Chapitre IV. Vers une transformation régulée de la circulation et de la répartition des informations par messageries
p. 127-162
Texte intégral
I – Influence des structures et de la culture de l’organisation dans le modèle en réseau
1. Emprise du système de contrôle
1L’inventivité des utilisateurs et leurs capacités de réinvention des messageries sont limitées non par un mais par quatre types de maintien du système de contrôle : la supervision directe, la stratégie de la normalisation, le processus de production et l’ajustement mutuel. Tout d’abord la supervision qui est nécessaire dans les opérations techniques étouffe la créativité pour laquelle une marge de liberté est nécessaire. De même, la stratégie de la normalisation conduit à éliminer ou du moins à réduire la variété et l’originalité. L’entreprise, et en particulier l’entreprise à vocation créatrice ou dans la production d’idées, se trouve alors face à un paradoxe, un conflit de finalités. Le processus de production est également soumis à des contraintes multiples spécifiées d’ailleurs par les conventions collectives de travail. Les responsabilités prédéfinies restreignent les possibilités d’esprit créatif et donc d’innovation. Enfin, ceux qui détiennent le système de contrôle laissent peu leur pouvoir décisionnel aux soins de l’ajustement mutuel, dans le cadre d’échanges face à face. Une politique d’ajustement mutuel et de délégation ne peut être que limitée en raison des craintes liées à l’investissement, à la nécessaire visibilité politique et à la lourdeur de la technologie de production.
2L’autre hypothèse que développe James R. Taylor (1991), à la lumière de plusieurs expériences professionnelles, est qu’il existe un lien profond entre la structure administrative, la structure d’une équipe de production et la structure d’un produit. L’expression créatrice et l’innovation sont faibles dans les structures hiérarchisées où les rôles de chacun sont stricts. Les structures où l’expression personnelle est sollicitée conduisent à des explorations plus originales mais aussi à la division du groupe en cliques. Mais il y a plus. Le système de contrôle est nettement renforcé par la mise en réseau des activités. Ainsi, par le choix de certaines configurations informatiques, par les limitations imposées à la diffusion des boîtes aux lettres électroniques, le non respect de l’anonymat ou le contrôle à distance du travail informatique des employés, le réseau informatique peut être un moyen dangereusement efficace de contrôle à distance. Ainsi tous les courriers électroniques peuvent être soumis à l’œil inquisiteur d’un chef de personnel trop curieux. La plupart des boîtes aux lettres sont alors centralisées dans un serveur et les messages peuvent être lus instantanément. Des logiciels comme Little Brother, WinwhatWhere ou Pcanywhere qui se diffusent actuellement sur l’hexagone permettent de connaître exactement les utilisations informatiques des salariés. L’arrêt du 22 mai 1995 fait obligation à l’employeur de porter à la connaissance des salariés, des syndicats et de la CNIL l’existence d’un système de contrôle. La CNIL recommande la recherche d’un équilibre entre le respect de la correspondance privée et les obligations liées à la sécurité dans l’entreprise.
2. Circulation des informations et modèles d’entreprises
3Le travail en réseau dépend très largement du contexte culturel. D’après Nizet et Pichault (1995), il convient de distinguer cinq grands modèles dans les organisations :
dans le modèle adhocratique, la communication entre équipes de travail est primordiale. Le contrôle bureaucratique y est quasiment inexistant et la circulation de l’information capitale car l’entreprise est amenée à innover sans cesse dans un environnement instable. Les entreprises de presse, informatique, pharmaceutique ou aéronautique correspondent fréquemment à ce modèle. Dans l’échantillon d’entreprises se retrouvent des équipes pluriniveaux et pluridisciplinaires relevant du modèle adhocratique ;
le modèle bureaucratique des grandes organisations non concurrentielles est fondé (avec des nuances d’une organisation à l’autre) sur la centralisation des pouvoirs, des relations conventionnelles et hiérarchisées, un manque de concertation ou une concertation sans effet, des changements lents, peu de pouvoir de décision et d’initiative possible. L’objectif du travail en réseau paraît difficile à atteindre ;
dans le modèle entreprenarial, l’entreprise, de type PME, est dirigée par une seule personne et se développe dans un marché instable où elle s’équipe comme ses clients. Le développement d’un extranet, qui favorise la réduction des coûts généralisés, est dans ce cas favorisé ;
le modèle missionnaire concerne par exemple les associations humanitaires qui utilisent de plus en plus le courriel pour des envois massifs à moindre coût ;
dans le modèle professionnel (universités, hôpitaux), les unités sont relativement indépendantes avec un pouvoir fort dans chaque unité et des conflits sur la répartition des ressources. Les arbitrages incombent à la hiérarchie. La difficulté peut être dans le décloisonnement des services et des sites qui favorisent le travail en réseau ;
4Comment franchir en douceur le rubicond qui sépare le château du réseau ? Lier (in Curien, 1992) suggère plusieurs démarches expérimentées avec succès conduisant à des organisations hybrides, compromis entre les structures verticales et horizontales.
5A priori, certains compromis paraissent inconciliables (autorité et influence, rationalité et intuition, gestion et innovation, sécurité et opportunités, stabilité et changement, résultats à court terme et projet à long terme...). De plus, les entreprises ne sont pas à l’abri de situations paradoxales. Le manager en arrive à renforcer son pouvoir en développant l’auto-organisation, l’autonomie et les responsabilités individuelles. Mais, au risque de se trouver dans une situation inconfortable, il semble que les dirigeants aient avantage à encourager les réseaux d’acteurs innovants, à encourager la population des jeunes cadres, à accepter les conflits tant qu’ils sont créateurs et à rémunérer l’innovation autant que l’obéissance. Bien sûr, ajoute Lier, ces transformations se heurtent à la peur du désordre liée à la prise d’initiatives autonomes et à la décentralisation du management.
6Ces modifications supposent suffisamment de détermination de la direction générale face à des peurs comme la perte du pouvoir ou de l’influence au sein de l’organisation. C’est le cas par exemple d’un cadre administratif de l’échantillon qui est conduit à mettre sur le réseau une information qu’il était le seul à détenir jusqu’à présent. Les phénomènes de résistance au partage de l’information sur des bases de données communes sont bien connus dans certaines entreprises actuellement. Des entreprises dépassent la rétention d’informations par des actions de valorisation comme des primes ou des promotions internes. Le processus de mise en commun dans des bases de données partagées concerne par exemple les commerciaux d’une même société bancaire qui saisissent chaque semaine des informations sur leurs clients et le cas échéant sur les clients de leurs collègues. De gros investissements sont réalisés actuellement pour des projets de cet ordre. Dans ce contexte qui émerge, la défection d’un membre n’empêche pas le réseau de continuer son travail. Le logiciel Lotus Note permet ensuite de faire des recherches par mots clés dans ces bases de données partagées.
7Mais, sur le plan méthodologique, le partage de l’information contenue dans des bases de données communes est loin d’être simple. Ce partage soulève de nouvelles interrogations. Quels sont en effets les types d’information à partager ? Avec quel niveau de transparence et quelles règles de confidentialité ? Quels sont les risques de violation des règles de confidentialité au sein même de l’organisation ?
3. Dualité entre château et réseau
8En plus de l’encouragement des réseaux d’acteurs innovants, il convient de réguler par contrat les relations entre le centre et la périphérie. En effet, pour assurer la cohésion du système et la cohérence des échanges, il est nécessaire de créer un ensemble de règles du jeu, peu nombreuses mais intransgressables. L’administratrice d’un très puissant système de messageries d’entreprise interrogée entre 1997 et 2001 n’a jamais voulu recourir à la contrainte mais plutôt à des relations contractuelles avec les utilisateurs afin de réguler les forums de discussion et de rationaliser l’envoi des messages électroniques.
9Lier (in Curien, 1992, p. 153-157) explique que par le contrat, la cohérence ainsi maintenue est plus faible que celle assurée par des procédures et moyens contraints. Mais c’est le prix à payer pour garantir à la fois la connexion du système et sa capacité de changement. Il faut cependant préciser que la régulation par contrat n’est performante que s’il s’agit de véritables contrats, réellement négociés, en y consacrant le temps nécessaire.
10La troisième proposition est la conduite de changement par équipes de projet à durée éphémère. Cette forme d’organisation suppose un passage des modèles hiérarchiques habituels à des modèles d’animation et de coordination qui visent à donner aux membres de l’équipe les moyens d’exercer leur talent et à les stimuler dans le jeu collectif. Les membres de l’équipe sont des experts qui, dans leur domaine, dépassent le chef de projet. Celui-ci n’a donc pratiquement jamais de supériorité technique par rapport à ses coéquipiers. Son autorité s’appuie sur sa compétence à réguler les hommes. Cela suppose un profil de personnalité et de pratiques relationnelles très proches de celui d’entraîneur ou de médiateur, pour reprendre la typologie de Blake et Mouton (qui distingue aussi le productif centré sur la tâche, l’affectif et le démissionnaire). Le chef de projet assure une fonction d’interface entre les départements ressources de son entreprise, son équipe, les sous-traitants et ses interlocuteurs-clients.
11Le passage du château au réseau dépend aussi des négociations menées avec les réseaux, notamment les syndicats professionnels. Certes, ces réseaux sont moins hiérarchisés et plus informels qu’une organisation et la spécialisation des rôles y est moins grande. Les frontières du réseau sont moins précises que dans une organisation où la coordination repose sur des règles explicites. Il faudrait ajouter que, bien souvent, un individu ne fait pas partie d’un seul mais de plusieurs réseaux. Pour toutes ces raisons, le réseau est plus difficile à appréhender que l’organisation hiérarchique et l’influence du système de liens plus diffus.
12Mais, pour un dirigeant, il convient de reconnaître les différentes formes de centralité. Cette question est moins simple qu’elle n’y paraît car il faudrait distinguer non pas une mais trois formes de centralité (Parlebas, 1992) :
la centralité de proximité suppose d’être en contact permanent avec les personnes auprès de qui l’information est disponible ;
la centralité d’intermédiarité concerne l’individu qui est en relation fréquente avec les autres services et les autres sites ;
la centralité de flux concerne les individus qui polarisent la plupart des choix de connexion des autres membres du réseau et se retrouvent au centre d’une toile, en drainant vers eux les courants affectifs. Ils exercent par leur position privilégiée une forte influence sur les membres du réseau auquel ils appartiennent.
13Les membres de l’organisation qui occupent ces positions privilégiées de centralité sont des nœuds de communication. Les individus qui relient le réseau à d’autres groupes sont des « ponts » ou des « liaisons » (dans ce cas, ils ne font partie d’aucun groupe mais échangent leurs informations avec plusieurs réseaux). Le rôle de « relais » est rempli par des individus qui relient le réseau et l’environnement. Ils en repèrent les menaces et les opportunités. Les individus qui ne remplissent aucun rôle stratégique dans le réseau mais qui participent aux échanges sont de simples membres. Cette présentation est cependant à nuancer car les rôles ne sont pas figés et peuvent être interchangeables en fonction des spécialités de chacun.
4. Complexité d’analyse des freins structurels et culturels
14Les propositions de Lier se heurtent à des freins structurels et culturels complexes à analyser. Rowe et Béal (1998) le démontrent à propos du secteur de la banque qui se caractérise par une orientation vers les tâches, l’aversion pour le risque face à la liberté que pourraient prendre les chargés de clientèle en court-circuitant les hiérarchies. De plus, les auteurs ne confirment pas les observations effectuées aux États-Unis par Trévino, Daft et Lengel (1987) sur les promotions plus élevées pour les cadres en raison de l’utilisation des messageries électroniques. Les dirigeants français restent attachés à l’écriture manuscrite.
15Une autre particularité, confirmée par l’enquête, concerne les entreprises asiatiques. L’un des traits dominants dans ce contexte est l’importance des relations de confiance, qui lient l’entreprise et ses fournisseurs mais aussi leurs successeurs. La parole est un engagement suivi d’un acte effectué en confiance (Marc Maurice, Naharo Hiroatsu, 1999). Le caractère de Shin (confiance) en japonais est composé de hito (homme) et gen (parole). La confiance renvoie donc à la concordance d’un homme avec sa parole. Elle s’exprime à travers des actes de langage qui sont des promissifs (Austin, 1970). Les affaires, qui peuvent démarrer lentement, n’existent que s’il existe des relations de confiance informelles entre les deux parties. Il s’agit de l’une des grandes spécificités des pays asiatiques de culture confucéenne et bouddhique. Il s’en suit que le contrat écrit atteste pour les Chinois (Id., 1999) d’une méfiance qui déshonore. En plus de l’importance de la communication verbale (qui n’exclut évidemment pas les messageries électroniques) et du face à face pour les dirigeants, il convient de noter également la complexité du système de transcription du langage japonais avec des milliers d’idéogrammes (correspondant chacun à une idée). Au Japon, si l’Internet fixe a connu une faible pénétration, l’interdiction de téléphoner dans les trains et la saisie des messages facilitée par les caractères japonais expliquent le succès de L’I-mode mail à partir des nouveaux téléphones portables. Mais les pratiques japonaises et occidentales se rapprochent actuellement.
II – Médiations techniques et socio-culturelles
1. Approche par les médiations
16Les transformations des pratiques de communication s’élaborent à travers l’alliage de la médiation technique et des autres médiations. La médiation technique désigne les effets de la logique et de la forme du média sur la communication. Ces effets portent principalement sur quatre variables : le contenu linguistique, le temps médiatique (qui est accéléré), les flux d’information (qui augmentent) et les changements de modalités dans l’interaction sociale. L’approche des linguistes à partir d’indices lexicaux, syntaxiques et normatifs s’avère très féconde pour analyser les effets et la logique de chacun des médias. Les autres variables font l’objet de recherche en communication ou en sociologie des médias.
17Comment situer la messagerie électronique dans le système des médias ? Gondrand (1990) établit une typologie de 31 médias, dont la messagerie électronique. Son analyse est certes détaillée et décrit bien le potentiel de chacun des médias. Mais elle devrait être remise à jour plus de 10 ans après sa publication, notamment avec l’émergence du multimédia et du haut débit dans les messageries. Et surtout, elle ne souligne pas les décalages d’utilisation selon les contextes (métiers, activités, cultures d’entreprise). L’approche de Moles (1986) est plus adaptée à l’analyse car elle privilégie l’analyse des interactions proches et lointaines et mesure la qualité de la téléprésence régie par l’homme ubiquitaire, dans un contexte d’opulence communicationnelle. La recherche de critères peut s’avérer particulièrement riche pour les messageries électroniques car ce média remet en cause les distinctions traditionnelles entre média interpersonnel et média de masse, fonctionnel et convivial, esthétique et sémantique, réciproque et unidirectionnel, asynchrone ou synchrone, monocanal ou multicanal.
18Le problème posé par l’introduction d’un média est celui de la compatibilité entre l’innovation et le système dans lequel il doit s’intégrer. En effet, tout système vivant cherche à maintenir son identité en sélectionnant les perturbations qui sont compatibles avec son programme. Des phénomènes de résistance apparaissent plus fortement quand les cultures et les structures de l’organisation ne sont pas compatibles avec les changements induits par les TIC. Ainsi, l’intervention d’un conseiller ou d’un expert s’avère nécessaire en raison de ces phénomènes de résistances socioculturelles observés dans les organisations.
19Cette médiation humaine consiste à trouver des chemins entre toutes les médiations en interaction : médiation sociale (représentations, normes et valeurs du groupe), configuration géographique de l’entreprise, politiques des TIC, cadre juridique du document et, depuis mars 2001, de la signature électronique...
20Les médiateurs, à l’interface de la technique d’une part, du social et de la linguistique d’autre part, sont des ingénieurs du social capables, dans l’optique de Callon et Latour (1978), de traduire les besoins des utilisateurs en langage technique et le langage technique dans le langage spécifique des cultures de métiers.
21Le médiateur a pour fonction de repérer les blocages : certains relèvent d’une carence dans les dispositifs de formation, de pannes, de changements de système trop fréquents qui usent la patience des utilisateurs ou d’une maintenance insuffisante. Les raisons sont parfois liées à une incertitude concernant le niveau de contrôle possible avec l’informatique ou l’absence pour les utilisateurs d’une vision globale du système d’information de l’entreprise. Et puis surtout, les résistances proviennent de ce que Ettighoffer appelle le syndrome de chronos, c’est-à-dire le stress lié aux impératifs de temps. Toutes ces résistances justifient une écoute du médiateur dans une démarche qui s’oppose à la censure des émotions, au secret et au mensonge.
22La médiation curative est la plus connue des formes de médiation. Six (1990) distingue en outre :
la médiation créatrice qui a pour but de susciter entre des individus ou des groupes d’individus des liens qui n’existaient pas entre eux auparavant ;
la médiation préventive qui devance un conflit en gestation entre des individus ou des groupes pour éviter qu’il n’éclate ;
la médiation rénovatrice qui permet d’améliorer entre des individus ou des groupes des liens distendus ou devenus indifférents.
23La durée est le point névralgique de la médiation. Pour que l’échange soit de plus en plus exact et de plus en plus nourri, il y faut beaucoup de patience, une intense attention, de multiples répétitions pour entendre le discours qui est sous le discours, déceler les interrogations, opérer le tri des problèmes, faire émerger le nœud de l’affaire, proposer un itinéraire, une stratégie qui permette d’atteindre le but.
2. Contextes en interaction et participation écologisée
24Cependant, l’intégration est un phénomène complexe. L’organisation est en effet un système différencié où chaque sous-système (service, département, site) est régi par des comportements et des attitudes spécifiques.
25La construction d’un système global de coordination et de collaboration dépend d’une cognition distribuée, au-delà des perceptions singulières.
26Il convient d’ajouter le contexte normatif et culturel de chacun des métiers, les contextes culturels du site, de l’entreprise et du pays également, le contexte d’utilisation des outils (conditions pratiques de travail, dispositifs informatiques), l’espace personnel, la « niche » (siège, fauteuil, bureau, l’objet, l’accessibilité limitée à certains acteurs), éléments constitutifs du contexte d’utilisation dans lequel s’inscrivent les communications. C’est donc un processus dynamique de convergences qui explique que dans un même bassin d’emplois dans le secteur industriel normand, les messageries électroniques donnent des résultats aussi contrastés.
27Ce constat relativise l’hypothèse selon la culture nationale prime car il se trouve des entreprises multinationales américaines implantées en France qui ont développé de manière plus précoce et plus dynamique des messageries.
28Dans une optique proche de la pensée de Six, de Tessier et de Habermas, le progrès technique n’est pas en effet l’affaire de tel ou tel expert mais d’une réflexion collective, ce qui suppose l’organisation d’une médiation et d’une traduction. En effet, chaque communauté de travail a son propre langage, d’où l’importance d’une participation écologisée prenant en compte toutes les strates culturelles et linguistiques de l’entreprise. Une situation exemplaire est fournie dans l’échantillon d’entreprises par la réécriture collective d’un logiciel de messageries. Mais cette pratique n’est pas très répandue.
29L’approche système conduit à relier la résistance rencontrée à plusieurs niveaux en établissant entre eux des rapports de pertinence. En effet, les conduites des acteurs se situent à plusieurs niveaux (micro-systémique ou macro-systémique). Ces conduites relèvent des statuts formels et informels, des modèles socioculturels au sein de l’organisation et des modèles culturels sociétaux qui ne sont pas les mêmes aux États-Unis et en France, ce qui explique les écarts de succès dans la radiomessagerie par exemple entre ces deux pays.
30Il faudrait dans cette optique distinguer différents plans (local, régional et national). Ainsi, l’intégration des messageries et des autres médias se fait plus ou moins rapidement et avec plus ou moins d’intensité d’un site à l’autre.
31Les résistances peuvent être ainsi liées à une perturbation microsystémique. C’est le cas rencontré dans une entreprise contactée. La construction d’une base de données partagées sur le réseau était retardée par les multiples objections d’un intermédiaire d’information dont le rôle charnière se trouvait remis en cause. A moins d’anticiper le changement et de se positionner aussitôt comme moteur du changement, la crise identitaire apparaît. Rendre accessible une information sur des bases de données reliées à une messagerie est vécu comme une désappropriation par un intermédiaire d’information. La politique de motivation suppose donc tout un jeu de compensation (gratifications, formation aux outils) car l’objectif est d’augmenter le capital intellectuel de l’entreprise.
32La résistance peut être d’origine intra-organisationnelle lorsque la culture et la structure du métier sont peu comptatibles avec la messagerie électronique (Rowe, 1998) ou bien extra-organisationnelle si la ville ou la région a pris du retard en matière d’infrastructures.
33La logique de ce type d’intervention n’est pas linéaire et planifiée mais cybernétique et évolutive, fidèle en cela au comportement du système vivant. Les acteurs procèdent par bifurcations, retour en arrière, révisions du diagnostic si de nouveaux symptômes apparaissent. Ils acceptent des divergences et des conflits de représentations au lieu de les repousser au nom du maintien d’une identité. La nature exacte du problème définit au début se précise et se transforme au cours de plusieurs discussions : c’est aussi le principe du modèle de la convergence développé par Rogers et Kincaid (1986).
34Admettre l’idée d’une approche écologique qui va bien au-delà des approches intra organisationnelles, conduit en particulier à comparer le système anthropologique américain et le système de souche latine, dans l’hypothèse, à démontrer, d’une influence de cette médiation culturelle sur l’appropriation des TIC.
35Or, l’hypothèse d’un comportement individualiste nationale des Français développée par Jean François Chanlat (1990) n’est pas confirmée dans toutes les organisations françaises.
III – Malentendus liés aux contextes et surabondance de messages
1. Les malentendus dans leurs contextes
36Les phénomènes de proximité ou l’éloignement dans une situation de travail coopératif ne peuvent être ignorés, à moins de prétendre que le réseau « annule » la distance. En situation éloignée, la messagerie électronique présente pour des actes précis et un contrôle différé un avantage indéniable sur le téléphone et le face à face (Rowe, Béal, 1998 ou Rowe, Monod, 2000). D’un autre côté, un manque de contextualisation (Sperber, Wilson, 1989) et de redondance du message (Weaver, 1947) présentent des risques de malentendu dans les situations complexes.
37Les tensions liées au manque d’éléments contextuels dans des messages un peu secs sont un peu en augmentation (4 citations seulement en 1997, mais 10 en 2001). D’autre part, les messageries ne sont pas adaptées à la négociation ou à la discussion pour 12 répondants en 2001 contre 5 en 1997. Enfin, les messageries électroniques suscitent de l’incompréhension en raison d’un manque de contact humain (5 citations en 1997, 8 en 2001). Un cas typique de malentendu lié au manque de contexte dans un travail collectif en réseau, au sein d’une entreprise dans l’agro-alimentaire, est celui d’une série de références qui restent implicites pour le service production car tous les utilisateurs sont supposés les connaître. Or, la personne qui traite habituellement l’information étant absente, c’est toute la succession des opérations qui est suspendue. Un autre exemple pour ceux qui ont rejoint depuis peu une communauté de travail est celui des abréviations qui existent non seulement dans la communauté des internautes (FYI, for your information, TIA, thanks in advance, slts, salutations...) mais aussi dans chaque communauté professionnelle (transport, logistique...).
38La principale source de malentendus est liée à la méconnaissance des contextes d’émission et de réception, dans le cas de mise en réseau de territoires culturellement très hétérogènes.
39Les contextes qui soulèvent des tensions sont :
le contexte institutionnel et existentiel : c’est l’identité des interlocuteurs, leur environnement physique, le lieu et le temps d’énonciation ;
le contexte situationnel qui fait que les messages se rattachent à une culture qui leur donne sens. Des messages sont intolérables dans une culture et parfaitement admis dans une autre. Ainsi, certains actes de langage comme des actes institutionnels ne peuvent exister que dans un contexte social donné. Sperber et Wilson (1989) citent le cas des promesses et des remerciements qui demandent une connaissance du contexte culturel pour être accomplis avec succès ;
le contexte interactionnel, c’est-à-dire l’ensemble des règles suivies par les protagonistes au cours d’une séquence d’interactions ;
le contexte présuppositionnel qui renvoie aux croyances des interlocuteurs.
40On conçoit en particulier l’importance d’une fine compréhension des contextes dans les situations d’urgence (accidents, pannes, explosions, problèmes graves de sécurité) qui cristallisent toutes les tensions puisqu’il s’agit, sans délai et par des outils électroniques, de prendre les premières décisions urgentes à distance, sachant que les cultures des métiers renvoient chacune à des règles et des procédures, des valeurs et des postulats spécifiques. Dans une situation d’urgence, la formulation des requêtes et leur interprétation peuvent conduire les premiers secours dans une mauvaise direction à cause des croyances, des perceptions et des contextes d’énonciation des intéressés. Il faudrait dresser la carte mentale des acteurs afin de réduire les prises de décisions inadaptées, en raison notamment d’éléments culturels restés implicites.
41La deuxième question soulevée par les malentendus à distance est liée à la trop grande brièveté des messages, qui vise à réduire à la fois la saisie et la lecture des messages. Cette concision est possible en réduisant la redondance. En théorie de l’information, cette notion recouvre toutes les simplifications, comme la suppression des répétitions qui représentent une catégorie particulière de redondance. Si l’on peut deviner ce qui va suivre, il est possible d’autre part de réduire le message tout en reconstituant le sens du message à la réception.
42Certes, des informations implicites sont rendues si évidentes que le destinataire est en mesure de recomposer l’intégralité du message. Mais la plupart du temps, il est impossible de faire abstraction de l’indétermination de l’information implicite et des erreurs interprétatives qui en découlent. Il convient ainsi de connaître le contexte culturel pour faire la différence entre promettre et simplement affirmer que l’on accomplira tel ou tel acte. On peut ne pas faire et en être accusé sans pour cela ne pas avoir tenu une promesse qui est une forme particulière d’engagement, culturellement déterminée. De même, le remerciement est une forme de gratitude très marquée par la culture d’origine. Enfin, de nombreuses sociétés ont des formes d’engagement autres que la promesse et qui peuvent se rapprocher du serment.
43En fait, tout repose sur l’idée que l’émetteur se fait des capacités cognitives du récepteur et du niveau d’information qu’il juge utile pour se faire comprendre de lui. L’équivoque désigne l’incertitude qui demeure sur le signal après sa réception : la finesse du récepteur n’est pas toujours à la hauteur de la finesse de l’émetteur.
44En observant le style d’un message performatif, on peut découvrir ce que l’émetteur pense des capacités cognitives, du niveau d’attention et de connaissance sur le sujet du récepteur. Le style de l’acte de langage nous permet de découvrir jusqu’à quel point l’émetteur est disposé à faciliter la tâche du récepteur, le degré de complicité qui existe entre eux, leur proximité ou leur éloignement émotionnel. Le locuteur vise donc plus ou moins à élargir l’environnement cognitif mutuel qu’il partage avec le récepteur, tout en présupposant en même temps l’existence d’un certain degré de mutualité qui est communiqué par le style de l’énoncé. La réflexion de Sperber et Wilson (1989) correspond bien à cette analyse. Le locuteur doit attribuer certaines capacités cognitives et certaines ressources contextuelles au récepteur qui se reflètent dans ce qui reste ou non implicite.
45L’émetteur choisit donc un niveau d’information supposé correspondre aux capacités du récepteur. Il n’est toutefois pas facile de trouver le bon équilibre dans la composition d’un message et savoir ce qui doit rester implicite dans la structure profonde (la signification) de l’énoncé et ce qui doit être explicité dans la structure de surface (les phrases effectivement composées). Dans quel cas le verbe performatif doit-il par exemple être explicité sans alourdir la phrase ?
46Si l’émetteur sous-estime les capacités du récepteur, celui-ci peut trouver un message condescendant, voire insultant, alors que l’intention de l’émetteur n’était pas de cette nature. A l’inverse, le locuteur peut surestimer le degré de compréhension mutuelle et rendre son énoncé difficile, voire impossible à comprendre.
47Un locuteur qui cherche à être pertinent laissera implicite toute l’information que le récepteur reconstituera au prix de moins d’efforts qu’il ne lui en faudrait pour traiter un rappel explicite. Mais l’important ici est que le locuteur soit obligé de choisir une forme ou une autre pour véhiculer son message et que la forme qu’il choisit révèle l’idée qu’il se fait des ressources contextuelles et des capacités cognitives de l’auditeur. Il n’existe pas de style parfaitement neutre à cet égard.
48Face aux risques de malentendus, le récepteur du message met en place des mécanismes de désambiguïsation, mécanismes interprétatifs qui sont en jeu chez tout récepteur de message. Le locuteur fournit par son énoncé une expression interprétative d’une de ses pensées et l’auditeur construit, sur la base de cet énoncé, une hypothèse interprétative portant sur l’intention informative du locuteur.
49L’un des enjeux de la communication est dans la réduction des écarts entre intention de l’émetteur et interprétation du récepteur (Waever, 1947). L’auteur y évoque notamment la complexité des problèmes sémantiques concernant l’identité, ou une approximation suffisamment proche, entre l’interprétation du récepteur et l’intention de l’émetteur.
50Au cours du processus interprétatif des énoncés, le récepteur doit reconstituer la forme propositionnelle juste, c’est-à-dire la forme propositionnelle conforme à l’intention de l’émetteur par un travail de désambiguïsation et de recherche de détermination des référents. La reconstitution de la forme propositionnelle met en jeu deux mécanismes mentaux : un module linguistique périphérique et une capacité inférentielle centrale. On pourrait imaginer que le module linguistique construit toutes les représentations sémantiques possibles de chaque phrase, l’une de ces représentations étant ensuite sélectionnée par le mécanisme central. Le choix va dépendre manifestement de facteurs contextuels. Il s’agit d’éliminer les ambiguïtés et les indéterminations référentielles d’une phrase. Pour les résoudre, il faut encore une fois faire appel à des informations contextuelles Sperber et Wilson (1989) citent l’exemple de phrases qui comportent un « de » délicat à interpréter du fait de sa polysémie. Si dans le cadre des entreprises le coût de traitement (qui se mesure en temps de connexion et en effort cognitif) n’avait aucune importance, le récepteur pourrait examiner toutes les analyses syntaxiques, toutes les désambiguïsations, toutes les formes illocutionnaires, tous les référents et tous les enrichissements possibles. Mais cette méthode serait, du point de vue de la pertinence, la manière la moins économique de traiter un énoncé : Un message ambigu oblige le récepteur à prendre une à une chaque explicitation concevable. Il pourrait en outre dériver toutes les implicitations analytiques des explicitations, ajouter au contexte les entrées encyclopédiques de leur concept constitutif, explorer l’ensemble d’implications contextuelles résultant de ces élargissements, et ainsi de suite indéfiniment. Cette méthode de traitement garantirait la prise en compte de toutes les interprétations concevables et de tous les contextes possibles. Ce mécanisme mental, poussé dans cet exemple à l’extrême, est le résultat de messages décontextualisés, fourmillant d’implicitations floues.
51Les messages décontextualisés ne font pas nécessairement de la messagerie un média pauvre comparé au face à face, au téléphone ou à la vidéoconférence. La théorie de la richesse des médias (Trévino, Daft, Lengel, 1987) a été écrite dans le contexte américain dont les normes de communication ne sont pas automatiquement les normes françaises. Ainsi, dans le contexte de la banque (Rowe, Monod, 2000), le contrôle différé semble être une richesse supérieure au mode synchrone (par téléphone par exemple) car il permet une vérification à tête reposée et par écrit. C’est le cas aussi pour les répondants de l’enquête qui ne maîtrisent pas bien l’anglais et qui préfèrent l’écrit à l’oral dans le cas d’informations rigoureuses analysées en mode asynchrone.
2. Surabondance de messages
52Les malentendus et les erreurs dans le traitement de l’information (certaines erreurs dans l’industrie sont désastreuses) proviennent de la surabondance d’informations à traiter dans un temps limité. L’internaute est souvent un « homme pressé », pour reprendre un titre célèbre de Paul Morand. Cet aspect est manifeste au vu des réponses au questionnaire. Ainsi, 17 utilisateurs reconnaissent en 2001 ne pas trouver le temps de tout traiter (contre 4 en 1997) et 13 répondants en 2001 pour 6 en 1997 déclarent connaître un accroissement de la charge de travail. L’une des causes de cet accroissement est le nombre de messages non pertinents, avec un nombre de réponses élevé dès 1997 (17 réponses) puis 19 en 2001. Les flux d’information qui entrent dans le système génèrent un état de stress analysé en particulier par Bron et De Gaulejac (1995). Ce stress est marqué si l’utilisateur remplit le rôle de gatekeeper dans les réseaux de communication (des utilisateurs reçoivent des milliers de messages par semaine). Il est renforcé actuellement dans le contexte de réduction du temps de travail parmi les cadres. Pour autant, aucune en-tête de message ne peut a priori être négligé, le message d’un seul client pouvant être l’amorce du plus gros contrat commercial de l’année.
53La solution passe par des filtres. De nombreux logiciels (Lotus notes, Outlook express, Netscape messenger, Microsoft outlook, Qualcomm Eudora...) filtrent les newsgroups et les courriers publicitaires. Le tri qui concerne parfois des milliers de messages par semaine, s’effectue à partir des noms des émetteurs, du ou des destinataires et des titres des messages. La progression, qui dans certains cas est exponentielle, est stimulée par le comportement de nombreux utilisateurs qui veulent se faire connaître et attirer l’attention par listes de diffusion, newsgroups ou pages Web. Cette surabondance est en quelque sorte inscrite dans la logique des réseaux qui permettent de dialoguer avec un nombre de plus en plus grand d’interactants. Les ressources humaines sont mises sous tension et les solutions informatiques prônées ne sont pas toujours compatibles avec les contraintes cognitives. La surabondance des messages électroniques concerne aussi l’archivage, autre source de tension dans les entreprises, comme au sein des archives nationales en France (Ducourtieux, 2001). Le département des archives électroniques de l’administration américaine annonce par exemple 40 millions de documents électroniques à conserver pour le très long terme dont 10 millions attendus pour la seule présidence Clinton. Les solutions résident dans la gestion électronique de documents et l’utilisation du langage XML.
54A la surabondance s’ajoute la vitesse du système d’information. Cette accélération du temps médiatique (certaines informations sont connues sur Internet avant d’être diffusées par les agences de presse) conduit parfois à des erreurs par manque de vérification, jargon, abréviations, mots techniques et franglais.
55Bron et De Gaulejac (p. 15,1995) font un constat amer sur la fuite en avant dans laquelle sont entraînées les entreprises multinationales qui agissent comme si elles voulaient tout maîtriser, leurs clients, leurs concurrents, mais aussi leur personnel. Il est clair qu’elles ignorent leurs propres limites. Elles obéissent à une logique du « toujours plus », que ce soit sur le plan du profit, des parts de marché, des innovations technologiques ou de la pression du travail. Cette fuite en avant ne fait « qu’alimenter un système qui est en train de s’autodétruire », en provoquant stress généralisé et exclusion.
56Poursuivant dans la même veine, ils rappellent (p. 15) une légende indienne d’Amazonie : la réponse tient dans une légende des indiens Piharoas, en Amazonie, qui raconte la gourmandise du tapir. « Il y avait, dans la forêt, disent-ils, un arbre géant couvert de fruits sous lequel vivait un village. Un jour, la foudre abattit l’arbre. L’arbre à terre, un tapir trop gourmand se précipita pour tout manger ! Il fut pétrifié par les dieux et son souvenir, sous forme de montagne, est toujours là pour rappeler aux hommes qu’il ne faut jamais prendre à la forêt plus que ce dont ils ont besoin pour vivre. À cette condition la forêt leur donnera toujours ce qu’ils désirent. »
57Plus radical encore est la position de Virilio (1996). Pour cet auteur, les autoroutes de l’information sont liées à un phénomène d’interaction qui est tendanciellement en position de priver l’homme de son libre-arbitre en l’enchaînant à un système de questions-réponses sans parade. Il ajoute que si le modèle est celui des abeilles ou de tout autre système autorégulé, il s’agit du contraire même de la liberté et de la démocratie. L’hypertyrannie du temps réel tendrait selon l’auteur à liquider la réflexion au profit d’une activité réflexe.
IV – Surveillance, intrusion et interception
1. Éléments sur le contexte juridique
58« La sécurité dans la société de l’information » est un titre très important du Projet de loi sur la société de l’information (2001), signe qu’on ne peut concevoir de libre circulation des messages sans protection de ces messages.
59Il souligne la responsabilité de ceux qui mettent à disposition un programme informatique pour commettre une infraction (Article 35).
60Il rappelle (Article 36) la liberté d’utilisation des moyens de prestations de cryptologie pour sécuriser le stockage et la transmission de données, assurer la confidentialité d’authentification ainsi que le contrôle de l’intégrité des données.
61Il fait obligation de donner la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie aux autorités judiciaires (Article 46) si la manifestation de la vérité est nécessaire.
62Ainsi, l’évolution très rapide conduit à encadrer par une loi les libertés nouvelles issues de la circulation électronique des informations.
63Un autre conflit informatique repose sur la frontière entre l’exécution de tâches contrôlées et la liberté de communiquer en bénéficiant du secret de la correspondance privée. Si le droit français (loi du 10 juillet 1991) protège le secret de la correspondance privée, 6000 plaintes ont été déposées en France en 2000, d’après la commission nationale informatique et liberté qui fustige les violations de ce secret. Le 4 octobre 2001, un arrêt de la Chambre sociale de la cour de cassation assimile le courriel à un courrier classique, ce qui ne devrait pas autoriser par conséquent un employeur à ouvrir les courriels personnels sauf exception spécifiée aux employés.
64Le secteur audiovisuel qui relève des dispositions du 30 septembre 1986 se voit aussi appliquer les règles du secret des correspondances du 10 juillet 1991 quand il offre l’accès au courriel. Un employeur peut donc être amené pour diverses raisons à ouvrir les courriels de l’un de ces employés à cause de l’arrêt de travail prolongé d’un salarié qui bloque le suivi d’un projet par voie électronique.
65D’autres raisons sont évoquées comme les attaques virales, les propos racistes, les messages à caractère pornographique mettant en cause l’entreprise. L’employeur peut saisir un disque dur en présence du salarié et d’un tiers.
66Ces interventions doivent être négociées au préalable avec le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, puis diffusées sous la forme d’une note écrite à l’ensemble du personnel. Il convient donc de spécifier à la fois les libertés de correspondance et les contraintes du système.
67Le questionnaire souligne l’importance prise par les craintes relatives à des virus (25 citations en 2001 contre 16 en 1997) et la crainte du piratage (17 citations en 2001 et 16 en 1997). Or, les besoins en termes de confidentialité sont considérables pour l’entreprise (Schneier, 2001, p. 61), des secrets de fabrication à la stratégie de développement, en passant par les négociations commerciales en cours et la santé financière de l’entreprise.
68Internet est un réseau d’autant plus ambivalent que ce sont les entreprises qui accueillent elles-mêmes l’installation technique et donc l’instrument de leur surveillance. La recherche de solutions informatiques permettant de construire un périmètre de sécurité autour des données sensibles fait partie des préoccupations majeures des responsables.
69Il convient, pour mesurer les enjeux, de situer cette sécurité dans le contexte des attaques informatiques répétées qui auraient représenté plus de 100 milliards de francs de sinistres en 2000, pour n’évoquer que les sinistres déclarés. Les risques se retrouvent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. L’une des cibles dans l’enceinte de l’organisation peut être l’administrateur du réseau, manipulé à son insu dans son contexte relationnel pendant une période de stress ou de surmenage.
70Le contexte des normes d’entreprise et des relations de confiance peut aussi être en cause : l’oubli des documents laissés sur l’imprimante ou dans une corbeille alors qu’il conviendrait de les passer au broyeur, sans oublier l’exemple emblématique du mot de passe collé sur l’ordinateur, sont des pratiques qui témoignent d’une croyance en l’inviolabilité de son propre courrier.
2. Typologie des messages parasites et sécurité
71On peut définir plusieurs types de messages électroniques qui exposent l’entreprise à des risques :
les messages parasites qui sont introduits dans un système informatique en vue de provoquer une aberration dans un traitement de l’information alors totalement déréglée. Les virus peuvent s’introduire dans des fichiers compressés et cryptés ou pénétrés dans des disquettes ou CDROM. L’objectif est la destruction des fichiers ;
les messages d’intoxication adressés à un destinataire particulier, ou à un forum électronique. Ils constituent une forme de pression dangereuse si la rumeur est suffisamment subtile pour laisser subsister un doute sur l’entreprise ou un membre de son personnel ;
les messages de chantage accompagnés de fichiers d’images. Ils peuvent être utilisés pour exercer ensuite un cyberchantage sur l’employé ;
les messages avec falsification du nom de l’émetteur ou du contenu du message (après interception) pour faire échouer une négociation commerciale ;
le « mail bomber » adressé aux correspondants de la cible, après récupération du carnet d’adresses (par envoi d’un message avec fichier joint spécifique) ;
les messages cryptés invisibles insérés dans des photographies numériques adressés par messageries et pour lesquels il faut disposer des logiciels adéquats ;
les messages falsifiés (spoofing) permettent de stimuler l’activité d’un serveur pour provoquer l’attaque éventuelle d’un pirate et pouvoir ensuite l’identifier.
72La politique de sécurité des systèmes d’information devient une préoccupation majeure dans les entreprises. Des systèmes de participation et d’animation qui ne relèvent pas seulement d’un discours abstrait sont mis en place. Il convient en particulier de repérer les injonctions paradoxales qui bloquent le changement (par exemple, accélérer le traitement de l’information et redoubler de vigilance sur le plan sécuritaire). Il s’agit aussi d’effectuer des démonstrations d’attaques pratiques, des chartes coproduites et co-signées de sécurité.
73Un renouvellement fréquent des mots de passe, l’utilisation des Firewalls (barrières de feu) et de la cryptographie constituent les parades les plus connues. Cette dernière technique semble indispensable au développement du commerce électronique qui requiert des transactions, commandes et paiements sécurisés (IREST, 1999). C’est ainsi que les messageries électroniques ne sont pas limitées aux seuls messages dépourvus d’importance, l’utilisation des courriers, avec enveloppes cachetées, étant réservée à des informations sensibles. Par la cryptographie, l’information est chiffrée et devient incompréhensible. Le cryptandiste est le spécialiste qui tente de comprendre le mécanisme des codes chiffrés dans les solutions de cryptographie (certains codes sont très complexes comme celui des chiffreurs des indiens Navarro que les militaires Japonais ne purent déchiffrer en temps de guerre). Le chiffrement est opéré avec un algorithme de cryptage à clé publique ou à clé privée. Pour adresser un message électronique, l’émetteur crypte le message avec une clé publique. Mais seule la clé sécurité du récepteur permet de déchiffrer le message.
74La législation française a changé le 19 mars 1999 en relevant le seuil de la cryptographie de 40 bits à 128 bits, niveau considéré comme satisfaisant (sans être pour autant inviolable) par les experts. Le dispositif d’orientation présenté par le Premier ministre et le gouvernement prévoit, en plus de la liberté d’utilisation de la cryptographie, la question du caractère obligatoire du recours au tiers de confiance pour le dépôt des clés de chiffrement et la remise de la transcription en clair des documents chiffrés aux autorités judiciaires.
75Auparavant, on ne pouvait communiquer par un moyen secret qu’avec l’autorisation de l’État. En l’espèce, l’article 28 de la loi 90-1170 du 29 décembre 1990 précisait que la demande devait être soumise à autorisation auprès du Premier ministre, délégation interministérielle pour la sécurité des systèmes d’informations.
76Pour la transmission cruciale pour les entreprises de données par courrier électronique, des outils existent comme le logiciel « Pretty Goody Privacy », conseillé pour une cryptographie jugée satisfaisante. Il s’agit d’un programme multi plate-formes de chiffrement à clé publique. En particulier, le privacyenhanced mail (PEM) est un protocole standard de cryptographie utilisé pour chiffrer les messages électroniques.
77Pierre Lévy, très favorable à une réflexion collective sur la construction du cyberespace écrit (p. 9,1995) :
« La culture du réseau n’est pas encore figée, ses moyens techniques sont encore dans l’enfance, sa croissance n’est pas achevée ». Car il ne s’agit pas en raison des mutations sociales de réduire le relationnel dans les activités professionnelles. Comme le rappelle Lévy (p. 56, 1995), les infirmiers et les médecins soignent dans les hôpitaux mais « l’accompagnement relationnel prend une place croissante ». Les policiers ne sont pas seulement chargés de la prévention et de la répression, mais « ils doivent aussi suppléer à l’absence des pères, se faire assistants sociaux, animateurs socio-culturels, psychologues ».
78Mais toutes ces activités relationnelles (comme celle du médecin contacté par radiomessagerie pour une intervention en pleine nuit) demande une sécurité suffisante pour en permettre l’exercice.
79L’ampleur de la question sécuritaire en informatique, sous-estimée avant l’interconnexion des réseaux locaux d’entreprise, oblige à réorienter une partie de la réflexion vers les moyens de protection. Les activités de production reposent non seulement sur la fabrication d’objets mais tout autant sur la négociation et l’écoute, donc dans les deux cas sur des réseaux de conversation sécurisés.
3. Analogie entre l’entreprise et les systèmes vivants
80Les systèmes de protection sont en tout état de cause une question de survie dans tous les systèmes vivants, comme le montre l’éthologie animale qui est un apport utile pour comprendre comment un système se protège et se camoufle.
81Ainsi, l’étude du système des relations entre les espèces animales et l’environnement est un sujet d’intérêt pour la communication (Mucchielli, 2001). Dans le domaine maritime, Breton (1999) relève des procédés de mimétisme et de protection que l’on retrouve dans plusieurs domaines, dont l’armée. L’homochromie est un procédé très répandu qui permet de se confondre avec son support pour passer inaperçu, en vertu d’un mimétisme chimique. C’est le cas aussi (par analogie) dans le domaine informatique des messages cryptés qui se confondent avec leur support iconographique. Cette homochromie, dans certains systèmes vivants, peut être adaptative, certaines espèces prenant une apparence claire sur fond clair et sombre sur fond sombre. L’allocryptie est un autre procédé de camouflage qui consiste à utiliser des éléments de l’environnement pour passer inaperçu, en s’en recouvrant.
82A l’inverse, des espèces adoptent des couleurs très visibles interprétés par les prédateurs comme des couleurs de non cosmétibilité.
83D’autres espèces encore adoptent des couleurs d’avertissement qui laissent supposer qu’elles effectuent un travail (qu’elles ne remplissent pas en fait) afin de s’assurer de la protection de plus grosses espèces. Ces stratégies communes à plusieurs espèces biologiques visent à déjouer les attaques adverses, même s’il y a toujours dans la recherche d’analogies un risque d’anthropocentrisme, d’interprétation des observations à partir des humains.
84En contact avec les messageries électroniques qui sont devenues l’application de base des systèmes d’information, l’utilisateur d’un intranet, d’un extranet ou du réseau global internet est pour sa part amené à considérer sa position dans le vaste système des objets, des acteurs, des signes produits et reçus et des évènements qui constituent son contexte de travail.
85D’autres outils protègent l’anonymat sur Internet et évitent à l’utilisateur d’être pisté. Il s’agit de se créer plusieurs pseudonymes, localisations et clés de cryptage et de solliciter le serveur de l’entreprise pour des échanges anonymes. En effet, il semble que de nombreux utilisateurs d’Internet ignorent que leurs messages diffusés dans un forum ou une liste de diffusion sont enregistrés sur un serveur puis indexés par un moteur de recherche comme Déja News. Un concurrent peut ainsi connaître l’intégralité des messages échangés sur les forums par un utilisateur pendant ses heures de travail (et en dehors). Une partie de ces messages électroniques ne concerne pas le sous-système structurel de l’entreprise. C’est le cas des très nombreux messages informels échangés par divers canaux entre les salariés. Ces messages de convivialité relèvent du sous-système psychosocial.
86Un autre niveau de sécurité réside dans le renforcement des mesures d’authentification des personnes. Cela concerne le mot de passe, les identifiants comme les badges, les cartes magnétiques et les clefs et dans certains cas des éléments spécifiques comme la voix ou les empreintes digitales. Le pare-feu est de plus en plus utilisé pour les accès non autorisés. Il établit un mur entre le réseau local LAN de l’entreprise et Internet. Seuls les flux d’information autorisés peuvent par des procédures prédéfinies franchir le firewall.
87Un troisième niveau concerne la dissociation des réseaux : certes, l’intranet n’est pas connecté au réseau grand public de l’entreprise. Mais, au sein même des grands groupes, plusieurs réseaux internes peuvent être dissociés : celui des dirigeants, du centre de recherche, du site et de l’ensemble du groupe. Les différentes couches d’information ne sont pas reliées. Dans la transmission par télécommunications, un message peut être coupé en autant d’éléments que de boîtes aux lettres intermédiaires, avant d’être reconstitué intégralement in fine.
88Toutefois, en dépit de toutes ces dispositifs de sécurité, de nombreuses attaques virales et actions de piratage ont lieu tous les jours en entreprise, et certains acteurs enfreignent les règles du jeu prévues dans les chartes d’utilisation, signe comme l’écrit Schneier (2001, p. 105), que l’entreprise est plus proche du système vivant que d’une entité mathématique, qu’elle n’est ni logique, ni ordonnée, qu’elle n’obéit pas qu’à un seul chemin, donc qu’elle est régie par la complexité.
V – Commerce électronique, EDI et coûts généralisés par messageries
1. Stratégie pour le commerce électronique
89Un premier constat s’impose : le commerce électronique, qui désigne des mécanismes recourant aux communications dématérialisées, à l’informatique et à l’EDI, n’a remporté le succès escompté en France qu’à partir de 2001, en raison principalement d’un moindre équipement dans les foyers, comparativement aux résultats enregistrés dans les autres pays européens. Cette remarque ne vaut pas pour les entreprises françaises qui ont un taux d’équipement en TIC comparable à celui des autres entreprises européennes, constat qui se dessinait déjà en 1997. Le commerce électronique correspond à un processus complexe et consiste en une mise en ligne des catalogues, des achats et approvisionnements, de la facturation, de la sous-traitance, des fournisseurs, des banques et de toute la logistique (avec la coordination informatique des flottes de camions et des conteneurs). Une mise en ligne totale existe par exemple dans des entreprises comme Dell et Cisco. Les messageries constituent un canal très utilisé pour maintenir un contact avec les clients et les fidéliser en leur accordant des promotions. Toutefois, la démultiplication des canaux de commercialisation des produits pose évidemment la question du retour sur l’investissement. Les centres d’appel, les sites web et leur animation, la télévision interactive et le minitel constituent un dispositif d’ensemble qui n’a pas encore fait la preuve de sa rentabilité. En terme de concurrence, la dématérialisation a une conséquence redoutable pour les entreprises sur le Web. Elle permet en effet la comparaison immédiate des offres commerciales et amène l’internaute à exiger des conditions d’achat sans cesse meilleures, des prix plus bas, des commandes livrées sous 48 heures et une sécurisation accrue des échanges. La fidélisation de l’internaute surfer passe par des stratégies nouvelles :
pages Web très attractives et informatives ;
animation du site par des newsgroups sur la messagerie électronique ;
traduction des pages en plusieurs langues et adaptation de l’information aux spécificités culturelles des pays concernés ;
inversion de la démarche de communication en faisant ce que le consommateur veut.
90Cette fidélisation passe aussi par l’envoi de messages électroniques régulier pour des offres promotionnelles et des récompenses obtenues après plusieurs mois de fidélité. En effet, l’abandon de clients est lié à un manque de contact.
2. Réduction des coûts généralisés
91L’enjeu est en effet, à tous les stades du commerce électronique, la réduction des coûts généralisés non seulement au sens budgétaire mais aussi, au sens où l’entend Moles (1986), des coûts généralisés d’un acte de communication, soit :
la durée d’établissement de la liaison ;
le coût des transactions mais aussi ;
les délais d’établissement ;
l’énergie nécessaire ;
le coût cognitif ;
le coût du risque encouru.
92Ce coût croît avec :
la distance, mais ce facteur n’est plus d’actualité en ce qui concerne l’Internet, le coût étant le même, quelle que soit la distance ;
la durée de la communication ;
le nombre maximum de données transmises à la fois, lié à la capacité du canal ;
complexité du codage et du décodage qui représente un coût unitaire d’utilisation d’un mécanisme.
93Parmi les réductions de coûts, le remplacement des 240 millions d’envois de recommandés annuels par des e-mails certifiés avec remise en main propre est une conséquence attendue de l’évolution du cadre juridique.
94Les compressions budgétaires incitent les entreprises à automatiser leurs échanges de données inter-organisationnelles mais cette réduction dépend du type de produit, des contraintes de temps et de l’importance du volume des échanges.
95A ce titre, toute la chaîne commerciale doit s’approprier le réseau technique dans le cas où l’entreprise a créé un site Web sur Internet. En effet, le Web crée un trafic de visiteurs qui amène l’organisation à fournir une documentation complète et détaillée en ligne, à éditer des catalogues électroniques beaucoup plus rapidement à jour que les catalogues sur papier, à régler des achats en quelques cliquets de souris plutôt qu’en échangeant des courriers. L’utilisateur s’approprie pleinement l’outil, le gain par l’utilisateur doit apparaître dans le coût des produits, les délais de livraison et les garanties commerciales.
96Ainsi, Dell par exemple réalise actuellement 10 % de son activité commerciale par Internet. Des PME-PMI ont presque entièrement misé sur le Web depuis 2 ans avec un démarrage cependant plus lent que prévu.
97L’automatisation des transactions commerciales, avec livraison à domicile en urgence des produits commerciaux commandés par messageries, participent à cette recherche de réduction des coûts de transaction, à la condition d’intéresser un nombre suffisant d’interactants.
3. L’échange de données informatisées
98Avant l’avènement des intranets, l’EDI s’était diffusé dans le cadre de relations fortement partenariales, son adoption étant d’ailleurs fréquemment imposée par l’entreprise dominante.
99Dans l’échantillon d’entreprises, le secteur automobile, la chimie et le commerce de gros utilisent l’EDI.
100Monoprix, exemple emblématique, passe des milliers de commandes par mois à ses fournisseurs par EDI. C’est le cas des entreprises qui ont de gros volumes d’informations répétitives et dans le cadre de relations très structurées avec les fournisseurs. Pour reprendre les critères énoncés par Moles, l’EDI permet de réduire les coûts de transaction, le coût cognitif (car les informations sont répétitives), le nombre des opérations (car il n’y a qu’une seule saisie d’un bout à l’autre de la chaîne (et le risque encouru) car le nombre d’erreurs est moindre qu’avec de multiples saisies).
101Les messageries déclenchent des comportements nouveaux et commencent à réorganiser une partie du commerce inter-entreprises et entre particuliers.
102Un autre élément clé pour le développement du commerce électronique est la parution du décret d’application sur la signature électronique de mars 2001. Ce décret définit les conditions techniques et éthiques de cette pratique pour laquelle il a fallu adapter la loi française à la directive européenne. Arnaud Fausse (2001) estime à 18 mois le temps de généralisation de la signature électronique qui, en effet, n’avait pas encore atteint les entreprises du questionnaire en septembre 2001. Il s’agit d’un tampon certificateur sous forme chiffré qui accorde la même valeur de preuve aux documents sur support papier et électronique, par exemple pour la paiement de la TVA par les entreprises. La signature électronique va aider à sécuriser la transaction et sera recevable par les tribunaux.
103Les échanges électroniques entre les entreprises sont actuellement stimulés par l’extranet qui permet à n’importe quel partenaire commercial de se connecter à un réseau d’entreprise avec une automatisation moindre que l’EDI. L’extranet a ouvert en effet depuis 3 ans environ l’ère de l’EDI light de filière, surtout pour les PME (dans le textile, l’habillement). Jusqu’alors, le nombre d’entreprises s’appuyant sur l’EDI était encore réduit en raison de la complexité du système et de l’investissement en hommes, matériels et logiciels. Or, l’extranet est la possibilité pour des partenaires d’entreprises de se connecter sur l’informatique de l’entreprise pour échanger tout type d’information, d’une prise de commandes jusqu’à des plans, en passant par l’intégration des chaînes logistiques.
104Il suffit, avec l’EDI light, d’un PC équipé d’un modem et un navigateur. Le donneur d’ordres continue de recevoir des messages en langage EDI. Mais pour le fournisseur, la procédure change radicalement. Il s’agit de formulaires très simples qui sont acheminés par Internet vers un serveur qui les traduit en format EDI. Avec l’Internet, des PME-PMI qui n’utilisaient pas l’EDI, peuvent faire de l’EDI light ou du WebEDI. Il s’agit, avec son navigateur, d’accéder à un serveur puis à une boîte aux lettres électronique où l’on récupère les commandes. On y trouve la nature des produits, la taille, la quantité, les procédures de règlement et de livraison, les dates, les prix... Les formulaires sont acheminés vers un serveur qui les traduit directement en format EDI. Ils sont alors compris comme de vrais messages EDI par le système informatique qui émet un message de bonne réception. Cette simplification est en train de bouleverser les échanges de données entre les entreprises partenaires. L’EDI « light » vient s’ajouter aux procédures de l’EDI traditionnel qui permet d’automatiser les tâches et de réduire les coûts des télécommunications.
105Dans le cadre de la réduction des coûts, les commerciaux ont la possibilité de densifier leurs emplois du temps grâce aux messageries électroniques. En effet, la réservation d’une plage horaire commune pour effectuer un travail collectif représente un coût d’autant plus grand qu’il faut réunir des personnes nombreuses et très occupées. Si l’on veut réunir 10 partenaires commerciaux avec un taux d’occupation horaire de 50 %, il faut explorer 1 024 plages d’une heure pour fixer une réunion. En moyenne, cette réunion est fixée avec un délai de 6 mois environ. Un autre exemple est fourni par les réunions nécessaires à la réalisation d’un chantier. Le total des réunions entre le maître d’œuvre et les sous-traitants qui ont lieu dans le même espace physique représente un pourcentage élevé du coût total des transactions commerciales (en raison notamment des transports).
106Les messageries électroniques, utilisées dans le cadre du groupware, permettent de disjoindre les interactions. En mode asynchrone, les travaux collectifs par ce média s’inscrivent plus facilement dans l’emploi du temps que dans une réunion en présence. Les messageries ne nécessitent pas, comme la réunion par téléphone ou la visioconférence, la disponibilité simultanée des interlocuteurs. Le problème central est celui du relevé régulier du courrier dans sa boîte aux lettres électroniques. Plus la fréquence de relevé est importante, plus les travaux sont achevés rapidement. Sinon, la vitesse de transmission n’est pas supérieure à celle du courrier interne d’entreprise traditionnel. Mais cette donnée a beaucoup perdu de son actualité depuis 1997 car les utilisateurs laissent en permanence ouverte leur boîte aux lettres pour une large majorité d’entre eux. Le travail de groupe par messageries est donc supérieur aux réunions en présence quand il faut réunir beaucoup de partenaires peu disponibles (par exemple le réseau de commerciaux itinérants ou des agences dispersées sur un territoire étendu), à condition que ce travail ne nécessite pas trop d’interactions.
VI – Métiers de la communication et messageries électroniques
1. Positionnement de l’information électronique d’entreprise
107L’une des spécificités des messageries est d’intégrer à la fois des dimensions de l’interaction interpersonnelle (courrier électronique) et des mass-media (journaux électroniques internes). Il en découle une situation très originale de ce moyen de communication dans le système des TIC.
108Il convient cependant de distinguer la cyberpresse (adressée au grand public) et la communication électronique d’entreprise. Il existe tout d’abord des différences notables entre l’information d’entreprise et l’information grand public qui est diffusée en flux continu sur les radios ou les chaînes d’information, puis relayée par la presse quotidienne et les dépêches sur Internet.
109La communication d’entreprise est un outil de management. Elle a pour objectif de renforcer les liens entre les sous-systèmes de l’entreprise étendue, de motiver et d’harmoniser les relations en utilisant plusieurs outils en cohérence. Cet outil en outre comporte des spécificités liées à la taille de l’entreprise, à l’activité industrielle ou au service. Dans les grandes entreprises, des agences de presse interne remplissent une fonction de gare de triage réagissant aussitôt aux stimuli de l’environnement (presse nationale ou régionale, partenaires économiques, Internet, directions et correspondants de terrain...), les intermédiaires d’information triant et traitant l’information tôt le matin avant de la transmettre sous forme de brèves dans la journée à des publics prédéfinis.
110On peut faire un classement des services développés par les messageries et noter le très bon score d’appropriation du bulletin électronique (15 citations en 2001 contre 3 en 1997) qui obtient un meilleur score que la revue de presse (9 citations en 2001 contre 5 en 1997). Des rubriques concernant les informations économiques constamment à jour sous forme de brèves électroniques atteignent un score de 13 citations en 2001 (et 7 en 1997). Les données les plus développées concernent les résultats de gestion sur la marche des unités, les renseignements sur le personnel, les informations de la direction, les dernières nominations et promotions et les résultats de la bourse.
111Mais il apparaît plus pertinent d’analyser les résultats en fonction des orientations stratégiques des entreprises étendues. De ce point de vue, la notion de segmentation, présentée comme l’une des variables de la problématique, est un des paramètres essentiels de performance de l’entreprise en réseau. Cette segmentation est manifeste si l’on considère les scores obtenus en 2001 dans le questionnaire par l’information ciblée par service (19 réponses), l’information de la direction (14 citations) et les revues de presse profilées (9 citations) par métier. À côté des utilisations généralistes se développent donc par messageries des utilisations segmentées.
112Le deuxième élément de la problématique, après celui de segmentation, est la notion de stratégie de communication qui articule des médias par redondance, complémentarité, addition, synergie. Quelles sont les constantes et les singularités selon les contextes organisationnels dans le domaine des revues de presse et des journaux électroniques ?
2. Revues de presse en ligne
113La revue de presse en ligne est un des éléments d’optimisation des messageries électroniques pour les services d’information.
114Elle permet en effet, avec une interface entre un serveur documentaire et la messagerie électronique, des périodicités très rapprochées. Ces revues de presse, avec segmentation des publics ou des bulletins signalétiques avec mots clés prédéfinis, sont assurées par des documentalistes d’entreprise. Mais compte tenu des coûts d’abonnement, des délais de recherche, réalisation, distribution et indexation dans des bases de données, l’entreprise externalise fréquemment les revues de presse économiques auprès des chambres de commerce et d’industrie ou des entreprises spécialisées. Ainsi, l’Européenne des données développe des banques de données d’informations électroniques depuis vingt ans environ et reçoit jusqu’à 4 000 nouveaux documents par jour (journaux, communiqués de presse des entreprises...).
115Dailynne et Medialab par exemple, collectent plus spécifiquement les pages Web pertinentes pour ses abonnés. Ce sont des push média (l’information vient vers vous).
116Avec les pull media, l’utilisateur va chercher l’information, avec possibilité de définir les rubriques et de personnifier son journal (service Entrypoint par exemple). Il reçoit le sommaire sur les thèmes de son choix. Cette évolution va très loin puisque l’utilisateur est le décideur de son journal. On retrouve ainsi un document primaire paru dans la presse à partir d’une recherche booléenne, par mots clés. Les recherches s’effectuent en langage expert ou langage libre sur les archives électroniques des principaux titres de la presse généralistes ou spécialisées et sur les dépêches de l’AFP.
117La veille d’entreprise (à la croisée de la documentation et du journalisme) est d’autant plus facilitée que de très nombreux titres sont disponibles pour suivre l’évolution informatique sur le net (le Monde informatique, PC magazine, Web magazine, Fast company, Business 2.0...). Le paramétrage d’une veille est organisé avec des alertes sur des thèmes sensibles afin de réagir immédiatement aux évolutions des contextes de décision commerciale, politique, économique, juridique, sociale.
118La revue de presse, qui repose sur une analyse documentaire avec résumé et indexation, présente des risques de décontextualisation des messages. L’extrait est tiré d’un premier contexte subjectif pour ensuite être réduit, coupé ou amplifié dans un autre contexte qui lui fait perdre une grande partie de son sens premier. Du fait de cette décontextualisation (Levy, p. 56,1995), la spécification du message n’est perçue que dans une proportion faible.
3. Bulletins et journaux électroniques d’entreprise
119Dans l’entreprise, les journaux internes d’entreprise (adressés à l’ensemble du personnel) sont publiés tous les trois mois environ dans 50 % des cas et plus rarement tous les mois dans 15 % des cas (les lettres internes sont publiées dans 50 % des cas environ). Ces supports sont appréciés pour leur portabilité et leur ergonomie en dépit de l’espacement des parutions. L’information sur papier porte davantage sur des articles de fond : reportages, enquêtes ou dossier. Cette information sur papier doit également se maintenir pour les ouvriers qui n’ont pas accès à un ordinateur.
120Dans cette logique, la niche écologique de la messagerie est l’information ciblée, urgente et constamment réactualisés sur les dernières cotations boursières, les échos du siège et des sites de production, la marche des unités, les mouvements de personnel et des messages d’action, dans la perspective de la pragmatique linguistique.
121Cette remarque étant faite, la périodicité du « journal » d’entreprise électronique est bien souvent quotidienne La notion très répandue de journal télématique, demande une rapide explication car le terme ne devrait pas désigner des lettres ou des magazines qui paraissent avec toutes sortes de périodicité (mensuelle, bimestrielle, trimestrielle...) mais bien plus une relation journalière, quotidienne des événements.
122Il s’agit, par un journal télématique, d’émettre ou de recueillir une information constamment réactualisée ou encore de faire face à un événement imprévu dans les 24 heures. A cet égard, les journaux d’entreprise sur papier offrent une périodicité beaucoup plus espacée (une fois par mois le plus souvent). L’utilisation première du journal électronique est donc l’information urgente, l’annonce d’une crise sur le site passant par d’autres canaux (sirènes, hauts parleurs...). La possibilité de diffuser auprès de centaines d’utilisateurs des consignes s’avèrent l’un des bénéfices les plus utiles des messageries. Cette information suppose, pour être pleinement efficace, une consultation quotidienne de sa boîte aux lettres électroniques, notamment de la part des cadres itinérants.
123La forme du journal paraît très bien adaptée à l’hypertexte. En effet, la fragmentation des reportages en tableau, portrait, brèves, encadré correspond bien aux principes de l’écriture électronique avec des textes courts reliés par des liens hypertextes.
124L’une des variables essentielles de la problématique sur les messageries électroniques d’entreprise est le renouvellement du contexte interactionnel. De ce point de vue, l’interactivité dans la communication électronique d’entreprise est peu favorisée. Or, les utilisateurs finaux ont la possibilité technique d’être à la fois émetteur et récepteur et d’engager ainsi un dialogue avec les rédacteurs du journal. L’une des raisons est le contexte productif et hiérarchique et l’existence de correspondants de terrain qui continuent à servir de pont entre les différents sous-systèmes, et notamment leur service et le service communication. Ils recueillent l’information et stimulent des réactions dans les réseaux sociaux de communication. Le contexte des journaux électroniques conçus pour le grand public est différent. Il suffit le plus souvent de cliquer sur le nom du journaliste pour engager un dialogue avec lui. Dans les revues électroniques grand public, l’interactivité es favorisée, là où les structures de l’organisation et le modèle de communication linéaire émetteur-récepteur se maintiennent dans l’entreprise industrielle.
125Une autre variable clé concerne les approches cognitives et ergonomiques. En dépit des avantages que présente le journal électronique, la surface disponible sur une double page en papier reste inégalable. Elle se présente comme un tableau qui juxtapose les événements les plus disparates. Dans le mécanisme de lecture d’un journal sur papier, le regard balaie la page en quelques secondes avec un moindre effort que sur plusieurs pages écran, sans s’arrêter aux détails. Cette perception panoramique permet de détecter la présence de figures verbales ou graphiques. Elle permet de se former une opinion du coût énergétique probable et du profit informatif potentiel, comme l’explique Douël (1981). L’œil avec une rapidité déconcertante est capable d’évaluer la masse verbale, la quantité approximative de signes, la facilité de lecture en fonction de la structure typographique et graphique, la « captance » et « l’appétence » des titres, les modalités de traduction du message par les langages iconiques, graphiques et textuelles et la durée de perception. Pour Levy (1989) le journal est un « open field, entièrement déployé » alors que l’interface informatique est « un paquet entièrement replié ». La lecture linéaire du support papier peut être remplacée si l’article est long par une lecture en diagonale ou même en commençant par la fin, (Douël, 1981), ce qui est impossible sur écran.
126La densité informative envisageable sur écran est beaucoup plus réduite et donc plus adaptée pour des brèves. La pratique pour plusieurs répondants qui ne peuvent lire un texte long numérisé sur écran est de recourir au téléchargement. Mais la fragmentation sur écran d’articles reliés par des liens hypertextes correspond bien aux techniques des rédacteurs d’entreprise qui fractionnent reportages ou enquête en différents angles avec un texte principal, un encadré, un portrait, des illustrations et une interview. Ainsi en va-t-il pour la construction des documents électroniques. Grâce aux liens hypertextes, l’utilisateur peut en effet glisser du bulletin électronique à d’autres articles, aux archives économiques, juridiques, commerciales ou techniques. L’hypertexte, porteur d’un renouvellement des techniques de présentation des messages, autorise de fréquentes bifurcations dans le déroulement linéaire de l’information. Cet hypertexte numérique propose « une matrice dynamique » (Lévy, p. 58,1995) qui permet à l’utilisateur de construire un parcours original correspondant à ses attentes en information.
127Dans ce contexte, les mots clés et la formulation des titres de la première page écran tout comme l’utilisation des organisateurs para-linguistiques revêtent une grande importance en termes d’ergonomie (Tricot, Rouet, 1998). La solution sera peut-être dans l’avenir des tablettes électroniques au format tabloïd qui permettront une lecture des informations en tout lieu et sans encombrement. Le processus d’intégration des TIC pose par conséquent la question, reliée à la problématique, de l’évolution des métiers liés aux hypertextes et aux hypermédias. Il se caractérise à l’évidence par un élargissement des compétences en informatique, infographie, conception de bases de données, réactivité et juste à temps. On peut tabler sur une poussée des rédacteurs ou journalistes en ligne qui dépasseraient en nombre dans les écoles spécialisées les journalistes qui travaillent sur des supports traditionnels. Le rapport est de un pour deux en Amérique du Nord (De Kherkove, 2000). Les deux compétences peuvent également être recherchées dans un souci de polyvalence et pour réduire les coûts dans les PME-PMI. Cette polyvalence consiste à concevoir une information sur tout support d’entreprise (presse-papier, pages web, télévision interne sur Intranet). Le plus souvent, en entreprise, les supports sont utilisés dans un souci de complémentarité en articulant les supports de l’immédiateté aux supports à périodicité éloignée. La démarche des journalistes polyvalents et grand public consiste à décliner la même information dans un souci de redondance sur plusieurs supports, avec une écriture adaptable.
VII – Emergence de groupes fermés et virtuels d’utilisateurs
1. Définition des communautés virtuelles d’entreprise
128Les communautés virtuelles sont plus spécifiquement des « regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu’un nombre suffisant d’individus participent à des discussions publiques pendant assez de temps, en y mettant suffisamment de cœur, pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberspace » (Rheingold, 1995). Sans réseau, pas de communauté virtuelle. Tous les secteurs professionnels peuvent être concernés : commerce, aérospatiale, métallurgie, santé, documentation, formation. Ces regroupements en émergence illustrent bien le projet d’une intelligence collective (Levy, 1995) bien plus que celui d’une intelligence seulement connective (De Kerckove, 2000). En effet, les acteurs en interaction ont l’objectif de partager leurs informations et de valoriser une communication multidirectionnelle.
129Le modèle de l’entreprise comme réseau de conversation (Winograd, Flores, 1989) est particulièrement adapté à cette intelligence communautaire en ligne. Ces réseaux complexes d’engagement dans des systèmes distribués de communication électronique supposent un fond partagé, la « connaissance mutuelle et les intentions des partenaires » (id., p. 99), le contexte étant « l’espace des possibilités nous permettant d’écouter à la fois ce qui est dit et ce qui est non dit » (id., p. 101). Le sens est donc à mettre en relation avec « une sorte d’accord culturel » (id., p. 107). Dans ces réseaux, chacun participe à la création et à la maintenance d’un processus de communication électronique au cours duquel s’échangent des messages très rapides qui reflètent la nature de l’action.
130La communauté virtuelle d’intérêt est propice à des actes de communication comme des suggestions, propositions, consultations et engagements circulant sur la base d’une éthique commune et d’une transparence dans les interactions. Pour mieux répondre aux défis de la mutation technologique, les communautés virtuelles peuvent émerger avec l’apparition de l’Internet ou préexister au réseau technique, en s’appuyant sur des réseaux sociaux de confiance préalable. Elles comportent dans ce dernier cas un aspect de réingénierie des communautés traditionnelles, notamment dans les médiations financières, techniques, sociales et juridiques.
131Entre participants dans une même branche, une même fonction ou un même secteur, le problème se situe peut-être davantage dans la définition de besoins communs justifiant une dynamique de partage et de capitalisation des connaissances. Les communautés ont une frontière qui les sépare de leur environnement. On y accède après avoir souscrit une demande d’adhésion.
132Aussure (2001) distingue quatre catégories de communautés de consommateurs :
les communautés de transaction qui facilitent les ventes et les achats par la fourniture d’informations sur les produits. Elles regroupent des distributeurs, fournisseurs, réseaux de vente et laboratoires ;
les communautés d’intérêt portant sur un sujet précis (Linux, téléphonie mobile, ameublement, fromage, vin...). Elles sont utiles pour recueillir les opinions et les interrogations, offrent un service ou une promotion par courriel aux membres de la communauté afin de tenter de les fidéliser ;
les communautés d’échanges (ou de pratiques) qui sont des espaces où sont relatées des expériences. Elles prennent assez souvent racine dans des réseaux associatifs préexistants, par exemple dans le secteur dynamique de l’information et de la documentation. L’animateur impulse sans cesse de nouvelles propositions au sein du réseau, catalyse les réunions virtuelles et cherche à établir la liste des stratégies possibles pour la communauté ;
les communautés ludiques enfin qui peuvent entrer dans la stratégie de l’entreprise.
133Ces différentes formes communautaires se développent, explique Aussure (p. 213), dans un contexte où le comportement des consommateurs sur Internet consiste à souhaiter le droit de choisir, d’être unique, de changer d’avis et d’essayer avant d’acheter.
2. Positionnement des messageries électroniques dans les communautés virtuelles
134Le premier moment d’une communauté virtuelle est souvent celui d’une mailing list ou d’une simple IRC. Avec ces simples outils, le groupe établit des relations durables et riches sur le net autour d’un centre d’intérêt commun.
135Par listes de diffusion, les abonnés communiquent librement sur un sujet commun. Il existe un gestionnaire de la liste, appelé aussi « modérateur », c’est-à-dire un garant moral qui peut regrouper plusieurs messages, ou prendre la décision d’arrêter un débat ou simplement décider de l’opportunité de la diffusion d’un message. En outre, il est possible de recevoir des messages privés, provenant de correspondants de la liste de diffusion, pour leur demander des précisions sur leur contribution. De surcroît, il est aisé de limiter l’accès de sa boîte aux lettres à certains intervenants de la liste de diffusion, pour éviter l’asphyxie du système, grâce à un logiciel qui lit les news, appelé « news reader ».
136Rapidement, la mailing list s’avère trop limitée, d’où la création d’une communauté commerciale constituée à partir des centaines (ou milliers) d’adresses électroniques de la clientèle. Ce processus vise à transformer le netsurfer en consommateur régulier, grâce à un modèle communautaire qui donne à l’entreprise un visage plus humain.
137Il apparaît cependant que le concept de communautés virtuelles est très peu connu dans les entreprises nationales et que les utilisateurs lui préfèrent celui de téléclubs ou de clubs virtuels ou en ligne. C’est sous cette appellation de téléclubs, avec partage d’informations et de pratiques dans une branche d’activités ou un bassin d’emplois, que les expériences en ligne sont les plus nombreuses.
138Les messageries électroniques dans une communauté favorisent de manière remarquable l’intertextualité. Utilisées en mode asynchrone, elles permettent la création collective d’un projet, les différentes propositions fusionnant, se combinant et s’enrichissant mutuellement. La modification possible des messages avec annotations, recomposition, déplacement, démembrement et multidiffusion sont sources d’intelligence collective. En privilégiant la transformation permanente, le message acquiert de ce fait un nouveau statut, à la fois éphémère et collectif. La communauté tend à dissoudre la notion d’auteur, tant il est difficile de définir la part de chacun dans la production collective. Dans ces espaces peu concurrentiels, il n’y a pas d’éléments de différenciation dans les messages créés collectivement, les idées et les écritures s’entremêlant les unes aux autres. La communauté d’intérêt amène donc à développer tout un art de l’intéressement collectif.
139La construction d’une écriture collective à travers les interactions participe de ce fait à l’émergence d’une communauté. L’utilisation d’abréviations renforce le sentiment d’appartenance à un groupe virtuel et constitue une source d’inspiration et de participation dans le groupe virtuel.
140Les communautés ne sont d’ailleurs pas que des groupes où l’on s’échange de l’information. Lorsque le nombre d’abonnés est important, elles peuvent représenter une force de propositions et de négociation auprès des décideurs et fonctionner comme des communautés virtuelles lobbyistes se mobilisant immédiatement en fonction des opportunités de l’environnement électronique. Cette réactivité quasi-immédiate est l’un des principaux bénéfices de la messagerie électronique. Ces groupes d’intérêt sont des interlocuteurs privilégiés pour les décideurs. Il semble que la possibilité d’étendre l’influence de certains groupes d’intérêt soit l’un des effets générés par la médiation de ces systèmes. « Par des procédures de domination, d’influence, de négociation et d’intervention, les groupes d’intérêt virtuels tentent d’exercer un certain pouvoir sur la création et l’évolution des institutions, en se fondant sur des positions professionnelles ou politiques qui leur donnent accès à une influence dans la hiérarchie sociale traditionnelle », commente Harvey (1995). Face par exemple aux restructurations et aux politiques d’externalisation d’une entreprise, les membres de ces communautés virtuelles mettent en place des mécanismes de défense et des stratégies d’adaptation. Les débats peuvent être virulents sur des forums de discussion et sur les listes de diffusion.
141Quel est l’ensemble de logiciels de ces communautés virtuelles ?
142Il existe, pour mettre en place une politique éditoriale, de nombreux logiciels disponibles, du simple internet relay chat (IRC) au site en trois dimensions (3D) qui peut abriter une communauté virtuelle avec des services et des connaissances. Le plus fréquemment, la communauté associe les fonctionnalités des messageries, de l’agenda électronique partagé, de la visio ou de la vidéoconférence afin d’assurer une coordination et une collaboration efficace au sein du groupe.
3. Communautés virtuelles et dynamiques territoriales
143Chaque communauté a des structures et des principes de fonctionnement internes mais s’inscrit aussi dans des dynamiques territoriales variables (Lefebvre et Tremblay, p. 40, 1998). Il existe ainsi de profondes disparités de développement d’une ville à l’autre, liées à l’existence d’importants flux de biens et de services, de centres de recherche, d’universités ou de grandes écoles tournées vers les télécommunications ou liées à un renouvellement régulier de la main-d’œuvre.
144Ces disparités de niveau de développement sont accentuées par la question des territoires administratifs qui relèvent directement du sous-système structurel. En effet, si le réseau Internet est planétaire, les plans de financements sont destinés en priorité aux apprenants de chaque région. Cette persistance des territoires administratifs en regard d’espaces virtuels déspatialisés pose problème, à moins de donner la possibilité aux apprenants d’accéder aux cours d’un autre centre tout en s’inscrivant administrativement dans leur centre régional. Outre ce changement structurel, se dessine aussi en filigrane la fin d’un cloisonnement des savoirs, puisque la comparaison et l’évaluation des cours des formateurs devient possible sur le réseau, tout en maintenant dans le cadre d’organisations hybrides des réunions en présentiel, qui permettent une communication moins désincarnée.
145Une réelle valeur ajoutée se trouve dans des dispositifs communautaires qui comprennent des lettres d’information, des annuaires d’adresses électroniques, des diagnostics clients, des dossiers thématiques, des possibilités d’embauche, des revues en ligne, des articles inédits, des bases de données, des cours d’initiation et de perfectionnement, des nouvelles versions de logiciels, un calendrier des prochaines rencontres ou encore des votes électroniques accessibles sur l’intranet de la communauté virtuelle. Les messageries peuvent mettre en relation les offres et les demandes de savoir-faire disponibles dans la communauté et favoriser le bruissement de l’intelligence collective par ces échanges de services et de connaissances.
146Mais il y a plus : des entreprises innovantes ont le souci de renforcer le sentiment d’appartenance, en adaptant le discours de l’entreprise à la langue et la culture de chaque pays et en offrant ainsi des accès multilingues à la communauté.
147L’autre point vital est la vitesse de réponse de l’assistance client. Ainsi, les nouvelles chaînes commerciales reposant sur la création de communautés virtuelles proposent une assistance client en temps réel 24H sur 24. Ces changements dans l’organisation du travail supposent que toutes les fonctions commerciales soient en ligne et puissent réagir au stimulus électronique émis par le message du client.
4. Communautés d’apprentissage en ligne
148L’enjeu essentiel de la mutualisation est, pour résumer, la création de connaissances en ligne, leur partage et leur capitalisation au sein de chaque espace virtuel multiparticipants.
149Une communauté, à l’instar de la structure mise en place chez Usinor, est structurée en trois processus dans l’ensemble de la communauté. Ces processus se déclinent aussi en projets spécifiques dans des sous-communautés.
la création de connaissances (knowledge création) suppose la conception de cours interactifs en ligne et l’évaluation comparative des dispositifs à partir des avancées en matière d’ergonomie et de sciences cognitives. Il convient en effet de partager une même logique de l’hypertexte, de la structure typographique et du système visuel, en intégrant pleinement le changement de support et la compréhension des mécanismes sans procéder par pure imitation ;
le partage de connaissances (knowledge sharing) permet d’optimiser la gestion des ressources pédagogiques par la communication synchronisée par tableau blanc, chat, visio PC, organisation de séances en présentiel, partage de moteurs de recherche interne à la communauté et de sites sélectionnés sur la toile et indexés par le centre en communication asynchrone, la réalisation et l’évaluation de CV et de lettres de motivation par messageries, forums, carnets d’adresse et agenda d’événements ;
la capitalisation (knowledge storing) avec la constitution d’une mémoire vivante sur les principaux dysfonctionnements perçus dans d’autres centres : licence d’exploitation des logiciels, construction d’un portail XML, maintenance informatique et partage d’un capital d’expérimentations conduites dans les télécentres afin de construire de nouveaux dispositifs et scenarii pédagogiques, en complément d’une veille technologique et concurrentielle.
150Il semble que le pourcentage de salariés ayant satisfait aux exigences d’une évaluation par le biais des TIC soit le même que dans le cadre des cours traditionnels.
151Les communautés commerciales ou d’apprentissage sont en phase d’émergence. À ces groupes, il faudrait ajouter les téléclubs dont les positionnements sont très proches et les réseaux de professionnels qui utilisent des fréquences hertziennes propres des radiomessageries pour échanger de l’information au sein des flottes de transporteurs, dans les hôpitaux, les aéroports, EDF. Ils constituent un phénomène très développé.
5. Prospective sur les messageries électroniques
152Il convient vis-à-vis des messageries électroniques de se livrer à l’exercice délicat de la prospective. Après 7 ou 8 ans de progression rapide qui ont permis de préciser un projet au départ très flou, il s’agit d’élargir le champ du possible pour les années qui viennent. Tout d’abord, la prospection n’est pas seulement faite de conjectures. La prospection relève de la continuation des lignes intentionnelles présentes, qui vont au moins tracer le style de ce qui va venir. Elle est aussi rétrospection car, explique Merleau-Ponty (1976), nous nous représentons l’avenir à partir de ce que nous avons déjà vécu. Toute prospection repose donc à la fois sur une rétrospection et une continuation des intentions du moment.
153Les résultats décevants des bureaux virtuels nous renvoie à la pensée du même auteur sur la nécessaire fixation du sujet dans un milieu, condition de la spatialité, et à son inhérence au monde. La perception spatiale est un phénomène de structure.
154Il convient dans cette perspective de se méfier des approches de la futurologie, très influencée par l’imaginaire présent dans les romans et les films d’anticipation, en raison des marges d’erreur considérables. En effet, le devenir d’un média reste largement imprévisible comme le rappellent de nombreux exemples à l’appui, Mintzberg (1995). L’exemple extrême cité par l’auteur est celui de Thomas Watson, fondateur d’IBM, affirmant en 1948 (après le premier ordinateur, l’Eniac) qu’il existait un marché mondial pour cinq ordinateurs seulement. Une planification réussit sur cinq ou dix ans suppose en effet des organisations stabilisées dans un environnement également stabilisé, avec application stricte des stratégies et des calendriers d’éxécution. À cela, il faut ajouter une stabilité des TIC elles mêmes car chaque amélioration redessine un réseau de relations possibles et impossibles, de nouvelles transformations dans la transmission des informations et dans les processus de communication. Or, on peut tout au plus extrapoler des tendances déjà connues. Dans des domaines aussi variés que la technologie, les transports, l’énergie ou l’économie, les méthodes les plus simples de prévision permettent parfois (Mintzberg, 1995) d’obtenir des résultats de niveau comparable aux méthodes les plus sophistiquées, toujours selon Mintzberg qui a mené une étude approfondie sur cette question.
155Dans les années 1970, AT et T soutenait que tous les américains pourraient faire du télétravail de leur domicile dans les vingt ans.
156Ainsi, les échecs récents de la radiomessagerie qui utilise des fréquences audiovisuelles, incitent à ne pas négliger les approches socioculturelles. Le Bip (qui permet de contacter des agents mobiles) a décliné à partir de 1997 en France alors qu’il constitue une réussite aux États-Unis. Pour des raisons qui tiennent au coût du terminal, à la sécurité des États et aux prix trop élevés des communications, les grands projets de communication interpersonnelle par satellite couvrant le monde entier (Motorola) n’ont pas pu aboutir dans les années 1990. De même, en raison des coûts de communication, les projets de télécommunications sur les avions ont été abandonnés pour l’instant.
157L’un des scientifiques les plus renommés du moment, Joël de Rosnay, annonce (1995) de profonds bouleversements de l’entreprise au XXIe siècle. L’entreprise sera répartie, adaptable, mobile, légère alors qu’en contrepoint l’entreprise traditionnelle héritée du XIXe siècle est centralisée, hiérarchisée, taylorisée, spécialisée. Cette entreprise devra non seulement produire, distribuer et créer de la richesse mais aussi et surtout, ajoute l’auteur du célèbre Macroscope, anticiper et s’adapter. Au cours d’une transition importante, nous participerons au passage de l’ère de production de masse et de l’économie de marché à des sociétés de connaissances fondées sur l’information et la communication. Dans ce cadre, l’homme est appelé à se transformer en un nouvel être collectif, le sybionte, forme aujourd’hui ultime de l’évolution de la vie sur terre. Cet homme symbiotique devrait se fondre dans un grand cerveau global d’où partiront des réseaux de communication interconnectés.
158Les ouvrages qui tentent d’appréhender le futur n’exposent pas (loi du genre oblige) la manière dont la société globale va opérer ce grand basculement, les modalités de ce passage restant mystérieuses pour le lecteur. La dynamique du corps social n’est évidemment pas méconnue des auteurs, mais elle est éludée.
159Dans cette mesure, on comprend que des auteurs comme Jean Guy Lacroix, Bernard Miège et Gaétan Tremblay (1994) se démarquent des conceptions futuristes et même messianiques, de ces discours aux accents prophétiques où l’exagération semble de rigueur. En deux décennies, le grand projet a été successivement formulé en termes de télématique, d’informatisation de la société, de révolution informatique et pour finir de société de l’information.
160Or, l’analyse systémique en mettant l’accent sur la notion clé d’interaction entre les sous-systèmes technique, psychosocial et structurel permet de dépasser la notion réductrice de causalité linéaire entre les nouvelles techniques de communication et les formes d’organisation de l’entreprise. L’interdépendance entre les trois pôles conduit à la notion de circularité, d’actions et de rétroactions entre les trois sous systèmes. Ainsi, Watzlawick, Beavin et Jackson rappellent dans Une logique de la communication (1967) que les conséquences, au sens de changement d’état, ne sont pas tant déterminées par les conditions initiales que par la nature du processus ou par les paramètres du système. La preuve est apportée par le fait que des bases techniques différentes de départ peuvent produire le même résultat et qu’à l’inverse les mêmes bases techniques conduisent souvent à des résultats très différents. Cette approche rend évidemment impropre la notion d’impact puisque les stratégies déployées par les différents acteurs et la structure organisationnelle entrent dans un processus dynamique et indéterminé avec le média introduit.
161Alors que les réseaux à haut débit sont une réalité, la tendance est à l’extension de la notion de message qui s’est ouverte à l’hypertexte, au streaming, à la messagerie instantanée, au vidéomail, en attendant le développement de la téléphonie liée à l’UMTS. De plus, la boucle locale radio va permettre des accès plus faciles à l’Internet par ondes hertziennes pour les entreprises. Le Webmobile connait un large succès au Japon par exemple, avec près de 50 millions d’utilisateurs. Le plus gros succès est le courrier électronique à partir de son téléphone mobile sans transmission de fichiers possible. Le taux de pénétration en France des mobiles est tel (38 millions environ) et son utilisation si souple qu’il est probable que ce terminal est appelé à devenir un moyen de communication indispensable pour les textes courts et les images avec le haut débit dans les entreprises. Les portables (téléphones et ordinateurs) paraissent de toute évidence indispensables pour ne pas provoquer d’arrêt dans la communication, notamment pour les commerciaux. En revanche, la webTV, autrement dit une télévision interne qui permet d’accéder à un intranet d’entreprise et à son courrier électronique sur téléviseur, n’a pas progressé jusqu’à présent comme les fabricants l’espéraient. Certes, la télévision peut permettre d’accéder à des fonctionnalités évoluées (messageries, Hifi, banque...) mais l’une des difficultés résident dans la substitution encore limitée des ordinateurs par des téléviseurs sous l’angle de l’environnement d’utilisation.
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