Karsts et évolutions climatiques
| ,Karsts et paléokarsts du périgord-quercy
Les férruginisations et les argiles associées au paléokarst tertiaire du Périgord (Dordogne, France)
Résumé
L’étude de différentes altérites ferruginisées rencontrées en Périgord a permis de distinguer les indurations à vaste répartition régionale, à caractères pédologiques avec grains de quartz et amas argileux cimentés par des oxydes de fer, de celles d’origine diagénétique, très localisées, liées aux modelés karstiques (dolines, cavités), parfois associées à des argiles blanches de type kaolinite-halloysite. Piégées dans le réseau karstique des calcaires du Crétacé supérieur, ces ferruginisations résultent de la redistribution différentielle du fer et de la silice : il se forme alors soit de véritables dalles silicoferrugineuses ocres à quartz automorphes piégeant le fer dans le réseau cristallin, soit des cuirasses noduleuses d’aspect scoriacé, à cortex hématitique, sans quartz détritique et à forte teneur en oxydes de fer. Ces dernières, s’individualisant au sein des argiles kaoliniques de la base de la série du Tertiaire fluviatile, résultent d’une évolution diagénétique dans le creuset karstique du sud du Périgord Noir. De répartition ponctuelle et en position altimétrique constante, ces éléments de cuirasses ferrugineuses, montrant l’importance des mécanismes géochimiques, sont le témoignage de l’activité paléocène-éocène d’un paléokarst imprimé dans les terrains carbonatés du Crétacé périgourdin et découvert par l’érosion plioquaternaire.
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Géographique :
PérigordTexte intégral
INTRODUCTION
1S’il n’est plus utile de présenter le Périgord réputé par ses grottes préhistoriques, il est par contre nécessaire de préciser que cette vaste région qui s’étend de Nontron au NW, aux portes de Fumel sur le Lot au SE a été une région d’extraction du minerai de fer surtout du XVIème jusqu’au XIXème siècle ; cette activité sidérurgique qui s’est développée grâce à la force hydraulique, aux ressources forestières locales et aux voies de communication ouvrait son marché vers Excideuil, vers l’arsenal de Ruelle ou la fonderie de Rochefort (GOURDON-PLATEL, 1975).
2Dans les années 1860, plus de 40 forges et hauts fourneaux en activité ont été recensés en Dordogne (LAMY, 1987). Le ramassage très artisanal se faisait manuellement dans de petites excavations creusées çà et là dans la forêt, au sein des terrains argilo-sableux recouvrant les formations carbonatées du Crétacé supérieur. Avant le déclin économique de la fin du siècle, trois pôles constituaient des zones sidérurgiques où étaient exploités différents types de minerais : celui du Nontronnais dans le bassin du Bandiat, celui d’Excideuil-Hautefort (avec en particulier la forge de Savignac-Ledrier) sur les vallées de la Loue et de l’Auvézère, et au sud du Périgord Noir le pôle de Fumel-Cadouin entre le Lot et la Vézère. Ce passé industriel a laissé des noms bien connus comme les Forges, mais la toponymie renseigne aussi sur les sites d’extraction du minerai de fer et sur les lieux de traitement repérables par des noms évocateurs tels que Ferrières, Rougerie, Taillefer, les Farges, etc...
3Par ailleurs, un regard averti sur l’habitat nous permet aussi de constater que de nombreux blocs ferrugineux ont été utilisés pour la construction de granges, de soubassement de maisons, d’édifices publics et même de vastes demeures comme le château de l’Herm et ses annexes en Forêt Barade.
4Un type particulier (les dalles silico-ferrugineuses) avait même été employé par les hommes du Néolithique pour édifier quelques mégalithes isolés, tels les dolmens de Peyrelevado à Paussac ou de Beauroulet (Valeuil) sur la route de Bourdeilles. Les tables ont souvent des dimensions constantes de l’ordre de 3 x 4 m avec des épaisseurs de 0,8 m au maximum (ROUSSOT, 1974). Ces édifices seraient les premiers signes de l’utilisation des matériaux ferrifères dans la région périgourdine (CELERIER et al., 1990).
5Du point de vue géologique, ces concentrations ferrugineuses se présentent soit comme des fragments de cuirasses ferrallitiques plus ou moins noduleuses associées à un complexe d’altérites argilo-sableuses, soit sous forme de dalles brunes très dures, siliceuses. De telles ferruginisations et les argiles qui leur sont associées, en étroite relation avec les formes karstiques affectant le toit du Crétacé supérieur du Périgord, seront ici plus particulièrement l’objet de notre propos (fig. 1).
I. LES MATÉRIAUX RÉSULTANT D’UNE DIFFÉRENCIATION CHIMIQUE
6D’une manière générale, les terrains cristallins des massifs anciens soumis à un climat chaud et humide subissent une hydrolyse et les principaux éléments Al, Si, Fe présentent une mobilisation différentielle en fonction des conditions physicochimiques. Par ordre de mobilité, quand le milieu est bien drainé, les bases sont éliminées les premières ainsi que la silice combinée des silicates ; ensuite le manganèse, qui est plus mobile que l’alumine et se concentre dans les fines porosités (cryptovides), accompagne souvent le fer pour donner des goethites alumineuses. Puis le titane, migrant sous forme hydratée colloïdale pendant la saison humide, s’accumule durant la saison sèche dans des niveaux alumineux ; mais les recristallisations sont lentes et souvent les oxydes de fer se substituent au titane après une mobilisation qui se fait en milieu très acide, avec complexation organique.
7Le fer migre ensuite à l'état de fer ferreux, lorsque le milieu est réducteur ; ce n’est pas toujours le pH qui favorise sa mobilité, mais plutôt la formation de chélates. Dans les dépôts soumis à une hydromorphie temporaire, il y a ségrégation du fer et accumulations ponctuelles dans les zones mieux aérées, donnant une marmorisation apparaissant à la limite du battement de la nappe phréatique. C’est ainsi que peuvent se former des granules et des pisolites de fer au sein d’horizons argilo-silteux et que se développe un profil de type latéritique avec formation çà et là d’une cuirasse gravillonnaire : de tels fragments de cuirasse s’observent en Forêt Barade (GOURDON, 1973). De nombreux éléments de cuirasse démantelée, emballés dans une matrice argilo-sableuse déjà très ferruginisée, se retrouvent piégés dans des dolines, mais leur genèse n’est pas liée au karst lui-même : ce ne sont que des produits résiduels.
Figure 1 :
Répartition des sites à concentrations ferrugineuses liées au karst en Périgord.
Location of ferruginous occurences connected with karstic systems in Perigord (France).
8Toujours sous les mêmes conditions climatiques, la silice libre (SiO2) est ensuite dispersée sous forme de molécules d’acide monosilicique Si(OH)4, en équilibre avec le milieu vers 120 ppm à 25°C pour un pH <9 ; mais lorsqu’il y a excès de silice libre, il se forme de la silice amorphe, à l’état de solutions colloïdales ayant une solubilité 10 à 20 fois supérieure à celle du quartz (7 ppm). Le fait qu’il y ait évolution de silice monomère (solution vraie), en silice polymère (ou silice colloïdale amorphe) est très important à souligner car cela permet d’expliquer la genèse des dalles silicoferrugineuses du Nontronnais et du Périgord Blanc, l’opale se transformant en quartz par effet de diagenèse.
9D’autres silicifications, pouvant être assimilées à des silcrètes, affectent des formations détritiques tertiaires du sud du Périgord et de la Bouriane : elles sont connues sous le nom de “grès de Gourdon”. Correspondant à des quartzifications, grésifications tabulaires, ou meuliérisations liées à la paléomorphologie régionale, ces niveaux s’étendent sur une toute autre échelle (plusieurs dizaines de km) et ne seront pas étudiés ici, car elles n’ont pas la même genèse que les dalles silico-ferrugineuses formées dans les poches karstiques de la bordure nord-aquitaine.
10Enfin, parmi les principaux éléments hydrolysés, l’aluminium apparaît comme étant le moins mobile dans les sols. C’est pour cette raison que les pédologues prennent l’alumine, comme terme de comparaison dans le quotient moléculaire SiO2 - Al2O3. Généralement l’alumine se concentre sur place ou très localement dans des porosités ouvertes (de type microvides) et un excès d’alumine Al2O3 favorise la formation de gibbsite Al O(OH) au sein de profils. Il faut noter qu’en Périgord, ce n’est jamais le cas et même si certains horizons illuviaux présentent de notables concentrations en A12O3, donnant des cuirasses de type latéritique, il n’y a jamais d’accumulation de gibbsite, ni formation de bauxites comparables à celles du Languedoc et de Provence (COMBES, 1972). En fonction des conditions climatiques, la silice et l’aluminium s’associent pour former de la kaolinite et/ou de l'halloysite comme en Périgord, dans la forêt de la Bessède, en contexte karstique très bien étudié au cours des années 80 par l’un de nous (DUBREUILH, 1984, 1989). C’est au sein de ce type de profil d’altération, signe d’une évolution climatique, que se développent des cuirasses ferrallitiques. Ce deuxième type de matériau lié au karst sera finement décrit et comparé aux cuirasses d’autres profils latéritisés.
II. LE KARST ET LES ALTÉRITES DU PALÉOCENE
11Avant la fin du Crétacé, la mer se retire du Périgord et de la Bouriane et au début de l’Eocène des conditions climatiques agressives de type tropical humide sévissent et plusieurs phases d’altération se succèdent. Tout d’abord, l’intense érosion de toute la bordure SW du Massif Central contribue à l’édification d’un complexe détritique continental présentant un ensemble de “faciès sidérolithiques” particulièrement bien défini en Charentes par DUBREUILH (1989) et sur les cartes géologiques à 1/50 000 (DUBREUILH, 1980, 1982, 1984 ; PLATEL, 1980, 1981, 1983).
12Dans le substrat carbonaté se constitue un réseau karstique sous couverture piégeant dans ses différentes parties des matériaux résiduels. Nous ne parlerons pas des grottes qui sont de très loin les plus connues, par exemple dans le Coniacien, comme à Lascaux près de Montignac ou celles des environs des Eyzies en bordure de la vallée de la Vézère. Toutefois, l’examen des cartes géologiques nous fournit des représentations de la karstification de surface : répartition des dolines au nord-ouest de Périgueux par exemple ou importance des réseaux de vallons secs, en particulier dans le Santonien inférieur et dans le Campanien (unité 1), mais parfois également comme au sud de Paussac dans le Turonien (PLATEL & PARIS, 1988). C’est en relation avec ces dernières que les dalles silico-ferrugineuses se sont formées dans des cavités souterraines. Par érosion, certaines se retrouvent de nos jours à l’affleurement emballées dans une argile brunâtre. Cependant, toutes les cuvettes karstiques ne renferment pas de dalles siliceuses.
13Les dolines, souvent regroupées, sont de dimensions diverses en diamètre et en profondeur. Au nord de Périgueux, ce sont les produits résultants de l’altération des calcaires crayeux à silex du Coniacien supérieur et du Santonien qui s’y accumulent. A partir des sables argileux brun-rouge renfermant quelques silex noirs, se développent des profils avec des marbrures jaunes à rougeâtres. Celles creusées dans les plateaux jurassiques sont tapissées par une matrice d’argile rouge renfermant quelques gravillons de fer, plus ou moins vacuolaires, exploités en tant que minerai au siècle dernier dans la région de Nadailhac en particulier. Au sud du Périgord Noir (Belvès, Montferrand), à la base des dépôts détritiques piégés dans les dépressions karstiques, se développent des profils ferrallitiques, avec kaolinisation du matériel altéré, où s’individualisent d’importantes accumulations d’argiles blanches, de type kaolinite ou halloysite, entrecoupées de niveaux d’argiles et de grès rouges. C’est dans le secteur de Cadouin que les cuirasses de fer sont les plus fréquentes et les mieux décrites (DUBREUILH, 1989).
Figure 2 : Affleurements de dalles silico-ferrugineuses autour de la vallée de la Dronne.
Outcrops of silico-ferric slabs in the Dronne valley area.
III. LES DALLES SILICO-FERRUGINEUSES PIÉGÉES DANS LES CAVITÉS KARSTIQUES
A. Caractères des dalles
14Les dalles silico-ferrugineuses, définies par GOURDON-PLATEL (1973, 1977), reposent au fond de petites cavités karstiques par l’intermédiaire d’un lit argileux brun-rouge et sont quelquefois démantelées et basculées sur les calcaires érodés. Dans les Charentes, les affleurements sont plus rares et les plus belles dalles démantelées existent dans les terrains santoniens sur le flanc de petits vallons secs près de Puygaty ou à Rougnac au sud d’Angoulême. En Périgord Blanc, elles sont relativement fréquentes au sein des calcaires turoniens, dans les faciès gréseux du Coniacien à Puy-de-Fourche ou dans les calcaires crayeux à silex du Santonien, proches de Ronsenac à l’ouest de Mareuil (fig. 2).
15Le contact avec l’encaissant est variable : parfois les deux matériaux sont juxtaposés avec intercalation d’un lit d’argile brune à gris-vert plus ou moins continu, mais souvent les dalles interpénètrent les fissures des calcaires.
16Les nouvelles carrières de Paussac ont permis de vérifier le schéma de formation, pris pour modèle sur un de ces sites dès 1973, et de décrire ces dalles plus particulièrement dans l’exploitation du Breuil (900 m au NW de Paussac) : elles y apparaissent au fond de cavités plurimétriques creusées dans les calcaires micritiques durs du Turonien supérieur. Elles sont surmontées par 3 m d’argiles brun-verdâtre, renfermant des concrétions siliceuses, colluvionnées sur les dalles après l’érosion quaternaire, à partir des terrains marneux turoniens sus-jacents.
17Macroscopiquement ces dalles correspondent à des matériaux siliceux très durs, de couleur brunâtre, dus à l’empilement de feuillets d’épaisseur millimétrique, constitués de petits cristaux de quartz de néogenèse. Elles peuvent dépasser 2 m de puissance et adoptent parfois un profil concave vers le haut (photo 1).
18L’observation microscopique permet de comprendre l’association du fer et de la silice en fonction des états de cristallisation. Les feuillets millimétriques sont constitués de cristaux de quartz bipyramidés, ayant un allongement moyen de l’ordre de 200 μm et sont parfois regroupés en cristaux maclés. En section, ils présentent une zonation concentrique régulière où se dessinent des auréoles de forme polygonale parallèles aux faces du cristal, successivement claires et brunes, colorées par les oxydes de fer, les zones externes étant souvent formées de silice pure, bien blanche.
Photo 1 : Fragment de dalle silico-ferrugineuse avec laminites incurvées formées dans une ancienne cuvette karstique (Périgord).
19Les analyses chimiques de ces dalles litées brunes révèlent un taux beaucoup plus élevé en silice qu’en fer, ce dernier ne dépassant que rarement 6 %. Soulignons l’absence presque totale d’alumine (Paussac : 0,15 % ; Les Coutoux : 2 %).
20Il faut cependant noter que dans le Nontronnais, d’autres silicifications ont pris naissance au sommet des calcaires du Jurassique et du Turonien, emprisonnant de nombreux débris coquilliers de lamellibranches et d’échinodermes soulignés par des oxydes de fer comme à Beaussac, Hautefaye ou Javerlhac. Selon l’imprégnation siliceuse, certains calcaires sont décalcifiés et très légers ; d’autres sont entièrement silicifiés, épigénisés par de la calcédoine fibreuse et donc plus massifs.
21Observées au microscope, les plages calcitiques n’apparaissent plus et de petits cristaux de silice de 20 à 40 μm s’y sont substitués ; ils sont imbriqués sous forme de mosaïque donnant l’aspect d’un quartzite sans litage visible ; parfois des sphérolites de calcédoine peuvent apparaître favorisant une texture massive. Ces calcaires silicifiés très durs ont été également utilisés comme minerai de fer dans les forges du Bandiat au siècle dernier.
22Les analyses chimiques globales montrent que ces matériaux renferment entre 85 et 96 % de SiO2 dont l’édifice cristallin est coloré par les oxydes de fer. La teneur en Al2O3 est toujours inférieure à 1 %. Les concentrations en bases, Ca, K, Na, Mg, sont très faibles, même en milieu carbonaté (le taux en CaO n’atteignant pas 0,5 %), signe d’une décalcification du milieu et d’une substitution par la silice.
SITES |
SiO2 total |
SiO2 comb. |
Fe2O3 total |
|
Paussac |
93,1 % |
2,0 % |
4,8 % |
|
Dalles silico-ferrugineuses |
Les Coutoux |
90,7 % |
4,3 % |
5,6 % |
Bg.des Maisons |
92,4 % |
1,8 % |
4,7 % |
|
Calcaires silicifiés |
Lussac |
96,2 % |
2,5 % |
1,9 % |
Ch. St Robert |
85,5 % |
2,1 % |
11,8 % |
Figure 3 : Principe de formation des dalles silico-ferrugineuses. Principle of silico-ferric slabs formation. 1. Karstification fini-crétacée à paléocène. 2. Dépôt de loess siliceux (climat aride, chaud). 3. Ruissellement modéré (phase pluviale). 4. Ruissellement fort (phase pluviale et dissolution des calcaires). 5. Conditions acidifiantes (dissolution des silts, recristallisation en quartz de néogenèse, phase plus sèche). 6. Erosion plio-quaternaire : mise à nu des dalles en situation actuelle.
23Dans tous les cas, les dalles silico-ferrugineuses ou les calcaires silicifiés, matériaux diagénétiques, ne sont présents que dans un environnement morphologique étroitement lié à un paléokarst, à l’abri de tout apport détritique. Les affleurements de dalles ne sont pas limités à cette zone d’étude. Bien que rares et toujours étroitement liées aux réseaux karstiques, d’autres dalles silico-ferrugineuses typiques s’observent dans le secteur de Montferrand du Périgord au sud de Cadouin.
B. Genèse de dalles silico-ferrugineuses
24L’hypothèse proposée en 1973 fait intervenir un dépôt de loess sur le plateau calcaire, nappant largement les versants (GOURDON, 1973, 1977) ; le ruissellement les a ensuite entraînés et concentrés dans de petites dépressions souterraines ne dépassant souvent pas 5 m de diamètre ou des cavités karstiques d’origine fissurale. Les eaux d’imbibition ayant circulé à travers la série détritique du Tertiaire continental se sont saturées en acide silicique et en oxydes de fer, puis ont percolé très lentement au travers du sédiment limoneux en stagnant au-dessus de la fine couche d’argile qui tapisse le fond des petites cavités conformément au principe de formation décrit à la figure 3.
25Il y a donc eu évolution diagénétique d’un sédiment fin piégé dans le réseau karstique avec dissolution et nourrissage des germes détritiques par des eaux saturées en acide silicique, la cristallisation ayant lieu lorsque les taux maxima en silice monomère et en fer dissous sont atteints ; ainsi les noyaux siliceux placés dans un milieu enrichi en acide silicique servent de germes à la croissance lente des quartz de néogenèse pouvant même donner des cristaux bipyramidés ; ils sont bien formés, de couleur brunâtre à auréoles alternantes sombres avec précipitation d’oxydes de fer et claires par précipitation de silice ; l’auréole la plus proche du noyau est brune tandis que le déficit en fer par rapport à la silice fait que la zone la plus externe est toujours incolore. Bien que ne dépassant pas 400 μm, la grandeur des quartz authigènes est due à l’espace dont ils disposent pour se développer ; les cristaux les plus gros et les mieux formés se situent à la limite des feuillets. Cette diagenèse implique une cristallisation lente dans un milieu très calme, à l’abri de tout apport détritique ; si le milieu est perturbé, la cristallisation est désordonnée et les précipitations de fer et de silice provoquent la genèse d’un quartzite à contours irréguliers et jointifs.
C. Datation des dalles
26Il y a plusieurs phases à envisager : d’une part le creusement des karsts à la période fini-Crétacé/Paléocène basal, d’autre part le nappage des versants puis le piègeage des silts éoliens dans les conduits karstiques et enfin l’évolution diagenétique sous couverture durant le Paléocène. Le fait d’avoir des petits fragments de dalles dans des terrains argilo-sableux attribués à l’Eocène supérieur montre que la diagenèse des dalles silico-ferrugineuses était achevée lors des mouvements tectoniques locaux consécutifs aux plissements pyrénéens du Lutétien.
Figure 4 : Affleurements de cuirasses ferrugineuses associées aux halloysites de la Bessède.
Ironstones outcrops in relation with halloysitic clays in the Bessede area.
IV. LES CUIRASSES FERRUGINEUSES LIÉES AU CONTEXTE KARSTIQUE
27En Périgord Noir, il est fréquent de rencontrer divers types de fragments de cuirasses gréseuses ou ferrugineuses emballées dans une matrice rouge argilo-sableuse, mais il est moins aisé de repérer de belles coupes où les cuirasses sont en place dans leur contexte détritique. Les cuirasses basales du Tertiaire continental sont parmi les plus visibles ; c’est ainsi que l’un de nous (JD), réalisant la cartographie de la Forêt de la Bessède, a pu montrer la relation existant entre ces argiles blanches hyperalumineuses, comblant les poches karstiques, et les cuirasses vacuolaires, hématitiques qui leur sont associées (fig. 4). Dans tout ce secteur, les ferruginisations liées aux argiles se situent vers la même altitude (vers + 180 m NGF).
Figure 5 :
Coupes lithologiques de trois carrières d’halloysite de la Bessede.
Lithologic sections of three halloysite quarries in the Bessede area.
A. Les cuirasses au sein de leur profil
28Elles s’observent bien dans les carrières de Bouillaguet, de Sauteloup ou de Réginie (DUBREUILH, 1989) et correspondent aux matériaux exploités autrefois en Fumelois dans les carrières de St-Martin-le-Redon, dans les profondes dolines (> 50 m) creusées dans les plateaux coniaciens ; elles constituent des cuirasses ferrugineuses, noduleuses, très riches en fer, élaborées sous climat tropical humide durant le Paléocène. Pendant cette période, l’alimentation en kaolinite a été constante et le manteau d’altérite ferrallitique s’est constamment enfoncé.
29Dans la plupart des profils, deux niveaux de cuirasses affectent les argiles de type kaolinite-halloysite, blanches, d’aspect porcelané, à cassure lustrée, interpénétrées de veinules ferro-manganiques rougeâtres à noirâtres (fig. 5) : à la base des profils, une cuirasse ferrugineuse au sein des argiles blanches et au sommet une cuirasse gréseuse qui n’a pas de rapport avec un réseau karstique.
30La cuirasse basale, parfois scindée en deux, associée aux argiles remplissant les poches karstiques est formée d’éléments rognonneux, à cortex lité et constitué de couches d’oxy-hydroxydes de fer bien cristallisés, de couleur rouge sang à violacé, à dominante hématitique. La goethite tapisse le pourtour des microvides du cortex ou s’interpénètre en veines jaunâtres dans l’hématite fibreuse bien cristallisée ; le cœur des rognons renferme une poudre brune à lie-de-vin dont les concentrations en fer total peuvent atteindre 85 % (exprimés en Fe2O3). A Bouillaguet, à Réginie et à Sauteloup, les oxy-hydroxydes de fer du cortex, ont des concentrations respectives de l’ordre de 68 %, 73 % ou même 83 % (DUBREUILH, 1989). C’est le cas également des rognons de Pagenal, dans la commune des Eyzies (GOURDON, 1973) où les argiles kaoliniques basales sont associées à des argiles noires à matière organique et à débris ligniteux.
31La cuirasse ferrugineuse existant au sommet du profil de Bouillaguet renferme des grains de quartz très corrodés cimentés par les oxy-hydroxydes de fer dont le taux atteint 14,5 % (exprimé en Fe2O3). Elle ne répond pas à la même genèse que les cuirasses basales car elle correspond à une cuirasse d’accumulation sans relation avec la karstification.
B. Genèse des halloysites et des cuirasses associées
32Les argiles noires de la carrière de Pagenal permettent de préciser les conditions de genèse des halloysites : dans un milieu acide, induit ici par l’oxydation des dépôts ligniteux inclus dans les argiles, l’alumine (Al2O3) est facilement mobilisable et par agradation, les kaolinites ordonnées se transforment en argiles hyperalumineuses (BROUARD et al., à paraître).
33A Bouillaguet, de même que dans les argiles blanches basales sont apparues des néoformations de montmorillonite ferrifère (nontronite) ; le fer s’est mobilisé et a précipité dans les argiles au contact des sables très fins qui les surmontent. Ainsi, de fines cuirasses de fer hématitique obstruent la microporosité interstitielle ; elles sont exemptes de quartz détritique et isolent localement des argiles ferrugineuses ocres.
34Dans cette carrière, il faut noter également le rôle important de la dalle siliceuse ocre au-dessus des sables à marbrures à la base du profil, bloquant l’eau dans la masse argileuse kaolinique qui a tendance à s’hydrater et à évoluer en halloysite. Cette dalle, pénétrant sous forme d’une “écaille” la masse principale du corps argileux, montre que la région de Cadouin a été affectée par des structures tectoniques qu’il est possible de replacer dans un contexte régional. D’après l’étude de TRAUTH et al. (1985), reprenant les travaux de BONIJOLY et BLES, une partie de la carrière est affectée par des failles normales d’allongement NW-SE ; ce serrage est dû à la phase de distension de l’Oligocène faisant suite à la phase de compression N-S pyrénéenne de l’Eocène moyen à supérieur se situant pendant la période d'altération ferrallitique. Cette tectonique locale tendrait à montrer que les cuirassements noduleux affectant les argiles blanches kaoliniques de l’Eocène inférieur seraient antérieurs à la compression pyrénéenne.
C. Comparaison avec les cuirasses gréseuses et ferrallitiques du Périgord Noir et de la Bouriane
35De puissantes indurations ferrallitiques, d’origine pédogénétique se sont formées au sein des épandages de sables plus ou moins grossiers ou de silts argileux ferruginisés. Elles marquent la seconde période d’altération enregistrée au toit des terrains datés de l’Eocène moyen et du Bartonien, à la fin de la séquence des dépôts renfermant des argiles à kaolinite dominante. Ce sont des cuirasses qui ne sont pas liées au karst. Elles correspondent soit à des ferruginisations gréseuses avec des quartz très fins solidement cimentés dans le secteur de Cadouin, soit à des cuirasses ferrallitiques à faciès latéritique comme dans le secteur de Rouffignac en Forêt Barade, soit enfin à des sols rouges à Gavaudun (au nord-ouest de Fumel) et à Floressas. Dans les altérites sableuses du Lutétien de Fumel (Fe Brétou), les pourcentages de kaolinite sont très élevés et les oxy-hydroxydes de fer imprégnant tout le profil forment des cuirasses gravillonnaires.
36En Forêt Barade, près de la Grotte aux 100 Mammouths de Rouffignac, affleure une épaisse cuirasse latéritique, plus ou moins démantelée, reposant sur des poches d’argiles rouge ; d’extension très vaste, elle se situe en position de plateau vers + 260 m NGF autour de Rouffignac.
37A la limite de la Bouriane au NW de Gavaudun, une intense altération autochtone affecte le sommet des épandages détritiques ; une coupe laisse voir des argiles rouge vif, indurées, emballant des fragments de cuirasse rouge sang à veines blanchâtres isolant des vacuoles remplies d’argiles plus jaunes.
38Les coupes lithologiques du Brétou et de Floressas décrites par de nombreux auteurs ces dernières années, mettent en évidence respectivement les cuirasses gravillonnaires du Brétou sur terrains tertiaires (PLATEL, 1983) et les grès du Boulvé sur terrains jurassiques (ARCHANJO, 1982 ; TRAUTH et al., 1985) : celle du Brétou, entre Cuzorn et Fumel, montre la plus belle coupe de tout le Tertiaire fluviatile du sud du Périgord. Comparées aux cuirasses ferrallitiques de Rouffignac et de Gavaudun, celles de Floressas présentent du point de vue géochimique de grandes analogies :
SITES |
SiO2 |
Al203 |
Fe203 |
ROUFFIGNAC |
51,8 % |
10,5 % |
30,4 % |
GAVAUDUN |
44,7 % |
15,3 % |
32,7 % |
FLORESSAS |
57,0 % |
10,0 % |
26,0 % |
39Il faut noter le taux d’Al2O3 de l’ordre de 12 %, ce qui les différencie à la fois des cuirasses ferrugineuses de la base du Tertiaire continental et des cuirasses bauxitiques du sud-est de la France. Dans le secteur de Fumel, ces cuirassements sont fossilisés par le Calcaire des Ondes attribué à l’Eocène supérieur ou par les molasses ludiennes à Palaeotherium ; le phénomène de ferruginisation pourrait être général et s’être produit dès le Bartonien supérieur (Marinésien auctorum-Eocène moyen) et se serait poursuivi jusqu’à la base du Ludien inférieur (DUBREUILH, 1989).
CONCLUSION
40En Périgord, les épandages détritiques tertiaires et périglaciaires du Quaternaire (sous forme de grèzes), ont eu tendance à masquer les manifestations d’une paléo-karstification qui aurait débuté dès la fin du Crétacé terminal. L’étude des formations résultant de la mobilisation de la silice et du fer a permis de distinguer très nettement plusieurs types d’indurations :
411- Celles d’origine pédogénétique, sans relation avec un réseau karstique, couvrant de très vastes surfaces et recoupant toutes les formations de la base du Tertiaire jusqu’au toit du Crétacé, n’ont été qu’évoquées ici. Ce sont les grès-quartzitiques du type “grès de Gourdon” dont seuls quelques témoins tabulaires subsistent (plateau de Bors) et les cuirasses ferrallitiques du type Rouffignac, Gavaudun ou Floressas à forte concentration en fer. Ces cuirasses sont interstratifiées dans les dépôts détritiques sans lien avec la karstification et constituent un “niveau stratigraphique” qui recoupe les terrains d’âge différent. Elles affleurent sur de grandes étendues et notamment se suivent sur des kilomètres sur les bords de la vallée de Laussou.
422- Les dalles silico-ferrugineuses formées dans des cavités karstiques sont dues, par contre, à des redistributions diagénétiques différentielles de la silice et du fer : ainsi celles qui tapissent le fond de quelques cavités creusées dans les calcaires du Crétacé supérieur résultent d’une recristallisation de silice sous forme de quartz automorphes piégant le fer, donnant des silicifications brunes. De nos jours, des affleurements très ponctuels (de part leur genèse) sont exploités et les dalles sont broyées afin d’obtenir une poudre utilisable comme colorant naturel.
43Au sud du Périgord, à la base de la série détritique du Tertiaire détritique, une argile alumineuse s’est sédimentée dans de petites poches karstiques formant, après diagenèse, des lentilles argileuses de la famille des kaolinite-halloysite avec néoformations en amas de nontronite verte ; c’est au sein de ces accumulations d'argiles nobles, blanches, recherchées pour l’industrie des réfractaires, que s’individualisent des horizons ferrugineux, d’aspect noduleux, à cortex hématitique exempt de quartz, isolant au centre une poudre rouge lie-de-vin à très fort pourcentage en oxydes de fer.
44Avec les dalles silico-ferrugineuses, ces concrétions vacuolaires de la base de l’Eocène inférieur et du Paléocène sont les témoins des paléokarsts périgourdins qui ont été réactivés puis mis au jour au cours du Quaternaire.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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Table des illustrations
Légende | Figure 1 :Répartition des sites à concentrations ferrugineuses liées au karst en Périgord.Location of ferruginous occurences connected with karstic systems in Perigord (France). |
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URL | http://books.openedition.org/pub/docannexe/image/11042/img-1.jpg |
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Légende | Figure 2 : Affleurements de dalles silico-ferrugineuses autour de la vallée de la Dronne.Outcrops of silico-ferric slabs in the Dronne valley area. |
URL | http://books.openedition.org/pub/docannexe/image/11042/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 364k |
Légende | Photo 1 : Fragment de dalle silico-ferrugineuse avec laminites incurvées formées dans une ancienne cuvette karstique (Périgord). |
URL | http://books.openedition.org/pub/docannexe/image/11042/img-3.jpg |
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Légende | Figure 3 : Principe de formation des dalles silico-ferrugineuses. Principle of silico-ferric slabs formation. 1. Karstification fini-crétacée à paléocène. 2. Dépôt de loess siliceux (climat aride, chaud). 3. Ruissellement modéré (phase pluviale). 4. Ruissellement fort (phase pluviale et dissolution des calcaires). 5. Conditions acidifiantes (dissolution des silts, recristallisation en quartz de néogenèse, phase plus sèche). 6. Erosion plio-quaternaire : mise à nu des dalles en situation actuelle. |
URL | http://books.openedition.org/pub/docannexe/image/11042/img-4.jpg |
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Légende | Figure 4 : Affleurements de cuirasses ferrugineuses associées aux halloysites de la Bessède.Ironstones outcrops in relation with halloysitic clays in the Bessede area. |
URL | http://books.openedition.org/pub/docannexe/image/11042/img-5.jpg |
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Légende | Figure 5 :Coupes lithologiques de trois carrières d’halloysite de la Bessede.Lithologic sections of three halloysite quarries in the Bessede area. |
URL | http://books.openedition.org/pub/docannexe/image/11042/img-6.jpg |
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