12 Le terme « littérature » est entendu ici au sens premier : à savoir, un ensemble de connaissances sur un sujet donné. La notion littéraire du terme littérature, si elle peut flatter les auteurs d’ouvrages de management, ne saurait être prise dans le contexte de ce travail qu’au second degré.
13 Voir notamment la revue CFDT Aujourd’hui.
14 La diffusion du modèle économique américain et la fascination qu’il provoque chez les cadres européens ne datent pas des années 80, puisque, comme l’explique Boltanski (1982 : 155-236), le plan Marshall comprenait déjà des interventions d’experts américains en France sur le thème de la productivité. Il s’agissait déjà de transformer l’état d’esprit des chefs d’entreprise du Vieux continent, d’exporter un autre modèle d’organisation. Dans les années 50, sont créés en France, l’École d’organisation scientifique du travail et, outre-Atlantique, les business-school.
15 L’exemple de la société Majorette semble deux décennies plus tard mal choisi, puisqu’elle a fait faillite en 1992 comme l’explique ce texte issu du site Internet d’idéal Loisirs, qui l’a rachetée : « Restructurée, et gérée pour sa commercialisation en France par Majorette Distribution SA, Solido SA adopte de nouvelles méthodes, avec une rentabilisation maximale des investissements par diminution des coûts de fabrication. Les effectifs sont réduits ; le nombre d’employés sur le site d’Oulins tombe à une centaine seulement, mais la sous-traitance s’accroît (l’assemblage se fait dans des prisons). [...] 1986-1992 : [...] Apres une formidable phase de croissance (doublement du capital et acquisition d’une usine délocalisée en Thaïlande en 1988), la société Majorette SA se retrouve en faillite. Déclarée en cessation de paiement et mise en redressement judiciaire le 26/11/1992, elle est rachetée par le groupe Idéal Loisirs (38, rue Léon à Paris). On constate alors juridiquement la cessation d’activité le 01/05/1993 de la Solido SA, suite à un plan de cession à la "Société Nouvelle Solido”, immatriculée à Dreux le 20/07/93 et commercialisée par la SN Majodis (Rillieux-la-Pape) à compter du 25/01/1994. »
16 Le succès et la différence sont les deux critères indispensables auxquels doivent répondre les entreprises qui figurent dans un [des] « catalogue[s] d’exemples illustrant la façon dont l’excellence est pratiquée et célébrée » (Peters, Austin, 1985 : 95).
17 Une bonne santé financière en tout cas au moment où les auteurs publient leur ouvrage dans les années 80. Car, depuis, certaines ont connu des difficultés, d’autres ont fait faillite, contraignant des éditeurs à nuancer leurs propos dans leur réédition. C’est le cas notamment pour Inter Éditions, qui précise dans son catalogue pour la réédition 1999 du Prix de l’Excellence : « Si certaines des entreprises présentées en exemple n’ont pas tenu leurs promesses, l’analyse des fondements de la réussite, les idées de bon sens et la simplicité du texte demeurent totalement actuelles et font de ce texte l’un des livres de base pour la formation-action. »
18 Cet engouement pour « l’observation participante » n’est pas sans rappeler ce que Laurent Bazin appelle les « effets ethnographiques » (2001 : 122- 123) et les pratiques descriptives, dénuées de postures critiques, qui en découlent.
19 « [...] Les références religieuses côtoient allègrement la biologie, l’ethnologie, la sociologie, les découvertes sur le cerveau » (Le Goff, 1992 : 91).
20 « Dans l’univers du management, la psychologie est la reine des sciences » (Villette, 1988 : 136).
21 « La connaissance et l’utilisation de la PNL [programmation neurolinguistique] permettraient probablement d’éviter des révolutions, des grèves » (Chaigneau, Périgord, 1990 : 251).
La programmation neuro-linguistique est « un ensemble de modèles descriptifs des structures de la subjectivité de l’expérience humaine. C’est en fait une nouvelle approche du comportement et du psychisme humain, synthèse pragmatique de différentes théories et courants de pensées. Elle se situe au carrefour de la psychologie, des neurosciences, de l’anthropologie, de la cybernétique et de l’intelligence artificielle » (définition issue du site Internet de l’institut de formation PNL). La PNL, technique de manipulation, est pratiquée par l’entremise d’organismes de formation au management par de nombreuses sectes (Avatar, l’Église de scientologie) référencées comme telles par le rapport parlementaire sur les sectes de janvier 1996.
22 Pour Alain Etchegoyen, les pratiques irrationnelles dans l’entreprise fondent une légitimité fantasmatique, dont la raison ne peut rendre compte : « astrologie = être né sous la bonne étoile ; numérologie = avoir tiré le bon numéro ; morphopsychologie = avoir la gueule de l’emploi » (1990 : 205).
23 Voir les travaux d’Easton (1965). L’application de la systémique aux organisations s’est véritablement traduite dans le best-seller de March et Simon (1991).
24 « Grâce à ce recueil de citations, les plus grands noms de la philosophie, de la littérature, des arts seront mis au service de votre vie professionnelle. Cocteau, Aristote, Freud, Camus, Shakespeare, Montesquieu, Prévert et bien d’autres encore viendront ainsi agrémenter vos discours ou vos rapports [...] ou viendront simplement renforcer votre philosophie de la vie dans tous ses contextes. Un classement thématique recouvre l’ensemble des problématiques du management, facilite une utilisation appropriée [...]. Un puits de références à retenir sans modération, mais à employer avec pertinence. » Ainsi se présente l’ouvrage dans le catalogue de l’éditeur. Dans le même registre, est publié AELION (F), Manager en toutes lettres : Guide d’action et de culture, chez le même éditeur en 1995. Il est décrit comme « la base d’une réelle culture managériale et concilie la sagesse des meilleurs penseurs de toujours avec l’applicabilité immédiate au quotidien par des exemples concrets en entreprise ».
25 « Le mot Kaizen signifie [...] une “amélioration continue” englobant tout le monde, des dirigeants aux ouvriers. La philosophie Kaizen repose sur cette présomption que toute notre façon de vivre – notre vie professionnelle aussi bien que notre vie familiale – mérite d’être constamment améliorée », (Imai, 1989 : 3.
26 Par exemple, Octave Gélinier intitule un chapitre de son ouvrage « le nouveau concept de hiérarchie » (1982 : 115).
27 Grand poncif du discours managérial, la culture d’entreprise est définie comme les « caractéristiques internes de l’entreprise qui l’unifient dans ses pratiques et la distinguent des autres entreprises » (Bartoli, Hermel, 1986 : 244) ou encore comme le produit « de tout groupe humain ayant une communauté d’objectifi » (Crozier, 1989 : 51).
28 « [...] la culture d’entreprise [qui] n’est rien d’autre que la quasi magique communion de tous, patrons et ouvriers, dirigeants et dirigés, en un même et enthousiaste mouvement de support de l’entreprise et de ses objectifs » (Aktouf, 1990 : 553-557).
29 Ainsi Eric Minnaërt, ethnologue, et Luc Chelly distinguent « la culture de l’entreprise pensée par les dirigeants de celle des salariés, forgée par [leurs] parcours professionnels et personnels » (1998 : 25). Véronique Chesneaux, qui se désigne comme une « socio-anthropologue », semble piégée par le discours managérial, puisqu’elle en emprunte ses catégories, sans même s’en rendre compte : « [...] consciente de l’importance de la culture d’entreprise, Disney a érigé une “philosophie" arc-boutée autour de valeurs-clés : la prise de risque, la qualité, l’innovation, l’écologie et la courtoisie » (1997 : 89).
30 Pour Nicolas Flamant, « l’entreprise pose encore problème aux anthropologues par la propension de ses théories sociales à assimiler des éléments extérieurs, issus notamment de la psychologie et des sciences sociales, et de les configurer dans leur perspective finalisée » (2002 : 17). Il semblerait, au contraire, que le discours managérial (« les théories sociales de l’entreprise ») feigne de les assimiler, en en adoptant grossièrement les signes extérieurs, mais sans jamais les intégrer.
31 Ce que dit Taylor de sa méthode, exposé fait par Frederick W. Taylor devant une commission d’enquête, (1927 : 5). En effet, le Parlement américain nomma une commission d’enquête pour déterminer si l’emploi des méthodes d’organisation scientifique devait être ou non permis dans les services d’État. Taylor comparut entre le 25 et le 30 janvier 1912.
32 « Le choix taylorien – fondé sur une conception mécaniste de l’entreprise, une répartition compartimentée des fonctions, une atomisation du travailen tâches – a, pendant des décennies, confisqué pour une large part l’intelligence des travailleurs, cantonnés dans la seule exécution exacte des tâches prédéfinies qui leur étaient imparties [...]. » (Archier, Sérieyx, 1986 : 35) ; « L’entreprise taylorienne [...] coordonnait de façon anonyme des pions humains dans un milieu peu développé », (Gélinier, 1982 : 71). Chaque ouvrage de management publié dans les années 80, s’attache à critiquer les travaux de Taylor, ou plus exactement l’application présumée de sa méthode.
33 Également définie comme la « caractéristique de l’entreprise qui réagit vite et positivement aux stimuli externes et internes » (Bartoli, Hermel, 1986 : 244).
34 « Il s’agit désormais de considérer que les principales ressources stratégiques sont dans l’entreprise, dans ses hommes et dans ses femmes. La créativité et la capacité d’innovation individuelle ou collective peuvent aussi devenir des facteurs privilégiés dans la démarche stratégique d’adaptation et de planification » (Bartoli, Hermel, 1986 : 35).
35 « Kaizen est une approche humaniste, car il compte sur la participation de chacun, oui, de chacun. Il est basé sur la croyance que chaque être humain peut contribuer à améliorer le lieu où il travaille, où il passe un tiers de son existence » (Imai, 1989 : 209).
36 « Les entreprises sont prisonnières de rigidités nombreuses autant internes qu’externes » (Archier, Sérieyx, 1984 : 19).
37 Ces auteurs ont fait partie de l’Association française pour les cercles de qualité, créée en mai 1981, qui a compté au plus fort de son existence quelque 20 000 adhérents, avant de faire faillite et d’intégrer le chapitre de la préhistoire managériale.
38 « En somme, si le système de valeurs de l’entreprise fait une place normale à la concertation pour l’intérêt commun, les oppositions fléchiront et les propositions réellement valables sont acceptées en souplesse, sans qu’il y ait eu conflit ouvert, et sans que la direction ait eu à intervenir par un jugement tranchant » (Gélinier, 1982 : 196).
39 Voir les titres des « Leçons classiques du management » (Duncan, 1990 : 213-225).
40 Principe n° 46. « Cette perte de temps résulte de deux causes : en premier lieu, de l’instinct naturel et de la tendance des ouvriers à prendre leurs aises, ce qu’on peut appeler la flânerie naturelle ; en second lieu, d’idées et de raisonnements plus ou moins confus issus de leurs rapports avec les autres ouvriers, ce qu’on peut appeler la flânerie systématique. » (Taylor, 1990 : 40)
41 Principe n° 154 : « [...] Tous les ordres doivent être donnés aux ouvriers en détail et par écrit, et, afin de fixer la besogne de la journée suivante et d’organiser la marche complète des travaux de l’atelier, les agents de service de répartition [du travail] doivent recevoir des ouvriers des rapports journaliers indiquant exactement ce qui a été fait » (Taylor, 1990 : 58).
42 Principe n° 242 : « Les rédacteurs de fiches d’instructions. – Comme son nom l’indique, la fiche d’instructions est le moyen principal employé par le service de répartition du travail pour renseigner les agents d’exécution, comme les ouvriers, sur tous les détails de leur tâche » (Taylor, 1990 : 79).
43 Kim Woo-Chong, président du groupe Daewoo, avait dévoilé ses méthodes de management dans un livre, traduit en français en 1995 sous le titre Entrepreneur d’élite : tous les chemins sont pavés d’or, Éd. Presses du Management, et épuisé. Entre-temps, l’industriel coréen a procédé à des restructurations : « Alors que Daewoo annonce un plan de licenciement de 6 884 emplois, l’ex-P-DG de la firme est en cavale accusé de détournements de fonds. », « Les travailleurs coréens à l’assaut du dragon », in Le Monde Diplomatique, février 1997. Voir aussi « Daewoo se résout à céder 19 de ses 25 filiales », in Les Echos, 17 août 1999.
44 « Une de nos anecdotes préférées, qui confirme l’analyse de Fortune, c’est l’histoire de l’ouvrier japonais qui, en rentrant chez lui tous les soirs, redresse les essuie-glace sur toutes les Honda qu’il rencontre. Il ne peut supporter la vision d’un défaut d’une Honda » (Peters, Waterman, 1983 : 57).
45 Pour Danièle Linhart, cette position est paradoxale : « Le double décalage qui existe dans le cours de la modernisation des entreprises entre d’une part ce qu’elles prétendent faire (une rupture avec la logique taylorienne, l’amorce d’une véritable décentralisation, la marche vers plus d’autonomie interne) et ce quelles font réellement (un approfondissement du taylorisme à travers une plus forte standardisation et intégration), entre d’autre part la place de choix quelles accordent aux exécutants dans le redéploiement interne de l’entreprise (via tous les groupes de concertation à l’initiative patronale) et le rôle qu’elles conservent dans l’activité réelle et concrète de production, rôle inchangé, toujours marqué du sceau taylorien, ce double décalage peut-il déboucher sur autre chose qu’un désarroi, un retrait des exécutants ? » (1991 : 86).