1La loi du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, est censée, selon son rapporteur Pascal Popelin, « couvrir les angles morts » des moyens juridiques existants2. Pourtant sa lecture trahit un oubli majeur, dont l’existence relève, à première vue, de l’évidence : le plan Vigipirate. Depuis plus de trente-huit ans, la planification antiterroriste demeure méconnue, et ce, sans doute, à cause de l’incertitude de son cadre juridique3.

2Loin de se réduire au terrorisme, la planification recouvre des domaines éclectiques. Elle tend à prévoir l’évolution des besoins de l’administration et permettre l’ajustement de ses ressources aux besoins de nombreuses politiques publiques4. Sans en livrer un historique exhaustif, il est possible de retracer succinctement son évolution.

3Elle a d’abord « été conçu[e], pendant les Trente Glorieuses, comme le moyen privilégié de pilotage de l’économie5 », au point de promouvoir l’État au rang d’« État planificateur ». La planification économique a ensuite été abandonnée face au développement contemporain du libéralisme économique, l’État étant alors perçu comme un « État stratège6 ».

4Dès les années 19607, la formule du plan est transposée dans les domaines de l’aménagement et de l’urbanisme, où elle connaît de multiples applications, que l’on songe aux plans locaux d’urbanisme, aux schémas de cohérence territoriale, ou encore aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux…

5Plus récemment, depuis les années 1980, la planification s’étend à la politique environnementale, mais plus encore à la prévention des risques : « Elle s’applique à tous les risques susceptibles d’affecter les personnes ou les biens […] d’origine naturelle ou anthropique8. » Parmi les risques imputables à l’homme, le terrorisme fait également l’objet de plans de prévention, qui reposent sur des moyens spécifiques.

6La planification antiterroriste se compose d’un plan général, Vigipirate, complété par des plans d’intervention « Pirate », plus spécifiques, encadrant chacun un type de risque particulier9. Pour répondre à un moyen d’agression spécifique, le plan Piranet couvre le domaine de la sécurité des systèmes d’information et le plan Pirate NRBC intègre, depuis 201010, les anciens plans Piratox (risques chimiques), Biotox (risques biologiques) et Piratome (risques nucléaires ou radiologiques). En cas d’attaque terroriste se déroulant dans un milieu particulier, il existe les plans Pirate-Mer (maritime), Piratair-Intrusair (aérien), Pirate-Ext (hors du territoire national) et Metropirate (transports collectifs ferrés souterrains). De plus, une multitude de circulaires, d’instructions et de notes viennent préciser les conditions d’application de ces plans.

7Le plan Vigipirate, créé le 7 février 1978, a fait l’objet de plusieurs remaniements en 1995 (introduisant la dénomination de plan Vigipirate), 2000, 2002, 2003, 2006 et 201411. Il est constitué d’une partie publique, diffusée sur le site Internet du Premier ministre depuis le 17 janvier 2014, et d’une partie confidentielle.

8Vigipirate se présente comme un « dispositif permanent de vigilance, de prévention et de protection face à la menace terroriste ou en réaction à une attaque. Répondant à la nécessité d’une approche globale de la lutte, il couvre l’ensemble des activités du pays et associe tous les acteurs de la Nation. En ce sens il constitue un instrument majeur concourant à la sécurité nationale12 ». Le plan mène une action transversale contre la menace terroriste, en regroupant des mesures dans douze domaines d’activité très larges13, pour prévenir efficacement toutes les formes du terrorisme. Il associe autour de l’État les différentes catégories d’acteurs disposant des moyens d’action pour y faire face14 : Premier ministre, ministres, préfets, collectivités territoriales, opérateurs en charge d’activités d’importance vitale, et l’ensemble des citoyens…

9En concernant des domaines d’activité et des acteurs aussi variés, le plan Vigipirate nécessite une coordination qui ne peut être assurée qu’au niveau interministériel, sous l’autorité du Premier ministre. La centralisation de l’action s’avère indispensable pour garantir l’efficacité de la planification15.

10Le plan Vigipirate comporte deux niveaux de mobilisation : un « niveau vigilance » permanent pour répondre à la menace terroriste durable, et un niveau « alerte attentat », pour faire face à une augmentation de la menace terroriste. Ce dispositif est venu se substituer à une organisation en quatre niveaux de mobilisation : jaune, orange, rouge et écarlate (plan gouvernemental n^o 10100/SGDN/PSE/PPD du 17 mars 2003).

11Le contenu du plan est bien plus délicat à déterminer, car il est porteur de « mesures » qui peuvent avoir « soit un caractère de recommandation, soit un caractère d’obligation ». Les mesures obligatoires « prennent appui sur une base légale existante16 » qui dépend de leurs destinataires. Celles qui s’adressent à l’administration sont expressément fondées sur l’article 20 de la Constitution, alors que le plan Vigipirate est plus confus quant à celles dédiées aux « acteurs privés17 », en visant très largement aussi bien le pouvoir de police du Premier ministre que la réglementation internationale et européenne. Le plan prévoit par ailleurs un « éventail de mesures […] à mettre en œuvre sous forme de recommandations18 ». Ces dernières, dépourvues de caractère obligatoire, sont des indications à adopter un comportement déterminé. Les effets juridiques du plan se limitent donc, a priori, à coordonner des mesures obligatoires, dont les fondements lui sont extérieurs – textes en vigueur et pouvoirs des autorités de police –, avec des mesures non contraignantes. Selon ses propres termes, « il ne crée pas de droit nouveau19 » ; Vigipirate serait, dès lors, un acte administratif non décisoire, à l’instar de tout un ensemble d’autres plans20 n’ayant pas de caractère juridiquement obligatoire.

12Le vocabulaire employé par le plan Vigipirate, qui le qualifie d’« outil de pédagogie », de « guide de bonnes pratiques », d’« instrument »21, voire d’« outil de compréhension des enjeux22 », n’est pas sans rappeler celui employé par le Conseil d’État pour identifier des « instruments » de droit souple23.

13Dans son étude annuelle de 2013, la section du rapport et des études propose de les définir à partir de trois conditions cumulatives : « Ils ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure du possible, leur adhésion ; ils ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations ; ils présentent, par leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit24. »

14Vigipirate, de son propre aveu, répond à la première condition puisqu’il « propose un cadre mobilisateur et des mesures opérationnelles pour l’ensemble des acteurs25 » qui visent à « ajuster les comportements de chacun et les mesures de protection26 ». La dernière condition s’avère elle aussi satisfaite, car le plan et ses changements de niveau sont formalisés par leur publication sur le site du Premier ministre. De plus, Vigipirate se structure autour de domaines d’activité pour lesquels sont définis des objectifs de sécurité et des mesures permettant de les remplir. La deuxième condition prête davantage à discussion. Si le plan se présente formellement comme un acte non décisoire, d’aucuns pourraient objecter que la coordination de mesures est, en soi, sinon impérative27, du moins porteuse de lignes directrices28. Seulement chacune des mesures obligatoires répertoriées dans le plan, et prise individuellement, pourrait faire l’objet de recours distincts. La contestation contentieuse ne porterait alors pas sur le plan, mais sur les décisions ultérieures prises pour son application. Le Conseil d’État adopte ce raisonnement dans une décision par laquelle il considère que les « zones de solidarité » résultant du plan de prévention des risques de submersion marine « n’emportent par elles-mêmes aucun effet juridique […] [et qu’elles constituent ainsi] des documents insusceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir29 ».

15Le plan Vigipirate répond donc à la définition proposée par le Conseil d’État. D’ailleurs, la planification antiterroriste, pour être « suffisamment flexible [et] s’adapter aux évolutions de la menace30 », a besoin de recourir au droit souple. Ainsi, le terrorisme, protéiforme et évolutif, requiert une prévention globale et adaptable, prenant la forme d’une planification interministérielle de droit souple.

16Même si l’assimilation du plan Vigipirate à un instrument de droit souple revient à lui dénier tout effet juridique et à le considérer comme un acte non décisoire, il peut, malgré cela, produire des effets notables dans d’autres domaines. Après une étude approfondie, il sera permis d’apprécier l’écart entre, d’une part, l’absence d’effets juridiques et, d’autre part, l’existence d’effets non juridiques du plan Vigipirate.

17On se contentera ici d’aborder les effets engendrés par l’application du plan Vigipirate sur l’administration et – plus précisément – les effets sur les ressources humaines (I) et les finances publiques (II).

18Toutefois, eu égard à l’absence de publication d’informations spécifiques au plan et à son caractère en partie confidentiel, il apparaît impossible de retracer avec rigueur l’ensemble des effets produits par Vigipirate dans ces deux domaines. C’est pourquoi l’on est contraint de mener l’étude à partir des rares sources disponibles – mais qui nous paraissent significatives – visant directement le plan.

I) Les effets du plan vigipirate sur les ressources humaines

19La mise en œuvre du plan Vigipirate nécessite la formation d’un nombre important d’agents de l’administration (A). Par ailleurs, leur mobilisation est susceptible d’entraîner leur indisponibilité pour l’exercice d’autres missions (B).

A) La formation du personnel

20Tout d’abord, les agents de l’administration en charge de l’exécution du plan Vigipirate doivent en connaître le contenu et les modalités d’application. Leur formation, initiale et continue, tend désormais à intégrer la mission Vigipirate.

21Nombre de concours ayant pour objet de recruter des agents en charge d’une mission de sécurité imposent aux candidats de connaître le plan Vigipirate. Plus particulièrement, sont concernés les programmes des officiers de l’armée31, des agents de la Direction générale de la sécurité extérieure32, des surveillants de l’Administration pénitentiaire33, ou des techniciens des services culturels et des Bâtiments de France34. Vigipirate est considéré, selon les textes réglementant les concours, comme une « mission de service public », un moyen de « prévention des actes de délinquance », un moyen de « sécurité des établissements pénitentiaires », voire un moyen de « surveillance » des Bâtiments de France. Bref, d’une manière générale, le plan Vigipirate devient un prérequis commun aux agents en charge d’une mission de sécurité.

22La mise en œuvre du plan Vigipirate impose une adaptation des méthodes de formation continue dans la fonction publique militaire. Le déploiement des armées sur le territoire national entraîne une évolution de leurs modes d’intervention. Les patrouilles augmentent la « pénibilité » et le « niveau de condition physique » qui impliquent des « stages d’entraînement spécifiques […] dans le cadre de mises en condition opérationnelle35 ». De même les « militaires susceptibles d’être engagés pour des missions intérieures de type Vigipirate » doivent « acquérir des techniques d’interventions opérationnelles rapprochées leur permettant de réagir efficacement36 ». Ces nouvelles formations, prévues par l’administration, s’adressent aux militaires du rang et à leurs officiers37.

23Au-delà de la formation des agents de l’administration, l’exécution du plan Vigipirate mobilise essentiellement les forces de l’ordre et les armées, dont le manque de personnel peut s’avérer préjudiciable.

B) Le manque de personnel

24Le premier indicateur, révélant le manque d’effectifs de l’armée, réside dans l’utilisation de la réserve opérationnelle pour accomplir les missions du plan Vigipirate. Celle-ci devient un « complément indispensable aux forces professionnelles […], elle permet aux réservistes d’apporter leur concours dans le cadre de la mise en application des mesures de sûreté, d’aide au service public et aux populations (Vigipirate, plan ORSEC)38 ». Dans son rapport public annuel de 2011, la Cour des comptes a d’ailleurs recommandé de supprimer l’exonération de l’impôt sur le revenu pour les rémunérations versées aux réservistes. Le ministre de la Défense a répondu par la négative, en considérant que « c’est bien la capacité opérationnelle des armées qui risqu[ait] d’être impactée avec des difficultés notamment pour remplir les missions sur le territoire national, par exemple celles du type Vigipirate39 ».

25En raison de l’ampleur de la mobilisation des armées et des forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire, l’exécution du plan Vigipirate peut entraîner leur indisponibilité pour assurer d’autres missions telles que – par exemple – le renfort des escortes pénitentiaires, l’encadrement des manifestations et des déplacements de supporters de football.

26Ainsi, le contrôleur général des lieux de privation de liberté déplore, dans un avis du 16 juin 2015 relatif à la prise en charge des personnes détenues au sein des établissements de santé, que de « nombreuses extractions médicales sont annulées et reportées en raison de l’indisponibilité des escortes pénitentiaires pour différents motifs (manque d’effectifs, urgence nécessitant une extraction, plan Vigipirate, etc.)40 ».

27Par un même raisonnement, le tribunal administratif de Paris a reconnu la validité d’un arrêté du préfet de police limitant le droit de manifester, au motif – entre autres – que les « forces de police et de gendarmerie sont actuellement entièrement mobilisées pour la mise en œuvre du plan Vigipirate41 ».

28Enfin, le ministre de l’Intérieur a pris une dizaine d’arrêtés d’interdiction de déplacement des supporters de football, en considérant que « les forces de l’ordre doivent également être réparties en plusieurs points du département pour assurer la sécurité en raison de l’application du plan Vigipirate à un niveau élevé, et ne peuvent être mobilisées pour la seule organisation de cet événement42 ».

29Finalement, malgré le renfort des armées dans la lutte antiterroriste, les forces de police et de gendarmerie, déjà fortement sollicitées dans le cadre du plan, peuvent manquer de personnel pour exécuter d’autres missions. Dans une certaine mesure, on pourrait en déduire que Vigipirate, en concentrant les forces de sécurité sur la prévention des actes terroristes, révèle la priorité donnée à la politique antiterroriste sur les autres missions de maintien de l’ordre.

30Les effets du plan Vigipirate sur les ressources humaines de l’administration, et plus encore sur toutes les ressources qui participent à son exécution, engagent nécessairement les finances publiques.

II) Les effets du plan vigipirate sur les finances publiques

31La mise en œuvre du plan Vigipirate, sur l’ensemble du territoire, pèse à la fois sur les finances publiques de l’État (A) et sur celles des collectivités territoriales (B).

A) Les finances publiques de l’État

32D’une manière générale, « la prévention a toujours un coût, qui est élevé, car il est double, direct par les mesures à prendre, indirect par les conséquences financières qu’il entraîne pour les collectivités comme pour les individus43 ». L’évaluation de ce coût, pour Vigipirate, est malaisée, car aucun programme ou action, au sein des lois de finances, ne lui est spécifiquement dédié. Partant, ses crédits sont disséminés dans plusieurs missions44. Quelques informations éparses sont toutefois livrées dans les documents de politique transversale (DPT) de « défense et de sécurité nationale ».

33Pour la seule police nationale, les missions de garde statique et de sécurisation des sites sensibles en application du plan Vigipirate ont été quantifiées par les DPT de 2015 et de 2016. Le premier précise que, s’agissant de la sécurité publique, « les missions Vigipirate ont représenté respectivement 618,48 ETPT en 2013 contre 259,66 ETPT en 201245 ». Le second, rédigé après le « passage du niveau “alerte attentat” sur l’Île-de-France et le renforcement du dispositif en de nombreux autres lieux », indique que « la Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité est passée de 3,5 unités par jour en 2014 à 12,5 unités par jour depuis le début 2015 ». De plus, « 1657172 heures fonctionnaires ont été consacrées aux gardes et aux missions Vigipirate en 2014 ». Enfin, pour la sécurité publique, les « missions de garde statique et Vigipirate ont représenté respectivement 410,42 et 400,28 ETPT en 2014. L’évolution de la menace a déjà fait évoluer pour 2015, les dispositifs engageant les plans d’emploi46 ».

34Les effets de Vigipirate sur les finances publiques de l’État sont notables, mais il n’est pas possible d’en apprécier l’étendue avec exactitude. Les moyens alloués à la planification antiterroriste, qui ne font pas l’objet d’un traitement budgétaire à part, manquent de traçabilité. Il est certain que la transversalité de la lutte antiterroriste, qui innerve plusieurs politiques publiques, n’œuvre pas en faveur de sa spécialisation budgétaire. Toutefois, la technique du « fonds », fréquemment utilisée en matière de prévention des risques, permettrait de connaître plus en détail les investissements menés47.

35Les collectivités territoriales participent, elles aussi, au financement du plan Vigipirate pour assurer sa continuité territoriale. Les communes, départements et régions sont concernés à plusieurs titres par la mise en œuvre du plan pour « la protection de leurs propres installations et de leurs agents […], la continuité des services publics dont ils ont la responsabilité […], la protection de leurs infrastructures et de leurs réseaux […], la sécurité des rassemblements culturels, sportifs ou festifs qu’elles organisent ou qu’elles accueillent48 ».

B) Les finances publiques locales

36L’accessibilité des informations relatives aux effets de Vigipirate sur les finances publiques locales est encore plus problématique car, s’il y a lieu de saluer la numérisation des recueils des actes administratifs, ceux-ci sont – à de rares exceptions – dépourvus de moteurs de recherche. Pour autant, l’étude de quelques documents suffit à rendre compte de l’impact de Vigipirate sur les finances publiques locales. Nous avons décidé, au regard des sources disponibles, de mener l’analyse à partir d’un domaine d’activité essentiel du plan, la sécurisation des réseaux d’eau49, et sur une collectivité particulière, prise comme sujet d’étude, la métropole du Grand Lyon50.

37La protection des réseaux d’eau constitue l’un des objectifs de sécurité spécifiques prévus par le plan Vigipirate. Elle concerne l’« ensemble des activités de suivi sanitaire et de distribution de l’eau aux différents consommateurs publics et privés51 ». Le caractère vital de ce domaine d’activité, qui nécessite une mise aux normes des infrastructures face à la menace terroriste, engendre des dépenses conséquentes. En région parisienne, par exemple, Vigipirate a provoqué des « opérations d’exploitation à caractère exceptionnel » sur le réseau d’eau potable, à hauteur de 1490000 euros en 2002 contre 480000 euros en 200152.

38La stratégie de protection élaborée par le plan recommande de « définir et mettre en place des périmètres de sécurité autour des points de captage d’eau ». Elle impose d’assurer une « surveillance continue 24h/24 des composants névralgiques53 ». Les communes doivent donc investir dans divers équipements, comme des systèmes de télésurveillance54 ou des dispositifs anti-intrusion55.

39Dans l’organisation de leur « dispositif de veille, d’alerte, d’astreinte, de permanence et de gestion de crise », les collectivités sont également incitées à adopter des plans d’intervention56 et à effectuer des tests réguliers, notamment sur le niveau de chlore de l’eau57.

40À l’échelle d’une collectivité territoriale, en l’occurrence celle du Grand Lyon, Vigipirate multiplie les coûts dans deux types de domaines : la voirie et la protection des installations et bâtiments.

41Dès 1995, le déclenchement du plan Vigipirate génère « pour le budget de la voirie une charge supplémentaire en fonctionnement : achat de panneaux, supports, barrières, piquets de chantier, marquage au sol58 », pour un montant total de 650000 francs (presque 100000 euros). De plus, le crédit de voirie de proximité est augmenté de 6,40 millions de francs (environ 1 million d’euros) pour couvrir un programme complémentaire de travaux sur les communes périphériques, « au titre des opérations de sûreté menées dans le cadre du plan Vigipirate59 ».

42Le domaine des installations et bâtiments concerne l’« ensemble des édifices qui peuvent constituer des cibles potentielles soit en raison de leur valeur symbolique, économique, politique ou écologique, soit en raison du public qu’ils accueillent60 ». Pour le Grand Lyon, la protection des « établissements israélites dans le cadre du plan Vigipirate » a généré, pour la seule année 1996, une dépense de 250000 francs61. Plus récemment, en 2003, pour contrôler l’accès des personnes à certains bâtiments62, 107000 euros ont été utilisés par le financement de marchés publics de gardiennage. Enfin, à nouveau dans le domaine de la protection de l’eau, la collectivité a effectué des travaux pour 810000 euros afin de sécuriser un point d’importance vitale63.

***

43Les effets du plan Vigipirate sont notables tant sur les ressources humaines que sur les finances de l’administration, mais, sans s’y limiter, ils pèsent également sur de nombreux autres domaines (le droit du travail, la politique pénale et la politique migratoire…). C’est le cas, par exemple, lorsque le renforcement du contrôle des personnes, prévu par le plan, entraîne, selon certains parlementaires, une multiplication du « nombre de personnes interpellées pour divers délits, dont des infractions à la législation sur les étrangers64 ». De même, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a regretté, dans un avis adopté en 1995, « que, dans plusieurs communiqués du ministère de l’Intérieur relatifs aux résultats du plan Vigipirate, aient été mis en relief les constats d’infractions à la législation sur les étrangers, alors même que ces infractions étaient sans aucun lien avec les menaces terroristes que le plan a pour objectif de prévenir65 ».

44Ces effets indirects, qui dépassent le simple cadre de la coordination de mesures de lutte contre le terrorisme, doivent nécessairement être mieux encadrés. Le plan Vigipirate est, en effet, activé depuis plus de vingt ans et à son plus haut niveau depuis le 7 janvier 2015, sans qu’il soit l’objet d’un contrôle juridictionnel ou parlementaire.

45Quant au contrôle juridictionnel, son absence est due au caractère non décisoire du plan Vigipirate. Bien qu’il produise des effets non juridiques, cela ne suffit pas a priori à admettre sa justiciabilité. Pourtant, à rebours de sa jurisprudence classique, le Conseil d’État a récemment ouvert le recours pour excès de pouvoir à l’encontre de certains actes de droit souple66. Selon le rapporteur public Suzanne von Coester, il convenait d’admettre leur justiciabilité « au vu de l’ampleur de leurs effets, afin de ne pas “laisser sur le bas-côté contentieux” […] des actes qui ont des conséquences concrètes, parfois très importantes ». Si l’on suit ce raisonnement, le plan Vigipirate, qui s’inscrit dans cette dynamique, devrait pouvoir être contrôlé par le juge. Hélas, cette solution est pour l’heure restreinte à certains actes pris par les autorités de régulation en matière économique, alors même qu’elle se justifierait tout autant pour la planification antiterroriste67.

46Le législateur pourrait, quant à lui, doter Vigipirate d’un cadre législatif, comme il a pu le faire pour d’autres planifications68. Le Premier ministre conserverait alors, par décret, l’opportunité de l’activation du plan, du choix de son niveau et des mesures applicables. Enfin, pour contrôler l’opportunité du maintien dans le temps du plan Vigipirate, il serait souhaitable que le législateur – après un délai à déterminer – vote sa prolongation.

47Si la prise en considération de la menace terroriste justifie l’incontestable utilité de la planification, en revanche, la nécessité d’assurer un meilleur équilibre entre les libertés et l’efficacité de la lutte contre le terrorisme impose de faire évoluer son statut juridique.