1Le terrorisme1 est une notion qui, compte tenu de sa très forte connotation politique2, divise profondément les États. En dépit des nombreux instruments internationaux qui s’y réfèrent, il ne fait toujours pas l’objet d’une définition universellement admise en droit international3. Si la question a été évoquée de manière récurrente, au cours des dernières décennies, aucune réponse satisfaisante ne lui a encore été donnée.

2À la suite de l’attentat perpétré à Marseille, en 1934, contre le roi Alexandre de Yougoslavie et le ministre français des Affaires étrangères Barthou, la Société des Nations (SdN) confia à un comité le soin d’établir un projet de convention relatif à la prévention et à la répression du terrorisme. Ce dernier s’acquitta avec succès de sa mission. Le 16 novembre 1937 fut ainsi adoptée à Genève, par une conférence intergouvernementale, la convention pour la prévention et la répression du terrorisme4. Ce traité, qui contenait une définition du terrorisme, n’entra néanmoins jamais en vigueur, faute d’avoir obtenu le nombre de ratifications nécessaires5. Cet échec joua sans doute pour beaucoup dans l’attitude de l’Organisation des Nations unies (ONU)6 qui, dans ses premières années d’existence, évita soigneusement d’aborder l’épineux problème du terrorisme.

3En 1972, à la suite de la sanglante prise d’otages qui s’est déroulée lors des Jeux olympiques de Munich, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) se résigna à se saisir de la question7 et institua à cette fin un Comité spécial sur le terrorisme international dont la mission était de faire des recommandations en vue d’une coopération éventuelle pour l’élimination rapide de ce fléau8. « Les États-Unis déposèrent sur le bureau du comité un projet de convention destiné à lutter contre le terrorisme international. De leur côté les membres du Groupe des 77 estimèrent que le comité devait également étudier les causes du terrorisme9. » Les États ne parvinrent toutefois pas à se mettre d’accord tant les antagonismes entre les États occidentaux et les pays non alignés étaient forts. Ne pouvant s’entendre sur l’élaboration d’une définition commune du terrorisme, le comité fut dissous en 197910.

4Étant donné l’incapacité des États à établir une définition globale du phénomène, plusieurs organisations internationales spécialisées (Organisation de l’aviation civile internationale, Organisation maritime internationale, Agence internationale de l’énergie atomique) décidèrent de pallier le vide normatif en élaborant, sous leur égide, des conventions sectorielles. Depuis 1963, ce ne sont pas moins de dix-neuf instruments universels qui ont été adoptés11. Ces différents textes visent à prévenir ou à réprimer des actes spécifiques (comme la piraterie aérienne ou maritime…), l’utilisation de certains dispositifs à des fins terroristes (explosif, nucléaire, financement…), ou encore le terrorisme contre certaines catégories de personnes (celles bénéficiant d’une protection internationale ainsi que les otages)12. Ces conventions couvrent en grande partie l’ensemble des actes terroristes. Aucune ou presque, en revanche, ne s’aventure à donner une quelconque définition du terrorisme. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les premières conventions se refusent même à employer le terme13. Le terrorisme était manifestement à l’époque un mot tabou14. Ce n’est que progressivement que celui-ci a fait son apparition dans les conventions sectorielles. Il apparaît d’abord dans le préambule de la convention de 1979 contre la prise d’otages15, puis dans l’intitulé et dans le préambule de la convention de 1997 pour la répression des attentats terroristes à l’explosif16. Une nouvelle étape décisive sera franchie en 1999 avec la convention pour la répression du financement du terrorisme, qui non seulement n’hésite pas à employer le terme, mais en outre en donne une ébauche de définition.

5L’élaboration de ces différentes conventions n’a pas rendu pour autant inutile l’adoption d’une convention générale sur le terrorisme. En effet, certains actes terroristes, tels que l’assassinat par des moyens autres que le recours à l’explosif, certaines atteintes à l’environnement ou encore le cyberterrorisme continuent à échapper à une incrimination conventionnelle17. De surcroît, l’absence de définition, comme a par exemple pu encore récemment le déplorer le Brésil, « laisse une marge de manœuvre aux groupes terroristes18 ». L’Assemblée générale des Nations unies l’a bien compris. Après avoir affirmé en 1991 qu’« il serait possible d’accroître l’efficacité de la lutte contre le terrorisme en établissant une définition du terrorisme international qui rencontre l’agrément général19 », elle décida, en 1996, de confier à un comité (dit comité 51/210) la charge d’élaborer un projet de convention générale sur le terrorisme20. En 1998, un groupe de travail est également constitué au sein de sa sixième commission. À la suite de propositions présentées par l’Inde, une définition technique du crime international de terrorisme susceptible d’en englober toutes les manifestations a été adoptée21. Un projet de convention générale sur la question du terrorisme a même été élaboré et déposé devant la sixième commission de l’AGNU en 2006. Depuis lors, cependant, les discussions piétinent. Chaque année, c’est le même scénario qui se répète. Étant inscrit à l’ordre du jour, le projet de convention générale sur le terrorisme fait l’objet d’un examen. Si les États partagent les mêmes points de vue sur la très grande majorité des questions, ils n’arrivent en revanche pas à s’entendre, tant pour des raisons politiques qu’idéologiques, sur une définition universelle du terrorisme. Les négociations achoppent toujours d’une façon ou d’une autre sur la sempiternelle question du « terrorisme d’État » ou d’une de ses ramifications. Le terrorisme d’État constitue manifestement un obstacle à l’édification d’une définition universelle du terrorisme international (I). Cette lacune n’empêche toutefois pas les États de recourir à ce terme et de qualifier de la sorte certains comportements. Le rôle de l’État reste essentiel dans l’identification du terrorisme international (II).

I) le terrorisme d’État et ses ramifications : obstacle à l’édification d’une définition universelle du terrorisme international

6Le « terrorisme d’État » – par opposition au terrorisme « individuel » – est une expression qui est utilisée de manière récurrente afin de jeter l’opprobre sur le comportement d’un État en particulier. Derrière ce concept, se cachent néanmoins des situations très diverses. Le terrorisme d’État peut, en premier lieu, désigner une politique de terreur menée par l’État à l’égard de sa propre population ou d’une partie de celle-ci, ou contre la population d’un territoire occupé. Il est susceptible, en deuxième lieu, de renvoyer aux actes terroristes commis dans le cadre d’un conflit armé. Cette expression est également utilisée, en troisième lieu, pour dénoncer la colonisation ou la domination étrangère, voire stigmatiser le recours à la force. Elle peut, en quatrième et dernier lieu, désigner le terrorisme parrainé par l’État. Le terrorisme d’État est par conséquent une notion polysémique qui est susceptible d’englober plusieurs comportements de l’État22. Si certains États souhaitent que ce concept soit abandonné, d’autres au contraire y sont fermement attachés. Ces antagonismes très marqués empêchent l’adoption d’une définition universelle du terrorisme international. Les blocages viennent du terrorisme d’État entendu comme celui résultant des situations colonialistes (A) et celui entendu comme le soutien apporté par l’État à des méthodes terroristes (B).

A) Le terrorisme d’État entendu comme celui résultant des situations colonialistes

7Afin de se libérer du joug colonial, plusieurs mouvements politiques nationalistes ont par le passé pu avoir recours au terrorisme23. Aussi, lorsque l’Assemblée générale des Nations unies commença à se préoccuper de la question au début des années 1970, celle-ci prit d’emblée des précautions pour que son action ne soit pas interprétée comme remettant en cause le droit à l’autodétermination. De manière à prévenir les accusations de terrorisme portées à l’encontre des mouvements de libération nationale, elle décida, sous l’impulsion du groupe des États non alignés24, de condamner corrélativement

« les actes de répression et de terrorisme auxquels les régimes coloniaux, racistes et étrangers continuent de se livrer en privant des peuples de leur légitime droit à l’autodétermination et à l’indépendance et à d’autres droits de l’homme et libertés fondamentales25 ».

8La condamnation de cette forme de terrorisme d’État avait pour finalité de légitimer la lutte des mouvements de libération nationale et par là même de distinguer le résistant du terroriste26. Forte de la légitimité de leur cause, l’Assemblée générale des Nations unies reconnut même aux mouvements de libération nationale le droit de lutter « par tous les moyens nécessaires27 ». Les actes commis dans ce cadre étaient de la sorte exclus de la qualification des actes terroristes28.

9Cette forme de « terrorisme d’État », bien présente dans les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies des années 1970, va néanmoins progressivement s’estomper au fur et à mesure que les luttes d’indépendance s’amenuisent. Parallèlement, commence à germer l’idée que rien ne saurait justifier le recours au terrorisme. En d’autres termes, quelle que soit la justesse de la cause, aucun mobile politique n’est susceptible d’absoudre du crime de terrorisme. C’est du reste ce qu’affirme l’Assemblée générale des Nations unies en 1994 en déclarant :

« Les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer pour les justifier29. »

10De la même façon, le Conseil de sécurité condamne

« catégoriquement tous les actes ainsi que toutes les méthodes et pratiques de terrorisme qu’il juge criminels et injustifiables, quels qu’en soient les motifs, sous toutes leurs formes et manifestations, où qu’ils soient commis et quels qu’en soient les auteurs, en particulier ceux qui risquent de porter atteinte à la paix et à la sécurité internationales30 ».

11La convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif de 1997, quant à elle, innove, sur le plan universel, puisqu’elle prive l’acte qualifié de terroriste de toute cause de justification31. Ce principe sera par la suite repris par la convention pour la prévention et la répression du financement du terrorisme32, et par la convention pour la répression des actes de terrorisme nucléaire33.

12Pour autant, plusieurs États persistent à vouloir exclure du champ d’application du terrorisme l’action des mouvements de libération nationale. Plusieurs conventions régionales adoptées au cours des deux dernières décennies contiennent expressément une clause d’exclusion. C’est le cas par exemple de la convention de l’Organisation de la Conférence islamique (OIC) pour combattre le terrorisme international, signée à Ouagadougou le 1^er juillet 1999. Celle-ci exclut expressément du crime terroriste :

« Les cas de lutte que mènent les peuples, y compris la lutte armée, contre l’occupation étrangère, le colonialisme, l’agression et la domination, pour la libération ou l’autodétermination conformément aux principes du droit international34 ».

13Devant la sixième commission de l’AGNU, certains États, à l’image de l’Iran35, plaident encore et toujours pour que la convention générale sur le terrorisme intègre une clause d’exclusion.

14Dans leur obsession de maintenir la légalité de la lutte contre l’occupation étrangère, les États membres de l’OCI militent pour que la définition universelle du terrorisme intègre l’action des forces armées agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles mais de manière contraire au droit international36. La proposition n’est une nouvelle fois pas dénuée d’arrière-pensées car il s’agit d’intégrer au terrorisme les actes de terreur commis par Tsahal sur le territoire palestinien. Cette proposition constitue un autre point d’achoppement avec les États occidentaux. Parmi ceux-ci, nombreux sont ceux à défendre l’idée que la convention générale sur le terrorisme ne devrait pas être applicable aux forces armées. Ils justifient leur position en rappelant que le comportement de ces dernières est d’ores et déjà encadré de manière satisfaisante par le droit, et en particulier le jus ad bellum et le jus in bello. Au demeurant, la convention pour la répression des attentats terroristes à l’explosif abonde en ce sens puisqu’elle exclut de son champ d’application les agissements des forces armées en temps de conflit et en temps de paix37.

15L’opportunité d’insérer une telle clause d’exclusion se discute. Le droit international humanitaire ne définit pas le terrorisme38. Il n’en demeure pas moins qu’il l’interdit et l’incrimine en cas de conflit armé aussi bien international que non international39. Cette interdiction de recourir au terrorisme pèse sur toutes les parties à un conflit armé (États, mouvement de libération nationale, groupes sécessionnistes, rebelles ou autres), mais ne vaut « qu’à l’égard des personnes ne participant pas au combat40 ». L’existence de ces règles peut justifier l’exclusion du champ de la convention générale sur le terrorisme les actes accomplis par les forces armées en période de conflit. En dehors de ces périodes, les clauses d’exclusion s’avèrent plus contestables. Le droit international interdit « bien un certain nombre de comportements hostiles vis-à-vis des populations civiles, mais sans pour autant les ériger en infractions pénales41 ». Dès lors, faute d’incrimination, les membres des forces armées ne peuvent faire l’objet de poursuites pénales sur la base d’instruments internationaux. Celles-ci ne pourront être déclenchées que sur la base du droit interne. Ce qui rend pour le moins aléatoire leur répression effective dès lors que « l’on considère la mansuétude dont font souvent preuve les autorités politiques comme judiciaires nationales à l’égard des agissements des membres des forces armées42 ». Les clauses d’exclusion se justifient ainsi beaucoup moins bien pour les situations survenant en dehors des conflits armés43.

16La question de l’exclusion des actes des mouvements de libération nationale et de ceux des forces armées du champ d’application de la convention générale sur le terrorisme continue à diviser les États et les empêche de parvenir à l’adoption d’un traité universel. Mais le terrorisme d’État ne se limite pas à celui des situations résultant du colonialisme, il s’entend également pour le soutien apporté par l’État à des méthodes terroristes.

B) Le terrorisme d’État entendu comme le soutien apporté par l’État à des méthodes terroristes

17Dans son acception la plus commune aujourd’hui, le terrorisme d’État est entendu comme le recours à des actes et méthodes terroristes « parrainés par l’État » à l’extérieur. Il s’agit de l’hypothèse où « le gouvernement planifie, soutient, oriente et contrôle des opérations terroristes dans un pays tiers44 ». Le soutien apporté aux groupes terroristes est susceptible d’emprunter de multiples formes. L’État peut se contenter de soutenir les terroristes sur le plan tant moral que diplomatique, leur offrir refuge sur son territoire, leur procurer une véritable aide matérielle (en leur fournissant des armes, en leur apportant des fonds ou encore, sans être exhaustif, en leur dispensant un entraînement militaire), voire directement commanditer l’acte terroriste. Compte tenu de la diversité des hypothèses, d’aucuns estiment qu’il est possible de faire une distinction selon que l’État « parraine » ou « appuie » le terrorisme. Cette distinction, qui vise à rendre compte du degré d’implication et de contrôle de l’État sur les groupes terroristes, se révèle cependant floue en pratique et pose plus de difficultés qu’elle n’en résout45.

18Pour autant, ce soutien au terrorisme n’est pas une chimère. L’histoire en fournit de nombreuses illustrations. Le Soudan et l’Afghanistan furent par exemple accusés dans le courant des années 1990 et 2000 de servir de base arrière à Al-Qaïda, tandis qu’il fut reproché à la Libye du colonel Kadhafi d’avoir notamment commandité l’explosion en vol de deux aéronefs civils en 1989 : le Boeing de la Pan Am qui s’est écrasé sur le village de Lockerbie et le DC-10 d’UTA qui s’est abîmé dans le désert du Ténéré. Sans qu’il soit nécessaire de multiplier les exemples en ce sens, il est manifeste que les États sont parfaitement susceptibles d’apporter leur aide à la perpétration d’actes terroristes sur le territoire de tiers. Cette forme de terrorisme brouille dès lors la distinction entre le terrorisme non étatique et le terrorisme d’État.

19Sans nier cette situation, certains se gardent toutefois de recourir à la qualification de terrorisme d’État pour envisager cette hypothèse. Aux États-Unis, par exemple, le secrétaire d’État tient à jour une liste des États qui sont considérés comme soutenant le terrorisme. Ce phénomène est désigné par l’expression de State sponsored terrorism46. Il n’est nullement fait mention du terrorisme d’État.

20Si l’expression est de la sorte récusée, c’est parce que les comportements des États qui pourraient s’assimiler aux actes terroristes sont déjà couverts par d’autres règles du droit international. Il est certes possible d’objecter qu’il en est de même pour les actes terroristes commis par des individus. Ce qui pourrait conduire, dès lors, si l’on suit ce raisonnement, à écarter l’application des règles relatives au terrorisme aux individus. Cependant, il faut reconnaître que la notion de « terrorisme d’État » ne s’accompagne pas d’un régime juridique propre. Il n’existe évidemment aucune responsabilité pénale internationale des États. Ce sont les règles relatives à la responsabilité internationale des États qui trouvent à s’appliquer. Dès lors qu’il est démontré que le soutien apporté par un État au terrorisme est un fait internationalement illicite, ce dernier voit sa responsabilité engagée47. L’État lésé est en droit notamment d’adopter des contre-mesures48, et selon les circonstances pourra même aller jusqu’à invoquer la légitime défense49. Par ailleurs, le soutien apporté par un État au terrorisme peut conduire le Conseil de sécurité à adopter des sanctions50. C’est ce qu’il a fait à partir des années 1990 en adoptant des sanctions contre la Libye51, le Soudan52 et les talibans53. L’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ne se privent donc pas de condamner les États qui sont impliqués de manière plus ou moins directe dans le terrorisme. Ces derniers ne bénéficient pas d’une impunité. Il est néanmoins nécessaire du strict point de vue juridique de clairement dissocier la responsabilité de l’État de celle des individus impliqués dans des actions terroristes. Au sein de l’Assemblée générale des Nations unies, la majorité des États plaident d’ailleurs pour l’exclusion de l’État en tant qu’auteur d’infractions terroristes.

21De manière générale, l’élaboration d’une définition universelle du terrorisme passe nécessairement par le dépassement de la controverse autour du terrorisme d’État quelle qu’en soit sa forme54. C’est ce à quoi invitait déjà le secrétaire général des Nations unies en 2005 :

« Il est temps que nous cessions de nous interroger sur ce qu’on entend par “terrorisme d’État”. Le recours à la force par les États est déjà réglementé de façon très précise par le droit international. Le droit de résister à l’occupation doit être entendu dans son sens véritable. Il ne peut s’étendre au droit de tuer ou de blesser intentionnellement des civils55. »

22Si le constat semble inéluctable, les divisions demeurent56 et compromettent l’adoption d’une convention générale sur le terrorisme. Au sein de la sixième commission de l’Assemblée générale des Nations unies, les discussions s’enlisent depuis plus de dix ans. Aussi, tirant les conséquences de l’incapacité de cet organe à surmonter les blocages, le Lichtenstein et l’Inde ont suggéré, le 3 octobre 2016, de retirer de son ordre du jour la question de l’adoption d’une convention générale sur le terrorisme57. Ces suggestions n’ont pas été suivies d’effet. Pour autant, la situation est restée au point mort. Le terrorisme ne fait toujours pas l’objet d’une définition universelle. Ce qui n’empêche pas de chercher à l’identifier à travers le prisme de l’État.

II) la place reconnue à l’État dans l’identification du terrorisme en droit international

23L’État, dans l’ordre juridique international, joue un rôle de premier plan dans l’identification du terrorisme. D’une part, les différentes définitions qui cohabitent intègrent généralement d’une façon ou d’une autre la figure de l’État (A). D’autre part, l’État dispose évidemment d’un large pouvoir dans la qualification du terrorisme (B).

A) La place reconnue à l’État dans les différentes définitions du terrorisme en droit international

24La place accordée à l’État dans les différentes définitions qui ont été jusqu’à présent élaborées dans l’ordre juridique international est véritablement à géométrie variable.

25Les premières définitions du terrorisme lui reconnaissaient un rôle central. Aux termes de l’article 1^er de la convention sur la prévention et la répression du terrorisme de 1937 :

« [L]es Hautes Parties contractantes, réaffirmant le principe du droit international d’après lequel il est du devoir de tout État de s’abstenir lui-même de tout fait destiné à favoriser les activités terroristes dirigées contre un autre État et d’empêcher les actes par lesquels elles se manifestent, s’engagent, dans les termes ci-après exprimés, à prévenir et à réprimer les activités de ce genre et à se prêter mutuellement leur concours.
Dans la présente convention, l’expression “actes de terrorisme” s’entend des faits criminels dirigés contre un État et dont le but ou la nature est de provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou dans le public. »

26L’État était ainsi au cœur de la définition, puisque les actes terroristes étaient nécessairement dirigés contre lui58. De plus, il avait l’obligation de prendre des mesures pour prévenir la commission de ces actes.

27La définition élaborée par la Commission du droit international dans son projet de Code des crimes contre la paix de 1954 s’inscrivait dans le droit prolongement de la définition adoptée à Genève en 1937. Le terrorisme y était en effet défini de la façon suivante :

« Le fait, pour les autorités d’un État, d’entreprendre ou d’encourager les activités terroristes dans un autre État, ou le fait, pour les autorités d’un État, de tolérer des activités organisées calculées en vue de perpétrer des actes terroristes dans un autre État59. »

28L’État était envisagé à la fois comme auteur et victime du terrorisme, ce qui a pu être jugé trop étroit.

29Les deux définitions précitées n’ont cependant pas eu de portée contraignante. La convention de 1937 n’est jamais entrée en vigueur. Quant à la définition de la CDI, elle est restée à l’état de projet.

30Les conventions sectorielles, comme il a été rappelé, ne donnent pas de définition du terrorisme. Elles se contentent de définir une infraction et d’en dresser la liste des actes constitutifs. La place reconnue à l’État dans la définition desdites infractions est allée croissante. Les premières conventions n’y ont pas attaché d’importance particulière. Tout juste convient-il de signaler que, du point de vue de l’auteur de l’infraction, ces dernières utilisent l’expression « toute personne60 », ce qui est supposé englober non seulement les personnes privées, mais aussi les personnes qui agissent pour le compte d’un gouvernement61. L’évolution va venir de la convention sur la prise d’otages. Jusqu’alors, les conventions sectorielles n’exigeaient pas dans la définition de l’infraction terroriste l’existence d’une intention spécifique. La convention sur la prise d’otages de 1979 est la première à préciser que l’auteur de la prise d’otages doit avoir pour intention de contraindre un État ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte62. Cette condition, dont on aurait pu considérer qu’elle était limitée à la prise d’otages, a été reprise dans la convention pour la répression du financement du terrorisme63 et dans la convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire64.

31La convention de 1999 est la seule des conventions sectorielles à donner une ébauche de définition générale du terrorisme65. Elle ne pouvait néanmoins faire autrement dès lors que l’activité de financement n’est pas en soi illicite. Ce n’est que si elle finance le terrorisme qu’elle le devient et qu’elle fait donc l’objet d’une incrimination par la convention.

32L’infraction de financement du terrorisme est définie comme celle permettant le financement soit de tout acte terroriste consacré par les conventions sectorielles antérieures66, soit de « tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque67 ».

33L’acte terroriste est par conséquent appréhendé soit par l’identification d’actes visés par les conventions antérieures, soit de manière plus abstraite et générique. Cette ébauche de définition a été perçue par certains comme annonciatrice d’une définition universelle du terrorisme68.

34La convention sur la répression du financement du terrorisme identifie l’acte terroriste à travers deux critères essentiels : l’effet et le but. L’acte terroriste implique, d’une part, des violences graves contre les personnes susceptibles de provoquer la mort ou, à tout le moins, de causer des dommages corporels graves, quelles que soient les méthodes utilisées. L’acte terroriste, d’autre part, doit viser à intimider la population, ou alors à exercer une contrainte sur un gouvernement ou une organisation internationale afin qu’il ou elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte. C’est ce critère du dol spécial, de l’intentionnalité, qui permet de distinguer le terrorisme des infractions de droit commun.

35Le projet de convention générale sur le terrorisme retient une définition plus étendue. Aux termes de son article 2 :

« 1. Commet une infraction au sens de la présente Convention quiconque cause par quelque moyen que ce soit, illicitement et intentionnellement :
a) la mort d’autrui ou des dommages corporels graves à autrui ;
b) de sérieux dommages à un bien public ou privé, notamment un lieu public, une installation gouvernementale ou publique, un système de transport public, une infrastructure, ou à l’environnement ; ou
c) des dommages aux biens, lieux, installations ou systèmes mentionnés à l’alinéa b du paragraphe 1 du présent article, qui entraînent ou risquent d’entraîner des pertes économiques considérables, lorsque le comportement incriminé, par sa nature ou son contexte, a pour but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à faire ou à ne pas faire quelque chose69. »

36La définition retenue est plus large au niveau des effets, car elle incorpore non seulement les violences graves contre les personnes, mais aussi les dommages aux biens publics ou privés, ainsi que les dommages à ces mêmes biens qui entraînent ou risquent d’entraîner des pertes économiques considérables. Cette extension de la définition peut permettre d’englober de nouvelles menaces terroristes, à l’image du cyberterrorisme.

37Enfin, pour finir, il convient de préciser que, dans une décision du 16 février 2011, le Tribunal spécial pour le Liban est parvenu à dégager une définition coutumière du terrorisme international en temps de paix70 :

« Conformément à cette règle coutumière, trois éléments clés sont nécessaires : i) la perpétration d’un acte criminel (tel qu’un meurtre, un enlèvement, une prise d’otages, un incendie criminel, etc.), ou la menace d’un tel acte ; ii) l’intention de répandre la peur parmi la population (qui fait naître généralement un danger public), ou de contraindre directement ou indirectement une autorité nationale ou internationale à accomplir un certain acte ou à s’abstenir de l’accomplir ; iii) la présence, au sein de cet acte, d’un élément d’extranéité71. »

38Cette décision a été très critiquée72, non pas tant sur le contenu de la définition qu’elle donne du terrorisme que sur l’affirmation de son caractère coutumier73. Il est cependant intéressant de relever qu’elle retient comme critère du dol spécial la coercition sur les autorités nationales ou internationales, ou l’intimidation sur la population.

39Au regard de l’ensemble de ces définitions, il apparaît que l’État est bien un élément qui permet d’identifier le terrorisme. Plusieurs d’entre elles retiennent en effet comme facteur intentionnel de l’action terroriste la coercition exercée à l’encontre d’un État ou d’une organisation internationale (composée elle-même d’États), ou l’intimidation de la population (qui est l’un des critères constitutifs de l’État)74. Ces différentes définitions perçoivent l’État avant tout comme victime du terrorisme. Il semble y avoir en revanche une volonté d’exclure l’État en tant qu’auteur d’infraction terroriste. D’où la nécessité de distinguer la responsabilité de l’État de la responsabilité individuelle de ses agents. Bien entendu, dans la qualification du terrorisme, l’État dispose d’une entière liberté.

B) La place reconnue à l’État dans la qualification du terrorisme

40Dans l’ordre juridique international, les États sont souverains et peuvent librement apposer le label « terroriste » sur n’importe quelle entité ou n’importe quel État. Ils disposent d’un pouvoir discrétionnaire d’autant plus important qu’il n’existe pas de définition universelle du terrorisme. Ce qui vaut néanmoins pour un État, compte tenu du principe d’égalité entre les États, vaut pour tous les autres. Si un État est libre de qualifier un acte ou une entité de terroriste, un autre peut très bien défendre l’opinion inverse. Cette divergence de vues se retrouve très largement dans les débats qui ont lieu notamment au sein des différents organes de l’ONU : l’Iran a pu dénoncer le « terrorisme d’État » d’Israël75, tandis que l’État hébreux n’a pas hésité à qualifier le Hezbollah d’« émanation terroriste de l’Iran » et à accuser le régime de Téhéran d’être celui qui promeut le plus au monde le terrorisme76 ; l’Ukraine a conspué la politique de terreur menée depuis 2014 par la Russie dans la région du Donbass77 ; la Syrie a accusé Israël, la Turquie et l’Arabie Saoudite de financer le terrorisme78 ; l’Inde a critiqué le soutien apporté au terrorisme par le Pakistan79 ; la Corée du Nord a accusé les États-Unis de désigner les pays qui leur sont opposés comme étant des États soutenant le terrorisme et de leur appliquer ensuite des sanctions fondées sur la défense de leurs propres intérêts80… Ce florilège de déclarations montre que les accusations de terrorisme proférées par les États entre eux sont éminemment subjectives. Elles relèvent davantage du discours politique que du discours juridique. L’adoption d’une définition est dès lors souhaitable afin de ne pas « laisser aux États la possibilité d’interprétations unilatérales orientées dans le sens de leurs intérêts81 ». Mais encore convient-il de retenir une définition suffisamment précise ; ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. Sans remonter à la convention de 1937 qui faisait la part belle à l’interprète82, il convient de constater que la définition retenue par le projet de convention sur le terrorisme est très large dans la mesure où elle s’étend à la commission de dommages aux biens publics ou privés qui entraînent ou risquent d’entraîner des pertes économiques considérables. Ce qui est susceptible de très nombreuses interprétations. Elle peut conduire, comme le relève Eric David,

« à incriminer des comportements tels que des sanctions économiques, des mouvements de grève, des menaces de lock out ou de délocalisation d’entreprises, dès lors que ces comportements seraient de nature à causer de lourdes pertes économiques et pourraient être interprétés comme cherchant à intimider une population ou contraindre un gouvernement à faire quelque chose. Certes il faut que le fait en cause soit illicite, mais il n’est pas rare qu’une grève ou des sanctions soient décidées en violation du droit applicable83 ».

41Si les États ont manifestement un rôle clé dans l’identification du terrorisme, ils doivent toutefois le partager avec certaines organisations internationales, dont l’Organisation des Nations unies. Au sein de l’ONU, plusieurs organes tant principaux que subsidiaires sont impliqués dans la lutte contre le terrorisme. C’est en particulier le cas du Conseil de sécurité. Dans plusieurs résolutions, il a pu accuser certaines entités de s’être impliquées dans des actes terroristes. C’est le cas de Daech, dont le Conseil de sécurité a rappelé, à plusieurs reprises, qu’il avait commis des attentats terroristes et qu’il avait la capacité et l’intention d’en perpétrer d’autres. Ce fut le cas, par exemple, dans sa résolution 2249 adoptée le 20 novembre 2015, dans laquelle il

« condamne sans équivoque et dans les termes les plus forts les épouvantables attentats terroristes qui ont été commis par l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, le 26 juin 2015 à Sousse, le 10 octobre 2015 à Ankara, le 31 octobre 2015 au-dessus du Sinaï, le 12 novembre 2015 à Beyrouth et le 13 novembre 2015 à Paris, et tous les autres attentats commis par l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, y compris les prises d’otages et les assassinats, note que cette organisation a la capacité et l’intention de perpétrer d’autres attentats et considère que tous ces actes de terrorisme constituent une menace contre la paix et la sécurité84 ».

42De la même façon, dans la résolution 2255 du 21 décembre 2015, le Conseil de sécurité dénonce « les violences et activités terroristes que continuent de commettre les talibans, Al-Qaïda et d’autres groupes extrémistes violents85 » en Afghanistan.

43Les résolutions sont néanmoins rédigées comme si la qualification s’imposait d’elle-même. Ce qui en soit n’est pas étonnant dans la mesure où les actes en question ont généralement fait l’objet d’une condamnation de la communauté internationale. Il ne s’agit pas pour autant d’une règle intangible. La qualification n’est pas motivée.

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44À l’évidence, le terrorisme est un acte criminel considéré comme sérieux par la très grande majorité, si ce n’est la totalité des États. C’est un moyen de contestation de l’ordre établi qui cherche à remettre en cause la forme de l’État en le privant notamment du monopole de la violence légitime. À partir du moment où l’État n’est plus apte à assurer sa propre sécurité, ce n’est ni plus ni moins que sa raison d’être qui est remise en cause. En d’autres termes, le terrorisme ébranle l’État pour mieux porter atteinte à son existence. Il bouscule le concept même de souveraineté86. En mettant en péril la sécurité de l’État, le terrorisme met également en péril la sécurité de la communauté internationale dans son ensemble. Il vise à la déstabiliser par la création d’un désordre généralisé. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le secrétaire général des Nations unies affirmait qu’« une attaque terroriste contre un pays est une attaque contre l’humanité tout entière87 ». C’est ce qui explique que le Conseil de sécurité n’ait pas hésité à qualifier le terrorisme de « menace à la paix et à la sécurité internationales ». Il l’a fait pour la première fois en 199288. Il l’a depuis répété à plusieurs reprises89. Pour autant, la menace terroriste est loin d’avoir cessé. Dans sa résolution du 20 novembre 2015, notamment, le Conseil de sécurité qualifiait Daech de « menace mondiale d’une gravité sans précédent contre la paix et la sécurité internationales ».

45Aucun État ne peut se dire aujourd’hui à l’abri du terrorisme. Les actions sont désormais menées par des réseaux autonomes, composés d’individus de différentes nationalités. Pour être efficace, la riposte à ce fléau ne peut être qu’internationale et doit se concentrer tant sur la prévention que sur la répression.