1Si la fondation de douze écoles royales militaires en 1776, par le comte de Saint-Germain, a bien pour mission la formation du militaire, ces grands pensionnats choisis pour la qualité de leur enseignement sont d’abord d’excellents collèges d’enseignement général, dans lesquels la place d’une éducation proprement militaire peut sembler très secondaire, ainsi que le déclare le père d’Anglade, supérieur de l’École royale militaire de Tournon en 1778 : « Ces écoles n’ont de militaire que le nom1. » Cependant, l’étude détaillée du fonctionnement de ces écoles, la connaissance des emplois du temps, l’identification des enseignants, le contenu des programmes ou la lecture des mémoires d’anciens élèves viennent contredire quelque peu cet a priori. En réalité, les plans d’éducation contiennent des matières proprement militaires, plus ou moins bien déclinées selon les établissements et souvent cachées dans un cours de dessin, de mathématiques, de latin ou d’histoire. Certains de ces collèges, comme Sorèze et Effiat, ajoutent à cet enseignement général des apprentissages militaires spécifiques, tant au plan théorique que pratique. Le passage par Effiat joue nettement un rôle de préparation à la vie militaire, même si la réalité du combat ne s’apprend qu’avec l’entrée en régiment et bien sûr avec la montée au feu.

2En 1776, le collège des oratoriens d’Effiat2, qui compte une centaine d’élèves, est choisi pour devenir l’une des écoles royales militaires de la réforme engagée par le comte de Saint-Germain. Le ministre de la Guerre de Louis XVI supprime l’École militaire du Champ-de-Mars3, dont le fonctionnement est devenu très insatisfaisant à ses yeux, et lui substitue onze écoles, toutes situées en province, loin des turpitudes de la grande ville. À ces onze collèges nouvellement choisis pour accueillir les élèves du roi, il faut rattacher celui de La Flèche qui fonctionne depuis 1764 comme une école militaire préparatoire à l’école de Paris. Le choix de ces collèges repose sur leur situation en campagne certes, mais aussi sur la bonne tenue de l’établissement et la modernité des enseignements qui y sont proposés, plusieurs langues étrangères, mathématiques de bon niveau, la présence d’une bonne bibliothèque et l’habitude d’exercices physiques. Ces critères, associés à la volonté de couvrir le mieux possible le territoire français, expliquent la diversité dans la direction de ces écoles. Trois dépendent de l’Oratoire : Tournon (Drôme), Vendôme (Loir-et-Cher) et Effiat. Six autres sont tenues par des bénédictins, Auxerre (Yonne), Beaumont-en-Auge (Calvados), Pontlevoy (Loir-et-Cher), Rebais en Île-de-France (Seine-et-Marne), Sorèze dans le Tarn, au pied de la montagne Noire, et Thiron en Eure-et-Loire. Brienne en Champagne est tenue par des minimes, Pont-à-Mousson par les chanoines réguliers de Saint-Sauveur et La Flèche par des doctrinaires.

3Les oratoriens dirigent l’école d’Effiat et assument les cours des matières générales, le français, le latin, l’histoire-géographie, les sciences naturelles, les mathématiques et la physique. Sur les vingt-deux oratoriens présents en moyenne à Effiat, seuls quatre sont des prêtres, le supérieur, son adjoint le grand préfet des études, l’intendant ou le bibliothécaire et le curé de la paroisse, les autres sont des confrères qui, eux, sont les enseignants4. L’ensemble des autres cours, langues vivantes, dessin, peinture, musique, danse, escrime et bien sûr enseignement militaire, sont délégués à des professeurs laïcs. Près de sept cents élèves dont six cent cinquante identifiés fréquentent Effiat durant les dix-sept années de fonctionnement sous le statut d’école militaire. Le nombre annuel d’élèves est en moyenne de cent quatre-vingts, avec un maximum, atteint dans les années 1784 à 1786, de deux cent vingt-deux enfants. C’est une fréquentation moyenne par rapport à des pensionnats comme Sorèze (trois cent soixante-dix élèves) ou Tournon (deux cent soixante-cinq élèves) mais beaucoup plus importante que celle de Brienne ou Auxerre, écoles qui ne comptent qu’une centaine d’enfants. Les travaux d’agrandissement en cours à Effiat en 1789 anticipaient une montée en puissance déjà nette à partir de 1790, mais les événements en décidèrent autrement. Les trois quarts de l’effectif proviennent du Massif central, dont la moitié d’Auvergne et de Bourbonnais. Parmi le quart restant, notons la présence d’une douzaine de pensionnaires originaires de Saint-Domingue. L’élève type d’Effiat entre à huit ans pour en ressortir à seize, ayant passé toutes les divisions, de la classe de commençants, huitième ou septième jusqu’à la classe de rhétorique, voire la classe de philosophie pour certains pensionnaires, les boursiers n’ayant la gratuité que jusqu’à la rhétorique seulement. Selon les effectifs, les divisions sont partagées en une, deux ou trois classes, avec un maximum de vingt élèves par classe. Les redoublements sont rares, et les élèves reçoivent l’aide de tuteurs pris parmi les grands et de soutien scolaire par l’entremise des préfets d’études.

4Privilégiés par leurs origines, 75 % de nobles, parmi lesquels peu de hobereaux pauvres, et 25 % de roturiers issus de familles bourgeoises aisées, les élèves d’Effiat profitent d’une éducation unique qui s’applique à tous, quelles que soient l’origine sociale ou la qualité administrative de l’élève. Il existe à Effiat trois catégories administratives d’élèves qui suivent pourtant, à quelques détails près, le même cursus, soit en moyenne : cent vingt pensionnaires à sept cents livres par an, onze boursiers du marquis d’Effiat et une cinquantaine d’élèves du roi. Tous peuvent prétendre à une place en régiment, le général Desaix était boursier du marquis d’Effiat, le général d’Empire Jean-Baptiste Camus de Richemont était pensionnaire et l’amiral de Villeneuve, boursier du roi5. Le ministre avait souhaité une grande homogénéité de l’éducation dans les douze collèges, d’où la création d’un poste d’inspecteur des écoles royales militaires chargé de surveiller la bonne marche de l’institution, notamment lors de la visite annuelle des établissements. Nombreux sont les ouvrages communs à toutes les écoles et il existe parfois des éditions communes de manuels6. Par ces différents caractères, Saint-Germain a créé, à travers les écoles militaires de province, une première éducation nationale.

5L’institution de l’École militaire fonctionnera jusqu’à sa suppression par un décret de la Convention nationale de septembre 1793. L’École royale militaire d’Effiat, devenue entre-temps École nationale militaire en 1792, ferme définitivement ses portes en nivôse an II (janvier 1794). Elle a fonctionné durant dix-sept années scolaires complètes, de 1776 à 1793, formant une élite qui servira d’abord l’État, de l’Ancien Régime à la Restauration, dans l’armée ou dans les autres administrations, avant que ces anciens élèves ne deviennent un peuple d’élus, maires, conseillers généraux, députés et sénateurs sous l’Empire, la Restauration et la monarchie de Juillet.

6Le caractère militaire des cours dispensés à Effiat, s’il est présent dès 1776, s’impose crescendo au fils des années, tout en restant modeste dans les matières générales et s’affirmant de manière autonome et marquée dans le cours d’art militaire, le dessin, la danse, l’escrime et la manœuvre.

Une formation générale de grande qualité orientée vers le service aux armées

7L’année scolaire d’Effiat se découpe en deux semestres, l’un, d’hiver, se termine à Pâques, l’autre, d’été, se termine le 1^er septembre. Les journées sont consacrées le matin aux matières dites sérieuses, langues, mathématiques, sciences ; les après-midi sont réservées aux arts et exercices du corps.

Les matières dites sérieuses

8L’excellent niveau des études dispensées à Effiat donne aux futurs militaires une solide base de culture pour affronter une vie de responsabilités et de prises de décision. Cet article se bornant à mettre en valeur les aspects militaires, je renvoie le lecteur qui souhaite de plus amples informations sur le contenu des programmes vers les publications sur Effiat7.

9En plus du latin et du français, les langues enseignées à Effiat comprenaient l’anglais, l’allemand et l’italien. L’objectif pédagogique n’étant pas de fabriquer des linguistes, l’important réside dans la compréhension de la langue étrangère et dans la capacité du futur officier à l’utiliser, même pour la langue latine qui, à défaut d’autres, peut encore en cette fin du xviii^e être comprise dans le monde par beaucoup de lettrés. Si le grec est abandonné, l’apprentissage du latin est non seulement conservé mais semble profiter d’une nouvelle vigueur par le choix de nouveaux livres. C’est une relégation, voire un abandon des colloques d’Érasme au profit du De bello Gallico pour l’histoire ou du Catéchisme de Fleury pour les cours de religion. Cet apprentissage du latin passe avant tout par la pratique de la version, conformément aux préceptes du plan de Saint-Germain. De fait, l’usage de la version se généralise à Effiat pour l’étude de toutes les langues, latin compris8. L’ancien élève Camus de Richemont en porte le témoignage : « On attachait de l’importance et l’on donnait beaucoup d’attention aux versions ou traductions, tant pour l’intelligence et la fidélité du texte latin que pour l’application raisonnée des règles de notre propre langue, et pour la correction du style. »

10La langue française est présentée d’une façon séparée des belles-lettres dans le plan d’éducation d’Effiat. Elle est signalée au même titre que les autres langues étudiées avant le latin et l’allemand. La place du français semble respecter le plan d’éducation du comte de Saint-Germain : « On s’attachera avant tout à l’étude de la langue française, comme la plus utile et celle qu’il est honteux d’ignorer. » À des exercices grammaticaux et orthographiques, l’école d’Effiat ajoutait l’obligation pour ses élèves de travaux épistoliers, en particulier l’obligation d’écrire chaque mois à ses parents. Les divers genres de poésie sont présentés à Effiat : apologue, poésie pastorale, poésie lyrique, poésie épique et poésie dramatique, et même la poésie didactique. Malherbe, Racan, Corneille et Racine sont au programme mais aussi beaucoup d’auteurs allemands et anglais. Le genre poétique est un apport culturel, une maîtrise et une connaissance de la langue, mais il est aussi enseigné à usage de mémorisation et d’apprentissage des langues.

L’art rhétorique

11Il est d’abord défini à Effiat d’une façon très classique : « Savoir communiquer les pensées, les rendre d’une manière claire et précise, les exprimer tantôt avec force et énergie, tantôt avec grâce et élégance, selon les circonstances ; mettre dans l’expression de la correction et de la justesse […] » Mais dès 1779, l’éloquence militaire est mise en valeur à côté de l’éloquence du barreau, de l’éloquence politique, académique ou privée. En 1782, l’utilité constante de la rhétorique est soulignée : « Un homme se trouve-t-il à la tête des armées, est-il admis au Conseil des Princes, enfin son mérite lui a-t-il ouvert l’entrée de quelqu’une de ces compagnies célèbres, dépositaires des Arts et des Sciences, du bon goût et de la pureté du langage ? Dans tous les cas il ne saurait ignorer l’art de parler. » Les oratoriens insistent sur l’utilité de la rhétorique à des fins précises, en particulier dans la vie en société et dans les nécessités du commandement, préfigurant ainsi la position sociale future de ces élèves.

L’histoire

12La place primordiale de l’histoire dans le cursus effiatois est légitimée par ce passage du discours préliminaire des exercices de 1777 : « L’histoire est de tous les tableaux le plus varié et le plus intéressant. En mettant sous les yeux tout ce qu’il y a de plus capable de piquer la curiosité, elle joint partout l’instruction à l’amusement. Un homme ne fait rien qu’un autre homme ne sache ou ne puisse faire. Une étude suivie de l’histoire est donc une philosophie qui fait d’autant plus d’impression qu’elle instruit par des exemples sensibles. » Cette définition de l’histoire influence son enseignement à Effiat car l’histoire doit « piquer la curiosité » et donner des exemples aux enfants. C’est aussi la volonté de Saint-Germain de mettre en valeur les exemples du passé et de glorifier les héros nationaux afin qu’ils inspirent les enfants. La chronologie suivie par l’enseignement de l’histoire est très large : elle débute aux temps bibliques, avec l’histoire sainte, puis les civilisations anciennes et l’époque de la Gaule indépendante pour la France. La fin du programme comprend le règne de Louis XV jusqu’au décès du roi.

13L’histoire de l’Égypte tient une grande place dans le programme de sixième. Les exercices de 1777 le justifient : « L’histoire sainte amène comme naturellement celle des Égyptiens. Cette nation, célèbre par son antiquité, ses lois, ses mœurs, sa police et dont les autres semblent avoir emprunté les arts et les sciences, nous a paru mériter une attention particulière9. » Nous ne pouvons pas évoquer ici l’enseignement détaillé de l’histoire de l’Égypte du temps des Ptolémée sans penser à ces futurs officiers qui débarqueront un matin de juillet 1798 sur ce sol si lointain, aux côtés de Bonaparte, et qui, sur la route d’Alexandrie, identifieront avec facilité et sûrement émotion la colonne de Pompée dont leur parlaient leurs professeurs10.

14En histoire ancienne, un long développement a trait à la vie de l’armée romaine. « Levée des troupes. Armes des Romains. Exercices militaires. Légions. Grandeur des armées romaines. Leurs marches, leurs campements, leur ordre de bataille. Attaque et défense des places. Marine des Romains. Récompenses et punitions des soldats. Honneurs du triomphe. »

15À l’image des autres matières et avec ce concept à Effiat qui veut que l’éducation forme un tout, l’histoire romaine est encore abordée de multiples fois à l’occasion des lectures latines, avec le De bello Gallico, déjà en bonne place. Ce croisement des connaissances acquises dans une matière et utilisables dans l’autre est facilité pour l’histoire, la géographie, le français et le latin, parce que l’enseignant, dans un même niveau d’étude, est souvent le même pour ces quatre matières11.

16L’étude de l’histoire de France est le couronnement de l’enseignement chronologique. Il amène l’enfant qui termine ses humanités à la période qui lui est contemporaine. L’importance accordée à cette partie de l’histoire est expliquée dans l’imprimé des exercices de 1777 : « L’étude de l’histoire en général est utile et agréable. Celle de notre pays est nécessaire. La connaissance en devient indispensable pour tout citoyen qui ne veut pas être étranger dans la patrie. Notre histoire a l’avantage de nous présenter des modèles qui sont plus dans nos mœurs et dans notre caractère, plus propres par conséquent à nous inspirer le goût de la vertu et plus faciles à imiter. Elle ne laisse aucune excuse à l’indifférence ni à la paresse. Pourquoi ne serions-nous pas ce qu’ont été nos pères ? » C’est la vertu de l’exemple offerte aux jeunes générations. Les biographies en lecture libre sont nombreuses et principalement celles de militaires et de monarques, La retraite des dix mille de Xénophon, de nombreuses biographies : Duguesclin, Jeanne d’Arc, Bayard, Vauban, le maréchal de Saxe, les mémoires du maréchal de Berwick, Charles XII, Jean Bart, Turenne, Duguay-Trouin, mais aussi Saint-Louis, Henri IV et Louis XIV.

En mathématiques

17Les mathématiques sont appliquées à la balistique, la fortification, l’arpentage ou la navigation. C’est un enseignement de très haut niveau qui se décline en notions pratiques visant un public de jeunes gens destinés à l’armée. Elles sont généralement divisées en quatre parties : l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie et la trigonométrie.

18L’intérêt des mathématiques pour la formation du militaire à Effiat ressort avec évidence dans l’achat en novembre 1778, des manuels de Bézout, comme le Traité d’arithmétique pour la marine et le Traité de géométrie. On trouve aussi le cours de l’abbé Bossut acheté en 1782 et 178612. Or, Bézout est inspecteur des gardes de la marine, Bossut est lui, titulaire à l’École royale du génie de Mézières de la chaire de mathématiques qu’il cédera à Gaspard Monge.

19À partir de 1784 et surtout de 1785, en corrélation avec l’instauration d’un cours de physique, les mathématiques prennent une consistance inhabituelle et étrangère aux autres écoles. Le programme de 1785 propose une géométrie transcendante qui comprend de la géométrie analytique avec des applications sur les coniques et le calcul différentiel et intégral appliqué à la définition des courbes13. Certes les niveaux sont variés, entre les troisième, seconde et première classes de calcul, et nous savons que certains élèves restent jusqu’à leur sortie de l’école dans la troisième classe de calcul, mais ils n’en sont pas moins concernés par les mathématiques. Les meilleurs passent rapidement dans les classes de géométrie où ils aborderont les mathématiques les plus complexes dans la première classe de géométrie qui réunit autour du confrère Roquecave l’élite des matheux. Tous les élèves du roi qui sont dans la première salle de géométrie intègrent l’École militaire de Paris ou un autre établissement comme les compagnies des gardes-marine, un régiment-école d’artillerie ou la fameuse École royale du génie de Mézières.

En langues étrangères

20L’apprentissage des langues étrangères est particulièrement soigné à Effiat, avec une volonté affichée de donner une facilité d’élocution à de futurs officiers qui auront à combattre contre ou avec des militaires de langue allemande, anglaise, espagnole ou encore italienne. À Effiat, le choix de l’allemand est obligatoire pour tous. L’anglais ne concerne qu’un quart des élèves et l’italien quelques-uns. L’espagnol n’est pas proposé, à l’inverse de Sorèze où cette langue est la première des langues étrangères enseignées.

21Si l’allemand est enseigné par un seul homme, Jean-Pierre Stenger, trois à quatre autres personnes de langue allemande sont employées à Effiat, comme maîtres de chant, de musique, et surtout professeur d’art militaire. Cela suggère que cette langue est aussi parlée dans d’autres circonstances que celles du cours d’allemand, à raison de trois heures par semaine, sur trois ou quatre classes de niveau.

22Le manuel de Gérau de Palmfeld est fort bien élaboré14 : il présente d’abord les règles de grammaire et les déclinaisons, puis initie progressivement à la langue allemande, en augmentant peu à peu la longueur des phrases et en diminuant la place de la traduction française. Figurent en particulier quatre dialogues dont l’objectif est d’amener à la connaissance de l’enfant un vocabulaire pratique qui lui permettra très vite de se débrouiller au milieu d’Allemands :

• premier dialogue : erstes Gesprach gemein, premier dialogue familier, salutations, santé et nouvelles du jour ;

• deuxième dialogue : vom austehen und ankleiden, se lever et s’habiller ;

• troisième dialogue : von dem schoenen und schlimmen Wetter, du beau et mauvais temps ;

• quatrième dialogue : vom essen und trincken, und vom Gast haus, du manger et du boire, et de l’auberge. Etc.

23Les témoignages d’anciens élèves soulignent cette faculté à parler allemand, qu’ils soient en émigration ou dans les armées de la République. Desaix parlait couramment cette langue.

24Préconisé par Saint-Germain, l’enseignement de l’anglais n’apparaît pas dans toutes les écoles militaires, mais il est certain qu’au moins Sorèze, Beaumont-en-Auge, Pontlevoy et Effiat possèdent un professeur d’anglais. Celui d’Effiat est monsieur Callone, qui donne à la langue anglaise une place de choix dans le cursus effiatois, avec trois groupes de niveau et de nombreux livres et manuels. Si l’allemand était considéré comme la langue des combattants sur terre, l’anglais répondait aux besoins d’une guerre sur mer. Les élèves assidus au cours d’anglais sont souvent des élèves qui ont vocation à rejoindre la marine, comme les Prévost de Traversay et Rochefort, fils de marins et futurs marins eux-mêmes. Mais la majorité des autres, Belcastel, Tardy ou Reynaud de Monts, ne feront pas carrière dans la marine15.

En physique

25Effiat est apparemment seule, avec Sorèze et Pontlevoy, à posséder un vrai cabinet de physique et de mécanique. Suivi par un petit nombre d’élèves, issus du meilleur groupe de niveau de mathématiques, le cours associe théorie et travaux pratiques. Ainsi, les futurs officiers apprennent les propriétés générales des corps et les lois tendant à modifier leur état ou leur mouvement. Les systèmes de Descartes et de Newton font l’objet de longs développements et d’expériences. Pour l’étude de la statique et de la mécanique, l’enfant est rompu au maniement des poulies, cordes, leviers, treuils et autres instruments. Toute une série d’expériences ont lieu dans la salle de physique, avec une machine pneumatique, des pompes aspirantes, refoulantes ou élévatoires. L’élève participe même à la construction des thermomètres de Fahrenheit et de Réaumur. Les élèves étudient aussi l’électricité, avec les expériences de Nollet et de Franklin, ils fabriquent des paratonnerres et sont initiés par leur professeur de physique, le père Bordes, au décollage d’une montgolfière un dimanche de l’été 1787 sur la place d’armes devant l’école.

Les arts

26Le dessin est l’un des arts enseignés à Effiat avant 1776, mais l’organisation en école militaire oriente cette pratique vers un genre particulier : le lavis des plans, des paysages et surtout des aspects de villes et de fortifications. Le chevalier de Ried et monsieur Lefèvre sont les responsables de ces cours. Le tracé des fortifications est en fait le prolongement du cours de monsieur de Ried sur la géométrie appliquée à la science militaire. Le cours théorique se présente en quatre parties : le dessin, le lavis, le profil et le paysage. Quelques élèves suivent des cours payants de peinture, paysage et portrait.

27Tous les élèves chantent, soit en chorale, soit lors des marches du bataillon, avec souvent des chants de régiment. L’enseignement de la musique est une constante du programme effiatois depuis semble-t-il le tout début du pensionnat. La musique entre dans le plan d’éducation du marquis d’Effiat au même titre que la connaissance du blason, caractérisant l’éducation très aristocratique donnée aux premiers élèves. La musique ne se contente pas d’être une matière d’enseignement, elle est intégrée à la vie du collège, elle accompagne les fêtes, les défilés du bataillon, la réception de personnalités, et rehausse la tenue des exercices publics de fin d’année, où les élèves se produisent en concert ou accompagnent les scènes d’une pastorale. Les élèves jouent de la flûte, du basson, du violon, du cor, de la guitare, de la mandoline et bien sûr du tambour.

28Les œuvres étudiées à Effiat sont les opéras de l’Allemand Gluck (en particulier Iphigénie), les œuvres de Gossec et, dans les premières années, les musiques de Pierre Hyacinthe Azaïs, le maître de musique de l’École royale militaire de Sorèze. De 1778 à 1782, les goûts de Pierre-Jean Porro, premier maître de musique, percent au travers des œuvres d’Azaïs. Cela se traduit par l’utilisation de partitions d’Azaïs, qui était lui-même en contact avec Gossec, et par les cours de guitare et de mandoline pour lesquels Porro est un spécialiste. L’année 1782 marque une rupture dans l’enseignement musical effiatois car c’est le départ de Porro. Ce départ s’explique peut-être par l’organisation militaire du pensionnat qui, sous l’appellation de bataillon, va connaître une pratique musicale un peu différente de celle qu’entendait Porro. Les objectifs de l’enseignement musical changent, et maître Porro s’en va… Il est remplacé par l’Allemand Wandeursen, dit Lambert, qui travaille avec son fils. Ils donnent à l’enseignement de la musique une note plus militaire et moins académique, avec cependant des symphonies, des concertos, des ariettes et des duos.

Les exercices physiques

29L’exercice physique et la culture du corps font partie intégrante du plan d’éducation de Saint-Germain de mars 1776 :

Les jeux et les exercices des élèves devront tous tendre au même objet que les règles établies ci-dessus et, pour cet effet, on leur fera choisir de préférence tous ceux qui seront propres à augmenter l’agilité et la force comme la course, le saut, la lutte, etc. On leur laissera dans les heures de récréation la plus grande liberté car la jeunesse a besoin de mouvement, et pour former des hommes capables d’action, il ne faut pas trop contraindre leur enfance.

30Avec prudence mais discernement, Saint-Germain fait la part des études dites sérieuses et de la nécessité pour un jeune homme de développer ses aptitudes physiques. La pratique de la danse et de l’escrime est clairement établie mais il évoque aussi la lutte, discipline héritée des anciens Grecs, mais qui ne figurera pas dans les programmes des écoles militaires.

31La danse a deux raisons d’exister dans le programme d’une formation d’officier : elle permet d’assouplir le corps et aussi de bien figurer en société. L’élève Camus légitime ainsi la présence de la danse dans le cursus effiatois :

Le maître de danse s’attachait à donner au corps une bonne attitude, de la souplesse à tous les mouvements, de l’aisance et du naturel dans la marche et dans les actes extérieurs de politesse, afin qu’on pût se présenter dans le monde avec grâce et sans affectation. En général, les élèves acquéraient promptement une grande habilité dans les divers genres de danse alors en usage, et pouvaient figurer avec honneur et convenance dans tous les bals et dans toutes les réunions les mieux choisies et les plus élevées16.

32À Effiat, la danse est considérée non seulement comme un apprentissage indispensable à la vie en société mais aussi comme une authentique pratique de la gymnastique. Elle donne une bonne maîtrise du corps, de l’aisance et de la souplesse dans les mouvements, du naturel dans la marche, qui évite de se fatiguer trop vite. Le programme des cours de danse comprend les menuets, bourrées et contredanses. Elle est aussi mise à l’honneur lors des représentations de fin d’année.

33L’escrime en fait d’armes est le dernier art d’agrément prévu dans le plan général des études. L’escrime, activité noble, était pratiquée à Effiat avant 1776. Les oratoriens ont du reste un regard réaliste sur cette activité et la commentent ainsi dans les discours préliminaires aux exercices de 1784 :

À la gymnastique, c’est-à-dire aux exercices violents par lesquels les Anciens se procuraient une santé robuste et rendaient leur corps aussi souple et aussi agile qu’il pouvait l’être, on a substitué l’escrime en fait d’armes, art funeste il est vrai, en ce qu’il fait de ceux qui l’apprennent tout autant de gladiateurs qui, pour une légère insulte, se croiraient déshonorés s’ils ne mettaient l’épée à la main et ne lavaient dans le sang leur injure, mais utile en ce qu’il endurcit le corps à la fatigue, qu’il dégourdit les membres et qu’il entretient le courage par cette image des combats17.

34La salle d’armes est ouverte pendant les récréations, c’est-à-dire tous les après-midi pendant quatre heures et demie, à l’exception du mercredi et du dimanche. Les deux maîtres d’armes sont toujours d’anciens soldats ou bas-officiers. La salle est bien équipée en fleurets et en masques de protection, provenant le plus souvent de Solingen18 en Allemagne. Cet exercice n’est pas à l’usage exclusif des nobles, les bourgeois le pratiquent aussi. Aux dires de Camus de Richemont, la salle d’armes est très fréquentée, et les anciens élèves ou jeunes officiers de passage à Effiat ne dédaignent pas d’y venir croiser le fer. Le visage recouvert d’un « masque de fer », ils se mesurent avec les élèves.

35Le maître d’armes impose des mouvements afin d’assouplir le corps et les membres, et de « donner au port de la grâce et de la dignité19 ». Ce n’est qu’après cet échauffement que commence le maniement de l’arme. Graduellement, l’enfant apprend son emploi, pour la défense et l’attaque, avec toutes les feintes et toutes les parades. « Avant de passer à l’assaut, les élèves étaient exercés longtemps, et deux à deux, aux dégagements et aux contres, ainsi qu’aux manœuvres de convention, afin d’acquérir justesse dans le coup d’œil et rapidité dans les mouvements et le jet de l’arme20. »

36Nous avons vu que la danse et l’escrime sont considérées comme des exercices sportifs complets. Mais d’autres pratiques sportives peuvent s’y ajouter. Lors des sorties du bataillon, Camus de Richemont rappelle les marches de quinze à vingt kilomètres et décrit les activités durant les haltes avec les courses, les sauts et les barres. Mais il manque à cet entraînement physique deux apprentissages qui sont pratiqués dans quelques autres écoles, comme Sorèze : la natation et l’équitation.

37La natation est prévue dans le plan d’éducation de Saint-Germain de mars 1776 : « S’il y a à portée des collèges une rivière ou un ruisseau où l’on puisse les mener se baigner sans danger, on les y conduira de temps en temps et dans la belle saison, et s’il y a quelque élève de l’âge de douze à quinze ans qui, par agilité et par goût soit disposé à apprendre à nager, on le lui fera enseigner, de manière que l’émulation et l’imitation en donnent le désir aux autres et que cet exercice leur devienne familier. » La pratique de ce sport est très probable à Effiat car l’école est longée par la douve-canal du château sur une longueur de cent quatre-vingts mètres pour douze de largeur. L’extrémité nord de ce bassin est équipée de larges marches d’escalier qui permettent d’entrer progressivement dans l’eau. Les élèves ayant le droit de promenade dans le parc, il n’y a pas de raisons pour qu’ils ne puissent pas utiliser ce bassin voisin pour apprendre à nager. Mais nous n’avons pas trouvé de réels témoignages, à l’exception de punitions pour des baignades nocturnes.

38L’équitation était prévue dans le mémoire écrit au roi par Saint-Germain en octobre 1775 ; mais elle ne figure plus dans le plan d’éducation de 1776. Les frais de prise en charge d’un manège par l’État ont dû rebuter l’administration. Saint-Germain l’évoquait en comparant le fonctionnement possible de la nouvelle institution avec les prestations qu’offrait Sorèze : « Le prix de Sorèze peut être la base de celui des autres (700 livres). Il suffit à l’éducation la plus soignée et l’habillement en faisant partie ainsi que tous les maîtres, il ne doit pas paraître exorbitant, surtout en y comprenant les frais d’un manège qui paraît nécessaire et qui sans être trop étendu, exigera l’entretien de six chevaux et d’un bon maître de monter à cheval. » Les élèves d’Effiat ne suivent apparemment pas de cours d’équitation, il n’existe pas de manège mais les oratoriens et le personnel civil de l’école possèdent des chevaux, les écuries encore existantes en témoignent. Notons qu’à partir de 1780 les deux maîtres d’armes sont deux cavaliers : André Vivien, cavalier de la compagnie de Virien du régiment de Roussillon, et Nicolas Pasquet, ancien dragon d’Orléans. À défaut d’une certitude, il est seulement autorisé d’avancer que la possibilité d’apprendre à monter à cheval existe à Effiat.

L’enseignement militaire proprement dit

Les cours du chevalier de Ried

39La place tenue par l’enseignement spécifiquement militaire est marginale dans le sens où il ne concerne que les trois dernières classes de niveau, troisième, seconde et rhétorique, et cela à raison de trois heures par semaine, sans compter les temps d’exercices.

40Cependant, si la part de l’enseignement proprement militaire ne concerne que les meilleurs élèves des classes de troisième, seconde et rhétorique, il est pratiqué à Effiat avec un sérieux et une qualité qui sont dignes des meilleurs enseignements donnés par les professeurs de l’école de Paris. Non seulement tous les aspects de la vie du militaire en campagne sont abordés, mais l’on enseigne aussi des données théoriques sur l’artillerie, la fabrication de la poudre ou la navigation. De plus, cet enseignement est constamment illustré d’exemples et de scènes vécus. Il associe donc à un cours théorique les leçons apprises sur le terrain. Contrairement à Sorèze, Pontlevoy ou Beaumont-en-Auge, il n’existe pas de cours spécifiques à la navigation à Effiat.

41La valeur d’un tel cours revient au mérite du professeur : Antoine Marie de Brecou, baron de Ried, chevalier immédiat de l’Empire, natif de la région de Fribourg en Brisgau. Il est passé au service du roi de France pour combattre en Amérique aux côtés des Insurgents21. À son retour, le 15 mai 1780, il entre à l’école d’Effiat en qualité de professeur de dessin mais très vite ses qualités d’officier l’orientent vers l’enseignement de l’art militaire22. Ce personnage a une finesse d’esprit suffisante pour inculquer à de jeunes esprits des notions parfois assez ardues, en associant à des connaissances livresques, les apports de sa propre expérience et toutes les critiques qui peuvent en découler. Si les connaissances qu’il utilise rappellent en différents points les écrits de Guibert, Leblond ou du chevalier de Folart, il a l’avantage non négligeable d’ajouter son avis personnel sur la théorie et de ne pas omettre des détails pratiques qu’il a pu voir ou pratiquer lui-même. Tous les talents de monsieur de Ried font de son cours un enseignement de très bon niveau, susceptible d’être mis en pratique par tous ces jeunes gens qui se destinent au service armé et qui, dans leur majorité, n’auront pas d’autres supports théoriques.

42S’il est permis de porter ce jugement sur l’enseignement militaire d’Effiat, c’est grâce aux informations rassemblées sur la personnalité du professeur d’art militaire mais aussi par la consultation du cahier de cours de l’un des élèves. Cette pièce d’archives, pour l’instant unique, permet de compléter la documentation qu’offrent les imprimés des exercices publics et de préciser le contenu de ce cours qui est souvent résumé sous le nom de fortification. Il s’agit du cahier de François-Xavier de Bodinat, élève d’Effiat de 1779 à 1786. François-Xavier de Bodinat devient sous-lieutenant à Royal-Guyenne Infanterie en 1789. Il émigre en 1791 et sert à l’armée des princes puis avec Condé jusqu’en 1795. Il explique dans ses mémoires qu’il conserva son précieux cahier de cours tout au long de ses douloureuses pérégrinations d’émigré.

43Ce cahier comprend quatre parties distinctes : « De la géométrie nécessaire à un officier » ; « De la manière de dessiner la fortification avec l’art de laver et de faire des profils », « Le dessin du paysage » et « Le cours dit de fortification comprenant fortification, castramétation, artillerie, techniques de combat, fabrication de la poudre, organisation des gardes, des réquisitions et des convois ». Les chapitres de fortification traités dans le cahier sont : fortification régulière (citadelles), fortification irrégulière ou de campagne, attaques et défenses des postes, castramétation, convois et éléments d’artillerie (types de canons, fabrication de la poudre).

44Après le détail descriptif et utile d’une citadelle, le cours touche la fortification irrégulière, ou fortification de campagne. Cette partie de cours est celle qui recèle apparemment le plus d’intérêt pour de Ried, elle tient quarante et une pages, soit plus du tiers du cahier. Ce choix est justifié dans l’introduction :

L’art de fortifier les postes est l’un des plus nécessaires à l’officier : il se trouve tous les jours dans le cas de mettre en pratique cette partie de l’art militaire. Ce n’est pas le nombre d’hommes qui donne l’avantage mais la façon de les faire agir. Les retranchements sont des moyens sûrs pour parvenir à cette fin.

45L’intérêt du cours est d’associer la théorie, comme ici, avec ce principe d’obligation d’user de tous les moyens pour se défendre et l’illustration qui peut être un passage vécu ou une référence historique. Ici en l’occurrence, c’est l’utilisation des mémoires du duc de Rohan concernant un épisode des guerres de Religion :

On a un exemple bien frappant dans les mémoires du duc de Rohan qui dit que sept hommes s’étant retranchés dans une maison auprès de Sarlat, arrêtèrent deux jours entiers l’armée que M. le Maréchal de Thémines conduisait dans le comté de Foix qui était composée de 7000 fantassins et de 500 chevaux. Sans vouloir donner ceci pour exemple fondamental nous pouvons cependant juger par là quels avantages sont les retranchements bien disposés.

46D’emblée, l’élève se trouve plongé au cœur d’une action dont la situation est à même d’exciter son imagination et d’attirer son attention.

47Le cours théorique ne se sépare jamais de références mathématiques et de connaissances géométriques qui ont été vues précédemment. Elles demandent de bonnes qualités d’abstraction, mais il ne faut pas oublier que c’est un enseignement réservé à un groupe de niveau qui mêle des élèves de troisième, seconde et rhétorique. Nous savons aussi que de Ried dispose d’un plan-relief qui doit vraisemblablement représenter une ville fortifiée et qui est utilisé pour appuyer ses descriptions23. L’inventaire de mai 1792 nous le situe dans le salon d’honneur installé à côté de l’appartement du supérieur au premier étage du bâtiment central : « Un plan optique de fortification posé sur une table triangulaire. »

48L’attaque et défense des postes est la seconde partie importante du cours. Elle représente quarante pages, soit presque l’équivalent de la fortification de campagne. Dans le cahier de Bodinat, il traite d’abord la défense, en envisageant toutes les possibilités de se protéger en rase campagne en aménageant des redoutes, nous l’avons déjà vu, mais aussi en utilisant les ressources de l’endroit. Il explique comment se fortifier dans une maison, un village, un moulin, un château et même une église. Pour la partie concernant l’attaque des postes, de Ried commence par le cantonnement et indique toutes les dispositions que l’officier doit faire prendre à ses soldats avant de partir à l’assaut d’un objectif, y compris la marche avec ses règles de prudence et de silence. Il présente ensuite plusieurs cas de figure : « Attaque d’une redoute ordinaire. Attaque des retranchements de maçonnerie. Du passage du fossé plein d’eau. Moyens de se soustraire aux autres chicanes. Attaque d’un château, maison ou autre lieu semblable. Attaque d’un village. De l’enlèvement des postes par stratagèmes. » Quand il le peut, de Ried ne manque pas de flatter l’orgueil national de ses jeunes élèves. Il cite l’exemple de la défense de Crémone durant les guerres de l’époque de la Renaissance : « L’exemple de Crémone sera toujours un exemple de ce que peut la valeur déterminée des Français et apprendre à la postérité que quoique l’ennemi soit maître du rempart et d’une partie de la ville, il ne l’est cependant pas de la place. » Il sait aussi rappeler le sens du devoir et du sacrifice : « J’ai vu des officiers se rendre sans que leurs retranchements ni leurs troupes n’eussent souffert la moindre attaque, ne devait-on pas les punir de mort pour une si grande lacheté. » Monsieur de Ried explique comment organiser la garde d’un poste et n’oublie pas d’indiquer que les fusils doivent être posés en faisceau alors que les hommes sont autour du feu, la platine tournée à l’opposé du foyer « pour prévenir tout accident ». Si le temps est couvert ou si les soldats sont dans la tranchée, les platines des fusils doivent être isolées pour ne pas prendre l’humidité. Quand la troupe est sur un théâtre d’opérations, « l’officié quoique éloigné de l’ennemi doit toujours se coucher habillé ». Les pages du cours sont ainsi remplies de conseils sur les moindres détails concernant la vie des soldats en campagne et sur les devoirs de l’officier.

49La dernière partie du cours est consacrée à donner aux élèves des connaissances toutes théoriques mais pas forcément rudimentaires sur l’artillerie. Les éléments d’artillerie à proprement parler commencent par la définition du canon et de ses différentes parties. De Ried aborde aussi la manière de charger le canon et de le pointer. Il indique les différentes portées du canon et le nombre de coups que l’on peut tirer avec la même pièce.

La découverte de la vie militaire pratique

50Le groupe de pension rassemble tous les enfants qui ont une taille semblable et qui sont en général d’âge voisin. Il n’est absolument pas tenu compte du statut de l’élève, boursier ou pensionnaire, ou de son origine sociale, noble ou bourgeoise. L’objectif est de réunir les élèves mais en même temps de les mélanger. Tout au long de sa journée, l’enfant va ainsi côtoyer des individus différents car la composition de son groupe sera différente de celle de sa classe d’humanités ou de son cours spécialisé24. À chacun des quatre groupes de pension, dénommés pelotons, sont attachés un lieu et un personnel particuliers. Chaque peloton possède à son usage exclusif une salle d’étude sous l’autorité d’un préfet, une salle de pension ou de menus-plaisirs avec un domestique, un dortoir avec un veilleur, voire une cour de récréation particulière25 ; la bonne marche du groupe étant toujours sous la responsabilité partagée de l’adulte présent et du capitaine du peloton concerné. Chaque peloton est identifié par une couleur, celle des murs à l’intérieur des salles de pension et d’un liseré de couleur sur le pourtour du tricorne, bleu, rouge, jaune et vert. Les élèves portent l’uniforme, soit une veste de drap blanc et une culotte noire pour les jours ordinaires, soit la culotte noire et la veste bleu roi à parements rouges. Il semble que le schéma d’organisation du pensionnat d’Effiat ait été commun à beaucoup d’écoles royales militaires. Il est établi d’une manière certaine et rigoureusement identique à Sorèze26.

51Le règlement intérieur relatif à la séparation des groupes d’internat est scrupuleusement suivi : « Le nombre des élèves formaient un bataillon composé de quatre divisions établies par rang d’âge et de taille et dont chacune avait ses dortoirs et ses salles d’étude séparées. Ses préaux de récréation n’étaient limités que par une simple ligne de pierre de taille, tracée au niveau du pavé dans la vaste cour du bataillon entier, et cependant soigneusement respectée. » Chaque groupe de pension est sous l’autorité d’un « capitaine », nommé par le supérieur sur proposition des élèves du groupe. À Effiat « tous les mouvements intérieurs s’exécutaient en ordre et silencieusement. Lorsque toutes les divisions étaient réunies, le bataillon marchait en colonne par peloton, précédé par ses tambours et sa musique. Les officiers des compagnies étaient choisis parmi les candidats présentés par leurs camarades ». Les élèves sont responsabilisés par la confiance qui leur est faite dans la bonne tenue de leur groupe de pension. Ces jeunes capitaines agissent apparemment de manière interne et en autonomie par rapport aux oratoriens. Ils se chargent eux-mêmes de vérifier la tenue de leurs soldats, comme l’explique Camus : « Tous les matins, après les détails du lever et de la toilette, une inspection de propreté était passée, isolément, par chaque capitaine. » Les problèmes d’ordre et de maintien sont réglés en priorité par les officiers de chaque groupe, le capitaine étant « garant » de l’ordre dans son groupe.

52Les « capitaines » de peloton commandent la manœuvre lors des exercices, avec l’aide et peut-être l’autorité des bas-officiers maîtres d’armes qui constituent les seuls personnels proprement militaires de l’école. Le déroulement de la manœuvre en terrain libre, les exercices de mouvements sur la place d’armes, de même que les défilés, musique en tête, se déroulent sans armes jusqu’en 1788, où, à l’issue de la seconde dissolution de l’école de Paris, cinquante fusils et un pareil nombre de gibernes et de baudriers avec leurs épées sont distribués dans chacune des écoles militaires27. Ces mêmes armes sont aussi présentes à Sorèze, mais absentes à Vendôme et à Tournon.

53Camus précise aussi les activités du bataillon lorsque celui-ci se trouve en manœuvre :

Les exercices militaires se bornaient à peu près à l’école du peloton, et toute la science du bataillon consistait à exécuter quelques mouvements de flanc, et à passer de l’ordre en colonne à la ligne de bataille, et réciproquement ; et puis, à défiler assez correctement.
Les élèves dans leurs promenades, étaient conduits à d’assez grandes distances : les premières divisions surtout faisaient parfois des courses de quatre à cinq lieues, dans le but de les fortifier et de les préparer à supporter les fatigues du métier… Les grandes divisions se permettaient souvent de se partager en deux camps pour simuler des attaques et des défenses de postes ou de redoutes, qu’ils avaient fortifiés suivant les facilités que présentaient les localités choisies comme champ de bataille. Lorsque la division avait à traverser un bourg, une ville, chacun reprenait son rang, et si le bataillon se trouvait réuni, il se formait en colonnes par peloton28.

54Contrairement à l’organisation en peloton du pensionnat qui règne toute l’année, les courses, manœuvres, attaques et défenses de postes, et autres activités sportives se déroulent uniquement pendant les vacances d’été, du début septembre à la mi-octobre. Durant cette période, des horaires très allégés offrent la possibilité de grandes promenades, jusqu’à vingt kilomètres pour les plus grandes divisions. Ces courses constituent des occasions favorables à l’exercice physique et à l’apprentissage de la tactique militaire sur le terrain. Il est probable que le chevalier de Ried commande lui-même ces manœuvres.

55Il est aussi certain que les élèves utilisent les douves sèches qui bordent la place d’armes devant l’école, afin de s’entraîner à l’attaque et à la défense de fortifications. Il existe à cet effet à Sorèze un « front de fortification construit pour l’instruction des élèves29 ». Il s’agit en fait d’un bastion en redan, isolé par deux fossés et relié de part et d’autre par une passerelle, le tout sur une longueur de quarante mètres. Les douves d’Effiat sèches et demi-sèches, un fossé longeant la moitié de la longueur, permettent sans investissement particulier de procéder aux mêmes entraînements.

56En conclusion, les écoles royales militaires en général, Effiat et Sorrèze en particulier, donnaient à leurs élèves les bases d’une réelle formation militaire, qui sera bien évidemment complétée et acquise définitivement par l’entrée en régiment. Mais la qualité de l’éducation reçue à Effiat peut expliquer, en dehors des caractères des officiers concernés, la rapide promotion d’anciens élèves, leurs prises de responsabilités, leurs initiatives, des faits qui sont aussi le résultat d’un certain savoir acquis à l’école. Napoléon n’a-t-il pas écrit sur son ami Desaix, trop tôt disparu : « Kléber était le talent de la nature, celui de Desaix était entièrement celui de l’éducation et du travail30. »

1. Répartition des écoles royales militaires

2. Reconstitution d’une journée d’écolier à Effiat

575 h 30 : Lever. Prière. Toilette.

586 h 00 : Récréation (étude ou arts).

597 h 00 : Messe.

607 h 45 : Déjeuner rapide.

618 h 00 : Début des cours comprenant la religion, le latin, le français, l’histoire et la géographie.

6212 h 00 : Dîner des deux pelotons les plus jeunes et récréation pour les autres.

6313 h 00 : Dîner des grands et récréation pour les autres.

6414 h 00 : Récréation. En fait, reprise des cours, avec des périodes de trois quarts d’heure : mathématiques, langues étrangères, arts et devoirs.

6516 h 30 : Goûter frugal puis reprise des récréations.

6618 h 30 : Fin de la journée de cours. Souper.

6719 h 30 : Récréation (étude).

6821 h 30 : Prière et coucher.

3. Exemples d’exercices de mathématiques pratiqués à Effiat

69Un général d’armée veut mettre un corps de troupes en bataillon carré. Mais, par une première disposition, il lui reste un nombre A d’hommes à placer. Il en met donc un de plus sur chaque ligne et il s’en faut d’une quantité B que le bataillon carré ne soit complet. Quel est le nombre de ses troupes ? (1781)

70Application de la trigonométrie rectiligne et sphérique à quelques problèmes d’astronomie (1782)

71– Trouver à quelle distance la vue peut s’étendre en pleine mer d’une hauteur donnée.

72– La longitude et la latitude du mont Vésuve et du Caire étant connues, on demande de quelle hauteur devrait être un observatoire placé au Caire pour que de cet observatoire on pût voir la flamme de ce volcan, supposé qu’elle s’élevât à une lieue de hauteur perpendiculaire au-dessus du niveau de la mer.

73Résolution des triangles obliquangles (1781-1782)

74– Mesurer la largeur d’une rivière et la hauteur d’une montagne dans toutes les situations possibles.

75– Tracer sur le papier les fortifications d’une ville dont on est éloigné et par conséquent tracer sur le terrain des lignes parallèles à un front de fortification, pour le battre en brèche.