Chapitre II – L’information spécialisée
p. 35-45
Texte intégral
1. L’information scientifique et technique
L’expression information scientifique et technique ou I.S.T. tend de plus en plus à être remplacée par la formule Information spécialisée qui, d’évidence, n’a pas le mérite d’être plus précise. Encore fortement répandu, le terme d’IST concerne l’ensemble des éléments intervenant en amont dans la production et dans la mise en forme de l’information, puis dans les modes de diffusion et d’utilisation de celle-ci dans le domaine des sciences et des techniques. Cette conception on le voit, est large, puisqu’elle prend en compte aussi bien les sciences humaines que les sciences exactes et appliquées. Elle s’intéresse en outre à la circulation de l’information concernant ces disciplines. Nous nous situons donc résolument dans le champ de l’information de type universitaire et pour partie dans celui de l’information professionnelle.
Deux distinctions préalables nous sont ici nécessaires afin de mieux cerner le concept d’information. La première concerne la différence entre information et donnée : cette dernière notion désigne des faits à l’état brut qui, isolés n’ont aucune signification. « La donnée est une unité physique qui sert de support au sens »1. La seconde distinction s’attache aux acceptions diverses que l’on attribue au terme même d’information.
Selon les analyses d’Yves François Le Coadic2, deux sens principaux se dégagent : l’information de type opérationnel dont on a besoin en vue de l’action (c’est l’acception « journalistique » du terme) et l’information liée au désir de savoir, recueillie en vue de la connaissance3. Ce phénomène d’acculturation personnelle est fondamental dans l’exercice de l’activité de type scientifique où l’information « est le résultat d’un processus, opérant sur un ensemble de données perçu, un processus activé in fine par l’intelligence d’un individu, qui engage ce faisant, non seulement sa culture, ses connaissances, ses savoir-faire, mais aussi ses pratiques informatives et de communication, et donc une instrumentation linguistique et bien entendu... technologique »4.
L’information de type scientifique s’établit à plusieurs niveaux : entre les spécialistes scientifiques, soucieux d’échanger sur le dernier état de leur recherche, mais aussi en direction des professionnels et des étudiants de la discipline. La communication vers le grand public qui porte un intérêt toujours croissant à la connaissance scientifique n’est pas laissée à l’écart, puisque la vulgarisation scientifique fait partie intégrante des processus d’IST. L’importance de cette sensibilisation n’a pas échappé aux pouvoirs publics qui, dès 1979, prévoyaient la création d’un Musée National des Sciences des techniques et des industries. Ce projet a été réalisé en 1986 avec l’ouverture de la Cité des Sciences et de l’Industrie de La Villette. De la même manière, la création de Futuroscope de Poitiers témoigne du souci de familiariser le grand public avec les innovations scientifiques et technologiques. C’est dans le même courant que s’inscrit en juin 1992 le lancement de l’opération « Science en fête ».
Le concept de culture technique5 est apparu en France et dans tous les états occidentaux comme un véritable enjeu économique et politique qui n’a fait que croître avec le développement de l’informatique. Désormais, celui qui n’en dispose pas, vivant dans l’ignorance de son propre milieu, éprouve de la difficulté à le maîtriser. Il encourt de surcroît le risque d’être socialement dépendant des organisations et des individus qui possèdent les compétences qui lui manquent.
Si l’informatique ne constitue pas la totalité du domaine de l’IST, il faut reconnaître que son utilisation croissante a été déterminante dans son évolution. Le rapport Nora6 sur l’informatisation de la société désignait déjà en 1978 l’informatique comme facteur décisif de la croissance économique qui serait essentiellement assurée par la production et l’utilisation de nouveaux services d’information. Cela ne peut que poser avec acuité la notion de lieux d’information, et par là même celle de délocalisation de l’information qu’induisent les TIC.
2. Un peu d’épistémologie
Les sciences afférant à l’informatique et plus récemment au numérique, apparues de fraîche date, sont en train de se construire. Notre recul, pour cette raison temporelle, est encore insuffisant. De plus, rares sont les écrits fondamentaux sur ces sujets et nous ne pouvons pour l’heure, nous appuyer, comme nous pouvons le faire dans des disciplines voisines sur des textes que nous pourrions considérer comme constitutifs. Il n’est pas pour autant question de nous laisser porter par la vague et d’attendre que les événements viennent nous asséner la froide rigueur de leur matérialité.
Les spécialistes des sciences humaines et a fortiori des sciences de l’information et de la communication ont en charge une responsabilité d’ordre éthique. Ils se doivent d’anticiper par la réflexion sur ces événements pour mieux en mesurer les implications et tenter d’en baliser les limites. Si nous ne pouvons pour l’heure que postuler sur les développements à venir, cela signifie que nous avons à prendre parti, à nous engager sur un futur d’autant plus incertain qu’il est soumis à de fulgurantes évolutions. Ce risque – mais s’exposer à l’erreur signifie aussi avoir droit à l’erreur-il nous faut le prendre individuellement, si ce n’est isolément. Il nous est peut-être en fait nécessaire, car il est le garant de notre liberté d’esprit et de notre engagement au monde. « Le plan de la science en train de se faire, conçu par l’individu dans une relative solitude – car la création n’est jamais qu’individuelle in Statu nascendi – est donc un labyrinthe dont les murs sont subjectifs (donc tous différents pour chacun des individus qui y circulent), ce qui n’enlève rien à leur rigidité, c’est-à-dire à leur force contraignante. »7
Abraham Moles a réfléchi sur les sciences de l’imprécis, un concept qui s’applique particulièrement bien au domaine que nous étudions. Le vocable « Science » évoque encore pour la plupart, des faits déterminés, rigoureusement analysables et démontrables à volonté, soumis de surcroît à des lois strictes. Mais les sciences exactes, si elles sont qualifiées de « dures », ne sont pas aussi exactes qu’il y paraît. L’auteur postule donc que les concepts imprécis, les phénomènes peu prévisibles, les relations flexibles entre les éléments peuvent également être pris en compte dans le champ scientifique. Dans un paragraphe intitulé Deux aspects de la « science » : science établie et science en train de se faire, il examine les conditions de création des disciplines en gestation. « La science en train de se faire se situe alors en contraste avec le mur des livres de la science achevée (à l’instant T). C’est bien plutôt un champ de possibles tout découpé et circonscrit, à chaque instant par toute une série de murs séparant le possible de l’impossible, le concevable (“vrai”) de l’inconcevable (“faux”). Le vrai et le faux n’y sont jamais éternels, ils sont subjectifs : ils sont l’illusion à chaque instant de chaque chercheur »8.
Contrastant avec la nature de son sujet, cette phrase dans sa lapidaire netteté a pour vertu de nous replacer face à nos limites et en particulier à notre subjectivité, bâtie à l’aune de nos certitudes et de nos doutes qu’il nous faut pourtant livrer si nous voulons apporter notre contribution. L’humilité est alors une saine vertu qu’il ne nous faut jamais oublier sans pour autant qu’elle nous paralyse. De l’erreur à l’errance la marge est étroite, mais si toute recherche est de fait une errance9, elle peut donner libre cours à l’aventure, elle est donc créatrice. Bachelard10 et Popper11 nous ont appris que la vérité n’est que la rectification d’une longue suite d’erreurs. La vérification des hypothèses consiste à confronter les faits postulés avec ceux que l’on observe effectivement. S’il y a concordance, cela signifie simplement que l’hypothèse n’est pas écartée mais il n’y a pas pour autant preuve irréfutable12. La véritable création ne peut se contenter d’une exploration systématique de toutes les variantes possibles de manière « computationnelle ».
C’est pourquoi l’intelligence artificielle de l’ordinateur a des limites qui ne lui permettent pas de se substituer à l’intelligence humaine, seule susceptible d’atteindre à la création absolue, transcendantale. Abraham Moles le souligne en ces termes : « L’invention absolue, procéderait d’un mécanisme d’oppositions et de contradictions, puis de résolution de ces contradictions par étapes, avec la naissance d’autres contradictions etc., qui rappellent quelque peu les errances de l’esprit dans le labyrinthe des possibles, balisés par les barrières à la fois imaginaires et durement ressenties de ce que l’on peut appeler les “contraintes perçues”. »13
D’un point de vue épistémologique, l’exploration de ce nouveau champ ne peut se faire qu’en recherchant des référents dans des champs voisins. Conséquence de leur jeune âge, les sciences de l’information, nées de l’interdisciplinarité, pratiquent naturellement cet exercice. Elles sont en effet contraintes de puiser dans d’autres disciplines plus anciennes des éléments susceptibles d’offrir une fondation à leur développement. Cependant, les tentatives de mise en relation de sciences de nature différentes (sciences exactes – sciences humaines) sont de tout temps apparues hasardeuses voire incongrues ou inconvenantes aux esprits « bien pensants », c’est-à-dire à ceux qui ne peuvent se départir des règles et des normes fort cadrées de leurs disciplines (respectives) d’appartenance.
Pourtant, c’est de ces assemblages apparemment audacieux que bien souvent a jailli l’innovation, l’exploration de voies nouvelles. Ainsi Jacques Monod expose-t-il non sans humour dans la préface à son ouvrage Le Hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne14, le rapprochement qu’il a opéré entre biologie et philosophie : « Il est imprudent aujourd’hui de la part d’un homme de science, d’employer le mot de “philosophie”, fut-elle “naturelle”, dans le titre ou même le sous-titre d’un ouvrage. C’est l’assurance de le voir accueilli avec méfiance par les hommes de science et, au mieux, avec condescendance par les philosophes. Je n’ai qu’une excuse, mais je la crois légitime : le devoir qui s’impose, aujourd’hui plus que jamais, aux hommes de science de penser leur discipline dans l’ensemble de la culture moderne pour l’enrichir non seulement de connaissances techniquement importantes, mais aussi des idées venues de leur science qu’ils peuvent croire humainement signifiantes. L’ingénuité même d’un regard neuf (celui de la science l’est toujours) peu parfois éclairer d’un jour nouveau d’anciens problèmes. »
Les théories très actuelles du chaos que nous évoquons plus longuement au chapitre II de la Partie 4, se réclament de cette circulation et de cet échange de courants de pensée émanant de sources différentes. C’est l’idée que souligne Ian Stewart dans Dieu joue-t-il aux dés ? : « Le chaos supprime les frontières entre les disciplines scientifiques. Science de la nature globale des systèmes, il a réuni des penseurs de domaines autrefois très éloignés. Il y a quinze ans, la science s’acheminait vers une crise, victime d’une spécialisation croissante. L’apparition du chaos a spectaculairement inversé le mouvement. Le chaos pose des problèmes défiant la méthodologie scientifique classique. »15
Les sciences de l’information et de la communication ont elles mêmes dès le départ, effectué maints emprunts méthodologiques à des disciplines voisines, mais l’arrivée du multimédia élargit encore les occasions d’opérer ces rapprochements conceptuels. Les TIC renouvellent en effet la question des modalités d’acquisition de l’information. La philosophie, la linguistique, la psychologie, certains pans de la logique mathématique, des neurosciences et de l’anthropologie permettent de l’appréhender et développent par leur méthodologie propre une interrogation sur les processus d’acquisition de la connaissance par l’individu. D’un point de vue épistémologique16, ce territoire des sciences cognitives17 nous paraît pouvoir être rapproché de façon pertinente des sciences de l’Information et de la Communication qui pourront alors apporter leur contribution dans l’établissement de la distinction entre information et connaissance.
Le pari que nous avons à relever est en effet d’ordre éminemment symbolique. Il nous faut en outre aller au-delà du point de vue strictement techniciste qui met au premier plan de ses préoccupations l’intérêt de l’outil informatique, confondant malencontreusement la fin et les moyens. Il est vital de ne pas perdre de vue que ce qui importe et ce qui importe seul est de garder au premier rang de nos préoccupations les notions d’objectif et de finalité de nos activités conceptuelles. Le temps de l’informatique omnipotente semble dépassé et il convient désormais de la laisser au rang d’outil qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Nul ne niera cependant que l’outil est puissant et qu’il favorise des modalités de recueil et d’appréhension de l’information jamais atteintes à ce jour.
3. Les lieux d’information : du temple à l’Agora
Dès le début de nos civilisations occidentales, les bibliothèques ont rempli un rôle éminemment mythique18. C’est dans ces lieux quasi sacrés que les hommes ont tout d’abord recueilli leur patrimoine culturel. Lieu de connaissance, mais aussi lieu clos, ils leur attribuaient une mission majeure : sauvegarder les œuvres de leurs ancêtres afin de pouvoir les transmettre aux générations à venir. Cette conception se perpétue dans les grandes bibliothèques de conservation que sont les bibliothèques nationales. C’est dans cette perspective que fut édifiée la bibliothèque d’Alexandrie, temple de la culture, chargée d’un tel poids mythique que plus de deux mille ans après on songea à la faire renaître de ses cendres.
Selon ce point de vue, la notion de conservation est prééminente, prioritairement à toute idée de communication des contenus. Ce n’est qu’au début de notre siècle que cette dernière préoccupation commença à émerger avec une évolution des mentalités marquée par les idées libérales d’instruction pour tous, initiées par Jules Ferry, qui permirent non seulement aux enfants d’apprendre, mais créèrent aussi des besoins qui contribuèrent au développement des bibliothèques publiques. L’extension de plus en plus importante de la démocratisation de la culture s’est concrétisée dans les années 1970 par la création de médiathèques publiques mettant au premier plan des objectifs outre cette notion d’ouverture, celle de la mise en relation dans un même lieu de supports de nature différente.
Une évolution majeure vint de la prolifération du nombre d’ouvrages publiés dans le monde. Du fait de cette augmentation exponentielle de la production, il n’était plus possible de prétendre embrasser la totalité des connaissances. Une partie du mythe encyclopédiste s’écroulait mais une nouvelle dynamique se fit jour : l’exhaustivité étant désormais hors de portée, il fallait viser à l’efficacité. C’est cette nécessité d’accéder aux « bonnes sources », c’est-à-dire aux éléments pertinents parmi des milliers de publications et en fonction d’objectifs déterminés, qui fit naître les disciplines documentaires. À la notion de conservation, se substitua celle de traitement de l’information. Le mouvement de décentralisation de l’information a franchi une étape décisive lors de l’apparition des bases et banques de données qui marquèrent l’avènement de ce que l’on a coutume d’appeler la société de l’information.
De nombreux centres de documentation de tailles et de vocations différentes apparurent. Encyclopédiques ou spécialisés les grands centres nationaux (comme le CNRS) et internationaux (comme l’Agence Spatiale Européenne) dont le but est de signaler et d’analyser les documents se développèrent dans tous les pays occidentaux. Des services plus réduits se mirent également en place au sein des organisations et des entreprises qui de plus en plus avaient besoin d’avoir accès à une information rapide et appropriée afin d’optimiser leur fonctionnement. La plupart des entreprises et des organisations soucieuses de leur performance, voient aujourd’hui en leur service de documentation un maillon essentiel de leur structure propre, mais le considèrent aussi comme faisant partie intégrante du processus de communication les reliant à leur environnement professionnel et au monde. Les fonctions de veille technologique, veille informationnelle, veille stratégique se développent via les bases de données et Internet, alors que les services Intranet se multiplient redonnant une nouvelle vigueur aux relations internes à l’entreprise.
4. La délocalisation des ressources
Désormais, l’évolution sociale et économique des pays occidentaux est fondée sur une information de plus en plus abondante et largement diffusée. Nouvelle matière première impalpable, agent de la troisième révolution industrielle après celles du charbon et du pétrole, l’information prend aujourd’hui tous les caractères d’une véritable institution. Au-delà de son caractère de produit commercial et industriel, elle a accédé au statut d’élément stratégique grâce à l’extension de la télématique qui a largement contribué à la transformer en denrée commercialisable. C’est en effet l’évolution des modes de diffusion qui a suscité les facteurs d’innovation les plus importants.
La multiplication des bases de données fait figure de phénomène pionnier en la matière, mais les technologies de l’information ont une extension plus large. Malgré leur jeune âge, on les étudie désormais en termes de générations. L’informatique documentaire avec ses différents champs d’application, appartient au domaine de l’information scientifique et technique (IST) que nous avons précédemment défini. Elle désigne l’ensemble des applications de l’informatique aux différentes étapes de la chaîne allant de la production à l’utilisation des documents : la production qui concerne les processus de création et la diffusion qui s’intéresse aux modes de communication des données et la recherche et l’accès à l’information. On préfère maintenant utiliser le terme de technologies de l’information.
La première génération apparaît au milieu des années 1960. L’accroissement de la masse des documents et la multiplication des lieux d’information sont tels, que d’autres modes d’action doivent être envisagés. Ainsi se développent rapidement les techniques de traitement documentaire. Vers 1965, l’informatique commence à apporter des solutions à ces problèmes créés par la prolifération de l’imprimé. Les ordinateurs stockent des références et les premières bases de données commencent à se constituer. Cependant, la recherche est essentiellement médiatisée, car les informations ne peuvent être obtenues qu’en différé et par lots.
La deuxième génération apparaît avec les années 1970 quand les producteurs mondiaux de bulletins signalétiques comme le CNRS pour la France, commencent à informatiser leurs fonds documentaires. Ces fonds disséminés représentaient d’importants gisements d’information. Leur exploitation est donc envisagée, et l’on peut ainsi y accéder par terminaux. Les serveurs et les bases de données se mettent à foisonner, mais comme dans la période précédente, l’accès à l’information est encore médiatisé. Les questions posées continuent à recevoir des réponses rapides mais différées, ce qui constitue malgré tout une évolution par rapport à la période précédente. Cependant on ne peut que souligner le manque de souplesse de cette procédure.
Le mode conversationnel ou dialogué des années 1980 vint y remédier et marqua le tournant de la troisième génération. Cette étape déterminante a été marquée par le passage de l’informatique locale à la télématique. Les progrès des télécommunications ont en effet rendu possible l’interrogation à distance, les réseaux téléphoniques permettant désormais d’acheminer des données mémorisées par un ordinateur situé sur un site éloigné. Grâce à un équipement de base relativement peu onéreux, constitué d’un ordinateur, d’une ligne téléphonique et d’un modem, l’utilisateur a vu ainsi en quelques années accroître ses possibilités en matière d’accès à l’information. Cette période se caractérise par une prolifération accrue des services et des serveurs et par une multiplication des bases de données de tous ordres.
On peut distinguer quatre catégories de bases de données : les bases factuelles, numériques, plein texte et bibliographiques19. La micro-informatique en se développant a permis à chacun par téléchargement de se constituer des bases personnelles parfaitement adaptées à ses besoins individuels. La souplesse de travail qui en résulte représente une des avancées les plus importante en matière d’acquisition des connaissances et de traitement de l’information.
Selon ce point de vue, nous en serions maintenant à la quatrième génération qui se caractérise par l’association croissante du texte, du son et de l’image dans les produits multimédias. La notion d’interactivité qui se développait déjà au début des années 1980 s’intensifie et l’évolution de l’équipement des particuliers en matériel informatique entraîne inéluctablement une modification dans les processus de recherche d’information. Grâce aux réseaux, l’usager peut accéder sans intermédiaire aux données dont il a besoin, mouvement qui va de pair avec la dématérialisation et la délocalisation des bibliothèques. La prédiction de Denis Varloot qui en 1983 avait soulevé bien des vagues en publiant son article « Du puits au robinet » dans le numéro du Bulletin des Bibliothèques de France intitulé « Bibliothèque du futur, ou futur sans bibliothèques » se trouve ainsi en partie confirmée. En partie seulement, car à notre sens il s’agit plutôt pour les bibliothèques et les centres de documentation d’opérer une reconversion en donnant à leur personnel l’opportunité de considérer autrement leur fonction. La notion classique de gardiens du patrimoine chargés de la conservation de nos biens culturels est en train d’évoluer vers celle de prestataires d’information à destination de publics de plus en plus autonomes.
5. La notion de document et son évolution. Du papier au document « intelligent »
Aujourd’hui, l’édition électronique est en passe d’opérer à court terme un développement sans précédent. Rapidité, efficacité et actualité de ses produits attisent la concurrence avec les ouvrages imprimés. Si l’on ne peut que reconnaître les qualités et les spécificités de l’écrit qui demeure un référent incontestable, il est tout aussi indispensable de prendre en compte les évolutions technologiques, sociales et culturelles générées par les TIC qui font désormais partie de notre environnement.
Depuis de nombreuses années une partie de l’écrit est accessible sur support électronique : les bases de données de tous ordres, les informations de type factuel ouvrages de référence, encyclopédies et dictionnaires, toutes les données susceptibles de se périmer rapidement mais aussi des ouvrages fondamentaux et des traités sont numérisées. L’irruption du multimédia avec les avantages de l’interactivité ajoute encore à la novation de ces nouveaux systèmes de diffusion.
Les entrées multiples et les circuits variables dans les documents bouleversent totalement les modes d’appréhension des contenus, alors que le document imprimé, organisé par son auteur selon une construction séquentielle, reste étroitement soumis aux contraintes de sa structure physique. Cette conception révolutionnaire de l’organisation de l’information, due aux expériences de Douglas Englebart de l’Institut de recherche de Stanford et aux travaux de Ted Nelson de l’Université de Brown (1965) efface les contraintes du séquentiel et du linéaire. Dans son ouvrage L’Homme numérique, Nicholas Negroponte explique les caractéristiques de cette nouvelle forme : « L’expression d’un besoin ou d’une réflexion peut inclure un réseau multidimensionnel de pointeurs indiquant des précisions ou des arguments que l’on peut soit appeler, soit ignorer. Il faut imaginer la structure du texte comme une structure moléculaire complexe. »20 Cette notion d’ensemble multiforme organisé qu’évoque le réseau présente d’indéniables capacités heuristiques développées dans le chapitre L’édition électronique : le Big Bang. GenèSe de l’organisation en réseau de la connaissance. C’est ce nouveau moyen de naviguer dans le savoir qui constitue la véritable novation culturelle, car ainsi que l’exprime fort justement Paul Loubière, « si le livre électronique n’était qu’un nouveau support destiné à remplacer le papier, il ne s’agirait en rien d’une révolution. Mais l’hypertexte et plus généralement les hypermédias ne sont pas de simples nouveaux outils de stockage. Ils changent les rapports des utilisateurs avec la connaissance »21.
Trop de produits dits multimédias n’exploitent malheureusement pas les possibilités offertes par les hyperliens et se contentent d’être une reproduction sur support électronique du mode imprimé. La diffusion sur le Web permet grâce à des logiciels de navigation tels Netscape ou Internet Explorer d’accéder à de nombreuses applications hypermédia. Grâce aux hyperliens, la page d’accueil d’un article peut non seulement envoyer l’usager vers les annexes, les documents iconographiques et vidéo, mais aussi vers des simulations et bien entendu vers d’autres articles ou sites.
Les réalisations de ce type se multiplient. On peut citer l’exemple de la version CD-Rom d’Universalis qui propose à l’usager de faire lui-même des expérimentations grâce au service Le Labo. Du théorème de Pythagore à la théorie du chaos, 64 expériences en mathématiques et physique lui sont présentées. Chacune est accompagnée de commentaires sonores et écrits et peut renvoyer aux articles correspondants dans le corpus complet d’Univeralis. Les auteurs de ces expériences sont des chercheurs de différents pays que l’éditeur a découverts grâce à leurs travaux sur Internet.
Le changement de support doit bien être compris comme une manière nouvelle de conception et de diffusion des contenus et non comme un simple transport du papier vers l’électronique. Cette pratique qui est malheureusement encore majoritaire est qualifiée par Steven Harnad de « papyrocentrisme » en opposition à une « écriture savante céleste »22, résolument novatrice et orientée vers une diffusion rapide et élargie des destinataires. Ce chercheur prône avec vigueur le nécessaire passage vers la Galaxie Post Gutenberg23 qui ne pourra se faire qu’en s’affranchissant résolument de modèles éditoriaux et de processus de validation scientifique qui sont désormais surannés.
Notes de bas de page
1 Alain LARAMÉE, La Communication dans les organisations. Presses de l’Université de Québec, 1989. p. 111.
2 Yves- François LE COADIC, La Science de l’information. Paris : Presses Universitaires de France, 1994. p. 45-47.
3 Denis de ROUGEMONT, « Informer n’est pas savoir », L’Imaginaire des techniques de pointe, sous la responsabilité d’Alain GRAS et Sophie L. POIROT-DELPECH. Paris : Éditions l’Harmattan, 1989. p. 40.
4 Roland DUCASSE, « Les universités francophones face à la société de l’information : modèle conceptuel, technologique et géopolitique de la communication scientifique ». Communication au colloque Société de l’information et francophonie : vers une redéfinition des termes de l’échange. AUPELF. Cotonou, 13-14 novembre 1995.
5 Jean de NOBLET, « La technique dans la culture ». Esprit, octobre 1982.
6 Simon NORA, André MINC, L’Informatisation de la société. Paris : La Documentation Française, 1978.
7 Abraham MOLES, Les Sciences de l’imprécis. Paris : Éditions du Seuil, 1995. p. 31 (Coll. Points).
8 Abraham MOLES, ibid., p. 33.
9 C. LEFVRE. « Labyrinthe et communication », Architecture et comportements, vol. 4, n° 3, Lausanne, p. 277-293.
10 Gaston BACHELARD. L’Eau et les rêves. Paris : Librairie José Corti, 1976. p. 9-10. Voir aussi Gaston BACHELARD, Le Nouvel esprit scientifique. Paris : Gallimard, 1951.
11 Karl POPPER. La Logique de la découverte scientifique. Payot, 1978.
12 Maurice REUCHLIN. « Qu’est ce que la psychologie scientifique ? » Sciences Humaines, hors série n° 19, Janvier 1998. p. 13-15.
13 Abraham MOLES, op. cit., p. 49.
14 Jacques MONOD, Le Hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne. Paris : Éditions du Seuil, 1970. p. 12-13.
15 Ian STEWART, op. cit., p. 20.
16 Epistémologie et cognition. Colloque de Cerisy. Liège : Pierre Mardaga, 1992. (Coll. Philosophie et langage).
17 G. DENHIERE et S. BAUDET, Lecture, compréhenSion de texte et Science cognitive. PUF : Paris, 1992. p. 24-25.
18 Lise VIEIRA, « Du Temple à l’Agora. Le développement des bibliothèques virtuelles ». (avec C. Pascal). Revue CNED CANAL EDUCATION. Novembre 1998.
19 Exemples de bases factuelles : texte des dépêches AFP. Numériques : INSEE. Plein texte : intégrale des articles du journal Le Monde. Bibliographiques : Bibliographie de la France.
20 Nicholas NEGROPONTE, L’Homme numérique. Paris : Robert Laffont, 1995. p. 93.
21 Paul LOUBIERE, « Le savoir magnétique », Magazine Littéraire, mars 1993, p. 96-103.
22
Stevan HARNAD, Scholarly skywriting and the prepublication continuum of scientific inquiry. Psychological Science, 1990, n° 45, p. 9-13.
ftp://ftp.princeton.edu/pub/harnad.Harnad/HTML/harnad90. skywriting.html
23
Stevan HARNAD, The PostGutenberg Galaxy. How to get there from Here. Information Society 11 (4) p 305-324.
http://cogsi.soton.ac.uk/-harnad:THES/harfull.html
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