Préface
p. -1-0
Texte intégral
L’horizon existe, tout à coup, splendide dans son habit d’apocalypse.
Un objet de beauté
1Jubilatoire et tragique, le texte tremblayen résonne « comme un long sanglot » chargé d’éclats de rire. Terriblement complexe sous sa prétendue facilité, il ne se donne que pour se dérober, n’informe que pour désarçonner, brassant jusqu’à les confondre grotesque et sublime, ancrage factuel et dérive fantasmatique, élection et malédiction. Or, dans cet univers duplice où ruissellent les étoiles et où s’authentifient les mensonges, l’œuvre, gouvernée par un principe unificateur, garde toute sa cohérence ; une cohérence fondée sur une esthétique de la démesure ne s’autorisant d’autre limite que celles imposées par l’inventivité humaine. Et c’est bien de cette liberté sans tabou ni réticence que naissent ces vertigineuses splendeurs, qu’explosent ces fulgurances dont le délire solipsiste de Marcel illustre la sauvagerie :
Il voit un grand bûcher au milieu du parc Lafontaine [...], le parc Lafontaine au complet se consume et rougeoie [...], le Plateau-Mont-Royal, la ville de Montréal, le monde entier ! le monde entier brûle dans la tête de Marcel qui sent venir la migraine. (Un objet de beauté)
2Si cet embrasement universel ne peut cacher son statut substitutif de « rêve trop beau », du moins témoigne-t-il de la prégnance du motif de l’Apocalypse, ce cataclysme définitif, si souvent annoncé, si vainement attendu qu’il en perd toute crédibilité et n’a guère plus d’existence qu’un fantôme visitant de temps à autre l’imaginaire collectif, à seule fin d’y réveiller les frayeurs endormies.
3Mais, au fait, pourquoi redouter l’Apocalypse ? Pourquoi se projeter dans l’irréalité d’un possible futur, quand l’Apocalypse est déjà là, tapie comme une bête malfaisante, ou orchestrant au grand jour sa marche triomphale ? Cette question, les personnages inventés par Michel Tremblay pourraient se la poser, tant il est vrai que leur créateur, en démiurge satanique, semble ne les avoir mis au monde qu’à titre de parias, exilés dans la société, exilés d’eux-mêmes. Alcoolisme, inceste, hystérie, folie, ignorance, pauvreté, frustrations de tous ordres les accablent et les résument, si bien qu’ils pourraient reprendre d’un chœur unanime ce constat du poète : « chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas. »
4Il était donc particulièrement impératif d’étudier cette apocalypse au quotidien. C’est ce que fait Marc Arino, jeune chercheur bordelais, qui s’est emparé avec perspicacité de ce thème crucial, jusque-là délaissé. Mais le mérite de Marc Arino est ailleurs... En effet, évitant l’écueil de la banalisation qui ferait de l’Apocalypse une simple représentation du Mal, voire, pis encore, un synonyme de malheur, il a rendu à ce motif toute sa gravité, toute sa dignité. Pour ce faire, il est remonté aux sources, a interrogé la littérature apocalyptique et a pu démontrer la filiation étroite reliant Michel Tremblay à ses précurseurs. C’est ainsi que l’œuvre tremblayenne se trouve renouvelée, transcendée par sa lecture originale, intelligente et toujours respectueuse du texte.
5Il faut lire Marc Arino et découvrir à travers son analyse l’extrême richesse de l’imaginaire tremblayen.
Auteur
Université Michel de Montaigne
Bordeaux 3
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