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  • Le géographe face au monument restauré
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    Presses universitaires Blaise-Pascal
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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral 27 juillet 1987, Îles Orcades, au nord de l’Écosse 15-18 juin 2000, Tournée de reconnaissance dans les églises médiévales des bassins de Brive et d’Espalion 14 mars 2002, Dialogue interdisciplinaire dans les échafaudages du clocher de Saint-Nectaire 28 mai 2009, Balayage laser de la façade de Saint-Prejet de Malicorne Notes de bas de page Auteur

    Pour une histoire de la restauration monumentale (xixe-début xxe siècle)

    Ce livre est recensé par

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    Le géographe face au monument restauré

    Cheminements et interrogations

    Marie-Françoise André

    p. 349-355

    Texte intégral 27 juillet 1987, Îles Orcades, au nord de l’Écosse 15-18 juin 2000, Tournée de reconnaissance dans les églises médiévales des bassins de Brive et d’Espalion 14 mars 2002, Dialogue interdisciplinaire dans les échafaudages du clocher de Saint-Nectaire 28 mai 2009, Balayage laser de la façade de Saint-Prejet de Malicorne Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Si le monument restauré constitue un objet d’étude naturel pour l’archéologue du bâti, le géomorphologue (géographe travaillant sur l’érosion de la pierre en contexte naturel) ne se l’est que rarement approprié, au long de cheminements jalonnés de questionnements scientifiques, d’avancées technologiques et d’échanges interdisciplinaires. En témoigne la fructueuse collaboration nouée dans le cadre de la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand entre géomorphologues, archéologues du bâti et géomaticiens. Cette recherche partenariale, qui a culminé dans les années 2000-2010, prend sa source trois décennies en arrière.

    27 juillet 1987, Îles Orcades, au nord de l’Écosse

    2Le géographe, qui étudie à l’époque les phénomènes d’érosion affectant les affleurements rocheux polis par les glaciers du Grand Nord, tombe sous le charme du portail d’entrée de la Cathédrale Saint-Magnus, à Kirkwall. Les voussures bicolores de ce dernier, où alternent grès rouges et grès blancs, sont en effet rongées par l’érosion, de même que piédroits et chapiteaux. L’alvéolisation des grès par les sels marins se traduit par une profondeur d’érosion pouvant atteindre 10 cm sur les pierres d’origine entre lesquelles apparaissent des pierres neuves [Fig. 50]. Le bref rapport rédigé alors par le géographe porte en germe nombre d’interrogations qui vont s’affiner et se résoudre au moins partiellement au long des trois décennies qui suivent. Celles-ci concernent notamment :

    • l’influence exercée par la qualité de la pierre sur l’intensité de la détérioration : 80 % des grès blancs du portail de Saint-Magnus ont dû être remplacés, contre à peine 20 % des grès rouges, sans doute indurés par le fer ;

    • le rôle joué par les conditions microclimatiques induites par la microtopographie du monument : 80 % des pierres des voussures externes, les plus saillantes et donc les plus exposées aux embruns, sont profondément altérées ou remplacées, contre à peine 20 % des pierres de la voussure la plus interne, protégée des sels marins ;

    • la difficulté de caler chronologiquement les profondeurs d’érosion mesurées, face à un édifice dont la construction s’est échelonnée sur trois siècles (du xiie au xive siècle) et qui a connu au moins une phase de restauration, accompagnée du remplacement de certaines pierres.

    Fig. 50 : Détail du portail d’entrée de la cathédrale de Saint-Magnus, à Kirkwall, dans les Orcades (nord de l’Écosse)

    © Cl. M.-F. André.

    3Si l’attrait exercé par le portail de Saint-Magnus sur le géomorphologue de passage est indéniablement à l’origine de son intérêt pour l’étude de la détérioration de l’épiderme monumental, il faut attendre une quinzaine d’années pour que cet intérêt débouche sur la mise en chantier de véritables travaux de recherche.

    4Dans l’intervalle, c’est-à-dire principalement au long des années 1990, l’approche demeure exploratoire et se heurte à bien des écueils. Le caractère pointilliste de la démarche est attesté par la diversité des édifices visités pendant cette période : citadelles de la côte atlantique, églises de Galice, croix rurales de Xaintrie, lanternes des morts de la Haute-Vienne et calvaires du Finistère. À cette époque, la problématique pétrographique, chère au géomorphologue, est au cœur de sa réflexion, centrée sur l’érosion différentielle des matériaux de construction. Ainsi en Bretagne, l’excellente tenue des sculptures en kersantite, roche magmatique sombre à grain fin, contraste avec l’effacement des contours dans les granites sensibles à la désagrégation granulaire. Les problématiques associées aux interventions sur les édifices sont alors quasiment absentes du paysage intellectuel du géographe, sauf dans un site de la côte galicienne où des joints de ciment apparaissent fortement en saillie par rapport aux pierres de parement granitiques [Fig. 51]. Mais aucun lien de cause à effet ne lui vient à l’esprit, la question de la non-compatibilité des matériaux de construction et de restauration lui étant alors inconnue. Quant aux écueils rencontrés dans sa tentative d’estimation de la vitesse de détérioration de l’épiderme monumental, ils sont de deux ordres. La première difficulté consiste en l’absence d’un plan de référence matérialisant le niveau zéro de l’érosion à partir duquel le recul du parement peut être mesuré : nombre d’édifices visités, granitiques notamment, ont en quelque sorte « fondu » sur place sans conserver de zones d’origine intactes, à partir desquelles mesurer les pertes de matière. Autre difficulté : l’absence de datation d’un certain nombre d’édifices, au premier rang desquels les croix rurales.

    Fig. 51 : Détérioration des granites sur un mur non daté de la côte galicienne, à La Corogne

    © Cl. M.-F. André.

    15-18 juin 2000, Tournée de reconnaissance dans les églises médiévales des bassins de Brive et d’Espalion

    5Une tournée exploratoire, effectuée sur 65 églises médiévales du sud du Massif central, va permettre au géographe d’approfondir sa réflexion et d’engager une première vague de travaux de recherche dédiés à l’érosion de l’épiderme monumental. Mais son attention reste focalisée sur la qualité des matériaux, qu’il considère alors comme « LE » facteur explicatif de l’ampleur inégale des détériorations observées : ainsi, sur le portail d’entrée de l’église d’Estivals en Corrèze, il est frappé par la bonne tenue des chapiteaux calcaires et par la vulnérabilité des piédroits en grès micacés qui se sont amincis de moitié depuis le xie siècle. La question de la restauration se fait néanmoins jour de manière récurrente lors de cette tournée, soit que l’importance des remplacements récents de pierres ait remis les pendules de l’érosion à zéro, soit qu’un recul particulièrement marqué de certains grès soit associé à un rejointoiement moderne au ciment. Suite à cette tournée fondatrice, deux mémoires de master vont être soutenus au Laboratoire GEOLAB de l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand sur le recul des pierres de parement des églises du Bourbonnais et du Puy-de-Dôme. Travaux stimulants, mais qui mettent à jour deux écueils qui jettent le doute sur la validité des mesures d’érosion effectuées : d’une part, l’absence de représentativité de mesures ponctuelles des pertes de matière, effectuées avec des baguettes graduées et des conformateurs de charpentier ; d’autre part, la difficulté pour le géographe de différencier pierres médiévales et pierres remplacées au xixe siècle et donc de rapporter la tranche d’érosion mesurée à un laps de temps bien calé chronologiquement.

    14 mars 2002, Dialogue interdisciplinaire dans les échafaudages du clocher de Saint-Nectaire

    6Cette journée printanière marque les débuts d’un dialogue interdisciplinaire qui n’a pas fini de porter ses fruits. Entraîné par l’archéologue du bâti dans les hauteurs de l’église de Saint-Nectaire, le géographe découvre un monde qui lui est inconnu, celui des mortiers, des marques d’outils et autres signes lapidaires. Ce jour-là, il apprend à faire le distinguo entre les joints de mortier rosâtres riches en chaux et à sables grossiers non tamisés du xiie siècle, et les joints gras et débordants lissés au fer du xixe siècle. Il apprend également à discriminer marques d’outils du xiie siècle aux reliefs arrondis et aux sillons usés, et marques du xixe siècle à angles vifs et sillons nets. Mais il prend également conscience de la difficulté de l’exercice, en raison des reprises ultérieures de pierres du xiie siècle retravaillées à la boucharde au xixe siècle, et des talents d’imitateurs des tailleurs de pierre contemporains qui impriment sur des pierres neuves des traces analogues à celles en usage au Moyen Âge (taille en feuille de fougère ou en arête de poisson). L’expertise de l’archéologue du bâti est donc impérativement requise pour débusquer les pièges tendus au géographe, candide en la matière, et la collaboration interdisciplinaire lui est désormais indispensable pour caler dans l’espace et dans le temps le niveau zéro de l’érosion.

    7Mais si la demande première émane du géographe, la collaboration s’avère très vite à bénéfices réciproques, l’archéologue du bâti trouvant dans le dialogue avec le géographe une stimulation intellectuelle ancrée dans une pratique de terrain et un rapport à la matière partagés, peu répandus dans une sphère académique dominée par les historiens des textes. Ce dialogue s’approfondira au long des ans, avec une attention croissante de la part du géographe pour les interventions humaines sur le bâti et son environnement, et pour l’évaluation de leur impact sur l’accélération de la vitesse de détérioration de l’épiderme monumental. Reprises en sous-œuvre avec des matériaux non compatibles, rejointoiements au ciment sur des roches intrinsèquement fragiles, éradication de la fourrure végétale (lichénique à arborée) tamponnant les agressions atmosphériques de l’épiderme monumental, sont en effet légion, de l’Auvergne jusqu’au Cambodge où s’effectueront des missions communes. Alors que la problématique première du géographe était purement naturaliste (qualité de la pierre versus agressivité du climat), elle se recentre progressivement, au contact de l’archéologue du bâti, sur la quantification de l’accélération de la détérioration de l’épiderme monumental due aux interventions humaines. Il ne manque plus, pour que la mesure de cette érosion accélérée soit fiable et représentative, que soit accompli par les géomaticiens un saut technologique permettant la spatialisation des phénomènes d’érosion à la surface des édifices.

    28 mai 2009, Balayage laser de la façade de Saint-Prejet de Malicorne

    8L’historique de cette façade, en partie restaurée en 1943, ayant été décrypté par l’archéologue du bâti, une opération de spatialisation 3D comparant le recul des parements dans les parties anciennes et les parties restaurées peut être conduite [Fig. 52]. L’acquisition d’équipements de lasergrammétrie et de photogrammétrie a en effet permis à l’équipe multidisciplinaire constituée de géomorphologues, archéologues du bâti et géomaticiens, intégrée à des programmes de l’IUF et de la MSH de Clermont, d’assurer à la démarche engagée de quantification de l’érosion de l’épiderme monumental fiabilité et représentativité des mesures7. Couplé à l’expertise de l’archéologue du bâti validant et datant la surface de référence (niveau zéro de l’érosion) sur chaque site, cet arsenal technologique va notamment permettre de mettre en évidence le décuplement du recul des parements des églises de l’Allier rejointoyés au ciment dans les grès tendres et les effets dévastateurs sur les gneiss médiévaux de la reprise en sous-œuvre de l’abbatiale Saint-Sébastien de Manglieu (Puy-de-Dôme) avec des granites durs et peu poreux. On trouvera les principales références des travaux réalisés sur les effets délétères de l’introduction de matériaux non compatibles lors d’opérations de restauration des églises romanes d’Auvergne8.

    Fig. 52 : Utilisation du scanner laser 3D, Saint-Prejet de Malicorne (Allier)

    © Cl. M.-F. André.

    9Les avancées scientifiques nées du dialogue entre le géographe et l’archéologue du bâti vont les amener à partager une vision intégrée de l’épiderme monumental, s’affranchissant des frontières entre nature et culture et exaltant « la beauté de l’imperfection9 » née de l’érosion ou de la végétalisation des parements. En rupture avec l’hygiénisme et l’interventionnisme des xixe-xxe siècles, cette vision commune les conduit tout naturellement à prôner une gestion douce, durable et économe des édifices patrimoniaux et de leur environnement10.

    Notes de bas de page

    7Franck Vautier et Olivier Voldoire, « Comparaison lasergrammétrie-photogrammétrie pour la mesure de l’érosion de pierres de façade, abbatiale de Manglieu, Puy-de-Dôme », Collection Edytem, no 12, 2011, p. 199-205.

    8Marie-Françoise André, « Interventions humaines sur l’épiderme du bâti médiéval et son environnement : pour le meilleur ou pour le pire ? », in Bruno Phalip (dir.), D’épiderme et d’entrailles. Le mur médiéval en Occident et au Proche-Orient, xe-xvie siècles, Presses universitaires Blaise-Pascal, coll. « Histoires croisées », Clermont-Ferrand, 2017, p. 207-213.

    9Roberto Peregalli, Les lieux et la poussière – sur la beauté de l’imperfection, Paris, Éditions Arléa, Paris, 2012, 167 pages.

    10Marie-Françoise André et Bruno Phalip, « Programmes TECHNE et CITADEL. Un paradis perdu. Restaurer ou les effets de l’intervention humaine sur le cours du temps – à propos de quelques réalités monumentales (France, Cambodge) », in La Maison des Sciences de l’Homme de Clermont : une décennie au service des SHS et de l’interdisciplinarité (J.-Ph. Luis et L. Rieutort dir.), Revue d’Auvergne, no 130, 2016, p. 149-171.

    Auteur

    • Marie-Françoise André

      Professeure émérite, GEOLAB, Université Clermont Auvergne

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    7Franck Vautier et Olivier Voldoire, « Comparaison lasergrammétrie-photogrammétrie pour la mesure de l’érosion de pierres de façade, abbatiale de Manglieu, Puy-de-Dôme », Collection Edytem, no 12, 2011, p. 199-205.

    8Marie-Françoise André, « Interventions humaines sur l’épiderme du bâti médiéval et son environnement : pour le meilleur ou pour le pire ? », in Bruno Phalip (dir.), D’épiderme et d’entrailles. Le mur médiéval en Occident et au Proche-Orient, xe-xvie siècles, Presses universitaires Blaise-Pascal, coll. « Histoires croisées », Clermont-Ferrand, 2017, p. 207-213.

    9Roberto Peregalli, Les lieux et la poussière – sur la beauté de l’imperfection, Paris, Éditions Arléa, Paris, 2012, 167 pages.

    10Marie-Françoise André et Bruno Phalip, « Programmes TECHNE et CITADEL. Un paradis perdu. Restaurer ou les effets de l’intervention humaine sur le cours du temps – à propos de quelques réalités monumentales (France, Cambodge) », in La Maison des Sciences de l’Homme de Clermont : une décennie au service des SHS et de l’interdisciplinarité (J.-Ph. Luis et L. Rieutort dir.), Revue d’Auvergne, no 130, 2016, p. 149-171.

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    André, M.-F. (2021). Le géographe face au monument restauré. In B. Phalip & F. Chevallier (éds.), Pour une histoire de la restauration monumentale (xixe-début xxe siècle) (1‑). Presses universitaires Blaise-Pascal. https://doi.org/10.4000/13i2b
    André, Marie-Françoise. « Le géographe face au monument restauré ». In Pour une histoire de la restauration monumentale (xixe-début xxe siècle), édité par Bruno Phalip et Fabienne Chevallier. Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise-Pascal, 2021. https://doi.org/10.4000/13i2b.
    André, Marie-Françoise. « Le géographe face au monument restauré ». Pour une histoire de la restauration monumentale (xixe-début xxe siècle), édité par Bruno Phalip et Fabienne Chevallier, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2021, https://doi.org/10.4000/13i2b.

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    Phalip, B., & Chevallier, F. (éds.). (2021). Pour une histoire de la restauration monumentale (xixe-début xxe siècle) (1‑). Presses universitaires Blaise-Pascal. https://doi.org/10.4000/13hyx
    Phalip, Bruno, et Fabienne Chevallier, éd. Pour une histoire de la restauration monumentale (xixe-début xxe siècle). Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise-Pascal, 2021. https://doi.org/10.4000/13hyx.
    Phalip, Bruno, et Fabienne Chevallier, éditeurs. Pour une histoire de la restauration monumentale (xixe-début xxe siècle). Presses universitaires Blaise-Pascal, 2021, https://doi.org/10.4000/13hyx.
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