Avant-propos
p. 7-11
Texte intégral
1Le Centre de Recherche sur les Modernités Littéraires est heureux d’adjoindre à ses publications cette série intitulée « Littérature, enseignement, recherche ». Les volumes feront suite à des colloques organisés en partenariat avec l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres d’Aquitaine – colloques qui réuniront notamment les contributions de chercheurs et de praticiens. Notre vœu, en effet, n’est pas seulement de proposer un espace de débat à la mesure de la tâche, toujours plus complexe, des enseignants, mais aussi de réfléchir aux enjeux actuels de l’enseignement de la littérature, de sa transmission, à partir de problématiques spécifiquement littéraires, de l’Ecole à l’Université : épistémologie des notions, histoire des formes et des genres, approches critiques, sociologie de la lecture, etc. L’ambition de cette série n’est donc pas de proposer des réponses convenues mais plutôt d’ouvrir des chantiers à la réflexion, susceptibles d’accompagner ou d’anticiper révolution de notre discipline.
2Les 20 et 21 mars 2002 à l’IUFM de Bordeaux et à l’Université Michel de Montaigne (Bordeaux 3) s’est tenu, avec le soutien d’Alain Boissinot, Recteur (l’Académie, le premier colloque de ce genre. Ce volume reprend l’intitulé de la question posée – « L’Auteur entre biographie et mythographie ? » – ainsi que l’ensemble des contributions qui lui ont donné corps.
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3« L’auteur n’est pas mort, il est devenu une idée à n variables »1, ainsi pourrait se présenter le propos de ce recueil. Si la « mort » de l’auteur a pu sembler entérinée, non sans ambiguïtés ni simplifications, dans les dernières décennies du siècle dernier, force est de constater sa... résurrection, au vu des travaux aujourd’hui foisonnants concernant « l’auteur », sa vie et ses légendes. L’écriture biographique est ainsi l’un des « objets d’études » des nouveaux programmes des lycées2. On l’aura compris, ce foisonnement fait avant tout de « l’auteur » une notion critique. Trait symptomatique de ce renouvellement, le premier titre d’une nouvelle collection destinée aux étudiants des filières littéraires est consacré à L’Auteur3. Cette première place, dans une collection qui se propose de synthétiser et de définir des notions déjà théorisées de multiples façons depuis une vingtaine d’années, mérite à son tour d’être interrogée.
4L’un des objectifs de ce colloque était d’ailleurs de permettre la confrontation et la rencontre de plusieurs « communautés » qui utilisent, questionnent et construisent l’idée d’« auteur » : les enseignants du premier et du second degré, les formateurs des enseignants, les chercheurs en littérature et ceux travaillant spécifiquement sur les problématiques de l’enseignement de la littérature.
5Les quatre volets qui composent cet ouvrage proposent donc un parcours de reconnaissance d’une notion faussement familière, à la lumière de travaux récents, et excluent par conséquent toute idée de « retour »4. Il s’agit, au contraire, de tracer des perspectives à partir d’un entre-deux théorique – « entre biographie et mythographie » – dont tous les aspects (épistémologiques, historiques, sociologiques, éthiques) sont solidaires.
6Le premier volet – « Ouvertures » – réunit des communications dont on notera qu’elles impliquent fortement et très personnellement au moins trois de leurs auteurs. Antoine Compagnon comme Jean-Pierre Martin ou Jean-Benoît Puech interrogent en effet les pratiques dans lesquelles ils sont respectivement engagés – comment et à quelles conditions écrire une histoire de la littérature française du xxe siècle ? Peut-on « oser » écrire la biographie d’un écrivain aujourd’hui, et selon quels partis pris ? Jusqu’à quel point est-il possible de traiter l’auteur comme personnage de l’œuvre, et donc de repenser les contours ou les frontières de la notion d’œuvre ? Tous trois tentent d’expliciter, ce qui n’est pas si fréquent, les présupposés de leurs démarches. Dès lors, la notion d’auteur, variable dans chaque cas, devient à la fois énigmatique et comme incarnée, car elle permet la convocation d’« instances5 » et de contextes institutionnels qui constituent aussi la littérature : les discours de légitimation, les territoires et les lieux investis par l’auteur6, la relation avec le lecteur. Ces questions font l’objet des trois volets suivants.
7En premier lieu, l’auteur lui-même peut construitre sa propre légitimité, fût-elle imprégnée de légende. Fernando Pessoa par son œuvre, ses poèmes mais aussi ses essais critiques ou sa correspondance, jouant de et avec l’hétéronymie, a légué, entre éclatement et unité, une figure du sujet si déroutante qu’elle a pu sembler emblématique de la littérature du xxe siècle. Tandis que Gide, recyclant le mythe de Thésée, tente d’offrir de lui-même à la postérité l’image d’un héros fondateur de la Cité.
8Les auteurs ne sont pas, loin s’en faut, les seuls à tenir des discours de légitimation. L’institution scolaire, au travers des Instructions Officielles, des manuels, ou encore de « l’imagerie d’auteur » omniprésente dans les dictionnaires ou les encyclopédies, contribue à produire le profil idéologique – ou en tout cas institutionnel – de ce que l’on peut appeler « l’auteur scolaire ». Face à ces écrivains pour ainsi dire panthéonisés, ou anoblis, le « champ » cinématographique, moyennant un discours critique qu’il a dû se forger par ses propres moyens (mais qui emprunte largement à la critique littéraire), a tenté à son tour de légitimer la notion d’auteur au cinéma.
9Toutefois « l’auteur », selon des modalités diverses, investit, délimite et construit aussi des « espaces », des « territoires », des « lieux » que le colloque a permis de rapprocher ou de confronter. La critique génétique permet ainsi d’interroger la figure de l’auteur au travail, ou en travail. Cette figure ambiguë est à chercher dans ces domaines intimes que le hasard, la chance ou la volonté délibérée de l’auteur transmettent aux lecteurs. Quant à l’élève qui écrit, qui apprend à écrire, n’adopte-t-il pas, à sa manière, une posture d’auteur, dans la solitude et l’intimité du texte en train de se faire, mais aussi dans la communauté de la classe, par le biais des interactions verbales qui la constituent comme telle ?
10En outre, le corpus littéraire, même constitué comme « champ » au sens où le définit Pierre Bourdieu, est un espace toujours à conquérir, du moins à investir7. L’écrivain pour la jeunesse au xixe siècle, le diariste au xxe, l’auteur francophone aujourd’hui, qui ont tenté ou tentent d’affirmer une existence en marge du « champ » littéraire, contribuent à son évolution et à son élargissement, ce dont l’enseignement tient – ou devrait – tenir compte.
11Enfin, mettre en question la « fonction-auteur »8 conduit nécessairement à interroger les relations que l’auteur entretient avec son antre soi-même, le lecteur. Qu’en est-il à l’école ? Les « auteurs oulipiens » (notion à vrai dire paradoxale9) tentent d’offrir au lecteur de partager l’expérience de l’écriture sur un mode ludique, celui de la combinatoire et des contraintes. Or, même quand l’auteur réel entre en classe, l’institution, par ses représentations de l’écriture et sa conception instrumentale du sujet-élève, semble bien empêcher toute relation véritable entre élève et auteur.
12Et pourtant, cette relation entre lecteur et auteur semble bien être au cœur même de la notion de « représentation de l’auteur », telle qu’elle se décline à l’époque symboliste. Que la fiction de l’auteur soit le fait du lecteur ou du Texte, il semble en effet que le public ne puisse échapper au mythe obligé de l’auteur, et jusque chez Nabokov, pour qui langage, voix et corps doivent s’incarner comme « la vraie vie de l’auteur ».
13Ces quatre volets, on l’aura compris, n’ont pas la prétention de « couvrir » l’ensemble des questions relatives à la notion si controversée d’auteur, mais ils permettent, nous l’espérons, de mieux voir les problèmes. S’agissant de l’auteur « réel », la science est de peu de secours, et la biographie relève donc bien de l’art comme Marcel Schwob le rappelait au début de sa préface des Vies imaginaires : « La science historique nous laisse dans l’incertitude sur les individus [...]. L’art est à l’opposé des idées générales, ne décrit que l’individuel, ne désire que l’unique. Il ne classe pas »10. S’agissant de l’auteur « dans le texte », la théorie doit se faire modeste dès lors qu’un livre se veut, selon Montaigne, « consubstantiel à son auteur » (Essais, III, 2), puisque cette « substance » s’alimente, nous le savons, à tout ce qui n’est pas elle...
14Cette double incertitude, loin d’inciter au relativisme, justifie, nous semble-t-il l’existence de ce volume, dont le propos pourrait maintenant se préciser ainsi : « A quoi prétend à tel moment celui qui écrit ? Quelle fable légitime ce projet ? Quel contrat m’impose-t-il ? Quelles croyances devons-nous partager ? Ces questions, personne n’est obligé de se les poser, mais je n’en vois pas d’autres pour constituer une critique »11.
15Les contributions ici rassemblées en témoignent, la notion d’auteur n’engage pas seulement celui qui écrit mais aussi tous les liens, réels et fantasmatiques, ramifiés dans ce que l’on appelle la « lecture ».
Notes de bas de page
1 Michel Contat, « La Question de l’auteur », L’Auteur et le manuscrit, Michel Contat, dir., PUF/Perspectives critiques, 1991, p. 33
2 « Le Biographique », Accompagnement des programmes de Français, classes de seconde et de première, sous la direction d’Alain Viala, CNDP, 2001, p. 46-48. Le corpus inclut non seulement mémoires, confessions, récits de vie, biographies fictives, romans autobiographiques, journaux intimes, mais aussi tableaux, portraits peints, films, articles de presse à caractère biographique.
3 Alain Brunn, L’Auteur, introduction, choix de textes, commentaires, vade-mecum et bibliographie, GF Flammarion, collection Corpus – Lettres, 2001.
4 Georges Benrekassa, « Le Retour du Biographique », Le Travail du biographique, présenté par Gérard Dessons, La Licorne, UFR de langues et littératures de l’Université de Poitiers, 1988, p. 137-159.
5 Daniel Delas, « Entre instance et institutions : note sur la notion d’instance », Lieux de littérature, présenté par Emmanuel Fraisse, Violaine Houdart-Merot, Alain Boissinot, Centre de Recherche Texte/Histoire, Université de Cergy-Pontoise, 2001, p. 11-14.
6 La tension entre auteur et occupation de l’espace public a fait l’objet d’un ouvrage collectif, De la publication entre Renaissance et Lumières, Christian Jouhaud, Alain Viala, dir., Fayard, 2002.
7 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Seuil, 1999.
8 Une histoire de la « fonction-auteur » est-elle possible ?, Nicole-Jacques Lefevre et Frédéric Regard, dir. (colloque organisé par le Centre de Recherche Littérature et Discours du Savoir, ENS Fontenay-Saint-Cloud, 11-13 mai 2000), Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2001.
9 Jacques Roubaud, « L’auteur oulipien », L’Auteur et le manuscrit, op. cit. p. 77-92.
10 Repris sous le titre « L’Art de la biographie » (1896), Spicilèges, Œuvres, Alexandre Gefen, dir., Les Belles Lettres, 2002, p. 628.
11 Daniel Oster, L’Individu littéraire, PUF, 1997, p. 15.
Auteurs
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Brigitte Louichon
IUFM d’Aquitaine
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Jérôme Roger
IUFM d’Aquitaine
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