« ... ce qu’on fait en privé n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est l’apparence extérieure – il ne doit pas y avoir la moindre faille. Car l’apparence est le langage qui nous sert pour dire à nos amis et à nos ennemis qu’il nous reste suffisamment de prise sur les événements pour sauver la face »
(Norman Mailer, Un rêve américain, Éditions Bernard Grasset, 1967)

Dans la cité de l’opinion dans laquelle nous nous retrouvons donc aujourd’hui, sans doute est-il difficile aux hommes politiques d’échapper à des logiques ambiguës d’action ou de présentation de leur action. Romain Laufer et Catherine Paradeise ont dans leur livre « Le Prince bureaucrate »1 excellemment montré combien l’acteur politique doit trouver, par le marketing, les tenants et les aboutissants dans l’opinion de sa légitimité pratique.

Ce qui est avouable ou affichable doit, dans cette perspective, trouver une place acceptable dans des univers de représentation à conformismes multiples et hétérogènes.

Notre thèse serait, en l’espèce, qu’une telle situation condamne les hommes politiques à de nouvelles ruses de présentation de soi, les amenant à rendre d’autant plus justice référentielle à l’authenticité et à la transparence qu’ils se trouvent réduits à opérer dans le fabriqué et le semblant, ce que certains ont appelé de l’« effet de réel »2.

À ce titre, les images d’une vie privée des hommes politiques, portées via les médias sur la scène publique, sont toujours suspectes : suspectes au regard de l’authenticité comme à celui du projet qui les a motivées, autant par ce qu’elles découvrent de faits vécus que par ce qu’elles couvrent d’intentions éludées.

Moi, je, personnellement...

La Cité publique de l’opinion peut-être vue comme une Cité privée des egos : qui y est plus légitime qu’un homme politique pour se livrer à une présentation de lui-même, pour se donner à voir et à être aimé ? « Parlez-moi d’amour », semble dire l’homme politique à ceux dont il aspire à recueillir les suffrages. « Regardez combien je sais (y) faire : ne suis-je pas l’Homme de cour3 qu’il vous faut, celui, disait-on jadis, « qui vous ressemble, celui qui vous rassemble » ? »

Tout l’y incite : la logique de la démocratie représentative qui fait du choix de l’électeur la condition de la félicité ou du désamour ; la raison communicationnelle qui mimétiquement rend opportun le recours aux conseillers « en image » du prince, ou de ceux qui aspirent à le devenir ; sans doute, aussi, la fonctionnalité même de l’homme politique que Weber nous a appris à différencier en deux faces, celle de la « sociation » des intérêts (en permettre la composition pacifiée) et celle de la communalisation des expressions identitaires (en constituer un emblème référentiel).

Plus la distance s’accroît entre les citoyens ordinaires et les décideurs, entre les participants à la comédie du pouvoir, d’un pouvoir qui se diffuse et se dilue dans des dispositifs, appareils ou montages d’action, et plus on parle de transparence, de proximité et de responsabilité répartie et prétendue ramenée vers ceux auxquels les décisions sont supposées destinées.

Plus les organisations partisanes filtrent et structurent les programmes et les candidats aux élections, et plus l’homme politique se donne à voir dans sa solitude de serviteur et de responsable.

Il y a de l’action et il y a des hommes politiques qui « perroquent », entendons qui se proposent de se faire porte voix, qui se saisissent des opportunités de se faire voir ou de se faire entendre, sans que le message importe in fine au-delà de ce « message-massage » stigmatisé par McLuhan.

« Tout est devenu rhétorique », répètent, après Perelman, les meilleurs observateurs de nos « Princes bureaucrates » soulignant combien le pouvoir qui n’a que l’opinion en son fondement et en sa fin, ne peut que se faire jeu de signes, chacun des mis en scène clignant à volonté de l’œil alors même qu’il se donne à voir en un simulacre de l’idée – cliché de l’homme politique en majesté.

Question de destin et attente d’un signe du destin qui fera de l’engagement d’une personne du commun, la marque désignative d’une exceptionnelle vocation à être mis à part, comme une monnaie qui serait d’abord une marchandise devenant étalon de mesure et ainsi échangeur universel, selon le schéma décrit par Marx.

Ne semble plus le retenir ou le contenir qu’une forme de retour de pudeur incitant à ne pas aller au delà de certaines limites dans la mise de l’intimité sur la place publique : on peut certes être un époux et un père de famille et être vu avec sa femme et ses enfants. Un jour on pourra être donné à voir ayant eu affaire avec quelque jeune admiratrice d’un bureau ovale, ou se donner à voir accompagné dans son dernier voyage par l’assemblage des femmes, celles mise en avant et celles jusqu’alors tenues dans les arrières.

La sagesse populaire dit bien qu’« il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre ». Mais elle dit également que le pouvoir rend fou, en faisant perdre le sens de la réalité. N’a-t-on pas vu à l’occasion de récents procès des démesures corruptrices dans la dépense comme dans l’achat de complaisances politiques ?

Nous sommes coresponsables des évolutions qui médiatisent de façon croissante les vies intimes des hommes politiques : qui ne cherche pas à savoir la petite histoire ? Les amours illicites et les dessous de cartes que d’aucuns peuvent penser biaisées ?

Je (ux) de face et je (ux) de profil : les aspirants aux postes de pouvoir se donnent à voir et à entendre en s’offrant comme la bonne monnaie mettant en garde les citoyens pour que la loi de Gresham ne joue pas au détriment finalement de tous, de ceux qui choisissent et de ceux qui ne sont pas choisis.

Je (ux) de figuration : les aspirants au pouvoir regardent ceux qui sont en place et opèrent par hypotypose escomptant des adversaires la dignité dans l’affrontement, et donnant en escompte à ceux dont sont attendus les suffrages une image prometteuse d’un demain qui leur sera bénéfique.

Des egos politiques démesurés l’histoire humaine en regorge et sans doute celle de nos démocraties en réserve l’extension pour des moments sombres qui permettent aux sauveurs et hommes providentiels de s’identifier à l’histoire – pensons à de Gaulle affichant une légitimité historique qu’il aurait incarnée, par delà un régime politique dont il ne daignait faire qu’une péripétie entre lui et lui...– d’une nation et d’un pays.

Ces sentiments océaniques réels ou affectés à l’échelle locale sont vécus au petit pied par tel ou tel leader accaparant « sa » ville en un récit de couple : celui qu’il compose avec la « belle endormie »– pour reprendre une figure de la rhétorique politicienne la plus éculée – dont, bien sûr, il aura su réveiller les ardeurs quand ce n’est pas l’attractivité sur le tout venant...

La raison du plus fort n’est jamais assurée durablement : encore faut-il encore et encore la confirmer et en vérifier la consistance, et pour ce faire quoi de plus tentateur que de se prévaloir d’une exemplarité que d’aucuns vous refuseront peut-être ? Ou plus rusé – comme peut l’être Ulysse et ses nautes inspiré par Métis – que de se donner à voir dans une pseudo-intimité d’où seraient bannis le contrôle, la mise en scène du moi et la recherche d’un effet à produire ?

La prétérition s’ajoute de la sorte à l’hypotypose pour faire d’un réel désenchanté un spectacle du monde où quelque Merlin jouerait du philtre pour faire voir ce qu’il y a de plus intime dans la politique : des hommes qui ne s’appartiennent plus mais qui peuvent nous posséder !

La vie de nos princes et leurs principes

On sait bien à quel point le monde des hommes politiques a toujours fasciné les philosophes et les moralistes chacun contribuant à nourrir nos représentations d’un fond nécessairement vertueux des vies des hommes illustres, gage de la droiture des conduites et condition de la confiance qui leur est accordée.

En tout état de cause, les hommes politiques sont condamnés à devoir assumer un rapport aux principes qui sera le fléau des jugements dont ils seront l’objet pour ce qu’ils auront fait ou pour ce qu’ils seront réputés avoir fait. Ethique de la conviction et éthique de la responsabilité sont, corrélativement, en tension dans le vécu de l’homme politique : il se fait élire selon les principes de la première et se fera souvent réélire s’il a su se conformer aux principes de la seconde ! Mon propos présent vise à interroger ces conduites en les soumettant à un examen de conformité aux principes, à des principes dont on différenciera entre eux des niveaux de réalité constitutive.

Car nous pensons que les débats que peuvent provoquer les démêlés judiciaires ou journalistiques de pratiques d’hommes politiques (chacun d’entre nous ayant en l’esprit les cas et les exemples de notre actualité quotidienne) sont rendus quelque peu confus par les mélanges dans les formulations4.

À un premier niveau, les principes qu’il nous faut considérer, ce sont ceux que nous pouvons appeler des Valeurs ; c’est-à-dire des références de nature philosophique, au sens général du terme, et de type général. Pensons aux principes de la devise française « Liberté, égalité, fraternité », aux déclarations de droits de l’homme et de diverses déclinaisons que le monde de la communication sans doute tend à stimuler : des peuples, des femmes, des enfants, des citoyens, des usagers etc. En un mot, la grande famille des « grands principes ».

À ce titre, les hommes politiques apparaissent aisément draper leurs attitudes dans la noblesse de ces formulations : quel homme politique ne s’entend pas dire un jour ou l’autre le fond de son cœur, ce qui le pousse à militer pour le progrès humain universel ou national, ce sondage des bonnes raisons de s’engager dans la vie publique le conduisant à devoir se présenter aux suffrages de ses concitoyens ?

Le deuxième niveau de principes est celui institutionnel que l’on peut convenir d’appeler le niveau des Normes : c’est celui de la loi, celui qui s’impose, en principe, à tous dans un État de droit, celui qui disjoint du règne de l’arbitraire.

On sait combien les hommes politiques se donnent à voir respectueux des lois et règlements de la République. Ceci, avec le risque d’être parfois pris en défaut, les écarts de conduite pouvant faire faire des gorges chaudes à des chroniqueurs malicieux : tel ministre pris en faute à des vitesses excessives, tel autre opérant quelques écarts avec des fonds publics. Le terme « corruption » si facilement employé en matière financière pourrait couvrir également de son empreinte les déviations et détournements que dans l’intimité des vies les hommes politiques comme le commun des mortels auront eu la tentation d’effectuer. La presse internationale est supposée s’étonner de la trop grande indulgence dont bénéficient dans l’opinion et dans la presse en France ceux de nos princes qui se font pincer dans des chemins buissonniers !

À cet égard, à ce niveau de la loi, on peut éprouver le décalage de l’homme public en conflit avec l’homme privé qui en assume le rôle, l’écart tensionnel étant référable d’une part aux viscosités et frottements des interactions politiques, et d’autre part aux rétentions d’information que tout jeu stratégique requiert.

De la sorte, entre ce que nous appelons le « discours de système », c’est-à-dire les propositions, programmes, injonctions, façons de voir, diffusés dans des fins de mobilisation, et ce que nous désignons par « discours de structure », cette part d’information qui est diffusée sélectivement entre ceux qui sont appelés à participer à la composition de décisions, se glisse tout un monde : le monde des intimes, des proches, des bien-informés qui savent « le dessous des cartes », les intentions qui justifient les actes de parole des uns ou des autres, en premier rang de ceux qui constituent le prince ou qui en procèdent.

Bien plus, l’écart peut se révéler parfois vertigineux : tel élu promoteur d’une démocratie participationniste proposera de « prendre le pouvoir pour le rendre aux citoyens » mais se gardera de dire, bien sûr, que pour se retrouver en position de candidat il aura dû « tuer » ses concurrents dans le parti ou dans le camp qui lui sert de base d’élection ! Tout citoyen semble admettre cette singulière raison politique qui fait de la qualité de « tueur » une dimension requise pour pouvoir accéder aux fonctions politiques, mais une dimension devant demeurer toutefois dans le non-avoué ou la prétérition ! C’est un dit dans l’intimité, dans les équipes qui entourent les leaders politiques et les assistent – en constituant un dispositif d’action à disposition – mais qui doit s’y conserver sous peine d’une stigmatisation pouvant devenir, dans certains contextes au moins, dommageables.

À un troisième niveau, celui que l’on peut cadrer à partir de la notion d’organisation et appeler les Règles en invoquant la désignation par ce terme des principes qui président à la régulation du jeu politique, on peut isoler de telles règles qui constituent le fond d’horizon commun des hommes politiques. R. Aron parlant de « classe politique » visait bien ce niveau de réalité, celui des habitus quasi professionnels qui dotent d’attributs spécifiques les attitudes et comportements des membres d’un groupe.

Les « simples citoyens » sont toujours quelque peu outrés par des élus politiques qui sont à tu et à toi « en privé » alors même que les joutes politiques les amènent à se présenter en irréductibles adversaires. Au-delà de ces réactions ce qui est en cause ce sont les lignes de séparation parmi les citoyens : la professionnalisation des hommes politiques est toujours déniée et son institutionnalisation opérée avec réticence comme en témoignent les développements des « statuts d’élus » ; la coupure d’avec les amateurs qui s’accentue de fait demeure éludée au profit d’une injonction participationniste à tous niveaux et de tous.

Ceci est d’autant plus formulable que si les sous-groupes constitutifs du personnel politique peuvent être hiérarchisés d’un moins à un plus de professionnalisme, les limites entre ceux-ci demeurent estompées : ceux « dont c’est la carrière » et ceux qui demeurent de citoyens de base sont bien repérables mais constituent, de plus en plus, avec la démultiplication des fonctions, mandats, rétributions diverses dans l’action publique, des ensembles flous.

Dans le monde politique comme dans d’autres, pensons au monde associatif, une « loi de Gresham » particulière fait que le professionnel chasse l’amateur ou le bénévole ; la limite étant que de la sorte la dynamique de la démocratie – qui suppose un renouvellement de l’expression des intérêts par le bas – tend à se scléroser (voir la crise du politique, crise de représentation et crises liées aurait pu dire Binder, de légitimité, de pénétration et sans doute d’efficacité).

Pour notre propos présent notons que c’est à ce niveau des principes, ceux que l’on a localisés en référence à l’organisation, que se situent la lutte politique et sa médiation partisane. D’une certaine façon, on pourrait dire que les organisations partisanes ont à leur origine une surfonction particulière (le socialisme, le libéralisme, la démocratie chrétienne, etc.) qui a amené les gens à s’engager dans une lutte pour la reconnaissance et leur donne toujours une raison d’exprimer une préférence ; mais ces partis deviennent progressivement de plus en plus des dispositifs d’action quasi neutres au regard de leurs horizons idéologiques particuliers, même pour ceux qui s’y retrouvent comme dans un lieu familier ou familial. L’identité personnelle ne se nourrit-elle pas de celle que nous confèrent nos appartenances groupales ? Sans doute oui, si l’on se réfère aux témoignages que constituent les mémoires d’anciens de tel ou tel parti politique rendant compte des idéaux qui ont produit des proximités et de communes adversités.

Remarquons également combien dans la période actuelle de la communication politique déployée, les leaders politiques prennent la plume (ou sont supposés le faire) pour, donnant un récit de vie, donner – parfois – un « récit de ville » : Chaban-Delmas et son « ardeur » bordelaise, Robien et son « atout-cœur » amiénois en sont de possibles exemples. Notons que d’un cas de figure à l’autre, une forme rhétorique s’impose qui joue de la métaphore du couple, de la relation d’amour et de la famille que la « belle endormie » et son Prince – forcément – charmant vont savoir constituer !

Dans cet univers de principes que nous cherchons à baliser, c’est à un quatrième niveau que nous devons nous rendre, ce dernier et premier point de notre propos qui a à voir avec le vécu quotidien, avec les Façons de faire, et pourrions-nous dire, paraphrasant Baltasar Gracian et son Homme de cour, « savoir y faire ».

C’est en ce lieu que se situe la « ruse de l’élu » pour reprendre la référence de M. Agulhon destinée à montrer la contradiction d’une pratique amenant un élu politique national à voter la loi générale et universelle et à chercher à en obtenir des dérogations en intervenant dans les services de l’Administration pour satisfaire les demandes de ses mandants locaux : ceux-ci peuvent l’avoir fait cumulard de mandats locaux et nationaux ! La ruse de l’élu, on le comprend bien est de devoir jouer de ce qui est affiché et de ce qui doit demeurer discret. De là, par exemple, la stigmatisation, notamment par les nouvelles équipes municipales de mars 1977, des pratiques clientélistes et des gestions secrètes des responsables « traditionnels ».

Au-delà de la polémique politicienne, c’est en fait la logique des façons de faire requises pour constituer ou entretenir une base électorale qui est en jeu. La relation de clientèle est la dimension de base de la « corruption » des principes au niveau des vécus politiques quotidiens ; là où l’élu est supposé « celui de tous » et « au service de tous », « au dessus des parties » ou « des partis », on retrouve, dans l’intimité des acteurs de la décision, les biais, les prébendes, les préférences par lesquels s’instituent des relations privatives utiles.

Daniel Gaxie5 a bien montré combien dans une logique olsonienne on peut considérer jusque et y compris les rétributions des militants. Ceci peut être élargi à tous ceux qui se portent dans les scènes de la compétition électorale pour exprimer telle ou telle association, tels ou tels besoins ou demandes et qui bénéficient en retour d’un avantage personnel dans leur site de base d’où ils émanent et où ils peuvent éventuellement actualiser leur légitimité propre.

Les cris d’orfraie moralistes à l’adresse d’hommes politiques qui ont failli sont sans doute à corriger des envies avouées par une partie des citoyens d’en faire autant si l’opportunité leur en était donnée (35 % dans un sondage récent) ! En tout état de cause, les oublis dont bénéficient, dans l’opinion et leur électorat, un Emmanuelli ou un Tapie semblent procéder d’une vieille, sinon antique, sagesse des nations sur l’improbable généralité ou permanence de la vertu ou d’une croyance en quelques coups tordus politiciens ayant leurs victimes : ceux qui se font prendre à la différence des autres, ou ceux dont c’est le tour de subir ce qu’ils ont pu souhaiter à leurs adversaires !

Il n’en demeure pas moins que les savantes distinctions entre les corrompus ayant tourné la loi pour la cause de leur parti et ceux qui ont opéré en vue d’un enrichissement personnel demeurent quelque peu hypocrites. En effet, quel élu politique n’abuse pas de sa position d’une façon « personnelle » (repas, voyages, etc.) ? Qu’un chef de l’État, ancien premier ministre, se retrouve « ennuyé » pour des pratiques douteuses de maire d’une capitale et ayant pris quelque liberté dans l’usage de fonds publics dits « secrets », notamment semble-t-il pour faire des voyages privés, lui-même ou ses proches, est-il plus l’indication d’une corruption privatiste que l’ensemble des façons de faire de ces mêmes responsables publics au jour le jour ?

Au-delà des images d’Épinal auxquelles veulent faire croire des journalistes (qui sont de la sorte d’autant plus en posture curieuse qu’ils entretiennent quotidiennement une pragmatique de réserve et de connivence avec les élus qu’ils approchent et dont ils souhaitent bien sûr ne pas se couper...) en quête de scoops, ce qui est à pointer ce sont les effets induits de la condition du Prince devenu bureaucrate : à savoir, l’omniprésence de l’opinion.

Dans cette veine, on doit comprendre que l’image des vies des hommes politiques échappe en grande partie à ceux-ci ; bien plus, ces images tendent à refléter notre propre corps de représentations collectives. Comme le Dieu de Feuer-bach, nous produisons nos créatures de notre Élysée politique : des chimères ou des créatures qui peuvent nous rassembler parce qu’elles nous ressemblent comme autant d’images portées, déportées, reportées sur des supports complices.

Ceux-ci se prêtent d’autant plus à l’opération qu’ils y gagnent une identité par procuration les autorisant à tirer bénéfice de la situation ainsi générée ou à se prévaloir de potentiels stigmates de victimes s’il se trouve qu’un sort électoral contraire les ramène dans le lot commun des citoyens ordinaires : ceux qui sont soumis eux réellement et effectivement aux lois de la res publica.

Être ramené à l’état où les principes « institutionnels » s’imposent, clivant ceux qui peuvent tendre à s’en exonérer et ceux qui peuvent chercher à jouer aux limites, là où se découvrent le bénéfice ou la sanction négative, est la condamnation redoutée par le Prince : en cette condition l’homme politique n’est plus comme la monnaie chez Marx (il en fait une marchandise mise à l’écart pour servir d’étalon de mesure et d’instrument de l’échange) ce qui permet la constitution d’un espace de la circulation publique des expressions des intérêts privés : une « sociation » des intérêts au prix d’une impossible « communalisation » explicitement projetée.