« L’imagination est la folle du logis »,
Nicolas de Malebranche

« L’imagination gouverne le monde ! »,
Napoléon Bonaparte

1Il n’est pas rare qu’une citation extraite d’un rapport public puisse être revêtue d’une signification propre à desservir la cause soutenue par ses auteurs pour servir une action politique. Que cette action politique puisse produire un remarquable hapax en droit électoral français est en revanche moins banal. S’inscrivant, sur le premier point, dans une littérature abondante, les propos qui suivent visent, sur le second, à mettre en lumière l’ingéniosité avec laquelle des mécanismes de réfraction ou de déformation de la représentation ont pu être discrètement introduits en France, permettant l’élection de candidats minoritaires et l’importation de situations en principe réservées au monde anglo-saxon, à propos desquelles le professeur Jean Gicquel écrivait encore naguère : « En France, une situation de ce type ferait crier au scandale »1. Ces mécanismes ont été introduits ; le scandale n’a pas eu lieu.

2Le rapport public évoqué porte notamment sur une question rarement formulée de vive voix au sein de l’université, et encore moins au dehors, mais que s’est nécessairement posée, en sa double qualité de directeur d’UFR et de vice-président du conseil des études et de la vie universitaire, le récipiendaire de ces hommages : il s’agit de la question des relations entre les composantes d’une université et ses instances centrales, entre un directeur d’UFR et un président d’université.

3Quant à l’hapax, qui a trait au nouveau mode de scrutin imaginé pour les élections universitaires, ses effets extraordinaires, pour ne pas dire miraculeux, n’ont pu échapper à l’acuité de celui qui eut l’heur d’exercer ses fonctions électives lors des derniers mouvements universitaires et d’œuvrer pour l’université française avant et après l’adoption de la loi relative aux responsabilités et aux libertés des universités. Participant aux témoignages rendus à celui qui est aussi un spécialiste du droit électoral, qu’une étude de cet hapax lui soit offerte en sincère et très cordial hommage.

I – Disqualifier pour réformer

4En 2007, parmi les arguments invoqués pour convaincre de la nécessité de réformer l’université (complexe de Shanghai, dilution des forces et des moyens, taux d’échec en licence, cohérence de la carte des formations, etc.), la question de la gouvernance des universités tint une place centrale. Considérée comme déficiente par le nouveau gouvernement, il fallait commencer par la réformer d’une manière impérative : l’avenir de l’université française en dépendait.

5Une lecture attentive des débats parlementaires et des divers rapports produits pour les éclairer atteste cependant de la spéciosité des arguments invoqués à l’appui de la thèse de la déficience de la gouvernance universitaire (B). Convoqué pour étayer ces arguments, tout au long des débats, un rapport fut notamment invoqué de manière régulière par le gouvernement et les parlementaires de la majorité. Or, une simple lecture de ce rapport suffit pour constater que ses conclusions étaient parfaitement contraires à celles dont les réformateurs de l’université tirèrent indument profit (A).

A – Les conclusions du rapport Bouvard et Claeys

6En juin 2006, le rapport d’information présenté par Michel Bouvard et Alain Claeys, en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle sur La Gouvernance des universités dans le contexte de la LOLF2, s’interrogeait sur la coexistence de plusieurs niveaux de délibération et d’exécution au sein de l’université, soulevant implicitement le problème de l’articulation entre ces différents niveaux et explicitement le problème de la faiblesse de la gouvernance des universités. Une invitation à débattre était lancée, sur le mode quelque peu provocateur que trahissaient les termes d’un constat initial, établi en guise de problématique et ainsi formulé : « L’autonomie des établissements peut se heurter à l’autonomie reconnue aux composantes (UFR, instituts et écoles, départements, laboratoires et centres de recherche). La double légitimité du président et des conseils de l’établissement d’une part, des directeurs de composantes d’autre part, ne permet pas de définir des priorités pour l’université ou de mettre en œuvre des mesures non totalement consensuelles »3.

7Ce constat pouvait alors faire l’objet d’une double analyse. Soit la faiblesse de la gouvernance relevait d’un défaut structurel, auquel cas une réforme de la gouvernance universitaire s’imposait ; soit elle relevait simplement d’un défaut de pilotage ou encore, pour rester dans le registre lexical aérotechnique, d’une série d’erreurs humaines, auquel cas de simples mesures d’accompagnement ou de suivi suffisaient pour rétablir ou garantir « l’efficacité et l’efficience des universités », pour reprendre les termes « lolfiens » de l’enquête commandée en 2005 par la commission des Finances à la Cour des comptes4. Les conclusions de la Mission d’évaluation et de contrôle allaient s’avérer d’autant plus décisives que, moins d’un an plus tard, le rapport Bouvard et Claeys alimenta copieusement l’argumentaire des promoteurs de la réforme des universités entérinée par la loi n^o 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et aux responsabilités des universités dite loi LRU.

8Bien que la question des origines de la faiblesse de la gouvernance universitaire n’ait jamais été posée en des termes aussi précis dans ce rapport, celui-ci y répond néanmoins de manière explicite. Pour la Mission d’évaluation et de contrôle, la gouvernance des universités n’est pas structurellement déficiente.

9Selon le rapport, certains aménagements institutionnels paraissent certes opportuns, telle la possibilité offerte aux conseils d’administration de prévoir statutairement le renouvellement du mandat du président (proposition n^o 1) ou la suppression du panachage des listes aux élections aux conseils (proposition n^o 4), ou encore l’incitation à regrouper les UFR de façon transdisciplinaire (proposition n^o 21). Mais ces aménagements peuvent être mis en œuvre « sans bouleversement », comme l’annonce dès son introduction le rapport5, c’est-à-dire sans nécessiter une véritable réforme de la gouvernance universitaire. Dans cet objectif, le rapport préconise d’user de « leviers simples qui doivent permettre aux universités de mieux assumer leur autonomie » : présentation par le président au conseil d’administration d’un rapport annuel d’activité « qui comprend les rapports d’activité de chaque composante ainsi que l’évaluation des enseignements et de la formation » (proposition n^o 3) ; renforcement de la formation administrative, comptable et financière de tous les gestionnaires, dont notamment les directeurs d’UFR, et établissement d’une formation continue obligatoire pour tous les cadres administratifs (propositions n^o 5 et n^o 9) ; valorisation de la fonction de secrétaire général et augmentation du nombre de cadres administratifs A et A+ (propositions n^o 7 et n^o 8) ; instauration d’un service de contrôle de gestion dans toutes les universités et mise en place de systèmes d’information permettant la mise en œuvre d’une comptabilité analytique et d’un contrôle de gestion (propositions n^o 10 et n^o 11), etc., toutes autres propositions ayant une relation moins directe avec le thème central (statut de la CPU, contrôle de légalité, gestion des primes, regroupement des compétences dans le cadre des PRES, système de calcul de la DGF, durée et évaluation des contrats d’établissement et dotation y afférente ; orientation des étudiants ; introduction d’un contrat de service pluriannuel entre l’université et chaque enseignant-chercheur ; dévolution optionnelle du patrimoine). Insistant surtout sur les carences du pilotage par l’État et sur l’insuffisance des moyens accordés aux universités, le rapport ne relève ainsi aucune carence structurelle et force est de souligner que sur les trois aménagements institutionnels préconisés, deux sont du reste laissés à l’entière discrétion des établissements (renouvellement du mandat présidentiel et regroupement transdisciplinaire des UFR) et que le troisième (suppression du panachage), bien qu’important, ne concerne pas la gouvernance à proprement parler. Aussi le rapport conclut-il logiquement que « L’amélioration de la gouvernance des universités passe d’abord, avant une éventuelle réforme qui ne fait pas partie des propositions de vos Rapporteurs, par une meilleure utilisation du cadre juridique existant, ainsi que par quelques modifications législatives qui permettront de renforcer la gouvernance des universités tout en fondant leurs relations avec l’État sur les orientations stratégiques de la politique nationale de l’enseignement supérieur. Ces propositions peuvent paraître techniques, mais si elles étaient toutes appliquées, le système fonctionnerait beaucoup mieux. Toutefois, elles ne préjugent pas de la question des moyens accordés aux universités françaises, dont une augmentation est nécessaire ».

10Ite sentencia est. Avant de songer à réformer le dispositif institutionnel, il convenait d’abord de s’assurer de sa correcte application dans les faits, de s’assurer par exemple que le décret du 14 janvier 1994 relatif au budget et au régime financier des EPSCP était enfin appliqué in extenso, ainsi que l’instruction M 9-3 relative au nouveau cadre comptable ; que l’évaluation des enseignements prévue par l’arrêté du 9 avril 1997 était effective ; que le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire étaient réellement exercés ; que la comptabilité analytique – obligatoire depuis 1985 en matière de formation continue par exemple – était bien mise en œuvre ; que les systèmes d’information étaient rendus compatibles avec les objectifs de la LOLF, etc. : autant d’actions demeurant en souffrance en 2006… et, pour certaines d’entre elles, aujourd’hui encore. Constat maintes fois établi, préconisations maintes fois répétées – et dans bien d’autres domaines – sous la Cinquième République : réformer n’a de sens que si l’on a déjà épuisé les ressources offertes par le dispositif existant… à moins qu’il ne soit inapplicable… ce qui en l’occurrence n’était pas le cas.

11Resituée dans son contexte général, la citation extraite du rapport et relative à la double autonomie des établissements et de leurs composantes, à la double légitimité des instances centrales et des composantes internes, revêtait en conséquence un sens beaucoup moins ambigu. Pour la MEC, pas plus qu’il n’existait de réel problème structurel lié à l’existence d’une double autonomie ou d’une double légitimité au sein des universités, il n’existait, dans l’organisation de la gouvernance des universités, de carence structurelle telle qu’il faille réformer les universités. Concernant essentiellement leur fonctionnement, les « faiblesses de la gouvernance des universités » correspondaient donc à des faiblesses de pilotage : « les équipes présidentielles et les conseils d’administration n’utilisent pas tous dans les faits », souligne le rapport, « les marges de manœuvre que leur offre la législation, ce qui se traduit souvent par une gouvernance trop faible » ; le rapport ajoutant que « la forte identité des UFR n’est pas mauvaise en soi, à condition qu’elle ne soit pas excessive et ne freine pas l’interdisciplinarité »6. Pour emprunter cette fois au lexique des corps d’inspection, si problème il y avait, étant précisé qu’il ne concernait pas toutes les universités, il n’était donc pas lié à la structure (auquel cas il aurait du reste concerné toutes les universités), mais à un mauvais positionnement de ses acteurs : sur-positionnement, d’une part, de certaines composantes qui se sont octroyées, par atavisme facultaire, une certaine autonomie préjudiciable à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une véritable politique d’établissement, sur-positionnement de certains directeurs défendant à juste titre les intérêts de leur composante mais jusqu’à occulter l’intérêt général de l’établissement ; sous-positionnement ou incompétence négative des instances de direction, d’autre part, qui n’assument pas l’ensemble de leurs responsabilités ou n’exercent pas toutes leurs compétences ou prérogatives. Que chacun se repositionne donc positivement ou négativement en conformité avec le cadre institutionnel existant et une bonne gouvernance ne manquerait pas d’être (r) établie dans chaque université : tel était en définitive le sens du constat initial à partir duquel furent établies les propositions du rapport.

12Et de fait, il n’existe pas car il ne saurait exister, sur un plan structurel ou endogène, de réels conflits d’autonomie ou un conflit de légitimités au sein des universités. La raison en est simple. D’une part, la seule véritable autonomie dont bénéficient les composantes est strictement cantonnée à l’élaboration ou la révision de leurs statuts, ainsi qu’à la répartition interne des crédits alloués par le conseil d’administration (sans préjudice du contrôle comptable et du contrôle de gestion exercés au niveau central), ce dernier se réservant toutefois la possibilité de ne pas valider les dispositions statutaires proposées (il ne peut en revanche les réformer proprio motu). Pour le reste, l’autonomie des composantes se réduit aux marges de liberté concédées par l’établissement, autant dire qu’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’autonomie. Les composantes ne sont nullement propriétaires des moyens matériels ou humains dont elles disposent7 ; elles ne « possèdent » notamment pas les postes qui leur sont affectés ; l’ensemble des personnels est placé par le législateur sous l’autorité du président, qui arrête les états de service de l’ensemble des enseignants-chercheurs. Il ne saurait ainsi y avoir conflits d’autonomie. D’autre part, pas plus que les conseils d’UFR, leurs directeurs ne disposent d’un pouvoir de décision : la légitimité des composantes, réelle et fondée démocratiquement sur l’élection de leurs conseils et de leurs directeurs, ne saurait ainsi venir « heurter » ou contrarier celle des instances centrales, notamment celles du conseil d’administration et du président, seules autorités décisionnaires. Considéré de l’extérieur de l’enceinte universitaire, ce qui peut apparaître comme une faiblesse de pilotage, voire une incohérence institutionnelle, relève en réalité des spécificités du fonctionnement universitaire, dont la collégialité est le pilier et la clef de lecture. À l’université, aucune décision ne saurait de fait être prise sans avoir été préalablement examinée et débattue par les conseils des composantes concernées qui demeurent de surcroît centres d’initiatives et forces de propositions. Ce particularisme, appelé encore tradition universitaire, repose sur le bon sens et un simple constat : étant les meilleures expertes des champs disciplinaires et scientifiques qu’elles recouvrent, les composantes demeurent les meilleurs conseils pour le gouvernement de l’université. Mais il ne s’agit pas ici d’autogestion. Les universités sont animées par une nécessaire politique d’établissement, leurs moyens sont comptés : des cadrages doivent être établis, des arbitrages rendus. Les propositions ou initiatives des composantes sont ainsi indispensables mais elles ne sauraient être acceptées de manière systématique par l’autorité centrale garante de la conformité de leur action aux orientations générales de l’établissement, orientations qui ont justement été définies en concertation avec l’ensemble des composantes… La gouvernance universitaire se singularise ainsi par une collégialité qui se caractérise elle-même par la circularité du processus normatif, propice à l’auto-évaluation et au contrôle interne. Les composantes participent à la définition du cadrage et des orientations générales puis en assurent la mise en œuvre ; en associant les composantes à la définition de la politique d’établissement, les instances centrales facilitent l’adhésion aux lettres de cadrage et les futurs arbitrages. Aussi, si l’on tenait à employer l’impropre terme d’autonomie pour caractériser le fonctionnement des composantes, conviendrait-il d’oser cette formule d’autonomie participative, marqueur d’un fonctionnement universitaire qui ne saurait être brocardé par un verdict hâtif fustigeant une gouvernance qui ne reposerait que sur le consensus pour le consensus. Certes, les arbitrages sont parfois délicats ou difficiles ; les intérêts des composantes peuvent être défendus sur un mode disciplinaire, facultaire, confinant au corporatisme, ce qui peut créer des tensions ou des clivages forts, déjà observés par Kant, dès 1798, dans Le Conflit des facultés. Toujours observé de l’extérieur, la recherche du consensus a pu paraître prévaloir sur tout autre mode de pilotage. Mais la réalité est plus subtile et s’il peut sembler parfois abscons, paralysant, improductif, le fonctionnement universitaire ne mérite pas les commentaires parfois caricaturaux dont il fit l’objet, puis les frais. En tout état de cause, la réalité de ce fonctionnement confirme l’analyse du rapport Bouvard et Claeys. L’autonomie et la légitimité des composantes ne peuvent théoriquement neutraliser ou « heurter » celles des instances centrales car elles ne se situent pas au même niveau ou ne relèvent pas des mêmes registres juridique et politique. Tout comme l’autonomie participative ne peut entraver l’autonomie décisionnelle, la légitimité d’une partie ne saurait affecter la légitimité de l’ensemble si les règles du jeu sont clairement établies et comprises, à l’instar de celles qui président aux relations entre l’État et les collectivités territoriales. Principalement dues à une incompréhension ou à une mauvaise application de ces règles du jeu, les quelques erreurs de pilotage recensées ne permettaient nullement de remettre en cause la viabilité ou la cohérence structurelle de la gouvernance des universités.

13Tout autre fut l’analyse proposée par les promoteurs de la réforme des universités. Comme cette analyse se recommande maintes fois du rapport Bouvard et Claeys, il était expédient d’en rappeler la teneur. En réalité, cette analyse revêt en premier lieu toutes les apparences du postulat. En 2007, le gouvernement va en effet fonder sa réforme de l’université sur une appréciation qui ne souffre aucune contradiction. Pour le président de la République, pour le Premier ministre, pour la ministre, pour les parlementaires de la majorité, la même sentence est prononcée : la gouvernance des universités est déficiente ; il faut donc la réformer8. Ce mot d’ordre ne saurait être discuté, pas plus que ne peut l’être le plan d’action proposé : tout renforcement de l’autonomie (c’est-à-dire la dévolution de la masse salariale et partant, la liberté de disposer des postes) ou toute augmentation de la dotation financière des universités (dont nul ne conteste la nécessité) sont conditionnés par un préalable « non négociable » : il faut avant toute chose réformer la gouvernance de l’université. Si cette condition préalable n’est pas remplie, l’université française ne bénéficiera ni de l’autonomie renforcée, ni des moyens supplémentaires dont elle a besoin9.

B – Une rhétorique politique efficace mais dénuée de réels fondements

14Dès l’engagement de la procédure législative, la majorité gouvernementale devant justifier un tel verdict et le plan d’action programmé, contestés par l’opposition10 mais aussi par certains centristes11, une batterie d’arguments à charge est alors élaborée puis massivement employée. Par-delà les formules dépourvues d’éléments justificatifs, tel ce jugement ministériel : « l’université française est handicapée par des pesanteurs trop importantes. Elle est paralysée par sa gouvernance et ses modes de fonctionnement actuels, caractérisés par un manque de pilotage, de transparence et d’ouverture sur la société », éléments de langage repris en chœur par la majorité et les rapporteurs, Benoist Apparu enchérissant : « l’université française est malade des faiblesses de sa gouvernance, quand ce n’est pas de l’inexistence de celle-ci », les arguments invoqués seront en réalité peu nombreux et rarement inédits. Parmi eux, les éléments recensés par la MEC sont resservis mais ils sont présentés d’une manière sensiblement différente, comme boursouflés à l’envi sous l’effet d’une levure politique censée donner une consistance à la thèse soutenue.

15Pour chaque élément invoqué à l’appui de la thèse gouvernementale, cette prétendue déficience peut être objectivement mesurée et appréciée à l’aune des mesures correctives préconisées par les promoteurs du projet de loi.

16En premier lieu, partageant le constat selon lequel l’université française accuse « une gouvernance et un pilotage trop faibles », le rapport Dupont n’invoque quant à lui qu’un seul élément : le trop grand nombre d’instances collégiales à l’université, soit « plus de cinquante instances collégiales compétentes », ce qui aboutit à « des processus décisionnels longs et erratiques »12. Or, le rapport Dupont ne préconise nulle suppression d’instances collégiales… mais propose au contraire d’en créer une nouvelle : le comité technique paritaire.

17Le rapport Apparu évoque quant à lui une « confédération de structures qui mènent leurs propres politiques »13. Se recommandant du rapport Bouvard et Claeys, le rapporteur interprète à sa mode le thème évoqué par le rapport en se focalisant sur les UFR et non sur toutes les composantes : « l’autonomie des établissements se heurte à l’autonomie reconnue des composantes, c’est-à-dire les unités de formation et de recherche. C’est l’une des clefs du défaut de gouvernance des universités : comme le souligne parfaitement le rapport de la MEC précité, "la double légitimité du président et des conseils de l’établissement, d’une part, et des directeurs de composantes d’autre part, ne permet pas de définir des priorités pour l’établissement". L’un des dysfonctionnements les plus manifestes de cette dyarchie est l’incapacité de l’université à réguler son offre de formation, alors qu’il devrait s’agir d’une de ses missions essentielles »14. Outre le caractère audacieux de l’interprétation faite du rapport de la MEC, dénoncée notamment par le député Yves Durand15, l’évolution sémantique est significative et l’emploi du terme « dyarchie » n’est pas neutre, suggérant que les UFR ont un pouvoir de décision, ce que Benoist Apparu affirmera du reste ensuite, comme Claude Goasguen qui insistera « sur la nécessité de mettre fin à la multiplicité des centres de décision dans l’université »16. À cette prétendue « dyarchie », nulle mesure corrective ne répondra cependant, comme nulle mesure corrective ne sera étudiée afin de réguler l’offre de formation des universités17, le rapporteur finissant au contraire par être lui-même sensible aux risques que représentent tant l’accroissement des pouvoirs du président que l’affaiblissement des composantes18. En définitive, pour reprendre les termes mêmes du rapporteur, si l’autonomie des composantes avait dû être « l’une des clefs du défaut de gouvernance des universités », cette clef n’ouvre, au terme du débat parlementaire, que de fausses issues ou des portes qui se dérobent, en premier lieu, à l’entendement.

18Un autre argument évoqué tint à l’encombrement de l’ordre du jour ou à l’« omni-compétence » du conseil d’administration19. Alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que la loi restreignît, délimitât ou précisât son champ de compétence20, le conseil d’administration ne perd aucune compétence mais en gagne de nouvelles21, ce dont se félicitent les députés de la majorité22. La majorité gouvernementale refuse par ailleurs que le conseil d’administration puisse déléguer certaines de ses compétences aux deux autres conseils qui perdent de surcroît leur pouvoir de proposition, contradiction soulignée en vain par des députés de l’opposition23 ou de la majorité24. Seul, le nouveau comité technique paritaire, créé par la loi, est censé désencombrer le conseil d’administration des questions d’ordre social25, comme si le conseil d’administration devait se transformer en chambre d’enregistrement d’une instance paritaire n’incarnant pas l’intérêt général. Le conseil des études et de la vie universitaire perd son pouvoir de proposition sur les orientations des enseignements de formation initiale et d’instruction des demandes d’habilitation et de projets de nouvelles filières, ce que conteste le Sénat avant que l’Assemblée ne revienne au texte initial et n’abolisse définitivement le pouvoir de proposition également au détriment du conseil scientifique26. Loin de désencombrer le conseil d’administration, la loi allège certes ses règles de fonctionnement, en supprimant notamment l’obligation d’adopter à la majorité qualifiée des deux tiers toute modification statutaire, la majorité simple y suffisant, ce dont il faut se féliciter, mais puisqu’elle étend cependant son champ de compétences, la portée de l’argument paraît a posteriori nulle.

19Autre élément plus anecdotique mais maintes fois invoqué, la lenteur de certaines procédures de recrutement est encore convoquée pour stigmatiser la gouvernance universitaire27. Les campagnes d’emplois étant naguère annuelles et les recrutements au fil de l’eau étant alors impossibles, cet élément ne pouvait sérieusement servir la thèse soutenue. Les causes expliquant le caractère infructueux d’un concours sont suffisamment nombreuses (absence de vivier, mauvais profilage du poste, conflits d’ordre personnel) pour être imputées à un seul défaut de gouvernance, étant par ailleurs précisé qu’en général, les concours infructueux étaient et restent peu nombreux.

20Concernant enfin le président de l’université, considéré par les promoteurs du projet de loi comme un « acteur impuissant et non un capitaine d’université »28, ses compétences auraient dû être inversement réévaluées par le législateur, afin qu’il devienne « le vrai patron de l’université »29 (sic !). La loi ne créera en fait que de peu de compétences nouvelles : le droit de veto sur les recrutements et la possibilité d’étendre davantage le périmètre de la délégation de signature, auxquelles s’ajoute une compétence délicate à assumer au regard des principes fondamentaux de la fonction publique : la faculté de recruter des agents contractuels pour occuper des emplois administratifs de catégorie A ou pour exercer des fonctions d’enseignement et de recherche. La première compétence est à juste titre considérée par la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale comme « une arme nucléaire », essentiellement dissuasive, limitée dans ses motifs (adéquation du candidat retenu au profil du poste) et qui a de fait vocation à n’être pratiquement jamais utilisée30. Quant à la seconde, elle permet juste au président de déléguer sa signature à d’autres personnes que les vice-présidents, le secrétaire général, les directeurs d’UFR, d’institut, d’école ou de service commun31. Sans que jamais la question de la responsabilité juridique du président ne soit évoquée (ce qui pose tout de même problème), il ne s’agit, à proprement parler, ni d’une compétence nouvelle, ni d’un renforcement de ses attributions puisqu’il lui est justement permis de les déléguer davantage32. Donnant l’impression qu’il croit pouvoir régler les prétendus problèmes d’impuissance du président en lui accordant un pouvoir dont il ne saurait faire usage (le droit de veto) et en lui permettant de se dessaisir d’un plus grand nombre de dossiers par délégation de signature, le législateur laisserait ainsi accroire que cette impuissance n’était sans doute pas sa préoccupation prioritaire, si n’était défini, puis poursuivi, cet objectif général visant à faire du président « l’animateur de la fonction de gestion […] administrative, budgétaire, comptable et financière [qui] est largement défaillante »33.

21Les autres éléments portés au discrédit de la gouvernance universitaire reprennent ainsi le constat établi dans le rapport Bouvard et Claeys, dont les propositions attestent que les défaillances peuvent être résolues par de simples mesures techniques. De manière générale, à défaut de nouvelles responsabilités, une responsabilisation du président est souhaitée, qui est favorisée par la présentation d’un rapport annuel d’activité devant le conseil d’administration et la possibilité de briguer un second mandat. Participent de ces mesures techniques les « simples leviers » suggérés par la MEC : renforcement de la formation administrative, comptable, financière des gestionnaires et de la formation continue des cadres administratifs ; valorisation de la fonction de secrétaire général ; augmentation du nombre de cadres administratifs A et A+ ; amélioration du contrôle de gestion ; etc.

22Au terme de cet inventaire et du débat parlementaire, il n’apparaît donc pas vraiment qu’ait été rapportée la preuve d’une défaillance structurelle de gouvernance. La « gouvernance efficace, stratégique et réactive » souhaitée par la ministre34 suppose des moyens supplémentaires et peut être obtenue par de simples correctifs, sans nécessiter, à proprement parler, une réforme.

23Au terme de cet inventaire et du débat parlementaire, demeure toutefois, dans la batterie argumentative ministérielle, un argument suprême, censé emporter la conviction et hissé comme l’étendard autour duquel doivent se rallier indécis et non spécialistes de la question : la prétendue incapacité des universitaires à constituer des majorités stables sur lesquelles peuvent s’appuyer les instances de direction. Le 11 juillet 2007, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche présente cet argument devant le Sénat : « Le président d’une université est élu aujourd’hui par cent quarante personnes, parfois au terme de vingt-trois tours de scrutin »35, puis devant l’Assemblée nationale : « La plupart des procédures sont lourdes, dévoreuses de temps et d’énergie : ainsi, l’élection d’un président demande parfois jusqu’à vingt-trois tours de scrutin ! »36, réitère la ministre, qui répètera lors de la séance du 23 juillet qu’« élire le président d’une université suppose de réunir cent quarante personnes et de recourir parfois à vingt-trois tours de scrutin », puis, lors de la séance du 24 juillet, que le président est « choisi par cent quarante personnes au terme de très nombreux tours de scrutin – jusqu’à vingt-trois ! » Cet élément de langage sera repris à l’envi par les rapporteurs et les députés de la majorité.

24L’argument de la faiblesse et de l’instabilité, qui avait emporté la IV^e République, ne pouvait manquer de faire mouche et susciter une réaction à la hauteur des ambitions ministérielles. Sans qu’ait été vraiment rapportée la preuve de la nécessité de réformer, au cœur de la réforme, celle de la gouvernance restera l’objectif prioritaire qui devra être atteint grâce à l’invention d’un nouveau système électoral, d’un nouveau mode de scrutin qui sera imposé telle une panacée. Que tout l’argumentaire, développé avec méthode, martelé avec force, s’écroule, resterait ce précédent fâcheux, cet inacceptable tribut payé à la démocratie : une élection présidentielle avait nécessité vingt-trois tours de scrutin. Et parce qu’une université avait connu une crise institutionnelle certaine, toutes les universités devaient être réformées et gouvernées selon des règles électorales adaptées et inédites.

II – Réformer pour disqualifier

25Le paradoxe de la LRU est qu’en prétendant guérir la gouvernance universitaire de maux imaginaires ou largement dramatisés, le législateur lui administra un remède qui affectera, durablement et profondément cette fois, sa santé institutionnelle à partir de 2007.

26En guise de remède, le mode de scrutin administré n’en finit pas, en effet, de saper la légitimité des instances décisionnaires de l’université, d’une manière plus ou moins brutale : une prime majoritaire doit bénéficier à la liste d’enseignants-chercheurs (collège A et B) arrivée en tête. Or, si elle peut bénéficier au candidat majoritaire, cette prime majoritaire peut de fait tout aussi bien bénéficier au candidat minoritaire (A), ce que le législateur n’avait – aussi curieux que cela paraisse – pas vraiment prévu ou compris en 2007 (B). Ainsi, après avoir disqualifié en théorie la gouvernance universitaire pour justifier sa réforme, le législateur la disqualifiera de facto par sa réforme.

A – Une prime majoritaire, y compris pour le candidat minoritaire

27Quelque appréciation critique que l’on porte sur l’argumentaire développé par la majorité gouvernementale, celui-ci s’inscrivait donc résolument dans une stratégie politique dont le but était de réformer coûte que coûte (ou plutôt vaille que vaille, la réforme n’étant pas censée coûter) la gouvernance de l’université. Parmi d’autres mesures, sur le plan juridique, le chef d’œuvre de cette réforme sera l’invention d’un nouveau dispositif électoral. Au lieu de traiter les causes du déficit politique en intéressant davantage les acteurs de l’université à la gestion des affaires universitaires, la réforme modifiera le système électoral : curieuse habitude consistant à traiter les symptômes mais non la cause et à persister à croire que l’on peut supprimer la fièvre en changeant de thermomètre37.

28Supprimant l’élection du président par l’assemblée des trois conseils, la loi LRU prévoit que le président est élu à la majorité absolue des membres élus du seul conseil d’administration, et partant par un unique conseil ne comprenant à ce stade aucune personnalité extérieure à l’établissement38. Le conseil d’administration, dont le périmètre est sensiblement restreint par la loi (il comporte désormais de vingt à trente membres, l’ancien plafond des soixante membres ayant ainsi été abaissé de moitié), comprend toujours – au titre des enseignants-chercheurs, enseignants, chercheurs et assimilés – un collège A et un collège B dont les membres sont toujours élus au scrutin de liste à un tour avec représentation proportionnelle au plus fort reste39. Innovation notoire, la loi attribue toutefois « à la liste qui obtient le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié des sièges à pourvoir ou, dans le cas où le nombre de sièges à pourvoir est impair, le nombre entier immédiatement supérieur à la moitié des sièges à pourvoir ». Par conséquent, précise l’article L 719-1, al. 4 du code de l’Éducation, seuls « les autres sièges [au conseil d’administration] sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle au plus fort reste », tout comme demeurent répartis à la représentation proportionnelle au plus fort reste les sièges pourvus au titre du collège des personnels administratifs et du collège des étudiants.

29Une prime majoritaire est ainsi instituée au seul profit des personnels enseignants et chercheurs, dans le but d’améliorer la gouvernance des universités. Les représentants des collèges A et B étant au moins en nombre égal à la moitié des membres élus, grâce à cette prime majoritaire, la loi permet a priori, par artifice, l’émergence d’une majorité forte ou stable sur laquelle peut s’appuyer le président. En conférant à ce dernier le pouvoir de nomination des personnalités extérieures, le législateur pensa ainsi verrouiller le système et mettre un terme définitif aux difficultés rencontrées par le passé et qui étaient liées à l’absence de majorité stable. Entre efficacité managériale et équité de la représentation, le législateur ne balança point et opta pour l’efficacité.

30Cette prime majoritaire, accordée à deux collèges sur quatre, n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement démocratique de l’institution. D’une part, elle institue une inégalité de traitement qui peut paraître arbitraire et discriminatoire entre les quatre collèges du conseil d’administration et marque une séparation symbolique forte entre les enseignants, enseignants-chercheurs et le reste de la communauté universitaire. D’autre part, cette innovation a des effets certains sur l’élection et, partant, sur la légitimité du président de l’université. Jusqu’alors élu à la majorité absolue des membres de l’assemblée des trois conseils, ce qui lui conférait une représentativité et une légitimité certaines, le président devient l’élu du seul conseil d’administration restreint à ses membres élus, ce qui l’expose à cette critique facile de n’être plus qu’un gestionnaire devenu indifférent aux véritables intérêts ou enjeux de l’université40. Pis encore, quels que soient les résultats électoraux, l’alternative qui se présente pour chaque élection présidentielle ne permet plus de garantir sa représentativité et sa légitimité, comme l’atteste l’analyse des deux hypothèses suivantes.

31La première hypothèse correspond au scenario prévu par le législateur : les deux listes majoritaires au titre des collèges A et B soutiennent le même candidat. Dans ce cas, sa victoire est automatiquement acquise, ces deux collèges réunis étant majoritaires parmi les électeurs du conseil. La campagne pour l’élection présidentielle est alors close avant même d’avoir commencé. Le débat démocratique devient purement formel. Leur vote ne pouvant plus produire aucun effet sur l’élection présidentielle, les membres élus au titre des deux collèges représentant les personnels administratifs et les étudiants peuvent se sentir légitimement dépossédés de leur droit de suffrage ou se sentir pour le moins relégués dans un état de minorité politique qui n’est pas sans rappeler une lointaine théorie développée par Sieyès : la théorie de l’électorat-fonction. Par ses effets, une telle situation affecte de facto la règle de l’égalité de suffrage ou l’universalité du suffrage selon laquelle le pouvoir détenu par chaque électeur doit être identique, chaque bulletin de vote devant théoriquement avoir la même force. En termes de légitimité, le président devient de fait l’élu des seuls enseignants-chercheurs représentés par les listes arrivées en tête aux élections.

32La seconde hypothèse correspond au scenario inverse : les listes majoritaires au titre des collèges A et B ne soutiennent pas le même candidat. Dans ce cas, curiosité du dispositif électoral, un certain rééquilibrage démocratique peut être espéré : une véritable campagne électorale peut avoir lieu et les collèges privés de facto de leur droit de vote dans la première hypothèse recouvrent le plein exercice de leurs droits politiques : leur vote comptera ! Néanmoins, cette seconde hypothèse peut aboutir à une situation encore moins satisfaisante que celle à laquelle aboutit la première. Par le jeu des combinaisons politiques et des alliances de circonstances, bien que majoritaire au conseil d’administration, le candidat élu peut être minoritaire au sein de la communauté universitaire. Chose inédite, en raison de la prime majoritaire et dans l’hypothèse où étaient en lice au moins trois listes distinctes (dont une seule soutenait le candidat élu, les autres étant opposées à sa candidature), si sa liste n’a pas obtenu la majorité absolue lors des élections, le candidat élu est automatiquement minoritaire en nombre de voix réelles (mais non en nombre de sièges) au sein de son propre collège. Une fois les élections aux conseils terminées, il n’est de fait plus temps de songer à un quelconque ballottage, à des reports de voix ou à des alliances concertées, comme il était possible auparavant. La prime majoritaire fige définitivement les rapports de force. S’il gagne le nombre de voix suffisant auprès des collèges BIATOSS et étudiants, le candidat minoritaire sera donc élu. Cette situation insatisfaisante peut à la rigueur passer inaperçue, ce qui ne saurait être une solution mais ce qui permet de sauvegarder les apparences démocratiques. Elle sera en revanche flagrante si les résultats électoraux sont identiques pour les deux autres conseils où le scrutin proportionnel a été maintenu. La position minoritaire du président élu ne pourra alors être dissimulée, à condition toutefois que des listes soutenant le candidat élu aient été déposées pour les élections aux deux autres conseils, ce qui ne fut pas toujours le cas lors des élections de 2007- 200841.

33Cette situation insatisfaisante peut être illustrée par deux exemples significatifs. Premier exemple, dans l’hypothèse où trois listes X, Y et Z sont en lice et obtiennent des résultats différents dans les deux collèges A et B, soit pour le collège A : 34 % pour la liste X et 33 % pour chaque autre liste Y et Z et pour le collège B : 36 % pour la liste Y, 34 % pour la liste Z et 30 % pour la liste A, les sièges seront répartis de la manière suivante pour chaque collège dont le nombre total de sièges est de 7 (composition retenue par la très grande majorité des universités) :

• au collège A : 5 sièges pour la liste X, 1 siège pour la liste Y et 1 siège pour la liste Z
  au collège B : 1 siège pour la liste X, 5 sièges pour la liste Y et 1 siège pour la liste Z.

34Avec seulement 30 % des voix au collège B, la liste X obtient au conseil d’administration 6 sièges sur 14 au titre des deux collèges des enseignants-chercheurs. Mais cette liste X peut encore faire élire son candidat s’il obtient le soutien décisif des deux autres collèges. Dans l’hypothèse classique où les membres élus représentant les personnels administratifs sont au nombre de trois (maximum autorisé par la loi), les membres élus représentant les étudiants au nombre de cinq (idem) et que la majorité absolue est donc fixée à 12 voix, le candidat minoritaire peut être élu grâce à l’apport de :

• la totalité des voix des étudiants avec au moins une voix des BIATOSS

• quatre voix des étudiants avec au moins deux voix des BIATOSS

• trois voix des étudiants avec les trois voix des BIATOSS42.

35Dans ces trois configurations « gagnantes » (étant précisé que le nombre de combinaisons gagnantes possibles est de 6 sur un total de 24, soit par conséquent 18 combinaisons perdantes et un pourcentage de combinaisons gagnantes qui s’élève à 25 %, ce qui n’est pas négligeable pour un candidat minoritaire), le candidat élu pourra donc être de surcroît minoritaire dans le collège BIATOSS, ce qu’il ne peut se permettre d’être dans le collège étudiant. Dans une telle configuration, le candidat minoritaire a ainsi tout intérêt à bénéficier du soutien des étudiants, ce qui n’a pas échappé aux candidats qui, lors des dernières élections en 2007-2008, n’étaient soutenus que par un seul des deux collèges A ou B et qui remportèrent en général la victoire électorale grâce au soutien décisif des étudiants43.

36Second exemple, dans la configuration inverse où les trois listes X, Y et Z obtiennent des résultats identiques dans les deux collèges A et B, soit 34 % pour la liste X et 33 % pour chaque autre liste, les sièges seront répartis de la manière suivante pour chaque collège :

• au collège A : 5 sièges pour la liste X, 1 siège pour la liste Y et
  1 siège pour la liste Z

• au collège B : 5 sièges pour la liste X, 1 siège pour la liste Y et 1 siège pour la liste Z.

37Le candidat de la liste A peut ainsi être élu grâce au simple apport de :

• deux voix au moins des étudiants, sans aucune voix des BIATOSS

• deux voix au moins des BIATOSS, sans aucune voix des étudiants

• une voix au moins des étudiants avec une voix au moins des BIATOSS44.

38Dans cette configuration, le candidat élu qui ne représente que 34 % des enseignants-chercheurs peut donc être minoritaire parmi les BIATOSS et parmi les étudiants. L’écart qui le sépare en nombre de voix de ses concurrents peut même être d’une seule voix dans tel collège et, s’il relève de ce collège, cette voix peut être la sienne ! Cette hypothèse ne saurait être une simple hypothèse d’école mais correspond à une configuration non seulement possible mais réalisée lors des élections à l’université de Bourgogne, en février 2012, où une seule voix d’écart séparait les candidats en lice.

39En définitive, chose extraordinaire, miracle de la loi LRU, peut être élu président d’université un candidat minoritaire parmi les enseignants-chercheurs, minoritaire parmi les personnels administratifs et parmi les étudiants, minoritaire au sein des deux autres conseils qu’il doit également présider mais avec lesquels il a perdu tout lien électif. En définitive, peut être élu président un candidat minoritaire dans chaque collège du conseil d’administration et dans chacun des trois conseils ! Dans de telles conditions et en vertu d’un tel système conférant à quelques élus la qualité de « faiseurs de roi », que la légitimité du président en sorte renforcée paraît encore aujourd’hui une gageure…

40En 2007, certains parlementaires crurent sincèrement renforcer la légitimité du président de l’université, à l’instar du sénateur Jean-Léonce Dupont, auteur du rapport fait au nom de la commission des Affaires culturelles, estimant que la LRU « confère au président d’université une légitimité et une autorité accrues, par son nouveau mode d’élection notamment »45. Confondant autorité et légitimité, les partisans du projet de loi n’entendirent pas les objections d’autres parlementaires qui insistèrent avec raison sur la perte de légitimité du président dont les pouvoirs étaient pourtant accrus, à l’instar du sénateur David Assouline, observant que « le passage d’une élection par les trois conseils, qui permettait au moins de conférer au président une forte légitimité, à une élection par les seuls membres élus du conseil d’administration affaiblira cette légitimité » et rappelant le principe élémentaire selon lequel « plus on renforce les pouvoirs d’un exécutif, plus on doit aussi renforcer sa légitimation démocratique par un collège électoral large »46. Éclairées par l’analyse du nouveau mode de scrutin universitaire, d’autres interventions acquièrent aujourd’hui une résonnance particulière, telle cette réponse de la ministre destinée à dissiper toute objection et toute inquiétude : « Le président sera légitimé car élu par le conseil d’administration »47… réponse reprise en chœur par nombre de parlementaires de la majorité48. Comment comprendre une telle erreur de jugement : immaturité du projet, obstination, idéologie ?

41En réalité, qu’un candidat rejeté, en termes majoritaires, par les quatre collèges de son électorat puisse être élu ; qu’un tel miracle électoral soit possible, le législateur, à la lecture des débats, n’en avait pas tout à fait conscience durant l’été 2007.

B – Un scenario prévisible mais non prévu par le législateur

42En réalité, durant l’été 2007, le législateur prit à peine conscience du scenario rendu possible par le projet de loi, selon lequel les résultats électoraux au titre des collèges A et B pouvaient être opposés et se neutraliser. À aucun moment, dans sa présentation du projet de loi devant le Sénat puis devant l’Assemblée nationale, la ministre n’évoque naturellement une telle éventualité, qui n’est pas évoquée non plus dans l’exposé des motifs. Au Sénat, elle n’est jamais évoquée. Le rapport Dupont, au nom de la commission des Affaires culturelles, ne l’aborde pas et, lors des séances des 11 et 12 juillet 2007, la question ne se posant toujours pas, les débats relatifs à l’élection du président se focalisent sur la qualité des personnalités extérieures au conseil d’administration, leur mode de désignation et leur participation à l’élection présidentielle pour laquelle les sénateurs de la majorité se déclarent résolument favorables. Devant l’Assemblée nationale, le rapport Apparu consacre trois lignes au nouveau mode de scrutin précisant que la « prime majoritaire donnée à la liste arrivée en tête est destinée à favoriser l’émergence de majorités stables pour les représentants des professeurs qui très probablement, en raison de leur poids dans le conseil d’administration, seront amenés à choisir, en leur sein, le futur président de l’université ». Toutefois, précise le rapport, il est constaté lors de l’examen des articles par la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales que « comme l’élection des représentants [des enseignants-chercheurs] se déroule au sein de deux collèges distincts, celui des maîtres de conférences et celui des professeurs, le risque existe que deux listes syndicales s’affrontent au conseil d’administration, ce qui pourrait rendre plus difficile l’élection du président de l’université ». Cette analyse, aussi tardive que juste, explique probablement l’étrange amendement proposé le 23 juillet par le rapporteur expliquant qu’« afin de faciliter l’émergence de projets universitaires, la commission a adopté un amendement pour limiter la prime majoritaire à la seule liste des professeurs », le rapporteur ayant précisé en commission que « si la prime tend en effet à permettre de dégager une majorité, cet objectif risque de ne pas être atteint si des résultats opposés sont constatés entre les deux collèges de professeurs et de maîtres de conférences. Pour éviter ce type d’annulation de l’effet de la prime majoritaire, celle-ci doit être attribuée à la seule liste des professeurs car c’est plutôt dans le corps des professeurs que sera choisi le futur président de l’université ». S’il le justifie en commission par un argument d’efficacité49, le rapporteur présente cet amendement, lors de la séance du 24 juillet, sans exposé des motifs50. Cet amendement est aussitôt écarté par le gouvernement, la ministre évoquant à juste titre un risque d’inconstitutionnalité51. Il ne se trouve alors qu’un seul député, Pierre Cohen, pour revenir à la charge et interpeler le rapporteur en ces termes : « En huit jours, les modifications auront été nombreuses… En commission, le rapporteur nous a expliqué qu’il fallait donner plus de poids aux professeurs et donc qu’il fallait leur réserver la prime majoritaire ; maintenant, le gouvernement nous dit qu’il faut respecter la parité entre professeurs et maîtres de conférences… Que sont devenus les arguments du rapporteur ? », interroge Pierre Cohen. Congédiant la fragile argumentation qu’il avait développée en commission52 et à laquelle les députés Daniel Goldberg53, Pierre Cohen54 et Alain Claeys55 avaient apporté la contradiction, le rapporteur se range sans discuter aux arguments constitutionnels de la ministre, laissant sans réponse cette analyse prémonitoire du député Cohen : « il peut arriver que la liste majoritaire des professeurs soit différente de celle des maîtres de conférences et qu’en conséquence, il ne soit pas possible de constituer une majorité stable ». Aucun écho n’est donné à cette prophétie. Dès lors, la question n’est plus débattue. Lors de la discussion du texte rédigé par la commission mixte paritaire, la question est à peine abordée devant l’Assemblée nationale, le rapporteur précisant seulement qu’« il faut souligner que la commission mixte paritaire n’a pas remis en cause deux dispositions fondamentales adoptées par l’Assemblée, l’une permettant à une liste de professeurs et à une liste de maîtres de conférences de s’associer, et l’autre attribuant, dans chacun des collèges – professeurs et personnels assimilés d’un côté, maîtres de conférences et personnels assimilés de l’autre –, une prime majoritaire à la liste qui obtient le plus de voix »56. Lorsque la loi est adoptée, le problème, dont les termes avaient été pourtant clairement posés, reste donc entier.

43Pressentant cependant que la loi opère un certain recul sur le plan démocratique, les parlementaires de l’opposition contestent l’exclusion des deux autres conseils du processus électoral et, partant, l’amoindrissement de la représentativité du président57, tel Noël Mamère, estimant qu’« on ne peut gouverner les universités tout seul », que « le président d’université doit être élu par les trois conseils, seule garantie de sa légitimité et de sa représentativité »58 ; Pierre Cohen ajoutant que « les présidents d’université ne pourront pas exercer les pouvoirs que vous souhaitez leur confier s’ils n’ont pas l’ensemble de la communauté universitaire derrière eux »59. S’ils perçoivent le « net recul démocratique »60 opéré par la loi, ils ne semblent en revanche ni deviner, ni mesurer l’ampleur des conséquences du nouveau dispositif électoral.

44Si ce n’est afin d’apaiser les vigies de la démocratie, afin de clore toute polémique, le nouveau mode de scrutin est alors comparé à un mode de scrutin connu, rassurant, consensuel. La ministre déclare d’emblée devant le Sénat : « mon modèle est le scrutin municipal »61 ; comparaison aux vertus analgésiques reprise par Laurent Hénart à l’Assemblée : « le président de l’université disposera de pouvoirs renforcés et pourra s’appuyer sur une majorité claire grâce à un mode de scrutin inspiré des élections municipales »62. Sur un autre ton, le rapporteur Apparu interpellera Noël Mamère en ces termes : « Le président trouvera sa légitimité dans l’élection par l’ensemble de la communauté universitaire du conseil d’administration, qui le choisira. Votre désignation comme maire de Bègles par le conseil municipal issu des urnes n’est-elle donc pas légitime ? »63, interpellation suivie de cette interjection de Marie-Hélène des Esgaulx : « Bonne question ! » En effet, la question était sinon « bonne » d’une réelle pertinence et on peut regretter qu’elle ne fut suivie d’aucun débat. Si le nouveau mode de scrutin universitaire donne l’apparence d’emprunter au scrutin municipal, l’apparence ne doit pas, en effet, être trompeuse car l’important correctif démocratique apporté depuis longtemps au scrutin municipal n’est pas reproduit dans la LRU. Afin de limiter justement les effets de déformation de la représentation et d’éviter l’élection d’un maire minoritaire, la loi municipale64 prévoit obligatoirement, dans toutes les communes de plus de 3 500 habitants, deux tours de scrutin au cas où aucune liste n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour. Dans cette hypothèse, ne participent au second tour que les listes ayant obtenu plus de 10 % des suffrages exprimés. Ces dispositions, qui ont justement pour but d’éviter l’élection d’un maire minoritaire au premier tour, incitent à des regroupements ou apparentements de listes au second afin que, dans tous les cas de figure, le maire élu ne puisse être sinon minoritaire, du moins considéré comme tel. Sur ce point précis, loin d’être anecdotique, la loi LRU se différencie radicalement de la loi municipale. Autre différence notoire, lors des élections municipales, les listes qui entrent en lice représentent tout le corps électoral municipal et non tel ou tel autre collège, à la différence des élections universitaires au terme desquelles la répartition des sièges par collège et selon des modes de scrutin différents aggrave les risques de déformation de la représentation.

45En vérité, à supposer qu’il emprunte à des systèmes électoraux antérieurs, le mode de scrutin hybride inventé en 2007, dont les effets sont ceux du scrutin de liste majoritaire à un tour, pourrait se réclamer de deux précédents historiques peu flatteurs car imaginés en période tourmentée, postrévolutionnaire ou marquée par une occupation étrangère, deux précédents qui n’ont du reste pas survécu à ces deux périodes de crise que furent la révolution de 1848 et l’occupation allemande de 1871. En France, le scrutin de liste majoritaire à un tour ne fut établi que par une seule loi, la loi du 15 mars 1849, pour les élections législatives organisées dans le cadre départemental. Abrogée par le décret organique du 2 février 1852 mais remise en vigueur en 1871 pour l’élection de l’Assemblée nationale, la loi du 15 mars 1849 sera définitivement abolie en 1875. Hormis l’éphémère loi Dessoye de 1919,65 aucun autre précédent ne peut, à notre connaissance, être évoqué et, depuis 1875, il aura fallu donc attendre 132 ans pour que soit rétabli en France un mode de scrutin rejeté en raison de son incompatibilité avec les valeurs républicaines et démocratiques.

46C’est bien entendu à l’étranger que l’on trouvera des éléments de comparaison pertinents. Le mode de scrutin hybride inventé en 2007 tient tout à la fois du modèle soviétique, qui affectionnait tout type de scrutin majoritaire plurinominal à un tour, et naturellement du modèle anglo-saxon. De fait, le droit électoral anglo-saxon connaît bien les phénomènes de réfraction ou de déformation de la représentation, présentés sous forme d’adages ou de formules, tels que First past the post, Catch-all Party, ou théorisés ou expliqués par des lois algébriques, telle la loi du cube66. Faisant prévaloir l’efficacité sur l’équité et participant de « la divagation du scrutin majoritaire »67, les élections universitaires françaises peuvent aussi faire penser au système électoral américain, permettant l’élection d’un président minoritaire sur trois ou l’élection de présidents majoritaires en nombre de mandats mais minoritaires en nombre de voix populaires. Les électeurs du conseil d’administration, élus par collège, peuvent faire penser aux grands électeurs, élus par État fédéré au scrutin de liste majoritaire à un tour et comparés par Woodrow Wilson à des « polichinelles à sonnerie ». Les membres élus du conseil d’administration au titre des collèges A et B peuvent faire songer aux grands électeurs des États fédérés de Californie et de New-York, dont les voix n’ont qu’à s’ajouter à celles de dix autres États fédérés parmi les cinquante pour que la majorité absolue requise de 270 voix soit atteinte et que le candidat soutenu par ces deux États soit élu, même s’il est minoritaire en nombre de voix populaires. Mais, à l’étranger non plus, on ne connaît pas de précédents ou d’équivalents de mode de scrutin qui soit aussi hybride, proportionnel pour telle catégorie d’électeurs, mixte pour telle autre, présenté globalement comme un scrutin proportionnel mais produisant, même s’il permet qu’un ou deux sièges soient concédés à l’opposition, les mêmes effets qu’un scrutin de liste majoritaire à un tour. On ne connait pas de scrutin aussi syncrétique qui donne finalement, après analyse, une telle impression de « bidouillage », si ce n’est peut-être le nouveau mode de scrutin récemment inventé en Hongrie qui permet à un parti d’obtenir trois quart des sièges avec un quart des voix68.

47Une contradiction demeure aujourd’hui entre la réalité du nouveau dispositif électoral et l’exhortation politique formulée alors par Valérie Pécresse : « La démocratie en sortira grandie ! »69…Ce que la ministre appelait une « municipalisation du mode de scrutin »70 n’est en réalité qu’une déstructuration des modes de scrutin classiques affectant un principe démocratique élémentaire selon lequel doit être élu le candidat majoritaire. Si l’hapax inventé en 2007 ravit l’amateur de curiosités, tel l’entomologiste fasciné par la découverte d’une monstruosité naturelle, il ne laisse pas d’interroger l’universitaire et le citoyen.

48En 2008, au terme des premières élections universitaires organisées en application du nouveau dispositif électoral, tous ses effets purent probablement passer inaperçus, le monde universitaire étant dans la tourmente de la réforme ou accaparé par les préparatifs du passage aux compétences élargies. En 2008, un premier signe aurait dû pourtant alerter : phénomène imprévu mais prévisible, les résultats électoraux aboutirent, dans une université sur trois, à une corruption du fait majoritaire ou à une bipolarisation provoquée par des résultats à front renversé entre les collèges A et B du conseil d’administration. Une université sur trois découvrit alors à quel scenario pouvait aboutir la loi. Mais probablement faute d’analyse globale de cette séquence électorale et de l’ensemble des résultats électoraux dans les 83 universités françaises, aucune réaction critique ou constructive ne permit, en temps utile, une remise en cause du dispositif.

49L’année 2012 est, à plus d’un titre, une année électorale au cours de laquelle, jusqu’en juillet, l’ensemble des conseils centraux des 83 universités françaises devront être également renouvelés, l’ensemble des présidents élus par les nouveaux conseils d’administration71. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les résultats des élections de 2012 susciteront peut-être une prise de conscience salutaire, une réaction nécessaire au rétablissement du fonctionnement démocratique de l’université. Lors des débats parlementaires, le député Claude Goasguen avait conclu dans une envolée lyrique : « M. le rapporteur et Mme la ministre […] lancent, tel un grand bateau, leur construction, alors que nous avons pour devoir de déceler les brèches dans la coque »72. Ces brèches, qui étaient restées invisibles lors de la mise à l’eau du « grand bateau », pourraient affecter sa navigabilité à l’heure où il prend son rythme de croisière, l’ensemble des universités étant passé aux compétences élargies. Cinq ans après l’adoption de la loi LRU, toutes les ressources du nouveau cadre juridique étant alors connues et épuisées, une révision de la réforme de 2007 pourrait être envisagée, au moins sur ce point.

50Des propositions pourraient être formulées, telles l’instauration d’un second tour réservé aux collèges A et B du conseil d’administration, assorti d’un éventuel seuil de représentativité pour concourir au second tour, ou, sinon sa suppression pure et simple, une atténuation sensible de la prime majoritaire, etc.73

51Quelles que puissent être ces propositions, elles doivent simplement s’inspirer des principes rappelés par Jean-Claude Masclet, il y a déjà vingt ans, lorsque parut la première édition de son « Que-sais-je ? » intitulé Le droit des élections politiques. Ces principes étaient formulés ainsi :

« L’élection constitue le procédé par excellence de légitimation du pouvoir. Il n’y a, en démocratie, d’autorité qu’issue de l’élection. Celle-ci fournit aux gouvernants un titre pour agir et commander. Elle fonde leur pouvoir. Elle assure leur autorité. En même temps, l’élection justifie l’obéissance. Ceci ne vaut bien entendu que pour autant que l’élection a été démocratiquement acquise et lorsqu’elle a réellement permis aux citoyens de s’exprimer.
L’élection est donc un facteur essentiel de cohésion de la société politique.
En apparence, elle divise puisqu’elle conduit à la répartition de l’électorat en tendances opposées. La scène électorale voit s’affronter partis et candidats désireux d’affirmer leur spécificité pour mieux fournir les raisons d’un choix. Elle conduit à la sélection des dirigeants, donc à l’élimination d’une partie de ceux qui prétendaient à cette qualité. Le principe de majorité exclut au moment même où il choisit. Cette fonction apparente est comprise de tous. Mais elle dissimule une fonction latente encore plus essentielle : l’élection est facteur d’unité. Elle réunit les citoyens pour les choix à faire en commun. […] Elle est un rite d’unification du corps politique. »74

52Réinstaurant la légitimité et l’unité ou permettant à nouveau une unification rituelle du corps politique universitaire, respectant la condition selon laquelle nulle réforme ne saurait être proposée avant que le cadre juridique existant ait produit tous ses effets, de telles propositions seraient en tout cas conformes à d’autres principes rappelés dans le rapport Bouvard et Claeys auquel seront empruntés ses propos conclusifs : « Ces propositions peuvent paraître techniques, mais si elles étaient […] appliquées, le système fonctionnerait beaucoup mieux. Toutefois, elles ne préjugent pas de la question des moyens accordés aux universités françaises, dont une augmentation est [et demeure toujours] nécessaire ».