Conclusion
p. 177-181
Texte intégral
De l’ensemble d’éléments réunis dans cet ouvrage se dégagent différentes lignes de force qui constituent autant de pistes à explorer plus avant. Nous ne récuserons pas pour notre propre production l’image de la ramification d’un cheminement conceptuel délicat à mener dans des contrées encore largement inconnues. Les innovations s’y succèdent à un rythme accéléré rendant l’observation malaisée et lui faisant courir le risque de l’obsolescence à court terme1. Cette fulgurance même, signe manifeste de la vitalité qui caractérise les grandes mutations culturelles impose une prise de distance pour s’efforcer d’en estimer les effets. C’est la démarche que nous avons entreprise en centrant notre recherche sur la médiation éditoriale renouvelée dans sa classique fonction d’interface par l’émergence des technologies numériques. Ces éléments se sont construits au long d’une réflexion qui s’est constituée au fil de publications et activités pédagogiques diversifiées. En réaliser une synthèse demande à la fois que l’on se replace dans des temporalités différentes et que l’on se projette dans un devenir pour tenter d’en dégager une cohérence et une prospective. Entreprise délicate qui s’inscrit en outre dans un domaine d’investigation où le présent se doit d’être observé avec une particulière attention.
Les trois scénarios que nous suggérions dans l’introduction de ce livre se combinent manifestement et semblent se conforter à l’examen des évolutions qui s’affirment de jour en jour. L’édition est encore largement fondée sur le modèle de la diffusion imprimée à une mutation à accomplir qui seule lui permettra de se pérenniser. Des systèmes concurrentiels se mettent en place. Ils sont susceptibles de compromettre l’avenir de cette industrie qui ne doit pas se contenter de réitérer le modèle antérieur mais au contraire le dépasser. Une des issues repose sur ses professionnels qui, s’ils se placent dans une logique d’innovation peuvent ériger en expertise une compétence longuement exercée. Cela leur demandera d’accepter une nécessaire recomposition de leur rôle et la mise au point de stratégies d’alliance. Il sera au demeurant difficile d’échapper à ces dernières dans la mesure où les rôles respectifs des différents acteurs intervenant dans le domaine de l’information et de la communication sont de moins en moins nettement délimités. C’est de l’interaction consentie de ces médiateurs que pourra émerger une gestion efficace de la complexité.
Les analyses que nous avons effectuées nous amènent à suggérer plusieurs axes de recherche à approfondir. Une de ces pistes consiste à étudier de quelle manière les théories du chaos peuvent s’appliquer aux Sciences de l’Information et de la Communication et plus particulièrement à la diffusion de documents à teneur scientifique et à l’édition. Nous ne faisons qu’entrevoir pour le moment les perspectives que cela peut ouvrir en terme de gestion d’ensembles multiformes. S’il n’est ni possible ni souhaitable de faire disparaître la complexité, il est cependant envisageable de viser à une certaine maîtrise de cette dernière. Il nous paraît indubitable que cette gestion passera de toute manière par l’intervention humaine. Dès lors, toutes les procédures de médiation se trouvent prendre une importance accrue.
L’immédiateté des accès, le caractère composite des données, l’hypertextualité sont autant de qualités qui fondent la spécificité des réseaux. La forme numérique confère à l’objet éditorial une autre dimension. Il en résulte des modalités de connectivité à la connaissance qui se démarquent profondément de celles qui ont été pratiquées antérieurement et qui resteront potentielles tant que les usagers ne les auront pas authentifiées en tant que procédures de recherche valides. Une étude prospective de ces modalités en voie de construction mettra en évidence de façon plus explicite un probable effet de rétroaction sur les circuits de diffusion ainsi que sur l’organisation et la nature même des contenus. Dépassant la classique dualité entre papier et numérique, nous voyons se mettre en place une tout autre logique qui suscite une profonde remise en question des structures.
Les professionnels de l’information voient s’intensifier leur rôle de médiateur, d’aide à l’autonomie, voire à l’auto-formation. Entre les phénomènes de transfert et les ruptures novatrices dans les modèles et les pratiques, il s’agit aussi d’estimer les modalités de fondation de nouvelles fonctions et de nouveaux usages. Il est souhaitable d’approfondir l’étude de ces nouveaux usages qui d’après nos premières analyses s’organisent en une combinatoire entre reproduction et innovation. Les modes de fonctionnement issus de l’imprimé perdurent mais on voit émerger de nouvelles approches cognitives générées par les spécificités du réseau. La fonction médiatrice apparaît d’autant plus décisive que les réalisations et les stratégies reposant sur les propriétés d’Internet ouvrent un nouvel espace de savoir qui manque singulièrement de repères.
Une autre piste consiste à développer l’étude des effets que peut avoir l’édition électronique sur la diffusion de la connaissance dans le contexte international et en particulier dans les pays du sud. Ces derniers nous sont proches culturellement et linguistiquement que ce soit en Europe méridionale ou en Afrique francophone. Ainsi, sur le principe de “fertilisation croisée”, une réflexion commune permettra aussi bien d’apporter un soutien à certaines équipes du sud, que de bénéficier du regard porté par ces dernières sur le développement de la communication de l’information. Nous avons à considérer ce renouveau culturel sous son angle le plus large.
La notion de virtuel prédomine dans les évolutions que nous voyons se déployer sous nos yeux, mais ce mirage peut distancier le réel lui-même. D’ailleurs, ce dernier ne serait-il pas une simple apparence ? C’est ce que soutiennent Gaston Bachelard2 et Philippe Quéau à quelques années d’intervalle : le réel et le virtuel sont des représentations. Le réel est virtuel, il n’est pas constatable, mais est le résultat d’une relation qui n’est jamais établie. « Le réel et le virtuel ne peuvent plus être séparés : ils se complètent et s’expliquent l’un par l’autre. Ce faisant, c’est la propre image de l’homme qu’ils façonnent à nouveau, en lui rappelant son obligation de rêve, sa nécessaire échappée, son ouverture vers l’infini. »3 Deux attitudes sont possibles pour aborder l’apport du numérique. Le consommateur veut tout obtenir le plus vite possible et encourage l’immédiateté et la montée de l’in-signifiance. Le sage ou le fou... (mais dans le jaillissement créatif, le fou et le sage ne sont-ils pas frères ?) comprend que toute situation est riche et demande à être dépassée. Serons-nous assez fous pour laisser s’exprimer notre imaginaire et permettre la construction d’un nouvel humanisme ?
Notes de bas de page
1 « Avec les développements technologiques, l’obsolescence devient une figure du temps, une figure de l’usure des pratiques et des instruments » Georges BALANDIER, Exposé introductif, Colloque du CEM Médias, temporalités e t Démocratie. Bordeaux, 19-20 novembre 1998.
2 Gaston BACHELARD, Le Nouvel Esprit scientifique. op. cit.
3 Philippe QUÉAU, « La galaxie Cyber », Dossier Multimédia, Le Monde de l’Éducation n° 247 avril 1997. p. 21.
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