Épilogue réflexif : point de vue d'un satiriste contemporain

1S’il est aisé de lancer une satire – par une apologia –, d’ouvrir un colloque – par quelque formule performative et une conférence inaugurale –, et d’introduire un recueil – par un avant-propos –, il est souvent plus délicat de les clore. Le problème de la fin est bien connu des études satiriques1. En effet, le dynamisme interne propre au discours satirique suscite un mouvement de fragmentation et d’accumulation perpétuelles qui alimente le martèlement d’une argumentation critique sans fin. Néanmoins, lorsque le mode satirique se greffe sur un genre, il peut trouver une solution dans les ressources offertes par ce genre. C’est ainsi que cet ouvrage, comme le fit le colloque, se termine en combinant la réflexivité de la satire au genre du débat universitaire : il se conclut, en un retournement autoréférentiel, sur la satire de l’Université, anatomisée par l’un de ses membres, lui-même auteur d’une satire de l’Université. Au point de vue théorique et métacritique du prologue, ouvert par deux universitaires satirologues, répond ainsi le point de vue théorique et pratique de l’épilogue, refermé par un satiriste universitaire2.

2La réflexivité est donc ici celle d’un universitaire réfléchissant sur des textes, français et étrangers, qui satirisent l’Université, comme celle du commentaire d’un satiriste sur ces œuvres et sur la sienne. « Alma Mater, théorie et pratique » : Philippe Chardin, professeur de littérature comparée et auteur d’Alma Mater3, commence par s’expliquer sur le double sens de ce libellé, selon que l’on prenne « Alma Mater » en usage, comme désignant la réalité universitaire, ou en mention, comme désignant le titre de son livre. Dans le premier cas, l’intitulé réfère à l’écart entre « idéaux sublimes » et « réalité mesquine » qui signale l’institution universitaire – tout au moins dans l’optique satirique ; dans le second, il fait référence à l’approche de la satire universitaire par Philippe Chardin lui-même, en tant qu’écrivain et spécialiste de littérature, « confronté – “en pratique” et pas seulement “en théorie” – à quelques-unes des grandes questions traditionnelles liées au mode satirique ».

3On retrouvera alors certains des problèmes précédemment soulevés, mais différemment abordés, selon un double point de vue. L’article tout à la fois livre une analyse critique des satires de l’Université et rend compte d’une expérience d’auteur, marquée par une appartenance (l’Université française) et par des choix esthétiques (la volonté de renouer avec la veine satirique des « romans comiques » et le refus de s’inféoder aux normes de narrativité liée et de consistance de l’intrigue et des personnages). Le propos se déploie comme une archéologie du texte satirique, en retraçant la succession des questions que le mode pose à tout écrivain, chacune étant traitée du point de vue théorique et général à l’intérieur du champ et du point de vue pratique et particulier de sa résolution dans Alma Mater. Philippe Chardin part de l’examen des ressources en cibles du domaine référentiel (les tares de l’Université en général et, en ce qui le concerne, de l’Université française) ; il expose les problèmes inhérents au mode (la poétique satirique) ; il en vient à la relation entre le satiriste et ses objets (objets académiques dont le satiriste fait lui-même partie, ce qui rend plus évidente encore leur collusion) ; et il termine – point auquel les théoriciens se montrent d’ordinaire moins sensibles – par les réactions de ces objets à la suite de l’édition. Ainsi prennent corps les problèmes – et les risques – rencontrés lors de l’écriture et de la publication d’une satire de l’Université française par un de ses membres, dans un texte qui mêle donc théorie et pratique de multiples façons…

4Point de vue à la fois externe et interne, donc – et en cela d’une dualité, voire d’une ambivalence, répondant à celle de son objet -, qui renouvelle les perspectives sur des sujets déjà débattus mais aussi qui permet de mettre en lumière des éléments plus particuliers et moins abordés. C’est ainsi que l’on découvre le premier obstacle que doit surmonter un satiriste décidé à s’attaquer à l’Université française : on la juge moins propice à la satire que d’autres, notamment anglo-saxonne, parce qu’elle serait… insipide – ce qui amène Philippe Chardin à en radiographier le riche potentiel de ridicules typiques, qui lui ont donné son matériau d’écrivain. Les réticences des éditeurs, prisant peu la fragmentation, la répétitivité, la stylisation des personnages, la bigarrure onomastique et l’exhibitionnisme hypertextuel – tous ingrédients d’un mode satirique qui ne s’est pas laissé domestiquer par le campus novel – marquent quant à elles la difficulté que peut rencontrer à l’époque contemporaine, que l’on pourrait croire, dans sa postmodernité, ouverte à toutes formes narratives hyper-réflexives, une satire pour ainsi dire à l’état pur. Quant aux réactions des cibles, si l’on ne s’étonnera pas que certaines – en dépit de leur connaissance assurée des théories formalistes de la fictionnalité et de l’intentional fallacy – fulminent, on pourra vérifier que d’autres ne se reconnaissent pas (« la satire est une sorte de miroir, dans lequel ceux qui regardent découvrent le visage de tous sauf le leur », écrivait Swift) mais encore apprendre qu’elles peuvent se vexer de cette absence supposée (Swift voulait aussi « vexer les coquins, sans espérer les corriger », mais ne prévoyait pas y parvenir par ce biais).

5Enfin on trouvera ici in vivo, pour faire suite à la dernière section sur le retournement et la transfiguration et pour répondre aux propos de l’apologia, ce que l’on pourrait appeler un chiasme satirique : « par compassion et par sens de l’équité », le satiriste se met à « inverser carrément les genres » en retournant son discours épidictique pour entonner un « dithyrambe » à la gloire de l’Université française et « flagell[er] un peu pour finir ceux qui fustigent Alma Mater ».

6S. D.