L’Homme face aux crues et aux inondations
|Chapitre IV. Ce qui est souhaitable face aux crues : Fatalité, Parades, Prévisions
Texte intégral
1Les crues et inondations du début des années 80 auront eu le mérite de susciter une prise de conscience préalable à l’élaboration d’une politique de prévention des risques naturels sur l’ensemble du territoire métropolitain. L’absence de catastrophe importante par la suite (celle du Grand-Bornand n’eut guère d’effet ayant été qualifiée d’« imprévisible » et d’« accidentelle ») fit retomber le soufflé et il aura fallu la série des grandes inondations de 1993-1994 pour relancer l’affaire. Les inondations en Camargue, en Charente et dans les Ardennes eurent plus d’effet sur la réflexion, dont il paraît évident qu’elle doit s’inscrire dans la durée et non à l’occasion de crises « imprévisibles ».
2Tout d’abord, puisque les solutions évoquées ci-dessus ne sont pas idéales, il convient d’aller à l’encontre des tendances qu’elles induisent. Pour cela il faut avant tout étudier pour comprendre, puis réglementer et agir (reforester par exemple). Cela pose le problème de la responsabilité des aménageurs et des décideurs et en premier lieu celle des pouvoirs publics et en particulier celle de l’État.
A. la réglementation
3Celle-ci est ancienne, variable, souvent bien faite, parfois mal adaptée. De notre point de vue, elle devrait systématiquement prendre en compte les actions anthropiques aboutissant à une modification substantielle du relief (travaux d’aplanissement, extractions de gravières et carrières, etc.), à l’édification de toute construction en zone inondable, enfin tous travaux aboutissant à la formation d’obstacles face à l’écoulement des crues. Surtout, très souvent, la réglementation n’est pas respectée comme le montrent quelques exemples.
4L’État a cherché à favoriser l’intervention des collectivités locales par le biais de la loi de 1973 en permettant le regroupement des sommes demandées aux propriétaires riverains pour la réalisation des travaux de protection. Cependant ce système ne fonctionne pratiquement pas car beaucoup estiment que la lutte contre l’inondation doit concerner l’ensemble des habitants, et non pas les seuls riverains ou habitants, menacés par l’inondation. Les égoïsmes l’emportent sur la solidarité. L’État lui-même n’est pas exempt de reproche car la situation des cours d’eaux dégradés est similaire, indiquant par la même un certain désintérêt… Toutefois, face aux désastres de ces dernières années un plan décennal de restauration et d’entretien des rivières a été lancé en janvier 1994, doté d’un budget de plusieurs milliards de francs. En outre, les départements peuvent désormais prendre en charge la gestion des cours d’eau domaniaux non navigables pour en assurer l’entretien. Des équipes d’anciens chômeurs ont ainsi été constituées pour assurer ce travail.
5Lors de la catastrophe du Grand-Bornand survenue le 14 juillet 1987 (23 morts), l’implantation des campings avait été autorisée et était en parfaite conformité avec les documents d’urbanisme. Le p.o.s. ne mentionnait pas de risque d’inondation (sic !) alors que les campings étaient implantés dans le lit majeur du Borne, torrent montagnard. Aucune mesure d’interdiction n’existait, même pas de précaution, aucune mise en garde. Pourtant le Borne avait déjà connu par le passé (1879, 1936) des crues catastrophiques similaires. L’action en justice des familles des victimes ne retint aucune responsabilité de la commune ou de l’État. Comme le Premier ministre de l’époque, le tribunal administratif jugea la catastrophe « imprévisible » confortant le camp de ceux adoptant un attitude fataliste et finalement accommodante. Depuis la municipalité a dépensé 15 millions de francs de travaux pour rectifier la rivière et… camping et lotissements sont revenus !
6Il est assez consternant et significatif de constater que pour la tragédie de Biescas (Aragon) le vice-président du gouvernement espagnol a adopté la même attitude et les mêmes termes en estimant lui aussi que le « drame était totalement imprévisible » ajoutant « même le plus performant des instituts de météorologie n’aurait pas pu prévoir ce qui s’est passé ». Monsieur le vice-président, comme le ministre espagnol de l’environnement (« le camping réunissait toutes les conditions de sécurité » ; « la catastrophe est due à une cause naturelle extraordinaire ») et les autorités du gouvernement régional d’Aragon oublient simplement que le camping était établi sur un cône de déjection actif soumis aux crues torrentielles et que des travaux de rectification avaient été effectués auparavant, le torrent posant quelques problèmes ce qui était consigné dans un rapport de géologues (Le Monde du 9 août 1996).
7Il faut dire que la loi de décentralisation de 1982 conférant aux maires le pouvoir d’accorder des permis de construire (même si cela doit être avalisé par la suite par la préfecture) n’a pas arrangé les choses. Le maire est soumis aux diverses pressions des couples suivants : entreprise-emploi, promoteur-ressources financières, acheteur-électeur). Que d’autorisations de permis de construire accordées, que de dérogations aux plans d’occupation des sols (p.o.s.) ! Théoriquement lorsqu’une personne souhaite ouvrir un camping, elle doit demander une autorisation d’aménagement auprès de la mairie. Il faut vérifier que, ni le règlement du P.O.S., ni un plan de prévention des risques ne s’opposent à l’implantation des tentes et des caravanes. Ensuite, si la commune est frappée par un arrêté de délimitation prononcé par le préfet (depuis 1993, on peut demander aux municipalités de fournir la carte des zones à risques répertoriés sur leur territoire), l’exploitant se voit imposer certaines mesures de sécurité municipales. Un décret d’application de la loi de 1993, signé en 1994 et publié en 1995, l’impose. Or, 80 % des permis de construire délivrés en zone inondable l’ont été au cours de ces quarante dernières années. Sait-on que sur les 9 000 campings installés en France 3 800 sont installés en zones à risque et que ces dix dernières années seuls une dizaine d’entre-eux ont été fermés ? À Thones en Haute-Savoie un camping était installé en zone interdite depuis 1972. Le propriétaire a refusé pendant longtemps toute « mise en conformité » (certes coûteuse) sans être inquiété outre mesure jusqu’à ce que les autorités préfectorales ordonnent sa fermeture (une semaine après la tragédie de Biescas !). Cette affaire fut largement médiatisée. Cependant selon le Service de Restauration des Terrains de Montagne (srtm) il subsiste 22 campings classés à risque dans le département de Haute-Savoie.
8Spéculation ou pressions électorales ont souvent été efficaces sans pour autant que l’intérêt collectif ait été respecté, avons-nous dit. Pourtant, la loi du 13 juillet 1982 sur l’indemnisation des catastrophes naturelles a aussi un objectif de prévention. Elle prévoit l’établissement de Plans d’Exposition aux Risques naturels prévisibles (p.e.r.) au niveau communal. Ces p.e.r. comprennent, en particulier, la délimitation des zones exposées, ainsi que des recommandations en matière d’occupation des sols et de techniques de prévention à mettre en œuvre. Une fois approuvés, les plans sont opposables aux tiers. La loi permet à l’État d’imposer le p.e.r. aux communes. Le préfet, qui est chargé de prescrire ce plan, doit informer d’abord les communes de son périmètre et requérir leur avis. Puis il doit le mettre à l’enquête publique pendant plusieurs semaines sous la responsabilité d’un commissaire enquêteur. Enfin le p.e.r. est approuvé par arrêté préfectoral (ou par le Conseil d’État en cas de litige). Une fois approuvé, le p.e.r. devient une servitude d’utilité publique qui s’impose aux documents d’urbanisme à commencer par les P.o.s. et les schémas directeurs d’aménagement. Le p.e.r. définit trois types de zones : blanche, sans risque prévisible ; bleue, exposée à des risques maîtrisables ; et rouge où toute construction est interdite, hormis les moyens de défense des constructions existantes. L’inconstructibilité est décrétée dans les zones où la hauteur de crue centennale est comprise entre 1 et 2 m et celle de la crue décennale entre 50 cm et 1 m.
9Ce dispositif en apparence parfait est difficile à mettre en œuvre. Outre les recherches historiques indispensables, longues, pas toujours fiables, des contestations sans fin peuvent surgir à propos de constructions anciennes ou récentes, des calculs hydrologiques, de l’évolution climatique, etc. Sans parler des considérations économiques qui, pour une commune ou un particulier exposés au risque, peuvent être importantes. Un propriétaire peut avoir à dépenser jusqu’à 10 % de la valeur de son bien pour le préserver de l’inondation. Une commune peut « perdre » des dizaines d’hectares constructibles lorsqu’ils sont inclus dans un périmètre classé rouge. C’est pourquoi en 1989, sur un total de 5 000 communes exposées à un risque naturel, 89 seulement avaient un p.e.r. approuvé ; en 1995 on en est à 282 (78 prescrits et 376 à l’enquête). Or il y a environ 8 500 communes qui sont exposées au risque d’inondation et des départements très exposés, comme l’Ardèche ou le Vaucluse, n’ont aucun p.e.r. en vue. Le bilan est proprement… désolant et potentiellement catastrophique !
10En juillet 1994 le conseil des ministres a confirmé le principe d’inconstructibilité dans les zones à risque, mais ce principe se heurte à un état de fait pervers. L’État propriétaire des rivières (presque toutes) est considéré comme responsable des dégâts qu’elles peuvent causer. C’est donc lui qui indemnise les victimes. Les particuliers peuvent à leur gré souscrire une assurance contre l’inondation qui complétera le cas échéant le remboursement des dommages. Mais pour la commune, propriétaire foncier, le respect des zones inondables est souvent un manque à gagner considérable. D’où la propension des maires à faire la sourde oreille aux prescriptions puisque de toute façon ils n’auront pas à indemniser les dégâts. Résultat : Orléans a 40 000 habitants en zone rouge, Tours vient de créer un nouveau quartier sur 180 hectares de prairies inondables et Montpellier a fait édifier une cité universitaire pour 10 000 étudiants dans une zone à crues torrentielles. En cas de catastrophe la collectivité nationale devra payer pour le cynisme d’une municipalité. L’État, par le biais des préfets, semble parfois vouloir durcir l’application des textes (après une catastrophe par exemple) mais cela ne concerne la plupart du temps que des zones non encore construites. Pour celles qui le sont, il est déjà trop tard et l’on se garde bien de sanctionner le non-respect de la loi. Rares sont les interventions comme celle du préfet de l’Indre-et-Loire qui, en mai 1996, fit valoir l’interdiction de poursuivre la construction d’une école en zone inondable. Pourtant la commune de Nazelles-Negron avait déjà dépensé 30 millions de francs pour celle-ci.
11Enfin, il convient de dénoncer le fait que la puissance publique ne se sent pas responsable des biens qui, normalement, incombent à leur propriétaire et le cas échéant (c’est à dire si le propriétaire a souscrit une assurance) aux assureurs. Or ce sont précisément les dégâts matériels qui suscitent le plus de polémiques car ce sont eux qui finalement déterminent la fameuse procédure de « catastrophe naturelle» qui seule permet une indemnisation d’urgence aux victimes. Malheureusement, le fait même de pouvoir contracter une assurance couvrant les plus gros dégâts n’incite guère à la prudence. Pourtant une intrusion d’eau boueuse a des conséquences néfastes pour la plupart des documents, archives personnelles, livres photographiques, etc., qui ne sont pas remboursés. Pour un commerçant, le manque à gagner consécutif à la non utilisation de matériels (arrêt d’un congélateur, perte d’une voiture, d’une chaudière, d’un moteur électrique, etc.) n’est pas pris en compte par les assurances, sans compter les mises au chômage forcées. Même bien assuré (une minorité), le citoyen est toujours pénalisé car comment « rembourser » un album-photo de souvenirs ?
B. la prévision
12Avec des pertes économiques comprises entre 2 à 5 milliards de francs par an les crues et les inondations viennent au premier rang des dégâts causés par les catastrophes naturelles en France. Il convient donc d’essayer de limiter ces effets négatifs.
13La première démarche à entreprendre est de procéder à un inventaire des observations de terrain ; la seconde est de mettre en place un service d’annonce de crues, ce qui n’a été fait qu’en partie en France (l’équipement du reste du territoire national est en cours ou en projet).
1. Les observations de terrain
14Il s’agit d’analyser, aux différents endroits des bassins versants susceptibles de pâtir d’une inondation, les paramètres suivants :
- la délimitation précise des secteurs inondables et ce pour chaque type de crue ;
- la typologie des inondations (avec pointe, durée, récurrence, intensité) ;
- l’ampleur de l’inondation possible ;
- les périodes de retour (crues décennales, centennales) ;
- l’évaluation des dommages à craindre, tant sur le plan matériel qu’humain.
15Dans tous les cas la rédaction d’une cartographie adéquate paraît nécessaire, à différentes échelles (Figure 15), car elle semble beaucoup plus utile et certainement beaucoup moins coûteuse que les études de modélisation hydraulique préconisées par les bureaux d’étude et les ingénieurs, appuyées par l’attitude beaucoup trop optimiste des aménageurs préoccupés avant tout par la gestion foncière des sols. Par ailleurs il n’est pas bon de dire que les bureaux d’études vivent de ces études…
16Le plus souvent c’est « l’aménageur » qui décide des zones à urbaniser ce n’est qu’ensuite qu’il demande à l’hydraulicien de résoudre techniquement les problèmes d’écoulement des eaux qui en résultent, et ce dans les limites strictes d’une enveloppe budgétaire forcément limitée ! L’approche naturaliste est presque toujours écartée.
17Le recours à la photo-interprétation est très efficace pour cartographier rapidement de grandes longueurs de plaine alluviale, pour l’analyse fine du micro-relief (talus), et l’intégration de structures morphologiques peu perceptibles sur le terrain. La comparaison multitemporelle effectuée à partir de plusieurs missions de photographies aériennes permet également de prendre en compte et de dater les évolutions du milieu. Ceci doit être combiné avec les observations de terrain comme par exemple les relevés des plus hautes eaux observées lors des crues historiques. Les chroniques des inondations et les documents anciens sont de ce point de vue très précieux et le simple recours à la carte i.g.n. au 1/25 000 suffit souvent à délimiter les principales zones (Figure 16 et 17). Des cartes avec isochrones de la concentration du ruissellement, puis de la progression des crues ou des inondations pourraient être également dressées.
18Ce n’est qu’ensuite que la combinaison de l’analyse des pentes et de la densité du couvert végétal, ouvre la voie à la modélisation du ruissellement potentiel des bassins versants soumis aux risques de pluies torrentielles.
2. La mise en place d’un service d’annonce de crues
19La prévision porte sur la collecte et la transmission des données pluviométriques et hydrologiques. Bien entendu l’efficacité des systèmes d’alerte dépend de leur qualité et donc des moyens mis à la disposition des spécialistes, mais aussi de l’ancienneté des chroniques dont on dispose. Il est très important de multiplier et d’accumuler des données. Dans la plupart des cas, les délais dont on dispose pour alerter les populations se réduisent à quelques heures voire moins. Cependant l’apparition de nouveaux capteurs et de nouveaux systèmes de transmission, à l’exemple de Gard (Obled et Leoussof, 1986) a permis d’améliorer l’annonce des crues (Figure 18).
Figure 16 : Exemples de zones urbaines et périurbaines menacées par de possibles débordements de l’Ariège (voies de communications et campings sont particulièrement concernés)
(d’après Antoine J.-M.)
Figure 17 : Les zones inondables de la vallée de l’Orb
(d’après Brun F. et Dumas G., modifié par Gazelle F., 1996)
20Deux aspects de la prévision peuvent être distingués :
21– la prévision immédiate : avec l’alerte des populations quelques heures avant que la crue n’intervienne. Au début du siècle ce rôle était joué par des observateurs chargés de suivre la montée des eaux et de transmettre les informations par télégramme au pire, par téléphone ou radio au mieux. Aujourd’hui les mesures se sont progressivement automatisées (il existe plus de 600 stations de mesures et 200 autres sont prévues) et les services ont même la possibilité d’interroger les stations en cas de besoin que ce soit sur la pluie, les débits, les volumes d’eau des retenues, l’onde de crue, etc. L’implantation d’un réseau de radars météorologiques est de ce point de vue une excellente chose (le réseau Aramis est constitué de 10 radars répartis sur toute la France). Le radar qui « voit » la pluie en train de tomber, donc avant son accumulation au sol, permet d’anticiper au mieux et représente un véritable outil d’aide à la décision. Ce réseau comprend 53 centres en France auscultant 16 000 km de cours d’eau. Π dispose pour cela de deux outils majeurs : les bulletins quotidiens de Météo France qui donnent les prévisions pour 24 heures et les données transmises en temps réel par le système automatique de collecte. Les capteurs en rivière donnent, heure par heure, le niveau du cours d’eau, et les stations au sol relèvent la pluviométrie. Dès que les précipitations dépassent 20 millimètres dans l’heure – ou 60 millimètres en vingt-quatre heures – les services d’annonce de crue sont mis en alerte. Cependant ce réseau est indéniablement encore insuffisant pour « capter » tous les orages dévastateurs localisés affectant de petits bassins versants, notamment en Languedoc-Roussillon et en Provence. Autre lacune, les dispositifs en place ne permettent pas de prévoir les inondations par ruissellement urbain (ex. : Nîmes).
22Le système de prévision des crues relève de Météo France (vingt-quatre heures sur vingt-quatre) d’une part, et des services d’annonce de crue d’autre part, lesquels dépendent en général d’une direction départementale de l’Équipement, mais pas toujours, ce qui pose un premier problème de coordination et d’efficacité. La création d’un service unique, réunissant à la fois météorologues et hydrologues, pour traiter le problème dans son ensemble, paraît donc souhaitable. Sa rentabilité apparaît incontestable si l’on en juge de par les études réalisées à l’étranger, notamment aux États-Unis.
23La mise en alerte devrait se faire par étapes en fonction des données parvenant au centre décisionnel : mise en vigilance, mise en préalerte et alerte. Ces différentes phases doivent être définies en fonction de seuils à déterminer pour chaque point du bassin versant susceptible d’être menacé. La préfecture peut prendre la décision de mise en préalerte et la communique successivement aux différents services concernés et susceptibles d’être mobilisés : Service d’annonce des crues, Service de transmission de l’intérieur, Gendarmerie, Police, Télécommunications, Ponts et chaussées, etc. Lorsque les cotes d’alerte sont dépassées, le Directeur départemental de la Protection civile décide de donner l’alerte et les maires sont également prévenus. Le perfectionnement du Service d’Annonces de Crues devrait être une priorité (automatisation du réseau de mesures et amélioration du modèle pluie-débit). Mais de nos jours seules des zones de plaine régulièrement et lentement inondées comme le bassin de la Saône ou de la Charente, et à un moindre degré la Seine, autorisent des prévisions correctes à 24 h près. Autrement dit ce schéma idéal, satisfaisant sur le papier, est presque toujours pris à contre-pied par la réalité météorologique et géomorphologique. Quand bien même un radar identifie le danger, souvent l’onde de crue déferle avant même que l’on puisse prendre des dispositions.
24Cependant la prévision, notamment pour les phénomènes brutaux, n’est pas facile car même le recours aux documents radar et satellitaires ne permet ni de localiser avec précision les points d’impacts majeurs des phénomènes de grande ampleur, ni d’évaluer leur importance réelle (Davy, 1990). Rappelons qu’en montagne la couverture radar pose de gros problèmes d’interprétation et s’avère souvent insuffisante or c’est précisément en montagne que les crues sont les plus rapides et brutales. Les modèles actuels de prévision (Péridot, puis Arpège) ont un maillage trop grossier, le degré de précision n’étant que de 24 h avec une précision de l’ordre de 150 à 200 km. Pour les petits bassins cela devient presque impossible d’autant qu’aujourd’hui l’effort a porté en priorité sur les grands cours d’eau. Au total le réseau automatique d’alerte des crues demeure insuffisant (Figure 18) même s’il se complète peu à peu : 5 nouveaux radars seront mis en service ces prochaines années mais cela revient cher (10 millions de francs l’unité). L’on observera qu’avec cette politique l’accent est surtout mis sur les mesures d’évacuation des usagers, et non sur une réelle prévention, ce qui pose problème dans le cas de laves torrentielles brutales survenant en moins d’une demi-heure (cas du camping de Las Nieves de Biescas).
25– la prévision à long terme est bien sûr préférable. Elle peut se faire en utilisant les documents historiques et les cartes à risques (cf. supra). L’équipe chargée de celle-ci doit tenir compte du zonage des risques, élaboré lors des études évoquées ci-dessus, comme par exemple le risque humain (périodes d’été à forte fréquentation touristique ; ex. : gorges de l’Ardèche, du Tarn, de la Kakoueta, ou bien la pratique croissante du « canyoning » très dangereuse en cas de crue), ou encore les risques matériels avec la présence ou non d’installations de production, de commerces ou habitations d’importances diverses.
26Par exemple l’analyse de la structure du réseau hydrographique peut être d’un grand intérêt quant à la prévention. Un « chevelu » dense concentré, des pentes fortes sur terrains imperméables, une incision importante, l’absence d’une couverture végétale dense sont autant de facteurs favorables à la production d’une crue importante. Aussi la cartographie de l’occupation du sol, base d’une analyse de vulnérabilité des biens, obtenue par traitement des données multispectrales, permet-elle d’évaluer la densité du couvert végétal et d’estimer la propension au ruissellement des différentes parcelles. La pertinence d’une cartographie géomorphologique spécialisée est largement démontrée. (Lambert, 1986). Elle permet de situer les ouvrages et travaux susceptibles de modifier le fonctionnement hydromorphologique de base : mise hors d’eau ou totale de zones inondables, freinage de l’écoulement des eaux, accélération et amplification des crues, etc.
27Une dernière approche est celle d’une définition statistique du risque de crue et d’inondation pour les riverains des cours d’eau, les aménageurs et les assureurs. La difficulté consiste à caractériser le risque pour un bâtiment ou un équipement existant ou projeté lorsqu’on envisage des mesures de prévention coûteuses ou contraignantes. On doit alors donner des éléments pour la recherche d’un optimum entre le risque d’endommagement et le coût des mesures de protection (en sachant que les estimations physiques ne sont pas plus précises que les estimations économiques). Face aux besoins la statistique hydrologique apporte quelques éléments de réponse. On observera pourtant qu’une moyenne statistique ne satisfera pas les victimes : comment expliquer aux riverains de la Moselle, inondés trois fois en 1982-1983, qu’ils ont connu un crue décennale, puis une crue cinquantenale et enfin une crue trentennale dans le même hiver ? Et que seule la crue cinquantennale était prise en compte par les statisticiens ! (Abèle et al. 1986). Par ailleurs les périodes de retour sont très controversées (50 ans pour certains spécialistes, 100 ans pour d’autres…) ainsi que l’évaluation hypothétique des débits maximaux, incitent à une grande prudence quant aux conclusions issues des diverses méthodes d’investigation.
28À partir des analyses effectuées l’action devrait se tourner prioritairement vers l’aménagement du bassin versant.
C. l’aménagement du bassin versant
29Du point de vue de la prévention des crues, l’aménagement du bassin versant apparaît comme fondamental tant au niveau des versants que du lit proprement dit.
1. Au niveau des versants
30Géologues et géomorphologues savent depuis longtemps que la nature lithologique des soubassements est fondamentale quant à l’écoulement des eaux. Très grossièrement il est d’usage d’opposer terrains perméables et imperméables bien qu’en fait dans la nature presque tous les terrains soient (mais plus ou moins) perméables. Cependant ceux que l’on considère comme imperméables (en gros les formations cristallines, les quartzites, les schistes, les conglomérats, les marnes et les argiles) donnent lieu à des sources nombreuses et des écoulement rapides.
31Au contraire, les terrains considérés comme perméables (calcaires, grès, gypses, la plupart des terrains volcaniques, les alluvions et les sables) permettent des infiltrations en masse et la formation de nappes souterraines. Un terrain argileux par exemple (la nature des argiles : montmorillonites, smectites gonflantes, etc., joue également) est un facteur potentiel d’instabilité de versants vis-à-vis des processus d’érosion. De là viennent la forte turbidité des cours d’eau et l’importance des engravements d’aval souvent observés en terrains argileux. Certains terrains sont très affouillables (cas du Massif de Gigondas-Suzette, au sud de Vaison-la-Romaine ; lire ou relire à ce sujet Les dentelles de Montmirail de René Char) et peuvent indirectement jouer un rôle important quant aux crues.
32Un terrain karstique au contraire ne génère que difficilement des turbidités importantes, mais ce n’est pas une règle absolue car bien d’autres facteurs interviennent.
33D’une façon générale, l’idée communément répandue est la suivante : les terrains perméables jouent plutôt un rôle retardateur et pondérateur de l’écoulement en formant éponge tandis qu’au contraire, les terrains imperméables favorisent un ruissellement immédiat et donc des cours d’eau à manifestations brutales.
34Par ailleurs de nombreuses études, parfois fort anciennes, comme l’indique le titre de l’ouvrage de Becquerel paru en 1853 – Des climats et de l’influence qu’exercent les sols boisés et non boisés–, ont montré qu’une couverture végétale bien fournie (type forêt) réduisait l’écoulement. Cette affirmation est sans doute vraie même si les rapports végétation-écoulements ont été l’objet de maintes interprétations contradictoires en l’absence de données quantitatives fiables. En fait, il ne faut ni négliger ni surestimer, comme l’a souvent fait l’onf dans l’entre-deux-guerres, le rôle du couvert végétal.
35Cet aspect est particulièrement net dans les forêts tempérées car la forêt intercepte la pluie (réduction ou anéantissement de l’effet « splash »), elle retarde la fonte de la neige sous son couvert (ceci est bien visible en montagne au printemps), enfin elle accroît l’évapotranspiration en particulier en été où la transpiration des arbres contribue à l’assèchement des sols et à l’abaissement du niveau des nappes phréatiques, au bénéfice de la rétention. L’humus forestier, qui est relativement abondant, est capable d’absorber jusqu’à 10 fois son poids d’eau. Par ailleurs son élasticité protège le sol contre une imperméabilisation rapide car elle s’oppose à l’effet de tassement produit par l’impact des gouttes. Même lorsque la couche morte est saturée, c’est un écoulement hypodermique lent qui se développe. Il constitue une sorte de drainage diffus par gravité lequel finit par aboutir dans les ruisseaux avec un fort retard sur le ruissellement direct (Loup, 1974).
36La forêt a également un rôle topographique ; elle concourt à l’aplanissement du relief et de ce fait la concentration des eaux et les ravinements sont entravés. De ce point de vue, les boisements en montagne sont judicieux et l’augmentation significative de leur superficie en France depuis le XIXe siècle n’est pas mauvaise en soi.
37Inversement la destruction d’une forêt provoque un accroissement annuel de l’écoulement, mais aussi l’apparition de ravines. En cas d’absence de couverture végétale protectrice importante l’érosion (depuis l’effet splash jusqu’à l’écoulement concentré) se développe. Les défrichements et les incendies forestiers ont à cet égard un rôle négatif sur l’écoulement des eaux, souvent signalé. En France, la réunion sous la seule administration des Eaux et Forêts prend en compte les deux aspects de cette réalité. Cependant l’objectivité commande de faire observer qu’en cas de précipitations fortes et durables le rôle protecteur de la forêt diminue à mesure que le temps passe et que les feuillages et les sols se saturent.
38Les prairies offrent moins de garanties que la forêt car leur sol est moins absorbant, mais les engazonnements ne sont pas inutiles notamment pour la fixation des banquettes perpendiculaires de protection.
39Comme il est souvent prévisible, ce sont souvent les terrains cultivés qui sont principalement affectés (notamment les vignes et vergers) par les fortes précipitations. Sur les banquettes les plus exposées un système ramifié de rigoles apparaît. Ensuite le déversement d’une parcelle dans une autre et le débordement des fossés existant entraînent l’apparition de petites ravines, puis un paysage, dans les cas extrêmes, de bad-lands. Les observations montrent que l’érosion due au ruissellement est maximale sur les banquettes nues en préparation, ou récemment plantées. Les talus résistent là où ils sont végétalisés sinon ils sont affectés de foirages et de griffures d’érosion. Or la charge solide ralentit l’écoulement mais accroît les débits et majore les niveaux et donc les inondations. L’on comprend que l’homme en pays méditerranéen ait cherché à lutter contre cette l’érosion, d’où le rôle des terrasses et parcelles talutées ou encore des lits en escaliers pour provoquer les atterrissements sur les paliers.
40En pied de versant les cônes de déjections étaient traditionnellement considérés commes zones à risque qu’ils soient actifs ou non (c’est à dire sans référence historique). Ces sites étaient utilisés avec précaution (peu ou pas de construction, d’endiguement). Mais ils ont été progressivement été appréhendés, aménagés voire urbanisés, sans tenir compte de leur dangerosité historique. La plupart du temps, en France, les terrains des campagnes étaient végétalisés (à l’exemple du bocage) et souvent les pieds de berge consolidés pour éviter les sapements.
41Cependant les boisements en bordure immédiate des lits ne sont pas judicieux car les ondes de crue peuvent déraciner les arbres, les emporter et les accumuler pour former des embâcles dangereux, au niveau des ponts par exemple.
42Il conviendrait donc de revenir à une étude précise de la nature et de la répartition des espaces boisés et cultivés (hydromorphie des sols, structure du parcellaire, du drainage, de l’habitat, etc.).
43La gradation zonale suivante pourrait servir de base à une réflexion :
441. prairies naturelles ; 2. cultures herbacées ; 3. cultures arbustives ; 4. cultures arborées ; 5. bâtiments agricoles ou entrepôts, non-habités ; 6. urbanisation de type extensif ; 7. urbanisation dense.
45Les insuffisances constatées à ce niveau dans la plupart des études hydrologiques et hydrauliques classiques mettent en évidence la nécessité de les reconsidérer dans le cadre d’une démarche plus large, ouverte en particulier aux sciences de l’observation. Pourtant on connaît davantage les risques de crue et leurs mécanismes qu’autrefois et l’on sait mieux par quels moyens s’en protéger.
2. Au niveau du lit
46La correction des lits est souvent La solution proposée par nos ingénieurs : on cherche à accroître la section mouillée en élargissant les lits ou encore à les approfondir par des dragages ou des dérochements ou encore en érigeant des digues, etc. Tous ces travaux ont pour but de minorer les niveaux, encore faut-il que ces interventions soient précédées d’une connaissance préalable de la crue maximale possible (ou du moins une approche théorique) et mieux encore du bassin versant. C’est ainsi que de nombreuses coupures de méandres ou de sinuosités, destinées à accroître la pente en réduisant la longueur, ont entraîné de nombreux mécomptes. Π en a été souvent de même avec les travaux de lissage pour « améliorer » la capacité de certaines sections en simplifiant le chenal et en le débarrassant de sa végétation. Le recalibrage, qui consiste à rectifier la section d’écoulement et à augmenter le débit, évacue plus rapidement la crue mais déplace le risque sur les secteurs aval si des zones intermédiaires ne permettent pas de stocker une partie des eaux.
47Face aux solutions des techniciens et des ingénieurs « tout béton » le naturaliste, par son sens de l’observation et sa pratique du terrain, peut là aussi proposer des solutions alternatives. Prenons deux exemples : celui des lacs et des cuvettes de débordement.
48Un lac est une retenue d’eau liée à une contre-pente et les facteurs topographiques susceptibles de créer des lacs sont très nombreux. Tous les lacs jouent un rôle de pondération qui est bien connu des hydrologues. La nappe d’eau peut donc être considérée comme partie du système fluvial où l’écoulement est très ralenti. En cas de crue le lac retient une grande partie des eaux surabondantes, déborde davantage au niveau de l’émissaire, voit son niveau augmenter, puis restitue peu à peu l’eau accumulée avant de retrouver son niveau habituel. Une solution alternative pour lutter contre les inondations est donc d’obliger le cours d’eau à reconstituer des « lacs temporaires » le temps de la crue. Alors que les solutions traditionnelles de l’endiguement se tournent plutôt vers l’édification de longues digues parallèles, des dispositifs nouveaux, des digues perpendiculaires au fleuve s’apparentant aux barrages, reconstituent en quelques sorte le mécanisme du lac. En effet ces digues comportant à la base une ouverture permanente très basse et large à l’emplacement du cours central du fleuve, permettraient à la fois un écoulement ininterrompu mais aussi une rétention de l’eau en excès. Ainsi, l’écoulement du fleuve serait différé volontairement mais non-arrêté comme dans le cas d’un véritable barrage. Chaque dispositif fondé sur ce principe délivrerait à sa sortie aval une quantité d’eau inférieure à celle qui pénétrerait en amont, la différence étant à l’origine du lac temporaire qui se formerait en amont du dispositif, dans l’axe même du cours d’eau ce qui, on en conviendra, engendrerait peu de dommage à la condition d’avoir prévu et défini à l’avance la zone d’inondation. Cette dernière devrait être exempte de construction, et vouée à une occupation du sol adaptée (prairies, champs, boisements). Archambault (1993) propose d’appliquer cette solution au Bec d’Allier où l’on estime que les débits exceptionnels du XIXe siècle de la Loire (9 000 m3/s) pourraient fort bien se reproduire. L’idée est la suivante pour reprendre la formule de cet auteur : « pour protéger l’aval il faut inonder l’amont ». Bien entendu la multiplication des digues de ce type destinées à ralentir les crues et moduler leur écoulement devrait s’intégrer dans un plan d’ensemble. Un avantage majeur de ce système est qu’une fois installé il doit fonctionner tout seul (comme le lac), l’intervention de l’homme se réduisant à un entretien minimum.
49Une variante, toujours offerte par la nature, est celle que montrent nombre de fleuves tropicaux (dont l’Amazone) avec la constitution de multiples cuvettes de débordement parallèlement au cheminement des eaux de leur cours principal. Il s’agit de dépressions lacustres, véritables limans, communiquant avec le fleuve par des chenaux qui traversent la levée de berge, au moment des crues, lors de la saison des pluies. Puis elles se vident lentement en partie ou en totalité, par évaporation au cours de la saison sèche. Ces cuvettes de débordement, souvent immenses, amortissent considérablement les crues. L’idée de constituer des casiers de débordement dont on modulerait l’évacuation des eaux est fondée sur ce principe. On pourrait attendre de ces casiers non seulement qu’ils écrêtent les crues, mais aussi qu’ils puissent moduler par la suite la restitution des eaux au fleuve. Là encore il serait prudent de prévoir une série de canaux d’évacuation, utiles au moment de la décrue. En effet dans le cas des très grandes crues l’on s’est aperçu que les digues latérales jouaient dans les deux sens, et qu’en retenant les eaux elles prolongeaient l’inondation en aggravant ses effets ! Ces casiers d’inondation ne seraient nullement abandonnés par l’homme mais voués à des occupations du sol susceptibles de supporter sans gros problèmes des submersions de quelques jours sans subir de dégâts significatifs (prairies, peupleraies, etc. ; cf. infra). L’analyse détaillée des différentes phases des crues devrait permettre, pour chaque cours d’eau réputé à risques, d’orienter les conceptions d’aménagement du lit majeur. L’analyse de la grande crue de la Garonne de décembre 1981 (Lambert, 1989) montre la voie à suivre.
50L’idée n’est pas réellement nouvelle car elle a été mise en œuvre, au moins en partie, au XIIIe siècle dans le bassin du Rio Segura (Espagne) sous forme de digue fusible. Le concept consistait à ériger un terre-plein perpendiculaire au cours d’eau destiné à surélever la lame d’eau pour que, par le biais de prises latérales, l’on puisse irriguer lors des petites crues. Si les crues devenaient plus importantes l’eau passait par-dessus le terre-plein et le détruisait par érosion ; mais les infrastructures d’irrigation étaient sauvegardées.
51Dans tous les cas il vaut mieux chercher à étaler la crue que la contenir. Un bon plan d’aménagement devrait donc examiner avec soin la solution des retenues de ralentissement, dans toutes leurs variantes, axiales ou latérales selon les configurations locales, et non pas seulement celle des barrages réservoirs.
52En ce qui concerne le lit proprement dit, il convient de cesser tout dragage et interdire toute gravière de basse terrasse, notamment dans les zones amont des agglomérations urbaines. Π faut consentir des efforts sur la reconversion des entreprises et sur la recherche des matériaux de substitution. Des roches dures extraites en carrières sèches et des gravats de récupération font aussi bien l’affaire que des graviers dont la place est dans les rivières et pas ailleurs. Il faudrait suivre la voie des pays qui nous précèdent de ce point de vue tels la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Cette dernière, par exemple pour le Rhin, en est arrivée à acheter des graviers prélevés dans des terres alluvionnaires pour recharger le lit du fleuve, tant le déséquilibre était grand à la suite des dragages et de l’interruption du transit de la charge de fond par la chaîne des aménagements hydroélectriques.
C. pendant et après la crue
53En dépit de toutes les mesures de protection et/ou de prévention que l’homme peut arrêter, les crues et les inondations imprévues seront toujours probables. C’est pourquoi il importe d’envisager également des scenarii tenant compte de l’inévitable.
54Les plans o.r.s.e.c., c’est à dire d’Organisation des Secours, sont des dispositifs d’urgence créés en 1952. Ils sont destinés à faire face à tout événement calamiteux d’ordre exceptionnel dépassant les possibilités opérationnelles de secours locaux. Les dispositions législatives et réglementaires confient à l’État (le préfet) et les maires la responsabilité de la prévention et de la réponse aux besoins des populations en cas de catastrophe naturelle. Les maires sont chargés de définir les besoins, de distribuer les secours et de rassembler par la réquisition les moyens nécessaires à assurer leur tâche. Le rôle du Préfet est de répartir les charges dans le cadre de l’élaboration du plan o.r.s.e.c. de mobiliser les moyens et de superviser les opérations d’urgence. Il peut en outre coordonner les renforts venus d’autres départements. En fait dans la pratique les municipalités n’ont pas de véritables cellules de crise en état de fonctionner, d’où la difficulté des maires à maîtriser une situation exceptionnelle. Fréquemment le manque de communication et de coordination est reproché aux autorités sans compter le fait que souvent celles-ci manquent de matériel adéquat (pompes, embarcations, véhicules, etc.). L’entraide entre citoyens est généralement la plus efficace. Il apparaît recommandable que les équipes municipales et les maires des communes les plus menacées (elles sont connues) reçoivent une formation minimale à la gestion des crises.
55Par ailleurs, la population est atteinte matériellement et psychologiquement. Dans les cas extrêmes des personnes voient leur vie brisée, anéantie par l’adversité, leur attachement à certains biens désormais perdus, et sont incapables de réagir. La perception du risque est du type pendulaire. Immédiatement après l’inondation l’on a tendance à exagérer, puis la mémoire historique s’estompe. Enfin, par la suite l’on minimise souvent sous prétexte de ne pas freiner un développement économique local ou par orgueil local. Les séquelles du stress subi lors de ces catastrophes peut perdurer. C’est pourquoi les élans de solidarité qui se manifestent spontanément dans la population et dans les familles et auprès des amis, sont toujours d’un grand secours. Cet aspect a particulièrement été souligné dans le cas des grandes catastrophes comme à Vaison-la-Romaine ou encore après le passage du cyclone Hugo à la Guadeloupe (Pagney F., 1992).
56Mais le choc de la phase d’urgence ne représente en fait que le début des difficultés rencontrées. Pour les familles sinistrées, le relogement ou l’indemnisation sont accompagnés d’une série de vicissitudes. Les aides immédiates (évacuations, hébergement, distributions de vivres, sanitaire et habillement) sont généralement correctement effectuées et, largement médiatisées. Les aides postérieures à la crise (collectivités locales, mouvements associatifs, État) sont plus aléatoires, généralement longues à intervenir et toujours jugées insuffisantes par ceux qui ont été affectés.
57Il convient tout d’abord que les divers secteurs sinistrés soient classés « en état de catastrophe naturelle ». De ce classement dépend en effet le déclenchement des opérations conduisant au remboursement des assurances. Dans le meilleur des cas en effet les particuliers contractent des assurances, mais pas tous. Cette pratique devrait être rendue obligatoire dans les zones à risque.
58Dès la déclaration de l’état de catastrophe naturelle les victimes ont dix jours pour déclarer le sinistre à leur compagnie d’assurance laquelle doit les indemniser dans les trois mois qui suivent. Depuis juillet 1982 des fonds sont spécialement prélevés et bloqués pour faire face à la multiplication de ce type de drame, à raison de 9 % sur chaque contrat d’assurance habitation et de 6 % sur les contrats autos. Tout est donc prévu pour que tout soit rapidement réglé mais entre ce scénario idéal et la réalité, il y a souvent une énorme différence. Les sinistrés de Vaison-la-Romaine en savent quelque chose, eux qui durent attendre deux ans avant d’être remboursés tant bien que mal.
- 3 Au total l’État a dû verser 500 millions de francs, la Croix Rouge 61 millions et l’Association de (...)
59En cas de désastre les indemnités versées par les compagnies d’assurance soulagent en partie les sinistrés mais les contrats souscrits ne sont pas tous les mêmes. Ainsi à Vaison-la-Romaine, si certains ont touché immédiatement des avances de 30 000 francs de leur compagnie afin de parer au plus pressé, beaucoup d’autres durent se contenter de 2 000 francs, versés au titre d’aide d’urgence par le Comité de soutien et la Croix Rouge aux sinistrés3. Ceux qui n’avaient pas vu assez large ou qui n’étaient pas assurés se retrouvèrent dans une situation dramatique. En général les sinistrés doivent s’attendre à passer des mois difficiles. Parallèlement il convient de constater que la plupart du temps les sinistrés appartiennent aux milieux les plus défavorisés : les lotissements construits en zones inondables sont rarement des quartiers résidentiels aisés. L’on retombe sur le problème des p.o.s. et de l’attribution des permis de construire.
60Surtout, il apparaît que les versements globaux effectués par les compagnies d’assurance pèsent de plus en plus lourd dans leurs bilans si bien que le lobby des assureurs estime désormais que les pertes subies lors des crues et des inondations ont atteint un niveau intolérable. C’est pourquoi les assureurs (voire les réassureurs) sont montés au créneau et poussent à la responsabilisation et au développement de la prévention. Désormais bien des compagnies privées se refusent à tout couvrir les yeux fermés surtout quand elles comprennent que les zones sinistrées étaient naturellement exposées de manière probable, sinon prévisible. Quand le strict souci de la rentabilité financière va dans le bon sens, qui s’en plaindrait ? Pourtant, en France, ces « bonnes intentions » sont freinées par le fait que les assureurs eux-mêmes sont couverts par la Caisse Centrale de Réassurance organisme lié à l’État dont le souci premier n’est pas toujours économique…
Notes
3 Au total l’État a dû verser 500 millions de francs, la Croix Rouge 61 millions et l’Association des sinistrés, 28 millions.
Table des illustrations
Légende | Figure 15 : Les risques d’inondation en France |
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URL | http://books.openedition.org/pub/docannexe/image/1496/img-1.jpg |
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Légende | Figure 16 : Exemples de zones urbaines et périurbaines menacées par de possibles débordements de l’Ariège (voies de communications et campings sont particulièrement concernés)(d’après Antoine J.-M.) |
URL | http://books.openedition.org/pub/docannexe/image/1496/img-2.jpg |
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Légende | Figure 17 : Les zones inondables de la vallée de l’Orb(d’après Brun F. et Dumas G., modifié par Gazelle F., 1996) |
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Légende | Figure 18 : Le réseau automatique d’annonce des crues en France et en zones humides |
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