URL originale : https://books.openedition.org/pub/38663

Post-face
p. 269-272
Texte intégral
1En cette période de débats particulièrement animés sur l’école, sur l’enseignement en ZEP et sur le rôle et la place des enseignants dans le système éducatif, cet ouvrage, résultat d’une collaboration de plusieurs chercheurs en Sciences de l’Éducation, est particulièrement le bienvenu. Il nous fait appréhender la complexité des pratiques enseignantes. S’inscrivant dans la démarche de recherche de « l’analyse plurielle » développée dans le cadre du CREN autour de M. Altet, cette recherche croise des points de vue et des cadres théoriques différents afin de restituer cette complexité.
2Plus de 200 pages sont nécessaires pour nous exposer les analyses comparant deux séances de mathématiques portant sur un même sujet (le traitement et la résolution d’un problème ouvert) et menées par deux enseignants différents. Cet exposé ne lasse pas le lecteur car la multiplicité des approches fait apparaître une richesse de résultats, souvent complémentaires, parfois contrastés voire contradictoires ; ils portent en effet sur des aspects différents des pratiques observées.
3Ce livre aborde la question du traitement et de la résolution de problèmes dans l’enseignement des mathématiques à l’école élémentaire et plus particulièrement celle des problèmes ouverts ou « pour chercher ». Cette question fait débat en didactique des mathématiques. Il ne s’agit pas pour les auteurs de défendre une innovation mais d’exposer les difficultés que rencontrent au quotidien des enseignants débutants mais aussi expérimentés (ou experts) quand ils essaient de mettre en œuvre cette activité scolaire.
4Bien que centrées sur la manière dont le professeur dans chaque cas gère l’avancée des savoirs, certaines analyses décrivent en détail les productions des élèves. Elles en montrent à la fois la qualité et les limites. Ainsi, dans les deux classes, des élèves élaborent des arguments, les organisent afin de construire des raisonnements permettant de montrer que 46 ne peut pas se décomposer en trois nombres entiers consécutifs. Ces raisonnements dépassent pour certains le cas particulier et abordent la question plus générale de la propriété caractérisant les nombres entiers pouvant se décomposer en une somme de trois entiers consécutifs.
5Ce constat montre la pertinence mais aussi les limites de ce type d’activité. Les différentes analyses exposées dans la première partie de cet ouvrage montrent toutes et de manières différentes, la difficulté pour le professeur débutant ou expert d’installer un débat permettant à tous les élèves de partager et de s’approprier ces raisonnements. Chaque chercheur essaie d’identifier des causes possibles.
6La didacticienne des mathématiques met davantage l’accent sur l’analyse du problème, sur l’avancée du savoir décrite notamment en termes de contrats didactiques et sur l’épistémologie du professeur. Le feuilletage de la notion de contrat didactique en micro, méso et macrocontrats me semble particulièrement fécond pour décrire ce processus. Élaborée lors d’un travail de thèse précédent, l’application qui en est faite ici me semble tout à fait appropriée. Cela ouvre des pistes pour de futures recherches.
7L’analyse a priori du problème et des procédures susceptibles d’être mobilisées par les élèves et la confrontation avec les productions effectives complètent la description précédente et permettent d’expliquer pourquoi le débat scientifique est si difficile à installer pour le professeur. En effet, une part de la justification ne peut être complètement explicitée par les élèves car elle me semble relever de ce que Vergnaud décrit à l’aide des notions de « théorème en acte » ou « concept en acte ». Pour ces élèves, il relève « de l’évidence » que la somme est croissante ; non seulement le dire n’est pas nécessaire, mais n’est pas perçu comme tel.
8Les autres analyses donnent un éclairage complémentaire. C’est le cas de l’approche développée dans le cadre de la problématisation ou de celle mettant en relation théorie de l’activité, approche ergonomique et didactique.
9Notons que, si ces outils d’analyse didactique permettent au chercheur de mieux expliquer les pratiques observées, il me semble aussi utile de les présenter en formation (initiale comme continue) pour permettre aux professeurs de mieux s’adapter aux conditions réelles de la classe.
10Rappelons que cet ouvrage ne propose pas une modélisation mais des approches complémentaires non hiérarchisées permettant de décrire un phénomène complexe et d’amorcer des éléments d’explication. Cela amène parfois à des conclusions différentes quand les chercheurs abordent la question des effets de telle ou telle pratique sur les apprentissages potentiels ou réels des élèves ou plutôt sur la manière dont chaque professeur installe les conditions susceptibles de les provoquer. Ces conclusions me semblent non seulement dépendre du cadre théorique et de la méthodologie mobilisés mais aussi, et peut-être surtout, de la manière dont chaque chercheur a traduit la question commune « comment ça avance ? ».
11Les préoccupations initiales amènent certains à privilégier l’analyse de la séance alors que d’autres s’appuient davantage sur l’analyse des entretiens. On retrouve dans cette étude collective un constat méthodologique désormais classique quand on tente de croiser les regards : la question initiale détermine pour une large part le choix des données à analyser.
12Ainsi, les analyses développées dans la première partie, davantage centrées sur l’analyse de l’activité du professeur en lien avec celles des élèves vont privilégier le protocole de la séance alors que celles développées dans la seconde partie, davantage centrées sur des questions d’identité professionnelle ou de normes, accordent une place déterminante à l’entretien. On peut penser que si l’analyse de l’épistémologie du professeur avait été davantage explorée, la part de l’entretien serait devenue plus importante dans les analyses de la première partie du livre.
13Les analyses des entretiens qui sont développées m’ont particulièrement intéressé et interrogé en tant que didacticien des mathématiques s’intéressant aux pratiques des professeurs des écoles enseignant les mathématiques en ZEP.
14L’importance qui est accordée à la nécessité pour le professeur expérimenté comme pour le professeur stagiaire de « garder la face » fait prendre conscience des biais possibles du dispositif d’auto-confrontation mis en place. Il en est de même de la description fine des positions respectivement occupées par le maître-formateur, le stagiaire et par le chercheur/formateur conduisant l’entretien. Ces deux chapitres me semblent apporter un éclairage un peu nouveau sur certains aspects méthodologiques liés à ce type de dispositif. Cela interroge le chercheur mais aussi le formateur qui serait amené à reprendre et à adapter le dispositif en vue d’une formation.
15La spécificité du public élève auquel s’adressent les enseignants est surtout abordée dans la seconde partie de l’ouvrage. Elle est traitée en termes de normes mais aussi en termes de rapport au savoir.
16Les analyses développées rejoignent certains résultats qui ont pu être établis dans d’autres recherches.
17La question de la légitimité du professeur est particulièrement cruciale dans les classes de ZEP. Du moins est-elle ressentie ainsi par celui-ci. Les analyses laissent percevoir la manière dont cela peut peser sur les pratiques du professeur notamment comment cela joue sur l’enrôlement des élèves. Il en est de même de la négociation par le professeur stagiaire des comportements des élèves. La crainte d’un chahut endémique, l’installation de ce que d’autres appellent la « paix scolaire » peut orienter, voire contrarier l’activité mathématique prévue.
18 Enfin, l’une des analyses souligne la tentation forte pour le professeur de favoriser une réussite immédiate des élèves, réussite qui peut contrarier des apprentissages à moyen terme. Cela vient confirmer l’existence d’une tension entre une logique de réussite immédiate et une logique d’apprentissage déjà signalée dans d’autres recherches. Cette tension est sans doute plus aiguë quand il s’agit d’enseigner des « savoirs transversaux » ou quand le degré d’incertitude est plus élevé (du fait même de la nature du problème proposé aux élèves).
19Une brève analyse des représentations des professeurs concernant les élèves de ZEP éclaire ces résultats.
20Pour toutes ces raisons, je trouve cet ouvrage particulièrement riche et ne peux que souhaiter qu’il inspire d’autres recherches sur le même thème.
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Pratiques enseignantes des mathématiques
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