 grandesses furent accordées. Mais il n’y a qu’un seul étranger concerné (le fils de l’ambassadeur Bresson), deux individus de famille aristocratique titrée antérieure à 1700 (le général Palafox, duc de Saragosse, et José María Villarroel e Ibarrola, duc de la Conquista) et un possesseur de titre datant du xviiie siècle : le marquis de las Amarillas, Ier duc d’Ahumada. Les dix autres étaient les premiers titulaires d’un titre de Castille dans leur famille (le IId pour le comte de Villanueva). Mais surtout, certains d’entre eux appartenaient à un milieu modeste, fort éloigné de l’immense prestige social de la grandesse d’Ancien Régime90.
71Les nouveaux grands d’Espagne de la période libérale étaient en effet d’origine très diverse : commerçant et fonctionnaire havanais (Villanueva), fille de commerçants galiciens mariée à un guérillero (F. Espoz y Mina), hidalgos provinciaux aux revenus divers (R. M. Narváez et A. F. Muñoz, mais également le comte de Guaqui), militaires de famille militaire (Miguel Tacón, duc de l’Unión de Cuba, Manuel de la Concha, marquis du Duero), ainsi que deux individus dont la famille n’était pas considérée comme don : le duc de la Victoire, Baldomero Espartero, et le marquis de Fuentes del Duero, duc de Sevillano, Juan de la Mata Sevillano y Fraile.
72Ce dernier est un cas significatif de la possibilité pour un individu d’origine modeste d’obtenir la grandesse. Ce riche financier, proche du ministre J. A. Mendizábal, resté en bons termes avec les progressistes, mais ami de Narváez91, était marquis de Fuentes del Duero depuis décembre 1846. Ses mérites sont décrits comme essentiellement militaires92. Ce n’était pas particulièrement surprenant : J.-Ph. Luis rappelle qu’Alejandro Aguado avait fait de même lorsqu’il avait fait faire son portrait par Francisco Lacoma i Fontanat (1832)93. Ce qui est un peu plus surprenant est que Sevillano obtint du gouvernement d’Espartero, une fois que la Vicalvarada eût rappelé ce dernier au pouvoir, la grandesse de première classe.
73En effet, la famille de Sevillano n’était pas hidalga : sur son acte de baptême (1790), celui de son grand-père Andrés Sevillano (1741) et sur l’acte de mariage de ce dernier (1767)94, aucun ne reçoit le traitement de don. Ils étaient semble-t-il panetiers de la Cour. Ces origines modestes auraient pu passer inaperçues : après la guerre d’Indépendance où il obtint le grade anoblissant de capitaine, Sevillano concéda en quelque sorte rétroactivement le don à ses parents. Ces derniers apparaissent ainsi en 1815, dans son acte de mariage. L’ascension sociale de la famille Sevillano avait certes déjà commencé : un oncle et futur beau-père de Juan de la Mata était oficial del crédito público et commissaire de guerre honoraire après 1790 et avant 1815, sa grand-mère était sans doute la sœur du curé qui le baptisa. Surtout, il était officier de cavalerie, ce qui supposait à tout le moins des ressources nécessaires à l’entretien d’un cheval (son père hypothéqua à cet effet la majorité de ses biens)95. Mais qu’un homme qui n’était même pas don à la naissance obtînt la grandesse reste un témoignage de la rapidité croissante des ascensions au sein de la noblesse, et d’une ouverture de son sommet, traditionnellement réservé aux aristocrates de vieille souche.
74Une telle ouverture suscita l’hostilité prévisible des détenteurs de la grandesse. I. Burdiel a décrit la façon dont les dames de la cour, menées par la marquise de Santa Cruz, réagirent lorsque la comtesse d’Espoz y Mina (fille d’un commerçant orphelin, établi à La Corogne après s’être enrichi à Cuba96, épouse d’un paysan guérillero) reçut la grandesse pour accompagner ses fonctions auprès de la jeune Isabelle II97. Quant à la comtesse, elle affirme que la grandesse ne l’intéressait pas98. Et ce n’était pas une coquetterie de mémorialiste : en 1871, écrivant à Amédée Ier pour que son titre passe à un neveu, elle refuse de demander la succession du duché-grandesse de la Caridad, qui lui avait été donné en novembre 1854, car il n’a pas « à ses yeux, autant de prix que [le comté d’Espoz y Mina], qui rappelle à tous le nom et les exploits de son inoubliable époux99 ». La critique de la grandesse émise par de nombreux ilustrados et libéraux, avait sans doute joué un rôle dans cette désaffection et le rejet de Juana de la Vega.
75Nous avons constaté dans cette première sous-partie l’existence de certaines continuités au sein des élites nouvellement titrés de l’époque libérale. Comme celles des dernières années de l’absolutisme, elles sont le plus souvent propriétaires fonciers, ou fonctionnaires au sens large, englobant les militaires, ou les financiers liés à l’appareil d’État. Cependant, il existe un certain nombre de ruptures entre les deux époques, et les deux groupes d’élites titrées : l’appartenance à un milieu relativement similaire masque la forte mobilité sociale ascendante ou descendante au sein des élites espagnoles de la période. Un plus grand nombre de militaires étaient sortis eux-mêmes du rang (José Manso y Solá, comte du Llobregat, ancien paysan100 ; ou Isidro Alaix, comte de Vergara, simple soldat101) ou avaient des parents militaires qui n’eurent que des grades moyens. Les professions exercées par les nouveaux titrés sont également plus diversifiées : avocats, journalistes (c’est le cas de José Luis Sartorius y Tapia), et l’on assiste à une émergence, certes très limitée, des capacidades. Enfin, on constate des ascensions sociales fulgurantes, comme ce fut le cas pour A. F. Muñoz, petit hidalgo qui épousa la reine-mère et obtint le duché-grandesse de Riánsares, pour Espartero, ou pour le banquier Sevillano. Elles coexistent avec des ascensions familiales comparables à ce que l’on observe pour le xviiie siècle : c’est par exemple le cas de Lorenzo Moratinos y Sanz, vicomte de Villandrando, dont les membres de la famille n’étaient qualifiés de don que depuis son arrière-grand-père, familier de l’Inquisition102, et des situations de mobilité sociale descendante, comme c’est le cas des marquis de Casa Pizarro103.
76Cette grande diversité se reflète-t-elle dans les situations économiques des nouveaux titrés ?
Des situations de fortune relativement diverses
Vision d’ensemble des revenus des nouveaux titres de Castille
77Établir un tableau cohérent et permettant de tirer quelques conclusions a présenté plus de difficultés pour la période 1833-1854 que pour le règne de Ferdinand VII et a exigé un recours à des sources plus variées (Tab. 18).
Tab. 18 : Revenus des titres de Castille concédés entre 1833 et 1854
Titre (source, si différente de l’AGMJ) | Rentes en rv (réaux de billion) |
*Marquis d’Almendares | 200 000 |
Baron d’Andilla (AHPM) | Env. 4 millions (capital) |
*Comte de Bagaes | 11,6 millions et 1 million de rente selon témoins |
Comte de Belascoain (AHPM) | 533 000 (capital, 270 107 en biens fonciers) |
Marquis de Benalúa (Senado) | 92 733 |
Comte de Buena Esperanza (Otazu) | 47,74 millions |
*Comte de Campo Alegre (Senado) | 230 000 (loyers de ses maisons) |
Marquis de Campo Alegre | 80 000 |
Comte de la Cañada Alta (Senado) | 71 550 |
Comte de Canga Argüelles | 68 531 (plus salaire de 40 000) |
*Comte de Casa Brunet | 11,843 millions et 1,5 million de rente |
*Marquis de Casa Núñez de Villavicencio y Jura Real | 4,113 millions (capital) |
Comte de Casa Puente | 113 000 déclarés (probablement sous-estimé) |
Comte de Casa Riera (L’Univers, BnF) | 47,8 millions (capital) |
Marquis de Casa Valdés (AHPM) | 2,171 millions (capital) |
Marquis de Cúllar de Baza | 155 611 |
Comtesse de Daoíz | 100 000 |
Marquis du Duero | 48,05 millions de capital foncier |
Comte de Fabraquer (AHPM) | Pas de biens fonciers, pension de 40 000 |
Comte de Fontao | 63 598 |
Marquis de Fuentes del Duero (Marroyo) | 652 466, mais capital de 91 714 732 rv à sa mort |
*Marquis de la Gratitud | Capital élevé mais frais élevés : situation financière fragile, ou délicate |
Marquis de Leis | 37 541 |
Comte de Manille (AHPM) | 979 000 (capital) |
Marquis de Margena | 34 295 |
Marquis de Molins (AHPM) | 60 000 plus hijuela de 3,519 millions de sa 2de femme |
Marquis de Monsolís | 49 970 |
Marquis de Montevirgen | 112 000 |
Marquis de Morante (Barbieri) | 500 000 |
Comte de Nava | 135 521 |
*Marquis de Noble Afán | 8,537 millions (capital) |
*Marquis de O’Gaban | 351 280 |
Comte de la Patilla | 124 533 |
*Comte de Peñalver | 21 millions (capital) |
Baron de Peramola | 85 000 |
Comte de Pinofiel (AHPM) | 1,93 million (capital) |
Marquis de Portugalete (Senado) | 271 280 |
Baron de Prado Hermoso | 66 200 |
Baron de las Rodas | 160 000 |
Comte de la Romera (AHPM) | 1,739 million de capital |
Marquis de Salados (AHPM) | 500 000 de capital |
Comte de San Antonio (Senado) | Env. 145 000 |
Comte de San Julián (Senado) | Env. 160 000 |
Marquis de la Solana (AHPM) | 1,06 million (capital) |
Marquis de Soto de Aller (AHPM) | 1,6 million (capital) |
Comte de Tarifa (AHPM) | Aucun, sauf salaire théorique de 45 000 de cuartel |
Comte de la Torre del Español (Senado) | 90 000 |
Comte de Torre Novaes de Quiroga | 144 591 |
Marquis de Torres de Orán | 93 000 |
Vicomte de Torres Solanot | Env. 135 000 |
Marquis de Valdegamas (Suárez) | 1,03 million (capital) |
*Marquise de Valero de Urria | 8,373 millions (capital) |
Marquis de Valle de Ribas (AHPM) | 1 million (capital) |
*Comte de Vega Mar | 14,675 millions (capital) |
Comte de Velarde (AHPM) | 70 000 (salaires, rentes foncières et obligations) |
Comte de Velle (AHPM) | 17,938 millions de capital |
Duc de la Victoire (Garrido Muro) | 1,7 million (capital des années 1830) |
Comte de Vilches (AHPM) | 1,08 million (capital) plus 12 000 (rente) |
Marquis de Villavieja | 83 230 |
Marquise de Vivel | 400 000 |
Comte de Yumuri (AHPM) | 11,636 millions de capital |
Rente moyenne et écart à la moyenne | 332 392 et 546 000 |
Rente moyenne | 279 134 |
Rente moyenne des Cubains (*) | 611 618 |
Source : élaboration personnelle à partir des sources indiquées104
78Celles-ci ne sont pas toujours faciles à utiliser. Rien ne garantit que les données indiquées par les sénateurs soient complètes, au contraire. Il n’est pas exigé des nouveaux membres de la Chambre haute qu’ils annoncent la totalité de leurs rentes. Certains le firent comme le duc de Noblejas, probablement très scrupuleux. D’autres, les plus nombreux, se contentaient de justifier très exactement la rente exigée pour accéder au Sénat et pas plus. Admis au Sénat comme grand d’Espagne, le duc de Riánsares déclare un capital de 1,25 million de réaux, soit 62 530 rv de rente, à 5 %. Pedro de Zulueta, comte de Torre Díaz, richissime marchand et négrier établi à Londres, se contenta de justifier 48 920 rv de rentes à Jerez de la Frontera, sans que cela pose un problème105.
79De fait, la plupart des justifications de rentes données par les sénateurs sont partielles, voire fragmentaires, et seuls quelques sénateurs minutieux ou simplement moins riches justifiaient d’un ensemble de rentes dont on comprend qu’il représentait l’essentiel de leur fortune. Les justificatifs de rente sont souvent des quittances d’impôts, au taux d’imposition théorique de 12 % (entre 15 et 16 % à Madrid pour les impôts du comte de Vega Mar106). Ces variations s’expliquent en partie par l’absence de cadastre, qui impose une répartition approximative entre provinces des 300 millions de réaux de contribution territoriale107.
80Les archives notariales sont en revanche beaucoup plus utiles pour détailler les capitaux possédés.
81Dans l’ensemble, le tableau recense des données patrimoniales pour 61 nouveaux titrés (soit 45,5 % des 134 anoblis de la période 1833-1854). En dépit de ses lacunes, il donne un aperçu des conditions économiques des nouvelles élites libérales titrées.
82Il s’agit à nouveau d’un instantané à un moment donné. Nous avons vu au chapitre 3 que les situations de mobilité ascendante et descendante n’étaient pas rares. Or c’est encore plus vrai pour la période libérale : le marché de la terre n’était plus limité par les majorats et autres terres amorties ; l’émergence d’une économie de type capitaliste basée sur la spéculation boursière et immobilière supposait une mobilité sociale accrue, et surtout une variation plus grande des fortunes à la hausse ou à la baisse. Ces variations apparaissent dans nos sources, sans être aussi marquantes que les banqueroutes du marquis de Salamanca108.
83Pour obtenir un titre qu’il devait probablement à son amitié avec R. M. Narváez et F. Fernández de Córdova109, Luis Hurtado de Zaldívar, marquis de Villavieja (1814-1868), justifiait en 1845 de 83 230 rv de rente, à Madrid (29 230 rv) et Jerez de la Frontera (54 000 rv)110. Cette somme s’arrondit au cours des deux décennies suivantes : nommé sénateur en 1865 (sous le cinquième cabinet de Narváez), il justifia de 103 172 rv de rente, uniquement dans la province de Madrid. Les biens qu’il y possédait en 1865 n’étaient plus les mêmes qu’en 1845111. Il avait probablement vendu des biens et investi. L’absence de ses biens à Jerez dans le certificat du Sénat ne veut sans doute pas dire qu’il les avait vendus, il n’avait pas besoin de les présenter.
84Les sources suggèrent que les enrichissements liés à la construction de l’État et l’ascension sociale qu’ils impliquaient furent assez fréquents au sein des élites espagnoles. Francisco Azpiroz y Jalón, comte d’Alpuente et directeur général de l’Artillerie durant toute la Décennie modérée, avait des revenus plus modestes lorsqu’il fut élu au Sénat pour la province de Ségovie (1840) : 15 360 rv en rentes foncières et 30 000 rv de maréchal de camp. Les premières lui venaient sans doute de son épouse, María Gregoria Montalvo, qui était née dans la ville où son mari venait d’être élu. Or, la partition des biens de son fils, en 1895, indique un patrimoine de 6,638 millions de réaux112.
85Il existait cependant des cas de relatif appauvrissement. L’homme d’affaires asturien Félix Valdés de los Ríos, Ier marquis de Casa Valdés (1803-1881), proche associé du duc de Riánsares, fut dans les années 1850 un important entrepreneur ferroviaire, tant en Espagne que dans les États pontificaux, dont les contrats montaient à plusieurs millions de francs. Or, l’inventaire après décès de ses biens (1882) révèle un patrimoine s’élevant à un peu plus de deux millions de réaux, bien peu pour un entrepreneur ferroviaire. Il est possible que la Grande Dépression de 1873 et certaines circonstances politiques, comme l’unification de l’Italie, lui aient fait perdre de fortes sommes : à la différence de la plupart de ses compatriotes, sa fortune était essentiellement basée sur les produits boursiers et non sur la rente foncière (qui elle-même diminua à la fin du xixe siècle)113.
86De façon générale, les revenus connus des nouveaux aristocrates de la période 1833-1854 semblent beaucoup plus hétérogènes que dans la période 1808-1833. La richesse moyenne des nouveaux titrés péninsulaires en 1833-1854 est très supérieure à celle des décennies précédentes (279 134 rv de rente contre 152 551 rv) ; mais l’écart à la moyenne est incomparablement plus élevé. Cela suggère à la fois un enrichissement d’une partie des élites espagnoles durant les années de croissance du second tiers du xixe siècle, et une situation beaucoup plus diverse du niveau de fortune des titres de Castille.
87Nous ne pensons pas que cela signifie que dans l’ensemble les élites espagnoles se fussent appauvries alors qu’une partie s’enrichissait considérablement, au contraire. À l’époque libérale, la signification du titre change et le mode de concession aussi. Il ne récompense plus majoritairement des élites locales foncières riches et enracinées territorialement : il s’ouvre à des fonctionnaires et des professions libérales, proches du pouvoir central, qui n’ont pas toujours d’importants revenus fonciers, du moins dans un premier temps. En effet, le titre est un marqueur de l’appartenance à l’élite politique, mais n’implique pas ou plus que son détenteur fasse partie du sommet de la hiérarchie économique.
88En conséquence, nous pensons que le tableau des rentes des nouveaux titrés de 1833 à 1854 (Tab. 18, ci-avant) suggère probablement une certaine amélioration des conditions de fortune au sein des élites espagnoles par rapport à la période précédente. Il indiquerait une amélioration générale de la situation des fonctionnaires et des professions libérales : le million de capital de Narciso de Clavería y Zaldúa (comte de Manille) et d’Antonio de Urbistondo (marquis de la Solana) remplacent avantageusement les 413 961 rv de capital de Juan Lozano de Torres114, ou les 264 000 rv possédés par Joaquín de la Pezuela, futur Ier marquis de Viluma, dans son testament de 1813115. Une grande partie des nouveaux titrés dont les fortunes semblent faibles sont en réalité de nouveaux riches.
89Les rentes des nouveaux titres de Castille de la période les placent dans une situation de richesse élevée : elle est du niveau exigible pour l’entrée au Sénat (60 000 rv de rente), et bien plus élevée que les 12 000 rv de rente exigibles pour obtenir le droit de vote dans la loi électorale modérée de mars 1846 (qui, à 5 %, correspondent à 240 000 rv de capital). Le droit de suffrage dans ce cadre ne concernait selon les calculs modernes qu’un peu moins de 100 000 personnes sur une population de 15 millions116 : on constate que les nouveaux titres de Castille dont nous connaissons les revenus appartenaient tous à un secteur social riche. Il ne faudrait cependant pas en tirer nécessairement la conclusion qu’ils étaient incomparablement plus riches que le reste des élites espagnoles. Premièrement, le calcul du cens électoral, s’il donne un ordre de grandeur des fortunes, n’est pas un instrument parfait car il accorde une place prépondérante à la fortune foncière au détriment des autres types de revenus, comme l’a démontré A.-J. Tudesq pour la France117.
90Deuxièmement, nous constatons que des fonctionnaires et des hommes politiques qui n’appartenaient pas au sommet de la hiérarchie de la fortune ont des niveaux de fortune proches de ceux exprimés dans le tableau 18.
91Le peintre, érudit et collectionneur, Valentín Carderera laissa à sa mort, célibataire et sans enfants un patrimoine supérieur à 725 000 rv118. Nous observons que cet homme qui ne fut jamais ministre et n’exerça jamais de fonctions particulièrement lucratives, mais qui appartenait à l’élite intellectuelle madrilène, accumula sous la forme d’œuvres d’art un patrimoine avoisinant le million de réaux. Les hauts salaires de la fonction publique (il était membre de la Junte de direction du musée national de la Trinité à Madrid) et de la Maison du roi (il était peintre honoraire de la reine et directeur adjoint du Prado) favorisaient cette accumulation, qui en l’occurrence ne provenait pas d’un héritage.
92L’ancien président du Conseil progressiste Joaquín María López possédait à sa mort un patrimoine évalué dans l’inventaire de ses biens à 1,107 million de réaux119. La fortune médiane des 22 ministres dont Jesús Cruz a pu étudier le testament était de 1,7 million de réaux. Selon lui, cette richesse élevée est l’un des éléments qui mettent en évidence l’absence de révolution bourgeoise en Espagne : « L’élite politique du libéralisme se forma dans un processus de reproduction-cooptation d’éléments dont les affinités sociales apparaissent comme évidentes120 », notamment du fait de l’importance de la terre comme fondement de la richesse. Nous avons déjà signalé que cette thèse pèche par la rigidité de son cadre analytique, qui ne tient pas compte des évolutions diverses au sein du groupe des élites madrilènes : appauvrissement de certains, enrichissement d’autres, suppression des majorats, désamortissements qui favorisent les achats de biens ecclésiastiques. Les nouveaux titres de Castille du tableau des revenus (Tab. 18) présentent un cadre bien plus hétérogène que celui avancé par J. Cruz, que ce soit en matière de naissance comme d’accumulation de fortune. Les travaux de Fernando Sánchez Marroyo, qui concernent surtout les grands d’Espagne dans la seconde moitié du xixe siècle, indiquent que la tendance observée se poursuivit, et même s’amplifia121.
Études de cas
93Nous complétons notre approche des situations de fortune des nouveaux titres de Castille par une approche microhistorique. Nous analyserons la situation d’un grand capitaliste ; Gaspar Remisa, qui n’apparaît pas dans le tableau 18, puis Julián Velarde y Santillán, comte de Velarde, un fonctionnaire de carrière.
Gaspar Remisa y Miarons, marquis de Remisa
94Issu d’une famille commerçante barcelonaise, G. Remisa commença sa carrière et son enrichissement dans la fourniture aux armées françaises durant la guerre d’Indépendance. Il possédait une fortune d’environ 15 millions de réaux en 1822122. Associé d’A. Aguado et proche des cercles financiers liés au ministre Luis López Ballesteros durant la Décennie modérée123, il est directeur du Trésor entre 1826 et 1833. Il poursuit sans accroc sa trajectoire ascendante durant les deux décennies suivantes, parvenant à une fortune d’environ 50 millions de réaux, dont nous ignorons le montant exact, mais pour laquelle différents actes notariés effectués entre 1829 et 1847 nous permettent d’avoir une idée assez claire de la structure. Elle était fondée sur les trois piliers traditionnels des très grandes fortunes constituées à cette époque : terres, commerce et exploitation de revenus affermés par l’État ; en l’occurrence des mines.
95Les entreprises commerciales de Remisa, avec lesquelles il avait constitué sa fortune, n’étaient plus à la fin de sa vie la principale source de ses revenus. Il s’était désengagé de la maison de commerce Remisa e Hijo de Barcelone avant 1838 ; en revanche, il possédait toujours des parts dans les maisons Remisa de Madrid et Casals y Ceriola124.
96Il possédait de nombreuses terres, qu’il achetait et revendait dans certains cas, ce qui en faisait des investissements (il donne pouvoir en 1838125 puis en 1847126 pour revendre ses possessions foncières dans la province de Lérida). Son mémoire testamentaire de 1838 liste une série de biens fonciers situés en Catalogne, en Vieille et en Nouvelle-Castille, des heredades (terrain cultivé familial), des dehesas (pâturages) et des baux emphytéotiques.
97Enfin, Remisa investit dans plusieurs entreprises industrielles et manufacturières. À l’exception d’une fabrique de draps à Ripoll (province de Gérone), ces entreprises étaient toutes liées à des contrats d’affermage ou des concessions effectuées par l’État. Il s’agissait : 1) de l’entreprise du canal de Castille, dont il était l’un des concessionnaires de l’affermage pour 70 ans effectué durant la Década Ominosa ; 2) d’une participation à l’aménagement d’un nouveau quai à Barcelone127 ; 3) et surtout, des mines d’argent de Guadalcanal (Séville) et de plomb de La Carolina, Hoyos et Linares (Jaén), en association avec le commerçant afrancesado établi à Marseille Luis Figueroa (père du Ier marquis de Villamejor)128. En 1829, il profita du désengagement de ses associés pour devenir l’actionnaire principal des mines mentionnées : il racheta à Figueroa ses parts dans les mines de plomb pour un montant de 1,7 million de réaux129, en plus du 1,09 million de capital qu’il possédait sur les mines d’argent de Guadalcanal130. Une grande partie des entrepreneurs espagnols de la période étaient fascinés par la richesse supposée du sous-sol espagnol, qui n’attendrait qu’une exploitation rationnelle pour être supérieurement rentable. Compte tenu de la difficulté des communications dans la péninsule, cette croyance généra bien des déconvenues jusqu’à la fin du siècle. Dans son testament, Remisa effectue de nombreux dons à sa sœur Magdalena, à la condition cependant que la part de ses deux filles soit d’au moins 10 millions de réaux, sans compter les mines, dont il estimait le rendement trop aléatoire. Cette remarque illustre la tendance bien connue des capitalistes du xixe siècle à investir dans la terre, qui était toujours la principale source de revenu des économies en général, et dont le revenu était le plus sûr. C’était un moyen de répartir les risques131.
98Remisa se rapprochait en cela comme en d’autres aspects de l’un des plus audacieux entrepreneurs espagnols de son époque, le négociant malagueño Manuel Agustín Heredia (1786-1846)132.
Julián Velarde y Santillán, comte de Velarde
99Le comte de Velarde, né à Muriedas (Santander)133 était le frère de Pedro Velarde, un capitaine d’artillerie qui mena avec Luis Daoíz le soulèvement de la garnison de Madrid contre les Français le 2 mai 1808134. Il appartenait à une famille de militaires au service de la Couronne, comme tant d’autres anoblis aux revenus fonciers modestes. Ils se montent à 103 096 rv (soit une rente à 5 % de 5 154 rv) dans l’inventaire pour le partage de la succession du Ier comte (1875), divisés en petites parcelles d’une valeur moyenne de 461,7 rv135. Il est possible qu’il y ait eu un majorat dans la famille, mais comme il n’est pas indiqué alors qu’il aurait dû être partagé, il avait dû être hérité par un frère aîné du comte. En tout cas, le comte de Velarde était tenu de travailler pour gagner sa vie. Il entra dans l’armée en 1814, était lieutenant à la mort de Ferdinand VII, passa capitaine (1835) avant d’exercer à partir de septembre 1835 des fonctions administratives au sein de l’armée, pour terminer Interventor general del Ejército (1848), c’est-à-dire responsable de l’ensemble des services financiers et de gestion. À ce titre, il percevait 40 000 rv de salaire136. Il fut ensuite conseiller d’État, et bénéficiait en 1857 d’une retraite du même montant.
100Le comte de Velarde possédait surtout des actions et des obligations sur la dette espagnole : en 1875, il possédait 58 titres de la dette espagnole, de valeurs diverses ; 6 obligations municipales de la ville de Madrid, et 4 « inscriptions » de la Banque d’Espagne. En tout, ces actions valaient 411 417 rv, ce qui donnait une fortune totale de 514 513 rv (25 725 rv de rente à 5 %). En 1857, lors de son entrée au Sénat, il avait fourni des chiffres différents : « Une inscription nominale de la rente espagnole consolidée à 3 %, de capital 670 000 rv avec la rente annuelle de 20 100 rv137. » Il est possible que la crise économique de la fin du règne d’Isabelle II ait joué un rôle dans l’appauvrissement du comte de Velarde, dont le portefeuille d’actions avait fondu d’au moins un tiers.
101Ses six enfants et sa veuve, qui se répartirent un demi-million de capital, n’héritèrent pas de très fortes sommes. Mais il est intéressant de constater que si Amalia et Rosalía, les deux filles, n’étaient pas mariées et habitaient avec leur mère, deux fils civils, Ramiro et Federico, étaient mariés et établis professionnellement, tandis que deux autres étaient militaires : le IId comte, Pedro, était colonel des lanciers de la reine ; Juan Modesto était alférez de navire. Le capital social accumulé par leur père compensait la faiblesse de l’héritage. Cette caractéristique n’a rien de surprenant, elle était celle de la plupart des familles de militaires et de fonctionnaires au service de la Couronne depuis des siècles. Le rôle des réseaux de clientèles et d’amitiés ne changeait pas non plus : Velarde obtint facilement son titre grâce à ses bonnes relations avec Manuel Bertrán de Lis, ministre du cabinet de Bravo Murillo, qui intervint en sa faveur138. Il fallut même concéder un titre à une vieille dame qui n’avait rien demandé, la sœur de L. Daoíz, pour justifier l’anoblissement du frère de son compagnon d’armes139. En revanche, outre la place des revenus boursiers dans la fortune de ce fonctionnaire, le fait que Velarde ait été nommé au Sénat est une importante nouveauté. Il y fut relativement actif et exerça de ce fait un pouvoir politique comme membre des institutions représentatives, coopté par les détenteurs du pouvoir exécutif.
102Durant la première moitié du règne d’Isabelle II, la société libérale apparut dans le chaos de la guerre civile, puis se stabilisa et s’organisa durant les dix années du gouvernement modéré (1844-1854) sous une forme conservatrice et oligarchique qui posa les bases de la société espagnole pour près d’un siècle. Le contexte politique joua évidemment un rôle essentiel chez les nouveaux titres de Castille de la période. Ils présentent collectivement un visage relativement homogène, celui d’une « élite de pouvoir » qui, selon Juan Pablo Fusi, représenterait entre 6 000 et 8 000 personnes vers 1870140. Mais l’homogénéité du groupe n’est qu’une version de l’histoire. Il est tout aussi approprié de mettre en évidence que le groupe des nouveaux titrés incarne les changements parfois radicaux qui affectèrent la société espagnole des décennies 1830-1850.
103La réelle ouverture sociale du groupe permit d’intégrer des individus qui n’auraient probablement pas pu obtenir de titre avant 1833 : militaires sortis du rang, commerçants d’origine modeste, jeunes politiques à la trajectoire rapide, etc. La période témoigna également d’un changement dans les pratiques. La grandesse cessa d’être un milieu clos représentant le sommet de l’aristocratie, et s’ouvrit à des roturiers. Mais surtout, l’obtention d’un titre de Castille à l’époque libérale impliquait une cooptation au sein de réseaux d’amitié et de clientèle fortement ancrés dans la capitale. La centralisation croissante, conséquence de la construction de l’État libéral, affecta les élites espagnoles : on ne pouvait plus envisager d’obtenir un titre en étant une notabilité locale, il fallait être lié d’une façon ou d’une autre au pouvoir politique madrilène, dont les réseaux de pouvoir étaient plus fragmentés que sous Ferdinand VII et ses prédécesseurs. C’est pourquoi l’orientation politique, pour vague qu’elle fût, était un élément important pour obtenir un titre. Les revenus des nouveaux titrés, plus hétérogènes que dans les trois décennies antérieures, suggèrent que le titre ne représentait plus nécessairement le sommet de la hiérarchie sociale : de nombreux individus, soit politiquement notables (F. Martínez de la Rosa, par exemple), soit des hommes d’affaires riches et puissants, comme Nazario Carriquiri, n’eurent pas de titres de Castille. Le titre de noblesse libéral n’était plus qu’un marqueur comme un autre de l’appartenance aux élites. Cela suggère que la noblesse libérale était en cours de redéfinition.
Notes de bas de page
1Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit. ; Isabel Burdiel, « La ilusión monárquica del liberalismo isabelino », art. cit.
2Natividad Araque Hontangas, « Las elecciones de 1844: normativa, desarrollo y fraude », Cuadernos de Historia Contemporánea, no 29, 2007, p. 155-172.
3María Cruz Romeo Mateo, « La cultura política del progresismo […] », art. cit. ; Isabel Burdiel, « La tradición política progresista. Historia de un desencuentro », in Sagasta y el liberalismo español, Madrid, Fundación BBVA, 2000, p. 103-122.
4Rafael Zurita Aldeguer, « “Candidatos aceptados, apoyados, impuestos”. El gobierno ante las élites locales en la España liberal », in Rafael Zurita Aldeguer et Renato Camurri (éd.), Las Elites en Italia y en España […], op. cit., p. 145-165.
5Francisco Cánovas Sánchez, El Partido Moderado, op. cit. ; Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit. ; Jesús Pabón y Suárez de Urbina, Narváez y su época, Carlos Seco Serrano (éd.), Madrid, Espasa-Calpe, 1983.
6Eric Christiansen, The Origins of Military Power in Spain […], op. cit.
7En plus de nombreux travaux déjà cités, cf. Francisco Tomás y Valiente, Manual de Historia del Derecho español, in Obras completas, t. II, Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, 1997 (1re éd. : 1979) ; Juan Pro Ruiz, Bravo Murillo: política de orden en la España liberal, Madrid, Síntesis, 2006.
8Juan Pro Ruiz, « La práctica política de los Gobiernos antiparlamentarios del final de la Década Moderada (1851-1854) », Revista de las Cortes Generales, no 12, 1987, p. 7-57 ; Juan Pro Ruiz, « La formación de la clase política liberal en España […] », art. cit.
9Les travaux de Jorge Luengo sur la « société conjugale » sont essentiels : Jorge Luengo, « Las élites liberales: una sociedad conyugal », Historia Social, no 86, 2016, p. 91-108.
10Fernando Sánchez Marroyo, Los Grandes Cambios económicos y sociales en el grupo nobiliario en España: una aproximación a la dinámica de mediados del siglo xix, Madrid, RH+, 2013. Les travaux de Jesús Millán sont également fondamentaux : Jesús Millán, « La formación de la España contemporánea: el agotamiento explicativo del fracaso liberal », Ayer, no 98, 2015, p. 243-256.
11Sur la fin de la Décennie modérée, cf. Juan Pro Ruiz, « La práctica política de los Gobiernos antiparlamentarios […] », art. cit. ; Juan Pro Ruiz, Bravo Murillo […], op. cit. ; Isabel Burdiel, Isabel II: no se puede reinar inocentemente, Madrid, Espasa-Calpe, 2004 ; Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit. Pour les sources, cf. Andrés Borrego, De la organización de los partidos en España, op. cit.
12Manuel Sánchez Silva, Semblanzas de los señores diputados a Cortes […], op. cit.
13Ibid., p. 41-42.
14Andrés Borrego, De la organización de los partidos en España, op. cit., p. 115.
15Juan Rico y Amat, Diccionario de los políticos, ó verdadero sentido de las voces y frases más usales entre los mismos, Madrid, F. Andrés y Compañía, 1855, p. 294.
16Andrés Borrego, De la organización de los partidos en España, op. cit., p. 105.
17Archives diplomatiques de La Courneuve, Correspondance politique, Espagne, dépêche du 20 août 1844.
18Juan Pro Ruiz, « Socios, amigos y compadres […] », art. cit.
19Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit., p. 182-294. Cf. également Juan Pro Ruiz, « La formación de la clase política liberal en España […] », art. cit. ; Juan Pro Ruiz, Bravo Murillo […], op. cit. ; Alfonso de Otazu, Los Rothschild y sus socios españoles […], op. cit. ; Jesús Pabón y Suárez de Urbina, Narváez y su época, op. cit. ; Agustín Fernández Escudero, « Cartas de Juan de Mata Sevillano, Duque de Sevillano, a Ramón María Narváez, Duque de Valencia (1848-1864) », Hispania Nova. Revista de Historia Contemporánea, no 18, 2020, p. 1-37.
20Guy Thomson, El Nacimiento de la política moderna en España: democracia, asociación y revolución, 1854-75, Grenade, Comares, 2014, p. 33-35 et 275.
21AHN, Diversos-Titulos y Familias, 3566, Leg. 30, Exp. 15 ; 3575, Leg. 43, Exp. 7 ; 3576, Leg. 44, Exp. 11 ; 3548, Leg. 12, Exp. 18.
22AHN, Diversos-Titulos y Familias, 3543, Leg. 7, Exp. 39.
23Jorge Luengo, « Las élites liberales: una sociedad conyugal », art. cit.
24María Teresa Pérez Picazo, « La pequeña nobleza urbana […] », art. cit., p. 506-509.
25Manuel Sánchez Silva, Semblanzas de los señores diputados a Cortes […], op. cit., p. 168-169.
26Inés Roldán de Montaud, « La carrera de un alto funcionario moderado en Cuba: Vicente Vázquez Queipo (1804-1893) », in Jean-Philippe Luis (éd.), L’État dans ses colonies. Les administrateurs de l’empire espagnol au xixe siècle, Madrid, Casa de Velázquez, « Collection de la Casa de Velázquez », 2015, p. 137-156.
27William D. Rubinstein, « The end of “Old Corruption” in Britain, 1780-1860 », Past & Present, vol. 101, no 1, 1983, p. 55-86.
28Jorge Luengo, « Las élites liberales: una sociedad conyugal », art. cit. ; Víctor Manuel Núñez-García, « Las elites y la construcción del Estado liberal en España (1850-1874) », in Rafael Zurita Aldeguer et Renato Camurri (éd.), Las Elites en Italia y en España […], op. cit., p. 61-96.
29Juan Pro Ruiz, La Construcción del Estado en España […], op. cit., p. 238 sqq.
30Guy Thomson, El Nacimiento de la política moderna en España […], op. cit., p. 30-36, 273-365 et 338-339.
31Andrés Borrego, De la organización de los partidos en España, op. cit., p. 112‑114 ; Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit., p. 224‑232.
32Fernando Fernández de Córdova y Valcárcel, Mis memorias íntimas, op. cit., t. II, p. 219.
33Isabel Burdiel, « La ilusión monárquica del liberalismo isabelino », art. cit.
34Manuel Pando y Fernández de Pineda, Continuación de las Memorias […], op. cit., t. I, p. XVIII-XLIV.
35Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit., chap. 6 sqq. ; Juan Pro Ruiz, « La práctica política de los Gobiernos antiparlamentarios […] », art. cit.
36Renato Camurri, « Las elites italianas: estado de los estudios y perspectivas de investigación », in Rafael Zurita Aldeguer et Renato Camurri (éd.), Las Elites en Italia y en España […], op. cit., p. 11-26 ; ici p. 18.
37Ramón de Mesonero Romanos, Memorias de un setentón, op. cit., p. 101, 166, 313, etc.
38José Muñoz Maldonado, comte de Fabraquer, Los Prisioneros de Felipe II, Madrid, Guadarramistas, 2017 (1re éd. : 1858).
39José Luis Díez et Javier Barón, « Amalia de Llano y Dotres, condesa de Vilches, Madrazo y Kuntz, Federico de », Museo del Prado [En ligne], 2007, https://www.museodelprado.es/coleccion/obra-de-arte/amalia-de-llano-y-dotres-condesa-de-vilches/5aa9dcdd-3e53-40bd-84f4-d5afad8cbfdd.
40Fernando Fernández de Córdova y Valcárcel, Mis memorias íntimas, op. cit., t. II, p. 480. Sur la comtesse de Vilches, AHPM, 24240, 1839, fos 150 sqq.
41Ramón de Mesonero Romanos, Memorias de un setentón, op. cit., p. 494-502.
42Jean-François Botrel, « La sociabilidad provinciana […] », art. cit. ; Carlos Ferrera, « Los lugares de sociabilidad […] », art. cit.
43Jorge Luengo, « Las élites liberales: una sociedad conyugal », art. cit., p. 107-108.
44AGMJ, Marqués de Cúllar de Baza, Exp. 40, doc. 39.
45Manuel Sánchez Silva, Semblanzas de los señores diputados a Cortes […], op. cit., p. 178.
46Jesús Pabón y Suárez de Urbina, Narváez y su época, op. cit., p. 169 ; Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit., p. 517.
47Fernando Fernández Bastarreche, Los Espadones románticos, op. cit.
48Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit. Sur l’Union libérale, cf. Francesc Andreu Martínez Gallego, Conservar progresando: la Unión Liberal (1856-1868), Alzira, Centro Francisco Tomás y Valiente, 2001.
49Manuel Sánchez Silva, Semblanzas de los señores diputados a Cortes […], op. cit., p. 213.
50Mario Delgado, « Donoso Cortés: une interprétation apocalyptique de l’ère des masses », Mil neuf cent, no 9, 1991, p. 17-27.
51Juan Donoso Cortés, Historia política de la Regencia de la reina doña María Cristina de Borbón, María Rafaela Seguí Terol (éd.), Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, coll. « Clásicos del Pensamiento Político y Constitucional Español », 2016 (1re éd. : 1843), p. 128-129 et 140 ; Federico Suárez Verdeguer, Vida y obra de Juan Donoso Cortés, Pampelune, Eunate, 1997.
52Juan Donoso Cortés, Historia política de la Regencia […], op. cit., p. 85-86 et 98.
53AGMJ ; Archivo del Senado (Diario de Sesiones) ; AHN, Diversos, Títulos y Familias ; Pedro Chamorro y Baquerizo, Estado Mayor General del Ejército Español […], op. cit.
54Francisco Cánovas Sánchez, El Partido Moderado, op. cit., p. 177-246.
55Joaquín Francisco Pacheco, Biografía del Escmo. Señor D. Juan Bernardo O’Gavan y Guerra, Madrid, 1848, in AGMJ, Marqués de O’Gavan, Exp. 218, doc. 7.
56Archivo del Senado, Bernardo de Echevarría y O’Gaban, marquis de O’Gaban.
57Pedro Chamorro y Baquerizo, Estado Mayor General del Ejército Español […], op. cit., t. III, p. 282 et 317.
58Isabel Burdiel, « La ilusión monárquica del liberalismo isabelino », art. cit.
59AHN, Diversos, Títulos y Familias, 3538, Leg. 2, Exp. 39.
60Luis Garrido Muro, Guerra y paz […], op. cit., p. 223.
61Pedro Chamorro y Baquerizo, Estado Mayor General del Ejército Español […], op. cit., t. II, p. 217-220.
62Fichoz, no 0117679A.
63Alberto Gil Novales, Diccionario biográfico de España (1808-1833), op. cit. ; Alfonso de Otazu, Los Rothschild y sus socios españoles […], op. cit.
64Manuel Sánchez Silva, Semblanzas de los señores diputados a Cortes […], op. cit., p. 46-47.
65Ángel Ramón Del Valle Calzado, « Política y negocios en torno a Mendizábal y la desamortización. Una propuesta desde el análisis de redes », Historia Social, no 82, 2014, p. 3-27.
66Xosé Ramón Veiga Alonso, « El liberalismo conservador, orden y libertad », art. cit.
67Francisco Martínez de la Rosa, Espíritu del siglo, t. X, Madrid, Andrés Espinosa, 1851.
68Francisco Asenjo Barbieri, Notice biographique sur D. J. Gomez de La Cortina, marquis de Morante, ancien recteur de l’université de Madrid, sénateur du royaume d’Espagne, Paris, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1872, p. 14.
69Isabel Burdiel, « Análisis prosopográfico y Revolución liberal […] », art. cit.
70Juan Pro Ruiz, La Construcción del Estado en España […], op. cit., p. 467 sqq.
71AGMJ, Marqués de Esteva de las Delicias, Exp. 250, doc. 40.
72Jesús Cruz, El Surgimiento de la cultura burguesa […], op. cit., chap. 3.
73Michelle Perrot (éd.), Histoire de la vie privée. 4, De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, coll. « Points », 1999, p. 299-313.
74Juan Pro Ruiz, La Construcción del Estado en España […], op. cit.
75Guillaume Bacot, « Le suffrage censitaire d’après les débats parlementaires du début de la monarchie de Juillet », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, vol. 38, no 2, 2013, p. 241-255.
76André-Jean Tudesq, « Les listes électorales de la Monarchie censitaire », art. cit.
77Guy Antonetti, Louis-Philippe, op. cit., p. 646.
78Le grade de capitaine marquait sous l’Ancien Régime l’entrée dans l’hidalguía personnelle.
79Darina Martykánová et Víctor Manuel Núñez-García, « Ciencia, patria y honor: los médicos e ingenieros y la masculinidad romántica en España (1820-1860) », Studia Histórica. Historia Contemporánea, no 38, 2020, p. 45-75.
80Juan Carrillo de Albornoz y Galbeño, « Joaquín Loresecha y de Hijosa », Diccionario biográfico de la Real Academia de la Historia [En ligne], 2014, https://dbe.rah.es/biografias/77080/joaquin-loresecha-y-de-hijosa.
81AGMJ, Marqués de Hijosa de Álava, Exp. 2149, doc. 35.
82AHN, Ultramar, 4654, Exp. 1.
83AGMJ, Noble Afán, doc. 2 à 8.
84AGMJ, Noble Afán, doc. 17 et 25.
85AGMJ, Marqués de la Salud, Exp. 1699, doc. 1 et 4.
86José Arias Teijeiro, Diarios, op. cit., t. I, p. 235.
87Alberto Gil Novales, Diccionario biográfico de España (1808-1833), op. cit., t. II, G-O.
88Archivo del Senado, Joaquín Gómez de la Cortina, marquis de Morante ; Francisco Asenjo Barbieri, Notice biographique sur D. J. Gomez de La Cortina […], op. cit.
89En italique dans le tableau : les membres de la famille royale.
90Jean-Pierre Dedieu, « El canto del cisne del Imperio […] », art. cit.
91Andrés Borrego, De la organización de los partidos en España, op. cit., p. 126.
92AGMJ, Marqués de Fuentes del Duero, Duque de Sevillano, Exp. 863, doc. 1.
93Jean-Philippe Luis, L’Ivresse de la fortune […], op. cit., p. 308-310.
94AGMJ, Fuestes del Duero y Sevillano, doc. 51, 52 et 53.
95Agustín Fernández Escudero, « El duque de Sevillano (1790-1864): banquero de la revolución de 1854 », Hispania Nova. Revista de Historia Contemporánea, no 11, 2013.
96Juana María de la Vega, Memorias, op. cit., p. 2-3.
97Isabel Burdiel, Isabel II: una biografía […], op. cit., p. 91 sqq.
98Juana María de la Vega, Memorias, op. cit., p. 362-372.
99AGMJ, Condesa de Espoz y Mina, Exp. 1914, doc. 12.
100Pedro Chamorro y Baquerizo, Estado Mayor General del Ejército Español […], op. cit., t. II, p. 81.
101Luis Garrido Muro, Guerra y paz […], op. cit., p. 87.
102AGMJ, Vizconde de Villandrando, Exp. 300, doc. 54.
103Arnaud Pierre, « Los García de León y Pizarro […] », art. cit.
104En ce qui concerne le comte de Buena Esparanza, cf. Alfonso de Otazu, Los Rothschild y sus socios españoles […], op. cit. Sur le marquis du Duero : Secundino-José Gutiérrez Álvarez, « Los agobios económicos del marqués del Duero y el final de una gran propiedad », Cuadernos de Historia Contemporánea, no 14, 1992, p. 9-29. Sur le marquis de Fuentes del Duero : Fernando Sánchez Marroyo, Los Grandes Cambios económicos y sociales […], op. cit. Sur le marquis de Morante : Francisco Asenjo Barbieri, Notice biographique sur D. J. Gomez de La Cortina […], op. cit. Sur le marquis de Valdegamas : Federico Suárez Verdeguer, Vida y obra de Juan Donoso Cortés, op. cit. Sur le duc de la Victoire : Luis Garrido Muro, Guerra y paz […], op. cit. Au sujet du calcul de la rente moyenne : rendement de 5 % des revenus du capital.
105Archivo del Senado, Pedro de Zulueta y Ceballos, comte de Torre Díaz.
106Archivo del Senado, Carlos Drake y Castillo, comte de Vega Mar.
107Juan Bautista Vilar et María José Vilar, La Primera Revolución industrial española (1812-1875), Barcelone, Ariel, coll. « Practicum », 1998, p. 29-35. Rafael Vallejo Pousada, « Los amillaramientos como fuente estadística: una visión crítica desde la contribución territorial », Historia Agraria, no 20, 2000, p. 95-122.
108Fernando Fernández de Córdova y Valcárcel, Mis memorias íntimas, op. cit., t. II, p. 486 sqq. ; Raquel Sánchez García, « El Marqués de Salamanca y la amortización de los ferrocarriles », Cuadernos de Historia Contemporánea, no 25, 2003, p. 199-215.
109Fernando Fernández de Córdova y Valcárcel, Mis memorias íntimas, op. cit., t. II, p. 179-180.
110AGMJ, Marqués de Villavieja, Exp. 1810, doc. 11, fo 111.
111Archivo del Senado, Luis Hurtado de Zaldívar y Fernández de Villavicencio, marquis de Villavieja.
112AGMJ, Conde de Alpuente, Exp. 555 ; Archivo del Senado, Francisco Javier de Azpiroz y Jalón, comte de Alpuente ; AHPM, 37792, fos 2102 sqq.
113AHPM, 34769, fos 721-837.
114AGMJ, Marqués de Casa Lozano, Exp. 870, doc. 13.
115AHPM, 24921, fos 292-309. N. de Clavería y Zaldúa et A. de Urbistondo avaient la réputation d’administrateurs honnêtes. Le salaire régulièrement versé suffisait donc à accumuler un patrimoine (Xavier Huetz de Lemps, L’Archipel des épices. La corruption de l’administration espagnole aux Philippines (fin xviiie-fin xixe siècle), Madrid, Casa de Velázquez, coll. « Bibliothèque de la Casa de Velázquez », 2006, p. 44-45 et 294-295 ; Miguel Luque Talaván, « Narciso Clavería y Zaldúa: Gobernador y Capitán General de las Islas Filipinas (1844-1849) », Revista Complutense de Historia de América, no 23, 1997, p. 209-246).
116Francisco Cánovas Sánchez, El Partido Moderado, op. cit., p. 112.
117André-Jean Tudesq, « Les listes électorales de la Monarchie censitaire », art. cit.
118José María Lanzarote Guiral, Valentín Carderera (1796-1880). Dibujante, coleccionista y viajero romántico, Madrid, Biblioteca Nacional de España – Centro de Estudios Europa Hispánica, 2019, p. 335-351.
119Antonio José Juan Guill, Joaquín María López (1798-1855) (Thèse de doctorat), Alicante, Universidad de Alicante, 2015, p. 193.
120Jesús Cruz, Los Notables de Madrid […], op. cit., chap. 4.
121Fernando Sánchez Marroyo, Los Grandes Cambios económicos y sociales […], op. cit.
122Jean-Philippe Luis, L’Ivresse de la fortune […], op. cit., p. 182.
123Jean-Philippe Luis, « La dette publique et la reconfiguration des relations entre les financiers et l’État durant la dernière décennie de l’Ancien Régime espagnol (1823-1834) », in Anne Dubet et Jean-Philippe Luis (dir.), Les Financiers et la construction de l’État […], op. cit., p. 155-174.
124AHPM, 25515, fo 901.
125AHPM, 23712, fo 146.
126AHPM, 25515, fo 538.
127AHPM, 23706, fo 75.
128Jean-Philippe Luis, « Faire fortune sous Ferdinand VII », art. cit.
129AHPM, 23706, fo 135.
130AHPM, 23706, fo 90.
131Jean-Philippe Luis, L’Ivresse de la fortune […], op. cit., p. 241-249 et 252-255.
132Cristóbal García Montoro, El Mundo de los negocios en Málaga. Siglo xix, Malaga, Universidad de Málaga, 2011, p. 11-24.
133AGMJ, Conde de Velarde, Exp. 1526, doc. 26.
134Ricardo García Cárcel, El Sueño de la nación indomable: los mitos de la guerra de la Independencia, Madrid, Temas de Hoy, 2008, p. 96.
135AHPM, 31558, fo 575.
136AGMJ, Conde de Velarde, doc. 3.
137Archivo del Senado, Julián Velarde y Santillán, comte de Velarde.
138AGMJ, Conde de Velarde, doc. 9.
139AGMJ, Condesa de Daoíz, Exp. 1009, doc. 2.
140Juan Pablo Fusi Aizpurúa, Historia mínima de España, Madrid – Mexico, Turner – El Colegio de México, coll. « Historias Mínimas », 2012, p. 198. Víctor Manuel Núñez-García, « Las elites y la construcción del Estado liberal […] », art. cit.
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