Présentation
Paysages urbains : de 1830 à nos jours
p. 9-11
Texte intégral
1La question du paysage semble soulever de nos jours un vif intérêt, comme en témoignent la parution d’ouvrages récents, fruits d’une collaboration entre philosophes, littéraires, sociologues et spécialistes de la peinture, et la création d’associations comme « Horizon paysage » créé en 1997 par Michel Collot et Françoise Chenet. Pourquoi cet attrait à notre époque pour le paysage ? Peut-être parce que les menaces qui pèsent sur le monde réel appellent à une réflexion sur les rapports que nous instaurons avec notre environnement. La catégorie du paysage se prête à cette réflexion parce qu’elle insiste sur la subjectivité du regard qui détermine notre appréhension de la nature et de sa transformation en objet d’art.
2Depuis près de deux siècles la nature qui se constitue en paysage n’est plus campagne mais ville. C’est à cet aspect original et moins étudié à l’intérieur de la cette grande question du paysage, qu’ont été consacrés les deux colloques organisés à Bordeaux en 2002 et à Salzbourg en 2003.
3La découverte d’un « paysage urbain » accompagne au cours du XIXe et au début du XXe les transformations de la ville. Ce nouveau « paysage » renvoie comme tout paysage au sujet qui l’appréhende ainsi qu’aux réalités économiques, sociales, politiques qui lui ont donné naissance et qui le modifient. Et il correspond surtout au sentiment qu’ont les hommes de vivre dans une société en mutation, de connaître une accélération de l’histoire.
4La réalité urbaine exige des artistes des efforts nouveaux pour adapter les catégories esthétiques héritées de la représentation du paysage naturel aux besoins de ce nouveau sujet. Quelles sont les nouvelles données de l’espace urbain (nouvelle organisation de l’espace, rapports privé/public, individu/trame urbaine) ? Pourquoi suscitent-elles un regard neuf ? Comment les données de l’ancienne représentation se trouvent-elles maintenues ou modifiées ? Comment et à travers quelles difficultés se met en place une nouvelle écriture du paysage urbain (esthétisation, anthropomorphisation, détournements divers) ? Peut-on constater une influence des arts visuels sur le paysage urbain littéraire ? Quelles limites enfin fixer à la notion ambiguë de paysage urbain ?
5Les deux colloques ont tenté de répondre à ces questions sans perdre de vue une dimension importante du sujet : l’évolution historique. En quoi cette évolution est-elle perceptible au niveau de l’imaginaire et de l’écriture ? En quoi est-elle perceptible au niveau du sensoriel (même si la notion de paysage n’est jamais en art une donnée immédiate de la perception, celle-ci pourtant n’est jamais complètement absente) ? Dans cette perspective de l’évolution, il nous a paru intéressant de nous attarder sur les « transformations qui l’éclairent, comme par exemple « les lisières » de la ville à la fin du XIXe qui préfigurent les banlieues du XXe. Cette zone incertaine, signe du passage d’un temps à un autre se fait de plus en plus présente au fur et à mesure que nous avançons dans le temps.
6Les recherches sur les représentations de la ville ne sont pas séparables des sciences du réel. Plusieurs communications ont été consacrées au paysage urbain réel, à l’architecture de la ville. D’autres portent sur le rapport entre réalité et fiction. La critique à objectif référentiel a un rôle à jouer pour la détermination du cryptage fictionnel. C’est pourquoi il nous a paru intéressant d’étudier la relation de la représentation au référent : quelle réalité est reproduite, quels aspects sont transformés, symbolisés, mythifiés ?
7Mais en même temps l’étude du paysage urbain dans la littérature et les arts entre dans ce qu’on appelle les représentations et renvoie à la fois aux mentalités d’une époque et à l’imaginaire des artistes. L’imaginaire qui n’est ni un lieu, ni un objet, mais une relation, un trajet anthropologique, puisque c’est par l’imaginaire que l’homme se donne à voir le monde et se met en prise avec lui, confère à ces paysages du XIXe et du XXe une profondeur existentielle. Ils traduisent une révolution au niveau du regard et du rapport entre le sujet (le regard) et l’objet (le paysage). Ce rapport justement est apparu tout au long de ces deux colloques comme un élément essentiel du paysage urbain de 1830 à nos jours. Le paysage ne peut plus se réduire à un décor extérieur au sujet, il constitue d’une certaine manière le prolongement du sujet : prolongement de son corps et de sa conscience. Plus on avance dans le XXe, plus la représentation de la ville paraît plus préoccupée par les questions de l’être et du langage que par les rapports du sujet à la société et à l’histoire. S’attachant à ce qui semble l’extériorité radicale, le créateur de paysage restitue l’acte même de l’esprit appréhendant et pénétrant le monde. Dans cette perspective les contributions du volume mettent en lumière le lien intime qui unit espace et temps dans l’invention du paysage. Il n’y a point de paysage sans ancrage temporel de l’espace représenté, sans une reconstruction qui met en relation le lieu, la mémoire, l’affectivité et l’imaginaire.
8À travers cette approche d’une définition du paysage urbain, tous les référents que nous avons rencontrés – choses vues, vécues, rêvées, fantasmées, souvenirs – se tiennent. C’est d’ailleurs un des paradoxes du paysage littéraire ou peint. Alors que la nature constitue l’ensemble des choses existantes, le paysage suppose un morcellement de la totalité, une autonomisation du fragment, de la « prise » individuelle, mais aussi une sorte de survalorisation de la partie au détriment du tout. C’est précisément cette « prise » qui va être ressentie, d’un point de vue esthétique, comme formant une totalité.
9Les organisateurs des deux colloques ont choisi de placer cette étude du « paysage urbain : 1830-à nos jours » sous le signe de l’ouverture méthodologique et pluridisciplinaire, car c’est par des regards croisés et une confrontation des approches qu’on arrive le mieux à cerner la complexité du sujet. Cette ouverture pluridisciplinaire peut se vérifier au niveau des œuvres étudiées : romans, poésie, théâtre, peinture, musique, ainsi qu’au niveau de l’approche choisie : thématique, poétique, stylistique, approche sociologique, etc. Les études sur l’imaginaire ne peuvent se concevoir que dans un esprit de grande ouverture, dans le respect d’une pluralité des approches, corollaire de la complexité de la question. C’est ce que nous espérons démontrer avec le présent volume.
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