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Droit, musique et numérique

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Patricia Signorile

Seconde partie. Du droit d’auteur au(x) droit(s) des auteurs

Les conservatoires en région, partie intégrante de la chaîne de création et de diffusion culturelle

René Villermy

Texte intégral

1Les établissements d’enseignement artistique font partie intégrante de la chaîne de la création et de la diffusion culturelle. Ils jouent un rôle central en matière de formation professionnelle, de développement de la pratique en amateur et de formation des publics.

2L’essor de l’éducation artistique des enfants et des jeunes adultes tout au long de leurs cycles de formation est également devenu aujourd’hui un élément important des missions de ces structures. Le ministère de la Culture et du ministère de l’Éducation nationale encourage actuellement les liens entre les politiques culturelles de l’État et celles des collectivités territoriales dans ce sens.

I. L’évolution des missions des conservatoires de musique dans les dernières décennies

3Naguère, la vocation de ces établissements était l’enseignement musical dans un cadre élitiste avec comme point focal la professionnalisation et la transmission du patrimoine musical savant. Depuis les années 1990, de nombreux facteurs sont venus impacter cette vocation. Sur le plan structurel, la territorialisation des établissements, une conséquence heureuse de la décentralisation, et les évolutions sociétales induisant des attentes nouvelles et plurielles des divers publics auxquels doivent s’adresser ces institutions sont sensibles. Par ailleurs, parallèlement à la transmission des langages musicaux hérités des siècles passés, l’indispensable ouverture sur des genres musicaux diversifiés a largement ouvert les champs esthétiques.

4Aujourd’hui, les conservatoires de musique forment principalement des musiciens amateurs, développent des actions éducatives en partenariat avec l’Éducation nationale et proposent des programmations musicales qui sont autant de moments de formation des publics et d’animation de territoires éloignés des centres de production artistique.

5Il est désormais acquis que ces structures, quelles que soient leurs tailles, sont bien des établissements culturels à part entière en relation avec un territoire.

6En regard de la tradition dont sont issus les conservatoires, cette évolution n’était pourtant pas évidente. Elle trouve son origine au tout début des années 1970, lorsqu’il a été décidé de placer l’enseignement artistique sous la tutelle du ministère de la Culture plutôt que sous celle du ministère de l’Éducation nationale. Ce choix qui est à l’inverse de celui de la plupart de nos voisins européens, a permis de situer l’activité des conservatoires en lien étroit avec le secteur de la diffusion et de la création.

7Nous en trouvons, par exemple, l’expression dans la « Charte de l’enseignement artistique spécialisé » produite en 2001 par le ministère de la Culture qui propose la définition suivante des missions de ces établissements :

« Les conservatoires sont des lieux de ressources pour les amateurs ; ils les informent, les aident à définir et éventuellement à assurer leurs formations ; ils les accueillent dans leurs locaux et favorisent le développement d’échanges et de collaborations entre groupes amateurs, soit dans les établissements eux-mêmes, soit en dehors de leurs murs. Ils sont des centres d’animation de la vie culturelle, proposant au public leurs activités ; ils entretiennent des relations privilégiées avec les partenaires artistiques professionnels et favorisent les échanges avec les structures et associations culturelles, locales ou non. »

8Mme la Sénatrice Catherine Morin-Desailly indiquait en 2009 dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi relative à la décentralisation des enseignements artistiques, « le réseau des établissements d’enseignement artistique s’est développé, d’abord sous l’impulsion de l’État, puis surtout à l’initiative des collectivités territoriales, en particulier des communes. Il a pour double mission de former les futurs musiciens professionnels (pour environ 2 % des élèves concernés) et de permettre le développement des pratiques amateurs ».

9Les conservatoires sont placés sous la tutelle du ministère de la Culture, qui est donc à la fois celui des artistes et des œuvres mais également celui de la formation de ces artistes, quelles que soient leurs ambitions (amateurs ou professionnels).

10Ce positionnement rend cependant complexe la question de la coopération avec l’enseignement général, alors que, via les missions éducatives d’intervention en milieu scolaire qui se sont considérablement développées, le partenariat avec l’Éducation nationale est incontournable. Cela s’est traduit dernièrement, par exemple, par des tensions lorsque les communes ont dû mettre en œuvre la réforme des rythmes scolaires. Certaines d’entre elles ont pensé pouvoir confier à leur conservatoire des missions éducatives qui n’entraient pas dans leur champ de compétences et pour lesquelles ils ne disposaient pas des personnels adéquats.

II. Des projets d’établissements en profondes mutations

11L’évolution des missions impacte naturellement les projets d’établissement qui se doivent d’intégrer les enjeux de celle-ci. Ces mutations profondes ne sont pas neutres pour les tutelles et les personnels.

12Nous trouvons au cœur de ces transformations la nécessité d’adapter la proposition pédagogique et culturelle des établissements à leur environnement et à leur territoire pour mieux répondre à l’appétence culturelle des usagers tout en maîtrisant les moyens mis en œuvre.

13La mise au centre du système de l’élève/individu/usager envisagé dans une dimension culturelle plurielle, à la place d’un système élitiste a représenté une révolution de nature copernicienne dont les conséquences en matière de formation des enseignants sont considérables. Conjuguer les missions pédagogiques et éducatives à l’artistique et au culturel interroge de façon sensible l’identité professionnelle des enseignants et pose, corrélativement, la question de leur formation, initiale et continue. En effet, si ceux-ci sont soumis aux mutations administratives et structurelles des établissements dans lesquels ils exercent, ils se trouvent également confrontés à l’évolution permanente des pratiques culturelles des publics auxquels ils s’adressent. De fait, leur traditionnel statut de prescripteur se double de missions de médiation se situant au carrefour d’esthétiques diversifiées et de publics variés.

14Pour garder une forte légitimité, les conservatoires doivent poursuivre leurs mutations pour répondre aux évolutions des pratiques musicales. À ce titre, ils doivent s’inscrire dans la révolution numérique en cours et interroger l’ensemble des possibilités qu’elle offre pour les intégrer dans leurs projets pédagogiques.

15Le renforcement des liens et des partenariats avec les acteurs culturels de leur territoire est également une voie royale pour développer une pédagogie de projet et instiller dans les apprentissages la densité artistique indispensable à la pertinence de celle-ci. Cette démarche peut également être l’opportunité de nouveaux financements via le mécénat ou le sponsoring.

16Les collectivités de tutelle doivent de leur côté faire évoluer le positionnement de leur établissement d’enseignement artistique. Il s’agit de le faire passer d’un statut d’outil à destination d’un public spécifique à celui d’un équipement intégré dans une stratégie d’action culturelle globale dont l’objectif principal doit être de contribuer au développement de l’activité artistique du territoire par :

  1. La capacité de l’établissement à s’adresser à des publics élargis
  2. Le soutien aux artistes et acteurs culturels locaux via l’élaboration de partenariats structurants ou la mise à disposition de matériel ou de locaux.

III. Les établissements d’enseignement artistique sont porteurs d’enjeux important en termes de citoyenneté

17La Commission Française du Développement Durable précise dans son avis n° 2002-07 datant d’avril 2002, dans le volet social de la démarche de développement durable, l’importance que représente pour chaque individu l’accès à l’éducation et à la connaissance, ainsi qu’à la diversité culturelle et à la possibilité de développer sa créativité.

« La diversité des cultures, patrimoine de l’humanité tout comme le patrimoine naturel qu’est la biosphère, doit être protégée afin d’être transmise aux générations futures. Elle doit même être enrichie par une dynamique d’échanges interculturels et de création, qui permette à chaque être humain de construire son rapport aux autres, son rapport à notre monde. Dans une société fondée sur la notion de développement durable, chaque individu devrait pouvoir accomplir sa propre vie et non pas la subir. Pour cela, il devrait pouvoir accéder à une éducation initiale et à une implication tout au long de sa vie dans un processus de formation continue et d’enrichissement culturel qui lui permettent de passer de l’état de consommateur de produits culturels standardisés à celui d’acteur de ses propres choix raisonnés de consommation. »

18Placer l’élève/individu/usager au centre des projets pédagogiques de nos établissements n’est-il pas une magnifique opportunité pour promouvoir cet idéal ? Celui de proposer à nos élèves d’être des musiciens amateurs acteurs de leurs propres devenirs ?

19Nous pouvons alors envisager la construction de leur autonomie artistique comme un enjeu de citoyenneté. Celle-ci leur permettant d’échapper à un destin de consommateur passif de marchandises culturelles préfabriquées ou de divertissements standardisés mais au contraire de le conforter dans un rôle d’artistes amateurs, citoyens/acteurs culturels du territoire en capacité de s’orienter plus efficacement dans l’offre existante mais également de participer à l’évolution de cette offre de par leur aptitude à formuler et commenter leurs attentes.

IV. Un équilibre financier à restaurer

20Le désengagement financier de l’État, des régions et des départements est très sensible, laissant la charge à l’échelon communal et intercommunal.

21Le volet « enseignements artistiques » de la loi (n° 2004-809) du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales avait pour ambition de définir le rôle des conseils généraux et des régions. Pour des raisons qu’il serait trop long d’exposer ici, cette réforme n’a pu aboutir, ce qu’a reconnu M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la communication, lors de la discussion relative à la décentralisation des enseignements artistiques en octobre 2009 au Sénat. À l’occasion de celle-ci, il a, de fait, reporté la modification législative nécessaire pour débloquer la situation dans un futur qui demeure aujourd’hui encore incertain. La nécessité de récrire les articles relatifs aux enseignements artistiques de la loi de 2004 semble nécessaire. Cette réécriture est dépendante de l’évolution de la réforme des collectivités territoriales, processus toujours en cours.

22Pour l’heure, cette situation entraîne un progressif abandon du soutien financier de l’État, des régions et des départements qui hypothèque toutes possibilités de développement quand il ne fragilise pas le devenir de ces établissements.

23L’enseignement et l’éducation artistique sont cependant porteurs d’enjeux culturels et citoyens qui impliquent les quatre échelons de collectivités locales que sont les communes, les intercommunalités, les départements, les régions et bien sûr l’État. C’est donc un véritable champ d’expérimentations qui pourrait s’ouvrir pour le domaine culturel et dans lequel les établissements artistiques pourraient trouver l’opportunité d’un plan de relance.

Auteur

Directeur du conservatoire de musique du pays d’Arles

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