URL originale : https://books.openedition.org/pub/7880
Penser la communauté : le roman à thèse de la fin du xixe siècle
p. 53-61
Texte intégral
1L’extrême lisibilité de cette forme romanesque qui pousse à son acmé une « forme excessive du dire »1 la rend désuète pour un lecteur contemporain, elle n’a d’ailleurs pas toujours été parfaitement reçue à la fin du xixe siècle, où elle reparaît significativement. Henry Bordeaux affirmait à son sujet en 1902 : « Un roman qui par endroits ressemble à une conférence de l’armée du salut ne saurait être un bon roman ». L’on sait depuis longtemps qu’une œuvre n’est pas réductible aux intentions auctoriales, et même pour le roman à thèse, le feuilletage du texte mérite quelque attention. Nous sommes en présence d’une forme romanesque qui aurait le fantasme d’une transitivité, elle, dont la visée est bien de provoquer ou renforcer un sursaut de conscience chez le lecteur, qui le forme, et le mette en mouvement dans son existence ordinaire. C’est dire que la littérature, et particulièrement au moment de l’Affaire Dreyfus, quand la république est menacée, est envisagée dans une proximité avec la cité et certains écrivains (Zola, Barrès, Bourget) ne la conçoivent alors qu’au cœur de la vie publique, en réaction au solipsisme littéraire de la poésie symboliste ou aux tendances autotéliques du roman célibataire. On pourrait déceler là le danger d’une fonctionnalité puis d’une dilution de la littérature, puisque le roman se met au service d’une cause qui l’excède et le subsume. Pour les auteurs qui nous occupent, il s’agit davantage d’affirmer que le politique a besoin de la littérature, et en engageant celle-ci au service de la cité, ils affirment sa suprématie tout autant que son irréductible autonomie, dans le diagnostic qu’elle est capable de proposer.
2Que peut la littérature dans la conduite des vies humaines, dans l’organisation de la cité, quel est son pouvoir d’entraînement, quelle est son autonomie et sa force subversive par rapport à l’existant, quelle est son exigence éthique ? Ces questions taraudent le roman à thèse dont ses auteurs ne peuvent ignorer que leurs créations ne sont aucunement vouées à la postérité, mais au contraire à l’obsolescence, car l’œuvre s’inscrit dans une contingence. Celle-ci impose à l’écrivain de produire un écrit dévolu à une cause, qui apparaît comme une priorité, et excède tout désir intime d’écriture. Œuvre de circonstance et d’une absolue nécessité, telle est perçue l’élaboration du roman à thèse2. Exigence d’une parole qui se pare d’une légitimité, quand l’écrivain se sent fondé à parler pour l’autre dans une société à la dérive, pour refonder les valeurs d’une communauté ; tel est l’enjeu du roman à thèse, qui témoigne alors du pouvoir, de la puissance des effets de l’écriture au cœur même de la société. Perspective apologétique s’il en est, où la littérature n’entend pas se départir des questionnements qui fondent le lien social, valeurs assignées à la morale, au politique, à la religion.
3La perception d’un danger suscite l’imminence de l’écriture du roman à thèse. Engager son œuvre très strictement dans un présent implique une consonance forte avec un discours de la société de référence, c’est être dans une forme d’adhésion radicale au présent qui en conteste néanmoins la pertinence. C’est de la perception d’une dangereuse disharmonie entre l’individu et la communauté de référence, qu’émerge le roman, pour les œuvres qui nous occupent, les Quatre Evangiles de Zola (Fécondité, Travail, Vérité), L’Etape de Paul Bourget, Les Déracinés de Maurice Barrès. Les personnages de ces romans sont tous à des degrés divers dans une réelle dissonance avec leur sphère d’origine, et ils vont œuvrer pour changer le monde et y trouver un ancrage qui puisse y justifier leur présence. Ce sentiment profond d’impossible inscription dans la société existante entraîne des positions compensatoires qui s’articulent autour d’un repli communautaire (fondé sur des valeurs religieuses et anti-républicaines pour Bourget ou nationalistes pour Barrès) ou d’une expansion conquérante (fondée sur des valeurs républicaines et humanistes chez Zola), élans divers donc, suivant l’idéologie qui préexiste à l’écriture, vouloir se protéger de l’autre ou s’ouvrir à l’autre façonne l’écriture d’enjeux et d’effets particuliers. Evidemment cela s’accompagne de la présence forte d’une voix, celle de l’écrivain que diverses modalités textuelles ont la charge de porter (discours de vérité avec tournures généralisantes, interpellation du lecteur, mosaïque de genres discursifs, plainte, blâme, éloge, pamphlet etc…), recensions, redondances des discours, des scènes, des motifs. Le roman à thèse a donc pour ambition de forger un idéal du vivre ensemble, et pour ligne de mire de figurer la réintégration du personnage à l’intérieur d’une communauté dont la cohésion repose sur des valeurs partagées. En représentant une confiance entre les hommes (qui échappe pour ces romans à l’économique), en la désignant comme possible, le roman travaille à la constitution d’un lien, et en cela il fait œuvre de morale. Ainsi les romans à thèse ne cessent d’offrir au lecteur un enseignement d’expérience morale avec ses doutes, ses refus, ses enthousiasmes jusqu’à l’élaboration de certitudes, invitation à des méditations extra-textuelles. C’est ce cheminement qui tient à la fois de l’empathie et du savoir, de l’émotion et de la réflexion que ménage le roman à thèse.
4Le phénomène de réémergence de ce genre à la fin du xixe siècle renvoie évidemment, nous l’avons vu, à la place assignée à la littérature au sein de la société, mais aussi au rôle de l’écrivain au sein de celle-ci. Le magister du roman à thèse se déploie conjointement à une prise en compte de la jeunesse, devenue génération susceptible de réparer le traumatisme de 1870, et plus généralement il participe d’un grand élan pédagogue (lois sur l’école, développement d’éditions scolaires et de jeunesse, universités populaires etc…) et d’un imaginaire pédagogique qui finalement atteint également la littérature. Il convient d’aider la jeunesse à s’affermir, à se constituer, il faut donc veiller à « l’éparpillement des forces vives » selon Bourget. L’écrivain devient alors autorité, lui qui se doit de donner des conseils transmissibles à une communauté. En 1890 avec Le Disciple, Bourget créa un choc en mettant en exergue le contrat de responsabilité qui lie le romancier à son lecteur3. Il commence ainsi sa préface : « C’est à toi que je veux dédier ce livre, jeune homme de mon pays, à toi que je connais si bien quoique je ne sache de toi ni ta ville natale, ni ton nom, ni tes parents, ni ta fortune, ni tes ambitions, rien sinon que tu as plus de dix-huit ans et moins de vingt-cinq, et que tu vas, cherchant dans nos volumes, à nous tes aînés, des réponses aux questions qui te tourmentent. Et des réponses ainsi rencontrées dépend un peu de ta vie morale, un peu de ton âme ; et ta vie morale, c’est la vie morale de la France même, ton âme, c’est son âme (…) Qu’auras-tu recueilli, qu’aurez-vous recueilli dans nos ouvrages ? Pensant à cela, il n’est pas d’honnête homme de lettres, si chétif soit-il, qui ne doive trembler de responsabilité »4. La posture d’autorité de l’écrivain limite quelque peu la compétence interprétative du lecteur, et Gide précise d’ailleurs dans la préface de L’Immoraliste : « Le public ne pardonne plus aujourd’hui que l’auteur, après l’action qu’il peint, ne se déclare pas pour ou contre ; bien plus au cours même du drame, on voudrait qu’il prît parti, qu’il se prononçât nettement soit pour Alceste, soit pour Philinthe, pour Hamlet ou pour Ophélie, pour Faust ou pour Marguerite, pour Adam ou pour Jéhovah »5. L’écrivain a parfois un discours péremptoire6, et s’il a une responsabilité morale, c’est probablement celle de croire en la possibilité d’une humanité autre, de réenchanter le monde par des fictions devenues des « leçons d’énergie », par l’assomption de valeurs nouvelles, susceptibles de creuser sur le terreau de la banalité de l’ordinaire une voie vers l’exemplarité, qui transfigure cet ordinaire déceptif en un élan vers une accession à des valeurs supérieures, qui finalement justifient et redonnent sens au fait d’être au monde.
5Les trois auteurs de notre corpus s’évertuent à fictionnaliser les prémices (Barrès, Bourget), ou la réalisation d’une communauté nouvelle (qui pour Zola s’élargit peu à peu à la société toute entière). Bien que servant des causes antagonistes7, les romans respectent un même ordonnancement : ils s’appuient tous sur l’évocation préalable d’un désordre absolu qui mine la société du roman et fait évidemment peser la menace du chaos, « cet exécrable monde dont la charpente craquait de pourriture »8. Et ces romans réfractent le geste d’engagement de l’écrivain, en mettant à leur tour en texte des fictions d’engagement, manière d’exhiber le fait que l’engagement ne se lit pas que dans la teneur du discours, mais aussi dans l’agencement des formes textuelles. L’engagement du protagoniste qui se met en mouvement pour incarner la thèse du roman ressortit d’abord à la sphère de l’intime, à l’affleurement de l’émotion. Bourget multiplie les mentions du travail sourd qui permet au héros d’accéder à sa vérité et à la voie de son propre engagement (« cet orage intime se déchaînait en lui »9, « c’était un gémissement de tout son être aigu et violent »). La structure d’apprentissage10 fait ici jouer la dramatisation dans la durée, c’est l’intimité profonde de l’être qui peu à peu accepte d’accueillir une nouvelle croyance. Chez Zola, puisqu’il s’agit d’une structure antagonique, le combat n’est pas à livrer au sein d’une intériorité impétueuse, mais à l’extérieur du héros ; les personnages agissent par un don d’eux-mêmes pour une communauté élargie, c’est donc l’image d’une extériorité souffrante, défaillante qui s’imprime en eux, et agit comme une révélation qui décide de la mise en mouvement du héros.11 Chez Bourget et Barrès, il faut avant tout que l’individu acquière une claire conscience de son particularisme, afin de constituer une communauté restreinte qui est une forme de communautarisme fermé, et le remuement de l’être ne se fait que dans un mouvement d’intériorité par la voie de la conviction progressive.
6Ces œuvres sont hantées par l’idée d’un dérèglement, d’une désunion, d’une dissonance, et sont tendues vers l’émergence d’un ordre nouveau, d’un ordre unitaire à l’échelle de la communauté, même restreinte. Tous proposent donc une réflexion sur les moyens de restaurer et constituer durablement une texture sociale et éthique. Les réponses évidemment diffèrent. Pour Barrès, le diagnostic est clair, l’irresponsabilité et la faute du rationalisme kantien incarné par le professeur Bouteiller ont fait dériver la jeunesse12. La sauvegarde est dans l’élimination des branches gâtées de l’arbre social, ainsi le jeune Racadot, individualiste, déraciné et déclassé deviendra meurtrier et sera éliminé. Le grand danger pour Barrès, est que l’individualisme qui a été promu valeur suprême, vienne altérer l’intégrité de la communauté, qui au contraire est une forme d’abrasement des individualismes. C’est cet apprentissage négatif qu’ont effectué les jeunes lorrains (« Ils veulent être des individus »). Leur quête porte alors sur l’essence du lien qui fonderait un groupe : « mais où trouver maintenant un lien entre les individus, quel homme, quelle idée peuvent aujourd’hui fournir à des imaginations le modèle, l’élan initial, l’image exaltante ? »13 Ces jeunes lorrains connaîtront diverses fortunes, arrivistes, meurtriers, mais seuls ceux qui auront éprouvé la nécessité de l’enracinement connaitront l’apaisement. C’est cette valeur d’appartenance à une terre ressentie dans sa chair qui fonde l’individu et le lie aux autres pour Barrès, et non plus l’attachement à des principes universels. Barrès prône alors la constitution d’une communauté de sentiments et de sensations, une communauté effusive qui échappe à toute rationalisation, et qui est basée sur le partage d’une même tradition issue du même terreau. Chez Bourget la pensée de la communauté passe par l’attachement à une tradition qui est d’abord une conservation des différences sociales. Il ne cesse de fustiger le nivellement égalitaire orchestré par les principes de 1789. Jean Monneron, fils de professeur à Louis-le-Grand, produit de l’école républicaine, et petit-fils de « la bonne race des cultivateurs vivarais » affirme : « Nous sommes trop voisins du peuple, nous n’avons pas été préparés à ce que nous sommes devenus »14. Si l’ascension sociale est source d’égarement, l’absence de direction religieuse et le déracinement sont évoquées sur le mode de l’anéantissement, du manque : « Nous sommes tous (…) des déplantés, des déracinés, nous n’avons pas de milieu… »15. La société que peint Bourget se décline sur le mode de la perte, sociologique, métaphysique, qui engendre inévitablement l’errance des individus (l’évolution des enfants du professeur Monneron en atteste, fille perdue, vaurien, malfrat, constituent la promesse d’avenir du républicain atteint de jacobinisme militant). L’horizon de la religion catholique, que suggère la thèse du roman, est une promesse d’union, comme reconfigurant une communauté élective.
7L’idéologie passéiste et traditionnaliste de ces deux textes s’ancre, en vérité, dans une négation des mouvements de l’histoire, afin de tenter un retour offensif vers le passé, dans le désir d’une restauration à des temps fantasmés, à une sorte de temporalité imprécise qui innerverait le présent de la force d’un passé (mais lequel ?) éprouvé. Cela s’inscrit en surimpression d’une peinture de la société du présent rongée par le cosmopolitisme et l’égalitarisme. La victimisation des jeunes générations dans un tel discours vient alimenter l’idée d’un ordre social altéré par l’étrangéité, dans lequel ne peut donc s’élaborer aucune commune visée. Ainsi peut se développer la métaphore de l’organisme vivant altéré par des maux extérieurs. Le romancier se prononçant sur la gravité de l’altération du corps social, prend la posture du thérapeute de la société, légitimant ainsi son propos. Et sa figuration d’un monde dé-naturé justifie le recours à la loi du sol, devenue seul maillon possible de sauvegarde d’un bien commun. Ces romans ne cessent de déployer toutes les formes d’attestation à une appartenance, à une lignée, à une origine précise dans une géographie physique et mentale : énumération généalogique, « un type, un dépôt des générations »16, histoire des liens familiaux, des possessions terriennes, des mentalités particulières. Cette communauté du sol reproduit à l’envi l’inégalité de naissance17, et procède du fantasme d’une immuabilité et de la préservation d’une forme originelle. L’enracinement permet donc d’affirmer une identité unique, vécue sur le mode de la distinction et alimente le refus de l’altérité, du « cosmopolitisme »18 dont il convient de s’extraire.19 C’est donc d’une communauté hermétiquement close sur elle-même dont il s’agit, qui se nourrit du refus de tout changement, partant, de toute forme de modernité. Le fantasme du même, d’une unité absolue alimente l’encensement de valeurs refuges que sont la famille, le sol évidemment, la religion (pour Bourget), le respect des traditions et des canons du passé dans toutes les formes d’art20. Mythe d’une identité communautaire envisagée comme fracture, comme repli sur elle-même, et comme forme d’exception exemplairement remarquable, mais qui s’apparente aussi à l’expression d’un égotisme inévitablement mortifère.
8Figés sur l’évocation d’un présent déceptif et dessinant les linéaments du repli communautaire, les romans de Barrès et Bourget sont contenus dans une restriction temporelle et spatiale. A l’opposé, ceux de Zola sont rivés à l’expansion d’une communauté élargie et ipso facto à une ouverture spatiale toujours renouvelée21, c’est en quelque sorte une expansion spatiale et idéologique que peint le romancier. Zola a fait une lecture de l’affaire Dreyfus qui renvoie à l’aveuglement du peuple français coupable d’acquiescement aux théories nationalistes et antisémites, mais aussi à la collusion des pouvoirs entre l’armée, l’Eglise et le politique, bref à une faillite de la république. Aussi franchit-il le pas de verser dans une représentation utopique d’une communauté constituée, comme promesse d’une projection à venir. Chaque roman actualise une nouvelle cité basée sur les valeurs de travail, d’éducation, de lien social fait de solidarité, de respect d’accueil de l’autre, de partage, et d’émancipation des tutelles de l’argent, de l’église, et des institutions. Zola élabore dans chaque roman, des communautés parfois proches du phalanstère fouriériste (Travail), soudées autour des valeurs d’un guide/prophète laïc, qui se développent à côté ou au cœur (avec Vérité) d’une société pré-existante, et peu à peu la contaminent jusqu’à l’absorber totalement. Il apparaît in fine que là encore, la recherche d’une unité parfaite, n’évite pas l’écueil signalé pour les romans de Barrès et Bourget de la dénégation d’une possibilité de discordance, même si le discours idéologique de ces œuvres se situe aux antipodes. L’unité confondante, l’unanimité ressassante signe l’évanescence de tout particularisme et a fortiori de toute trace d’individuation. La nouvelle humanité heureuse se transforme en une béatitude qui n’est que la réitération du même : ainsi les divers tableaux de socialité heureuse (fêtes, repas, rites) sont des moments de communion intense. Les communautés totalitaires de Zola dépendent du verbe des patriarches qui les animent. Zola a poussé le roman jusqu’à ses propres limites, jusqu’à l’exténuation du discours des personnages qui ne sont que des résonances d’un discours autorisé, (celui du narrateur), jusqu’à la dissolution de soi au profit de l’excellence communautaire. Si la rancœur, l’exaspération, dessinaient pour les romans de Barrès et Bourget un retour obsessionnel vers un passé mystifié, les derniers romans zoliens se projettent dans un faux avenir compensatoire qui ne permet aucune projection de l’individu. Si pour les uns la communauté était fondée sur un sentiment de souffrance partagée, de reconnaissance identitaire mêlée de pathétique, Zola, lui, crée des communautés effusives qui renvoient à l’acquiescement et à la reconnaissance d’une autorité qui met à mal l’empathie du lecteur, dans une écriture de l’excès.
9Ces textes ont espéré que la littérature comblerait les failles du politique, et peut-être même se penserait dans un rapport de domination par rapport à lui, que le récit deviendrait une propédeutique à l’accession d’un nouvel ordre, ils ont fait le rêve de créer une forme de révélation et de salut à l’usage du lecteur. Mais la saturation d’un discours autoritaire, et l’élaboration de communautés de l’uniformité n’étaient pas très propices à provoquer le remuement des âmes et l’adhésion irréfragable de celles-ci. Le danger est bien celui de l’inflation d’une parole, qui par l’excès de ses effets, altère la captation du lecteur et le laisse à distance. Aucun n’échappe véritablement à ce péril, Barrès et Bourget infléchissent fortement leur discours vers la diatribe et Zola verse dans un lyrisme trop prégnant, tout en suggérant néanmoins que le chant de la communauté, doit être perceptible dans la forme créée.
10Ces écrivains ont éprouvé l’absolue nécessité, à la fin de ce xixe, siècle de penser une communauté autre, et partant, de penser une forme, pour chacun d’eux, inédite. L’engagement impose ses marques dans l’écriture ; la manière de penser la communauté induit la forme même de l’écriture. La communauté de la conservation, du repli sur soi qu’offrent Barrès et Bourget, déploie une matière discursive fortement marquée par les traces du pamphlet, de la raillerie, de la rancœur, quand celle de Zola qui veut réenchanter le quotidien déploie peu à peu une forme de chant continu qui s’engage vers la voie d’une élévation sublime et d’un sacré profane. Et la croyance infinie dans la puissance de dévoilement de la littérature fait de ces œuvres un incomparable document pour qui veut penser une histoire des formes et des manières de faire sens.
Notes de bas de page
1 L’expression est empruntée à Luckas
2 On remarquera que les romans à thèse ne constituent jamais qu’une partie infime de la production d’un écrivain.
3 Pour ce roman, Bourget s’est inspiré de l’affaire Chambige pour laquelle il a pensé avoir une responsabilité morale, Chambige avait visité parfois Bourget, il commit un meurtre ensuite à Constantine. « Un crime littéraire » titrait Anatole France dans Le Temps du 11 novembre 1888.
4 Le Disciple, éd. La Table ronde, 1994, p12
5 L’Immoraliste, ed. Folio, 1992, p. 10
6 Voir Denis Pernot, La Jeunesse en discours, Champion 2007
7 L’Etape s’attache à la conversion progressive de Joseph Monneron, fils de professeur républicain et anticlérical, aux idées catholiques et anti-républicaines. Les Déracinés trace les parcours jalonnés d’embûches, la perdition parfois, de jeunes lorrains « déracinés » à Paris après avoir subi l’influence de Bouteiller un professeur de philosophie, gambettiste et kantien. Les Quatre Evangiles de Zola, Fécondité, Travail, Vérité, évoquent l’élaboration progressive de sociétés nouvelles fondées sur les valeurs suggérées par les titres des œuvres
8 Travail, Œuvres complètes, tome VIII, éd. Tchou Paris 1968, p. 626
9 L’Etape, Librairie Plon, p. 30 et p. 42
10 Voir Le roman à thèse ou l’autorité fictive, Susan Suleiman, Puf, 1983
11 Dans Travail, le héros Luc, après la rencontre avec la misérable Josine, allégorie du peuple souffrant, décide de diriger une usine, de réorganiser la conception du travail, et au-delà la cité entière, construisant peu à peu une nouvelle communauté « Jamais plus, il ne devait oublier cette communion de souffrances et de bonté, ce pain de vie donné à la plus misérable des créatures »
12 De même Bouteiller fait dériver son bel idéal dans la corruption et les intrigues des cabinets ministériels où il va servir (voir Leurs Figures)
13 Les Déracinés, éd. Champion, 2004, p. 100
14 Op. cit, p. 459
15 Op. cit, p. 456
16 Les Déracinés, op. cit, p. 103
17 Racadot est ainsi le « type de l’esclave rural »
18 On ne peut qu’être frappé à plus d’un siècle d’écart de la permanence de cette pensée nationaliste dans notre société
19 Sturel, ayant rencontré une femme orientale, portera longtemps cette forme d’altération : « Quand même la moralité sociale française repousserait Madame Aravian, Sturel à jamais porte sa marque : quelle atmosphère pourrait contenter celui qui respira une fleur d’Asie portée par le vent des orages ! » Op, cit, p. 167
20 Bourget fustige le désir de nouvelles formes esthétiques : « ces clichés sur la poésie des gares, et des machines, le pittoresque des affiches, etc… etc… le droit de tous à la Beauté, comme si cette Beauté (avec le plus grand des B) pouvait se mettre en bouteille et se distribuer par mesure égale sur quelque comptoir imaginaire ! » L’Etape, op. cit, p. 153
21 « Alors Luc d’un dernier regard, embrassa la ville, l’horizon, la terre entière, où l’évolution, commencée par lui, se propageait et s’achevait. L’œuvre était faite, la Cité était fondée. » Travail, op cit, p. 969
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En quel nom parler ?
Ce livre est cité par
- Zbaeren, Mathilde. (2022) Donner la parole : à quel prix ?. COnTEXTES. DOI: 10.4000/contextes.10912
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