Chapitre 1er. Frontières : La fonction-frontière et les TIC
p. 27-64
Texte intégral
1Si l’on qualifie si souvent la société que nous sommes en train de construire et de déployer de « société de l’information » c’est bien parce qu’elle est censée s’organiser – et quelque part également trouver son sens – autour d’une imposante infrastructure réseautique complexe, à la fois de plus en plus vaste et de plus en plus dense (cf. les chapitres 7, 8 et 9 sur les macro-systèmes techniques). Internet en serait le précurseur, réseau de réseaux, volontiers présenté comme ouvert, décentralisé et accessible. Le futur, vu d’aujourd’hui, passe par l’apport apparemment essentiel de cette logique réseautique, dont l’une des qualités – et non des moindres – serait directement politique : opérer un décloisonnement spatial, faire sauter les frontières au plus grand bénéfice de la démocratie. En ce sens, les points les plus hauts, tel que les satellites, ou les plus bas, à l’instar des câbles sous-marins, constitueraient des armes quasiment imparables au service de la liberté. Où l’on rejoint un discours somme toute classique dans la presse et même la littérature spécialisée sur l’aptitude des TIC (Technologies de l’information et de la communication) à effacer l’espace. Une maîtrise de l’espace par la vitesse qui aboutit bien évidemment à la pulvérisation des frontières.
2De telles attitudes ne sont pas neuves. Ainsi, J.P Chamoux synthétisait-il dès 1980 les réflexions menées lors des années 70 – en France, au Canada, aux États-Unis comme au sein de l’OCDE ou de l’UNESCO – dans un rapport significativement intitulé Information sans frontières1. Déjà les satellites, les câbles et la télématique engendraient une véritable « perméabilité des frontières » (p. 115). Aujourd’hui, et ce parmi bien d’autres références possibles, aussi bien l’OCDE qu’un John Perry Barlow nous annoncent « un monde sans frontières » (OCDE 1998) ou un cyberespace dans lequel « il n’y a pas de frontières nationales »2.
3Un tel constat emporte à coup sûr sa part de vérité – et ce chapitre ne vise pas à montrer qu’il serait faux – mais celle-ci s’y résorbe-t-elle entièrement pour autant ? Les TIC vont-elles exclusivement dans le sens d’une libération, donc d’un abaissement, d’une suspension des frontières ? Ne convient-il pas de questionner la relation – peut-être plus complexe qu’à première vue – entre TIC et frontières ? L’informatisation et la numérisation des technologies de la communication ne modifient-elles pas leurs propriétés, et donc leur aptitude à effacer les frontières ? Les TIC ne peuvent-elles pas également participer à la construction des frontières ? Des questions qui dessinent en creux le programme de ce premier chapitre.
4Les spécialistes de géopolitique semblent a priori les mieux placés pour offrir une conceptualisation de la frontière et peut-être même une analyse de sa relation aux outils du traitement et de la circulation de l’information. Cependant, les limites mêmes de leurs approches vont nous inciter à embrayer sur un double questionnement, théorique et historique. Avec les quelques rares – trop rares – réflexions théoriques portant sur la notion de frontière en général, sur sa fonction et sa structure notamment, nous pourrons en dresser un « modèle »– quoiqu’encore trop sommaire. L’histoire ensuite nous permettra de découvrir une étonnante convergence entre l’apport théorique et les exemples puisés en son sein. Or, l’une comme l’autre montrent sans ambiguïté que la frontière a partie liée avec le traitement et la circulation de l’information. Armé de cette double expérience nous pourrons nous engager dans une réflexion sur le travail réciproque des TIC sur la frontière comme de la fonction-frontière sur les TIC et mesurer ses incidences politiques. Nous conclurons sur le rôle de l’idéologie de la communication en l’affaire.
Géopolitiques : la frontière entre ligne et flux
Paix et guerre
5Le monumental Paix et guerre entre les nations de R. Aron3 publié en 1961 marque un tournant dans l’histoire de la science politique et singulièrement dans l’analyse des relations internationales. Plus de 750 pages d’un effort à la vocation théorique revendiquée. Les relations internationales ne sont plus, dès lors, réductibles au seul jeu d’une histoire événementielle, elles peuvent faire l’objet d’une approche scientifique, conceptuelle à tout le moins, susceptible d’expliquer et de dégager des régularités.
6« Paix et guerre entre les nations » : d’un tel programme on pouvait légitimement s’attendre à ce que la frontière constitue l’une des composantes centrales. Or, il n’en est rien. La réflexion sur la frontière n’est pas l’un des moteurs du livre et la notion ne fait pas l’objet d’une élaboration poussée.
7R. Aron souligne la connotation idéologique de la frontière – surtout lorsqu’elle est dite « naturelle ». Il montre la relativité de sa signification, fonction de l’état de la technique des armes et de la « configuration des alliances » (p. 207-208). Fondamentalement la frontière est liée à la guerre dans sa dimension politique.
8La frontière contemporaine est ramenée à la « dialectique » entre le « monde fini » et l’État national : elle est dépassée puisque dans le cadre de ce monde fini le conflit idéologique est/ouest ne peut-être relâché par un « compartimentage » de l’espace (p. 392-393).
9Malgré l’ambition théorique de son ouvrage, R. Aron ne nous propose pas de conceptualisation intellectuellement stimulante de la frontière. Pour lui, la technique globalisante, celle qui efface les frontières, qui institue ce monde fini, c’est l’arme nucléaire, non les TIC. L’index ne possède d’entrée ni à « communication », ni à « information », ni à « ordinateur » (le mot informatique n’apparaissant qu’en 1962) ou « télécommunications », pas plus qu’à « média », « télévision » ou – ce qui peut paraître beaucoup plus étrange – à « presse ». Il semble que pour le théoricien de l’époque, les TIC ne constituent pas un enjeu pertinent des relations internationales.
Géographie des frontières
10Dans un petit livre publié en 1974 que ses auteurs présentent comme une introduction à la Géographie des frontières4 – mais qui restera encore longtemps bien seul en français – C. Raffestin et P. Guichonnet font montre de bonnes intuitions... qu’ils n’exploitent malheureusement pas. Certes, ils s’accrochent à l’idée – pour le moins discutable nous le verrons – que l’Etat implique la ligne (p. 26), alors que la zone ne renvoie qu’à la frange pionnière. Mais ils se révèlent néanmoins sensibles – indirectement – à l’information : ils soulignent ainsi ce que les opérations de délimitation et de démarcation doivent aux cartes et photographies aériennes, aux bornes et aux rapports (p. 42). Ils en viennent même à isoler parmi les fonctions de la frontière – essentiellement ordonnées au seul contrôle – un « rôle informationnel » (p. 49), par la production de statistiques... mais il s’agit de notations qui demeurent ponctuelles, et sur lesquelles ils ne s’appuient pas pour élaborer une modélisation plus poussée. Et s’ils appellent de leurs vœux le développement d’une approche systémique de la frontière, c’est dans le cadre de leur conclusion, comme ouverture.
11Quelques années plus tard, en 1980, C. Raffestin, seul, rédige l’article « Frontières » de l’excellent catalogue du Centre Pompidou consacré aux Cartes et figures de la Terre5. Il s’interroge notamment sur ces espaces spécifiques que constituent la mer et les airs où « faire frontière » devient singulièrement difficile. C’est pourquoi il souligne qu’« en matière de fixation des frontières, on remarquera que la précision de l’information décroît des limites terrestres aux limites aériennes en passant par celles de nature maritime » (p. 418)... sans plus approfondir toutefois la relation information/frontière. Alors que sur la même page une illustration et son commentaire affirment clairement, chacun sur un mode spécifique, la présence des technologies de l’information et de la communication : en contrepoint à une photographie d’un centre de contrôle de la frontière américano-mexicaine, où travaillent deux agents « armés » d’ordinateurs et de téléphones devant d’immenses cartes murales, la légende se plait à ironiser, « Des patrouilles traquent les immigrants illégaux à la frontière Mexique/États-Unis. Entre la carte et le paysage, un téléphone » (oubliant ainsi les ordinateurs). Où le constatif photographique6, et le décalage ironique restituent cette réalité des TIC trop facilement oubliée au niveau du concept.
12G. Wackermann structure sa récente (2003) contribution à la géographie des frontières7 autour d’un mouvement qui va de la construction des espaces frontaliers à celle des espaces transfrontaliers. La logique globale de l’ouvrage renvoie plutôt la frontière au passé et son dépassement transfrontalier à l’avenir. Dans une perspective somme toute traditionnelle la frontière reste globalement une ligne, au plus une zone. Et même si elle est définie comme « l’interface de discontinuités spatiales » (p. 9), la proposition semble se suffire à elle-même et ne fait pas l’objet d’une construction théorique poussée ni n’embraye sur un processus de modélisation. Cependant, Wackermann souligne que la frontière est un « phénomène géopolitique », lié à l’émergence et l’affirmation de l’état. Il repose sur un réel travail symbolique – elle est autant « dans les têtes » (p. 46) que dans « la puissance des lieux » (p. 52) – ainsi que sur sa reconnaissance et sa garantie par le droit (p. 69). L’avenir de la frontière est à son dépassement, et l’un des facteurs essentiels – le premier mis en avant par l’auteur en tout cas – n’est autre que la technologie, et singulièrement les TIC. C’est pourquoi il n’hésite pas à soutenir que « parallèlement aux performances de l’informatique qui s’est déjà accaparée le monde entier dans la mise en place de réseaux de communication, dans la gestion "sans frontière" du quotidien, qui est parvenue à gérer l’observation du cosmos et la circulation des fusées qui y sont envoyées depuis la terre, le développement des nanotechnologies a amplifié les perspectives des téléphones portables, susceptibles de devenir aussi puissants que les ordinateurs actuels » (p. 81). Il précise un peu plus loin que « les nombreuses places de marché électronique, les "marketplace", font également fi des frontières » (p. 81).
13Bref, tout est dit grâce à un déterminisme technique plutôt simpliste. Manifestement G. Wackermann n’a pas tenu compte de la réflexion menée par G. Dupuy dans son « Internet, géographie d’un réseau » paru un an auparavant dans la collection qu’il dirige pourtant ! – et sur lequel nous revenons plus en détail à la fin de ce tour d’horizon géographico-politique.
Fronts et frontières
14Le géographe M. Foucher a publié en 1988 une étude incontournable sur la frontière, Fronts et frontières, un tour du monde géopolitique8. L’auteur s’inscrit explicitement dans un courant de rénovation de la géographie qui vise à montrer que l’espace est le produit de stratégies (et de représentations) politiques. Il n’est pas donné mais construit dans la lutte et le conflit ou la négociation. La frontière également. Car elle se trace en effet, et c’est d’ailleurs tout l’enjeu de sa géopolitique. Malgré cette intéressante idée « d’horogenèse », d’invention de la frontière, celle-ci reste une « enveloppe » ou un « plan de séparation » (p. 31) incarné par la métaphore de la ligne. Et s’il existe selon lui un « modèle géopolitique français », il s’agit d’« [...] une conception globale de la frontière, comme ligne de coïncidence entre les contours d’ensembles spatiaux [...] différents, l’Etat et la Nation » (p. 49), définie sous la Révolution. C’est donc à partir de cette référence qu’il écrit l’histoire des frontières françaises, comme tension et progression vers la ligne-norme. L’interprétation qu’il dégage est donc inverse de celle qu’offre l’historien D. Nordman – sur laquelle nous nous appuierons en troisième section – et qui montre plutôt une sorte de régression du complexe vers le simple.
15Au total, et malgré l’essai inavoué de modélisation sur lequel se clos le livre, la frontière reste pensée comme une ligne qui n’est pas intéressante en soi, mais seulement comme enjeu de stratégies, politique, guerrière ou représentationnelle (p. 22). De telles perspectives pourraient laisser croire que l’information et la communication puissent jouer un rôle non négligeable dans ces processus, or l’index n’accueille ni l’un ni l’autre terme, pas plus que « média », « télévision », « informatique », « télécommunication », « satellite » ou « réseau »...
16Y. Lacoste, qui participe de la même « école » géographique définit la frontière comme « [...] la ligne ou la zone qui forme limite du territoire d’un État ou bien d’un ensemble politique que ses dirigeants cherchent à constituer en État plus ou moins indépendant » (p. 658)9. Mais, de la ligne ou de la zone, la première domine nettement, et l’auteur ne nous explique pas en quoi consiste la seconde. S’il note qu’il convient de distinguer différents niveaux d’analyse spatiale (les échelles) et insiste sur le travail symbolique des représentations (notamment celle des frontières, supposées « naturelles », dans l’origine des trois dernières guerres entre la France et l’Allemagne), il ne nous propose aucun élément de réflexion susceptible de nourrir une modélisation consistante de la frontière.
Système-Monde et réseaux
17À cette géographie politique s’oppose une autre « école » à l’ambition plus modélisatrice, et qui s’inspire volontiers des travaux de la systémique. Mais sa modélisation relève d’abord de l’élaboration d’un langage graphique descriptif (les « chorèmes »), qui tend à prendre les choses telles qu’elles sont et non à comprendre les enjeux de leur émergence et de leur développement.
18Les Mondes nouveaux de la Géographie Universelle dirigée par Roger Brunet10 synthétise avec force les idées et méthodes de ce courant. La frontière est ici d’abord une barrière (p. 114). Mais le géographe s’intéresse également aux espaces qui bordent cette limite : la frontière, par « dénivellation » économique (comme entre les États-Unis et le Mexique par exemple [p. 115]) peut devenir fort active, lieu de fixation d’activités économiques dynamiques. Cette école inclut dans la frontière les « bases » et les « tête de pont » (p. 116) – type concessions et comptoirs.
19La problématique générale du « système-monde » tend cependant à réhabiliter les réseaux et les échanges qui traversent et se jouent des frontières : les « synapses » (caps, îles, baies, etc.)11 qui relient et surtout la « dynamique des réseaux mondiaux », des « transactions » et des « flux »12 emportent l’enthousiasme du géographe. Aussi les TIC apparaissent-elles ici d’abord comme support infrastructurel essentiel des réseaux et flux (p. 408-409).
20Ces travaux restent dominés par l’idée d’une frontière limite, frontière ligne – au plus, attracteur d’activités économiques. Et si les TIC font leur apparition, c’est essentiellement parce que les télécommunications et la télédiffusion tressent des réseaux dont on retient avant toute chose qu’ils participent à la production de la mondialisation, donc à l’effacement des frontières.
Géopolitique de l’information
21Même Henry Bakis dans son excellente Géopolitique de l’information13 ne s’attache pas à nous proposer une réflexion spécifique sur « frontières et TIC », sauf à s’interroger dans le sillage de J.-P. Chamoux sur les flux transfrontières de données – où, encore une fois, le flux oblitère la frontière.
22Car, dans les – trop rares – géopolitiques de l’information le flux est premier et dominant : c’est lui qui soulève le questionnement, qui pose problème. Le sous-titre de l’intéressant ouvrage d’A. Smith consacré à The geopolitics of information : « How western culture dominâtes the world » est à cet égard symptomatique14. Depuis le xixe siècle, avec ses câbles et Agences de presse, puis avec l’idéologie du « free-flow of communication » et ses réseaux (notamment satellitaires), le monde occidental exporte ses flux informationnels dans le reste du monde. Ici, la frontière n’est pas une question pertinente. D’ailleurs le mot « boundary » n’apparaît pas à l’index.
23Pas plus qu’à celui du par ailleurs remarquable Communication-monde d’Armand Mattelart15. Le titre est en soit un programme. L’auteur le justifie d’emblée : « Reconstituer la généalogie de l’espace communication-monde, telle est la tâche du présent ouvrage. Et ce, à travers une démarche croisée, en analysant les modalités de l’implantation des technologies et des réseaux qui depuis le xixe siècle n’ont cessé de repousser les frontières des États-nations, tout en mettant en lumière les concepts, les doctrines, les théories et les controverses qui ont rythmé la construction d’un champ d’observation scientifique ayant pour objet la communication internationale » (p. 5, je souligne). La frontière s’en trouve disqualifiée quasiment a priori.
24N’en va-t-il pas de même dans le magistral ouvrage que M. Castells a consacré à L’ère de l’information ? Car la notion de frontière n’est pas véritablement pertinente à en croire les index de ses trois tomes16. Il est vrai que son ambition réside d’abord dans la démonstration de l’émergence d’une logique de réseaux censée gouverner le développement de la société, réseaux sociaux et réseaux technologiques, le plus souvent mêlés. Ainsi de l’entreprise en réseau qui « au travers de l’interaction entre la crise et le changement organisationnel, d’une part, et les nouvelles technologies de l’information d’autre part, apparaît [comme] une nouvelle forme d’organisation caractéristique de l’économie informationnelle/globale » (p. 207, t. 1). C’est ainsi « l’espace des flux » (titre du chap. VI du t. 1) qui retient toute l’attention de Castells. Des flux qu’il définit comme « séries significatives, répétitives et programmables d’échanges et d’interaction entre des positions géographiquement éloignées occupées par des acteurs sociaux dans les structures économiques, politiques et symboliques de la société » (p. 463, t. 1). Dans une telle perspective « la communication par ordinateurs échappe aussi au contrôle de l’Etat-nation et inaugure une ère nouvelle de communication extraterritoriale » (p. 312, t. 2). C’est pourquoi, « l’effacement des frontières de l’État-nation brouille la définition de la citoyenneté » (p. 374, t. 2). La frontière n’est pas une question, mais un objet disqualifié par les TIC.
25Emportée par les flux (même s’il s’agit de les critiquer) la géopolitique de l’information et de la communication, loin de réhabiliter la frontière, la prend comme un point de départ, déjà dépassé. Seul G. Dupuy, dans son Internet, géographie d’un réseau (2002)17, qu’il aurait pu d’ailleurs, à suivre une analyse entre acteurs, espace et pouvoir, sous-titrer « géopolitique d’un réseau », propose un court chapitre sur les frontières. Il retrouve ainsi quasiment la question que nous posions en 1996, sommes-nous face à des « réseaux [nous parlions de TIC] sans frontières » ? Il souligne ainsi que « lorsque l’usage d’internet contribue aux modes de contrôles traditionnels des frontières, tous s’en satisfont. [...] En revanche, dès lors qu’il s’agit d’opposer au réseau l’existence de frontières, l’opinion est moins consensuelle » (p. 108). En définitive il constate que « parmi les modes de régulation susceptibles de compléter ou de remplacer la garde des frontières, nous en distinguons trois : l’usage citoyen, le coupe-feu, la gouvernance internationale » (p. 112). Dans le premier cas, « l’usager du réseau peut jouer lui-même un rôle direct de filtrage de l’information qui circule sur le réseau. La citoyenneté implique que le filtre fonctionne selon les critères représentatifs de l’appartenance du citoyen à une communauté territoriale » (p. 112). Dans le deuxième cas, « l’espace intérieur s’oppose à un espace extérieur potentiellement menaçant. La frontière passe par le fire-wall ou le proxy » (p. 113). Enfin, « la gouvernance internationale [avec l’ISOC, l’IAB, l’IETF, l’ICANN ou le W3C] est aussi une des formes de régulation des frontières d’internet » (p. 114). Ces quelques pages, pour intéressantes qu’elles soient, et déjà par leur simple présence (car nous avons vu que Wackermann ne reprendra pas en 2003 les idées de Dupuy), ne proposent pas une véritable problématisation poussée (notamment en terme d’enjeux politiques) ni une première « modélisation » des relations entre TIC et frontières. Notre réflexion demeure donc encore pleinement d’actualité.
26La frontière des spécialistes de géopolitique reste donc bien plate, resserrée sur la seule ligne même. Elle ne possède que peu ou pas d’épaisseur. Elle n’est pas un processus ou si peu. Et les TIC n’ont d’autre fonction semble-t-il que de l’éprouver, de se jouer d’elle, voire de la ridiculiser. Comme si elle ne pouvait constituer en soi un objet légitime, la frontière tend en quelque sorte à acquérir le statut de refoulé dont l’analyse se réduit à celle de son tracé – bientôt effacé par des TIC pensées quasiment sur le seul mode du flux. Cependant, nous sommes convaincu que la fonction frontière mérite une attention beaucoup plus soutenue. C’est pourquoi nous voudrions la questionner à nouveaux frais, la redécouvrir, la comprendre, notamment à travers deux perspectives a priori opposées, l’une théorique, l’autre historique – double relativisation des positions géopolitiques. Or, nous allons voir qu’il s’agit là de deux manières de dire une seule et même chose : que la frontière est complexe et n’existe pas sans les TIC.
Modélisations : complexité de la frontière
Différenciation et coordination
27Dans sa Théorie du système général, J.-L. Le Moigne aborde la question de la frontière à travers celle du couple différenciation/coordination18. Cet élargissement de la problématique se révèle singulièrement stimulant. Il permet en effet de penser la frontière comme un outil d’identification au sein d’un processus plus vaste (celui de la différenciation/coordination). La frontière participe ainsi fonctionnellement de cette dialectique : elle travaille aussi bien l’une que l’autre. Fonction d’interface donc.
28J.-L. Le Moigne rapporte également quelques réflexions susceptibles d’enrichir et de nourrir notre questionnement (dont nous avons graissé les mots-clés) :
ainsi selon J. Platt19, « les frontières des processeurs au sein d’un système auraient tendance à se superposer pour se renforcer mutuellement [...]. Les "portes" sur la frontière ont tendance à se superposer (ainsi, la bouche) » ;
de son côté, « R. Gérard [...] souligne l’intérêt des dispositifs d’exagération des différences dont peuvent disposer les systèmes de représentation » ;
pour Th. Vogel, « ... on pourra souvent être guidé par la définition même des points intérieurs et des points frontières : dès que dans un voisinage aussi petit qu’on voudra d’un point, il s’en trouve dont le comportement n’est plus régi par la loi d’évolution, c’est qu’on se trouve sur la frontière » ;
« A. Wilden [...] pense qu’il y a nécessairement digitalisation lorsqu’il
y a traversée d’une frontière »20 ;enfin, et surtout, J.-L. Le Moigne suggère d’adopter la méthode du gonflement de la membrane : elle « conduit [en effet] à privilégier dans la modélisation, l’examen des transactions du système avec son environnement, donc ce qui se passe à la frontière. Ainsi, les biologistes développent-ils un domaine d’investigation très prometteur en modélisant la membrane (ou l’interface) comme un sous-système doté d’une structure, réseau de processeurs et assurant des activités spécifiques (de transfert et de codage en général [...]) ».
Le gonflement de la membrane
29Cette dernière méthode nous ouvre une perspective singulièrement riche : elle nous permet en effet de nous échapper d’une pensée subordonnée à la seule ligne. La frontière peut être un front, mais un front qui possède sa propre épaisseur. La frontière acquiert ainsi une structure et ses fonctions font l’objet d’une définition précise : transfert et codage. Ce dernier point retient toute notre attention : car s’il y a codage, c’est qu’il y a traitement de l’information. Pas de transfert (physique notamment) sans son double informationnel, pas de circulation (matérielle) sans circulation d’informations.
30Ce que Wilden dit en son propre langage lorsqu’il parle de digitalisation. Dans une telle démarche la frontière ne peut exister sans un « système d’information-représentation des transactions ». C’est dire que la frontière est d’abord un outil logiciel. Elle consiste moins en un lieu de transactions physiques, qu’en un système complexe de traductions. À la limite on peut dire que la frontière existe, fonctionnellement, plus par cette digitalisation/représentation/traduction que par un transfert matériel (d’hommes ou de choses) : enlevez ce dernier, tout en conservant la première, la fonction-frontière subsiste. L’inverse n’est pas vrai.
« Visibilisation »
31La frontière forme donc un lieu où deux lois se confrontent (Vogel). D’où le déploiement de procédures de traduction et de « visibilisation ». Une visibilité produite soit par superposition (Platt), c’est-à-dire redondance, soit par exagération (Gérard), c’est-à-dire amplification. La frontière appelle la redondance : redoublement du matériel en logiciel, traductions informationnelles. Elle constitue également le lieu où s’exaspère la différence au détriment de ce qui rapproche : c’est le cas notamment des nationalités. Ici l’on cherche à contrôler la différence, et pour mieux la contrôler on l’institue comme radicale.
32Nous ajouterions volontiers que les traductions peuvent être accélérées ou ralenties selon que l’on applique des procédures plus ou moins formalisées et surtout normalisées (car si la normalisation repose sur une inévitable formalisation, elle en limite aussi la prolifération, car il s’agit d’ordonner les processus de formalisation à une procédure au lieu de multiplier les formalismes locaux), c’est-à-dire économes par réduction des redondances comme de la complexité des situations locales. Plus l’on veut que la frontière différencie, plus l’on exagère les différences (voire les différences entre formalismes locaux) et moins l’on normalise l’interface elle-même. Plus l’on normalise et plus l’on facilite la coordination, le flux et non le seul contrôle – sans que ce soit pour autant à son détriment. Il s’agit d’atteindre une véritable interopérabilité et non une simple interconnexion21.
Condensation ! déplacement
33Autre manière de dire l’inscription de la frontière sous l’horizon d’une dialectique, on peut avec F. Dagognet, substituer le couple condensation/déplacement au couple différenciation/coordination. Le philosophe des sciences nous apprend en effet que « l’accumulation, par elle seule ne suffit pas : il importe de la manoeuvrer, de l’activer »22. Ainsi, la condensation, la concentration – pour essentielle qu’elle soit –, si elle veut rester vivante doit s’alimenter du mouvement : la concentration repose sur une translation qui rapporte le lointain en un « ici » qui croît à proportion de la vitesse du cycle -B. Latour le montre avec force dans le cas de la science23. La concentration vit dès lors de son ouverture, du déplacement. Elle s’augmente, se transforme et se complexifie de ce mouvement. Inversement, si elle se ferme, si elle se croit totale et totalité, alors elle meurt. Comme tout système. Conclusion ? La frontière efficace, celle qui soutient toute vie, produit une respiration : avec suffisamment de fermeture – une sorte de clôture opérationnelle si l’on veut – pour permettre d’exister chez soi24 ; mais avec également suffisamment d’ouverture pour éviter l’asphyxie. Dosage fin et complexe de toute vie – même sociale. Fonction fondamentale de la frontière donc : assumer cet exercice d’équilibre instable. Or, la concentration se révèle d’autant plus performante25 qu’elle joue non sur les objets matériels, mais sur l’information/représentation : plus légère et plus mobile, celle-ci autorise de plus fortes et plus efficaces concentrations (par rapprochements et comparaisons). Une information/représentation qui requiert elle-même une méta-information d’indexation-nomenclature qui en accroît considérablement la facilité de manipulation et les performances. La frontière travaille dès lors au moins autant sur ces informations et méta-informations (papiers et fichiers si l’on veut) que sur les objets. Où plutôt elle contrôle l’adéquation – la justesse du rapport – entre la déclaration et l’objet. Elle assure donc la pertinence, la validité de la concentration ; donc une certaine homogénéité/compatibilité des objets qui la compose.
34Où nous retrouvons la logique binaire de la coordination/contrôle. Or, celle-ci ne s’exerce que par le truchement d’outils qui relèvent de deux grands types : écritures et cartes – qui ne sont d’ailleurs pas indépendants.
Écritures
35Des écritures qui notamment fixent les jugements et mettent ainsi un terme à l’opposition des paroles : « opérations sur les lieux, les récits exercent aussi le rôle quotidien d’une instance mobile et magistérielle en matière de délimitation. [...] D’après la belle langue traditionnelle des procès-verbaux, les magistrats naguère « se transportaient sur les lieux » [...] afin d’« entendre », à propos de frontières « litigieuses », les dits contradictoires des parties. Leur « jugement interlocutoire », comme on disait, était une « opération de bornage ». Calligraphiés par les greffiers sur des parchemins dont l’écriture parfois se prolonge (ou s’inaugure) en dessins traçant des frontières, ces jugements interlocutoires n’étaient en somme que des méta-récits »26. A contrario de certains a priori simplistes, M. De Certeau nous apprend ainsi que la frontière a quelque chose à voir avec le récit. Parce qu’elle se détermine socialement soit dans le combat, au prix du sang, soit discursivement, en couchant les paroles en conciliation par écrits. Le droit, en tant notamment que référence écrite, c’est-à-dire qu’écriture à laquelle les parties en litige peuvent se référer, dit la frontière – qui, par sa matérialité (borne ou barrière) dit à son tour le droit, ou plutôt la rencontre de deux droits (cf. la proposition théorique de Vogel). Mais le texte, en dernière instance – celle du jugement judiciaire – dit plus la frontière, c’est-à-dire, en pays de droit écrit, avec plus de force sociale, que son marquage physique. Ainsi la frontière existe aussi socialement à travers une traduction, écrite, qui assure à la fois une fonction de référence et de publicité. Pour être reconnue, elle doit être publique et publiée27. Une frontière que l’on ne peut rapporter à un texte (ou à une carte) voit sa valeur sociale limitée par la capacité de la mémoire orale de la communauté.
36Ainsi, par la référence à l’écriture, il est possible de contrôler, et par la publicité, d’assurer une certaine coordination : la frontière est encore une fois indexée à ces deux dimensions qui semblent se révéler fonctionnellement constitutives.
Cartes géographiques
37Le mot « carte » renvoie à deux réalités à la fois distinctes – matériellement – et proches – fonctionnellement –, bien souvent complémentaires : la carte géographique et la carte d’identité (destinée aux hommes ou aux objets).
38À l’index du beau livre que Ch. Jacob a consacré à L’empire des cartes28, on chercherait en vain une référence à la notion de frontière. Or, Jacob définit la carte comme un outil de communication qui « schématise le réel en le catégorisant », qui « introduit le générique, des constantes catégorielles » (p. 43). Mais également comme un instrument politique, de gestion et d’administration, de régulation de la vie sociale : elle est « le recours de toutes les contestations [pensons aux réflexions précédentes de M. De certeau sur le droit et le récit], elle est la Loi » (p. 45). « Objet politique qui sert de support aux négociations, aux échanges, à la mémoire collective » (p. 51). La frontière reste donc en filigrane, présente/absente. Peut-être Jacob trouve-t-il en quelque sorte « trivial » au fond de rapporter la carte à la frontière et à l’horogenèse. Car il est vrai que nous apprenons peut-être plus de l’opération inverse : la frontière se soutient socialement de sa mise en carte, de son inscription sur un « instrument de communication sociale ». Elle lui assure une visibilité, un relief social incomparable. Grâce à la carte la frontière est prise dans son parcours tout entier : elle lui ouvre une mobilité, une mutabilité nouvelle. Avec la carte on peut jouer avec les frontières, poser de nouvelles hypothèses, projeter, simuler.
39La carte permet donc elle aussi la coordination (gestion des litiges comme des projets) et le contrôle (des découpages existants et des « préemptions » projetées).
40Mais la carte géographique restreint la frontière à la ligne. L’outil est puissant, mais – au moins jusqu’à sa récente informatisation- mutilant, réducteur. Aussi, la frontière ne peut-elle se lester de réalité qu’à travers la seule carte géographique, elle exige un outil plus souple, un outil de gestion moins statique, plus dynamique, susceptible de suivre les flux : une autre carte, d’identité celle-là.
Cartes d’identité
41Prenons-la au sens large : il ne s’agit pas seulement de gérer des hommes, mais également des objets, des marchandises. Pas de gestion sans contrôle, pas de contrôle sans écritures, ou un quelconque traitement de l’information : chaque homme, chaque objet devrait donc, en théorie, être muni de ses « papiers », qui définissent qui il est, d’où il vient et où il va.
42La frontière gère parce qu’elle contrôle, et ne contrôle que parce que ces écritures circulent : enlevez-les, il ne reste que des flux et des fouilles lourdes, longues et asphyxiantes. Développez-les, alors il s’agit de constater la coïncidence des informations à la « réalité » : le système vaut dissuasion (sur la notion cf. aussi le chapitre 2). En effet, si, par hypothèse, tous sont équipés de leurs écritures d’attestation, alors il n’est plus utile de les contrôler systématiquement. Il suffit de laisser planer le doute. À chacun, à tout moment, il peut être demandé de témoigner de l’adéquation de l’information portée avec, soit le réel physique (pour les marchandises notamment), soit celle qu’enregistre un fichier. Car la carte d’identité est d’autant plus efficace qu’elle est couplée à une liste qui récapitule les déviants, ceux qui sortent de la norme socialement construite à un moment donné. Manière d’assurer, par le contrôle une sorte de coordination sociale.
43Modélisations fonctionnelle et instrumentale nous montrent une frontière complexe et nous ramènent toujours à ces deux fonctions-clés : contrôle et coordination. Le passage à l’épreuve du réel local, singulier de l’histoire va-t-il confirmer ou non ce triple constat ?
Histoires : la zone et l’information
Étapes
44Selon D. Nordman l’histoire des frontières françaises (puisque c’est elle qui va essentiellement guider notre réflexion) se scande en trois moments29 : aux xvie-xviie siècles elle dépend d’une politique qui vise la construction d’un espace monarchique aussi vaste que possible, à la réunion à la couronne de territoires censés correspondre à une certaine idée de la France – les frontières « naturelles » notamment. Le xviiie siècle travaille plutôt à conforter des limites acquises ou bien à les « lisser », à les rationaliser. Enfin, le xixe siècle invente une représentation plus aggressive, plus idéologique de la frontière, dite désormais « nationale ».
45L’évolution du vocabulaire suit en quelque sorte ces trois étapes : dans le premier temps, le mot « frontière » reçoit une connotation offensive alors que le terme « limite » résonne plus pacifiquement. Dans le deuxième temps, la frontière, assagie, tend vers la limite : plus ligne d’un droit de l’état que zone d’affrontement et de rapport de force à relent féodal. Enfin, dans le troisième temps on revient, avec la frontière « nationale », à une conception beaucoup plus belliqueuse.
Ensemencement
46Le xviie siècle construit, de fait, concrètement sur le terrain la frontière comme un système complexe. Elle n’est pas une ligne, c’est une zone. Elle possède une profondeur assurée par un ensemencement de places, de points qui, par leur réseau constituent un espace30. Ce dernier, D. Nordman montre qu’il est effectivement « complexe » et non pas « confus » (p. 47). Prenons l’exemple de la Lorraine : « Des villages mi-partis, tri-partis ? Mais ces communautés comprennent des maisons, des sujets qui dépendent chacun d’une souveraineté distincte, clairement désignée dans le détail. Il n’y a pas là absence de limites » (p. 47).
47Le xviiie siècle va néanmoins s’appliquer à rationaliser cet héritage : « Les opérations, systématiques, de régularisation visent à échanger les villages, à faire disparaître les enclaves, à introduire plus de continuité dans les voies de communication » (p. 47). Travail singulier que Nordman qualifie de « spatialisation du territoire ». Car l’on glisse en effet d’une logique des droits, non linéaire, non spatiale – d’où les enchevêtrements –, à une nouvelle rationalité, celle du voisinage : les critères d’évaluation changent, il s’agit désormais des habitudes, des travaux, des déplacements, bref de la vie quotidienne.
48Or, quelle que soit sa forme, cette frontière n’existe pas historiquement sans une étroite relation à l’information et à la publicité. Car la frontière est d’abord un haut lieu, c’est-à-dire un lieu hautement symbolique : aux xvie-xvne siècles elle accueille « conférence internationale, entrevue de monarques, mariage royal » (celui de Louis XIV par exemple) (p. 42). Sa délimitation, sur la base d’un traité repose sur un lourd travail d’enquête et de collecte d’informations : « A des commissaires nommés de part et d’autre est laissé le soin de vérifier, sur place, les "preuves" et les "titres" écrits, de prendre connaissance des traditions et des usages locaux en faisant appel aux témoignages des populations [...] » (p. 44). Au xviiie siècle « les conventions de limites [...] se multiplient » (p. 45). D’où, là encore, un recueil précis et volumineux d’informations. Remarquons qu’à cette occasion, les « droits invoqués, qui tiennent à des notions de mouvance, de justice, d’impôt, peuvent peser assurément, d’autant plus qu’ils sont souvent gonflés pour les démonstrations » (p. 45).
49L’histoire rejoint ainsi pleinement la théorie (ou inversement, la théorie rejoint l’histoire, peu importe). Parce que l’expérience historique montre d’abord une pratique complexe de la frontière, comme système et non comme ligne, peu à peu simplifiée et oubliée : Vauban aurait su que la bien nommée « ligne » Maginot ne pouvait être qu’une erreur. Le « gonflement de la membrane » correspond pour lui à une situation bien concrète. Ensuite parce qu’elle souligne l’apport constant de l’information dans la construction de cette frontière. Enfin, parce qu’elle met en évidence quelques homologies : Vauban, qui militait pour l’édification d’une double ligne de places fortes, connaissait donc la valeur de la redondance, de la superposition au sens de Platt31 ; à l’image de la position de Gérard, le « gonflement » des droits exagère les différences engendrées par les systèmes de représentations et marque ainsi la frontière ; l’opération de « spatialisation du territoire » dont parle Nordman renvoie à la définition de la frontière par Vogel, au changement de mode de « voisinage » près, qui passe d’une logique des droits à une logique de proximité – où l’on glisse ainsi d’une manière de faire frontière à une autre tout en restant dans le cadre global de l’exercice d’une fonction-frontière.
Douane
50Peut-on mieux observer le précepte de J.-L. Le Moigne, qui recommande de s’intéresser à « ce qui se passe à la frontière », qu’en nous interrogeant sur le travail de la douane ?
51La frontière, d’abord politique et militaire glisse également vers une fonction économique : « La protection du royaume n’est plus seulement assurée par des forteresses : elle est aussi douanière, soulignent Revel et Nordman32, et les droits imposés sur les marchandises à la périphérie du territoire sont considérés comme une arme. Cet emploi du mot, dans un contexte économique [...] est courant au xviiie siècle [...], qu’il s’agisse de frontières entre provinces ou de frontières extérieures. » Localement, le dispositif douanier est parfois impressionnant : ainsi « dans la Direction de Charleville [...], la frontière douanière, telle que la décrit en 1738 le jeune fermier général Helvétius, prend appui à la fois sur un solide réseau de points fixes (cinq magasins à sel, huit entrepôts de tabac et une quarantaine de bureaux de traites) et sur une vingtaine de brigades, sédentaires ou ambulantes. Le dispositif s’étend en profondeur jusqu’à l’Aisne [...]. Il associe l’épaisseur d’une zone [...], et la densité des postes de contrôle aux lieux les plus critiques [...], à proximité des états voisins » (p. 63- 64). Économique, la frontière ne se replie pas sur la seule ligne, mais s’articule en « un système cohérent », complexe et profond. Un système qui repose non seulement sur le contrôle physique mais également sur le traitement de l’information (bureaux).
52Ce que confirme, par un contre-exemple, J. Clinquart, à propos du xixe siècle33. En effet, en 1860, Napoléon III négocie clandestinement un traité de commerce d’inspiration libérale avec l’Angleterre. Clinquart montre que « l’abandon du protectionnisme », comme d’ailleurs « l’apparition de nouveaux modes de transports (le chemin de fer et les steamers) », et le « développement corrélatif des échanges [...], imposaient une réflexion sur l’adéquation du contrôle douanier traditionnel aux données nouvelles du trafic international. On se rendait compte de la difficulté de continuer, comme par le passé, à procéder à la vérification systématique et approfondie des déclarations déposées par les importateurs et exportateurs » (je souligne). D’où une évolution vers « la simplification des procédures »... bientôt relâchée puisqu’avec la IIIe République s’annonce une nouvelle ère de protectionnisme.
53L’efficacité de la douane oscille donc entre un niveau d’exigence élevé d’informations susceptible de bloquer le flux, et un minima qui ne lui permet plus d’assumer sa mission de contrôle.
Passeport
54L’histoire de la frontière, c’est également celle de ceux qui la traversent. Flux économiques, de marchandises, réglés, nous venons de le voir, par un régime de déclaration, flux d’hommes, soumis, lui, au sauf-conduit, puis au passeport.
55« L’octroi d’un sauf-conduit à un voyageur ou à un groupe de voyageurs, qui traversent une terre déterminée, remonte à des temps très lointains. Il a été connu sous des noms divers : diploma etfides dans l’antiquité romaine, conductus au sens d’escorte au xie siècle et au sens de sauf-conduit à partir du xiie, puis conduit et sauf-conduit en français, et enfin passeport – ce dernier terme ayant été appliqué d’abord aux marchandises au début du xve siècle avant de l’être aux personnes au début du xvie. Des lettres de protection et de recommandation permettent ainsi à des ambassadeurs, à des pèlerins, à des marchands (de façon de plus en plus fréquente [...] à partir du xiie siècle), voire à de simples "touristes", de se déplacer librement, et surtout sans trop de risques [...] »34. Ainsi le passage de la frontière ne peut s’effectuer sans la possession d’un document, c’est-à-dire sans écritures, donc sans traitement de l’information. C’est bien cette information qui légitime le parcours – toujours défini précisément – dans sa globalité et donc, par là même, ouvre les passages, lève les barrières. Le voyageur ne vaut qu’accrédité par une autorité qui certifie le besoin (marchand, religieux, etc.) et donc la possiblité du franchissement. C’est l’information qui impulse et autorise la respiration frontalière, la dialectique ouverture/fermeture.
56À l’inverse de notre conception actuelle, qui travaille à rendre l’ouverture première et la fermeture exceptionnelle, pendant longtemps règne une logique de la fermeture a priori. Voilà pourquoi l’information douanière tend plutôt aujourd’hui à fermer la frontière, alors qu’elle participait auparavant essentiellement à son ouverture. L’articulation entre les deux positions s’est effectuée au xixe siècle : la frontière nationale redéfinit le passeport non plus comme un outil d’ouverture, mais comme un signe d’appartenance à une collectivité nationale. Nous nous situons toujours dans une telle perspective... à ceci près que nous travaillons – tout au moins en Europe – à relativiser, à aplanir ces différences nationales exaspérées par le xixe siècle.
Le profil de la France
57Les historiens soutiennent que l’espace français existait dans les esprits avant même sa représentation cartographique. Cet apparent paradoxe d’une conscience spatiale antérieure et donc non médiée par la carte, le Moyen Age l’a résolu en privilégiant d’autres techniques cognitives, singulièrement la liste et l’itinéraire – qui « à travers une succession de noms et d’informations pratiques, [...] décrivaient des parcours, [et] en organisaient les étapes [...] »35. La carte n’apparaît que tardivement : on reconnaît à Oronce Fine et à sa Charte Gallicane de 1525 de livrer non pas « la première carte de la Gaule, tant s’en faut, mais peut-être la première image de la France »36.
58La carte est d’emblée au service du pouvoir, de la Monarchie : instrument politique, elle sert à faire la guerre et assure une fonction de propagande. La Monarchie regarde sa puissance dans la carte comme dans un miroir37. Outil symbolique, la carte peut rester relativement imprécise. Arme de guerre, elle se doit de gagner en précision : notamment lorsque Sully, surintendant des fortifications demande au corps des Ingénieurs du Roi de « [...] reconnaître de vastes zones frontalières, où ils ont pour mission de fixer les droits du Roi au lendemain du traité de Vervins (1598) »38. Car pour garder les frontières il convient d’abord de les construire, et la carte se révèle, à cet égard, un outil (de traitement de l’information) tout à fait essentiel.
59Colbert, au xviie siècle, s’engage résolument dans « le projet d’une cartographie systématique du royaume qui constituerait une entreprise autonome et coordonnée. Elle fait l’objet d’une double institutionnalisation, politique et scientifique. Politique, car la carte est plus que jamais une affaire d’État. Scientifique, puisqu’il en confie en 1668 la conception et la réalisation à l’Académie des sciences [...] »39. Il s’ensuit cet immense travail des trois générations de Cassini étalé sur trois quarts de siècle. Un travail de fixation précise et scientifique (grâce à la triangulation géodésique) d’une forme, au détriment du fond d’ailleurs, c’est-à-dire de la topographie. Ce qui incitera le xixe siècle à lancer un nouveau projet d’envergure (étalée de 1818 à 1880) : la carte d’État-major au 80 000, beaucoup plus riche dans le détail des reliefs.
60Les cartes, relayées dès les xviie-xviiie siècles par l’effort pédagogique des écoles dans les couches dominantes de la population, diffusent progressivement une image de la France dans laquelle la frontière tient une place prépondérante. Ainsi, lorsqu’en 1669 le père Fabbri témoigne de son expérience pédagogique, il est intéressant de noter qu’il signale comme un geste quasiment spontané celui de la reconnaissance des frontières par des enfants des couches dominantes40.
61Encore une fois, le passeport et la carte le montrent excellemment, l’histoire et la théorie convergent : ces deux formes du traitement de l’information se révèlent indispensables à l’établissement comme au fonctionnement de la frontière. Et toutes deux contribuent à l’instauration du contrôle (des hommes et des objets qui franchissent la frontière ou de l’établissement de la forme d’un pays), comme de la coordination (entre deux lois, deux pouvoirs ou entre un pouvoir et un ensemble de puissances concurrentes, un pouvoir et son administration, voire entre ses sujets).
Technologies de l’information et de la communication : simuler la fonction frontière
62C’est à l’aune de ce double apport théorique et historique qu’il convient maintenant de penser la relation des TIC à la frontière. Nous savons désormais que cette dernière n’est en rien réductible à une ligne, mais constitue au contraire un système complexe qui remplit une double fonction de coordination et de contrôle. D’autre part, que ce soit au niveau de son institution et de sa reconnaissance sociale comme à celui de son fonctionnement, la frontière dépend de nombreux traitements de l’information.
63Dès lors la question qui se pose à nous est double : si la frontière doit son existence à l’utilisation de multiples outils de traitement de l’information et de communication (« publicité »), les TIC actuelles, inversement, ne peuvent-elles pas soutenir, voire promouvoir la fonction frontière au moins autant que sa disparition ? Cependant, pour que les TIC puissent exercer une telle fonction, voire la simuler, ne doivent-elles pas d’abord elles-mêmes assurer la double fonction de coordination et de contrôle ?
Contrôle
64J. Beniger soutient une thèse singulièrement stimulante – et à laquelle nous ferons souvent référence dans les chapitres qui suivent – dans son ouvrage The control révolution41 : les TIC se sont développées parce que depuis le xixe siècle elles participent à la résolution de ce qu’il appelle les « crisis of control » engendrées par l’expansion considérable de la Révolution industrielle. Celle-ci en effet multiplie les vitesses de production et les volumes produits, ainsi que les vitesses de transport, au point d’atteindre un effet de saturation qui se traduit par de nombreux dysfonctionnements – tels que des accidents de chemin de fer par exemple. Dès lors les TIC sont utilisées afin de desserrer ces crises, de permettre en quelque sorte au système de respirer. Le télégraphe accompagne désormais le chemin de fer et participe ainsi activement à la gestion du système complexe du réseau ferroviaire. Les méthodes de la distribution s’en trouvent profondément modifiées, allégées et accélérées. La production est transformée par une véritable révolution gestionnaire, la consommation par une révolution publicitaire et marketing ou le bureau par la multiplication des outils de traitement de l’information (classeurs, calculatrices, etc.) et de communication (téléphone). Les TIC (au sens large auquel l’entend J. Beniger, y compris les médias, la publicité, le marketing et les outils « cybernétiques »– avant la lettre – tels que les servo-mécanismes, comme au sens plus restreint qui est le nôtre, d’outils du traitement, de la mémorisation et de la circulation de l’information) introduisent une vitesse de traitement et de circulation de l’information susceptible de nourrir de multiples feed-backs régulateurs. Elles se révèlent donc de précieux instruments d’un contrôle que le français connote plutôt négativement alors que l’anglais lui concède le sens plus souple de régulation. Elles parviennent ainsi à juguler l’emballement du développement de la révolution industrielle, non pas en jouant sur une restriction de ses conditions, mais en permettant à cet emballement de trouver son équilibre, de se discipliner et non de se freiner. Grâce à leur vitesse – supérieure à tout système matériel – ainsi qu’à l’information qu’elles véhiculent elles ouvrent la possibilité du déploiement d’un outil performant de gestion.
65Or, Shoshana Zuboff42 nous apprend également que les outils informationnels de gestion possèdent en quelque sorte leur ombre portée : la surveillance des hommes. Elle reprend explicitement le terme à M. Foucault. Ici les TIC ne sont plus seulement les instruments d’un contrôle-régulation, mais d’un contrôle-panoptique. Car la référence à Foucault emporte deux implications : d’une part, situer historiquement les TIC dans le sillage des technologies de contrôle qu’étudie le philosophe – et singulièrement celle que J. Bentham théorise à la fin du xviiie siècle ; d’autre part, montrer une fonction de contrôle « dur », de contrôle social : ne s’agit-il pas de produire de la transparence automatiquement ? (cf. pour plus de détails le chapitre 2).
66David Lyon élargit la problématique, appliquée par Zuboff au niveau de la seule entreprise, à l’ensemble de la société43. « L’œil électronique » globalise en effet l’analyse de cette ressource sur laquelle repose la surveillance : l’incertitude (p. 78). La tactique panoptique investit et travaille des institutions – locales – spécialisées : prison, école, armée, asile. Avec la surveillance fondée sur les TIC, elle se généralise et se transforme en ce que l’auteur appelle le « consumerism » : « consumer surveillance is generally not direct or coercive, but it does succeed spectacularly in teaching consumer skills and encouraging consumers to internalize marketplace rules of behaviour, despite the reported scepticism of many consumers about direct mail advertising » (p. 155). D. Lyon nous amène donc à penser que le principe même de la dissuasion – faire peser l’incertitude de l’imminence toujours possible d’un événement qui ne s’actualisera peut-être jamais – n’est plus seulement exercé par l’arme nucléaire, mais également par les TIC. À l’image du « fleet in being » dont parle P. Virilio44, qui laisse planer sur l’adversaire la crainte d’une irruption toujours possible de la Royal Navy (au xviiie siècle), la société actuelle se trouve sous l’emprise d’un contrôle toujours possible, toujours actualisable... mais à la différence de la dissuasion nucléaire – et ce par quoi on la dépasse ? – l’utilisation de l’outil (de l’arme ?) est bien souvent effective (notamment dans le cas de la vidéo-surveillance). Or, l’instrument de cette surveillance se miniaturise au point d’atteindre une quasi-invisibilité : plus le contrôle – potentiel ou effectif – est puissant et plus le signe de son effectivité tend à disparaître.
Coordination
67Les TIC ne constituent pourtant pas des outils exclusivement dédiés au seul contrôle, en ce sens que ce dernier déborde de lui-même et ouvre ainsi sur la coordination.
68Dans un maître-livre A. Chandler montre que les TIC sont utilisées dès le xixe siècle pour accroître la coordination45. Or, cette dernière repose sur un contrôle efficace : ainsi « la coordination d’un grand nombre de messages destinés aux quatre coins du pays exigeait un contrôle interne encore plus rigoureux que celui du mouvement des marchandises expédiées par chemin de fer » (p. 100). Le télégraphe est employé par Mac Callum – l’un des dirigeants les plus innovants dans la gestion des chemins de fer américains – dès le mi-temps du xixe siècle comme un outil susceptible de fournir « une coordination et une évaluation plus efficaces des services d’exploitation » (p. 116). Les TIC en effet relient. Au sein de systèmes compartimentés dont les informations n’étaient massivement utilisées que localement, le télégraphe puis le téléphone introduisent une logique horizontale. Une logique qui favorise les rapprochements, qui ouvre la possibilité de renforcer les effets de système, les synergies. Le contrôle – notamment par le truchement de statistiques de plus en plus fournies et précises – relayé par une communication qui autorise les regroupements, les comparaisons, les relations, une vue synoptique, valorise un travail d’articulation entre les sous-systèmes d’entreprises-réseaux aux processus physiques (circulation des trains) de plus en plus complexes. J. Yates et R. Benjamin soulignent également que « la contribution majeure des technologies de l’information au sein des organisations » réside dans « leur rôle dans la coordination des travaux intra et inter-entreprises » (p. 95)46. Aussi « les ordinateurs et les télécommunications peuvent servir aujourd’hui, en liaison avec les technologies de production et des transports, à mettre en rapport l’offre et la demande de produits, afin de diminuer les frais liés aux stocks. Les systèmes de fabrication en juste-à-temps permettent au vendeur et au fournisseur [...] de coordonner production et livraison [...]. Comme le coût de la coordination électronique a fortement baissé alors que celui des stocks n’a pas bougé, une coordination aussi étroite est devenue rentable [...] » (p. 97-98). Encore une fois, cette capacité à la coordination se fonde sur cette propriété essentielle des TIC à assurer un contrôle précis, en temps de plus en plus réel sur des volumes de plus en plus considérables.
69J. Beniger, dans un article de 1990, avance que les TIC sont avant toute chose des technologies de contrôle des flux47. Nous pensons qu’il est possible d’aller encore plus loin et de soutenir que les TIC sont des technologies de flux contrôlés et (donc) coordonnés qui ouvrent la possibilité du contrôle et (donc) de la coordination de flux quelconques. Informatique et télécommunications ne reposent-elles pas en effet sur un lourd travail interne de contrôle et de coordination de flux électroniques et informationnels ? Elles exportent, projettent en quelque sorte cette qualité sur les flux qu’elles gèrent. Elles ne constituent des technologies de contrôle et de coordination que parce qu’elles sont elles-mêmes des technologies de flux contrôlés et coordonnés.
Simulation
70L’homologie fonctionnelle entre frontière et TIC – toutes deux dispositifs de contrôle et de coordination des flux – ouvre donc la possibilité que – puisque la frontière, nous l’avons vu, n’a jamais existé sans traitement et circulation de l’information – les TIC travaillent en retour la frontière selon deux perspectives :
la simulation : l’homologie fonctionnelle implique qu’il est toujours possible aux TIC de simuler la fonction frontière ;
la virtualisation : cette même homologie autorise en quelque sorte un transfert de la fonction frontière sur les TIC, transformant profondément la nature, la signification et la fonction sociale de la frontière, tout en réinterprétant notre compréhension des TIC.
71Les douanes ont rapidement mis à leur service la capacité des TIC à simuler la fonction-frontière : informatique et télécommunications constituent des outils quotidiens et de précieux alliés du douanier. Ainsi l’administration des douanes française dispose-t-elle dès 1995 de « plus de 70 opérateurs-radio [qui] assurent les liaisons entre les différentes unités terrestres, maritimes ou aériennes via les relais radios, stations fixes ou PC de transmissions »48. Mais surtout « l’utilisation de l’informatique a été généralisée à la plupart des secteurs d’activité de la douane. SOFI (une application qui permet "d’assurer le traitement du dédouanement du fret international") équipe déjà les bureaux les plus importants (ports et aéroports notamment) et devrait, dans un avenir proche, concerner l’ensemble des recettes. Par ailleurs, des banques de données dans lesquelles sont compilées l’ensemble des énonciations des déclarations en douanes import et export ont aussi été créées. Elles sont utilisées bien sûr par les douaniers pour mieux orienter leurs contrôles (opérateurs, famille de produits, destinations etc.). Mais elles peuvent aussi être interrogées, dans certains cas, par les entreprises ou tout autre opérateur »49.
72Or, l’outil qui restait « au service de » tend aujourd’hui – en théorie tout au moins – à se substituer pour tout ou partie au douanier, ou plutôt à s’imposer comme l’axe de recomposition de la mission douanière. Il devient en quelque sorte le cœur de la fonction frontière, il tend là encore à la résorber dans sa propre efficacité. Tel était notamment le projet Schengen. Ce dernier en effet emporte d’emblée comme condition de possibilité et de viabilité/fiabilité la mise en place d’un Système d’information Schengen (SIS) performant – les aléas de sa concrétisation ne change rien à l’affaire pour nous, ni même son inconsistance actuelle50.
73Ce SIS est censé collecter des informations sur :
les « étrangers faisant l’objet d’un refus d’admission ; pour des motifs d’ordre public et de sécurité ;
[les] personnes impliquées dans la grande criminalité ;
[les] personnes recherchées dans le cadre d’une procédure judiciaire (extradition, témoins) ;
[les] personnes disparues, mineurs en fuite (en vue de leur protection), objets recherchés aux fins de saisie (véhicules, armes, documents d’identité) »51.
74Nous retiendrons ici prioritairement cette idée qu’avec le report des frontières sur l’enveloppe extérieure de l’ensemble des pays signataires, assurer pleinement la fiabilité de la fonction frontière ne pouvait plus seulement reposer sur une activité douanière classique, mais devait se fonder sur un outil informationnel puissant. Autrement dit, comme le souligne P. Masson52, « les initiateurs de Schengen ont rapidement compris qu’un système de sécurité supposant l’ouverture des frontières intérieures impose un dispositif d’information réciproque, multiple, instantané entre les polices. Seule l’informatique organisée autour d’un système central performant peut satisfaire les multiples contraintes d’une pareille exigence ».
75Les instruments de traitement de l’information étaient autrefois « dans » la douane, composante – plus importante qu’on ne le croit souvent nous l’avons vu – somme toute discrète d’un dispositif dont le « poids » reposait d’abord sur les brigades, les hommes et les bâtiments. Aujourd’hui, on voudrait que ces outils tiennent un rôle tout à fait crucial, qu’ils réordonnent la logique du travail autour de leurs exigences et de leurs contraintes.
76Le SIS, ou tout autre système d’information en temps réel, tend à substituer à une logique exclusivement spatiale – d’un espace d’abord limité à la zone frontière (la ligne et le « rayon des douanes », étendu sélectivement à l’ensemble du territoire dans le cas de « répression de fraudes sur des produits réputés sensibles »53) – une logique abstraite, celle du traitement et de la transmission de l’information, une logique qui – au fond – relève là encore de la dissuasion. Car il ne s’agit plus tant d’être présent continûment sur la ligne frontière que de laisser ouverte la possibilité d’une intervention ciblée (notamment sur des groupes supposés à risques) où que ce soit. Non plus jouer le jeu de la certitude du contrôle à la frontière, mais celui de l’incertitude : le travail de et sur l’information n’est en effet pas visible (son outil non plus d’ailleurs).
77L’espionnage a su, lui aussi, réquisitionner les TIC à son service : ainsi D. Campbell souligne-t-il qu’« à partir de 1945, la NSA et ses prédécesseurs ont obtenu systématiquement l’accès aux messages câblés des bureaux des grandes compagnies américaines de télégraphie [...] » (p. 37)54. Un espionnage qui, lors de la deuxième guerre mondiale, était même allé jusqu’à susciter le développement d’outils de traitement automatisé de l’information, dans une concurrence farouche qui opposa les machines allemandes de cryptage Enigma aux machines anglaises de décryptage Colossus. Aujourd’hui la polémique qui s’est déployée autour du réseau Echelon – susceptible d’ouvrir sur « une surveillance planétaire » à en croire le titre français du rapport de D. Campbell – montre comment le rapport à l’information, et en tout premier lieu à travers la recherche systématique d’accès aux infrastructures de communication, instaure de facto un puissant effet frontière entre ceux qui participent au système de surveillance et ceux qui en sont victimes. Les pays européens – hormis l’Angleterre – se sentent singulièrement pris au dépourvu face à un outil de plus en plus utilisé à des fins économiques (cf. le chapitre 5 du rapport de D. Campbell). Où Ton voit clairement se dessiner le double mouvement : à la fois d’abaissement de la frontière comme mur censé assurer l’opacité – au détriment de l’Europe –, et la réactivation de la fonction-frontière par la maîtrise du processus d’acquisition et de traitement de l’information (au bénéfice de l’UKUSA, alliance nouée au sortir de la seconde guerre mondiale entre la Grande-Bretagne – UK – et les États-Unis – USA).
78L’aptitude des TIC à simuler la fonction-frontière dépasse cependant largement la seule application aux douanes ou à l’espionnage. Car, dès lors que des TIC fonctionnent quelque part, non seulement il devient possible de leur faire sciemment jouer le rôle de frontière, mais elles font frontière par leur seule présence.
79En effet, les analyses de S. Zuboff et de D. Lyon l’ont souligné, les TIC constituent d’excellents outils de surveillance et de tri, de sélection. On peut toujours les utiliser pour identifier quelqu’un ou pour le doter d’un « badge » qui crée une différence et marque l’appartenance. En ce cas elles remplissent une mission traditionnelle de barrière à l’entrée d’un espace quelconque – le procédé, remarquons-le, pourrait théoriquement être employé non seulement dans le cadre d’organisations, mais également à l’échelle d’un pays : l’informatisation de la carte d’identité -dites aujourd’hui « sécurisée » par le Ministère de l’intérieur français – ne risque-t-elle pas de nous engager sur une telle ligne de pente55 ?
80Plus subtile, la vidéo-surveillance substitue à ce gardiennage des limites, un balayage de l’espace lui-même : logique panoptique (quoique souvent insue) du regard généralisé dont on ne sait pas qui il surveille à un moment donné, logique de l’incertitude qui devrait inciter chacun à se croire toujours pris à son piège – effet dissuasif donc56.
81Tout recours gestionnaire à l’informatique, par les classements et les tris qu’il emporte, ne tend-il pas également à tracer d’invisibles frontières en instaurant des classes d’appartenances différentielles auxquelles les individus ne s’identifient peut-être pas spontanément. Lorsqu’une société de renseignement financier (aux États-Unis notamment57) étiquette quelqu’un de mauvais payeur et lui ferme par là même tout accès au crédit, ne crée-t-elle pas une frontière à l’intérieur même de la société, n’instaure-t-elle pas un nouvel octroi sélectif et ciblé ? Le développement d’un marketing de bases de données géographiques/cartographiques ne se traduit-il pas par l’entérinement et le renforcement d’une segmentation spatiale de la consommation, comme par le ciblage d’un consommateur auquel on ne propose plus que ce qu’il est censé vouloir en fonction de son profil58 ? Le moindre DAB n’exige-t-il pas de tout usager une carte dont la délivrance (et le renouvellement) requiert de répondre à des critères de solvabilité et au-delà d’emploi ou de domicile ? Petits effets frontière peut-être, mais bien réels.
82Ainsi la fonction-frontière n’est-elle plus seulement renvoyée aux pourtours d’un État-nation, bien identifiée par cette position même. Elle ensemence l’espace social en son entier. Distribuée, disséminée, elle affecte quasiment n’importe qui, n’importe où, n’importe quand. Et ses « douaniers » ne relèvent que rarement de l’administration et donc de l’exercice officiel d’une prérogative politique.
83Pour autant, une société complexe comme la nôtre peut-elle faire l’économie d’une gestion dense qui, inévitablement, s’appuie sur ces outils, les TIC, qui produisent contrôles et coordinations ? Or, si les effets « sociaux » semblent plutôt renvoyer au contrôle (social), l’ensemble de ces applications (de Schengen aux DAB) renforcent également considérablement la coordination : entre polices nationales, entre surveillants, entre banquiers, entre banques et commerçants etc. Il s’agit donc bien d’une fonction frontière complète, alliant contrôle et coordination.
Virtualisation
84Celle-ci joue en fait un double jeu : elle semble frapper d’abord la frontière, mais nous allons voir qu’elle travaille ou plutôt réinterroge (analyse ?) de manière tout à fait privilégiée notre compréhension des TIC et de l’« espace » qu’ouvrent leurs réseaux (le « cyberespace »). Où la question portant sur la frontière fait retour sur notre intelligence des TIC elles-mêmes. Pour mieux comprendre ce mouvement, il convient de revenir au modèle de la frontière et de le rapporter aux TIC.
85En effet, les TIC ne sont plus seulement localisées, outil « au service de ». Elles définissent désormais un monde propre – celui qu’il est maintenant convenu d’appeler le cyberespace. Or, ce dernier, par sa « présence » même (à la fois infrastructurelle et logicielle) fait frontière par rapport à son environnement : la « loi » de l’un n’est pas celle de l’autre, l’accessibilité de ce cyberespace reste conditionnelle, c’est-à-dire conditionnée et conditionnante (relative donc au capital culturel, à la capacité du milieu à procurer des sollicitations, au rapport à la technique, à la disponibilité d’un emploi, d’argent, etc.). Ainsi, s’il casse la logique « verticale » de la frontière nationale, il introduit une nouvelle différenciation, « horizontale » si l’on veut, une nouvelle frontière, économique et culturelle. Mais là n’est pas l’essentiel à nos yeux. Car ce qui retient de manière privilégiée notre attention ici concerne d’abord cet espace lui-même, ses propriétés internes, les possibles sur lesquels il ouvre et qu’il (qui l’) engendre.
86Parce que les TIC sont des technologies susceptibles de simuler la fonction frontière, alors l’avènement du cyberespace se traduit par un gonflement de la membrane, c’est-à-dire par une généralisation théorique, potentielle de la fonction frontière. Où nous retrouvons une nouvelle fois la logique de la dissuasion : le cyberespace ouvre la possibilité d’une irruption de la fonction frontière n’importe « où », n’importe quand, promue par n’importe qui (c’est-à-dire – et nous y reviendrons, car ce point est essentiel – par des instances autres que politique et/ou étatique).
87Le cyberespace ne constitue donc en rien un espace homogène. Par là même règnent en son sein des « lois d’évolution » différentes, au voisinage desquelles ne peuvent manquer de se dessiner, de se dresser des frontières. Tout aussi bien, l’existence de « concentrations » (telles que les banques de données par exemple) ne peut qu’ouvrir la possibilité de l’érection de frontières. Plus généralement, tous les processus de visibilisation différentiels entraînent des effets de segmentation (et réciproquement) qui tracent par leur existence même des frontières (cf. les portails par exemple).
88Le cyberespace implique par définition la digitalisation et les codages, donc la possibilité du développement de cryptages59. Or, cette technique ne se réduit pas à un outil de protection des libertés individuelles comme veulent le faire croire certains militants américains60, c’est également un instrument qui relève lui aussi d’une logique de la différence, productrice d’effets frontières.
89Enfin, parce que les TIC sont des techniques de flux contrôlés et coordonnés qui ouvrent toujours la possibilité du contrôle et de la coordination de flux, le cyberespace pourra toujours lever octrois et barrières. Non pas qu’il soit d’emblée transparent à lui-même, mais parce qu’aujourd’hui la complexité croissante d’Internet par exemple amène ses utilisateurs commerciaux à engager de lourdes enquêtes marketing de connaissance de ses usagers61. Internet rend en effet ce travail facilement réalisable – même s’il reste coûteux. Plus une certaine culture « libertarienne » s’estompera et plus cette connaissance, cette transparence marketing deviendra non seulement légitime, mais surtout indispensable.
90Le cyberespace et la généralisation des TIC emportent avec eux une conséquence décisive : non pas tant – comme on aime à le répéter – l’abolition des frontières, que la relativisation/disqualification de la notion de frontière comme prérogative politique. La frontière peut en effet s’épanouir sur le cyberespace peut-être plus qu’ailleurs encore. En tout cas il n’en va d’aucune incompatibilité a priori. Elle se substitue ainsi à l’ancienne frontière politique, et singulièrement au modèle national consacré par le xixe siècle. Or, l’élaboration de cette nouvelle frontière relève aussi, voire surtout d’instances privées. Ce qui est donc en jeu, ce n’est pas seulement l’effacement des frontières politiques – déjà bien mises à mal par le libre-échange économique – mais l’effacement de la reconnaissance de la frontière comme réalité explicitement politique.
91Le cyberespace ne dessine pas un espace sans frontières, mais un espace où la frontière se détache de la légitimité de l’instance politique, un espace donc du glissement de prérogatives exercées jusqu’ici par l’administration et la représentation nationale vers des instances privées. Il serait donc faux de conclure de la suspension des frontières nationales à celle de la fonction-frontière. Les TIC abolissent peut-être les premières, mais conservent tout aussi bien, voire stimulent, la seconde. Ce que l’idéologie de la communication vise justement à masquer.
92L’idée d’une propriété intrinsèque des TIC à nier, effacer, supprimer (etc.) les frontières, constitue un effet (et une composante) de cette stratégie discursive que nous appelons à la suite de P. Breton l’idéologie de la communication62. Un effet singulièrement pervers quant à la possibilité de penser ces TIC dans leur complexité. Car cette idéologie les mutile : que les TIC jouent le flux, nous le nions d’autant moins que nous avons essayé de montrer qu’elles soutiennent et réordonnent les processus de coordination. Pour autant il nous semble par trop réducteur de les limiter à cette seule fonction. C’est pourquoi, sur cet exemple singulièrement significatif de la frontière, nous avons tenté de réhabiliter leur aptitude – au moins aussi « intrinsèque et fondamentale »– au contrôle.
93L’idéologie de la communication relève d’une logique discursive de la négation : négation du conflit, comme l’a souligné P. Breton63, de la critique, comme l’a remarqué E. Neveu64, des risques comme nous le montrons au chapitre 4 et des frontières politiques. Il faut y lire une négation plus globale du politique.
94La frontière tend à devenir un refoulé parce que l’idéologie de la communication travaille à en produire une représentation péjorative : la frontière désormais inquiète, elle est moins perçue comme une « porte » (ouverture/fermeture) que comme un instrument de compartimentage et de repli. Or, sans abuser de la métaphore biologique, ne faut-il pas néanmoins une « peau »– à tout le moins quelque chose de fonctionnellement équivalent – à toute existence ? La peau ne constitue-t-elle pas une frontière à l’abri de laquelle l’être biologique peut exister pour soi, sans pour autant le couper du monde ? Ne représente-t-elle pas au contraire un riche outil d’échange et de relation
95– quoi que peut-être trop facilement déprécié dans une civilisation qui privilégie l’œil65 ? L’idéologie de la communication produit ainsi une double imposture : laisser croire que la frontière serait d’emblée négative ; faire croire (donc) que le cyberespace (connoté positivement) ne peut entretenir qu’une relation d’incompatibilité avec elle. Or, la fonction-frontière est essentielle, même dans la vie sociale. C’est pourquoi le cyberespace sera – est déjà – inévitablement doté de frontières... et toutes ne seront pas disqualifiantes ou inquiétantes.
96La frontière ne doit plus être rapportée à une carte politique – ou du moins explicitement politique. Car le cyberespace ne propose pas tant la suppression des frontières que le dessin d’une nouvelle carte où celles-ci n’acquièrent visibilité que pour un observateur doté des outils cognitifs susceptibles de neutraliser les effets de l’idéologie de la communication. Car, à en croire cette dernière, les anciennes cartes – étiquetées comme politiques – sont couvertes d’un réseau dense de frontières, alors que le cyberespace en serait vierge – comme d’étiquette politique d’ailleurs. Or, en changeant « de lunettes » il devient clair que ce cyberespace est (et sera) également strié de frontières – d’autres frontières peut-être, mais des frontières tout de même – qui, à ne pas être gardées par des autorités politiques n’en exercent pas moins une véritable fonction politique.
97Au total, l’idéologie de la communication effectue un double travail (ou, si l’on préfère, il y a idéologie de la communication lorsque l’on constate ce double travail) :
affirmer l’incompatibilité a priori du cyberespace et de la frontière ;
camoufler, masquer le glissement d’un certain nombre de prérogatives politiques dédiées à l’État vers des instances qui ne relèvent pas du contrôle de la représentation nationale – dont celle de « faire frontière »66.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
Aron, Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1961.
Bakis, Henry, Géopolitique de l’information, Paris, PUF, 1987.
Barlow, John Perry (1992-1993), « Vendre du vin sans les bouteilles : l’économie de l’esprit dans le réseau global », in Libres enfants du savoir numérique, Perreux, L’éclat, 2000.
10.4000/books.pub.31706 :Baudry, Patrick, Sorbets, Claude et Vitalis, André, La vie privée à l’heure des médias, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2002.
Beniger, James, The control révolution, Massachusetts, Harvard University Press, 1986.
—, « Conceptualizing information technology as organization and vice-versa », in Fulk, J. et Steinfields, C., Organization and communication technology, Sage, 1990.
10.3917/dec.breto.2012.01 :Breton, Philippe et Proulx, Serge, L’explosion de la communication, Paris-Montréal, La Découverte/Boréal, 1989.
10.3917/dec.breto.2004.01 :Breton, Philippe, L’utopie de la communication, Paris, La Découverte, 1992.
Brunet, Roger, (dir.), Mondes nouveaux, Paris, Reclus/Hachette, 1990.
Campbell, Duncan, Surveillance électronique planétaire, Paris, Allia, 2001.
castells, Manuel, La société en réseaux (t. 1), Le pouvoir de l’identité (t. 2) et Fin de millénaire (t. 3), Paris, Fayard, 1998-1999.
Chamoux, Jean-Pierre, Information sans frontières, Paris, La Documentation française, 1980.
Chandler, Alfred, La main visible des managers, Paris, Economica, 1988.
Clinquart, Jean, « Les douanes de l’Ancien Régime à l’Union Européenne », in Cahiers de la sécurité intérieure, n° 19, Paris, Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure, 1995.
CREIS, Société de l’information, société du contrôle ?, Treizième colloque, Paris, Juin 2004.
Dagognet, François, Le nombre et le lieu, Paris, Vrin, 1984.
De Certeau, Michel, L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1990.
Dictionnaire juridique des Communautés Européennes, Paris, PUF, 1993.
dupuy, Gabriel, Internet, géographie d’un réseau, Paris, Ellipse, 2002.
Fogel, Michèle, Les cérémonies de l’information, Paris, Fayard, 1989.
Foucher, Michel, Fronts et frontières, un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1988.
Guisnel, Jean, Guerres dans le cyberespace, Paris, La Découverte, 1995.
Jacob, Christian, L’empire des cartes, Paris, Albin Michel, 1992.
Lacoste, Yves, (dir.), Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1993.
Latour, Bruno, La science en action, Paris, La Découverte, 1989.
Le Moigne, Jean-louis, La théorie du système général, Paris, PUF, 1984.
Lyon, David, The electronic eye, Cambridge, Polity Press, 1994.
Lyon, David et Hier, Sean (eds), « International perspectives on surveillance : technology and management of risk », International Sociology, vol. 19, n° 2, june 2004, London.
Masson, Paul, « Les accord de Schengen, du mythe aux réalités », Cahiers de la sécurité intérieure, n° 19, Paris, Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure, 1995.
Mattelart, Armand, La communication-monde, Paris, La Découverte, 1992.
Neveu, Erik, Une société de communication, Paris, Montchrestien, 1994.
Nordman, Daniel, « Des limites d’Etat aux frontières nationales », in Les lieux de mémoire, II – La Nation, Paris, Gallimard, 1986.
OCDE, Un monde sans frontières, concrétiser le potentiel du commerce électronique, Paris, OCDE, 1998.
Raffestin, Claude et Guichonnet, Paul, Géographie des frontières, Paris, PUF, 1974.
Raffestin, Claude, « Frontières », in Cartes et figures de la Terre, Paris, Centre Pompidou, 1980, p. 412-421.
Revel, Jacques et Nordman, Daniel, Histoire de la France, l’espace français, Paris, Le Seuil, 1989.
Robert, Pascal, « La carte d’identité informatisée au miroir de la presse quotidienne nationale (1980-1994) », Communication et langages, n° 106, Paris, Retz, 1995.
Sandoval, Victor, Les autoroutes de l’information, mythes et réalités, Paris, Hermès, 1995.
Smith, Anthony, The geopolitics of information, London, Faber and Faber.
Serres, Michel, Atlas, Paris, Julliard, 1994.
—, Les cinq sens, Paris, Grasset, 1985.
—, Rome, le livre des fondations, Paris, Grasset, 1983.
Vialla, Jean-Luc, « Le métier de douanier et le marché unique », Cahiers de la sécurité intérieure, n° 19, Paris, Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure, 1995.
Virilio, Paul, Vitesse et politique, Paris, Galilée, 1977.
Vitalis, André, « Citoyenneté et usage des médias », Terminal, n° 65, Paris, L’Harmattan, 1994.
Wackermann Gabriel, Les frontières dans un monde en mouvement, Paris, Ellipse, 2003.
Weissberg, Jean-Louis, Présences à distances, Paris, L’Harmattan, 1999.
Yates, Joanne et Benjamin, Robert, « Le passé et le présent, fenêtre ouverte sur le futur », in Morton, Michael, L’entreprise compétitive au futur, Paris, Les Éditions d’Organisation, 1995.
Zuboff, Shoshana, In the âge of the Smart machine, London, Heinemann, 1988.
Notes de bas de page
1 Jean-Pierre Chamoux, Information sans frontières, Paris, La Documentation française, 1980.
2 John Perry Barlow, « Vendre du vin sans les bouteilles : l’économie de l’esprit dans le réseau global », in Libres enfants du savoir numérique, Perreux, L’éclat, 2000. OCDE, Un monde sans frontières, concrétiser le potentiel du commerce électronique, Paris, 1998.
3 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1961.
4 Claude Raffestin et Paul Guichonnet, Géographie des frontières, Paris, PUF, 1974.
5 Claude Raffestin, « Frontières », in Cartes et figures de la terre, Paris, Centre Pompidou, 1980, p. 412-421.
6 Roland Barthes, La chambre claire, Cahiers du cinéma, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1980.
7 Gabriel Wackermann, Les frontières dans un monde en mouvement, Paris, Ellipse, 2003.
8 Michel Foucher, Fronts et frontières, un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1988.
9 Yves Lacoste (dir.), Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1993.
10 Roger Brunet (dir.), Mondes nouveaux, Paris, Reclus/Hachette, 1990.
11 Cf. op. cit., partie 1, chap. 16.
12 Cf. op. cit., partie 2, chap. 12 et 13.
13 Henry Bakis, Géopolitique de l’information, Paris, PUF, 1987.
14 Anthony Smith, The geopolitics of information, London, Faber and Faber.
15 Armand Mattelart, La communication-monde, Paris, La Découverte, 1992.
16 Manuel Castells, La société en réseaux (t. 1), Le pouvoir de l’identité (t. 2) et Fin de millénaire (t. 3), Paris, Fayard, 1998-1999.
17 Gabriel Dupuy, Internet, géographie d’un réseau, Paris, Ellipse, 2002.
18 Jean-Louis Le Moigne, La théorie du système général, Paris, PUF, 1984.
19 Sur les références théoriques qui suivent, cf. Le Moigne, op. cit., p. 242-243.
20 « K. Berrien [...] introduit [l’]idée [...] d’une reconnaissance de la frontière par la différence de densité dans les nœuds du réseau des interactions : forte, elle suggère l’intérieur du système ; faible son environnement [...]. » Thèse qui n’emporte pas la conviction : appuyée sur l’exemple des réseaux de transports, elle réifie une situation politique – l’orientation des voies vers un centre par exemple – et tend à minimiser le travail de la frontière.
21 V. Sandoval définit ainsi l’interopérabilité : elle « [...] consiste à véhiculer la même information de bout en bout, avec des matériels et des débits quelquefois différents, mais sans qu’il y ait de dégradation [de l’information]. [...] Cela veut dire que l’on peut avoir des réseaux interconnectés mais pas forcément interopérables » (p. 107) ; cf. Victor Sandoval, Les autoroutes de l’information, mythes et réalités, Hermès, Paris, 1995.
22 François Dagognet, Le nombre et le lieu, Paris, Vrin, 1984, p. 115.
23 Bruno Latour, La science en action, Paris, La Découverte, 1989, chap. 6.
24 Michel Serres, Atlas, Paris, Julliard, 1994, p. 43.
25 Cf. op. cit., Latour et Dagognet.
26 Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1990, p. 180.
27 Sur publicité, État et histoire, cf. Michèle Fogel, Les cérémonies de l’information, Paris, Fayard, 1989.
28 Christian Jacob, L’empire des cartes, Paris, Albin Michel, 1992.
29 Daniel Nordman, « Des limites d’État aux frontières nationales », in Les lieux de mémoire, II, La Nation, Paris, Gallimard, 1986.
30 Sur la notion d’ensemencement, cf. Michel Serres, Rome, le livre des fondations, Paris, Grasset, 1983 ; « Ensemencement : les sites de géographie ne sont pas soumis à des raisons simples », p. 11.
31 Jacques Revel et Daniel Nordman, Histoire de France, l’espace français, Paris, Le Seuil, 1989, p. 61.
32 Op. cit., p. 63.
33 Jean Clinquart, « Les douanes de l’Ancien Régime à l’Union Européenne », Cahiers de la sécurité intérieure, n° 19, Paris, Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure (IHESI), 1995.
34 Cf. Revel et Nordman, op. cit., p. 66.
35 Cf. Revel et Nordman, op. cit., p. 97.
36 Cf. Revel et Nordman, op. cit., p. 100.
37 Cf. Revel et Nordman, op. cit., p. 104-105.
38 Cf. Revel et Nordman, op. cit., p. 104.
39 Cf. Revel et Nordman, op. cit., p. 109.
40 « Il m’est arrivé de voir des enfants bien nés, rencontrant par hasard une carte [...] la décrire aussitôt en ses grandes divisions avec leur règle, [...] c’est-à-dire en repasser les frontières [etc.] », in Revel et Nordman, op. cit., p. 108.
41 James Beniger, The Control Révolution, Massachusetts, Harvard University Press, 1986.
42 Shoshana Zuboff, In the Age of the Smart Machine, London, Heinemann, 1988.
43 David Lyon, The electronic Eye, Cambridge, Polity Press, 1994.
44 Paul Virilio, Vitesse et politique, Paris, Galilée, 1977, p. 46.
45 Alfred Chandler, La main visible des managers, Paris, Economica, 1988.
46 Joanne Yates et Robert Benjamin, « Le passé et le présent, fenêtre ouverte sur le futur », in Michael Morton, L’entreprise compétitive au futur, Paris, Les Éditions d’Organisation, 1995.
47 Cf. James Beniger, « Conceptualizing Information Technology as Organization and vice-versa », in J. Fulk et C. Steinfields, Organization and Communication Technology, Sage, 1990.
48 Jean-Luc Vialla, « Le métier de douanier et le marché unique », Cahiers de la sécurité intérieure, n° 19, Paris, IHESI, 1995, p. 86.
49 Vialla, op. cit., p. 87.
50 Paul Masson, « Les accords de Schengen, du mythe aux réalités », Cahiers de la sécurité intérieure, n° 19, Paris, IHESI, 1995, p. 110-111.
51 Cf. Dictionnaire juridique des Communautés européennes, Paris, PUF, 1993.
52 Cf. Masson, op. cit., p. 111.
53 Cf. Clinquart, op. cit., p. 80.
54 Cf. Duncan Campbell, Surveillance électronique planétaire, Paris, Allia, 2001.
55 Une carte d’identité informatisée dont on ne s’inquiète plus guère des effets sur les libertés, cf. Pascal Robert, « La carte d’identité informatisée au miroir de la presse quotidienne nationale (1980-1994) », Communication et langages, n° 106, Paris, 1995.
56 Cf. Patrick Baudry, Claude Sorbets, André Vitalis, La vie privée à l’heure des médias, Presses Universitaires de Bordeaux, 2002 et CREIS, Société de l’information, société du contrôle ?, Treizième colloque, Paris, juin 2004.
57 Cf. deux exemples significatifs (TRW et Shufa) à un peu plus d’une décennie d’intervalle, in Albert Bressand, Albert et Catherine Distler, La planète relationnelle, Paris, Flammarion, 1995 ; Bruno Lussato, Le défi informatique, Paris, Fayard, 1981.
58 Cf. André Vitalis, « Citoyenneté et usage des médias », Terminal, n° 65, Paris, L’Harmattan, 1994.
59 Cf. Jean Guisnel, Guerres dans le cyberespace, Paris, La Découverte, 1995.
60 Cf. Barlow, op. cit., p. 122.
61 Cf. par exemple Jean-Louis Weissberg, Présences à distances, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 119 et 126.
62 Cf. Philippe Breton et Serge Proulx, L’explosion de la communication, Paris-Montréal, La Découverte/Boréal, 1989.
63 Cf. Philippe Breton, L’utopie de la communication, Paris, La Découverte, 1992.
64 Cf. Erik Neveu, Une société de communication, Paris, Montchrestien, 1994.
65 Pour une réhabilitation des autres sens, cf. Michel Serres, Les cinq sens, Paris, Grasset, 1985.
66 Ce chapitre constitue la version révisée et augmentée d’un article intitulé « Technologies de l’information sans frontières ? la fonction-frontière à l’épreuve des technologies de l’information et de la communication », TIS, vol. 8, n° 3, Paris, Dunod, 1996.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Des usages aux pratiques : le Web a-t-il un sens ?
Pierre-Michel Riccio, Geneviève Vidal et Roger Bautier (dir.)
2016
Espaces communs de communication de connaissances : E3C
des espaces partagés de communication au partage des connaissances
Serge Agostinelli et Marielle Metge
2008