Terminator : réécrire l’histoire pour anticiper l’avenir
p. 115-122
Texte intégral
1 Terminator est le deuxième film de James Cameron. Mais il n’est pas insolite de le considérer comme son véritable premier long métrage.
2En effet, Cameron a débuté sa carrière comme dessinateur sur verre dans les équipes de New World Pictures, la maison de production de Roger Corman. Lorsque le maître des films de séries Z lui propose de diriger Piranhas 2, le cinéaste d’origine canadienne accepte, bien qu’il sache qu’il n’aura pas beaucoup de manœuvre créative. Et il avait raison, cette expérience le traumatisera.
3Aussi pouvons-nous dire que Terminator est son premier travail d’auteur. Il en a dirigé la plupart des aspects artistiques : il a écrit le scénario, l’a réalisé et a créé le design du terminator. Il aurait eu l’idée de cet être abominable à la suite d’un cauchemar où il s’est vu attaqué par une machine à la silhouette humanoïde. Cette vision d’horreur est devenue l’endosquelette de métal aux yeux rouges venu du futur qui poursuit les héros, Kyle Reese (Michael Biehn) et Sarah Connor (Linda Hamilton), lors du climax. Cette machine n’a qu’un seul but : tuer Sarah Connor, la femme destinée à être la mère de celui qui deviendra le chef de la résistance humaine, John Connor, lors de la guerre qui opposera les humains aux machines à partir de 1997.
4Le film relate l’une des batailles de cette guerre et, comme l’annonce le texte d’introduction, elle « n’a pas lieu dans le futur, mais » bel et bien « ici, de nos jours, ce soir... », autrement dit, en 1984, année de sortie de Terminator. Car c’est cette date qu’a choisi Skynet, le cerveau cybernétique à l’origine du soulèvement des machines, pour envoyer à travers le temps le T 800 (Arnold Schwarzenegger), un robot sous une couche de chair et de sang. Pour protéger sa mère, John lui-même a décidé de lancer Kyle Reese à la poursuite du cyborg.
5Les années 80 sont donc le théâtre de cet affrontement sans merci. Or, cette décennie est précisément celle ou l’homme contrôle de plus en plus et de mieux en mieux les machines. Il sort juste de la deuxième révolution industrielle, et entre plein d’espoir dans la troisième, celle de l’électronique, de l’informatique et des nouveaux moyens de communication. Ces nouvelles techniques lui permettent d’automatiser les systèmes de production, de miniaturiser les composants, de calculer à très grande vitesse, de transporter des informations d’un bout à l’autre du monde en quelques secondes... En clair, la technologie l’aide à mieux vivre. En visionnaire, Marshall McLuhan pressentait déjà le changement en 1964 : « Pendant l’âge mécanique, nous avons prolongé nos corps dans l’espace. Aujourd’hui, après plus d’un siècle de technologie de l’électricité, c’est notre système nerveux central lui-même que nous avons jeté comme un filet sur l’ensemble du globe, abolissant ainsi l’espace et le temps, du moins en ce qui concerne notre planète. Nous approchons rapidement de la phase finale des prolongements de l’homme : la simulation technologique de la conscience. »1 Autre aspect important, en 1984, la haute technologie n’est plus destinée qu’à une élite privilégiée, mais envahit le quotidien du citoyen moyen (au moins dans les pays les plus riches). Ainsi, de nombreux objets, symbolisant ces progrès, sont montrés dans Terminator : le scooter « maîtrisé » par Sarah Connor, le baladeur, le pistolet à visée laser que le tueur du futur demande à l’armurier, l’usine d’assemblage entièrement automatique dans laquelle se déroule l’affrontement final, ou le répondeur téléphonique qui délivre un message évocateur du propos du long métrage : [avec la voix de Sarah] « Salut ! Je vous ai bien eu ! Vous parlez à une machine ! Mais ne soyez pas timide, les machines ont aussi besoin d’amour, alors laissez un message ». Même l’autoradio de la voiture volée par Reese diffuse une publicité vantant les mérites du magasin « Bob’s Stereo » qui vend du matériel haute-fidélité, « des woofers, des tweeters, les dernières nouveautés en CD, des égaliseurs, des balances stéréos... ».
6Ces images d’une technologie sous contrôle contrastent avec les trois scènes du futur où des chars d’assaut automatiques écrasent des centaines de crânes éparpillés sur le sol, où des êtres organiques tentent désespérément de survivre au milieu de l’enfer perpétré par les machines.
7Le réalisateur propose une vision apocalyptique de l’avenir. Une Terre conquise par un esprit despotique qui investit chaque être qu’il engendre, et dont le dessein est d’exterminer tout ce qui ne se soumet pas. Comme si le prolongement du système nerveux central de l’homme décrit par Marshall McLuhan acquerrait son autonomie et éliminait les membres les plus faibles de son organisme pour les remplacer par de plus résistants. Cette particularité est soulignée sous forme de synecdoque lorsque le T800 se répare après une poursuite en voiture. Il est assis, face à un miroir, dans la salle de bain d’un hôtel miteux. Son œil gauche est touché. Il saigne. Le cyborg saisit alors un scalpel et se sectionne l’organe défectueux, comme si ce n’était qu’un composant que l’on peut remplacer, à l’instar d’une pièce mécanique ou, pire, comme si ce n’était qu’un élément dont on peut se passer, voire dont il vaut mieux se passer... De fait, les machines réservent le même traitement à l’humanité : elles gardent quelques individus en vie tant qu’elles en ont besoin puis, au final, les décimeront tous.
8Chacune des séquences de l’avenir est plongée dans une obscurité teintée de bleu nuit. Tout n’est que ruines ; un peu partout des flammes et des fumées noires indiquent qu’un combat a eu lieu récemment. Des carcasses de voitures rappellent l’ère où l’homme maîtrisait encore ses créations industrielles. Désormais, les survivants ne peuvent plus se déplacer pendant la journée, ils sont condamnés à vivre cloîtrés dans des abris souterrains à l’écart des détecteurs à infrarouges des Chasseurs-Tueurs. Des enfants continuent de jouer à la guerre, d’autres regardent une télévision... cassée et dans laquelle brûle un feu apaisant. Puis c’est l’horreur d’une attaque : un terminator s’est immiscé dans la cachette et extermine tout ce qui vit. Le combat de l’homme contre la machine.
9Le film traite de front cet antagonisme du métal et de l’organique. D’abord en confrontant les matières mêmes : les câbles et les étincelles émises par le squelette du T800 s’opposent aux viscères et au sang de ses victimes ; la puissance de la machine écrase le corps fragile et nu de Matt, le petit ami de Ginger, la colocataire de Sarah. Ensuite, différentes scènes se font écho et mettent en lumière cette rivalité. Lors d’un cauchemar, Reese rêve qu’il a un accident, son automobile s’embrase, il hurle de douleur ; à l’inverse, quand le T800 est pris dans l’explosion du camion citerne qu’il pilotait pour écraser les humains, il sort de la cabine recouvert de flammes, sans frémir, il tombe, juste le temps nécessaire pour que ses tissus organiques se consument ; puis, il se relève, invincible. De la même façon, il se redresse lorsqu’il est criblé de balles par Reese dans la boite de nuit le TechNoir, au contraire des personnes qu’il tue dans la même scène ou bien dans celle du massacre du commissariat de police.
10Au-delà de la mort et de la souffrance, le film oppose également les moyens de reproduction. Ainsi, l’étreinte de Sarah et de Kyle, moment clé puisqu’il s’agit de la conception de John, est très organique, sensuelle, romantique, et finalement très humaine. En revanche, l’usine d’assemblage de la fin, qui préfigure celles du futur, dont parle Kyle, et qui construiront à la chaîne les machines, propose une multiplication industrielle, anhédonistique, sans âme, parfaitement mécanique. L’acmé de cet antagonisme se situe lors du combat final entre Kyle et le T800. L’homme place une bombe artisanale dans l’armature de la machine, et tente de s’éloigner. Il périra. Le robot, coupé en deux, poursuit, imperturbable, son dessein meurtrier. Sarah l’écrase, finalement, sous une presse hydraulique. Il faut vaincre le mal par le mal. Après l’explosion, la jeune femme est blessée ; un morceau de métal s’est planté dans sa jambe. Elle le retire en gémissant de douleur : la chair et l’acier sont résolument incompatibles.
11Pourtant, le film montre aussi l’homme aspirant à ne faire qu’un avec la technologie. Outre les innovations techniques que nous évoquions plus haut, nous voyons également un groupe de punks : l’un a les cheveux coiffés en pointes ; un autre arbore fièrement un blouson bardé de clous et de rivets. Plus tard, Cameron filme au ralenti des jeunes gens qui dansent dans la boite de nuit, renforçant l’aspect mécanique de cette célébration faite à la musique électronique des années 80. Quant à Brad Fiedel, le compositeur de la bande originale, il a créé, pour accompagner les déplacements du terminator, un leitmotiv qui s’apparente aux battements d’un cœur métallique.
12Le mariage de l’humanité et de la technique, pour le meilleur et pour le pire, est un thème récurrent dans l’œuvre du cinéaste. Songeons, par exemple, au lieutenant Ripley qui, dans Aliens, se glisse dans un exosquelette mécanisé afin d’être à armes égales face à l’extraterrestre qui menace une petite fille, ou encore au sort funeste que la nature réserve au Titanic, symbole de la vanité de l’Homme.
13Le deuxième thème cher à James Cameron, et largement développé dans Terminator, est le voyage dans le temps. Le cinéaste aborde sans circonlocution le sujet avec les deux Terminator, mais ne le laisse toutefois pas complètement de côté dans ses autres œuvres. Cameron a bien compris que le cinéma était lui aussi une machine à voyager dans le temps. Il permet non seulement la reconstitution des époques passées, mais aussi de voyager dans le temps de la diégèse par le truchement des flashs back.
14En conséquence, le réalisateur propose presque toujours des voyages temporels originaux. Dans Aliens (1986), le lieutenant Ripley a dérivé dans l’espace pendant cinquante-sept années en état de cryogénisaton. Autrement dit, la technique inventée par les auteurs de science-fiction pour rendre possible les déplacements intersidéraux très longs, fait office ici de machine à voyager dans le temps. Par ailleurs, l’héroïne se retrouve dans la même situation que Reese, dans l’impossibilité de retourner en arrière. Elle, car dans son univers, il n’existe pas de machine à voyager dans le temps ; lui, parce que les hommes qui l’ont envoyé ont détruit l’unique (pensaient-ils !) machine.
15Dans Titanic, la découverte, en 1997, du portrait d’une jeune femme sur l’épave du paquebot de luxe est l’occasion de recevoir le modèle sur le navire de recherche. Désormais, la dame du dessin, Rose, est âgée d’une centaine d’années. Elle retrouve le fusain et quelques autres objets qui vont réactiver sa mémoire. Elle commence alors son récit. Nous, spectateurs, nous plongeons dans ces souvenirs grâce au flash back, et nous sommes transportés à bord du Titanic. Retour vers le passé.
16En 2003, Cameron, toujours fasciné par la tragédie du Titanic, réalise Ghosts of the Abyss. Ce documentaire en trois dimensions retrace quelques moments du drame vécu par les passagers du navire. Cameron use d’un autre artifice du cinéma afin de nous ramener en 1912 : la surimpression. Ainsi, il replace sur les vraies images de l’épave rapportées par des sous-marins scientifiques, les personnes, interprétées par des acteurs, qui y ont évolué.
17Pour revenir à Terminator, le voyage dans le temps y est bien sûr évident, comme dans sa suite du reste. Toutefois, ici, l’utilisation du flash back est originale. En effet, ne devrions-nous pas plutôt parler de flash forward, ou prolepse, car, les rêves et les tourments de Kyle Reese constituent, en fait, le futur de notre monde. Ceci dit, il s’agit bien du passé du personnage, donc bien d’une analepse... Joli casse-tête diégétique...
18Pour ce qui est de l’acte de se déplacer dans le temps, l’auteur élague toute explication pseudo-scientifique, en faisant de son personnage humain un soldat. Par conséquent, il est profane quant aux problèmes de physique et ne peut logiquement pas répondre aux questions que lui posent la police ou Sarah.
19En revanche, Cameron nous montre comment les êtres de l’avenir arrivent à notre époque : dans une nuée d’éclairs électriques suivie d’un flash blanc aveuglant. Une manière de plus pour souligner la différence entre l’homme et la machine car, pour Kyle, l’opération est très douloureuse, alors qu’elle ne l’est pas pour le cyborg.
20Si Reese souffre à la suite de son arrivée en 1984, il se remet rapidement sur pied, et poursuit sa mission. Il est habitué au supplice. Son corps, constellé de cicatrices, en est le témoin. Il vient d’un monde en guerre, d’une époque où la paix n’existe plus. Les trois scènes du futur, comme les évocations verbales du jeune homme, sont claires : l’avenir n’est pas radieux et, ironie du sort, l’humanité sera à l’origine de sa propre chute. Son nouveau « réseau informatique de défense. (...) puissant, relié à tout, chargé de tout diriger. » s’est mis à penser par lui-même, il a développé « une nouvelle forme d’intelligence. Les hommes lui ont semblé menaçants. (...) Il a réglé notre sort en une microseconde. L’extermination. »2
21 Ce dernier mot renvoie le spectateur à un passé historique bien précis. La suite du dialogue entre Kyle et Sarah renforce cette référence : « on a été presque tous pris », poursuit Reese, « mis dans des camps d’extermination. Marqués au laser [d’un code barre]. Certains ont eu la vie sauve. Pour travailler. Pour charger les corps. Le ramassage avait lieu jour et nuit. On était sur le point de disparaître. » Au total, certes le film raconte une histoire de voyage dans le temps, mais il invite surtout le public à voyager mentalement, et à se remémorer ce qu’il sait des heures sombres de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que de l’aspect systématique de la solution finale mise en place par Hitler pour exterminer les Juifs.
22D’ailleurs, la combinaison de ce souvenir et du thème de la lutte de la technique contre l’homme rappelle l’idée controversée de Heidegger, selon laquelle l’extermination des juifs fut un « phénomène technique ». Et quand nous lisons Philippe Lacoue-Labarthe, il est clair que les nazis la considéraient de cette façon : « les Juifs étaient traités comme on "traite" les déchets industriels ou la prolifération des parasites (...). C’est pourquoi les machines utilisées à cet effet, ou "adaptées" (...), étaient les machines, banales, de nos zones industrielles. Comme Kafka l’avait compris depuis longtemps, la "solution finale" était de prendre à la lettre les séculaires métaphores de l’injure et du mépris : vermine, ordure, et de se donner les moyens techniques d’une telle littéralisation effective. »3
23Le spectateur est donc convié à se déplacer virtuellement dans le temps, mais, à la différence des protagonistes du film, il n’est qu’une créature immobile sur son siège, et il est incapable d’agir sur le déroulement du long métrage. Les personnages, eux, remontent le temps, et ont en conséquence la possibilité de changer leurs destins, de réécrire l’Histoire. De fait, Skynet, par l’intermédiaire du T 800, essaie d’éliminer le chef des humains pour sortir victorieux du conflit. De son côté, le héros américain se dresse contre l’adversité et, même s’il doit lui aussi modifier le cours des événements, il investit toute son énergie pour stopper le cyborg.
24En fin de compte, James Cameron a traduit avec Terminator plusieurs angoisses de l’Amérique reaganienne, au premier rang desquelles se trouvait la peur du Bloc communiste (pourtant déclinant en 1984), connu pour diaboliser dans sa zone d’influence, via une propagande massive, l’Occident capitaliste décadent. Ce à quoi les États-Unis ripostaient avec les mêmes armes, grâce en particulier au puissant médium que constitue le cinéma. La Maison Blanche n’y était sans doute pas pour rien. Rappelons juste que Ronald Reagan a d’abord été un acteur de cinéma ; nous pouvons donc supposer que le président connaissait bien le pouvoir de suggestion du septième art. À ce propos, le SS Etterkamp, ancien projectionniste de Hitler, affirme que celui « qui tient le cinéma tient l’avenir du monde, et il n’y a plus qu’un avenir, l’avenir du cinéma. »4 De la sorte, à la manière des voyageurs temporels du film qui modifient leur Histoire, l’Amérique remodelait (et remodèle encore !) l’inconscient collectif, et transformait par exemple la débâcle vietnamienne des GI’s en victoire, à l’aide de longs métrages tels que Rambo 2, The Mission (George Pan Cosmatos, 1985, sur un scénario coécrit par James Cameron !), ou la série des Missing in Action (Joseph Zito, 1984 ; Lance Hool, 1985 ; Aaron Noris, 1988). Dans le documentaire que l’on trouve sur le DVD de Rambo 2, Sylvester Stallone (coauteur du script) est clair quant à l’objectif du film : « Je savais que [les prisonniers de guerre] existaient, mais il fallait en faire une histoire divertissante et imprégnée du "style Rambo", et que cela produise sur les vétérans une sorte d’effet cathartique, même si les ressorts du scénario sont fictifs et que Rambo mène son combat comme il l’entend. » D’ailleurs, le titre de ce documentaire, tiré d’une réplique du film dite par John Rambo au colonel Trautman, est lui aussi très éclairant : We Get to Win this Time5 (Ian T. Haufrect, 2002). Et les citoyens des États-Unis avaient réellement besoin de cet élan positif, car, à l’aube du premier mandat de Reagan (1981), « la forte augmentation des prix du pétrole décidée par les pays de l’OPEP, les énormes déficits de la balance des paiements, la défaite du Vietnam, la révolution au Nicaragua, le maintien au pouvoir de Castro, l’acquisition par l’URSS de l’égalité en matière nucléaire, l’invasion de l’Afghanistan, la crise des otages en Iran : tous ces événements [conduisaient] beaucoup d’Américains à penser que leur pays ne [subissait] que des revers. »6
25Cependant, Terminator révèle également d’autres craintes du peuple américain. L’inquiétude d’être dépassé par ses propres créations technologiques, ou encore l’appréhension d’être trahi par les personnes (ou les choses !) en qui il a placé sa confiance. En 1984, le scandale du Watergate (1972-1974) était encore frais dans les mémoires. Mais, la plus grande peur exprimée par Cameron, et qui trouve également son origine dans la Guerre Froide, est celle, nous l’avons évoquée plus haut, d’un retour à l’extrémisme, quel qu’il soit. Une déviance extrémiste pourrait entraîner la fin du monde par une apocalypse nucléaire. Le metteur en scène a traité ce sujet dans deux autres films : Abyss (1989), où des êtres d’un autre monde décident d’exterminer l’humanité parce que nous ne méritons pas de vivre, image d’archives du Troisième Reich à l’appui7 ; True Lies (1994), où des terroristes extrémistes islamistes volent une tête nucléaire et veulent la faire exploser sur le sol américain. Avec Terminator, le cinéaste nous démontre que cette menace est permanente, et qu’elle réside même dans ce que nous ne soupçonnons pas, et que nous croyons maîtriser : notre technologie.
26Néanmoins, malgré l’expression de ces angoisses et la noirceur du film, tant dans le traitement de la photographie que dans le sujet, Terminator présente au final la victoire provisoire de l’humanité. En effet, d’une part la naissance de John Connor, aux initiales messianiques, est maintenue. D’autre part, la dernière image est un plan d’ensemble, alors que tout le film a été filmé en plans serrés ou, tout au plus, en plans en pied, ce qui a conféré au long métrage son aspect stressant, claustrophobe. Cette dernière image est donc la plus « ouverte », et offre au propos une aération salutaire. Certes, l’orage gronde dans le ciel et annonce la tourmente à venir, mais Sarah, enceinte, au volant de sa voiture, s’éloigne dans un paysage dégagé. Tous les espoirs sont possibles.
27La victoire de l’humanité sera totale, sept ans plus tard, dans Terminator 2, Judgement Day. Effectivement, dans cette première suite, toujours signée James Cameron, tous les reliquats de Skynet sont liquéfiés dans une cuve remplie de métal en fusion. Même son créateur, Myles Dyson, est tué. Rien d’étonnant à ce discours positif : en 1991, les États-Unis sont la première puissance mondiale, incontestée, alors que l’URSS est en crise. Le mur de Berlin vient de tomber deux ans plus tôt, et le parti communiste est en déclin dans la Fédération. D’ailleurs, le 31 décembre 1991, l’Union soviétique s’effondrera.
28Malgré tout, Terminator 3, Rising of the Machines (Jonathan Mostow) revient sur ce succès et montre qu’en dépit de tous les efforts des héros, la guerre entre les hommes et les machines aura lieu. Le destin est inéluctable. L’époque a changé et, par voie de conséquence, le contexte de production du film aussi : nous sommes en 2003, dans l’Amérique post- 11 septembre 2001, au sein d’une nation traumatisée par le terrorisme international, au cœur d’un pays qui n’est plus aussi sûr d’écrire seul son Histoire. Désormais, d’autres facteurs sont à prendre en considération...
Notes de bas de page
1 Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias [traduit de l’anglais par Jean Paré], Seuil, Paris, 2000, titre original : Understanding Media, publié en 1964 par McGraw-Hill Book Company, New York, © 1964, Marshall McLuhan, p. 21.
2 Il s’agit des paroles de Reese traduites dans les sous-titres du dvd.
3 La fiction du politique. Heidegger, l’art et le politique, Christian Bourgois Éditeur, collection « Détroits », Paris, 1987, pp. 61-62.
4 Cité par Hans Jürgen Syberberg, Hitler, un film d’Allemagne, trad. François Rey et Bernard Sobel, Seghers / Laffont, 1978, p. 61.
5 « Cette fois, on y va pour gagner ».
6 Yves-Henri Nouailhat, Les Etats-Unis et le monde au 20e siècle, Armand Colin, Paris, 1997-2000, p. 269.
7 Dans la version longue du film, une crise internationale menace le monde d’une guerre nucléaire, motivation supplémentaire pour les extraterrestres de nous rayer de la carte. Et ils projettent de régler notre compte de façon très « naturelle » puisque, comme ils savent contrôler l’eau grâce à leur technologie, ils abattent des tsunamis sur les côtes.
Auteur
-
Sébastien Boatto
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
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