Chapitre III. Enquêtes quantitatives en 1997 et 2001 sur l’intégration des messageries électroniques
p. 101-125
Texte intégral
I – Présentation des enquêtes quantitatives
1L’intégration concerne la mise en ligne des ateliers, des bureaux, des départements, des sites, des équipements et de l’information (traitement, circulation, stockage). Cette intégration sociotechnique favorise le décloisonnement.
2Compte tenu de l’évolution très rapide entre 1997 et 2001, une comparaison sur des questions identiques s’imposait auprès des 96 entreprises de l’échantillon, afin de souligner le dépassement de certains conflits, les utilisations des messageries électroniques dans des contextes structurels et culturels hétérogènes, la réorganisation des tâches, la transformation des messages, enfin la sécurité des systèmes et la convergence médiatique. Les entreprises qui ont été tirées comptent toutes au minimum 100 salariés et sont tournées vers l’import-export. Plusieurs sièges sociaux parmi les entreprises contactées sont localisés à Paris, alors que les sites de production et les sièges sociaux de quelques grosses entreprises sont implantés le long de la Seine ou à l’embouchure du fleuve. L’anonymat a été garanti à tous les interlocuteurs.
3Dans le groupe des managers, les cadres supérieurs évaluent, coordonnent le travail des cadres moyens et assurent le rôle de répartition des ressources. Les cadres moyens supervisent les employés en se référant à leurs supérieurs.
4Les 96 entreprises de l’échantillon ont été tirées parmi les 551 entreprises de trois départements (Paris, Seine Maritime et Eure) qui répondaient aux critères de taille et d’activités tournées vers l’international (fichiers INSEE). Les continents couverts par les liaisons maritimes, aériennes ou terrestres des entreprises du panel sont : Europe de l’Ouest : 81 ; Europe de l’Est : 36 ; Amérique du Nord : 39 ; Amérique du Sud : 23 ; Afrique : 25 ; Orient : 28 ; Océanie : 21. La liste des entreprises et les résultats globaux se trouvent en fin d’ouvrage. En 2001, le nombre de répondants du même échantillon a baissé, en dépit des efforts, en raison d’un contexte nouveau :
renforcement des consignes sécuritaires (notamment pour les intranets et les extranets), en raison de l’augmentation des sinistres informatiques ;
indisponibilité des cadres liée au resserrement du temps de travail pour les entreprises passées à 35 heures ;
augmentation du nombre de questionnaires sur des thèmes voisins entre 1997 et 2001.
5De ce fait, plusieurs entreprises qui disposent de messageries électroniques et dans plusieurs cas de sites Web n’ont pas souhaité répondre.
6Des résultats pour les six tailles d’entreprises définies (100 à 199, 200 à 499, 500 à 999,1000 à 1999, 2000 à 4999 et plus de 5000) peuvent être déterminés.
7De plus, le critère des métiers s’avère pertinent pour faire ressortir des écarts. L’enquête a permis en 1997 de contacter 62 informaticiens, 10 cadres ressources humaines, 8 commerciaux, 7 cadres dans la mercatique, 4 comptables, 3 chargés de communication, 3 cadres dans la production et 2 cadres dans la recherche et le développement. En 2001, 31 informaticiens, 1 comptable, 3 cadres ressources humaines, 3 chargés de communication, 2 commerciaux, 2 cadres mercatique. Le fait que les informaticiens représentent plus de la moitié des entretiens n’est pas un choix de l’auteur, mais relève de l’organisation interne des entreprises.
8Le critère de l’activité en fonction de la nomenclature de l’INSEE parait également pertinent afin de mesurer des écarts entre les entreprises de service, de commerce ou industrielles.
9La plupart des questions ont été maintenues entre 1997 et 2001. Toutefois, l’évolution est telle actuellement que des questions innovantes il y a 5 ans ne l’étaient déjà plus en 2001.
II – Variables retenues sur les perceptions
10Les variables retenues ne sont pas les seules possibles. Le but est de savoir si les variables choisies sont pertinentes, si elles sont perçues ou non pertinentes en adoptant une perspective diachronique de 1997 à 2001.
11Dans la mesure où il n’existe pas de messageries unifiées, le terme est uniquement employé au pluriel dans les enquêtes comme dans les autres pages.
Imprévisibilité, retard, surprise
Médiation, agir communicationnel, équipes pluriniveaux
Communication managériale
Construction d’utilisations de coopération et de coordination
Communauté de normes
Segmentation par métiers
Réseaux de conversation informelle
Évolution des structures organisationnelles, complexité
Sélection du canal, contexte situationnel, richesse du média
Sélection du canal, protection des informations sensibles
Séquences d’actes de communication virtuelle et en co-présence
Veille concurrentielle
Critères de qualité de l’information
Typologie des malentendus, construction d’un environnement cognitif mutuel
Communautés virtuelles d’intérêt
Conflits et contextes
Émergence systémique
Mythes, croyances technologiques
Surcharge cognitive
Injonctions paradoxales
III – Synthèse des résultats des questionnaires en 1997 et 2001
12NDLR : des tableaux concernant les résultats globaux en 1997 et 2001 figurent en page 188.
13Il convient d’établir une progression et d’identifier les succès comme les échecs en cinq ans.
– Extension des systèmes de messageries électroniques
14Tout d’abord, la corrélation entre tailles et systèmes de messageries électroniques est frappante en 1997 mais ne l’est plus en 2001, du fait du développement des intranets. En 1997, le nombre de messageries électroniques augmente en effet avec la taille de l’entreprise : 18 % pour les entreprises de 100 à 199 salariés, 29 % de 200 à 499 salariés, 44 % de 500 à 999 salariés, 50 % de 1000 à 1999 salariés, 50 % encore de 2000 à 4999 salariés et 66 %, pour les entreprises de plus de 5000 salariés. En 2001, ce rapport avec la taille disparaît. L’effet d’entraînement des entreprises pionnières et l’effet masse critique (Rice, 1990) interviennent pour les messageries électroniques comme pour les autres innovations (toutefois, cet effet d’entraînement ne concerne pas dans l’échantillon deux PME/PMI qui ne disposent pas encore de ce média).
15Les logiciels cités le plus souvent sont Outlook Express et Lotus Note. Mais surtout, la situation s’est transformée entre 1997 et 2001 avec la fin des espoirs de généralisation de la norme X400 (au profit de la norme SMTP d’Internet), même si cette norme reste encore employée pour des transactions sécurisées.
16La multiplication des supports de transmission envisageables (câbles métalliques ou à paires torsadées, liaisons radioélectriques, fibres optiques, câbles sous-marins) a permis l’implémentation de très nombreuses applications interactives, notamment parmi les PME-PMI qui ont tiré des bénéfices considérables de l’Internet et des intranets (réduction des investissements, facilités d’interconnexion...). Dans la première enquête datée de janvier 1997, 16 entreprises sur l’ensemble de l’échantillon, toutes tailles confondues, disposaient d’un accès à Internet en 1997, et 3 sur un poste isolé ou sur une connexion indépendante du réseau local, pour des raisons de sécurité. On observe (sauf sur un segment des entreprises de 500 à 999 salariés) une progression du nombre de connexions avec la taille de l’entreprise : 4 entreprises sur 37 de 100 à 199 salariés (et 2 en projet) soit 10.8 %, 5 sur 27 entreprises de 200 à 499 salariés soit 18.5 %, 1 sur 9 de 500 à 999 soit 11.1 %, 5 sur 14 de 1000 à 1999 soit 35.7 %, 1 sur 4 de 2000 à 4999 (soit 25 %, 3 sur 6 de plus de 5000 soit 50 % disposent d’une connexion à Internet). Les entreprises industrielles sont les plus équipées (11 dont 2 sur poste isolé et 2 en projet) devant les entreprises de service (5 connexions et 2 en projet) et 1 entreprise dans les matières premières. Ces résultats sont concordants avec les enquêtes menées à cette époque par quelques grands journaux (le Monde Informatique, les Échos...).
17Mais, ces chiffres sont dépassés depuis 1997 avec la généralisation d’Internet qui explique la très grande connectivité des entreprises de l’échantillon. D’autre part, la nécessité dans de nombreux contextes (constructions automobiles, grande distribution...) de travailler avec des clients ou des fournisseurs en flux tendu par réseaux de télécommunications explique le recours aux intranets et extranets. Ainsi, 27 entreprises sur 40 sont intégrées dans des réseaux interentreprises dont des intranets, en particulier dans le cadre de réseaux centrés sur une activité comme l’automobile ou la pétrochimie – contre 12 (dont 6 pour une partie seulement) début 1997. L’impact d’Internet se mesure ainsi à l’augmentation des réseaux d’entreprise. En choisissant le critère du secteur d’activité, on constate que les entreprises de services sont mieux équipées (une sur deux) que les entreprises industrielles ou commerciales (une sur trois) en 1997 mais plus en 2001. Les résultats globaux soulignent en effet la progression ininterrompue depuis une vingtaine d’années des systèmes de messageries électroniques. Il convient cependant de distinguer plusieurs générations de messageries électroniques, car on est loin des premiers systèmes bien peu pratiques d’avant 1985. Ainsi, plusieurs entreprises ont changé à deux ou trois reprises de système de messageries en fonction des améliorations techniques. L’évolution récente de ce média monocanal vers le multimédia permet d’envisager de nouvelles utilisations dans les organisations au cours des prochaines années.
18Des compléments d’information donnés par les cadres d’entreprises permettent d’aller plus loin dans la connaissance relative aux topologies des réseaux. Celles-ci ne sont pas homogènes car elles reflètent la politique managériale. Ainsi, dans la topologie en étoile (rare dans l’échantillon), les serveurs de messageries se trouvent concentrés au siège. Les différentes filiales ou les sites de l’entreprise étendue sont reliés à la messagerie centrale, avec des temps de réponse plus lents.
19Ce schéma centralisé permet de conserver le contrôle de la totalité des flux. À l’inverse, dans la topologie en réseau, la décentralisation informatique avec un serveur sur chaque site permet de dépasser le modèle de l’entreprise château, d’optimiser le dialogue entre compétences et de travailler au plus près des marchés de proximité. À l’échelle des sites implantés à l’étranger, la réalisation d’un système nerveux de réseaux interconnectés était freinée par l’incompatibilité de certains réseaux jusqu’en 1997.
– Taux de satisfaction des utilisateurs
20Avec la montée des intranets et des extranets, le taux de satisfaction vis-à-vis des systèmes de messageries électroniques est en augmentation : 20 très satisfaits en 2001 contre 15 en 1997 ; 6 utilisateurs sont assez satisfaits, chiffre stable en 1997 et 2001 ; les autres étant satisfaits (et dans un cas mécontent, en 1997). Il s’agit d’une très forte poussée en faveur des messageries électroniques parmi les cadres utilisateurs, dans l’industrie comme dans le commerce de gros.
21Ce phénomène est particulièrement vrai dans les segments d’entreprises de 100 à 199 et de 200 à 499 salariés qui étaient moins équipés en 1997.
22Par activité, la répartition dans l’industrie est de 60 % de très satisfaits, 20 % de satisfaits et 20 % d’assez satisfaits.
23Par métiers, les informaticiens se déclarent plus satisfaits qu’en 1997. Les informaticiens seulement « assez satisfaits » ont disparu. Leurs réponses se regroupent pour les deux tiers dans les « très satisfaits » et pour un tiers dans les « satisfaits ».
24D’autre part, le positionnement des messageries électroniques est plus clairement identifié en 2001 dans les métiers de commerciaux, de chargés de communication ou des ressources humaines, même si ce média n’est pas la panacée pour deux utilisateurs, seulement « assez satisfaits ». Le chargé de communication mécontent en 1997 ne l’est plus en 2001 et le nombre d’« assez satisfaits » augmente légèrement (de 5 à 6).
25La pratique la plus fréquente est la messagerie ouverte en permanence, pour 29 répondants sur 40 en 2001, ce qui permet aux salariés devant écran de répondre très vite au signal émis, en particulier dans les emplois d’infographiste, d’administrateur de réseau, d’informaticien.
26Pour de nombreux cadres interrogés, il reste cependant des raisons de privilégier la fluidité communicative de l’oral dans les activités de management. Plusieurs situations illustrent cette notion comme le contexte culturel des entreprises japonaises, conformément aux observations de Maurice Marc et Noharo Hiroatsu (1999), la collecte d’informations au plus près du terrain par l’entremise d’un réseau de collaborateurs et la négociation commerciale complexe en face à face. De plus, la transmission d’informations confidentielles ne requiert pas nécessairement des moyens électroniques. L’utilisation d’enveloppes postales banalisées, voire dans des cas particuliers de messagers ayant enregistré mentalement les informations, peut suffire.
– Nombre de messages émis et reçus
27Les résultats les plus répandus à l’émission sont en 2001 de 1 à 5 messages pour 16 répondants et 6 à 10 messages pour 14 répondants, soit des utilisations assez modérées des messageries. A contrario, il existe des utilisations fortes (40 messages par jour) voire très fortes (plus de 70 messages par jour) pour ceux qui occupent des positions charnières dans les réseaux sociaux de communication. La moyenne en 2001 est de 7 messages par jour, soit 35 environ par semaine. A titre de comparaison, Rowe et Monod donnent des résultats légèrement inférieurs dans les banques pour 2000, pour les commerciaux et les banquiers eux-mêmes, dans un secteur où existent des freins structurels et culturels, avec maintien de la signature manuscrite et du circuit de validation hiérarchique. Par commodité, on sépare dans les deux enquêtes les messages émis des messages reçus, même si l’utilisateur est à la fois émetteur et récepteur (ou EMEREC, pour reprendre le néologisme de Cloutier).
28A l’émission, il existe de grandes disparités en nombre de messages d’un informaticien à l’autre : 2 à 5 messages jusqu’à 40 messages environ dans l’industrie et jusqu’à 70 messages par jour dans une assurance. Les cadres qui jouent des rôles interpersonnels de. liaison ou de pont au sein des réseaux sociaux de communication (Parlebas, 1992) reçoivent et émettent un nombre croissant de messages. La pression qui s’exerce sur eux peut être élevée, comme l’atteste déjà l’analyse de Pinsonneault, Bourret et Rivard (1993) dans trois grandes entreprises québécoises. La moyenne de messages émis est de 9 messages environ pour les informaticiens (administrateur de réseau, responsable multimédia, conseil en système d’information...). Quinze d’entre eux ont des besoins quotidiens modérés inférieurs ou égaux à 5. Cette modération dans l’utilisation peut correspondre aussi à une bonne maîtrise de l’outil et à un paramétrage permettant de ne recevoir que des messages pertinents. Les utilisations les plus intensives par répondant ne sont pas liées nécessairement à la taille puisqu’un répondant dans une entreprise de moins de 500 salariés annonce plus de 40 messages par jour. Mais les très grosses messageries sont situées dans des entreprises multisites comme AGF Vie ou TotalfinaElf. Dans le commerce de gros, deux utilisateurs sur trois déclarent émettre entre 21 et 30 messages par jour, soit entre 100 et 150 messages (offres commerciales, commandes, factures, relances...) chaque semaine, situation difficile à traiter au retour des congés.
29À la réception, le nombre moyen de messages reçus par jour (13) est plus élevé car il peut s’agir aussi d’offres de services par exemple de société de sécurité, de promotions publicitaires, de demandes de stage... La deuxième remarque concerne l’existence d’utilisateurs intensifs comme des responsables informatiques ou des administrateurs. La surcharge cognitive qui en découle conduit à utiliser un système fondé sur des couleurs ou des lettres (U pour urgent, A pour action, UU pour très urgent, AA pour action, action) mais il existe des risques rapides de dérive pour ce système. A contrario, existent des niveaux d’échange très modestes (2 ou 3 messages par jour) dans les industries ou les sites de production peu tournés vers la micro-informatique. Les segments d’entreprises avec le plus petit nombre de salariés occupent des positions très contrastées avec des utilisations très modestes ou intensives (plus de 40 messages, jusqu’à 100 messages par jour). Les services communication, commerciaux et de ressources humaines se retrouvent principalement dans la tranche de 6 à 10 messages par jour. La moyenne est de 20 messages émis ou reçus pour 2001, chiffre qui pourrait doubler dans quelques années avec les méls par mobile et la montée continue de l’Internet. La question qui se pose actuellement est de savoir l’utilité pour les entreprises des offres récentes comme le streaming pour des cartes postales multimédia ou les SMS (Short Message Service) et les nouvelles améliorations prévues pour 2003 de la téléphonie grâce à l’UMTS.
– Perceptions des bénéfices
30La perception des bénéfices apportés par les messageries électroniques constitue un point fondamental de l’enquête. La baisse des coûts de communication téléphonique, est avancée par 42 % des entreprises en 2001. Assez loin du thème du zéro papier en vogue voici 10 ans, 18 (1997) et 19 (2001) entreprises annoncent une réduction de la quantité de papier utilisé sur imprimante. Pour les autres entreprises, l’utilisation du papier est en augmentation. Ces baisses dépendent beaucoup du type d’activités de l’entreprise. L’EDI contribue à la réduction des saisies et des sorties papier. Il est fondé sur des opérations reposant sur des messages types, d’un bout à l’autre de la chaîne de production, selon des observations déjà notées par Mayère, Monnoyer (1991). Cependant, l’hypothèse d’une large diffusion de la norme de messages Edifact reste freinée par le nombre peu élevé dans l’échantillon des secteurs concernés, (construction automobile ou grande distribution). La diffusion de la norme Edifact est limitée par le caractère segmenté du marché composé de sous-marchés indifférents les uns aux autres, rappelle Mauguéri (1995). Cependant, le nombre d’entreprises concernées par l’EDI a augmenté depuis 1996. C’est du côté de L’EDI light et du Web EDI que l’on trouve de nouvelles solutions complémentaires, d’après Edifrance, la première consistant en une simplification des messages en traitant les parties les plus souvent utilisées, la seconde dans un envoi par un serveur et fréquemment par un intranet puis une ressaisie.
31La multidiffusion d’information en mode asynchrone est la grande fonction, le coeur de cible, des messageries électroniques, comme le rappelle Barillot (1998) dans le cadre d’une enquête auprès de 74 utilisateurs. Ce média est préféré en outre à un appel téléphonique et au courrier classique car il présente moins de contraintes pour contacter plusieurs utlisateurs à la fois et effectuer des lectures de n’importe quel point du réseau.
32Les messages échangés sont des actes de langage comme transmettre des comptes rendus de réunion, répondre à des questions, rappeler l’heure et le lieu d’un rendez-vous, lancer un brainstorming. Ces messages qui circulent sur des réseaux conversationnels sont par conséquent le plus fréquemment des performatifs (Austin, 1970). Il s’agit de promissifs (donner son accord pour un contrat, convenir d’un rendez-vous, s’engager pour un salon, un colloque...) d’expositifs (produire des idées, donner des arguments...), de comportatifs (s’excuser, souhaiter, remercier...), de verdictifs (estimer, évaluer...), enfin d’exercitifs (conseiller, avertir...). Les messageries électroniques s’affirment aussi comme un outil de direction pour adresser une note de service, un calendrier, un planning... Assez peu pour des convocations, qui revêtent un caractère plus officiel. De même, le nombre de courriers administratifs officiels est réduit (8 citations seulement).
33La souplesse d’utilisation est placée en tête des variables (23 citations). C’est le cas également dans l’étude de Rice (1990). Mais une variable linguistique apparaît comme prédominante en 2001 dans la plupart des contextes, c’est le raccourcissement des messages et le choix d’un style plus rapide (22 citations). Cette brièveté contribue au mouvement général d’accélération du temps médiatique. Cependant, cette évolution n’est pas homogène. Dans les messages rapides, de type mémo (prises de rendez-vous, compte rendu rapide, annonce officieuse d’un événement...), le style est synthétique. L’immédiateté de ces messages de six lignes environ conduit à utiliser un langage de type télégraphique, avec le risque de brutalité ressentie devant des messages trop secs. Cette écriture rapide se retrouve dans les forums de discussion. L’échange d’opinions et d’informations s’effectue dans un style semi-oral. Cette utilisation est très répandue, dans les entreprises informatiques en particulier.
34Il existe une autre utilisation d’un langage quasi-oral sur laquelle les entreprises mène une veille : les conversations par l’internet relay chat. Ce système de téléconférence distribué en mode synchrone concerne des conversations électroniques orales en temps réel transcrites par écrit, à la vitesse de l’oral. Les conversations par l’internet relay chat (service de conversation internet) présentent des caractéristiques connues : écriture phonétique pour raccourcir le message, hybridation de la langue avec de nombreux emprunts à l’anglais, prolifération de points d’exclamation et d’interrogation, acronymes, c’est-à-dire de mots formés par des initiales. La communauté des internautes a développé un langage spécifique, composé d’abréviations, d’émoticônes et d’utilisations très spécifiques des capitales : A+T signifie à plus tard ; JPQ, je pense que ; CLG, c’est la galère ; AMHA, à mon humble avis ; CH, c’est horrible... Pour condenser les messages, la communauté des logisticiens utilise en particulier un système d’abréviations en anglais dont voici quelques exemples :
35– ETA = estimated time of arrival ; ETS = estimated time of sailing ; ETD = estimated time of departure ; RORO = roll on roll off ; LOLO = left on left off ; FCL = full container lood ; LCL = less than container lood ; FOB = free on board ; DDU = delivery duty unpaid ; DDP = delivery duty paid ; THC = terminal handling charge ; CIF = cost insurance freight ; FOT = free on truck ; THC = terminal handling charge ; 40’ = conteneur de 40 pieds ; etc.
36Le sous-système célèbre des émoticônes (ou smileys ou binettes) permet de transmettre une émotion. Les lettres capitales signifient que l’on hurle. Cette évolution vers un langage très rapide concerne beaucoup moins l’information institutionnelle. Cette information institutionnelle ne se transforme pas si aisément. Les règlements, les procédures, les contrats, les sites Web d’entreprise s’appuient sur le sous-système rigoureux du lexique et du droit administratif. Dans les entreprises qui relèvent d’un courant socio-culturel « conservateur », pour reprendre un élément de la classification du centre de communication avancé (CCA), la culture épistolaire de l’entreprise se maintient, y compris dans les formules de politesse.
– Les projets coopératifs
37L’intégration d’équipes distantes dans des projets coopératifs repose sur le développement des messageries électroniques. L’agenda électronique, inclus dans les systèmes de messageries électroniques, obtient à cet égard, 11 citations en 1997 et 13 citations en 2001. Parmi la construction de projets communs, les répondants citent l’écriture d’un manuel d’utilisation, un brainstorming pour améliorer la sécurité ou la rédaction d’un cahier des charges... Dans ce type de projets, les différentes propositions fusionnent, se combinent et s’enrichissent mutuellement. Les messageries électroniques sont à cet égard productrices d’intelligence collective (Lévy, 1995), avec croisement de plusieurs sources d’énonciation. Le message, individuel et collectif, accède de ce fait à un nouveau statut car il n’y a plus d’éléments de différenciation dans les messages créés collectivement, les idées et les écritures s’entremêlant les unes aux autres. De ce fait, la notion d’auteur tend à se dissoudre tant il est difficile de définir la part de chacun dans la production collective. Cette mise en commun est facilitée par la numérisation puis l’intégration de chaque document dans une base de données. Chaque document comprend généralement un intitulé, un résumé, des mots clés, le type de diffusion (Internet, intranet et messagerie électronique), le groupe de diffusion et les dates de validation et de péremption. Les logiciels liés à la base de données permettent aux utilisateurs autorisés de publier de nouveaux documents et de les diffuser à la demande dans les boîtes aux lettres électroniques.
– Processus d’intégration et conflits organisationnels
38Dans l’organisation, les conflits ne sont pas des bruits à éviter mais des produits naturels du changement (Giroux, 1993). Ils se présentent sous la forme de négociations ou de compromis, plus que d’affrontements directs.
39Si l’on tente un classement de ces conflits, on retrouvera tout d’abord ceux qui sont directement liés au changement technique.
401- l’intégration d’outils est un processus dynamique qui représente à chaque fois de nouvelles fonctionnalités à assimiler et une mise sous tension des ressources humaines. La technisation de la communication conduit à un apprentissage transformant les modalités d’interaction entre salariés.
41De plus, la surabondance (12 répondants en 1997, 19 en 2001) liée à l’interconnexion des réseaux locaux est vécue comme une surcharge dans la collecte et le traitement de l’information (6 répondants en 1997, 13 en 2001) sans élévation systématique de l’information pertinente. Or, en théorie de l’information, l’information improbable est précieuse. Plus le message est probable et répétitif, moins il apporte d’informations et donc de rendement de l’acte de consultation dans la veille. Certains utilisateurs s’inquiètent en outre de la pertinence de l’information disponible sur Internet (absence de validité de l’information sur les pages Web et existence de leurres assez proches d’une réponse réelle pour être crédible et tromper la concurrence).
42La médiation technique induit aussi une accélération du temps. Pour Debray (1991, p. 241) la médiasphère se caractérise depuis le XIXe siècle par une succession d’accélérations. Cet affranchissement progressif des messageries atteint une limite liée au trop vite et à la frénésie dans une lutte incessante pour le temps. Les tensions sont liées au caractère synthétique des messages électroniques – 6 lignes en moyenne. Cette concision peut provoquer des malentendus liés à la surestimation des capacités de compréhension des récepteurs et au manque de référents contextuels et d’explicitation (Barrier, 1997). Une communication multicanale, faisant appel à la kinésie et à la proxémie, facilite la conversation complexe et constitue la principale limite des messageries électroniques qui ne sont pas adaptées à la négociation complexe, selon 12 utilisateurs en 2001 contre 5 en 1997.
43La révolution de l’écriture en cours (Danto, 2000) génère un stress qui provient du fait, expliquent des cadres d’entreprises interrogés, « qu’il manque la nuance humaine » et que « les messages sont trop réduits ». En somme, « les messageries exacerbent le plus et le moins », au point même que certains utilisateurs ne voient dans les messageries qu’un « média pour trouver des solutions à des problèmes techniques à l’intérieur du groupe ».
44On peut déceler un autre groupe de résistance (interprétée par des responsables comme de l’indiscipline) qui relève des conflits identitaires. Une vision dialectique de la communication médiatisée traverse les propos des répondants en 1996-1997. D’un côté, les mots clés associés à la fonction ressources humaines ou communication sont « communication », « nuance humaine », « compréhension », « débat », « discussion » et « confiance ». De l’autre, les mots clés associés aux messageries électroniques sont « accélération », « surabondance », « ambiguïté », « appauvrissement », « malentendus », « fausses interprétations », « conflits » et « freins », « oubli de lecture », « utilisation désordonnée »... Ces raisonnements dichotomiques sont complétés par des jugements plus spécifiques aux services. Un responsable communication habitué à diffuser des documents détaillés et hiérarchisés (avec une organisation journalistique en trois niveaux de lecture) se dit désemparé face à la sécheresse des messages électroniques. Un message réduit à quelques lignes, c’est de son point de vue un peu de parole « confisquée ».
45À cela s’ajoute le positionnement des acteurs dans le processus de restructuration des communications. Les messageries électroniques provoquent en effet une transformation radicale des relations que les utilisateurs entretiennent entre eux et avec leur environnement. Les transformations provoquées par le développement des TIC dans le système des communications n’épargnent pas les informaticiens qui contestent parfois l’importance prise par leurs collègues amateurs d’informatique alors que ces non spécialistes remplissent un rôle de relais d’information au cours du processus de changement. Ainsi, le processus d’intégration renvoie à plusieurs enjeux de positionnement soulignés par Mucchielli (1998) à partir de l’analyse de 15 situations de dirigeants interviewés. Les messageries électroniques donnent lieu notamment à une négociation sur les liens de dépendance, le pouvoir de pilotage et les normes informelles du travail en vue de réorganiser éventuellement le travail.
46Dans la phase initiale et avant la banalisation de l’outil, « il y a ceux qui entrent et ceux qui n’entrent pas dans le système. Les TIC sont un moyen de mesurer le pouvoir et un statut social » déclare un répondant, responsable des ressources humaines. Il découle de ces transformations une reconfiguration du système des relations interpersonnelles. Les acteurs cherchent dans ce contexte changeant à valoriser des modalités d’utilisation conformes à leurs intérêts stratégiques. C’est pourquoi la construction d’un sens partagé des TIC suit fréquemment des chemins de traverse.
47D’autres malentendus dans les échanges verbaux proviennent de la distance entre émetteurs et récepteurs. Il apparaît en effet que les ressources du langage ne sont pas utilisées de la même manière en situation proche ou éloignée. Ainsi, explique Jacques Girin (1990), des malentendus qui n’existent pas dans une communication de proximité, peuvent se développer à distance. C’est la raison pour laquelle plusieurs directions d’entreprise qui ne parviennent pas à expliquer leur politique par les réseaux, rassemblent au siège social les chefs de projets de chaque site pour réduire les malentendus.
48L’autre catégorie de malentendus est liée au caractère hétérogène des contextes culturels : les productions langagières renvoient en effet à plusieurs schémas cognitifs et systèmes de signification. Les sous-cultures, structurées autour de représentations, de règles ou de symboles diffèrent nettement d’un site et d’une entreprise à l’autre.
49La troisième source de malentendus provient de l’existence de plusieurs communautés langagières. Les mots, polysémiques, ne véhiculent pas les mêmes contenus d’un métier à l’autre. C’est pourquoi, il conviendrait de dresser des lexiques avec des définitions dans des bureaux de la traduction, surtout dans le cas des entreprises multinationales.
50Quand les messages présentent des risques de malentendus, les répondants déclarent utiliser fréquemment un média multicanal qui mélange des aspects verbaux, reliés au contenu, et des aspects non verbaux, qui relèvent de la relation. En effet, les aspects pragmatiques et gestuels dans les interactions non verbales (et plus généralement la sémiotique gestuelle) retrouvent, en contrepoint des messageries électroniques, une brûlante actualité (Barrier, 1997). Les aspects cognitifs ou sociométriques du regard, les variations corporelles liées au stress ou au mensonge s’avèrent précieux pour l’interprétation et la décision. Un face à face engage donc la personne entière tandis que les communications à distance permettent de faire éventuellement une autre activité. De ce point de vue, c’est par la communication de face à face que l’on est amené à interpréter le discours émotionnel et sensible lié aux signes gestuels. En particulier, le rôle emphatique de la synchronisation gestuelle est un élément clé de la compréhension. L’intérêt pour l’interaction verbale recouvre au demeurant plusieurs disciplines (sociolinguistique, analyse des conversations, ethnométhodologie ou éthologie du langage).
51Dans certains cas s’expriment des craintes de déshumanisation (liées aux astreintes prolongées devant écran) qui peuvent conduire à des troubles psychopathologiques, à des atteintes somatiques et identitaires. Pour résumer sur cette question des conflits, l’organisation est une construction collective et les conflits ne sont pas des bruits à éviter, voire des mécanismes de défense indignes mais des produits naturels du changement. Ils se présentent moins sous la forme d’affrontements directs que de tensions qui aboutissent à des négociations, ajustements réciproques et compromis entre les acteurs qui participent (ou ne participent pas, ce qui est aussi une manière de communiquer) au système des échanges.
– Dirigeants et antres leaders du changement
52L’enquête montre que les leaders se rencontrent dans tous les statuts et échelons hiérarchiques, même si les dirigeants d’entreprise et les informaticiens sont majoritaires. La notion de leader est d’autre part bien identifiée par les répondants, contrairement à celle de traducteur, trop facilement confondue avec l’activité linguistique qui vise à établir une équivalence sémantique et expressive entre des énoncés issus de deux langues au moins. Un leader, notion très différente de celle de traducteur, a la capacité de susciter une participation volontaire en raison de sa personnalité, sans le recours à l’autorité et sans dépendre nécessairement de la place dans l’organigramme. Il s’agit d’un macro-acteur, porteur d’une vision qui suscite la motivation.
53Bien orientée, cette capacité aide au développement d’un agir communicationnel (Habermas, 1987). Il admet l’existence d’objectifs individuels à la condition qu’ils puissent s’accorder avec la vocation et les plans d’action de l’organisation. Cet agir communicationnel suppose la construction d’une représentation commune de la situation de changement, pour se situer dans la filiation de Bardini (1993). L’expertise d’un leader est un point crucial. Le leader et l’expert peuvent être un seul et même acteur, placé de ce fait à l’interface des personnels de l’entreprise et des spécialistes des télécommunications, dans un dialogue de professionnels à professionnels, notamment avec les fournisseurs de matériels.
54La présence, même minoritaire, de techniciens et d’employés qui sont des leaders d’opinion, prouve l’importance des réseaux informels et au-delà de la position de centralité dans les réseaux. Les individus qui sont des nœuds de communication ont en effet un grand nombre de relations avec d’autres acteurs de l’organisation, cherchent à se créer des réseaux d’alliés, sont proches des détenteurs d’information et au centre des échanges de messages formels et informels. Les stratégies des leaders se déploient d’autant plus facilement qu’ils occupent en sociométrie une position de centralité de flux, de proximité et d’intermédiarité dans les réseaux sociaux de communication (Parlebas, 1992). Les leaders de forums en particulier se caractérisent par leur expertise technique et le très grand nombre de messages échangés.
55Des leaders d’opinion en position de direction peuvent, de par leur influence, expliquer les problèmes rencontrés dans l’installation et l’utilisation des messageries. Il existe en effet quelques baronnies, quelques fiefs difficilement prenables, dont l’une des pommes de discorde avec le siège social concerne justement la réorganisation du travail lié aux TIC, en tout cas dans la phase d’implémentation. Ces leaders sont fréquemment le point focal d’un réseau, l’œil du cyclone autour duquel le changement a lieu, ou non, tant qu’ils ne s’écartent pas des normes de leur groupe.
56Cependant, Thierry Bardini (1993) s’interroge à juste titre sur la véritable représentativité de ces leaders d’opinion. Il est difficile en effet de mesurer cette influence. D’autre part, un membre n’est pas toujours leader. À moins d’être très autoritaire, il est suiveur dans des domaines qu’il ne maîtrise pas.
– Systèmes de participation
57Si dans les approches participatives l’accent est mis sur la traduction du message autant que sur le canal technique, il convient de souligner que les équipes pluriniveaux et pluridisciplinaires sont en augmentation de 1997 à 2001, avec une préférence pour les équipes pluridisciplinaires (12), situées souvent au même niveau hiérarchique avec des techniciens (8), des responsables des ressources humaines (10) et de la communication (9), ce qui peut faire regretter le nombre plus restreint d’équipes ouvertes à tous les échelons hiérarchiques (ouvriers, employés ; cadres intermédiaires et supérieurs) dans le cadre d’une écologie communicationnelle. L’organisation est en effet un système différencié où chaque sous-système est régi par des comportements et des attitudes spécifiques. Chaque communauté de travail a développé un langage autonome. À cela s’ajoute le contexte d’utilisation des outils (conditions pratiques de travail, dispositifs informatiques). L’espace personnel, le bureau, les objets, l’accessibilité (limitée à certaines heures ou permanentes) sont constitutifs de ce contexte d’utilisation dans lequel s’inscrivent les communications. Cette participation permet de restituer les attentes et les besoins des services dans la réécriture des fonctionnalités des logiciels de messageries électroniques. Dans une optique proche de la pensée de Habermas (1987) le progrès technique n’est pas en effet l’affaire de tel ou tel expert mais d’une réflexion collective, ce qui suppose l’organisation d’une médiation ayant pour objet le dépassement des rapports de force, la traduction des langages de chaque communauté et la production fréquente d’un référentiel commun. Un système participatif vise à être créatif, à faire en sorte que le tout soit plus que la somme des parties. La motivation à agir s’exprime à travers des engagements illocutoires par lesquels on propose une action à entreprendre. Face aux tensions dont l’éthologie de Konrad Lorenz rappelle qu’elles permettent une organisation hiérarchique dans les systèmes vivants, la médiation suppose un dépassement des rapports de force, de l’imposition des contextes de références. Face donc à la recherche de la domination liée au fonctionnement du paléocortex et de l’hypothalamus comme le rappelle la neurophysiologie de Henri Laborit, l’enjeu de la médiation humaine est de dépasser les définitions hégémoniques pour permettre la convergence (Kincaid, Rogers, 1986) et un sens partagé de l’innovation. Cette orientation suppose plus finement une traduction (Callon, Latour, 1978) sur le sens des mots, des phrases, des raisonnements, des propositions et des critères de validité. Ce raisonnement converge avec celui de Habermas sur la réalisation d’un référentiel commun. Certains membres de ces équipes sont détachés à temps plein pendant plusieurs mois de leur service d’origine pour identifier les besoins et expérimenter par ailleurs toutes sortes de pannes. Sur les chemins de la persuasion, ces cadres ou ces techniciens entraînent les personnels avec lesquels ils sont en interaction. Par ailleurs la participation suppose une approche écologisée prenant en compte tous les niveaux culturels en interaction, car les causes de contrastes dans un même bassin d’emplois sont parfois difficiles à trouver. La culture régionale, la culture d’entreprise, la culture des dirigeants et l’influence des réseaux sociaux de communication sont probablement des explications possibles, mais dans quel ordre d’importance ? Si, dès le début des années 1990, quelques multinationales françaises comme Total ont pris une avance considérable sur des entreprises américaines implantées dans la même région (Minnesota Rubber Europe par exemple), c’est que probablement la culture d’entreprise et celle des dirigeants a été prépondérante mais cette hypothèse reste à démontrer.
58Une messagerie n’a d’intérêt que si un nombre suffisant de personnes connectées l’utilise dans les tâches qui requièrent de l’interdépendance. Ainsi, chaque nouvel adoptant augmente la valeur potentielle du système interactif, valeur qui est d’autant plus grande que l’arrivant est lui-même au centre d’un réseau de connexions important. Les connexions sont très hétérogènes d’un service à l’autre de 90,98, 93, 95 %. Dans les noyaux de résistance, le moins bon pourcentage est de 65 % environ, en particulier dans les filiales éloignées géographiquement. En six ou sept ans, il est fréquent d’atteindre 20 puis 100 % d’utilisateurs de messageries sur micro-ordinateurs avec un effet boule de neige qui se répercute d’un utilisateur à l’autre. La prochaine étape sera d’équiper tous les commerciaux en mobiles pour recevoir des messages courts depuis l’Internet d’ici 2005.
59Les pratiques d’animation visent aujourd’hui à développer les performances des salariés par la formation aux outils mais aussi par la culture – réseau, la philosophie client – serveur, la mise à disposition d’une documentation en ligne et d’une aide téléphonique permanente. Cet apprentissage semble perçu comme capital car le budget augmente un peu tous les ans. Un budget de plus de 300 000 euros par an pour la formation et la micro-informatique est courant sur de gros sites d’entreprise, avec 100 personnes environ formées chaque semaine.
– Transformations induites par les messageries
60Après l’évocation des bénéfices et des conflits, il convient d’évoquer les principales transformations induites par les messageries. Le choix des mots et des expressions dans les items n’a pas posé de problèmes, hormis la notion de « raccourcissement du cycle réflexion, décision, action » qui n’a pas semblé pertinente à quelques-uns des répondants, dans la mesure où la réduction de temps concerne exclusivement les délais de transmission par les télécommunications (source de « frénésie », pour reprendre le terme de Debray) et non les délais de réflexion et les circuits de décision qui restent valides. Ce statu quo dans de nombreuses procédures rejoint les conclusions de Rowe et Monod (2000) sur le maintien du papier et de l’écriture manuscrite d’une part et l’utilisation limitée de la messagerie d’autre part, pour éviter le court-circuitage des hiérarchies dans les établissements bancaires. Des temporalités sont incompressibles : apprentissage, assimilation, maturation.
61La comparaison des résultats de 1997 et de 2001 souligne une progression sur l’ensemble des variables. Il reste cependant une exception concernant la visioconférence revenue au premier plan après les attentats du 11 septembre 2001. Jusqu’à cette date, on observait une stagnation des moyens de visioconférence, d’après les cadres interrogés, en raison de l’importance de l’espace physique (Fischer, 1981), qui rappelle l’importance d’une communication multicanale (Barrier, 1997), engageant la personne totale, dans la négociation commerciale ou l’animation managiérale des équipes.
62Certes, le recul n’est pas encore tout à fait suffisant mais 11 utilisateurs en 1997 et 16 en 2001 estiment que les messageries électroniques apportent des gains de productivité. Lorsque les distances entre les sites ne permettent pas des déplacements fréquents, le travail en équipe à distance est favorisé, en particulier pour la mise en place de projets collectifs. Les messageries représentent en effet le seul média envisageable sur un territoire étendu grâce à la communication asynchrone, en multidiffusion, avec révision des documents numérisés sans altération et transmission de fichiers à l’autre bout du monde.
63Tout le travail collectif se trouve favorisé, la messagerie pouvant s’associer aux téléphones portables, à la télécopie et aux réunions en co-présence, dans des processus de construction de solutions innovantes.
64Dans le cadre des ressources humaines, une partie du processus d’embauche s’effectue dorénavant par le canal des messageries, des premiers contacts jusqu’aux tests de pré-sélection. Dans les domaines où existe une pénurie de diplômés, les employeurs sont nombreux à proposer des sites en ligne.
65Cette mise en ligne des sites dédiés à l’emploi conduit cependant à une standardisation, un formatage des dossiers électroniques qui réduit (sans le rendre cependant impossible) la souplesse et la mise en relief de l’originalité.
66À ces dossiers électroniques accessibles sur quelques centaines de sites s’ajoute la création de son propre CV, référencé auprès des annuaires et des moteurs de recherche.
67La communication inter-services et intersites est fortement stimulée par les messageries quand la culture et les structures de l’entreprise le permettent. Mais l’un des enjeux majeurs des réseaux de messageries est aussi la mise en place d’une configuration réunissant l’entreprise pivot, les sous-traitants et les intermédiaires logistiques afin de réduire le cycle production-commandes (ou commandes-production) – livraisons. De ce point de vue, les messageries électroniques facilitent les communications inter entreprises grâce à l’extranet. Jusqu’à l’avènement de l’extranet, la complexité de l’interconnexion, l’incompatibilité de certains réseaux d’entreprises, limitaient la communication automatisée avec messages EDI, qui progresse lentement.
– Craintes de virus et de piratage
68La crainte qui revient le plus souvent est celle du piratage d’informations confidentielles (17 réponses en 2001) et l’intrusion par les messageries électroniques de virus informatiques capables de détruire tous les fichiers (de 7 à 25 réponses). On sait que dans la chaîne de protection des systèmes informatiques figurent en premier lieu les firewalls, ordinateurs qui contrôlent les accès au réseau depuis l’extérieur. Plusieurs entreprises mettent leurs données les plus confidentielles sur un deuxième réseau sans passerelle. Mais la prise de conscience n’aurait gagné la majorité des entreprises françaises que récemment. En 1999, elles ne disposaient pas de budget propre à la sécurité dans un grand compte sur deux, 40 % d’entre elles ne surveillaient pas ses réseaux et 78 % ne disposaient pas de solution en cas d’intrusion (étude effectuée par le mensuel Netcost and Security auprès de 200 entreprises ; parution dans le Monde interactif le 7 avril 1999). Ces chiffres se sont révélés malheureusement fiables en 2000 en raison de l’estimation des pertes (aux États-Unis, entre 800 millions et 1400 millions de dollars de sinistres informatiques). Les parades évoquées par les répondants sont le renforcement des garanties de confidentialité (IREST, 1999) ou l’absence de connexions entre l’Internet et le réseau interne.
– Réunions d’entreprises par messageries électroniques
69Les médias ont des capacités différentes en termes de compréhension du contexte et de richesse de la communication verbale et non verbale. Certes, la vidéoconférence est davantage utilisée dans les entreprises contactées que les conférences électroniques par messageries. Dans des situations de communication multisites reliant plusieurs continents, les répondants estiment que la vidéoconférence qui nécessitent deux équipements de vidéotransmission sont indispensables pour des résolutions de problèmes techniques, le traitement des pannes ou les prises de décision sur les risques industriels, enfin des réunions des équipes de sécurité. Au cours de ces réunions sont utilisées des techniques comme le brainstorming ou des méthodes de résolution de problème. Des opérations médiatiques à l’occasion de l’ouverture d’un nouveau centre de production ou des discours du président directeur général s’appuient également sur les messageries.
70Mais des réserves s’expriment aussi. Ainsi, dans une entreprise japonaise interrogée, ne pas faire un déplacement signifie pour l’interlocuteur qu’il n’en vaut pas la peine. Dans ce cas, les messageries et le téléphone permettent seulement de préparer la relation de face à face en co-présence. Ces attitudes et ses comportements confirment les analyses de Maurice Marc et Nohara Hiroatsu (1999). Plus généralement, la décision en co-présence après un exposé de la situation, une justification des choix et l’expression de l’approbation ou de la désapprobation constitue un rituel professionnel connu des anthropologues (Jardel et Loridon, 2000) dans la plupart des environnements culturels.
71D’autres aspects, qui ne sont pas exprimés par les répondants, ressortent de plusieurs observations. Ainsi, la visioconférence transforme les stratégies de scénarisation des acteurs (Gasté, 1999) liées à la contrainte des caméras. L’une des questions posées par ce média est la relation de soi à l’image, à la fois sur un plan technique et un plan psychologique. De plus, les limites actuelles de la bande passante font que la prise de parole à distance est décalée de quelques secondes et que les mouvements manquent de fluidité, tout en étant acceptable. D’autre part, les rapports de pouvoir préexistants se prolongent sur le net d’après Poole, Holmes et alii (1993) qui rappellent l’importance de données connues : conflits potentiels entre membres et taille du groupe, participation qui n’est pas plus égalitaire par un système technique que dans les réunions en coprésence. Il n’est pas sûr non plus d’après leurs observations que les participants peu loquaces habituellement le deviennent davantage par un système de messageries électroniques.
72Les messageries, qui sont moins fréquemment citées que la vidéoconférence dans le contexte des réunions virtuelles, offrent a contrario l’avantage de pouvoir travailler en communication différée. Cette caractéristique constitue un avantage indéniable si on compare la durée nécessaire pour échanger des messages avec tous les membres d’un groupe par messageries et dans une réunion en coprésence.
73Le mécanisme d’une réunion directe ou médiatisée est pourtant le même : il s’agit d’un processus de communication entre des interactants en vue de faire progresser l’exploration du problème posé. Mais les temporalités diffèrent considérablement car le temps de lecture est évidemment plus rapide que le temps de parole. Ainsi, on estime que le contenu d’un journal télévisé de 30 minutes correspond à 3 colonnes de journaux lues en 5 minutes.
74Au cours d’une discussion par messageries, le temps moyen de lecture par message peut être estimé à 45 secondes environ et le temps de saisie de 3 à 4 minutes. En réunion en co-présence, le temps moyen de prise de parole et d’écoute est de 1 minute 30 environ. Dans un groupe de dix personnes par exemple, avec le même temps de communication par participant, la durée moyenne par messageries sera donc plus courte en lisant les messages qu’en les écoutant. De plus les réponses à une question peuvent être saisies simultanément alors que dans une réunion en co-présence les prises de parole sont successives.
75Les messageries représentent un outil irremplaçable pour les commerciaux en déplacement que l’entreprise cherche à joindre immédiatement. Elles concernent les mels et les autres formes de messages, tels que le SMS (Short Message Service), le WAP et le GPRS des services mobiles, la voix sur IP (VoIP). Les accès mobiles semblent convenir aux déplacements en raison des bases de données disponibles à distance. La diffusion de ces services unifiés vont modifier les habitudes prises pour communiquer et ouvrir des interactions nouvelles (grâce aux agendas et aux annuaires, etc.).
76A côté des activités directement liées à la production ou à la vente, des associations professionnelles ou syndicales trouvent dans l’Internet un moyen de tisser des liens communautaires (Rheingold, 1995 ; Harvey, 1995 ; Schuler, 1996) fondés sur des relations de confiance réciproque. Ces réseaux sociaux de communication représentent un enjeu d’influence sur les décideurs. Média privilégié pour des argumentaires parfois passionnés et pour la circulation d’informations stratégiques, la conférence électronique apparaît dans des contextes avec temps et lieux différents comme le média à moindre coût.
IV – Conclusion du questionnaire
77Avec les sites Web, ce sont les messageries électroniques qui ont connu la plus forte extension ces 7 ou 8 années. Les messages relèvent des registres de l’opérativité, du contrôle du travail, de la négociation ou de la créativité, avec une prédominance en entreprise pour les actes de langage à caractère répétitif et les mémos de 6 lignes en moyenne. Les messageries sont sorties dorénavant de l’ère du soupçon pour la majorité des utilisateurs. Leur intégration ne consiste pas simplement en l’addition de nouvelles fonctionnalités dans un système d’information. L’insertion d’un média aussi transversal que les messageries électroniques modifie la globalité du système de l’entreprise.
78En effet, ce média remet en cause la position des acteurs ou des groupes d’acteurs, c’est-à-dire sur un plan structurel, leur place à l’intérieur du système social. Avec l’implémentation du média, l’utilisateur cherche à modifier sa position, afin de la rendre plus favorable dans la perspective d’actions ultérieures, ou à maintenir la position qu’il occupait avant cette implémentation. Changer le système des médias conduit donc à des conflits liés à la transformation du système sociotechnique.
79Des enjeux typiques de position rencontrés au cours de l’enquête consistent à posséder ou non sa propre boîte aux lettres électronique, d’entrer dans un agenda électronique commun ou de s’adresser directement aux responsables de l’entreprise par messageries électroniques sans passer par le secrétariat. A contrario, les TIC peuvent entraîner des conflits identitaires parmi les cadres intermédiaires d’information, lorsque la gestion des ressources humaines en période de transition est déficiente et que les messageries électroniques rendent possible par exemple l’accès pour tous aux bases de données de l’organisation.
80Les dirigeants n’échappent pas à cet enjeu de positionnement. Pour prendre les décisions technologiques les plus adaptées au contexte culturel de leur entreprise, ils ont à renforcer leur expertise en informatique. La place occupée par les passionnés d’informatique est plus ambiguë car ils n’ont pas le statut professionnel d’informaticien. Certains acteurs voudraient d’ailleurs les écarter du champ des négociations alors qu’ils remplissent un rôle irremplaçable de relais d’information au sein des organisations.
81Les divergences d’opinion sont particulièrement fortes avant l’utilisation du média, lorsque se discute l’ampleur du changement et que se révèle l’acuité des problèmes sécuritaires soulevés par l’interconnexion des réseaux. Les acteurs divergent d’autre part sur le sens du changement : quelles sont les buts exprimés ou masqués des interactants ?
82Dans ces conditions d’ajustements réciproques entre acteurs, de stratégies de coopération ou d’opposition, la portée du changement organisationnel a profondément divergé d’une entreprise à l’autre, d’autant que les messageries électroniques soulèvent aussi la question du contrôle à distance. Les moyens techniques permettent en effet de savoir avec des logiciels « espions » qui communique avec qui et quels sont les ordinateurs en mouvement. Le réseau (étymologiquement, il renvoie à la notion de filet) permet en outre d’étendre son contrôle et d’empiéter sur la sphère privée au-delà des heures de présence. Dans une optique proche de Joël De Rosnay (1995), la sphère communicationnelle des entreprises ne cesse de s’étendre en raison d’une interconnexion croissante des cerveaux, pour former peu à peu un immense système nerveux électronique planétaire. Il en découle une surabondance de messages électroniques à traiter chaque semaine pour des utilisateurs en position de centralité dans les réseaux, qu’il s’agisse de messages professionnels ou de conversations conviviales. Or, l’utilisateur ne peut absorber qu’une partie des messages. Sa valence communicationnelle (Moles, 1986) est rapidement dépassée par l’afflux des messages. À cette surabondance s’ajoute un autre phénomène très frappant qui est l’accélération du temps médiatique. Dans une analyse proche de la médiologie de Debray (1991), les messageries entraînent une accélération générale du temps de transmission. Cependant, le temps de réponse est limité par le nombre de messages à traiter et la vitesse du système de décision humain qui dépend de temporalités incompressibles. C’est pourquoi, un nombre croissant de messages est automatisé. Cette accélération du temps représente l’un des traits marquants de notre époque et conduit au « syndrome de chronos » chez les utilisateurs les plus exposés.
83Les écarts les plus grands par rapport aux hypothèses concernent la montée du piratage informatique. Le projet de loi sur la société de l’information (2001) traite longuement des moyens de cryptologie, les cybercriminels ayant rapidement investi les nouveaux espaces de liberté offerts par le réseau planétaire.
84Au cours du processus d’intégration des messageries, chaque média se repositionne pour pouvoir adopter l’innovation (Mac Luhan, 1965). A cet égard, on retrouve des constantes entre les pratiques françaises et étrangères. Les médias ont en effet des capacités différentes en termes de compréhension du contexte et de communication non verbale. Ils n’ont donc pas la même efficacité dans toutes les situations de communication en termes de richesse et de présence sociale. La messagerie électronique semble très indiquée pour des mémos, des tâches répétitives ou des tâches analysables avec description de règles ou de procédures techniques. Pour des tâches qui demandent davantage d’interactivité en mode synchrone comme la négociation commerciale, la congruence entre média et tâches semble meilleure pour le téléphone et surtout le face à face. C’est pourquoi les messageries interviennent plus fréquemment aux stades intermédiaires d’une négociation, avec transmission d’informations, qu’au stade initial ou lors de la signature du contrat. Les messages Edifact ont progressé dans ce contexte car l’EDI light et le web EDI viennent étoffer le nombre des solutions moins lourdes.
85La théorie de la richesse des médias (Trévino, Daft, Lengel, 1987) est cependant à nuancer. Un message technique et précis sera souvent plus apprécié en France par messageries écrites que par téléphone, en particulier si les interactions ont lieu en anglais. Il y a dans ce cas réduction des malentendus possibles. De plus, les messageries électroniques permettent de prendre du recul, de réfléchir au lieu de prendre une décision hâtive par téléphone. Dans les relations hiérarchiques, il convient de nuancer encore la théorie de la richesse des médias car les messageries électroniques peuvent permettre d’éviter la confrontation directe et des interactions en mode synchrone en face à face. Autre différence notoire : le circuit de validation des signatures manuscrites garde toute sa valeur dans plusieurs entreprises françaises comme les banques. L’attachement à la culture du papier se confirme à un niveau hiérarchique élevé, contrairement à ce qui se produit dans les entreprises américaines. Par ailleurs, la valeur d’engagement moral liée à la communication orale est particulièrement élevé dans les entreprises de culture asiatique et justifie moins le recours à des contrats écrits.
86L’enquête a peu mis en relief en évidence la vitalité des communautés virtuelles que l’on trouve en Amérique du Nord. Or, il suffit d’utiliser un bon moteur de recherche sur l’Internet pour prendre la mesure du phénomène communautaire. En fait, il s’agit de communautés bien développées sur certains segments (loisirs, associations professionnelles). Le réseau mondial leur permet de réagir au plus vite aux opportunités comme aux menaces de l’environnement socio-économique et de constituer parfois des groupes de pression. Ces réseaux affinitaires, d’entraide ou d’expertise se reconfigurent sans cesse sur Internet.
87Selon les services contactés dans l’échantillon, l’accent est mis sur des aspects différents des messageries :
les services de ressources humaines ont une position très nuancée vis-à-vis des messageries. Cette TIC est utilisée pour des envois en multi-diffusion comme des comptes rendus, plus que pour des messages à caractère strictement confidentiel. Cependant, dans une entreprise multinationale de l’échantillon, existe une messagerie sociale pour transmettre des renseignements protégés à la direction générale, alors que le fax pourrait être lu de manière indiscrète dans le service. De même, les messageries ne semblent pas a priori indiquées comme média d’autorité, mais dans ce domaine aussi, en fonction de la culture et des structures de l’organisation, elles peuvent être utilisées pour manifester un reproche tout en évitant une interaction en face à face. Ce média permet de remplacer aussi quelques réunions liées aux ressources humaines et de réduire ainsi le cycle réflexion, décision, action : ainsi, une présélection de candidats peut être assurée par l’envoi de CV par messageries et par des tests psychotechniques à traiter sur le net. Mais en même temps s’exprime, dans les services de ressources humaines, la recherche d’une communication de qualité, fondée sur des relations de confiance préalable, l’importance du terrain et le risque de déshumanisation lié à des mémos secs, la messagerie exacerbant le plus (la rapidité de la transmission) et le moins (les fausses interprétations et les malentendus) ;
dans les services recherche et développement, le courrier électronique est fondamental pour la collaboration des chercheurs et la coordination des activités en réseau interne. Entre chaque réunion, l’échange de documents permet de faire avancer les dossiers en complément de la visioconférence. Deux chercheurs peuvent par exemple écrire un article en commun en utilisant les messageries électroniques ;
les services communication privilégient le réseau des correspondants pour l’écoute de terrain, les réunions en co-présence et la messagerie vocale. Pour un répondant, l’informatique est considérée comme contraire à la relation. Pour autant, les bénéfices des réseaux techniques sont soulignés dans les phases de conception et de diffusion des publications électroniques. Les prémaquettes électroniques définissent les emplacements des textes et des illustrations. Aussi est-il possible de suivre à tout instant l’avancement des rubriques sur les résultats de gestion, la marche des unités, le mouvement des personnels ou les dernières cotations de la bourse ;
les services de production sont totalement concernés par les réseaux techniques pour des activités très codifiées, les boîtes aux lettres électroniques permettant de recevoir, par exemple, le descriptif de pièces de voiture dans le cadre de la conception assistée par ordinateur. La mise en place de forums entre cadres des services production facilite la recherche à distance de solutions à des problèmes techniques comme des problèmes de panne ;
les services commerciaux ont des utilisations convergentes des messageries. Sur un plan international, ce média est le seul moyen de suivre des projets, l’information se trouvant immédiatement disponible de n’importe quel ordinateur relié au réseau ou à partir d’un mobile. Après trois ou quatre corrections, les documents numérisés sont toujours parfaitement lisibles. Les commerciaux en déplacement sont directement joignables par portables et transmettent quotidiennement des actes écrits rigoureux (bons de commande, rapports). Les messageries permettent de planifier les rendez-vous et de consulter l’agenda électronique commun. En raison de capacités de transmission quasi instantanées, les gains de temps peuvent être considérables dans le suivi d’un projet à grande échelle. Le retour d’information rapide est favorisé. Les messages s’échangent dans l’échantillon par centaines entre services commerciaux chaque jour avec les États-Unis ou l’Extrême-Orient. Le formatage EDI permet de faire du « juste à temps », de travailler en flux tendu avec les clients et les fournisseurs. La boîte aux lettres électroniques des partenaires commerciaux permet de déposer des messages sans recourir à la mise en place de la norme Edifact entre partenaires.
les services mercatiques assurent entre autres tâches un travail de constitution de dossier et de revues de presse à partir d’études sur les sociétés, statistiques et recherches accessibles sur le Web et par messageries.
88Dans les utilisations des répondants, il faut nuancer ou préciser une hypothèse de départ concernant la prédominance de la culture nationale dans l’antériorité, l’intensité et la fréquence des utilisations des messageries. Cette hypothèse ne se vérifie pas toujours. Total ou AGF vie par exemple disposaient dès 1996 d’un système de messageries électroniques beaucoup plus développé que dans certaines entreprises américaines de l’échantillon.
89En terme de contenu, les messages tendent vers une simplification que d’aucuns jugent trop importantes avec des abréviations ou des formules de politesse abrégées qui font florès. Mais, et la nuance est importante, des utilisateurs conservent un style très protocolaire sur des positionnements conservateurs.
90Mais les messageries poursuivent actuellement leur mutation en incluant les autres formes de messages, tels que le SMS (Short Message Service), la voix sur IP (VoIP), l’audioconférence, la carte postale en « streaming media ». Ces formes de messages ouvrent encore davantage le champ des interactions par messageries électroniques, en attendant le développement massif des EMS (Enhanced Messaging Service) et des MMS (Multimédia Messaging Service) par la téléphonie mobile. L’un des points clés pour les années à venir est l’interconnexion croissante des réseaux d’ordinateurs et de mobiles pour tous les itinérants.
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