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Introduction

p. 17-21


Texte intégral

1Les pratiques d’enseignants sont réputées complexes (voir par exemple les dossiers de la veille INRP, février 2006) et cohérentes (A. Robert, J. Rogalski, 2002). L’évolution historique des recherches sur les pratiques – passage d’un paradigme « processus-produit » à un paradigme interactionniste et intégrateur – témoigne de la nécessité de situer les interactions au cœur de l’analyse des pratiques mais cela ne saurait suffire pour appréhender leur complexité.

2Les recherches développées au CREN dans le cadre de l’analyse plurielle se situent dans ce dernier paradigme et croisent les approches sur les pratiques pour les comprendre (M. Altet, 2002, p. 88) :

Constatant dans les faits l’impossibilité de « l’analyse multiréférencielle » des pratiques menée par un seul chercheur, comme le préconisait J. Ardoino (1990), nous proposons une analyse plurielle à partir d’approches disciplinaires croisées du « travail interactif situé ». Celle-ci est menée par plusieurs chercheurs de sciences de l’éducation issus de disciplines différentes, sur des séquences d’enseignement-apprentissage vidéoscopées de collège et d’école primaire […]

3selon une méthodologie de travail et de recueil des données (M. Altet, 2002, p. 88) :

Chaque chercheur dispose des mêmes données, (bande, vidéo, scripts), et mène son analyse individuelle à partir de son entrée disciplinaire et de ses concepts. Il s’agit alors, dans une seconde phase, de construire le travail commun dans des séances de confrontation et de croisement des analyses. La confrontation entre chercheurs consiste à questionner les approches utilisées en s’attachant à pointer les rapprochements potentiels mais aussi les apports spécifiques de chaque entrée, de manière à reconstruire ensemble une problématique nouvelle acceptée par tous, prenant en compte les différentes approches en les croisant.
Sur le plan méthodologique, trois outils de recueil des données sont utilisés : des observations systématiques, des entretiens avec des acteurs et des préparations de l’enseignant ou des productions des élèves.

4 Les récents travaux réalisés dans ce cadre portent sur l’analyse de l’activité de l’enseignant, comme activité productive et constructive (R. Samurçay, P. Pastré, 2004), ils visent « une théorisation compréhensive de la pratique enseignante en situation » (I. Vinatier & M. Altet, 2008, p. 181) pour comprendre la complexité de l’activité de l’enseignant comme professionnel. Les travaux les plus récents réalisés dans l’axe ont permis d’identifier des organisateurs stables de la pratique de gestion d’un débat en SVT par un enseignant expérimenté (I. Vinatier et M. Altet, 2008), ce qui conduit à des questions concernant la formation de ces organisateurs chez un enseignant et incite à comparer des pratiques d’enseignants expérimentés et d’enseignants novices à propos des situations semblables.

5Il y a bien entendu plusieurs façons de travailler la complexité des pratiques à partir d’une pluralité d’approches. Dans cet ouvrage, nous nous situons dans une perspective compréhensive et explicative de la pratique de l’enseignant professionnel organisant les apprentissages des élèves dans un cadre donné. Nous visons à identifier des variables qui agissent dans les processus interactifs enseignement-apprentissage en classe mais aussi à les articuler pour appréhender la complexité des pratiques enseignantes à partir de différents courants théoriques qui révèlent et fondent cette complexité des pratiques enseignantes. Pour cela, nous nous sommes fixés deux directions de travail.

6La première interpelle la partie interactive des pratiques et concerne plus particulièrement la façon dont l’enseignant organise la rencontre des élèves avec le savoir mathématique. Quelle(s) signification(s) peut prendre la pratique d’un enseignant pour des élèves ? Quelles variables des pratiques peut-on dégager de ce point de vue ? Comment se situent-elles les unes par rapport aux autres ? Qu’apportent-elles chacune et toutes à la compréhension de la complexité des pratiques et de leur effet sur les apprentissages des élèves ? La seconde direction intègre des aspects intentionnels des pratiques et concerne leur construction, leur actualisation et leur signification. Qu’est-ce qui donne sens à la pratique d’un enseignant ? Que signifie la pratique d’un enseignant du point de vue de la formation, de l’identité professionnelle ?

7Ces deux directions de travail sont pour nous primordiales car elles permettent d’accéder à deux grandes questions non indépendantes qui justifient à nos yeux l’étude des pratiques d’enseignement en Sciences de l’Éducation : l’étude des interactions dans la classe permet d’envisager in fine la question des apprentissages des élèves ; l’étude des aspects intentionnels des pratiques permet d’envisager la question de la formation des pratiques. Or, l’identification de points de complexité sensibles du point de vue des apprentissages des élèves et de variables qui fondent les pratiques devrait fournir des leviers essentiels pour la formation des enseignants.

8 Les deux aspects de la complexité des pratiques travaillés dans cet ouvrage sont mis en résonance à partir d’un matériau empirique constitué des vidéos de séances de classe et d’entretiens d’auto-confrontation différés1 qui présente les particularités suivantes : les vidéos de classe correspondent à la réalisation d’un même problème de type problème pour chercher en mathématiques (MEN, 2005) par deux enseignants d’expérience différente (un maître-formateur2 ou PEMF et une professeur des écoles stagiaire ou PE23) dans des classes qu’ils connaissent peu.

9Ces choix sont référés à deux hypothèses que nous avons formulées à partir des travaux réalisés antérieurement dans le cadre de l’analyse plurielle au CREN (voir en particulier, I. Vinatier et M. Altet, 2008). D’abord, nous pensons que la complexité des pratiques dépasse largement la dualité « expert – novice ». Notre choix d’enseignants doit donc nous permettre de traiter de la complexité des pratiques en rapport avec cette dualité sans s’y restreindre. De plus, nous pensons que la complexité des pratiques d’enseignants se dévoilera plus facilement dans des situations où les routines des enseignants et les habitudes prises entre les enseignants et les élèves sont bousculées, c’est-à-dire dans des situations « innovantes » pour eux. Or, nous jugeons les situations de type problèmes pour chercher en mathématiques comme telles. En effet, ces problèmes qui s’apparentent aux problèmes ouverts au sens de G. Arsac et M. Mante (2007, p. 20) ne visent aucun apprentissage de connaissance curriculaire nouvelle mais l’apprentissage d’une démarche de recherche en mathématiques et d’un raisonnement argumentatif :

Nous appelons problème ouvert, un problème qui possède les caractéristiques suivantes :
L’énoncé est court.
L’énoncé n’induit ni la méthode, ni la solution (pas de questions intermédiaires ni de questions du type « montrer que »). En aucun cas, cette solution ne doit se réduire à l’utilisation ou l’application immédiate des derniers résultats présentés en cours.
Le problème se trouve dans un domaine conceptuel avec lequel les élèves ont assez de familiarité. Ainsi peuvent-ils prendre facilement « possession » de la situation et s’engager dans des essais, des conjectures, des projets de résolution, des contre-exemples.

10Cela constitue une réelle rupture par rapport aux problèmes proposés le plus souvent dans cette discipline. Cette volonté de « briser » les routines nous a aussi amenés à faire intervenir le maître-formateur dans une classe différente de la sienne (pour plus de précisions voir le chapitre « Présentation du corpus », Magali Hersant).

11Le travail spécifique d’étude de la complexité des pratiques réalisé à partir de la confrontation de différents « éclairages » de ce corpus, ou d’une même partie de ce corpus fait l’objet de synthèses. La méthode a consisté à discuter les écrits intermédiaires de chacun pour développer une compréhension plus fine des variables de la complexité des pratiques d’enseignant étudiées dans chacune des approches et à articuler les éléments de cette complexité.

12L’ouvrage débute par une présentation du corpus de l’étude (complétée en annexe par la description schématique des séances), puis une analyse didactique des séances et des productions des élèves. Ces chapitres sont utiles au lecteur pour se repérer dans les différentes analyses proposées ; ils sont aussi indispensables pour déterminer et fixer le cadre dans lequel s’inscrivent les analyses présentées. Suivent trois parties.

13La première partie, est centrée sur la complexité des pratiques du point de vue de la façon dont l’enseignant organise la rencontre des élèves avec le savoir. Elle regroupe des études des relations entre : modalités interactives réalisées en classe, construction du savoir chez les élèves, stratégies et contraintes des enseignants. La seconde partie porte sur la complexité des pratiques du point de vue de la construction subjective de la professionnalité. Cette partie s’attache à l’articulation des représentations, savoirs, valeurs en actes et pratiques effectives en lien avec la constitution de gestes professionnels. Chacune de ces parties comporte une synthèse. Il nous semble que pour ces deux parties, deux parcours de lecture sont possibles. Le premier respecte l’ordre de présentation, dans ce cas le lecteur peut avoir, comme nous l’avons eu, une démarche de synthèse à partir des différentes contributions. Le second parcours débute par la synthèse, dans ce cas la lecture de chacune des contributions illustre la synthèse. Dans la troisième partie, nous revenons sur la méthodologie de cette recherche, notamment du point de vue des rapports entre pluralités des éclairages et points d’entrée dans la complexité des pratiques dégagés et reprenons de façon synthétique nos résultats.

Bibliographie

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Références bibliographiques

10.3406/rfp.2002.2866 :

Altet M., « L’analyse plurielle de la pratique enseignante, une démarche de recherche », Revue Française de Pédagogie, n° 138, 2002, p. 85-93.

Arsac G., Mante M., Les pratiques du problème ouvert, Repères pour agir, SCEREN, 2007.

INRP, Pratiques enseignantes, Les dossiers de la veille scientifique et technique, http://www.inrp.fr/vst/Dossiers/Pratiques_enseignantes/presentation/open1.htm

10.1080/14926150209556538 :

Robert A., Rogalski J., « Le système complexe et cohérent des pratiques des enseignants de mathématiques : une double approche », Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education (La Revue Canadienne de l’Enseignement des Sciences des Mathématiques et des Technologies), 2-4, 2002, p. 505-528.

Samurçay R., Pastré P., Recherches en didactique professionnelle, Toulouse, Octarès Éditions, Coll. « Travail et Activité humaine », 2004.

Vinatier I., Altet M., Analyser et comprendre la pratique enseignante, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008.

Notes de bas de page

1 Ces entretiens entre l’enseignant qui a réalisé la séance et M. Hersant (didacticienne des mathématiques) ont comme support la vidéo de la séance utilisée pour analyser la pratique de l’enseignant.

2 Un maître-formateur est un enseignant du premier degré en charge d’une classe et dont une partie du temps est dévolue à la formation et à l’accompagnement des stagiaires professeurs des écoles. Il est titulaire d’un CAFIPEMF (Certificat d’Aptitudes aux Fonctions d’Instituteur/Professeur des Écoles Maître-Formateur).

3 Un enseignant stagiaire est lauréat du concours de professeur des écoles (CRPE) et bénéficie dès son recrutement d’une année de formation professionnelle à l’IUFM. Cette période alterne cours théoriques et stages pratiques.

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