... l’eau est aisément polluée par l’emploi de toutes sortes de produits. Elle doit donc être protégée par une loi qui stipulerait que quiconque contamine l’eau sera tenu non seulement de payer une indemnité, mais aussi de purifier la source...
Platon, Les Lois, 500 ans av. J.-C.

1Historiquement, la pollution des sols et des eaux, notamment sur le plan chimique, est relativement récente car autrefois nos terres et rivières étaient propres. La doléance des prisonniers de la Bastille se plaignant de toujours consommer du saumon de Seine (pêché à proximité et très abondant au point d’être considéré comme nourriture banale) le démontre.

2Aujourd’hui, la pollution des eaux est officiellement mesurée par quatre paramètres principaux : les matières oxydables (MO) ; les matières en suspension (MES) ; les matières azotées et les matières phosphorées. En France, les communes produisent environ 1,65 million de tonnes de MO par an, type de pollution le plus représentatif des rejets domestiques. Les sols sont tour à tour pollués par les eaux de ruissellement et d’infiltration, par les poussières atmosphériques, enfin par nombre de déchets non biodégradables et enfouis durablement.

A – La pollution des sols

3On ne prend que depuis relativement peu de temps la mesure relative, sinon exacte, de la gravité de la pollution cachée dans les sols. Par exemple, après une grave pollution, un paysage ne peut reverdir facilement. Les avatars de la pelouse du Stade de France ou la reconversion des sites des anciennes cokeries en sont des exemples frappants. En France, la prise de conscience du problème a été tardive. Par exemple, pour le Pas-de-Calais, ce n’est qu’en 1987 que la DRIRE a demandé au BRGM de dresser un diagnostic des sites industriels ayant appartenu aux Houillères. Cet inventaire a confirmé que si des pollutions graves n’ont pas eu lieu, il existe néanmoins quelques sols très atteints (20 % des surfaces sous les anciennes cokeries).

4Les pollutions liées aux terrils (émanations de gaz ou de vapeurs toxiques) obligent à mettre en place une structure de surveillance. Les atteintes aux équilibres naturels débordent les limites des propriétés minières et des concessions, de sorte que la gestion du milieu physique ne doit plus se limiter au domaine du concessionnaire, dont la logique doit être dépassée. La détérioration du milieu sur le long terme exige de tenir compte de l’ensemble du système géographique.

5La loi et le code minier obligent clairement l’exploitant à remettre en état les friches industrielles. Mais le coût de la dépollution des sites peut être très élevé (entre 15 et 150 euros/m²) et la plupart y ont renoncé et les pouvoirs publics ont fermé les yeux (cf. infra).

6Devant les difficultés d’application de la loi, les Pays-Bas ou la Rhénanie, techniquement plus en avance que la France, consacrent chaque année plus de 150 millions d’euros de crédits publics à la dépollution. Cette activité est d’ailleurs source de savoir-faire, d’emplois et de richesses, ce qui fait rebondir l’enjeu des friches dans une direction nouvelle. Mais de nos jours, la principale source de pollution des sols, du moins par son étendue spatiale, est d’origine agricole.

1. Les engrais azotés

7Pour se nourrir, les végétaux consomment de l’azote contenu naturellement dans les sols, ce qui les appauvrit progressivement. À l’époque pré-industrielle, on régénérait les champs avec les résidus des récoltes ou des déchets organiques d’origine animale ou humaine ou encore en utilisant des plantes fixatrices d’azote (pois, lentilles, luzerne). Au début du xx^e siècle, ce type d’agriculture était à son apogée dans les basses plaines de Java, dans le delta du Nil, en Europe et dans de nombreuses régions de Chine et du Japon.

8À la fin du xix^e siècle, les progrès de la science révélèrent le rôle crucial de l’azote dans la production agricole. L’utilisation de nitrates minéraux (déserts chiliens) et du guano (excréments d’oiseaux) confirma l’augmentation du rendement des récoltes. Puis on se lança dans la production des engrais chimiques industriels : dans les années 1950, l’utilisation des engrais azotés atteignit 10 millions de tonnes. À partir des années 1960, l’abaissement des coûts de production mit à portée des pays en développement l’utilisation de ces engrais. Aujourd’hui, 60 % des engrais azotés sont utilisés par les pays du Tiers-Monde et la demande est exponentielle. De nos jours, on estime que chaque année 180 millions de tonnes entrent chaque année dans les sols (Smil, 1991).

9Cependant, l’excès en tout est un défaut et cette introduction massive d’engrais azotés dans les sols pose de nombreux problèmes, affecte l’équilibre écologique de nombreuses régions et nuit à la santé des populations. Les risques sanitaires sont liés à la transformation des produits en nitrites, et éventuellement en nitrosamines dans le tube digestif. Par exemple, la concentration excessive de nitrates provoque la « maladie des bébés bleus » (la méthémoglobinémie) et sans doute des cancers.

10Surtout, le lessivage des nitrates dans les sols pollue les nappes phréatiques : l’eau des puits de nombreuses régions n’est plus consommable et l’eau des grands fleuves comme le Mississippi ou le Danube, est largement atteinte. Si l’eutrophisation est favorisée par la solubilité des nitrates, la persistance localisée de certains composés riches en azote est également nuisible car elle acidifie les sols. Dans les régions où l’on n’épand pas de chaux pour lutter contre cette acidification, les oligo-éléments et les métaux lourds du sol sont dissous et polluent à leur tour l’eau potable. Enfin, l’utilisation massive d’engrais azotés s’accompagne de rejets dans l’atmosphère de grandes quantités de monoxyde d’azote (NO), ce qui contribue à la destruction de la couche d’ozone.

11L’essentiel de la pollution est dû à la différence entre les apports d’azote épandus sous forme d’engrais et ce qui est réellement consommé par les plantes. Selon les milieux agricoles de gros progrès ont été faits dans l’utilisation des engrais et les excédents auraient diminué de moitié en dix ans. Pourtant, selon le ministère de l’Agriculture, cet excédent est passé de 320 000 tonnes en 1995 à environ 500 000 en 2000. Le phénomène touche particulièrement la Bretagne, la Champagne-Ardenne et le Poitou-Charentes, mais l’île de France n’est pas épargnée. C’est pourquoi la réglementation sur l’épandage d’azote s’est progressivement durcie. Par décret (JO du 13 janvier 2001) de nouvelles normes visent à réduire les autorisations en ce domaine. Le seuil maximum sera ramené à 270 kg, puis à 170 kg par hectare en décembre 2002. Mais cette panoplie de réglementation sera-t-elle appliquée ?

2. Les produits phytosanitaires

12Alors que « l’agriculture raisonnée » est une formule particulièrement à la mode dans les discours officiels, la consommation de pesticides augmente curieusement dans nos sols. Selon les propres chiffres fournis par l’Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP), syndicat professionnel regroupant les sociétés agrochimiques, l’agriculture française a consommé 104 000 tonnes de pesticides en 1999, alors qu’elle n’en utilisait que 82 000 en 1982.

13On recense en France, comme produits phytosanitaires (ou pesticides), 912 substances actives utilisées pour plus de 2 600 usages. Les pesticides se classent en plusieurs catégories : herbicides (contre les mauvaises herbes, deux désherbants sont massivement utilisés en agriculture et par les collectivités locales : l’atrazine et la simazine1,) insecticides (contre les insectes), fongicides (contre les champignons parasites), nématicides (contre les vers), rodenticides (contre les rongeurs), acaricides (contre les araignées), etc. Classés dans le groupe IIb des substances chimiques, les produits phytosanitaires sont considérés comme potentiellement cancérigènes pour l’homme. L’Agence Française de Sécurité des Aliments (AFSSA) recommande de ne pas consommer d’eau contenant 2 mg/l pour les adultes, 0,66 pour les enfants et 0,44 pour les nourrissons. Selon l’Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP), 120 000 tonnes de substances actives ont été commercialisées en France en 1999. Plusieurs pays comme l’Allemagne, la Suède et le Danemark, ont interdit l’usage de certains pesticides comme l’atrazine. La France vient de s’y résoudre pour le 30 juin 2003. Mais déjà se pose la question des molécules de substitution pour lesquelles, en l’absence d’études, on ne connaît rien des risques qu’elles pourraient représenter pour la santé.

14La technique qui consiste à utiliser des graines enrobées d’insecticide est également mise en cause. Les études ont montré que chaque année, des dizaines de milliers de palombes, tourterelles, perdrix, canards, oies sauvages et rapaces ayant consommé les cadavres, meurent après avoir absorbé du furathiocarbe : trois grains enrobés suffisent à provoquer la mort et un seul grain entraîne des conséquences néfastes pour l’oiseau. C’est en 1993 que ces semences traitées ont fait leur apparition. Le principe est le suivant : au lieu de traiter les cultures en épandant à plusieurs reprises des produits insecticides, on enrobe directement la graine avec le produit qui la protège jusqu’à la levée. En France, ce sont 170 000 ha qui sont emblavés ainsi chaque année. Or les oiseaux qui picorent les graines non enfouies sont rapidement empoisonnés.

15Les fédérations de chasseurs tentent de faire retirer le produit comme cela a déjà été le cas, provisoirement, pour le Gaucho, un produit traitant les semences de tournesol mais qui, selon les apiculteurs, tuerait les abeilles. Il y a 50 ans, au moment de l’introduction du Gaucho par la firme Bayer Agro, la France produisait 45 000 tonnes de miel par an. Cette production est tombée de moitié en 2 000 et dans le même temps 450 000 ruches ont disparu et le rendement moyen par ruche est tombé de 40 à 20 kg. Le Gaucho est un produit « systémique » dont la molécule active, l’imidaclopride, agit en pénétrant dans la sève tout au long de la végétation. Mais les abeilles en seraient victimes lorsqu’elles butinent les fleurs de tournesol. Les associations d’apiculteurs ont porté plainte. À travers cet exemple c’est également tout le problème de la pollinisation des plantes qui est en jeu. Cependant Bayer conteste la nocivité du produit et attaque à son tour les apiculteurs.

16La question est d’autant plus grave que l’on fait des traitements souvent inutiles et qui réduisent les marges bénéficiaires des agriculteurs, poussés à acheter des pesticides à l’avance, sans savoir quel problème se posera pendant la durée de la culture. Il est évident que les sociétés vendant les produits ne veulent pas voir leur chiffre d’affaires baisser.

17Le problème est qu’une bonne moitié de ces pesticides, que l’on pulvérise depuis le sol ou le ciel, n’atteignent pas leur cible en raison d’un mauvais outillage ou d’un non-respect des conditions météorologiques, si bien que les produits partent au gré des vents dominants et flottent dans les courants de l’atmosphère. On les retrouve bien évidemment dans les eaux de pluie, mais aussi dans les brouillards (jusqu’à 140 fois la norme tolérée pour l’eau potable !). On s’est ainsi aperçu que des pluies tombant sur l’Allemagne étaient fortement chargées en artésien alors que cet herbicide est interdit dans ce pays. Et l’on retrouve la trace de pesticides jusque dans les carottages effectués dans la calotte glaciaire antarctique : ils flottent donc dans l’air que nous respirons. Les polluants sont donc partout, mais il est relativement facile de détecter, grâce à la biosurveillance, les secteurs les plus atteints.

18Sur le plan sanitaire, de multiples études ont montré que ces pesticides favorisaient certains cancers (leucémie) et provoquaient des troubles neurologiques (maladie de Parkinson) et de reproduction (baisse de la qualité des spermatozoïdes).

3. Les lisiers

19Les subventions liées à la construction de l’Europe agricole d’une part, et celles accordées pour maintenir un tissu rural d’autre part, on favorisé le développement d’élevages intensifs. Par exemple dans le département du Lot, de 1870 à 1988, le nombre des ovins est passé de 290 000 têtes à 440 000, celui des caprins de 4 700 à 18 700, celui des porcins de 70 000 à 90 000 et celui des bovins de 106 300 à 136 300 têtes.

20Dans ce contexte, de nombreux élevages hors-sol ont fait leur apparition dont certains dépassent le millier de têtes. Or il faut savoir que d’après les études des services techniques, on estime qu’un bovin pollue dix fois plus qu’un homme et un porcin, trois fois plus. Ce constat a permis d’élaborer le tableau suivant dans lequel la pollution potentielle a été traduite en équivalent/habitant (un homme = 1 eq/h) (Tableau 3).

21Une source importante de pollution vient donc des porcheries en batteries industrielles et dont les lisiers sont rejetés de façon abusive entraînant des pollutions durables (Bretagne, Quercy ; Salomon et Tarrisse, 1998).

22En Bretagne, les effluents azotés d’origine animale dépassent 170 kg d’azote par hectare et des pointes à 200 mg/l ont été enregistrées : un record ! Ce sont 170 000 tonnes d’engrais minéraux et 237 000 tonnes d’azote d’origine animale qui sont épandues chaque année. Les producteurs de porc installés tout au long du bassin de Loire-Bretagne (28 départements) engendrent une pollution comparable à celle qu’engendreraient 135 millions d’habitants.

23Ces élevages intensifs se sont développés le plus souvent sans se préoccuper le moins du monde des problèmes de traitement des déchets engendrés. Dans un premier temps, on a simplement recouru à l’épandage en faisant valoir le caractère fertilisant du lisier souvent mêlé aux boues urbaines (Fig. 7). Puis, lorsque les premières réticences vis-à-vis des épandages apparurent notamment face à la mauvaise image de marque s’attachant aux terroirs usant de cette pratique, les agriculteurs ont commencé à refuser cette solution. À 60 %, les matières sèches contenues dans les boues urbaines sont répandues sur des terres agricoles. Ces boues contiennent des fertilisants mais aussi des éléments indésirables, voire dangereux : micro-organismes pathogènes, vers parasites et champignons, sans compter les métaux qui deviennent toxiques au-delà d’un certain seuil et des micro-polluants organiques comme des hydrocarbures aromatiques et chlorés.

24L’épandage agricole, mode d’élimination privilégié des lisiers, mais aussi des boues urbaines, est aujourd’hui sérieusement remis en question. Comment en est-on arrivé là ?

B – La pollution de l’eau

25L’eau, élément vital s’il en est (Lamy, 1995), est aussi un agent efficace de transport et de dissémination de la pollution et des maladies. C’est pourquoi nous devons prendre garde avec un soin extrême et une vigilance constante, de sa qualité et de sa potabilité.

1. La pollution des eaux superficielles

26L’augmentation de la pollution des eaux est bien illustrée par les augmentations relevées sur les factures des usagers et argumentées par les sociétés de traitement. La croissance du coût des traitements est générale mais inégalement ressentie. La sensibilisation à la pollution de l’eau concerne surtout les plus de 60 ans des communes rurales tandis que les jeunes urbains sont plus indifférents. Officiellement, le risque sanitaire le plus fréquent est le risque bactérien avec de nombreuses pollutions microbiennes dues à la présence de micro organismes pathogènes, en dépit des traitements – certains protozoaires (Cryptosporidium, Gardia) sont résistants aux désinfectants de type chlore – ; ensuite vient l’augmentation des teneurs en nitrates, mais on est peu disert sur les pollutions à métaux lourds.

. Nos rivières sont polluées

27L’état de santé de nos cours d’eau est préoccupant : tous les grands fleuves, en aval des agglomérations, sont pollués par les résidus toxiques issus de l’agriculture intensive (nitrates) et les rejets industriels et urbains (phosphore et ammonium). Selon l’IFEN, 90 % des cours d’eau transportent des pesticides et 10 % présentent des teneurs supérieures aux normes de potabilité. Avec de tels déversements dans les océans, la France ne respecte pas la convention internationale OSPAR, ratifiée en 1992, qui limite les rejets de polluants.

28Plus inquiétant, la dégradation du milieu aquatique affecte de plus en plus les petites rivières à cause tout d’abord de l’utilisation inconsidérée et abusive des engrais et pesticides, ensuite du manque ou de la mauvaise organisation et de la vétusté des stations d’épuration en milieu rural. Quant au risque bactérien, la situation est particulièrement préoccupante dans l’Ardèche, la Haute-Loire, le Bas-Rhin, la Haute-Savoie, le Tarn, la Vienne et les Vosges. D’années en années, la qualité des cours d’eau se dégrade. Pourtant le Ministère de l’aménagement du territoire et de la santé et celui de la Santé, dans un rapport commun sur la « qualité des eaux de baignade » de mai 1998 affirme que l’état sanitaire des eaux douces serait conforme à 91,3 %. Mais derrière cette considération optimiste se cache une réalité autre : par exemple, les trois quarts des lieux de baignade non conformes se situent dans les cours d’eau.

29La Loire, avec 128 000 tonnes d’azote, reste le fleuve le plus dégradé, suivi de près par la Seine et le Rhône en aval de Lyon (153 000 t) et la Garonne (75 000 t). Cependant, ces dernières années, on a pu noter une certaine amélioration sur les grands fleuves grâce à la réduction des pollutions organiques et oxydables (substances carbonées issues des déchets humains et industriels) car le réseau des stations d’épuration s’est étendu et modernisé.

30Par contre, sur les petites rivières, on assiste à une baisse continue de la qualité de l’eau, voire à un effondrement du lit des rivières. Les préoccupations majeures viennent des nitrates et du phosphore, ce dernier étant issu principalement des lessives et des rejets des usines de traitement de surface (notamment dans le Nord et le Bassin Parisien). L’ammonium et les matières organiques viennent ensuite.

31Les nitrates (Fig. 8) sont naturellement présents dans la nature, à des concentrations de quelques milligrammes par litre d’eau car les nitrates sont des polluants très solubles. Lorsqu’on observe de fortes doses (> 10 mg/l), c’est qu’ils ont été rejetés généralement sous forme d’engrais ou de résidus liés aux élevages (cf. supra).

32La concentration des nitrates dans les eaux douces est en augmentation constante. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a fixé un seuil de 50 mg/l à ne pas dépasser dans les eaux de surface. Or, vis-à-vis de cette norme, la totalité de la Bretagne est en zone « vulnérable ». 75 cantons français sont classés en Zone d’Excédent Structurel (ZES) : 71 sont en Bretagne, dont 33 en Côtes-d’Armor. L’Institut Français de l’Environnement (IFEN) estime que l’agriculture et l’élevage sont ainsi responsables de deux tiers des apports de pollution azotée, mais localement certains rejets industriels ou urbains contribuent aussi à cette pollution.

33Une fois dans les cours d’eau, les nitrates favorisent les proliférations d’algues ou « marées vertes » : c’est souvent le premier signe visible de la pollution. L’azote pénètre également les nappes phréatiques et peut rendre les eaux impropres à la consommation ; or on estime à 1,4 million le nombre de personnes concernées par la pollution de l’eau par les nitrates.

1. Le diazote atmosphérique existe naturellement, mais l’homme est capable de produire en quantité industrielle des engrais chimiques azotés.
2. L’azote naturel ou épandu sur les champs est fixé naturellement par les racines des légumineuses et les bactéries associées.
3. L’azote est stocké dans les matières organiques qui sont ensuite minéralisées en ammonium. Ce dernier est stabilisé par association électrostatique avec les colloïdes argileux.
4. La nitrification de l’ammonium produit du nitrate qui est :
   1. assimilé par les plantes ;
   2. réorganisé en matières organiques ;
   3. lessivé dans la nappe aquifère ;
   4. réduit par les bactéries dénitrificatrices.

34Le lessivage et la réduction de trop grandes quantités de nitrates sont à l’origine de pollutions de l’eau mais aussi de l’atmosphère par production d’oxyde nitreux, gaz à effet de serre et destructeur de la couche d’ozone.

35L’agriculture est donc en grande partie à l’origine de l’accroissement des concentrations de nitrates dans les nappes aquifères. Toutefois, si aujourd’hui les agriculteurs tentent de mieux en mieux épandre les engrais et d’éviter les surdoses inutiles, des pertes se produisent néanmoins (Fig. 9).

36Malheureusement ces faibles pertes relatives, dissoutes dans la lame d’eau qui s’infiltre, sont à l’origine d’une concentration déjà supérieure à la norme de potabilité (50 mg/l en France). Le problème qui se pose aujourd’hui est que si la pollution azotée a mis longtemps à s’installer (en Champagne la progression des nitrates vers la nappe est d’environ d’un mètre / an), elle mettra encore plus longtemps à disparaître.

37Le phosphore (Fig. 10) est également présent dans la nature mais à des doses de quelques centièmes de milligramme par litre : il est nécessaire au développement des végétaux. Mais sa concentration excessive est due essentiellement aux rejets urbains et industriels (usines de traitement de surface) et à ceux de l’élevage intensif. Les lessives contribuent à hauteur de 40 % aux rejets domestiques de phosphore. Cette pollution est responsable de l’eutrophisation (proliférations végétales entraînant une chute des taux d’oxygène dans l’eau et l’asphyxie des poissons).

38L’ammonium et les matières organiques, sont apportés naturellement dans les rivières par la décomposition des matières vivantes venues du bassin versant (de nouveau les centres urbains et industriels, et les élevages intensifs sont mis en cause). Par un phénomène d’auto épuration, les matières organiques et l’ammonium consomment l’oxygène de l’eau en se dégradant. En trop grand nombre, ces polluants sont à l’origine de l’asphyxie de la vie piscicole.

39L’essor des pollutions toxiques en métaux lourds (Nord et Est de la France, Bassin Parisien, Rhône-Alpes), en produits phytosanitaires (engrais et pesticides), et surtout perceptibles en zones agricoles, complètent le tout.

40Le tableau n’est guère encourageant, pourtant il y a bien longtemps que l’alarme a été donnée par les fédérations de pêche et les associations de protection de la nature, consternées par les disparitions des espèces (larves, insectes, poissons, oiseaux et mammifères).

. Les pollutions accidentelles

41Les rejets réguliers moins spectaculaires sont extrêmement insidieux à terme, mais il semble possible de les identifier et de les juguler. Cela est plus difficile pour les pollutions accidentelles souvent spectaculaires et qualifiées d’« imprévisibles ». Elles interviennent pourtant souvent à l’occasion de crues et d’inondations (noyage de cuves), d’accidents routiers ou ferroviaires (produits chimiques déversés), de glissements de terrain, etc. Malheureusement les exemples abondent.

42L’un des plus retentissant fut la pollution généralisée du Rhin à la suite des incendies des usines pharmaceutiques Sandoz près de Bâle (Suisse) en 1986 : 30 tonnes de pesticides mercuriels furent relâchées dans le fleuve. Cette catastrophe eut au moins le mérite de faire prendre conscience des précautions à prendre mais cela n’a guère été suivi d’effet ailleurs comme le montrent les exemples suivants :

43— en Espagne, le 25 avril 1998, se produisit un accident lorsqu’un réservoir de décantation d’une mine de pyrite, Los Frailes, près d’Aznalcollar (appartenant à la C^ie canado-suédoise Boliden Apirsa), près de Séville, fut crevé à la suite d’un glissement de terrain. Plus de 6 millions de m³ d’eau acide contenant des métaux en décantation, ont déferlé dans le Rio Guadiamar puis les marais du delta du Guadalquivir, dans le Parc National de la Doñana, au bord de l’Océan Atlantique (Fig. 11). Ce parc est considéré comme l’un des plus beaux d’Europe. Il s’agit d’une vaste région (73 000 ha) de marécages, de pinèdes et de dunes, réputée pour ses colonies d’oiseaux, notamment des grues et des flamants roses, ainsi que pour ses hardes de cerfs. II s’agit aussi d’un des derniers refuges du lynx ibérique, espèce en voie d’extinction.

44En dépit de murs de rétention édifiés en catastrophe pour protéger l’endroit, 10 000 ha de terres cultivées ont été touchés par la pollution. D’immenses bandes de champs, de vergers et de rizières ont été noircies par un mélange de résidus de cuivre, d’argent, de zinc, de nickel et de plomb. Les déchets toxiques se sont diffusés dans une zone de 20 km autour du Guadiamar. Sur le passage de la nappe polluée, des oiseaux, des poissons et des crustacés morts ont été retrouvés en quantité. Les éleveurs reçurent comme instruction de maintenir leurs troupeaux à l’écart de la rivière. Le Ministère de l’Agriculture estime à 1 500 millions de pesetas, et les agriculteurs à 10 000 millions, les pertes. Pis encore, les eaux acides ont infiltré la nappe phréatique principale, source d’alimentation en eau du parc et les maires ont recommandé à leurs administrés de ne plus boire l’eau de la nappe. Selon les scientifiques, il faudra des dizaines d’années pour que l’écosystème retrouve un équilibre normal.

45Bien entendu, les organisations écologistes ont dénoncé l’existence d’une « catastrophe annoncée » car les autorités ont manifestement manqué d’attention quant à la présence de bassins de rétention aussi dangereux à proximité d’un parc réputé et aux conditions de gestion de ces produits toxiques (simplement stockés). Elles reprochent l’impunité dont jouissent certains industriels et le laxisme des autorités. Au total, quelque 46 000 personnes ont été affectées durablement par la catastrophe.

46— le 31 janvier 2000, une pollution catastrophique du Danube intervient à la suite du déversement de près de 100 000 m³ d’effluents pollués au cyanure. L’un des bassins de décantation de l’entreprise roumano-australienne l’Or, à Baia Mare, s’est fissuré laissant échapper 100 000 m³ d’eau chargée en cyanure et métaux lourds (mercure, cuivre, fer...) dans la rivière. D’après les mesures, la concentration en cyanure dans la rivière Tiza a dépassé le jour de l’accident, 800 fois le niveau admis. À 700 km de là, à Szeged, les concentrations de cyanure atteignaient le 12 février encore 2,7 mg/l, soit 130 fois la norme autorisée (il est toxique pour l’environnement à partir de 0,05 mg/l, mortel à partir de 0,1 mg/l). Le bilan écologique est tragique : sur 500 km toute vie a été éteinte et des centaines de tonnes de poissons ont dû être retirées des cours d’eau. Les oiseaux ont été touchés et la pêche a été interdite. Mais il y a plus grave : des métaux lourds très toxiques (plomb, mercure, etc.) se sont déposés dans la boue, empoisonnant l’environnement pour longtemps. Or l’eau de la Tiza est utilisée sur plus de 600 km pour l’irrigation des champs. Enfin, le tourisme, très actif le long de la Tiza, a été profondément affecté. La Hongrie comme la Serbie ont demandé des compensations à la Roumanie et à la compagnie australienne Esmeralda Exploration L^td. Sans résultat. Comparable à un accident survenu en 1992 au sud du Colorado (E-U), le coût de la réhabilitation s’est élevé à plusieurs dizaines de millions de dollars. Pour le Danube, il est à remarquer que cette pollution succédait aux rejets de produits chimiques provoqués par le bombardement du complexe industriel serbe de Pancevon, au printemps 1999, lors du conflit yougoslave.

47Il est certain que la réflexion pour prévenir ce type de pollution doit être poussée et qu’une politique de prévention doit être mise en place car bien des sites sont encore menaçants : dans un rapport publié en 1999, le Fond Mondial pour la Nature (WWF) avait souligné les nombreux risques liés aux mines européennes.

• en France, le site de Salsigne (Aude) est lourdement et durablement contaminé par des déversements d’eaux cyanurées dans les années 1970. On estime à 120 tonnes d’or l’extraction totale de la mine et pour cela on a utilisé 1 million de tonnes d’arsenic. Toute la vallée de l’Orbiel est aujourd’hui durablement contaminée jusqu’à Trèbes où la nappe phréatique et les alluvions sont encore contaminées. Autour de Salsigne et de Carnoulès les habitants sont censés être au courant et boire de l’eau en bouteille, la vente des légumes produits dans certaines parties du site est interdite depuis mars 1997.
• les rivières guyanaises et brésiliennes, par l’utilisation du mercure par l’industrie de l’orpaillage, sont en passe de suivre ce mauvais exemple.
• en Chine 40 % de l’eau disponible n’est plus potable car elle a été polluée par les aciéries de village et toutes les industries rurales implantées durant la période du « Grand Bond en avant ».
• en Pologne, 75 % des rivières sont polluées par une conjonction particulièrement néfaste : une industrie lourde vétuste, une agriculture sans contrôle et des villes sans assainissement.
• en Russie, les eaux de la Volga sont déclarées « insalubres » à 97 % et le complexe industriel chimique d’Angarsk (près d’Irkoutsk) déverse directement ses effluents dans l’Angara, sans traitement.

. La pollution des lagunes : le cas de l’étang de Berre

48Les lagunes littorales constituent des milieux particulièrement riches du point de vue écologique. Pourtant peu sont préservés, même pas Venise. Le cas de l’étang de Berre illustre bien le problème de ces lagunes.

49L’étang de Berre, à l’ouest de Marseille, est le plus grand étang littoral français. Cette lagune reliée à la mer par un canal aménagé traversant la ville de Martigues a donc une eau saumâtre favorable au développement de la faune (coquillages, poissons, oiseaux). Cependant, sa position sur le territoire français et ses atouts naturels en ont fait également un site favorable à l’implantation de nombreuses installations urbaines et industrielles (pétroléochimie). Dès de début des années 1970, il s’est progressivement transformé en dépotoir ce qui a finalement généré des protestations grandissantes des riverains : des manifestations importantes de protestataires eurent lieu mobilisant la population. Ces dernières furent en partie couronnées de succès car les pouvoirs publics prirent des mesures qui aboutirent à une importante réduction des rejets polluants ainsi qu’à la création d’un réseau de prévention et d’alerte. Le problème de la pollution de l’étang n’était pas réglé pour autant.

50En effet, les eaux du canal de Provence se déversent dans l’étang, or elles proviennent des exutoires des canaux agricoles et des rivières issues de régions de forte agriculture intensive et sont très chargées en nitrates et phosphates : très régulièrement des phénomènes d’eutrophisation se produisent avec prolifération de micro algues donnant des mousses. Ces apports d’origine agricole renforcent l’effet des rejets urbains de nombreuses localités riveraines.

51Un autre problème est la présence de l’usine EDF de Saint-Chamas juste à l’exutoire du canal de Provence, produisant une électricité à bon compte et en heure de pointe (c’est dire sa valeur économique). À la sortie de l’usine, dans l’étang, le mélange d’eaux de natures différentes, est difficile : les eaux douces et polluées restent en surface et empêchent l’oxygénation des eaux saumâtres du fond. Par ailleurs les lâchers étant irréguliers, les variations de salinités sont nombreuses et brutales : la présence de cette usine perturbe considérablement l’écologie de l’étang.

52Malgré quelques rémissions temporaires, l’histoire de l’étang de Berre est celle d’un dépérissement aboutissant à l’état d’accident écologique permanent. L’espoir d’un sauvetage de l’étang de Berre reste cependant ancré dans la population riveraine.

2. La pollution des eaux profondes

53On pourrait croire que la pollution des sols ne concerne que les eaux de surface ou de faible profondeur (quelques dizaines de mètres) et épargne les eaux souterraines de grande profondeur. Malheureusement il n’en est rien. Avec le temps, des infiltrations venues de la surface rejoignent les nappes profondes et les contaminent à leur tour (Fig. 12). Si l’on n’y prend garde ce sont d’immenses réserves d’eau d’excellente qualité qui risquent d’être mises en péril. C’est pourquoi se sont mis en place des schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) avec un volet « Nappes profondes » destiné à suivre l’évolution (notamment qualitative) de ces dernières. Un bon exemple, celui de la Gironde permet d’illustrer quelques problèmes de pollution menaçante.

54Le Bassin Aquitain est constitué d’une superposition de couches perméables et imperméables, des contreforts du Massif Central jusqu’au talus continental de l’océan Atlantique. Cette configuration géologique favorise l’infiltration des eaux météorites sur les affleurements des couches à l’extérieur du département et leur transfert souterrain dans le sous-sol vers les exutoires naturels de l’estuaire de la Garonne et de l’océan. Au fil du temps géologique, des systèmes aquifères profonds se sont constitués. Parmi ces derniers, le Pliocène est situé entre 30 et 80 m de profondeur et son usage est limité le plus souvent à l’irrigation, la qualité des eaux posant problème ; le Miocène est entre 20 et 150 m de profondeur et il est utilisé pour l’irrigation et l’eau potable ; l’Éocène se situe entre 100 et plus de 500 m de profondeur. D’une grande qualité, il est utilisé principalement pour l’alimentation en eau potable mais aussi par les industries de la presqu’île d’Ambès et quelques irriguants.

55On pourrait penser que la grande profondeur de cet aquifère le mettrait à l’abri des menaces de pollution. Il n’en est rien. En effet, la multiplication des prélèvements à partir des années 1950 a provoqué rapidement un abaissement des pressions de la nappe dans les zones les plus sollicitées. Ainsi, de 1950 à 1960, la cote piézométrique est passée de +10 m à +5 m NGF sous Bordeaux, puis à partir de 1970 on atteint-10 m et à la fin des années 1980, des cotes de-20 m sont atteintes. Aujourd’hui, l’accentuation du creux piézométrique sous Bordeaux est de l’ordre de –50 m.

56Cette évolution fait peser deux menaces : il existe maintenant un « chenal minéralisé » ayant des teneurs supérieures à 250 mg/l et en second lieu se profile un risque d’intrusion d’eau saumâtre en provenance de l’estuaire. Ce risque est réel car au rythme actuel, l’Éocène est déficitaire d’environ 30 000 m³/jour. En dépit des pressions des préleveurs (notamment irriguants et industriels), il est apparu urgent de préserver cette ressource de grande qualité et le SAGE de Gironde s’attache à la recherche de solutions.

57Cet exemple, parmi d’autres, montre combien la pollution des eaux est insidieuse et qu’il convient, très tôt, de s’en préoccuper avant que des dégâts irréversibles ne soient commis. En France, les eaux souterraines représentent 60 % de l’alimentation en eau potable, or des prélèvements ont montré que certains aquifères situés à 200 voire 300 m de profondeur contenaient des éléments chimiques provenant de l’agriculture.

C – L’agriculture productiviste mise en cause

58L’agriculture productiviste est la principale source de pollution et notamment les élevages.

59Nous avons vu que l’obtention de forts rendements (parfois plus de 120 quintaux/ha pour le blé en France, contre 25 aux E-U) passait par l’utilisation massive des engrais. Mais on utilise également et abondamment, les phytosanitaires que l’on retrouve tôt ou tard en dilution dans les eaux.

1. L’abus des pesticides

60L’Union Européenne a imposé un seuil de potabilité de l’eau de 0,1 microgramme de pesticide par litre (pour chaque substance, sans tenir compte des spécificités de chacune !). Or en France cette norme, en 1997 comme en 1998, est dépassée dans 95 % des cas par l’atrazine et dans tous les cas par le diuron (utilisé pour le désherbage des bords de route). Les pires relevés ont mesuré plus de 230 fois la dose autorisée. Plus récemment, un préfet de Bretagne a interdit l’atrazine sur toutes les parcelles à risque (notamment celles qui bordent un cours d’eau). On ose espérer que de nouvelles mesures interviendront car les rivières bretonnes sont de véritables égouts où l’on trouve en vrac du phosphore, des métaux lourds, de l’ammoniaque, des matières organiques, quantités de nitrates et pesticides.

61Les pesticides sont d’ailleurs présents dans tous les cours d’eau y compris à l’aval des grands fleuves où pourtant la dilution est forte : 3 % seulement des rivières françaises ne sont pas contaminées. La Seine draine un flux de 7 à 16 kg d’herbicides par jour, la Loire de 9 à 11 ; le Rhône 17 et la Garonne de 2 à 30. Des produits comme le lindane et le DDT ont ainsi constitué une pollution majeure des organismes vivants. De plus les pesticides qui sont introduits en mer sont soupçonnés d’appauvrir le milieu marin et de favoriser la prolifération d’algues (cf. infra).

62La lutte contre l’abus des pesticides et insecticides est certainement l’une des plus difficile à mettre en œuvre en dépit des preuves (dans certains cas) et des gros soupçons (dans d’autres cas) de leurs effets délétères sur la santé. Le véritable problème est que l’on connaît très mal la répartition spatiale de ces polluants (Fig. 13) et quelle est leur concentration dans l’eau. Pour cela il convient d’effectuer de nombreuses analyses, malheureusement coûteuses, si bien que la plupart du temps, faute de crédits, on se contente de quelques mesures ponctuelles. Cette méthode est très douteuse et laisse passer de nombreux « événements polluants » de telle sorte que la publication des résultats par les organismes agréés (DASS) laisse perplexe. Comment lutter efficacement contre ce que l’on connaît fort mal ? Toujours est-il que les agriculteurs français utilisent en moyenne chaque année 45 kg de pesticides par hectare, record mondial.

2. L’abus des nitrates

63En 2002, il est prévu de créer une redevance sur les « excédents » d’azote minéral et organique fondée sur « un bilan apparent ». Cette mesure concernerait particulièrement les céréaliers. La nappe de Beauce illustre le problème : déjà malmenée par la pollution des nitrates, cette importante nappe, qui s’étend sous six départements, n’arrive plus à se recharger car elle est épuisée par l’intense irrigation mise en place au cours de ces dernières années avec l’extension de la maïsiculture. Elle apparaît si menacée que les préfets du Loiret et de l’Orne ont dû se résoudre à prendre des mesures et limiter les prélèvements. De leur côté, les sociétés de fermage ont installé à la hâte des ballons de dépollution. Le problème est qu’une installation lourde traitant des nitrates serait extrêment coûteuse pour des bassins de population à faible densité.

Que peuvent faire les agriculteurs ?

64D’abord, ne pas aggraver la situation en évitant de doper les sols aux nitrates et préservant en priorité les matières organiques du sol, pratique qui a été progressivement abandonnée par les agronomes préférant la fertilisation azotée, génératrice de rendements élevés. Ce faisant, les concentrations en matières organiques des sols cultivés ont chuté et sont devenues une source importante des nitrates contenus dans les nappes ! Heureusement il existe aussi des bactéries dénitrificatrices et des processus de dénitrification qui opèrent sous les terres cultivées et dans les eaux souterraines. C’est le cas de la plaine d’Allemagne du Nord où la concentration en nitrates dans les nappes est très faible en dépit d’une agriculture intensive. Cette dénitrification est particulièrement efficace dans les zones humides ou les sols engorgés des ripisylves : la pollution est ainsi réduite avant que ces eaux de surface ne rejoignent les rivières. La réduction dramatique de ces zones humides au cours du dernier siècle a été, de ce point de vue, très préjudiciable.

3. Le traitement des lisiers

65Les quantités de lisier épandues dans les champs ne sont pratiquement pas contrôlées. Ainsi, ce sont 100 000 tonnes d’azote excédentaires qui sont déversées chaque année en Bretagne. Pour limiter la pollution par les déjections animales, les élevages doivent mettre un terme au rejet direct des effluents dans la nature. Un tel objectif implique la récupération et le stockage des rejets en vue d’épandages ayant lieu une ou deux fois par an, en fonction des plans et des règles agronomiques établies à cet effet dans le meilleur des cas. Le Programme de Maîtrise des Pollutions d’Origine Agricole (PMPOA), dans sa première version (élaborée en 1993), prévoit un financement assuré pour un tiers par les éleveurs, un tiers par l’État et les collectivités territoriales, un tiers par les agences de l’eau.

66L’exemple breton illustre bien la dérive de ce programme. La pollution des eaux en Bretagne y est devenue telle que l’État tente de l’enrayer : 3 milliards de francs ont été débloqués en 5 ans dans le cadre du PMPOA. Ce programme prévoit des subventions pour les éleveurs qui s’engagent à rendre leur activité moins polluante : mise aux normes des bâtiments, création de fosses de stockage des effluents (lisier, fumier, fiente de volaille), et adoption de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement (épandage maîtrisé des déjections animales). Comme en Bretagne 98 % des nitrates contenus dans les eaux superficielles proviennent de l’agriculture, ce programme est donc le bienvenu. Le problème est qu’il est cogéré entre les représentants de l’État et de la FNSEA.

67Or cette dernière a déjà obtenu que l’on passe l’éponge sur les augmentations illégales de cheptel antérieures au 1^er janvier 1994 (ce qui concerne la moitié des agriculteurs). Ensuite, seuls les éleveurs les plus importants sont subventionnés car, selon le gouvernement, il est logique que les plus gros éleveurs (et donc les plus gros pollueurs) soient subventionnés les premiers. Résultat : les agriculteurs fraudeurs, qui ont les plus gros élevages, non seulement ne sont pas inquiétés par la justice, mais bénéficient en priorité des aides publiques. Ils peuvent ainsi se moderniser au frais du contribuable. On estime que les éleveurs intégrés au programme reçoivent 65 % du montant des dépenses auxquelles ils ont à faire face. Dans un contexte de concurrence exacerbée, nombre de petits éleveurs, ne touchant aucune subvention, sont de plus en plus en difficulté.

68Finalement, ce programme a tendance à concentrer davantage les exploitations et à favoriser l’industrialisation des élevages. Certains estiment que cela entraînera l’effondrement du nombre des élevages (passant de 700 000 à 250 000 ?), ce qui pose également le problème de l’aménagement du territoire, de l’entretien des paysages, de la qualité de la production alimentaire et du tourisme qui, pour cette région, est une ressource fondamentale.

69Cette situation a révolté nombre d’associations comme « Eaux et Rivières de Bretagne » ou le « Collectif Eau pure » de Guingamp, qui ont dénoncé le gaspillage des deniers publics et le non-respect du fameux principe « pollueur-payeur ». Aussi les pouvoirs publics préparent-ils une nouvelle version du PMPOA où il y aurait une meilleure gestion et l’introduction d’une « redevance élevage » pour les éleveurs qui continueraient à polluer. Il faut l’espérer car en Bretagne, en dépit des deux programmes Bretagne eau pure, du PMPOA, du contrat de plan et des contrats de rivières, les quantités d’azote entraînées dans les cours d’eau ont sensiblement augmenté pour atteindre 128 000 t en 1999.

70Pourtant, face à ces menaces, il existe de nombreuses solutions : une utilisation plus rationnelle des engrais (surveillance des concentrations disponibles dans le sol et réglage entre apports et besoins), le progrès du génie génétique (végétaux fixant directement l’azote), le développement de « l’agriculture biologique », la rotation des cultures, etc., tout en évitant de revenir à une agriculture traditionnelle, laquelle serait incapable de nourrir la population mondiale actuelle.

71Un pis-aller est l’installation en aval des électrodialyseurs de bioréacteurs, contenant des bactéries non pathogènes, permettant de casser les nitrates et de rejeter l’azote dans l’atmosphère. Le système a été testé par plusieurs laboratoires. De leur côté, les milieux agricoles font pression sur les pouvoirs publics pour que l’épandage des eaux d’épuration (cf. supra) soit mieux encadré.