La musique rap, dans le fond et dans la forme
L’engagement politique des rappeurs dans l’industrie culturelle capitaliste
p. 409-425
Texte intégral
1Au sein des nations développées et en développement actuelles, le rap politiquement engagé représente un substitut à la révolte physique, et un signe effectif de la résistance intellectuelle à l’ordre conservateur. Dans le sens où ses artistes les plus « conscientisés » œuvrent à mettre en évidence les multiples carences du système républicain français, il apparaît comme étant le produit par excellence d’une rage collective qui est plus que jamais présente, d’une certaine colère qui couve au sein des grands ensembles populaires des grandes agglomérations urbaines (Boucher, 1999 : 300-308). Culture urbaine essentiellement pratiquée par des jeunes individus de l’immigration nord-africaine et subsaharienne, mais aussi originaires des Antilles, le rap français est le symbole de la diversité ethnoculturelle. Les textes de rap les plus revendicatifs tendent à souligner la prégnance au sein de la société française du phénomène de domination socioéconomique mais aussi ethnoraciale (ibid. : 349-375). Loin d’être un élément à part dans la chanson française, la discipline musicale du bip hop est dans une certaine manière une des facettes modernes de la longue tradition populaire de la chanson française à texte. Dans un certain sens, les rappeurs sont les héritiers des chansonniers réalistes (Bruant, Fréhel...) et de leurs épigones (de Brassens à Renaud1).
2À travers l’étude des productions – musicales et surtout textuelles – d’artistes de rap français, nous soulignerons l’ancrage naturel de l’engagement politique chez les rappeurs hexagonaux.
Une musique marginal (isé) e dans l’industrie culturelle capitaliste
3En 1990, à l’orée de l’explosion discographique et médiatique du rap, les universitaires Georges Lapassade et Philippe Rousselot (1990) définissaient cette musique, née dans les ghettos ethniques états-uniens – au sein des communautés populaires afro-américaine et hispano-américaine – de la ville de New York au cours des années 1970, comme l’expression d’une « fureur de dire » le malaise social et les difficultés économiques. Dans une précédente étude (Béru, 2006), nous avons souligné le fait que la musique rap, issue d’un mouvement pluridisciplinaire subculturel – le bip hop (breakdance, deejaying, graffiti...) –, est, depuis le début des années 1990, une des cibles majeures de l’industrie discographique française ; cette dernière peut ainsi renouveler l’offre musicale proposée aux jeunes audiences hexagonales et francophones (Belgique, Suisse, Québec...). Ainsi, la tradition contestataire du rap français a subi une « commodification » industrielle et un « lifting » marketing dans l’optique de séduire un public plus large. De ce fait, à côté des groupes de rap qui désir (ai) ent demeurer fondamentalement « underground », insoumis à l’ordre consensuel et conformiste des firmes transnationales du disque – tels que La Rumeur et Scred Connexion –, certains rappeurs ont décidé et décident de s’émanciper des tendances marginales de leur posse ou crew pour rejoindre l’establishment discographique – ce fut le cas de MC Solaar, délaissant peu ou prou l’approche marginale de son Posse 501, ou de Yannick, abandonnant ses acolytes de la Mafia Trece. De là, quand le groupe de rap Assassin évoque l’inégalité sociale devant le risque d’emprisonnement – « La justice juge sur des critères bien définis / 80 % des prisonniers sont ouvriers, chômeurs ou sans logis »2 –, ou souligne la différence sociologique entre les acteurs des divers trafics illégaux et légaux – « L’illégalité dépend de ta place dans la société / Certains dealent de la came, d’autres dealent des armes »3 –, le rappeur solo Ménélik expose des moments bien plus détendus et des paroles bien moins polémiques : « Le fête est éphémère mais au fond on s’en fout / Qu ’importe le temps, la nuit est à nous »4, ou met en paroles des élans amoureux – « Tu es la seule qui m’aille, je te le dis sans faille / Reste cool bébé sinon je te dirai Bye Bye »5.
4Dans une tendance générale à construire des chansons suivant les règles d’efficience imposées par les stations radiographiques (c’est-à-dire le minutage 3 minutes et trente secondes environ, et la présence d’un refrain aisément mémorisable et revenant à trois ou quatre reprises), certains groupes de rap, œuvrant à contre-courant des règles du marché discographique, tentent d’imposer leurs propres principes d’éthique artistique et politique. Par exemple, le groupe marseillais IAM, avec la chanson Demain c’est loin, sorte de chronique brut (al) e de la vie des habitants des quartiers dits sensibles, a offert un moment musical unique et saturé de paroles hors du « patronage » marketing en vigueur (durée de plus de 9 minutes et absence totale d’un quelconque refrain), où la réalité sociale et la posture politique transpirent très fortement6. Imposer et s’imposer une telle direction artistique, et donc être aux antipodes des critères normalisateurs de l’industrie du disque, peut véritablement être considéré comme un acte politique, comme un fait de résistance aux lois du marché, aux diktats du marketing, au consumérisme à outrance. Autre exemple notable : dans le cadre de la production de son album Si c’était à refaire. Kery James, rappeur du groupe Idéal J et membre du posse Mafia K’1 Fry, a décidé de n’utiliser aucun instrument à vent ou à cordes ; fidèle à sa confession religieuse, il a désiré mettre l’accent sur l’urgence du discours scandé, et non sur la seule mélodie harmonisée7. Ainsi, au-delà du discours, la forme utilisée et le temps employé produisent une dimension politique clairement affirmée, en total désaccord avec l’économie du disque : l’engagement politique du rappeur apparaît comme un élément capital, naturel. Avec l’effritement de l’esprit rock ’n’roll au sein de la musique rock, le lien avec les quartiers populaires semble être un point décisif, central pour que se perpétue la parole politique des rappeurs. Quant au rappeur Oxmo Puccino, désirant ne pas s’enfermer dans le classicisme de la rime d’une ou deux syllabes, il tend à faire rimer les métaphores plutôt que les mots, dans certaines parties de ses textes. Cependant, nous ne pouvons occulter la présence d’un suivisme – ou conformisme – mélodique très marqué au sein du microcosme « rapologique ». Ce suivisme peut rejoindre les velléités conservatrices des maisons de disque : l’engouement prononcé des formations de rap pour l’emploi régulier et conséquent d’instruments à cordes frappées (piano), frottées (violon) et/ou pincées (basse) en est un exemple remarquable.
5De manière générale, comme le montrent de très nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales (Rigouste, 2004 ; Le Goaziou, 2006), l’intérêt porté par les rédactions journalistiques et les partis politiques aux zones urbaines dites sensibles ou en difficulté est d’abord et avant tout d’ordre sécuritaire. En effet, à la faveur des émeutes en banlieue de novembre 2005, ou des échauffourées lors des manifestations étudiantes en mars-avril 2006, le discours dominant des médias et de la classe politique a dressé un portrait-robot dévalorisant du jeune de cité « turbulent », et mis en avant une dialectique binaire, en glosant sur les seuls éléments négatifs des quartiers en relégation sociale. Lesdits jeunes sont (trop) souvent décrits par certains médias et certains politiques sous les traits d’individus immigrés ou d’origine étrangère – principalement maghrébine et subsaharienne –, dont une partie non négligeable est composée d’auteurs d’actes de délinquance qui vivent dans des foyers polygames et autoritaires, qui appartiennent à un environnement familial et/ou amical où règne un islamisme radical anti-occidental, et qui développent une homophobie exacerbée et un fort sexisme (Mucchielli, 2002 ; 2005). La majorité des rappeurs comme une grande partie des habitants des banlieues populaires ont très mal accepté le fait que des hommes politiques de premier plan emploient des mots péjoratifs envers les jeunes des quartiers populaires : par exemple, Jean-Pierre Chevènement et Nicolas Sarkozy, respectivement ministres de l’intérieur de 1997 à 2000 et de 2005 à 2007, ont prononcé les termes « sauvageon »8 et « racaille »9. Tel un pied de nez à ces propos insultants, de nombreux rappeurs ont ironisé autour de ces propos médiatico-politiques, en se réappropriant certaines formules qu’ils estiment proférées à leur endroit, pour mieux les retourner contre leurs auteurs. Par exemple, la rappeuse marseillaise Keny Arkana répond par disque interposé à Nicolas Sarkozy en détournant une de ses phrases – « nettoyer au Kärcher »10 la cité des 4000 à La Courneuve –, afin d’affirmer la nécessité urgente de sanctionner et moraliser la classe politique française pour offrir au pays un système démocratique et républicain assaini11. Autre exemple : le rappeur lillois Axiom est revenu en chanson – à la fois avec humour et sérieux – sur les propos du député de Moselle François Grosdidier, qui, lors d’une session parlementaire, a dénoncé assez maladroitement l’illégalité du mariage blanc, en le liant à une tradition vocale propre à la population d’origine arabe12. Ainsi, certains intitulés de chansons de rap, publicisés tels des slogans politico-idéologiques – Prisonnier de la monnaie (Ministère Amer), Les apparences nous mentent (Youssoupha), Des problèmes de mémoire (Rocé), Pas de justice, pas de paix (La Rumeur), Pur produit de la crise (Casey)...–, servent de bandes-annonces à la contestation du discours politique institutionnalisé dominant.
6Dans le rap, pour asseoir un discours critique prégnant, l’appel à des références littéraires se réalise plus régulièrement qu’il n’y paraît. Quand certains rappeurs sont captivés, inspirés par l’expression cinématographique hollywoodienne (Scarface13, Star Wars14...), d’autres sont plutôt influencés par l’expression littéraire critique. Si les références indirectes aux idées et aux écrits des grands auteurs critiques – anticapitalistes et/ou anticolonialistes – sont légion, certains rappeurs citent très clairement l’œuvre de penseurs qui se sont élevés contre le racisme institutionnalisé et producteur d’inégalités ethnoraciales. Ainsi, influencés par les thèses de la négritude, Rocé15, Youssoupha16 et Casey17 mettent en avant celles des penseurs africains et antillais, tels que les Martiniquais Aimé Césaire et Frantz Fanon. Ces rappeurs n’hésitent pas à expliquer leur condition sociale, en rappelant l’inégalité officialisée et moralisée lors de divers épisodes dramatiques de l’histoire : de la traite triangulaire en Afrique noire18 à l’empire colonial français sur le territoire maghrébin19. Le parallèle réalisé entre la situation d’hier et celle d’aujourd’hui consiste à éclairer le fait que, au sein des sociétés occidentales, la peau non-blanche est un élément qui, comme la confession religieuse non-judéo-chrétienne, écarte ceux qui ne ressemblent pas à la majorité20.
L’authenticité sociopolitique, un gage de légitimité socio-artistique
7À l’instar de leurs confrères états-uniens, les rappeurs français font grand cas de l’authenticité et de la crédibilité que leurs paroles dégagent (McLeod, 1999) ; ils valorisent fièrement le fait que leur rap soit « fidèle à la rue »– Street credibility –, d’où le développement non négligeable d’un rap dit de rue21. Un des titres phares du groupe strasbourgeois NAP, Je viens des quartiers22, évoque parfaitement cette vie de rue que commentent régulièrement les rappeurs – « Tu vois, ouais c est comme ça / Moi je viens des quartiers et je ne l’oublierai jamais »–, et expose la violence symbolique et concrète de l’exclusion sociospatiale forcée – « Tout un potentiel tué dans l’œuf : mon quartier [est] frustré [...] / Maintenant, tu vois ce que pense quelqu’un comme moi / Aucune opportunité : mon quartier est mon étau » – et du désœuvrement socioculturel contraint – « Tous les matins lorsque je me réveille / Le jour présent ressemble à celui de la veille / Les mêmes mecs assis sur les mêmes bancs / Les mêmes mecs parlent des mêmes trucs de fou » –, sans oublier de décrire les rapports tendus entre gardiens de la paix et jeunes des quartiers populaires – « Les keufs [c’est-à-dire policiers] tournent et retournent comme des vautours / Ils veulent nous pécho [c’est-à-dire arrêter] et nous voir dans un cachot ». Vouloir conter le désespoir, l’abattement, la désillusion, c’est se réapproprier une prise de parole déniée au « petit peuple » de la « France d’en bas » par la « haute société » de la « France d’en haut » ; les rappeurs peuvent ainsi mettre à l’agenda les thèmes qu’ils jugent essentiels, et non pas subir les sujets imposés par le discours officiel et consensuel23. Quand ils développent dans leurs textes des thèmes relatifs à la vie des personnes des quartiers populaires, ils se « conforment » dans un certain sens aux canons de la critique sociale sécrétée presque naturellement par le rap ; de ce fait, les rappeurs demeurent les garants du « standard » originel du hip hop, en revendiquant une attitude marginale et contraire à l’ordre établi.
8La musique est un élément culturel important dans la formation et la fortification d’appartenances identitaires rassemblant artistes et auditeurs (Frith, 1996). Comme les sous-genres du rock, le rap a développé une identité et fait émerger un univers qui lui est propre. Au-delà de l’apparence vestimentaire ou comportementale, il est ici question du discours véhiculé, d’idées mises au-devant de la scène. En effet, que ce soit pour le milieu « rapologique » new-yorkais ou parisien, la musique rap est avant tout une question d’expression vocale avant d’être une expression sonore, à partir de laquelle les propos dissidents sont de légitimes réponses au discours de l’establishment, et où l’accent est clairement mis sur des considérations sociopolitiques, socioéconomiques et socioculturelles, voire même socioethniques (Keyes, 2002). Ainsi, le rappeur qui se veut conscient et en accord avec l’essence même du rap, doit constamment distiller des attentions à la rue populaire, à la culture urbaine en provenance des milieux populaires ; il doit également mettre au premier rang de ses priorités thématiques la défense des exclus, des sans-voix, des sans-grade, des sans-pouvoir – « Je ne suis pas un leader / Simplement le haut-parleur / D’une génération révoltée prête à tout ébranler / Même le système qui nous pousse à l’extrême »24.
9De même que la majorité des acteurs du rap américain ont très peu apprécié la surmédiatisation soudaine de rappeurs – comme Vanilla Ice, Marky Mark ou MC Hammer – à la démarche entièrement « marketée » et dont les titres furent calibrés pour passer en haute rotation sur les ondes radiophoniques et sur les écrans télévisuels, la plupart des protagonistes du rap français ont fait preuve de la même désapprobation en assistant à la surreprésentation médiatique de rappeurs à l’approche marketing sophistiquée (comme Manau et son « rap celtique », ou Kamini et son « rap campagnard »), ou qui appartenaient à la mouvance underground avant de se lancer dans la « variété-rap » (comme Reciprok, ancien groupe de la Bass-Kourr, crew de Montfermeil, ou Doc Gynéco, ancien membre du Secteur Ä, posse de Sarcelles). Pour les groupes engagés dont les textes sont pour le moins sans concession et sans compromis politico-idéologiques, il est difficile de jouir du même type de médiatisation favorable dont bénéficient les formations qui diffusent un discours très peu ou pas du tout contestataire. Dans certains cas, des artistes de rap qui se sont préalablement « spécialisés » dans un rap revendicatif, et qui ambitionnent d’être plus présents dans les médias (radio, télévision, presse), afin de toucher un public plus large que celui trop restreint de l’underground, en sont venus à édulcorer leur discours et à aseptiser leurs productions musicales : ce fut le cas de Stomy Bugsy, membre du Minstère Amer et auteur de chansons sulfureuses anti-flics (Brigitte femme de flic25 ou Sacrifice de poulets26), qui a momentanément décidé de produire des chansons plus accessibles et plus consensuelles (Mon papa à moi est un gangster27 ou Gangster d’amour28) afin de plaire à un public plus important et moins adepte d’un rap trop radical.
10Les principales firmes françaises de l’industrie du disque – Universal, Sony ou Warner-, attirées dès le début des années 1990 par le potentiel commercial des productions de rap, avec principalement les succès discographiques de MC Solaar, NTM ou IAM, se sont intéressées à posséder au sein de leur catalogue discographique une partie dédiée aux musiques dites urbaines (par exemple, la maison de disque Emi Music France a développé une filiale, le label Hostile Records, où sont uniquement signés des rappeurs). Le début des années 2000, lors duquel les ventes discographiques de groupes de rap (113, Sniper ou Fonky Family) et de rappeurs solos (Booba, Diam’s ou Rohff) furent très importantes, est marqué par cette logique entrepreneuriale. Ainsi, la musique rap s’est plus ou moins institutionnalisée au sein de l’industrie du disque, et les albums de ses artistes les plus en vue se sont peu ou prou installés dans la cédéthèque du foyer français moyen. Cependant, malgré cette apparente « notabilisation » socioéconomique et socioculturelle du rap – et plus généralement de la culture hip hop (tout particulièrement ses expressions corporelle et visuelle29) –, subsiste une forte stigmatisation de ce genre musical : il est autant critiqué pour la pauvreté de sa créativité musicale présumée que pour la violence discursive supposée de ses artistes. D’ailleurs, en novembre 2005, lors des émeutes urbaines, de nombreux d’élus français, regroupés autour du député François Grosdidier, ont mis en cause les textes des rappeurs, en affirmant qu’ils incitaient aux excès anti-patriotiques et anti-républicains30.
11Si, dans la majorité des cas, l’engagement de bon nombre de rappeurs s’exprime à la faveur de démarches artistiques individuelles, dans certains cas, ils n’hésitent pas à se réunir pour donner à leurs paroles un plus grand impact. À l’instar de divers projets musicaux menés par des artistes de variété française – Jean-Jacques Goldman, Pascal Obispo...– en faveur d’actions humanitaires – contre la pauvreté, le sida...–, les rappeurs éprouvent également le besoin de se rassembler pour lutter contre les injustices qui touchent les populations modestes. Mais l’engagement de ces rappeurs prend une tournure bien plus politique et bien plus polémique. Hormis le combat anti-raciste coordonné par le rappeur Mr R, et élaboré contre le discours idéologique du Front national de Jean-Marie Le Pen31, les rappeurs français de premier et second plans se sont régulièrement alliés autour d’un verbe éloquent et impertinent, et notamment pour fustiger les lois promulguées par d’anciens ministres de l’intérieur (Pierre Joxe, Charles Pasqua ou Jean-Louis Debré) qu’ils jugent racistes/xénophobes32, ou encore des tendances sociopolitiques qui gomment certaines libertés d’expression au profit d’une censure insidieuse33. Les rappeurs engagés se servent ainsi de leurs enregistrements studios, mais également de leurs prestations scéniques, comme d’autres utilisent les colonnes d’un titre de presse ou la tribune d’un meeting politique pour diffuser, faire passer des messages.
12À en croire certains textes de rap écrits au début des années 1990 et d’autres rédigés dans la seconde partie des années 2000, il est évident que les Français non-Blancs, et précisément les immigrés africains (maghrébins ou subsahariens) et asiatiques (chinois ou indiens), connaissent de plus amples difficultés à être acceptés que leurs homologues Blancs – et notamment en ce qui concerne les immigrés d’origine européenne (Portugais, Italiens ou Espagnols). Ainsi, en 1994, le groupe parisien Timide Et Sans Complexe parlait d’une certaine occultation des populations non-blanches par les puissances économico-médiatiques françaises34. En 2007, soit une douzaine d’années plus tard, la formation marseillaise IAM évoque pour sa part la persistance de la difficulté qu’éprouvent les partis politiques et les entreprises privées à admettre en leur sein des individus appartenant aux populations non-blanches35. En effet, une des principales critiques des rappeurs engagés est celle qui concerne l’incapacité chronique de la France à reconnaître sa réalité pluriculturelle et multiethnique. En pointant l’existence de pratiques de discrimination/ségrégation socioethnique, ils critiquent une France qui s’entête à s’enorgueillir du caractère théorique de ses principes républicains, alors même que ceux-ci sont incapables de garantir dans les faits réels une véritable égalité démocratique. Le cas de la représentation nationale – Assemblée nationale et Sénat – est certainement le meilleur exemple qui marque l’écrasante surreprésentation des uns, appartenant aux classes sociales aisées, au sexe masculin et à la majorité ethnique blanche, et l’accablante sous-représentation des autres, appartenant aux couches sociales modestes, au sexe féminin et aux minorités ethniques non-blanches36. D’après un constat sociologique similaire (et, certes, bien moins rigoureux) à celui de Bourdieu (Bourdieu et Passeron, 1964 ; 1970), des rappeurs comme ceux de la Fonky Family affirment que les logiques sociétales créent un antagonisme de classes37. En effet, les inégalités sociales sont plus ou moins reproduites d’une génération à l’autre, c’est-à-dire que les enfants de « dominés » ou de « dominants » ont de fortes chances d’hériter des stigmates38 négatifs ou positifs de leurs parents.
Culture musicale spatialisée et affirmation identitaire contestataire
13À la fin des années 1980, l’anthropologue américain Clifford Geertz (1988 : 132), prenant l’exemple de l’exil cubain vers la Floride, ou l’immigration pakistanaise dans la région londonienne, arguait que l’inédite dissémination de peuples anciennement assujettis au colonialisme n’a fait que transformer le visage du monde. En effet, il remarquait que le continuel va-et-vient spatial entamé et entretenu par les différentes populations diasporas installées dans les grandes et petites agglomérations mondiales, entre pays d’origine et d’accueil, tend à réduire la distance qui sépare les divers modes de pensée. Ce phénomène produit une certaine déterritorialisation des cultures. En France, les populations modestes issues des vagues d’immigration maghrébine et subsaharienne, fortement représentées dans les principales villes du pays (Paris, Lyon ou Marseille), sont plus ou moins imprégnées d’une histoire qui s’écrit entre un « ici » et un « ailleurs » territoriaux. En 1957, le sociologue anglais Richard Hoggart (1957 : 118) soulignait, quant à lui, la rhétorique sociale signifiant une séparation entre « nous autres les dominés » et « vous autres les dominants ». Pour certains individus des populations urbaines non-caucasiennes et non-chrétiennes, que le discours médiatico-politique dominant et conservateur continue à nommer Français d’origine étrangère de deuxième ou troisième génération, et dont une part non négligeable appartient aux couches populaires qui résident dans les quartiers populaires, une dialectique marquée par une identification ethnoculturelle et prolétarienne impose une altérité entre un « nous » et un « eux ».
14Cette division tient au simple fait suivant : quand, pour certains, il est habituel et normal de perpétuer telle ou telle coutume, pour d’autres, celle-ci apparaîtra comme inhabituelle et anormale (Geertz, op. cit. : 107). Prégnante au sein de la population française, cette division ethnoculturelle et socioculturelle est perceptible au vu des rejets racistes et discriminatoires que certains rencontrent de manière trop fréquente, que ce soit lors de la recherche d’un emploi (Fournier et Silberman, 2006) ou d’un logement (Simon, 2003). C’est ce qui fait dire au rappeur Ali : « Comme mes jeunes neveux négros Youssouf et Stephen, le système a vu en moi un cas suspect »39. Les textes de rap sont généralement construits afin que les paroles soient ancrées dans le réel, pour qu’elles reflètent le contexte sociétal par le biais d’une simple écoute, ou d’une simple lecture. De très nombreux rappeurs désirent que leur écriture rende compte de la dureté de la vie pour certains citoyens : contrairement à certains genres musicaux, dans le rap français, le but n’est pas seulement d’assurer la rime d’une phrase à l’autre, mais c’est aussi de soutenir une cohérence entre ce qui est dit et ce qui est vécu. Quand certains estiment que le rap se doit d’offrir des perspectives d’espoir à partir de phrases complexes, d’autres pensent que les points de vue diffusés doivent être compris dans des phrases où les positions tenues ne transigent jamais avec un quelconque compromis. Ainsi, dans une interview, les rappeurs du groupe parisien X-Men expliquent : « On n’utilise pas des grandes phrases, des grands écrivains, on écrit notre poésie de rue. On écrit comme on parle »40. Dans de nombreux textes de rap, l’engagement des rappeurs s’exprime notamment par l’intermédiaire de l’interpellation directe de l’auditeur-acteur : en effet, la conjugaison de verbes à la deuxième personne du singulier41 (« tu »), est additionnée à la conjugaison de verbes à la première personne du singulier (« je »). De manière générale, les rappeurs s’englobent dans la masse des auditeurs-acteurs ; ils utilisent très souvent la première personne du pluriel42 (« nous »), et conjuguent également à la troisième personne (« on »). De plus, suivant la rhétorique scindant la population entre le groupe du « nous venant d’ici » et celui du « eux provenant d’ailleurs », les rappeurs tiennent à faire part de l’état des choses en conjuguant des verbes à la troisième personne du pluriel43 (« ils »). Comme le souligne Patrick Simon (2000), qui reprend les paroles d’Assassin44, le rappeur engagé s’exprime directement au profit des auditeurs des quartiers populaires, car il se reconnaît des devoirs, « des responsabilités à l’égard de son public et se doit de rester intègre ». De nombreux rappeurs refusent de s’adonner aux facilités artistiques qui pourraient, presque à coup sûr, leurs valoir des succès commerciaux plus ou moins notables45.
15La culture hip hop est donc principalement enracinée au sein des couches sociales les plus modestes, et fortement rattachée aux quartiers populaires de France métropolitaine. Malgré les difficultés sociales rencontrées par la majorité des habitants des zones dites sensibles, plusieurs rappeurs ressentent et expriment ouvertement un attachement résidentiel aigu. Selon l’ethnographe David Lepoutre (1997 : 42-44), les jeunes générations, entre l’entrée dans l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte, sont les plus promptes à admettre leur affection pour leur quartier populaire ou leur cité de banlieue d’origine. L’appartenance à une cité – par exemple, les Bosquets à Montfermeil, les 3 000 à Aulnay-sous-Bois, les Minguettes à Vénissieux, les Clochettes à Saint-Fons...– est un élément constitutif de l’identité de nombreux jeunes habitants de la banlieue populaire parisienne ou lyonnaise. Affirmant cette fierté banlieusarde dans leurs textes, la plupart des rappeurs français, à l’instar de leurs confrères états-uniens qui mettent en avant le nom de leur ghetto d’origine – notamment ceux de villes californiennes (Compton ou Long Beach), ou de boroughs new-yorkais (Queens ou Bronx) –, mettent un point d’honneur à valoriser la commune ou le département où ils ont grandi. Cette valorisation du lieu d’origine est d’autant plus prégnante qu’elle intervient dans un contexte sociétal où, suivant la dynamique immobilière à l’œuvre dans les grandes agglomérations – notamment avec le développement de la gentrification – et les résultats de la politique du logement en vigueur – principalement avec le fait que la loi Solidarité et renouvellement urbain est loin d’être généralisée sur tout le territoire –, les populations modestes ou pauvres sont considérées comme étant pratiquement des « parias urbains » (Wacquant, 2006). Ainsi, par exemple, quand le groupe Expression Direkt46 propose un hymne à sa cité (le Val Fourré), sa ville (Mantes-la-Jolie), et son département (les Yvelines), le groupe NTM47 produit une ode dédiée à sa ville (Saint-Denis) et à son département (Seine-Saint-Denis) ; quand au groupe Lunatic, il parsème dans la majorité de ses textes le code postal de son département d’origine, les Hauts-de-Seine48.
16Pour le rappeur engagé, et cela bien plus que pour le rockeur alternatif, parler de son vécu, c’est évoquer le quotidien des personnes qui vivent la même vie difficile que lui. Pour les rappeurs qui ont connu, personnellement et/ou par l’intermédiaire de leurs proches, des moments de vie difficiles, raconter ce qu’ils ont vu et voient, ont ressenti et ressentent, ont entendu et entendent, est une étape logique de leur prise de parole pour représenter ceux qui leur ressemblent : « Quand on n’a rien, représenter les siens c’est déjà quelque chose »49. À cette occasion, ils n’hésitent pas à pointer les inégalités socioéconomiques flagrantes et inhérentes à l’ensemble des sociétés industrialisées50. Ainsi, les rappeurs des banlieues d’Île-de-France, qui ont le sentiment que les populations populaires résidant dans l’ex-banlieue rouge ont été et sont encore repoussées du centre-ville parisien, se reconnaissent d’abord et avant tout en tant qu’habitants de Sevran et de Seine-Saint-Denis, de Trappes et des Yvelines, ou d’Ivry-sur-Seine et du Val-de-Marne. Si les textes de rap font état de l’opposition intra-régionale entre quartiers populaires et faubourgs huppés, ils abordent également le contraste inter-régional entre régions riches et moins riches. Dans le monde du rap, le contraste inter-régional s’exprime le plus fortement chez les rappeurs marseillais : ces derniers exposent souvent une critique socioculturelle relative au rapport inégal capitale/province et une dénonciation sociopolitique de la logique centralisation/décentralisation, et donc évoquent le déséquilibre national français.
17Se sentant d’abord Marseillais avant d’être Français, les rappeurs du groupe phocéen IAM sont certainement ceux qui apportent le point de vue le plus abouti51. Leur fierté provençale et marseillaise est alimentée par le sentiment d’être oublié, rejeté par le centre politique parisien. Les rappeurs marseillais – sans parler de ceux de Lyon, Lille, Bordeaux ou Toulouse – savent, pour le vivre régulièrement dans leur activité professionnelle, que le pouvoir économique et politique national est concentré dans la capitale (Sberna, 2001 : 23-31). De plus, ce sentiment d’oubli ou de rejet de certaines parties de la population et de certains territoires de la République, ne concerne pas seulement la France métropolitaine, mais également la France d’Outre-mer. Ainsi, quand la rappeuse Casey parle de la misère structurelle vécue par de nombreux Antillais52, le rappeur Fabe met en garde les Guadeloupéens et les Martiniquais qui, pensant trouver un contexte favorable, songent à rejoindre une des grandes villes hexagonales53. Par ailleurs, depuis la fin des années 1990, les rappeurs sont les artistes les plus actifs dans le débat sociopolitique portant sur le rapport entre identité et histoire – esclavage, colonisation...–, et précisément au sujet de la reconnaissance sociale des jeunes générations dites issues de l’immigration africaine, mais également de l’intégration socioprofessionnelle de la population des quartiers populaires54. Par exemple, la formation La Rumeur fait part de son constat subjectif personnel, et affirme que les discriminations ethnoraciales sont plus que jamais d’actualité55. Conscients que le pouvoir politique a une grande part de responsabilité dans la construction des « cités-dortoirs », synonymes de la mise à l’écart des couches sociales les plus modestes, des rappeurs comme Fabe56 ou Axiom57 n’hésitent pas à interpeller le Président de la République en personne – Jacques Chirac à l’époque –, et cela afin de signifier les agissements perpétrés sous son mandat, qu’ils jugent anti-républicains et anti-démocratiques. L’objectif est de « sommer » la France de rompre avec les stigmatisations socio-ethniques institutionnalisées.
Conclusion
18Au cours des vingt dernières années du XXe siècle, dans le milieu musical occidental, l’interpellation sociopolitique s’est principalement incarnée dans la musique rap. Après la critique sociale des rockeurs alternatifs des années 1970, notamment symbolisée par le mouvement punk anarchiste britannique (The Clash, Sex Pistols, Crass...), celle des rappeurs de Y underground parisien, marseillais ou lillois s’est affirmée dès la fin des années 1980. Que ce soit en France, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, les artistes de rap s’investissent principalement dans la description de la réalité sociale vue des quartiers populaires urbains, des couches sociales pauvres et des minorités ethnoraciales. La violence des termes et des métaphores employés n’a de sens que si elle est rapportée aux faits convoqués. En articulant des formules percutantes dès le titre de leurs chansons, les rappeurs français prennent à bras-le-corps les maux sociétaux qui touchent de plein fouet les plus modestes, et qui interrogent la société française : La gueule de l’emploi (Flynt), Citoyens de seconde zone (Enigmatik), Jeunes coupables et libres (X-Men), Travail de nègre (Casey), Mémoire d’immigré (Bakar), Ni violeur ni terroriste (Médine), Où sont passés nos rêves (Lim), Ghetto républicain (Mr R). Bien plus que pour d’autres genres musicaux, un album de rap n’est pas (qu’) une suite de mélodies sonores, mais (surtout) une succession de discours thématiques. Du fait de la spécificité du phrasé de ses pratiquants, mêlant une « dominante scandée » à une « mineure chantée », chaque œuvre de rap possède un centre de gravité prononcée : cette musique a une propension à dire des choses, à porter un message d’ensemble cohérent. Par exemple, dans une société française où l’islam subit d’incessantes suspicions (Deltombe, 2006), les rappeurs musulmans, harassés par les multiples étiquettes négatives (voleurs, vandales, intégristes, terroristes...), utilisent leur art pour démentir les images d’Épinal qui définissent grossièrement leur croyance (Swedenburg, 2002).
19Certes, le rap est majoritairement « performé » par et pour les individus stigmatisés par les discours médiatico-politiques. Cependant, depuis le milieu des années 1990, il est autant mis en valeur par de petits labels indépendants (45 Scientific, Néochrome, Street Skillz...) que par les filiales des grandes majors (Barclay pour Universal, V2 Music pour EMI, Up Music pour Warner...). Si certains rappeurs se lient contractuellement aux grandes maisons de disques, d’autres préfèrent demeurer maîtres de leur travail ; ils refusent catégoriquement les pratiques d’imposantes structures qui tendent à limiter leur liberté d’expression et leur créativité musicale. Ainsi, Haroun affirme comme beaucoup d ’ autres : « Les gens me parlent de signer en major / Comme si je n’avais que ça à faire / Mêler des incompétents à mes affaires / Depuis le départ, perturbateur /Je te donne la température /Je suis la bête noire et pas le rabatteur »58. La récupération du rap par l’industrie discographique fut précédée par celle des médias. D’ailleurs, aujourd’hui, la médiatisation d’une partie non négligeable de la production du rap français est conditionnée par les choix de programmation d’une des stations radiophoniques parisiennes ciblant particulièrement les adolescents. Là encore, des artistes contestent cette mainmise ; nombre d’entre eux excluent d’accepter cet état de fait. La Rumeur explique notamment : « [On] ne se travestit [pas] / Les couilles sur la table des négociations, avec les autres trou du [cul] que les playlists des radios [transforment] en eunuques [...] / Combien de mecs se défroquent pour passer sur Skyrock [...] »59. L’occultation médiatique d’un certain type de rap s’est accompagnée du dénigrement politique des rappeurs. De même que le rap américain s’est développé sous le pouvoir reaganien et poursuivi sous l’administration bushienne, de même celui de France s’est construit consécutivement aux déceptions suscitées par la présidence mitterrandienne et bénéficie d’un second souffle contestataire caractérisé par l’opposition à la politique sarkozienne.
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Notes de bas de page
1 D’ailleurs, en 2001, de nombreux rappeurs français (Disiz La Peste, Expression Direkt, La Brigade, Less’ Du Neuf...) se sont rassemblés pour réaliser un album en hommage au chanteur Renaud, Hexagone 2001... rien n’a changé (emi), dans lequel ils ont repris ses grands classiques (Marchand de cailloux, Dans mon hlm, Société tu m’auras pas, Laisse béton...). Ce dernier étant considéré par les premiers comme un de leurs glorieux prédécesseurs dans le champ de la complainte urbaine mise en chanson populaire.
2 Assassin, L’État assassine, L’homicide volontaire (Delabel : 1995).
3 Assassin, Légal ou illégal, L’homicide volontaire (Delabel : 1995).
4 Ménélik, Tout baigne, Phénoménélik (Sony : 1995).
5 Ménélik, Bye bye, Je me souviens (Sony : 1997).
6 « Je parle du quotidien / [Le] sourire, certains l’ont perdu [...] / La pauvreté, ça fait gamberger [...] / Des gars rayés de la carte qu’on efface comme un tableau [...] / Le futur changera pas grand-chose / Les générations prochaines seront pires que nous » [IAM, Demain c’est loin, L’école du micro d’argent (Virgin : 1997)].
7 « Issu des quartiers meurtriers / Là où le meurtre y est trop fréquent [...] / Pas un voyou qui fasse long feu, t’es prévenu / À peine tu viens d’ouvrir les yeux que t’es détenu / La mort ou la prison, t’as que deux issues / L’histoire se répète et tu crois être le plus vicieux » [Kery James, Deux issues, Si c’était à refaire (WEA : 2002)].
8 Voir l’article suivant du journal Le Monde : Pascal Ceaux, « M. Chevènement annonce un renforcement de la lutte contre les violences urbaines » (11 mars 1998).
9 Voir l’article suivant du journal Le Monde : Jean-Baptiste de Montvalon et Sylvia Zappi, « Les maires de banlieue critiquent Nicolas Sarkozy » (1er novembre 2005).
10 Voir l’article suivant du journal Le Monde : Philippe Ridet, « Nicolas Sarkozy droitise son discours pour attirer l’électorat du FN » (23 juin 2005).
11 « Nettoyage au Kärcher / Sortez les dossiers du placard / C’est à L’Élysée que se cachent les plus grandes des racailles / Nettoyage au Kärcher / Gouvernement honteux, que rien n’amène à la démission / Nettoyage au Kärcher » [Keny Arkana, Nettoyage au Kärcher, Entre ciment et belle étoile (Because Music : 2006)].
12 « Dans ma mairie, il y a des fatmas [c’est-à-dire femmes] et des youyous / Des foulards, des babouches et des boubous / Des voyous, des Zoubida, des Mamadou / Au secours : on n’est plus chez nous [...] / Ça baragouine des charabias [...] / Ils nous emmerdent avec leurs traditions » [Axiom avec MAP, Des youyous dans ma mairie, Axiom (ULM : 2006)].
13 Écouter le titre Génération Scarface [Ali, Chaos et harmonie (45 Scientific : 2005)].
14 Écouter le titre L’empire du côté obscur (IAM, L’école du micro d’argent [Virgin : 1997]).
15 « [De] la pensée de négritude aux écrits d’Aimé Césaire / Installant dans les chaumières des mots révolutionnaires / Enrichissant une langue chère à nombre de damnés de la terre [...] / Tous ces esprits dont la fronde a embelli l’existence » [Rocé, Je chante la France, Identité en crescendo (Emarcy : 2006)].
16 « La négritude est un sujet qui fâche / Jamais en phase avec leur mode de vie standard [...] / Désormais, je me méfie quand l’ennemi me dit qu’il me respecte [...] / Je raconte la douleur dans mon monde [...] / Et rendons à Césaire ce qui appartient à Césaire » [Youssoupha, Rendons à Césaire, À chaque frère (Emi : 2007)].
17 « [C’est] le béké [c’est-à-dire le Blanc] qui très souvent tient les usines [...] / Pendant que la crise de la banane s’enracine / Connais-tu Frantz Fanon [et] Aimé Césaire / Et sais-tu aussi que mon prénom et mon nom / Sont les restes du colon britannique et breton » [Casey, Chez moi, Tragédie d’une trajectoire (Doeen’ Damage : 2006)].
18 « Moi, j’y cois pas à l’abolition [...] / Est-ce que t’as l’impression que l’esclavage a disparu / Est-ce que t’as l’impression qu’il n’y a plus de pression quand t’es dans la rue [...] / Les plaies de l’histoire, ça cicatrise quand on les soigne » [Fabe, Code noir, Détournement de son (Sony : 1998)].
19 « Les honneurs, la patrie, les conquêtes et les colonies / On a déjà vu le résultat de ces conneries [...] / Cet homme n’est pas normal [c’est-à-dire Jean-Marie Le Pen] depuis la déconvenue de la guerre d’Algérie qu’il n’a pas digérée » [NTM, Plus jamais ça, Paris sous les bombes (Epie : 1995)].
20 « On nous censure parce que notre culture est trop basanée / [Parce] qu’on ne représente pas assez la France du passé » [NTM, On est encore là, Suprême NTM (Sony : 1998)].
21 Des rappeurs comme Alibi Montana, Lim, Booba et Tandem symbolisent le « rap de rue ».
22 NAP, Je viens des quartiers, La racaille sort un disque (Night And Day : 1996).
23 « J’ai des sujets mais c’est pas ceux qu’ils aiment aborder /J’ai des projets mais ils font tout pour les saborder /Je suis né ici mais je ne me sens pas du tout Français [...] / J’ai des messages mais c’est pas ceux qu’ils aiment véhiculer » [Fabe, Juste à cause de ça, La rage de dire (Sony : 2000)].
24 NTM, Le monde de demain, Authentik (Sony : 1991).
25 Ministère Amer, Brigitte femme de flic, 95200 (Musidisc : 1994).
26 Ministère Amer, Sacrifice de poulets, Bande originale du film La Haine (Delabel : 1996).
27 Stomy Bugsy, Mon papa à moi est un gangster, Quelques balles de plus pour... le calibre qu’il te faut (Columbia : 1996).
28 Stomy Bugsy, Gangster d’amour, Quelques balles de plus pour... le calibre qu’il te faut (Columbia : 1996).
29 En effet, bien que, dans le domaine judiciaire, les tags et les graffs soient encore et toujours considérés comme du vandalisme urbain – ce qui vaut à leurs auteurs, tagueurs et graffeurs, d’être perçus comme des délinquants vandales –, l’expression visuelle du hip hop est pourtant de plus en plus acceptée au sein du microcosme artistique, et de très nombreux artistes hip hop sont exposés dans des galeries d’art réputés. Mais, par l’intermédiaire du marketing, elle est surtout instrumentalisée, annexée par le monde industriel. En effet, dans le cadre de la promotion de leurs productions, plusieurs firmes économiques emploient la signature particulière des tagueurs et autres graffeurs pour les mettre en valeur. Voir l’article suivant : Marie Cousin, « Des tagueurs très recherchés », L’Express, 6 octobre 2004, p. 66-72. Voir également : Julien Bouré, « Le tag, de la rue aux beaux salons », Le Journal du Dimanche, supplément Paris- Île-de-France, 11 mars 2007, p. 45.
30 Voir l’article suivant du journal Le Monde : Mustapha Kessous, « Des parlementaires réclament des poursuites contre des rappeurs » (25 novembre 2005).
31 Écouter le titre Est-ce ça la France [Mr R. avec La Clinique, Sachons dire non, vol. 1 (Nocturne : 1998)] : « Moussa s’est fait canner [c’est-à-dire tuer], le F[ront] N[ational] fête ça au champagne [...] / C’est ça la France, la France aux Français [...] ». Ecouter également le titre Nique le système [Mr R. avec Baccar, Eben, Sniper et Tandem, Sachons dire non, vol, 2 (Emi-Virgin : 2002)] : « Si Auschwitz n’est qu’un détail / C’est que Le Pen est un sale porc [...] / S’acharner sur l’islamiste fait la joie du nationaliste [...] ».
32 « Sans papiers [et] sans droits, donc écrasés par les lois [...] / Rappelle-toi qui s’est battu pour la France [...] / Tu [étais] heureux de voir les Arabes débouler pour libérer ta ville [...] / Quoique tu fasses, le melting pot français est ainsi fait » [11’30 contre les lois racistes (Crépuscule : 1997)].
33 « Qui [veut] contrôler nos dires, nos raps, nos pensées [...] / Déverser les vérités que je recense et dire tout ce que je ressens [...] / On s’obstine, faut que la rime contamine [...] / Ils ont trop de choses à cacher, moi j’ai trop de choses à dire » [16’30 contre la censure (Le Cercle Rouge : 1998)].
34 « J’ose dire que dans les films français / Jamais ils ne proposent un [rôle à un] étranger, à un immigré, sauf pour balayer [...] /Je veux voir plus d’étrangers à la télévision [...] / Place aux nouveaux héros [...] / Je m’intègre » [Timide Et Sans Complexe, Place aux nouveaux héros, Le feu dans le ghetto (Wagram : 1994)].
35 « L’égalité, ouais, on connaît la chanson [...] / Un jour au Sénat, on sera offishall [c’est-à-dire accepté, intégré] / Dans les pubs à la télé, on sera offishall [...] / Mec, on est souvent accusé, rarement candidat / Eux, n’ont qu’un pas à faire, là où nous on en fait trois » [IAM, Offishall, Saison 5 (Polydor : 2007)].
36 Voir l’article suivant du journal Le Monde : Laetitia Van Eeckhout, « Un effort timide des grands partis » (9 Juin 2007).
37 « Ils disent nous représenter, mais connaissent quoi de nos existences / Sont-ils déjà venus dans nos rues [...] / À moi seul, je te représente plus que ton député [...] / Leurs enfants trouvent une situation assez chic / Pour nos gars [c’est] Intérim, Assedic, CRS, RMI » [Fonky Family, Dans la légende, Art de rue (Sony : 2001)].
38 Nous employons ce terme dans le sens introduit par Erving Goffman (1975).
39 Ali, Génération Scarface, Chaos et harmonie (45 Scientific : 2005).
40 Un membre du groupe X-Men cité par Christian Béthune (1999 : 185).
41 « Tu nous connais / Je ne sais pas si notre heure a sonné / Mais dès que le réveil va se déclencher / Sache que des têtes seront tranchées / FF [c’est-à-dire Fonky Family], Marseille : maintenant tu nous connais / J’attaque, gonflé à bloc / Mieux que le rock et son époque » [Fonky Family, Tu nous connais, Si Dieu veut (Sony : 1998)].
42 Écouter le titre Y’a pas de couleurs [Kery James, Si c’était à refaire (WEA : 2002)] : « Alors que certains attisent les passions / Moi, je rappe pour les Noirs, les Arabes et les Blancs [...] / Pas une couleur pour s’aimer, pas une couleur pour sourire / Pas une couleur pour pleurer [...] / Dans nos différences, nous sommes liés ». Écouter également le titre Face à la police [113, Les princes de la ville (Sony : 2000)] : « [On connaît] la chanson [...] / Noirs et Arabes, action puis arrestation / Altercation, humiliation : on nous met la pression / On nous dit qu’on est en infraction [...] / On parle d’immigration et me demande si je vote aux élections ».
43 « Comment ils font pour nous faire croire ça [...] / Comment ils font ces gens-là [...] / Comment ils font pour qu’on ne dise jamais rien / Alors qu’on s’entretue pour la moitié de moins que rien [...] / Je comprends pas qu’ils nous aient berné » [Fabe, Comment ils font, La rage de dire (Sony : 2000)].
44 « On reste sérieux dans nos affaires / Dans la façon dont on parle à nos frères / Chaque CD gravé est une part de vérité / Je peux pas couiller / Aujourd’hui, trop de gens sont concernés / On reste sérieux quand on parle à notre public » [Assassin, Sérieux dans nos affaires. Touche d’espoir (Delabel : 2000)].
45 « J’aurais pu faire « sliake your booty » [c’est-à-dire bouge ton corps] comme refrain [...] / J’aurais pu faire « suce ma... » comme refrain [...] / C’aurait pu être easy [c’est-à-dire facile] à dealer [c’est-à-dire proposer aux maisons de disque et vendre dans le commerce] / Single aiguisé [c’est-à-dire chanson commercialement calibrée] / Trois minutes de bounce [c’est-à-dire festivités] assurées » [Assassin, $$$, Touche d’espoir (Delabel : 2000).
46 « 78, c’est là d’où l’on vient / Débarquement de Mantes-La-Jolie, en provenance du Val Fourré / Quiconque me redit qu’on vient de Paris / Je m’occupe de lui et de sa reumé [c’est-à-dire mère] / À 60 kilomètres à l’ouest de la capitale / Je prépare une attaque [de] crève la dalle » [Expression Direkt, 78, Le bout du monde (Island : 1998)].
47 « Ça vient de Saint-Denis [...] /Je me la raconte [c’est-à-dire vante] pour le 9. 3. [...] / Je suis en mission mais je lâche pas [...] / Cherche pas le 9.3., [car] je file droit [...] / Seine-Saint-Denis Style / Seine-Saint-Denis Style » [NTM, Seine-Saint-Denis style, Suprême NTM (Sony : 1998)].
48 Dans leur album Mauvais œil (45 Scientific : 2000), les deux rappeurs de Lunatic, Booba et Ali, prononcent le chiffre 92 à maints reprises, en référence au code postal de leur domicile d’origine. Donnons quelques exemples non exhaustifs : « 92, point de chute » (92 I) ; « 92 Infanterie : tous enfantés entre joies et douleurs » (Le son qui met la pression) ; « Que veux-tu que je dise quand s’enfoncent les têtes de mon 92 enfance » (Pas le temps pour les regrets).
49 Kool Shen, IV my people, Dernier round au Zénith (Sony : 2005).
50 « Personne ne joue avec les mêmes cartes / Le berceau lève le voile / Multiples sont les routes qu’il dévoile [...] / Pourquoi fortune et infortune / Pourquoi suis-je né les poches vides, pourquoi les siennes sont pleines de thune [c’est-à-dire argent] » (IAM, Nés sous la même étoile, L’école du micro d’argent (Virgin : 1997).
51 Écouter le titre Planète Mars [IAM, De la planète Mars (Virgin : 1991)] : « On vient de Mars[eille], ce n’est pas une farce / IAM en [direct] de la planète Mars[eille] / [La] guerre est déclarée à la planète Mars[eille] [...] / La France [...] a osé trahir les habitants de la Planète Mars[eille] / Tu sais d’où je viens : de Marseille ». Écouter également le titre Mars contre attaque [IAM, Ombre est lumière (Virgin : 1993)] : « Je ne peux contenir ma colère, alors que Paris éclaire ses feux [...] / [Marseille] que l’on renie et que l’on critique / Que l’on mène souvent au peloton d’exécution médiatique [...] / Le temps du provençal rigolo est révolu [...] / Cet argent construit le 16e [arrondissement] et [les] monuments de Paris [...] / [Il y a] des gens vaincus par la centralisation [administrative et politique] ».
52 Casey, Chez moi, Tragédie d’une trajectoire (Doeen’ Damage : 2006).
53 « Pour tous les frères d’Outre-mer qui croient / Qu’ici [c’est-à-dire la Métropole], c’est la terre promise / On vous a fait de fausses promesses [...] / Je pensais m’en sortir mais mon avion a atterri dans leur banlieue [...] / Ici, j’ai pas l’impression d’être heureux » [Fabe, Si tu rêves de la Métropole, Le fond et la forme (Polygram : 1997)].
54 En effet, en novembre 2005, Jacques Chirac, alors Président de la République, a solennellement affirmé que les enfants des quartiers populaires, et tout particulièrement ceux et celles dont les parents ont des origines étrangères – principalement africaines –, doivent se considérer et être considérés comme des citoyen (ne) s françai (se) s à part entière. Voir l’article suivant du journal Le Monde : Béatrice Gurrey, « M. Chirac diagnostique une « crise d’identité »» (16 novembre 2005).
55 « Ils veulent qu’on plie, qu’on casse, [...] qu’on flanche / Quand le diable est au piano et qu’il n’enclenche que les touches blanches / Et les sales races entassées dans les préfabriqués [...] /Vous dites [que] nous sommes des parasites » [La Rumeur, Quand le diable est au piano, Regain de tension (La Rumeur Records : 2005)].
56 « [Tu fais] de moi un ennemi public / En me stéréotypant, tu fais croire que je suis flippant / Les flics en civil fouillent mes vêtements bêtement [...] / J’ai bien l’impression qu’il y a une OPA sur l’immigration [...] /La douce France casse du bronzé [c’est-à-dire non-Blanc] » [Fabe, Lettre au président, Le fond et la forme (Polygram : 1997)].
57 « Je vous fais part de ma grande indignation [...] / Je suis Français, ai grandi dans les quartiers populaires / Mes grands-parents ont défendu ce pays pendant la guerre [...] / Citoyens de seconde zone, de la naissance à l’école [...] /J’accuse votre politique [...] / Au lieu de rassembler [...], vous n’avez fait que diviser / Laissant l’extrême droite avancer » [Axiom, Ma lettre au président, Axiom (ULM : 2006)].
58 Haroun, Nique le terrain, Au front (Front Kick : 2007).
59 La Rumeur, Nous sommes les premiers sur..., Regain de tension (La Rumeur Records : 2004).
Auteur
-
Laurent Béru
Laboratoire c.i.m. – c.h.r.i.m.e. Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III
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