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Vygotski et les recherches en éducation et en didactiques

 | 
Michel Brossard
, 
Jacques Fijalkow
, 
Serge Ragano
, 
et al.

Partie 4. Recherches en didactiques de la langue maternelle

Penser Vygotski dans l’espace des didactiques

Yves Reuter

Texte intégral

  • 1 Dont je suis loin d’être un spécialiste, à la différence de nombre de contributeurs de ce colloque.
  • 2 La contribution d’Élisabeth Nonnon montre de surcroît que des écrits moins connus/moins utilisés qu (...)

1La contribution que je présente ici s’organise à partir de deux contraintes. La première, fixée par les responsables du colloque Théorie historico-culturelle et recherches en éducation et en didactiques, consiste à me faire tenir le rôle de discutant/réactant aux communications – présentées dans les chapitres précédents – de la session « Recherches en didactique du français ». Le discours que je tiens est par voie de conséquence, au moins en partie, généré par ces écrits. En partie seulement car, pour être tout à fait honnête, les travaux de Vygotski (et de ceux qui s’en réclament) ont fait l’objet de multiples discussions au sein de notre équipe de recherche, discussions qui contribuent donc à nourrir mon intervention. La seconde contrainte consiste en une position de principe que j’essaie de respecter au sein de l’espace des recherches en didactiques : celle de discuter véritablement les corps théoriques qui servent/qui peuvent servir de référence, cela d’autant plus si ceux-ci tendent à se répandre et parfois à se naturaliser. Cette position est susceptible de rendre compte d’un effet de lecture que certains jugeront polémique et qui est sans doute accentué par le fait que je ne déploierai pas – faute d’espace – toutes les références sur lesquelles j’appuie mon propos. Afin d’atténuer cet effet possible et de lever toute ambiguïté, je signalerai donc, d’entrée de jeu, que les écrits de Vygotski1 constituent pour moi des documents d’une importance considérable dans le domaine de l’éducation, qu’ils ouvrent nombre de pistes fécondes et que c’est à ce titre justement qu’ils sont légitimement discutables. J’ajouterai encore que les trois contributions par rapport auxquelles j’inscris mon discours me paraissent fournir des éléments de réflexion non négligeables quant à la notion d’outil d’enseignement (Schneuwly, Dolz, Thévenaz), quant à celles de contexte et de communauté discursive (Bernié, Rebière, Jaubert), quant au caractère stratégique de la théorie du signe mise en œuvre, à la place des émotions, aux fonctions des expériences esthétique et scripturale et au caractère crucial des tensions (Nonnon)2.

2C’est donc dans ce cadre que je me propose de discuter – très librement – les matériaux présentés autour de trois questions : celle des relations entre les didactiques et les autres disciplines de recherche, celle de la conception de l’école et de l’enseignement, celle des méthodes de recherche.

1 – Du statut des didactiques

3J’avais ouvert mon intervention orale par le propos suivant : « Je ne me pense pas vygotskien et pourtant je me pense didacticien. C’est peut-être un problème au sein d’un tel colloque ». Au-delà du caractère ludo-provocateur de cette interrogation, ce qui m’intéresse est une question fondamentale : celle du statut des didactiques. Et il me semble qu’à poser comme une évidence l’importance de Vygotski pour les didactiques, à se servir sans précaution épistémologique de sa perspective théorique et de son appareillage conceptuel, à creuser ses questionnements, comme cela a été tendanciellement le cas, on élude ce problème, en faisant comme s’il avait été résolu avant même d’avoir été posé.

4J’avancerais pour ma part deux propositions, en sachant à quel point elles mériteraient une discussion approfondie :

  • les didactiques sont des disciplines de recherche à part entière « qui analysent les contenus (savoirs, savoir-faire...) en tant qu’ils sont objets d’enseignement et d’apprentissages, référés/référables à des matières scolaires » (Reuter, dir., 2007a, p. 69) ;
  • Vygotski n’est pas didacticien : la tradition théorique au sein de laquelle il se situe, les questions qui l’occupent prioritairement, son projet de connaissance le rattachent à la psychologie3.
  • 4 Ce qui me semble indéniablement un bénéfice théorique.

5Si on accepte, au moins à titre de débat, ces deux assertions, les références à Vygotski n’apparaissent plus comme évidentes dans le champ des didactiques et les questions des modes de relations entre les didactiques et les disciplines potentiellement contributoires peuvent être posées4, c’est-à-dire à quel titre, comment et pourquoi, certains éléments d’autres disciplines de recherche pourraient contribuer à éclairer et jusqu’à quel point, seuls ou combinés à d’autres éléments issus d’autres disciplines de recherche, le projet de connaissance des didactiques. Pour tenter de préciser ce que je viens d’avancer, je prendrai trois exemples : celui du couple développement – apprentissages, celui du concept d’outil et enfin celui d’objet disciplinaire.

  • 5 Implicitement ou explicitement, toute réflexion sur la progression, la programmation ou la sélectio (...)
  • 6 Expression qui n’est pas sans poser problème, j’en conviens. J’ajouterai cependant que la notion mê (...)
  • 7 En cela, je rejoins les interrogations de Bernié et al., lorsqu’ils écrivent, par exemple que « l’é (...)

6On voit bien, au travers des travaux des vygotskiens et de deux des trois contributions de cette session (Schneuwly et al. ; Bernié et al.), que les couples conceptuels centraux, qui caractérisent le projet de connaissance mis en œuvre, sont celui constitué par enseignement et développement et celui constitué par développement et apprentissages, ce qui est effectivement tout à fait pertinent pour ceux qui s’intéressent à l’éducation dans une perspective psychologique. Il me semble en revanche que ce n’est pas exactement le cas dans une perspective didactique qui prend les problèmes à partir des contenus disciplinaires, reliés aux enseignements disciplinaires et aux apprentissages disciplinaires. Cette perspective implique un triple déplacement : celui de ne considérer les enseignements et les apprentissages qu’en tant qu’ils sont disciplinaires, structurés par les contenus et le cadre disciplinaire ; celui de penser autant que faire se peut les relations d’un triplet conceptuel, (contenus/enseignement/apprentissages), ce à quoi renvoie la notion de système didactique (Chevallard, 1985) ; celui d’« excentrer » le concept de développement, en tant qu’il n’est pas central dans le projet de connaissance didactique, non qu’il n’importe pas5, mais parce que dans ce cadre il ne peut être envisagé qu’en tant que développement disciplinaire6. En tout cas, sous sa forme « générale », il ne fait pas l’objet de recherches spécifiques en didactique7. On voit mieux ainsi, me semble-t-il, comment didactiques et psychologie peuvent entrer en dialogue et être mutuellement contributoires pourvu qu’on ne confonde pas leurs questions, leurs concepts, leur projet de connaissance... bref, ce qui les constitue comme des disciplines de recherche autonomes et distinctes.

  • 8 Nous discutons ailleurs (Daunay, Delcambre, Reuter, 2007) la notion de social chez Vygotski, en tan (...)
  • 9 La culture chez Vygotski, comme chez nombre de ceux qui s’en réclament, est plus un « posé » qu’un (...)

7Je développerai mon second exemple à partir du concept d’outil, particulièrement intéressant et travaillé très précisément par l’équipe de didacticiens du français de l’université de Genève. Cependant, au-delà de ses intérêts incontestables et de son caractère stimulant, ce concept soulève deux problèmes. Le premier est celui de son extension. Dans ce cadre théorique, qu’est-ce qui, en fin de compte, n’est pas un outil ? Le second est celui de son caractère univoque : l’outil est toujours considéré comme une aide. Or, pas plus qu’aucune autre médiation, l’outil ne peut constituer uniquement et univoquement une aide : il sépare aussi ; il n’est adapté qu’à un ensemble de domaines, de tâches et de situations ; il a des limites (ce qui fait qu’il est évolutif et entre dans une gamme d’outils) et, de surcroît, s’il aide les uns, il est susceptible d’empêcher ou d’entraver l’action des autres. C’est du moins un des apports fondamentaux de la sociologie culturelle (voir, par exemple, les travaux de Nicole Robine) que d’établir le caractère ambivalent de toute médiation : ce qui aide les uns est très précisément ce qui constitue une barrière pour les autres. Cela doit à mon sens attirer l’attention sur deux questions. D’une part, les didactiques ont sans doute tout à gagner à réfléchir en matière d’emprunts à l’intérêt de croiser les apports des diverses disciplines contributoires possibles. D’autre part, si la perspective générique (l’outil, en l’occurrence) présente sans nul doute des intérêts heuristiques, cela ne peut se faire en oubliant les intérêts heuristiques de la perspective alternative celle qui s’attache à la diversité, aux variations, voire aux conflits. De ce point de vue, l’univocité indéterminée de l’outil fait écho, dans nombre de travaux vygotskiens, à celle de social8, de sujet, de culture9... Cette généricité est d’autant plus insatisfaisante dans une perspective didactique qu’un des problèmes principaux auxquels la recherche se trouve confrontée est celui de la différenciation sociale de l’échec.

  • 10 Ainsi, la lettre de pétition n’est pas « avant tout » un objet d’enseignement disciplinaire mais un (...)

8Mon troisième exemple portera sur la notion d’objet d’enseignement dont il nous est dit que la structure disciplinaire est affirmée par Vygotski. Outre le fait que cette assertion me parait quelque peu audacieuse, cela nécessite d’interroger plus avant – et cela est indéniablement essentiel dans le domaine des didactiques – ce qu’on appelle une structure disciplinaire, ce qui constitue un objet non disciplinaire (par exemple, la lettre de pétition) en objet disciplinaire10 et, en fin de compte, ce qu’on appelle une discipline et comment on la décrit (Reuter & Lahanier-Reuter, 2007). Sur ce dernier point, j’ajouterais volontiers que la référence aux disciplines « formelles » me parait soulever au moins autant de problèmes qu’elle ne présente d’intérêts. Peut-il par exemple exister des disciplines non formelles au sein de l’école ? Si tel est le cas, desquelles s’agit-il ? De surcroît, la caractérisation de disciplines en tant que formelles – et valorisées en tant que telles – ne porte-t-elle pas l’accent sur ce qui excède le cadre disciplinaire stricto sensu, à savoir le développement de « fonctions psychiques supérieures » ?

2 – De l’école et de l’enseignement

  • 11 Malgré l’importance incontestable qui lui est conférée, l’école n’est cependant pas, à mon sens, un (...)
  • 12 Les deux pôles étant, une fois encore, indifférenciés.
  • 13 Sur tous ces points, il conviendrait, au-delà des critiques légitimes qui ont été effectuées à leur (...)
  • 14 Cet aspect me parait tendanciellement nié par certains vygotskiens, voire parfois stigmatisé de man (...)

9La seconde question sur laquelle je souhaite m’arrêter ici est celle des conceptions de l’école et de l’enseignement. Concernant l’école, il me semble que la vision qu’en ont Vygotski et la majorité des didacticiens qui s’en réclament aujourd’hui se caractérise, entre autre traits, par l’indifférenciation, la positivité et la transparence. Cette vision de l’école est en effet, à mon sens, celle d’une école indifférenciée, tant dans ses ordres que dans la diversification de ses filières, de ses modes de formation et de ses parcours. Si nombre de raisons peuvent expliquer cela (l’époque, le projet de connaissance disciplinaire11...), la question est posée de savoir si le didacticien, aujourd’hui peut s’en contenter. La positivité est, toujours dans ce cadre, attachée à l’école et cela doublement : d’abord parce qu’elle permettrait de passer de concepts spontanés à des concepts scientifiques12 et contribuerait de manière déterminante au développement, ensuite parce qu’elle réaliserait cela pour tous les élèves. Or, trois problèmes cruciaux me paraissent relativement implicités au travers de cette vision tendanciellement irénique : le fait que l’école construit aussi, et de manière structurelle, de l’échec ; le fait que cet échec soit socialement différencié, ce que confirment depuis des décennies, toutes les recherches macro-sociologiques ; le fait que l’école ne construit pas que des savoirs, mais aussi des savoir-faire, des rapports à, de l’idéologie, des modalités de comportement, des rapports au pouvoir... et que, de surcroît, les savoirs proposés entretiennent des relations variables et complexes aux savoirs scientifiques13 (cf. ci-après). La transparence résulte d’une situation paradoxale : si l’importance de l’école est affirmée, elle apparaît cependant très souvent comme un lieu doté de peu d’autonomie, autonomie sur laquelle attirent pourtant l’attention les travaux autour de la forme scolaire (Vincent, 1980 ; Vincent dir., 1994), de la fabrique scolaire des savoirs (Chervel, 1977 ; 1988 ; 2006), de la culture scolaire (Jacquet-Francillon & Kambuchner, dir., 2005), des relations entre pratiques scolaires et pratiques extrascolaire (Reuter & Penloup, dir., 2001). En d’autres termes, ce que l’école apprend c’est peut-être avant tout une vision scolaire du monde, des formes scolaires de l’apprendre, des savoirs scolaires qui peuvent, selon les cas et les élèves, constituer des aides ou des entraves14.

10Pour ce qui concerne l’enseignement, je me contenterai, ici encore, de deux remarques bien trop abruptes. La première consiste à interroger certaines de ses formalisations qui, paradoxalement, le construisent, sans trop de discussion sous des formes très classiques (sélection des objets, monstration, accentuation de certains traits...), minorant par là même à mon avis deux problèmes non négligeables : celui de la constitution et du maintien des conditions d’étude (avec des composantes telles que la gestion du climat, des relations...) qui se pose dans toutes les classes et celui de la diversification des rôles (de l’enseignant et des élèves), des situations et des démarches, attestée dans d’autres modes de travail pédagogique (Lesne, 1979), se réclamant eux-aussi de l’héritage vygotskien (par exemple, sur la pédagogie du projet, voir Ruellan, 2000 et Reuter, dir., 2005) ou pouvant y être référés sur de nombreux points (par exemple sur la pédagogie Freinet, voir Reuter, dir., 2007b). Ma seconde remarque vise certains glissements qui tendent, indûment selon moi, à faire comme si l’interactionnisme social (ou, plus largement, le socio-constructivisme) était à la fois une théorie du psychisme (notamment dans ses dimensions de construction de savoirs, de fonctionnement des apprentissages, de mécanismes développementaux...) et une théorie de l’enseignement, ce qui n’est pas le cas (ne serait-ce que parce qu’il s’agit de phénomènes différents et, en partie, autonomes), mais ce qui soulève en revanche un problème fondamental dans le domaine de l’éducation et des didactiques, encore trop sous-estimé dans nombre d’écrits, celui des relations entre enseignement et apprentissages (voir, par exemple, sur cette question, l’article fondamental de Bru, Altet, Blanchard-Laville, 2004).

3 – De quelques questions méthodologiques

  • 15 Si ce n’était pas au cœur de cet atelier, cela a été le cas pour plusieurs autres.
  • 16 Cela explique qu’au sein de THEODILE nous ayons mis ces questions au cœur de notre nouveau programm (...)

11La troisième et dernière question que je souhaite soumettre à la discussion porte sur des questions de méthode. Je le ferai, une fois encore, trop cavalièrement sans doute, en ne retenant de surcroît que trois problèmes parmi l’ensemble de ceux qui mériteraient, pour chacun d’entre eux, une discussion approfondie. En premier lieu, je noterai qu’on ne peut que se réjouir de voir, notamment au travers de ce colloque, la question des matériaux empiriques – encore trop rares – venir au premier plan des préoccupations des chercheurs se réclamant de l’héritage vygotskien15. C’est, me semble-t-il, la condition sine qua non pour étayer ce modèle en se gardant des dérives spéculatives et/ ou apologétiques. C’est aussi, à mon sens, la condition nécessaire pour juger du statut de certains concepts, de leur complexité, de leur opérationnalisation et de leur spécificité. C’est par exemple le cas, de manière cruciale, pour celui de « zone de proche développement » qui tend, de plus en plus, dans certaines études à perdre toute spécificité en étant rabattu, via des « pré-tests », sur des catégories de saisie très classiques concernant ce que les élèves savent et ne savent pas faire. Reste que le problème des méthodes de recueil et de traitement de données susceptibles d’étayer les thèses avancées me parait encore loin d’avoir été suffisamment exploré. C’est peut-être un des lieux de rencontre les plus féconds pour un dialogue entre psychologues de l’éducation et didacticiens autour de questions telles que l’analyse des performances des élèves, la détermination des « bougés », progressions et apprentissages disciplinaires, la spécification de ce qui est désigné comme « raté », « réussi », « intéressant »16...

12En second lieu, je m’arrêterai sur la question, à mon sens fondamentale, soulevée par les chercheurs genevois (Schneuwly et al.), celle de l’empan spatio-temporel de l’activité à examiner, de l’unité d’analyse pertinente pour étudier la médiation d’un objet d’enseignement. Il s’agit là, sans nul doute, d’un problème essentiel en matière de méthodologie, récurrent dans les débats actuels (Perrin-Glorian & Reuter, dir. 2006 ; Lahanier-Reuter & Roditi, dir., 2007) et à propos duquel ces chercheurs ont déjà apporté des contributions d’importance (Dolz, Ronveaux, Schneuwly, 2006 ; Ronveaux & Schneuwly, 2007...). Mais, dans cette perspective, il me semble – et cela renvoie à des remarques précédentes – que l’unité proposée, en l’occurrence la séquence d’enseignement, a comme limite, au-moins au travers de la définition proposée, de ne référer qu’à un seul type de mode de travail pédagogique possible, excluant donc de facto les autres (projet, « Freinet »...), ce qui restreint son champ d’application ainsi que les possibilités de comparaison et interroge conséquemment son statut d’outil méthodologique.

13Cette question n’est pas sans rapport avec le troisième problème que j’avais annoncé. Celui-ci concerne ce qui fait l’objet du découpage. En effet, reviennent sous la plume des chercheurs de Genève ou de Bordeaux des expressions telles que « enseignement/apprentissage scolaire », « outil d’enseignement/ apprentissage », « processus d’enseignement/apprentissage »... Or, ces expressions me semblent sujettes à caution, théoriquement et méthodologiquement, dans la mesure où, d’une part, elles unifient le pôle des apprentissages (variables selon les élèves, les disciplines...) et d’autre part, elles agglomèrent deux processus, celui de l’enseignement et celui des apprentissages, dont un grand nombre de recherches, aussi bien en psychologie qu’en didactiques, donnent à penser qu’ils jouissent d’une autonomie importante (sans être indépendants) et fonctionnent selon des logiques différentes. Si on accepte ces remarques, au moins à titre de discussion, on conviendra que la question de l’unité découpée mérite d’être débattue, notamment quant aux intérêts et aux limites d’une unité unique ou d’unités différentes selon qu’on analyse l’enseignement, les apprentissages ou leurs relations.

  • 17 Au même titre d’ailleurs que les didactiques sont contributoires pour la psychologie...

14Je ne voudrais pas conclure cette contribution sans tenter une nouvelle fois de lever une ambiguïté possible dont j’avais tenté de me prémunir dans mon introduction. C’est bien parce que j’estime que la psychologie est une des disciplines contributoires essentielles pour les didactiques17 et c’est bien parce que j’estime que les thèses et les travaux de Vygotski sont, au sein de ce continent, particulièrement importants pour les didactiques, que j’ai mené cette discussion, à partir d’apports indéniablement stimulants. C’est encore parce que j’estime que la construction du statut des disciplines de recherche et de la spécificité de leur projet de connaissances est fondamental que je continuerai à la mener. Cela afin que les didactiques s’emparent de ces apports, c’est-à-dire les discutent, en évaluent les intérêts et les limites, les approfondissent et les transforment. Leur intégration possible est sans nul doute à ce prix.

15Et, afin de tenter de clarifier encore ma position, j’avancerai – en tant que didacticien – que Vygotski, en tant que non-didacticien, m’intéresse au plus haut point non seulement en tant que contributeur possible au projet de connaissance des didactiques mais aussi en tant que pionnier, défricheur de possibles et questionneur des cadres dominants de pensée. Il m’intéresse encore en tant que maître à penser, c’est-à-dire non comme prêt à penser, empêchant par là même de penser mais comme théoricien qui aide à penser et cela d’autant plus qu’on pense sa pensée, qu’on la soumet à la critique et aux débats. C’est en cet espace précisément que j’espère avoir rencontré et rencontrer encore à l’avenir ceux que je me suis permis de discuter ici.

Bibliographie

Références bibliographiques

Brossard, M. (2004). Vygotski. Lectures et perspectives de recherche en éducation. Villeneuve d’Ascq : Septentrion.

Bru, M., Altet, M., Blanchard-Laville, C. (2004). À la recherche des processus caractéristiques des pratiques enseignantes dans leurs rapports aux apprentissages. Revue française de pédagogie, 148, 75-87.

Chervel, A. (1977). Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits français : histoire de la grammaire scolaire. Paris : Payot.

Chervel, A. (1998). La culture scolaire. Une approche historique. Paris : Belin.

Chervel, A. (2006). Histoire de l’enseignement du français du xviie au xxe siècle. Paris : Retz.

Chevallard, Y. (1985/1991). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La Pensée Sauvage.

Daunay, B., Delcambre, I., Reuter, Y. (2007). Le socioculturel en questions, 10e colloque international de l’AIRDF.

Dolz, J., Ronveaux, C., Schneuwly, B. (2006). Le synopsis : un outil pour analyser les objets enseignés. In M.-J. Perrin-Glorian & Y. Reuter (Éds.), Les méthodes de recherche en didactiques (p. 175-190). Villeneuve d’Ascq : Septentrion.

Jacquet-Francillon, F. & Kambuchner, D., (Éds.) (2005). La crise de la culture scolaire. Paris : PUF.

Lahanier-Reuter, D. & Roditi, E., (Éds.) (2007). Questions de temporalité. Les méthodes de recherche en didactiques (2). Villeneuve d’Ascq : Septentrion.

Lesne, M. (1979). Travail pédagogique et formation d’adultes. Paris : PUF.

Perrin-Glorian, M.-J. & Reuter, Y., (Éds.) (2006). Les méthodes de recherche en didactiques. Villeneuve d’Ascq : Septentrion.

Reuter, Y. (Éd.) (2005). Pédagogie du projet et didactique du français. Penser et débattre avec Francis Ruellan. Villeneuve d’Ascq : Septentrion.

Reuter, Y. (Éd.) (2007a). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques. Bruxelles : De Boeck.

Reuter, Y. (Éd.) (2007b). Une école Freinet. Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire. Paris : L’Harmattan.

Reuter, Y. & Lahanier-Reuter, D. (2007). L’analyse de la discipline : quelques problèmes pour la recherche en didactique. In E. Falardeau, C. Fisher, C. Simard, N. Sorin, (Éds.), La didactique du français. Les voies actuelles de la recherche. Laval : Les Presses de l’université Laval.

Reuter, Y. & Penloup, M.-C., (Éds.) (2001). Repères, 23.

Robine, N. (1984). Les jeunes travailleurs et la lecture. Paris : La Documentation française.

Ronveaux, C. & Schneuwly, B. (2007). Approches de l’objet enseigné. Quelques prolégomènes à une recherche didactique et illustration par de premiers résultats. Éducation et didactique, 1, 55-72.

Ruellan, F. (2000). Un mode de travail didactique pour renseignement-apprentissage de l’écriture au cycle 3 de l’école primaire. Thèse de doctorat, Université Charles de Gaulle – Lille 3, reproduite par l’Atelier National de Reproduction des Thèses.

Vincent, G. (1980). L’école primaire française. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.

Vincent, G. (Éd.) (1994). L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.

Notes

1 Dont je suis loin d’être un spécialiste, à la différence de nombre de contributeurs de ce colloque.

2 La contribution d’Élisabeth Nonnon montre de surcroît que des écrits moins connus/moins utilisés que Pensée et langage peuvent s’avérer tout aussi intéressants pour certaines didactiques.

3 Même si j’entends bien que la catégorisation disciplinaire n’est jamais simple et que certains vygotskiens mettent en discussion cette indexation.

4 Ce qui me semble indéniablement un bénéfice théorique.

5 Implicitement ou explicitement, toute réflexion sur la progression, la programmation ou la sélection de contenus à un niveau donné du cursus implique de se référer à une certaine conception du développement, qu’elle soit formalisée ou non.

6 Expression qui n’est pas sans poser problème, j’en conviens. J’ajouterai cependant que la notion même de développement, dans un cadre psychologique, me paraît excessivement difficile à construire et à opérationnaliser.

7 En cela, je rejoins les interrogations de Bernié et al., lorsqu’ils écrivent, par exemple que « l’étude du développement semble échapper à la recherche en didactique » ou encore que « celle-ci [l’entreprise didactique] se trouve donc dans une position inconfortable : devoir se référer au développement sans avoir grand-chose à dire à son sujet ». Je ne partage pas en revanche tous leurs choix ou leur désarroi, dans la mesure où, à mon sens, cette situation n’a rien d’atypique : les didactiques se réfèrent à bien d’autres concepts qui ne renvoient pas à leur domaine d’investigation central... d’où le recours à des disciplines contributoires.

8 Nous discutons ailleurs (Daunay, Delcambre, Reuter, 2007) la notion de social chez Vygotski, en tant qu’elle est indifférenciée. Voir aussi, dans le même esprit, les remarques critiques de la contribution d’Élisabeth Nonnon.

9 La culture chez Vygotski, comme chez nombre de ceux qui s’en réclament, est plus un « posé » qu’un concept construit, ignorant relativement, ici encore, les mécanismes de différenciation, hiérarchisation, conflit, négociation ou co-construction. Il me semble donc qu’ainsi posé, il ne peut satisfaire les didactiques.

10 Ainsi, la lettre de pétition n’est pas « avant tout » un objet d’enseignement disciplinaire mais un écrit extrascolaire.

11 Malgré l’importance incontestable qui lui est conférée, l’école n’est cependant pas, à mon sens, un objet d’investigation central dans le projet de connaissance vygotskien.

12 Les deux pôles étant, une fois encore, indifférenciés.

13 Sur tous ces points, il conviendrait, au-delà des critiques légitimes qui ont été effectuées à leur encontre, de ne pas oublier des travaux tels ceux d’Althusser, de Baudelot et Establet, de Bourdieu et Passeron, de Grignon, de Lahire, de Vincent...

14 Cet aspect me parait tendanciellement nié par certains vygotskiens, voire parfois stigmatisé de manière véhémente (voir la note 12, p. 184, de Brossard, 2004, sur la notion de « culture scolaire »). Cela peut, à mon sens, expliquer le crédit accordé à Chevallard (plutôt qu’à Chervel) sur la question de la fabrication des savoirs scolaires : mieux vaut, en effet, dans cette perspective, considérer qu’ils sont des avatars des savoirs savants plutôt que des savoirs spécifiques, en grande partie auto-générés.

15 Si ce n’était pas au cœur de cet atelier, cela a été le cas pour plusieurs autres.

16 Cela explique qu’au sein de THEODILE nous ayons mis ces questions au cœur de notre nouveau programme de recherches.

17 Au même titre d’ailleurs que les didactiques sont contributoires pour la psychologie...

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